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Événements et sécurité

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Dominique Boullier
, 
Stéphane Chevrier
, 
Stéphane Juguet

Chapitre 2. Un festival en ville : les Transmusicales à Rennes

Texte intégral

1Pour les Transmusicales, nous ne raconterons pas d’histoire générale, car l’événement se caractérise précisément par son caractère protéiforme. Ce sont toutes ses facettes qu’il faut appréhender pour comprendre ce que fait ce festival à une ville, comme nous le dirons en conclusion. Plusieurs histoires permettent d’éprouver le climat très particulier de ces trois jours qui se déroulent depuis trente ans début décembre à Rennes lors de ce qui est devenu un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs explorateurs des nouvelles musiques, mais aussi pour les fêtards en tous genres, voire pour les ravers.

  • L’histoire de la bousculade place de la République à Rennes pendant l’attente des navettes de bus qui emportent les festivaliers vers le parc des expositions à l’extérieur de la ville, permettra de voir comment la morphologie urbaine peut empêcher de faire conteneur et comment les articulations entre professionnels peuvent se défaire rapidement sous la pression de la foule, dont il faudra qualifier l’état.
  • L’histoire des bracelets obligatoires pour entrer au festival mettra en évidence le point sensible des seuils et de leurs traitements.
  • L’histoire de l’évacuation de la place Saint-Michel et de la place des Lices permettra de voir comment un travail ordonné des professionnels et leurs rythmes propres peuvent s’imposer finalement à une quasi-foule.
  • L’histoire des feux allumés par les fêtards fera entrer en scène les attracteurs de tous types qui tiennent ces quasi-foules en éveil mais aussi les riverains et tous les publics affectés par tout événement, qu’on a tendance à oublier parfois parmi les participants.
  • L’histoire de la manifestation des ravers permettra de revenir sur ce qui fait événement, comment les forces de sécurité peuvent le prendre en charge avec leurs stratégies y compris lorsque les organisateurs sont atypiques et qu’aucune grille préalable ne peut vraiment s’appliquer.

1/ RÉPUBLIQUE : UN PORT POUR LA FÊTE OU UN SAS DE CAUCHEMAR ?

Une situation normale

2Les habitués le savent, il vaut mieux aller en bus au parc des expositions, car on évite les contrôles d’alcoolémie sur la route (les gendarmes sont omniprésents autour du Parc). Tout le monde se retrouve donc place de la République où est installé le point de départ des navettes. La Société de Transport de l’Agglomération rennaise (STAR) a mis en place un service spécial qui va directement au Parc à allure soutenue, avec la présence de médiateurs (Amistar) à bord, à une fréquence de sept minutes, dans ces moments d’affluence du vendredi soir particulièrement. Les festivaliers sont en groupe ou à deux et sont déjà dans l’ambiance de la fête, d’autant plus qu’il faut attendre. On s’échauffe, en plaisantant fort, on se pousse, une bouteille de plastique à la main pour certains.

3Il faut faire la queue pour acheter son ticket de bus. Un chapiteau blanc provisoire a été dressé dans le coin de la place pour abriter les acheteurs d’une pluie éventuelle, et des barrières sont en place pour canaliser la foule. Ensuite l’acheteur doit effectuer une seconde attente en file pour entrer dans le bus. Là aussi, des barrières métalliques ont été installées. Deux contrôleurs de la STAR surveillent les portes arrière des bus en repoussant physiquement ceux qui voudraient monter par ces portes car il faut rentrer par l’avant pour montrer son ticket.

La montée de la pression

4À partir de 22h, la foule est tellement nombreuse qu’elle déborde les barrières. Un sas est prévu entre les deux phases d’attente, normalement pour permettre aux bus d’écouler la foule. Or, le rythme des bus s’est ralenti même si deux bus qui étaient en attente ont été injectés. Le responsable de la STAR, présent sur place toute la soirée, déclare cependant qu’il lui en faudrait plus que ça pour l’inquiéter. La vente des billets est arrêtée pour attendre l’écoulement de la foule. Mais l’ambiance reste festive, avec des hurlements et de la consommation d’alcool permanente dont les effets commencent à se faire sentir : chaque arrivée de bus est saluée par des applaudissements, et dès que le bus s’ouvre, c’est la ruée et des poussées fortes des personnes qui attendent. Un personnel Amistar prévient les usagers dans la file d’attente : « Vous avez un bus toutes les sept minutes, donc ça ne sert à rien de pousser ». À 22h30, la fréquence réelle des bus semble très irrégulière. Après une période de dix minutes ou un peu plus sans bus, trois bus arrivent en l’espace de dix minutes.

L'évolution de l'incident place de la république à Rennes lors des Transmusicales

5Un adjoint du responsable STAR a demandé aux CRS qui étaient prépositionnés dans leurs véhicules sur la place de la République (à cinquante mètres de la file d’attente) de se placer près de la navette (six personnes) et aux alentours : « Ecoutez, faut que vous interveniez parce qu’on a vraiment besoin de vous ». Manifestement, il est plus inquiet que son responsable en voyant des personnes compressées par les barrières. Les CRS sont en tenue normale, avec leur calot sur la tête, sans équipement de maintien de l’ordre (MO). Il faut noter que personne n’a eu trace de cette décision de mobilisation, ni le centre d’information et de commandement, ni le lieutenant en charge du service général. La présence des CRS génère quelques énervements et sifflements : un festivalier caché par l’abribus profite d’une ouverture pour glisser quelques « taquineries » à un CRS.

6Les personnes sont tellement compactées que le chapiteau sous lequel s’effectuent les contrôles des titres de transport vacille. Celui-ci ne tient en place que par les personnes qui le maintiennent de la main par en-dessous. Les CRS arrivent pour gérer le flux de la file, dans un premier temps, en créant une limite au niveau du chapiteau afin de faire un sas. Mais le chapiteau continue de vaciller. Ils vont donc modifier le tracé de la foule pour éviter à ceux qui attendent de passer dessous, car cela peut être dangereux.

7Vers 22h50, huit CRS soutiennent les barrières de la file d’attente (au-delà de l’abribus) qui mène à la navette. Ils maintiennent le barriérage en s’appuyant dessus, en « forçant » parfois pour éviter que la foule ne fasse sauter le dispositif. L’énervement commence à se sentir parmi la foule. Le responsable de la STAR précise qu’il se sent inquiet : « Là, c’est une situation de crise ». Un « festivalier » lance aux CRS : « Là, il y a des gens qui vont mourir étouffés ». Un autre festivalier crie : « Tout le monde bourre, j’en ai marre, ce n'est pas normal. »

8Deux CRS ont pénétré le dispositif de la file d’attente de la STAR et se sont postés juste après le stand de validation des titres de transport. Face à la persistance de la foule qui pèse sur les barrières, un CRS menace : « On va être obligé de gazer ». Les CRS sont au ras de la foule et sous pression directe des poussées.

La crise

923h20

10Le dispositif de barrières cède. Elles sont à terre avec des festivaliers tombés et coincés dessus suite au mouvement de foule. Deux CRS crient « Reculez, reculez » à la foule sans que celle-ci ne réagisse. Les CRS extirpent avec énergie les « festivaliers » qui se sont retrouvés au sol dans le mouvement. Deux CRS réconfortent une femme « traumatisée » en l’accompagnant pour qu’elle se pose sur un banc de l’abribus. Dans le même temps, les CRS se retirent, les barrières sont enlevées. Le chapiteau sera finalement démonté à 23h30 par quatre CRS.

11Au même moment, au Centre d’Information et de Commandement (CIC), est rapporté un « incident à la montée dans les navettes pour le parc des expositions à République ». La bousculade a eu lieu car les navettes étaient insuffisantes, dit-on. Rien n’est dit sur l’intervention des CRS. Le lieutenant demande une nouvelle « physionomie », d’où il ressort que « les agents STAR sont partis ». Il est demandé aux Sections d’Intervention (SI) de se regrouper vers République. On apprend que les navettes sont arrêtées à cause de l’envahissement de la rue par la foule et des risques que cela fait courir au public. Le Lieutenant appelle le responsable de la STAR directement sur son téléphone portable pour avoir des informations précises et décide de se rendre sur place. La demande de « faire des annonces au public » est sans effet car tout le monde semble manquer d’informations fiables.

12Le PCC reçoit des infos sur l’état de la foule « il y a mille personnes mais ils s’éparpillent sans incident » ou encore « c’est plein au parc expo, on refoule le public, trop de monde ». Dans les deux cas, les informations restent vagues, voire erronées, et nous le verrons en allant sur place.

13Lorsque le lieutenant C. arrive sur place, elle discute avec le responsable de la STAR qui admet qu’« on est débordés, il y a des personnes qui sont montées sans billet et avec billet. Il a fallu ouvrir les barrières. Si on reprend les navettes, les gens vont se jeter dessus. Il faudrait contrôler si les gens ont des billets pour ne pas qu’ils se retrouvent au parc des expositions sans rien ». (On comprend qu’il y a ticket de bus et billet d’entrée au festival et que les deux ont posé problème).

14Le responsable a été très inquiet à cause des mouvements de foule et des personnes tombées par terre. Il « n’a jamais vu ça » et ne sait manifestement pas comment reprendre la main. La foule s’est en effet dispersée sur la rue et bloque toute circulation, ce qui justifie l’arrêt complet des navettes pour des raisons de sécurité. Mais l’origine du problème ne semble claire pour personne et notamment cette fréquence faible des bus. Ce qui entraîne aussi le début des critiques réciproques. Les SI critiquent la STAR qui a tout lâché car ils ont eu très peur. « On pouvait gérer, les CRS avaient trois rideaux et ça pouvait le faire ».

15Le public, dispersé dans la rue, se retrouve au contact de tous, agents STAR (peu nombreux) et police, pour demander par exemple comment appeler un taxi. Et cela durera pendant tout l’incident. Le lieutenant voudrait obliger tout le monde à se ranger sur le trottoir mais sa voix ne porte pas suffisamment, elle n’a pas de mégaphone. Finalement, le public va se révéler très discipliné dès lors qu’on lui annonce que les navettes vont reprendre s’ils se rangent sur les trottoirs. Le barriérage a été démonté par la STAR. L’ambiance n’est pas tendue mais plutôt désorganisée avec une présence de la foule partout. C’est la police qui tente de remettre de l’ordre.

Le retour au calme progressif

16Après plusieurs injonctions et arguments, vers 23h50, le public se retrouve bien rangé le long du trottoir face aux véhicules de police des SI qui ont été stationnés juste en face, sur l’autre trottoir, sur le terre-plein central des quais. La rue devient alors un no man’s land vide assez étrange (car la rue est large pour les bus à cet endroit). Deux ou trois canettes volent : c’est en effet une disposition de face à face un peu tentante, que certains policiers critiquent d’ailleurs. Quelques instants plus tard, les véhicules de police seront déplacés plus loin pour se trouver presque en face de ceux des CRS.

17L’attente est longue, car on ne voit pas les navettes reprendre et les informations sont très vagues, ce qui entraîne des réactions du public du genre « quelle bande de rigolos ». Dès qu’un bus passe sur la rue voisine, tout le monde se précipite. Une jeune fille fait une crise de nerfs devant le responsable de la STAR : « J’ai préparé ce week-end depuis des mois, je viens de loin, je veux y aller, je veux y aller », elle hurle, elle pleure, elle tape des pieds furieusement sur le sol. Le responsable de la STAR parvient à la calmer. Ce temps vide de l’attente et cet espace vide face aux policiers incitent à la provocation. Des jeunes viennent au contact, l’un d’eux, ivre et très nerveux, est maîtrisé par un chef de la SI qui l’éloigne aussitôt et lui parle tout en le tenant fermement.

18Le personnel de la STAR n’est plus visible, à part son responsable. La police (SI) commence à réinstaller les barrières pour préparer la reprise des navettes. En effet, une fois que l’on a annoncé que les navettes ne pouvaient pas reprendre à cause de la foule présente sur la rue, il devient difficile de prolonger l’attente alors que tout le monde est sagement rangé sur le trottoir. De ce fait, la police se retrouve partout :

  • à l’écart (sept cars de CRS, qui sont intervenus plus tôt lors de la première bousculade mais qui cette fois-ci ne bougent pas du tout, au grand dépit des SI) ;
  • en face de la foule (avec des SI présents de l’autre côté de la rue) ;
  • mélangés à la foule (lorsqu’elle revient par épisodes sur la rue) ;
  • sur le côté de la foule (pour préparer les barrières pour l’accès aux navettes).

19Dans ce mouvement d’installation, des contacts se produisent, y compris avec des personnes très alcoolisées. L’un d’eux touche un policier de la SI, qui le repousse vivement en lui disant, « tu me touches pas ». Le jeune tombe par terre sur le dos. Un autre, de l’autre côté de la rue tente de toucher lui aussi un autre policier et il est embarqué aussitôt et sans ménagement. La police crée un canal informel pour guider le public vers les barrières. Pendant ce temps, une fanfare s’est installée (en fait sponsorisée, nous l’apprendrons ensuite), elle attire une centaine de personnes qui n’ont apparemment aucune intention de participer à la lutte pour des places dans les navettes ! Cela pourrait détendre l’atmosphère mais la coupure est réelle entre les deux publics et ceux qui veulent monter dans les bus sont en fait très tendus (et à nouveau très compressés contre les barrières, car tout le monde pousse).

Un risque de rebond de la crise

20Le premier bus arrive enfin à 0h25 et part avec peu de monde à l’intérieur tant les flux sont désorganisés. La police et la STAR commencent à faire un contrôle des billets à l’entrée des bus. Mais le filtrage devient de plus en plus difficile. La police doit retenir les barrières qui menacent de s’écrouler. À un moment, le filtrage à l’entrée cesse et la foule se rue encore plus. Les policiers sont assez énervés : « De toutes façons, c’est des sauvages ! » « On n’est pas payé par la STAR, nous !! ». Ils multiplient les remarques « c’est mal géré, c’est le bordel ». A 0h30, le responsable de l’effectif SI dit à ses hommes d’abandonner les barrières car ce n’est pas leur rôle : « Ils se démerdent, ils n’ont qu’à gérer leur truc ». L’endroit précis pour l’embarquement des bus n’est lui-même plus très clair. Les bus qui arrivent ensuite sont pris d’assaut, y compris par les portes arrière. Les contrôleurs de la STAR sont réapparus aux portes mais on ne sait pas exactement quel est leur rôle. On voit à nouveau des personnels en bleu de la STAR.

21Pendant ce temps, huit cars de CRS arrivent pour la relève et stationnent en file, ce qui fait quinze cars pendant vingt minutes sur la place de la République, sans compter les véhicules de la SI. L’effet est impressionnant et étrange à la fois, car il s’agit d’une manœuvre de relève totalement indépendante de la situation pourtant tendue qui se déroule à quelques mètres. Les CRS sont intervenus une fois et sont restés sur place ensuite dans leurs cars sans aider la SI, ce qui entraîne des commentaires en leur sein : « Ils auraient pu voir ce qui se passait », « Il y a des bons et des moins bons », « Ils n’avaient pas vu, soi-disant ». Nous apprendrons par la suite que, de toutes façons, ils devaient attendre leurs ordres du CIC. Les questions de relève touchent aussi les SI, car il faut garder des forces pour le lendemain. Deux patrouilles de SI quittent le dispositif.

Le retour réel au calme

22Le trafic a été écoulé, à 1h00. C’est le début du trafic de nuit classique pour la ligne passant devant la place de la République et de la navette pour la discothèque Le Platinium. Le responsable de la STAR reconnaît avoir « ressenti un gros malaise » et l’explique par « un problème de fréquence de bus ». Il veut éviter cela pour le dispositif du retour : « Il faut assurer là. On s’y est déjà mal pris avec les entrées ». Il est à son tour critique vis-à-vis des CRS : « Ils n’étaient pas actifs, ils regardaient ». À 1h18, l’élu de permanence de la ville de Rennes vient aux nouvelles auprès du responsable de la STAR. Ce dernier lui précise : « On a eu trois heures difficiles », « On a fait ouvrir les barrières pour des raisons de sécurité », « C’était une situation très difficile ». Fin du trafic « aller ». Le personnel de la STAR range le barriérage et le sécurise avec une chaîne et des cadenas.

23Au retour, le risque de bousculade se retrouvera à la montée des bus pour le retour et les responsables de la STAR décideront de ne plus contrôler les billets, ils se trouveront très satisfaits de leur décision malgré le manque à gagner éventuel.

Le debriefing

24Lors du debriefing du 3 février 2009, à la préfecture, la discussion démarre d’emblée par « la frayeur sur le dispositif STAR » même si la STAR n’est pas présente. Alors qu’on pouvait penser que l’audience serait moindre cette année du fait de la crise économique, on a enregistré une augmentation de plus de 20% vendredi. Le remplissage s’est fait au dernier moment. Par ailleurs, le pourcentage de festivaliers se rendant au parc des expositions en bus a dépassé la barre des 50 %. Le dispositif STAR est apparu « sous-dimensionné ». Enfin, les organisateurs ont annoncé à 23h15 qu’ils étaient complets. Mais à cette heure-là, selon la responsable des Trans, la STAR avait déjà des difficultés. Les organisateurs ont prévenu la STAR. Selon la responsable des Transmusicales, les taxis refusaient d’aller au parc. La gendarmerie souligne qu’elle a pourtant contrôlé des taxis. En la matière, il semble que la STAR ait de nouvelles propositions à faire. L’opérateur transport mettra en place un dispositif plus étoffé identique au samedi, jour qui a déjà été complet plusieurs fois.

25La programmation du vendredi était, selon les organisateurs, très alléchante et cela expliquerait cette augmentation de fréquentation. La responsable des Transmusicales note que les trois quarts des festivaliers avaient programmé leur venue dès septembre avant même de connaître le programme. Mais elle s’interroge sur un éventuel changement des publics. Le jeudi est habituellement un public local d’habitués et de professionnels, le vendredi, un public régional – grand ouest et le samedi, un public national. Cette année, elle observe un rajeunissement du public du vendredi (beaucoup de 17-19 ans) qui serait lié à la venue de groupes comme Birdy Nam Nam. La responsable des Transmusicales a été visiblement très inquiète mais prévenue avant tout par les journalistes qui attendaient les navettes et qui indiquaient que les taxis refusaient de prendre les festivaliers. Elle a appelé la préfecture tous les quarts d’heure à partir de 22h30, craignant des débordements sur le parc des expositions mais aussi en centre ville. « La rumeur montait, montait… qu’est-ce qui se passe ». Les équipes du samedi ont été renforcées de peur d’avoir un « climat tendu ».

26En fait, tout s’est très bien passé, car le dispositif de navettes était pré-arrangé pour la jauge annoncée comme plus importante. Le tableau ci-après est l’outil de base pour visualiser la planification des fréquences de navettes pour le festival et l’on voit bien que la montée en charge maximale est prévue pour le samedi soir.

Calendrier des fréquences de bus

Conclusion

27De cette histoire finalement peu dramatique mais vécue à haute tension et avec une grande incertitude par tous les participants (public compris), il faut retenir plus nettement plusieurs approches :

  • Les conteneurs de mauvaise qualité rendent encore plus difficiles la gestion d’un public en attente de contenant.
  • Il faut soigner ses articulations, au sens d’A. Strauss (Strauss et al., 1985), entre professionnels, entre espaces, pour mieux suivre le parcours d’un festivalier, ses changements d’état, sa carrière. Or, les articulations se sont révélées très raides lors de la bousculade de la République.
  • Instituer des seuils et des sas, dans le prolongement du tri des publics que nous avons déjà étudié, demande un soin particulier. Nous verrons ce point plus en détail en focalisant sur une autre histoire complémentaire de l’histoire de la place de la République, celle des bracelets.

2/ LA MORPHOLOGIE URBAINE AIDE OU NON À FORMATER LE PUBLIC

28La place de la République que nous avons dessinée sur le visuel en introduction de cette partie ne mérite pas vraiment son nom de place, si l’on entend par là qu’on peut y stationner, y trouver sa place, précisément, rester en place. Elle est tout entière tournée vers les flux qui sont devenus uniquement des flux de bus (mais aussi du métro souterrain qui y offre deux énormes bouches d’entrée sur cette place). Certes, elle dispose d’un bureau de poste et d’une agence télécoms, mais les arcades sous lesquelles ces deux commerces/services se trouvent ne présentent aucune vitrine alléchante mais plutôt des publicités qui sont ensuite effacées par le tunnel des arcades, espace sombre, peu accueillant et espace privilégié pour les trafics de toute sorte (et connu depuis quelques mois pour des agressions à répétition). Rien qui engage à stationner. Des jardins et des bancs ont bien été installés au milieu des quais, mais précisément, ils se trouvent au milieu des circulations et la place n’existe de fait que d’un seul côté. La morphologie elle-même de ce que l’on appelle la place de la République ne permet en rien de contenir un public quelconque. Tout y circule, les bus mais aussi les piétons puisque l’axe nord-sud du centre piétonnier passe à cet endroit et le seul cadre bâti qui puisse constituer une limite sont les arcades, qui sont, elles aussi, des espaces de circulation et surtout qui n’offrent qu’un alignement et non un cadrage plus enveloppant. Il existe un angle qui est exploité par la STAR pour y placer son chapiteau de vente de tickets. Il est formé par une aile du bâtiment de l’ancien palais du commerce et par son prolongement par la terrasse couverte du café de la Paix. Rien de tout cela ne suffit à constituer un cadre qui puisse servir de conteneur. D’autant que le public présent en temps normal est constitué avant tout par les utilisateurs des bus, puisque ce sont les services offerts dans cet espace. La STAR a bien conscience de cette faiblesse du conteneur puisqu’elle place des barrières pour orienter le public, avec un système de sas (achat de tickets de bus séparé de la zone d’attente des bus proprement dite). Ce système n’a pas été installé dès la première année de la délocalisation des Transmusicales au parc des expositions mais fait partie de l’apprentissage collectif. Mieux encore, un chapiteau reconstitue un repère, voire une tentative de conteneur, tout au moins pour les vendeurs qui sont ainsi abrités. Comme l’histoire le révèle, tout ce dispositif se révèle très fragile et incapable de résister à la pression du public à tel point qu’il faudra le démonter car c’est lui (barrières et chapiteau) qui devenait une menace pour la sécurité du public.

29Certes, il est impossible d’anticiper un tel type de problème sur la base de ces seuls indices et il serait aisé de rappeler que c’est avant tout l’afflux massif de public pour une programmation plus attirante que prévue qui généra l’incident. Mais il importe de qualifier les espaces urbains, de leur reconnaître des qualités et de ne pas leur demander de remplir une fonction-travail pour laquelle ils n’ont pas été conçus. La place de la République est un espace de flux, et tout va bien lorsque les bus des Transmusicales circulent rapidement pour renforcer encore cet effet de flux mais rien ne va plus s’il faut stationner et jouer un rôle de conteneur. Les CRS n’ont pas été programmés comme conteneurs dans ce cas précis, leur manœuvre est approximative, ils rendent service de façon informelle et se retrouvent piégés dans l’affaire au point de devoir céder et de lever le camp, face à la pression de la foule. Les humains non plus ne peuvent plus faire conteneur, alors que leurs alignements parfaits en situation de maintien de l’ordre constituent parfois des conteneurs très efficaces.

30La fonction conteneur est mise à mal par le goulot d’étranglement qui s’est constitué mais avant tout parce que les qualités de l’espace ne permettaient en aucun cas d’en faire un conteneur, c’est-à-dire un lieu où l’on peut tenir (au moins) des voyageurs en attente qui se trouvent être en même temps des festivaliers en attente de… festival !

31C’est ici qu’apparaît la deuxième faiblesse du dispositif d’attente mais aussi de convoyage des festivaliers. En effet, ce qui ne se voyait guère lorsque les flux étaient réguliers et évitaient les stationnements du public est apparu au grand jour avec cet incident. Le statut de la navette n’a pas été clarifié du point de vue même du festival. Pour une part, les Transmusicales, en tant qu’organisateurs, se considèrent responsables de leur bulle, créée sur le parc des expositions, donc loin de la ville. Les questions de transport les touchent cependant de près sur les parkings de ce parc des expositions ou encore pour gérer correctement les afflux de spectateurs une fois qu’ils arrivent en voiture ou en bus. Leur responsabilité sur l’organisation des navettes n’est pas officielle. C’est la STAR, spécialiste de transport, qui s’en charge. Elle applique certes un régime spécial par la fréquence des navettes et leur destination unique et sans arrêt intermédiaire, mais finalement, il s’agit bien de traiter des voyageurs qui doivent rentrer dans des véhicules – les bus – qui ont une capacité limitée, et de traiter des clients, qui auront payé leur voyage (et que l’on contrôle). Régime somme toute assez normal, que la STAR aurait aimé s’approprier davantage en établissant le départ des navettes à la station H. Fréville, sur son territoire, là où la société aurait sans doute pu installer un conteneur plus adapté en profitant d’un premier sas qui aurait été le métro (puisque cette station aurait été rejointe par le métro).

32Pourtant, qui a voyagé dans les navettes pour se rendre aux Transmuiscales n’a certainement pas eu l’impression d’être dans un régime de transport « normal » ! Les chants, les cris, les effusions, l’alcool, créent un climat de festival ; la STAR et les Amistar qui font l’accompagnement l’ont bien compris et modifient leurs critères habituels en tolérant beaucoup de comportements et en calmant seulement les plus échauffés. Bref, les voyageurs-clients de la STAR sont en fait des festivaliers déjà captés par le climat du festival ou qui font tout pour l’anticiper, avec les adjuvants nécessaires s’il le faut. Ils font partie d’un autre monde, d’un autre point de vue, d’une autre monade, et ne souhaitent pas être traités comme des voyageurs ordinaires par une autre monade qui s’impose à eux. Dès lors que l’on fait attendre ce public, déjà orienté vers le festival, et rassemblé sous ce critère, c’est bien ce trait qui devient dominant : l’impatience n’est pas celle des voyageurs mais celle des festivaliers qui voient l’heure tourner et qui imaginent les groupes qu’ils voulaient voir spécialement passer sur scène en leur absence. Or, le voyage comme l’attente avant de prendre le bus sont considérés comme de simples sas techniques gérés par la STAR alors que le public est déjà dans l’état de fusion du spectateur des Transmusicales.

33Penser un espace comme la place de la République en tant que sas technique pour une destination particulière n’est pas du tout la même politique que de penser le même lieu comme un port pour la fête. Cette mythologie de l’embarquement, pour les Transmusicales et non pour Cythère, pourrait à elle seule constituer un contenant fort, et une expérience nouvelle qui requalifierait l’espace et le temps de transition que sont ces moments de déplacement. Au lieu de cela, le transport et l’attente doivent fonctionner comme un pur conteneur alors même que les qualités du lieu ne s’y prêtent pas.

3/ LE TRAVAIL D’ARTICULATION

  • 1 « Prev’en ville » est un bus destiné à accueillir et sensibiliser les jeunes aux risques (sida, to (...)

34Les trajectoires (Strauss et al. 1985) sont à la fois une production collective et la condition pour comprendre la décomposition ou la division du travail en procédure opérationnelle standard. Le niveau d’observation pertinent pour ces trajectoires n’est pas si évident à déterminer lorsqu’on traite de foules. Ainsi, il serait envisageable de traiter l’événement dans son ensemble comme une trajectoire et de voir ainsi, en concordance avec nos timelines, comment il évolue. Or, les acteurs concernés ne se trouvent jamais ensemble en position de gestion de l’événement en tant que tel. Lors des réunions préparatoires qui se tiennent à la préfecture, le service de transport (la STAR) n’est pas représenté. Il se trouve que l’un des problèmes majeurs de l’édition 2008 viendra de là. Tous les événements génèrent ce type de réunions, permettant en théorie une coordination entre organisateurs et sécurité. Mais ce n’est pas toujours le cas, puisque pour la manifestation, les services d’ordre syndicaux ne fournissent même pas de parcours officiel à la préfecture et qu’aucune réunion ne les concerne. Le match de football est l’endroit où organisateurs et services de sécurité sont les mieux coordonnés avec deux réunions préparatoires mais là aussi les organisateurs de transport ne sont pas présents, ce qui révèle bien à quel point l’événement n’est pas traité comme urbain, mais concentré sur un site équipé extraterritorial. Les Transmusicales se situent entre les deux événements (manifestation et match de foot) du point de vue de la coordination anticipée et programmée. Les événements périphériques (rave éventuelle, fêtards tardifs dans les rues de Rennes) ne concernent guère les organisateurs, qui le font savoir, même s’ils reconnaissent qu’ils peuvent être affectés par ces événements dont on leur attribue souvent la responsabilité. De ce fait, l’articulation programmée sera bancale ou clivée : une partie avec des organisateurs portant sur le parc des expositions, une autre sans eux portant sur les rues de Rennes et la rave éventuelle. La question d’une absence de coordination de la gestion du climat dans l’ensemble de la ville est ainsi posée. On comprend très bien que les organisateurs des Transmusicales ne veuillent pas endosser la responsabilité des événements périphériques. De même, on comprend très bien que les services de police ne veuillent pas se préoccuper de la programmation interne aux Transmusicales (qui va pourtant avoir un effet dans l’incident de République) ni de l’ambiance ou des animations nocturnes dans les rues ou dans les bars. De même enfin, on comprend très bien que les services de transport ne se préoccupent pas de discuter de l’organisation de l’événement piloté par les Transmusicales et se contentent de fournir des bus (bien que le nombre de bus à fournir selon l’attractivité de la programmation fût le critère de la mini-crise de la place de la République). « Chacun son métier ». Certains se sentent pourtant clairement mis à l’écart, en l’occurrence, les services de transport. « On fonctionne via les PC. On a un PC Bus/Métro pour ne pas perturber la chaîne de fonctionnement ». « On fait un peu dans notre coin. L’année précédente, on n’était pas au courant du bus Prev’en ville1 place de la République ». La STAR travaille cependant avec le SDIG et la sûreté départementale (« on a des liens privilégiés »). Ce sont des liens personnels via téléphone portable, des arrangements, qui compensent cette absence de formalisation d’un accord, dans un temps et dans un lieu explicitement conçus pour cela.

35Prenons donc acte de ce premier espace d’articulation où se construit un accord : il entérine la division du travail, il est partiel du point de vue des partenaires, il est clivé et il est limité à la phase préparatoire. Aucun poste de commandement véritable ne se met en place pour coordonner non pas la sécurité mais l’événement. Le Centre d’Information et de Commandement est dédié à la communication (et non à la décision) entre services de police (qui eux-mêmes ont leurs canaux clivés, hiérarchiquement et entre services de police). La préfecture ne vient à jouer un rôle que lors de risques plus importants, générés par une éventuelle rave, comme c’était le cas en 2007, car dans ce cas, toute la zone gendarmerie est aussi concernée activement.

36Dès lors, il devient difficile de suivre la trajectoire d’un événement car aucun acteur collectif ni espace pertinent n’est construit pour le penser comme tel. Pourquoi le chercheur irait-il inventer cette catégorie ad hoc dès lors qu’elle ne fait pas sens pour les gens de terrain ?

37Prenons alors le problème par le bout opposé, non plus par la ville ou par l’événement mais par le public, et même par les individus qui composent le public. En suivant leur trajectoire, on se donnerait peut-être les moyens de comprendre quelle est l’évolution du climat, du point de vue de l’expérience d’un festivalier. Notons que nous ne l’avons pas fait, nous n’avons pas suivi une personne pendant trois jours, comme pouvait le faire Strauss pour des patients durant ses observations à l’hôpital.

38Un obstacle vient cependant se dresser dans cette approche individualiste : c’est que là encore personne, parmi les acteurs qui pilotent le climat, ne traite le public de cette façon. Ni la police dans ses différents services ni les organisateurs ne fonctionnent sur la base de ces individualités. Ce traitement individuel pourrait se trouver plus nettement présent lors des matchs de football, où les organisateurs disposent du fichier des abonnés, et auront bientôt toutes les traces possibles de leurs activités à disposition et où la police dispose, elle, du fichier des interdits de stade. Il peut paraître paradoxal d’affirmer que le match de foot, aussi massif soit-il, est un événement où l’on peut descendre au niveau d’un traitement individuel ; cela est dû au fait qu’il existe une relation de fidélité commerciale avec des abonnés d’une part et de contrôle judiciaire personnalisé d’autre part. Ce que l’on ne trouve absolument pas dans une manifestation publique dans la rue et qui modifie considérablement l’entrée même dans le traitement des foules, selon les prises dont on dispose (Bessy et Chateauraynaud, 1995). Les Transmusicales se trouvent là aussi à mi-chemin entre ces deux modalités de traitement des entités individuelles puisqu’elles vendent bien des billets pour trois jours ou une journée à des clients individuels mais elles ne disposent pas de leurs coordonnées et n’ont pas institué une relation de fidélité pour proposer un traitement particulier à ce public. Et en tout état de cause, il reste toute une partie de la vie nocturne rennaise qui ne relève pas d’une relation commerciale avec les organisateurs des Transmusicales. Les bars seraient alors les équivalents et leur absence des réunions de coordination ne fait que démontrer à quel point ils ne sont pas considérés comme de véritables organisateurs.

39À quel niveau traiter alors les trajectoires des festivaliers ? Précisément au niveau des collectifs à géométrie variable qui vont être générés par les différents services concernés par l’événement. Ni ville, ni individu mais quasi-groupes, serait, pour reprendre les méthodes de M. Serres et de B. Latour, notre modalité d’approche des trajectoires observables. Nous nous appuierons pour cela sur une approche en termes de transformations, que nous avons déjà utilisée pour décrire les trajectoires d’un examen radiologique (Boullier, 1995) et pour reprendre la méthode proposée par Glaser et Strauss (1967) qui parlent de « théorie des transformations » ou « developmental theory ».

40Ce qui nous intéresse dès lors, n’est pas un vécu individuel, une expérience à la mode phénoménologique, mais le traitement, le formatage de ces individus dans des statuts très différents au fur et à mesure de leurs trajectoires selon les médiations qui les traitent.

Les transformations des entités du festival

41Le festivalier achète son billet. Il ne nous intéresse pas comme tel car ce n’est pas de cela que va se nourrir la mesure et la construction du climat. Ce qui compte, c’est le statut de « billets vendus » qui est produit par l’organisateur des Transmusicales. Soit à travers ses services web, et on voit bien que l’individu n’a guère d’importance : ce sont des traces de transaction, des interfaces de renseignements qui permettront des calculs sur les agrégats présents pour chaque journée, avec cependant des statuts déjà différents, puisque les VIP par exemple sont traités à part (ce qui génère tout le problème du tri des publics à travers des bracelets, que nous verrons plus loin). Soit, un quasi-groupe sous forme de file d’attente qui devra être traité, lors de la vente aux guichets en ville ou à l’entrée du festival ; là encore on voit bien qu’il ne s’agit pas d’individus mais bien de gérer une problématique de file d’attente, bien connue en gestion des foules et des clients. Cette gestion prend en compte des espaces, des règles, des personnels formés et des dispositifs informatiques qui seront décisifs pour transformer ces files d’attente en « billets vendus ».

42Le billet vendu a une particularité bien difficile à gérer, c’est qu’à un moment donné, il prend la forme d’un corps, il se transforme et marche vers le lieu du spectacle. Il ne le fait pas seul ou alors très rarement. Il se constitue en « groupe de potes », en couple ou autre formats à géométrie très variable qui préparent leur soirée pour se déplacer vers le lieu du festival. Ces corps prennent leur voiture et sont traités comme automobiles, avec parcours fléché sur les routes environnantes, avec gendarmes présents à tous les ronds-points, pour faire la circulation éventuellement, mais surtout pour dissuader et contrôler la consommation d’alcool, avec parking offert très près de l’entrée, avec surveillance de parking, etc. Ils se sont transformés en trafic automobile, avec embouteillages ou fluidité selon les cas, et ce seront les termes employés pour caractériser le climat automobile, ce qui paraît bien loin du climat du festival, et qui pourtant peut avoir une influence non négligeable si le trafic en question est totalement bloqué et empêche la transformation finale en festivaliers.

43Processus identique pour ceux qui prennent les transports en commun. Ils sont devenus des voyageurs, qui vont devoir payer un ticket, faire la queue avant d’entrer dans le bus. Ils seront surveillés et accompagnés par toutes les catégories d’agents que met en place la STAR, qui sait penser les foules en termes de voyageurs. Pour les Transmusicales, douze à quinze véhicules sont mobilisés. 33 100 personnes ont été transportées, soit 27 % de plus que l’année précédente. Quatre-vingts personnes sont mobilisées chaque nuit (vingt conducteurs – « volontaires et pas trop rigides. Il ne faut pas être trop à cheval sur les règles » – et vingt Amistar « pour voir si la clientèle se tient bien » – quinze à vingt contrôleurs – dix agents de métro – dix agents de maîtrise). Le métro a été prolongé d’une heure. Les « stars de nuit » (bus nocturnes) ont été doublés (4 bus circulent de 1h à 5h). Tout le savoir-faire de la STAR a été mis en place et les groupes seront confrontés à ces contrôleurs, à ces « Amistar » chargés de l’ambiance, etc., et seront aussi contrôlés sur l’alcool emporté en bouteille de verre. Il faudra jeter les bouteilles et canettes mais on peut passer avec une bouteille plastique (comme dans les rues du centre ville). La transformation en voyageur se fait automatiquement dès lors qu’il n’y a pas d’attente, car toutes les prises habituelles sont présentes malgré l’état particulier des voyageurs. Tout a été fait pour faciliter les transformations suivantes. Ainsi, l’articulation avec le site du festival a été retravaillée en 2007 : « Le bus va au plus près du parc des expositions. Le sol est bitumé ». On peut donc modifier les articulations et les rendre plus souples, plus fluides, grâce à de tels dispositifs. Mais, dès lors qu’il y a attente, ces voyageurs ne restent plus formatés en voyageurs ; ils continuent à se transformer malgré eux en festivaliers avant l’heure, qui veulent dès maintenant faire la fête. Ce qui donnera ce conflit à la place de la République que l’on vient d’évoquer.

44Chose étonnante, lors de leur arrivée sur le site du festival, la transformation se marque par le retour du « billet » sous une autre forme, puisque seul cet état de billet permet l’accès au festival. Ce qui génère file d’attente, zone de contrôle des bracelets, etc. Car le billet qui devient bracelet est une façon de prendre en compte sa transformation en corps avec des pattes (en l’occurrence avec des bras) et de faciliter le travail d’articulation par un simple coup d’œil pour les professionnels du contrôle à l’entrée. Les files d’attente, en revanche, peuvent générer un autre état de foule qui peut poser problème.

45Une fois entré, le festivalier se trouve alors dans son état officiel, dans l’espace qui lui est dédié mais il faudra bien veiller à ce qu’il ne quitte pas ses zones assignées. Ce festivalier n’est pas encore un public, il est vraiment dans cet état étrange des groupes qui déambulent, qui explorent (et leur régime pragmatique est bien celui de l’exploration, Auray, 2011), qui exploite les diverses zones climatisées de façon différente selon les états que l’on imagine. Tous ces espaces ont été particulièrement bien pensés et conçus par les organisateurs pour ménager des respirations, pour permettre la cohabitation entre types de groupes, entre moments d’activité. Expositions, bars, salons, stands divers permettent de proposer une offre beaucoup plus informelle qui joue sur l’opportunité de la rencontre (« je passais devant ») sans capter nécessairement un public. Le mode de gestion serait sans doute plus proche de celui des consommateurs de bars, si ce n’est qu’il existe bien d’autres centres d’intérêt que la consommation elle-même. C’est pourquoi les boissons proposées sont très limitées et peu alcoolisées. Le bar ne doit pas produire des consommateurs, il doit seulement permettre au public des spectacles de « respirer » entre deux points d’attraction musicaux.

46C’est seulement lorsque ces entités collectives qui sont des groupes variables entrent dans les halls où ont lieu les concerts qu’ils deviennent un public. Mais ce public peut se déplacer de hall en hall selon la programmation. Cela génère cet effet de flux permanent entre les halls qui fait effet de foule en transit ; c’est encore un autre état qu’il faut gérer spécifiquement puisque les entrées et les sorties ne doivent pas créer trop d’encombrements : la foule redevient alors trafic, de piétons dans ce cas. Le public n’aura été public qu’un court instant, mais toute la préparation faite à travers la programmation et à travers tous les médias, l’aura déjà préformaté comme public, ainsi que le rappelait G. Tarde (1901). Même éloignés, tous partageaient déjà leur attraction pour Birdy Nam Nam (entre autres). Nous citons ce groupe car c’est en partie lui qui provoque cette affluence particulière le vendredi soir, affluence imprévue d’un public plus jeune, nous dit l’organisatrice, et qui finalement perturbe considérablement la « procédure opérationnelle standard » (Strauss et al., 1985) qui prévoyait que ce public viendrait en masse le samedi comme lors des éditions précédentes. L’offre de bus qui devait être plus importante le samedi soir s’est révélée nettement insuffisante le vendredi soir dans la mesure où le parc des expositions affichait déjà complet. Le public est certes constitué par l’attracteur qui focalise son attention mais il possède aussi des corps qui occupent un certain espace, un certain volume, qui, une fois agrégés, doivent être compatibles avec une certaine jauge de chacun des halls. C’est uniquement cette contrainte physique des corps que l’on ne peut plus comprimer au-delà d’une certaine limite, et qui est fixée d’ailleurs par les règlements régissant le festival, autorisé pour une certaine jauge, qui délimite le public en question.

47Mais à ce moment-là, le public potentiel, celui qui est déjà formaté par les médias et les attentes construites pour ces groupes particuliers, se retrouve ramené au rang de corps surnuméraires, et donc éliminés du cycle des transformations. La crise se noue sur la place de la République, dès lors que le cycle des transformations non seulement se grippe mais peut apparaître pendant un moment comme définitivement rompu. Les corps s’écrasent par terre et il faut les sauver du piétinement des autres corps qui constituent alors une foule. Ce n’est plus le travail des spécialistes du voyage, ni celui des spécialistes du maintien de l’ordre. Toutes les articulations sont, elles aussi, mises par terre. C’est le seul moment où l’on en vient à traiter des individus, c'est-à-dire à les prendre en compte dans leur particularité, telle cette jeune fille qui fait une crise de nerfs et qui sera calmée par le responsable des services de la STAR. Toute la procédure s’est écroulée puisque l’état d’individu n’était précisément pas un format de personne qui devait être traité par des professionnels quels qu’ils soient, transport, sécurité ou organisateur du spectacle.

48D’autres étapes peuvent être décrites encore plus finement. Elles montreront comment une autre partie de la population présente dans le même espace-temps du festival vit une tout autre expérience faite d’un cycle de transformations fort différentes dès lors qu’ils ne mettent pas les pieds au festival mais font la fête dans la rue. Leur caractérisation est encore plus difficile, car aucun professionnel ne fait d’offre pour les cadrer, pour les formater, et c’est en « désespoir de cause » et après épuisement des énergies, que l’on finit par les traiter sur le mode du maintien de l’ordre, qui sera difficile à mettre en place car ils ne démontreront aucune propriété des manifestants mais plutôt celle des groupes avinés qui ne sont formatés par aucune offre.

La qualité des articulations

49C’est à la lumière de ce cycle de transformations qu’il faut analyser la qualité des articulations mises en place par les divers professionnels en leur sein ou entre organisations. La préparation organise un accord formel entre certains acteurs mais ne permet pas de formaliser les relations avec bon nombre d’autres (transports et bars principalement). De fait, ce n’est pas non plus un idéal de coordination totale qu’il faudrait prendre comme repère normatif, car ce serait aussi fictif que toutes les entreprises de rationalisation totale des procédures que le management peut mettre en place. De même que l’on agit toujours en situation d’information imparfaite comme le disait H. Simon (1958), on agit toujours en situation de coordination imparfaite et la « prise en compte » (Latour, 1999) ne peut jamais être totale, notamment parce que les situations ne peuvent être anticipées et que c’est au moment de leur émergence que se révélera la nécessaire prise en compte d’acteurs (humains ou non-humains) que l’on avait considérés comme quantité négligeable ou évidente.

50A. Strauss qui a proposé ce concept d’articulation considère qu’il existe trois niveaux d’articulation : celui du « tableau d’ensemble », celui de la « supervision », celui de la coordination de la « séquence de tâches » elles-mêmes. Il nous semble en fait que ces trois niveaux d’articulation relèvent de trois régimes d’engagement pragmatiques différents tels que les a formulés Laurent Thévenot (2006). Le tableau d’ensemble est celui qui doit pouvoir être « justifié en public », en fonction de critères multiples et souvent difficiles à combiner : parce qu'il porte en lui la décision cruciale, ce tableau d'ensemble doit être confié à des experts. La supervision relève de la planification de séquences de tâches que l’on doit pouvoir coordonner à distance selon la « procédure opérationnelle standard » qui peut certes être révisée mais en gardant le cap des visées définies par le plan. La coordination des séquences de tâches est celle qui mobilisera tous les savoir-faire incorporés dans un « régime du proche », des habitudes, des routines, qui rendent naturelles les opérations les plus complexes et même la coordination.

51Dans le cas qui nous occupe, le tableau d’ensemble est clairement absent. C’est bien ce qui manquera pour pouvoir agir de façon coordonnée. Certes, les informations sur la saturation du parc des expositions finiront par filtrer mais ce sera sans aucune garantie et sans espace ni instance de décision collective sur la conduite à tenir. Les navettes reprendront finalement : est-ce à dire qu’on pouvait quand même accueillir plus de monde ? L’organisatrice des Transmusicales dira à quel point elle entendait ces rumeurs sur les bousculades de la place de la République et qu’elle s’en inquiétait fort. Mais c’est à travers les contacts téléphoniques avec les professionnels VIP invités au festival et coincés sur la place de République qu’elle a pu imaginer la situation. La personne des Transmusicales chargée du contact avec la STAR recevait en fait une autre version des faits, comme nous avons pu le constater aussi dans le centre d’information de la police. Il n’existait aucun lieu de discussion et de décision partagée. En effet, l’articulation située au niveau de la vision d’ensemble nécessite la diversité des points de vue et des principes de justification pour permettre une décision pertinente. L’agencement nécessaire n’avait pas été monté pour effectuer ce travail.

52La supervision a fonctionné au niveau de chaque service ou organisation. Les responsables avaient des plans et des procédures et les ont appliqués. Mais précisément, la situation relève de ce que A. Strauss appelle le « gâchis cumulatif », c'est-à-dire une procédure qui se désarticule et que l’on cherche à réarticuler service par service alors que chaque intervention donne l’impression que c’est la désarticulation qui gagne du terrain, comme un processus contagieux. Ainsi, l’intervention des CRS est-elle demandée officieusement, comme un « arrangement », par un adjoint du responsable de sécurité de la STAR. Cette intervention se fait en dehors de toute procédure standard et sans qu’un plan véritable soit pris en charge par les CRS qui ne font que rendre service. Le centre d’information et de commandement n’est même pas informé. Face à la puissance de la foule revenue à l’état de foule, voire de festivaliers en attente, et non plus à celle de voyageurs, les barrières et les CRS seront trop faibles. Tout se désarticule et la tentative de réarticulation par arrangement échoue. Les mesures nouvelles qui sont prises et qui sont nécessaires (arrêt des navettes car présence de la foule dans la rue) ne font que renforcer la désarticulation. À ce moment, il est tout à fait remarquable qu’une fois les personnes en danger mises à l’abri, tous les intervenants se retirent, le personnel STAR ainsi que les CRS. On ne sait dans un cas comme dans l’autre, à quel niveau ces comportements se décident mais il semble que les voies hiérarchiques ne soient plus respectées. Comme le dit A. Strauss parlant d’une telle situation dans un service hospitalier,

« la répétition d’une telle désarticulation (les « pagailles ») entraîne l’embarras de l’équipe, et perturbe le déroulement continu de son travail. Si la situation se prolonge un certain temps, elle peut déboucher sur le retrait de l’équipe ».

53Les tentatives suivantes échoueront elles aussi pendant un certain temps malgré l’intervention de nouveaux acteurs, la SI. La perte du plan est tellement vécue comme une « perte de contrôle de la trajectoire » (Strauss) que les reproches vont commencer à s’exprimer entre organisations (SI/STAR), voire au sein des organisations (SI/CRS, SI entre eux sur l’emplacement des cars, etc.) La contagion de la désarticulation est rapide et sape le moral des troupes. C’est le lieutenant C. qui parvient à remettre un semblant d’ordre en proposant des conditions à la foule : « les bus repartiront si vous êtes rangés sur le trottoir et non au milieu de la rue ». Alors qu’elle ne dispose d’aucune information permettant de garantir que les bus repartiront bien puisque l’articulation avec la STAR est faible, qu’au sein de la STAR l’articulation semble elle-même en péril, et que les organisateurs du festival ne peuvent dire s’il faut reprendre la vente de billets ou non. C’est pourquoi il sera d’ailleurs très difficile de maintenir cette réarticulation provisoire même à l’aide de barrières, mises en place cette fois par la police (SI) qui prend acte du retrait des autres intervenants avec une certaine rancœur qui se manifestera à la fin.

54L’articulation au niveau des tâches elles-mêmes devient, dans ces conditions, quasiment impossible puisque l’on voit bien que ce ne sont pas les personnels prévus qui font les tâches, qu’ils n’ont pas les habitudes qui conviennent et que leurs appuis habituels, le maintien de l’ordre, ne peuvent fonctionner (c’est pourquoi l’un d’eux menace de revenir à ce qui marche le mieux de son point de vue et qui est « naturel » c’est-à-dire contrôlable pour lui : « on va finir par gazer » !).

4/ L’AFFAIRE DU BRACELET

55Les tensions nées place de la République émergent à un point d’articulation sensible, un point qui aurait demandé des ajustements préalables plus précis et une définition des rôles plus adaptée. Tous les dispositifs qui organisent des seuils posent ce type de problème, nous l’avons vu pour le stade. Le seul fait de créer un accès payant avec contrôle modifie les flux de la foule et son comportement et permet de sélectionner les publics. Lors des Transmusicales, une variante de cette question est apparue lors d’une histoire somme toute assez banale mais qui permet de documenter cette question des seuils.

22h – Jeudi 6 décembre 2008 – Parc des expositions de Bruz

56Le bureau du coordinateur de sécurité se situe dans le hall 2 du parc des expositions. Il dispose d’un ordinateur qui lui permet de récapituler les événements de la soirée liés à la sécurité. Sur le mur au-dessus du bureau sont affichés les plans du parc des expositions et le programme des trois soirées. Il communique avec les différents responsables de la sécurité et les organisateurs de l’événement au moyen de talkies-walkies et de son portable. L’un des talkies-walkies lui permet d’écouter les échanges entre les membres de l’une des sociétés de sécurité. En début de soirée, le coordinateur de la sécurité vérifie que tout le monde est bien à son poste. Il observe qu’il existe souvent des problèmes de transmission des consignes. Il communique les consignes au responsable des agents de sécurité sur place qui les transmet par la suite aux membres de son équipe. La lisibilité des « pass » semble poser quelques difficultés : quelques artistes ont été bloqués par les agents de sécurité. À l’inverse certaines personnes accèdent à des zones auxquelles elles n’ont pas a priori accès.

57Le coordinateur de la sécurité quitte son bureau pour se rendre au poste de contrôle n°8. L’agent en poste interdit l’accès aux festivaliers disposant d’un pass ad hoc. Le coordinateur muni de la feuille récapitulative des codes couleurs fait le point avec l’agent. Celui-ci ne semble pas comprendre. Le coordinateur lui explique que les choses sont pourtant simples : « il n’a qu’à regarder les couleurs des bracelets ». Il lui relit les codes couleurs. L’agent semble avoir compris.

58De retour au bureau, le coordinateur technique qui gère l’ensemble des régies interpelle le coordinateur de la sécurité : « il y a encore des problèmes avec les pass ! ». Le régisseur général atteste également de l’existence de problèmes. Le coordinateur de la sécurité demande de reconvoquer les sociétés de sécurité : « c’est le bordel ». Selon le régisseur général, le système des pass a changé depuis la précédente édition. Les organisateurs ont décidé de remplacer les badges par des bracelets car les festivaliers se transmettaient les badges : « on doit changer les habitudes des gens ».

59Le responsable des agents de sécurité arrive, la discussion s’engage avec le régisseur général :

60Régisseur général : « À l’intérieur, il n’y a pas de problème à avoir avec les pass de couleur ».

61Responsable des agents de sécurité : « Il y a eu un malentendu sur le fait que le bracelet doit accompagner le pass ».

62Régisseur général : « Ils doivent contrôler la couleur du bracelet et pas les pass ».

63Responsable des agents de sécurité : « Du coup, il y a eu un problème lors de la réunion ».

64Responsable des agents de sécurité : « Cet après-midi, on ne s’est pas compris, on aurait dû dire que les bracelets étaient prioritaires ».

65Régisseur général : « Les pass ne servent qu’à la frime ».

66Responsable des agents de sécurité : « On aurait dû insister là-dessus ».

67Régisseur général : « C’est le bracelet qui permet d’aller dans une zone ».

68Responsable des agents de sécurité : « La consigne, on l’avait comprise, mais peut-être que j’ai pas écouté, soit… ».

69Régisseur général : « Au bar VIP, tous les bracelets passent ».

70Responsable des agents de sécurité : « Avant, les bracelets accompagnaient les pass pour éviter que les pass soient refilés ».

71Régisseur général : « Exactement. Mais déjà eux (agents de sécurité) ils ont mal fait car ils ont mis leurs bracelets autour du pass, alors que c’est pas comme ça ».

72Responsable des agents de sécurité : « Oui, mais moi demain je vais faire de la maçonnerie, donc je vais le couper ».

73Régisseur général : « Ah ! Bah alors tu ne pourras pas entrer ! Dès le début les agents de sécurité l’ont mis autour du pass. Ça ne passe pas, car ils se font eux aussi contrôler ».

74Responsable des agents de sécurité : « Moi je voulais faire une liste ».

75Régisseur général : « Non, ça, ça ne marche pas. Alors tu seras dans la merde pour entrer bosser. Qu’est-ce que tu proposes comme solution pour la sécurité ? ».

76Responsable des agents de sécurité : « Un pass ça suffit ».

77Régisseur général : « Non, moi, je ne suis pas d’accord ».

78Responsable des agents de sécurité : « Vous êtes ennuyés par le manque de confiance ».

79Régisseur général : « Il y a aucune confiance à donner à des gens car ça ne marche pas. Je ne parle pas que des gens de la sécurité, mais c’est pour tout le monde ».

80Responsable des agents de sécurité : « Il n’y a pas de coordination dans notre société ».

81Régisseur général : « C’est pas de notre faute ça ! ».

82Le coordinateur technique arrive, il revient sur le fait qu’il y a des artistes qui se retrouvent bloqués. Le responsable des agents de sécurité l’interrompt. Le coordinateur technique lui rétorque d’un ton vif : « Est-ce que tu vas me laisser finir ! Toutes les deux secondes, j’ai des appels ! ».

83Régisseur général : « On se calme ».

84Responsable des agents de sécurité : « Je viens de m’expliquer, l’information était mal passée ».

85Régisseur général : « On arrête de discuter, va passer l’information ».

86Après le départ du responsable des agents de sécurité, une discussion s’engage :

87Coordinateur technique : « Je pense qu’il faut aller voir tous les postes, parce que moi je me fais pourrir, presque insulter, par des gens qui bossent et qui se font refouler ».

88Coordinateur de la sécurité : « Le problème, il est en interne. Le temps qu’ils se passent les consignes, il se passe deux heures ».

89Régisseur général : « Ils n’écoutent pas quand on fait un explicatif ».

90Le coordinateur de la sécurité, le coordinateur technique et le régisseur général vont faire le tour des différents points de contrôle. Le coordinateur de la sécurité : « On va voir si les consignes sont passées. On va faire le grand tour par l’extérieur ».

91Sur l’un des postes de contrôle, il ne voit pas la feuille récapitulative des codes couleurs, il demande à l’agent s’il l’a bien. Celui-ci lui répond positivement. Au poste de contrôle n°10, personne ! « Normalement, il y’a quelqu’un à la barrière », s’étonne le coordinateur de la sécurité. L’agent s’est abrité dans le hall. Le coordinateur l’interpelle : « Ton poste c’est où ? ». L’agent lui explique qu’il pleut, il ajoute qu’il « est entré parce qu’il avait froid », mais qu’il allait retourner à son poste dehors. Le coordinateur lui demande de rester à la barrière en lui expliquant qu’il y a des personnes qui passent par ici sans autorisation. Or si l’agent ne se met pas au niveau de la barrière, il ne peut pas intervenir et moins encore les voir depuis l’intérieur. Le coordinateur va ensuite à la rencontre des maîtres-chiens et leur demande également comment ça va : « très calme ». Il y a eu quelques tentatives d’intrusion par derrière, mais rien de très important.

92Le coordinateur technique (CT) et le coordinateur de la sécurité CS) échangent :

93CT : « Qu’est-ce qu’on fait pour simplifier le discours ? ».

94CS : « Tout est réglé ».

95CT : « Pas côté scène. Ils ne contrôlent que le pass et pas le bracelet. Et ils contrôlent plus ceux qui sortent (du hall 2 vers le hall 3) que ceux qui entrent. Donc il y a un débriefing à faire. Il y a trop de sortes de pass ».

96CS : « Mais non parce qu’ils n’ont pas à les lire, c’est juste la couleur.

97CT : On peut faire une notice simple avec seulement les couleurs ».

98CS : « On peut aussi changer de boîte de sécu ».

99CT: « Ouais mais on a déjà changé ou alors changement de dispositif, changement de boîte. Mais on doit aussi rendre le discours plus clair ».

100CS : « En plus, moi je rajoute des indications sur la feuille ».

101CT : « Il y avait des personnes avec un pass violet qui étaient là où il y a seulement les VIP qui passent ».

102CS : « Ils passent par derrière, là où le mec n’était pas à la barrière ».

103CT : « Il faut qu’on simplifie à fond l’année prochaine ».

104Le coordinateur de la sécurité revient en souriant sur la manière dont le coordinateur technique s’est adressé au responsable de la société de sécurité, il lui explique que même s’il comprend, il faut qu’il adapte son discours, que même s’il y a des engueulades, il faut les mener avec tact et diplomatie. Le coordinateur lui répond qu’effectivement il s’est peut-être emporté, mais qu’il n’avait pas l’impression de lui avoir mal parlé et de s’être particulièrement emporté.

Le pouvoir du bracelet

105Le passage au contrôle par bracelets est une modification importante de la procédure opérationnelle standard. Il est justifié non pas tellement par la productivité que cela permet du point de vue du contrôle mais par l’attachement définitif au corps du festivalier qui doit pouvoir le garder pendant trois jours si nécessaire ; il ne pourra pas l’enlever pour le repasser à d’autres personnes. Les Pass se sont avérés être des liens trop lâches, trop indépendants des corps, il fallait trouver un moyen d’attacher de façon garantie la marque du tri entre les populations au corps de chacun des festivaliers. Or, un tel changement conduit à des remises en cause de procédures qui demandent un long travail de reformatage des professionnels eux-mêmes. L’incident du bracelet montre clairement que ce travail n’a pas été fait correctement et les discussions vont bon train et sont vives pour attribuer la responsabilité de ce maillon faible et pour proposer des mesures pour y remédier : changer la société de surveillance, relancer les messages, faire appel à l’autorité et au contrôle. Le contexte est ici un peu particulier car il est clair que les relations nouées entre les professionnels sont assez précaires, de courte durée, et sans réelle confiance, voire avec une certaine méfiance. De même, le cadre de discussion et les formats de négociation sont difficiles à faire respecter car les expressions de certains créent plus de problèmes qu’auparavant. Le climat entre les personnels de sécurité n’est donc pas « bon », mais il s’agit ici de confiance, de clarté des procédures, d’accord défini avec précision. Et l’on voit bien que toute la discussion va remettre en cause chacun des niveaux d’articulation. Le principe même et la justification des bracelets se trouve mis en cause (ou plutôt son absence de justification, ou son explicitation insuffisante). Le travail de supervision est celui qui est le plus remis en cause puisque les personnels sur le terrain ne semblent pas avoir été briefés correctement. Enfin, lors de la visite de contrôle, les responsables voient que l’articulation des tâches est elle-même contestée puisqu’un agent par exemple n’hésite pas à quitter son poste pour s’abriter de la pluie.

106Cette anecdote est très révélatrice de ce qui constitue le quotidien des grands événements. Leur irrégularité ne leur permet pas de disposer de leur personnel et de formater tous les professionnels de façon homogène. Les organisateurs font donc appel à des intervenants de statuts très hétérogènes depuis des bénévoles jusqu’à des sociétés privées qui elles-mêmes embauchent des personnels précaires. L’appel à ces sociétés ne garantit en rien la culture professionnelle du respect de la procédure opérationnelle standard. En raison de leur statut de prestataires, les responsables de ces sociétés ne sont pas associés aux décisions principales car on les considère comme des exécutants. De ce fait, les articulations sont nettement moins travaillées qu’entre professionnels qui doivent coopérer régulièrement. La même prolifération de prestataires divers est observable pour les matchs de foot (la méfiance s’est portée avant tout sur les stadiers de Marseille), pour les manifestations (les services d’ordre des divers syndicats, bénévoles, se méfient les uns des autres), les services de transport (la multiplicité des statuts au sein des intervenants de la STAR – mais aussi à la RATP – s’explique par les différents niveaux d’intervention à assurer ; ces différents prestataires ont toujours du mal à se coordonner, pour des raisons fonctionnelles, mais aussi pour des raisons de management du personnel, souvent précaire, changeant souvent de postes, et sans réelle culture commune).

107Ce point n’est pas accessoire dans le climat d’un événement et dans la gestion de ce climat. Il se trouve que les articulations traitées au niveau des tâches, c’est-à-dire celles qui demandent un contact direct avec les foules, sont souvent déléguées à ces opérateurs de statuts très divers. C’est souvent à cette occasion que se nouent des conflits qui peuvent dégénérer car, comme on le voit dans les échanges à propos des bracelets, les formes de la coordination peuvent être très brutales et sans diplomatie. La disparition des agents de sécurité qui travaillent pour la STAR au moment des incidents de la place de la République montre bien que le respect des procédures opérationnelles standard peut leur être demandé, mais la gestion d’un processus de désarticulation n’est pas de leur compétence. Or, toutes les situations de foule dans des événements de ce type peuvent générer ces situations dégradées et c’est précisément là que se fait la différence entre les responsables capables de reprendre le travail d’articulation et ceux qui jouent le retrait.

108Cette histoire des bracelets met en évidence la question sensible des seuils et de leurs qualités. Selon qu’ils sont traités en seuils précisément, en frontières ou en sas, la fluidité du climat est maintenue, ou au contraire, des blocages, des ruptures dans le processus de transformations sont générés. Nous avons ici une continuité très forte entre processus de transformations des publics dans le cours de leurs trajectoires, gestion des articulations par les professionnels et entre professionnels et traitement des seuils. C’est à travers cette chaîne de traitement que le conteneur va pouvoir faire son travail et devenir éventuellement un contenant.

5/ SEUILS, FRONTIERES, SAS

109En dressant des barrières, en établissant des points de contrôle et des points de passage, les organisateurs de l’événement et les forces de l’ordre redessinent la ville, proposent de nouveaux découpages, élaborent de nouvelles frontières. Dans cet espace urbain redessiné par l’événement, on observe l’existence de seuils qui délimitent et hiérarchisent l’espace. Les seuils sont des points de convergence des publics, ils sont des lieux intermédiaires entre la scène et les coulisses. Ce sont potentiellement des lieux de tension. Ainsi, l’entrée du parc des expositions à Rennes, le guichet visiteurs du parc de la Beaujoire à Nantes, la place de la République à Rennes sont des points d’articulation entre mondes où des tensions peuvent dérégler le climat. Cette situation de tension potentielle n’est pas simplement le fait de supporteurs ou de festivaliers « excités », pressés de gagner le lieu officiel de l’événement, elle est pour une large part le produit d’une organisation réunissant une multitude d’acteurs professionnels appartenant à des institutions différentes. La coordination, l’articulation et l’ajustement de ces acteurs aux références professionnelles différentes sur un territoire partagé est parfois difficile. Il faut inventer, le temps d’un événement, des modes d’ajustement en l’absence de routines, de vocabulaire commun, de vision partagée des enjeux. Les tensions proviennent aussi d’un décalage dans la manière de décoder, de lire et de qualifier les situations et les publics.

Changements de statuts

110Les publics qui se présentent à l’entrée de ces seuils sont depuis longtemps entrés dans l’événement. Les supporteurs visiteurs d’une équipe de football ont ponctué leur déplacement de quelques arrêts aux stations-service pour faire provision d’alcool, les festivaliers se sont réunis dans les bars ou dans les appartements pour débuter la fête, les ravers parviennent sur le site du Teknival après un long périple en voiture ou en camionnette. Dans un autre registre, les clients des discothèques, observés en Ille-et-Vilaine, se réunissent traditionnellement dans quelques bars, points de ralliement, avant de rejoindre la discothèque vers 1h du matin. C’est durant cette période liminaire, dans les coulisses ou dans l’antichambre de l’événement, que ces publics se préparent. Le seuil marque ainsi un changement de statut plus qu’un changement d’état. Dans les têtes et dans les corps imprégnés d’alcool, le public a déjà opéré un changement d’état, il est déjà dans l’événement. L’alcool constitue un vecteur de ce changement d’état. Le franchissement du seuil au moyen d’un badge, d’un bracelet, d’un ticket, d’un pass… permet d’accréditer et d’officialiser ce changement d’état et ce statut de public officiel. On comprend mieux l’incompréhension, la frustration voire la colère, génératrice de tensions, que peuvent ressentir ces personnes lorsqu’elles se voient refuser l’entrée du bus, du parc ou du stade.

111De ce point de vue, l’exemple le plus intéressant est probablement celui observé place de la République à Rennes. Les personnes qui se présentent devant les contrôleurs de la STAR ne sont pas des voyageurs ou des clients du réseau Kéolis, ce sont des festivaliers joyeux, impatients, pressés de gagner le parc des expositions. À l’approche de la place de la République, à la vue des bus et de la foule agglutinée, l’excitation monte d’un cran, ils accélèrent le pas. Le dispositif matériel et humain mis en place par l’opérateur transport ignore très largement cette double identité des publics. Les festivaliers-voyageurs doivent payer un titre de transport puis le valider en le présentant aux contrôleurs avant la montée dans le bus. Ils reproduisent ainsi les gestes ordinaires de tout voyageur qui depuis la mise en place de la « montée par l’avant » et de la billettique doit présenter sa carte Korrigo (système de télébilletique équivalent au pass Navigo de la région Ile-de-France) devant le valideur signant ainsi symboliquement et financièrement, sous les yeux du conducteur, un engagement contractuel avec l’opérateur transport (lors du festival, les voyageurs peuvent cependant monter par l’une des quatre portes du bus articulé). Lorsque le flux des bus permet d’écluser les flots de festivaliers, le dispositif peut supporteur l’impatience des festivaliers. Mais il suffit que la rotation des navettes soit ralentie ou stoppée pour que le public révèle sa « vraie » identité.

112La place de la République est un seuil dont le statut et la qualité sont très mal définis. Le bus est un cordon ombilical, un conteneur mobile, un ascenseur ou un tunnel qui permet d’effacer la distance et de rejoindre le parc des expositions. La place de la République constitue une extension du parc. Elle est le poste avancé ou le guichet avancé du parc. Mais rien dans cette extension, si ce n’est la présence du public, ne rappelle l’événement. La place est un simple pôle d’échange qui permet de gérer du flux. Elle est un conteneur ouvert et fragile qui ne peut supporteur la présence d’une foule agglutinée. La place a été pensée comme un lieu-mouvement situé à l’articulation du réseau. Or, cette extension du parc des expositions présente toutes les caractéristiques d’un établissement recevant du public (ERP) à ciel ouvert. Mais dans cet ERP très singulier, les responsabilités et les rôles apparaissent très mal définis. Si, en situation de routine, cette indéfinition ne pose pas de problème, en situation dégradée, ce conteneur au statut incertain montre toutes ses faiblesses. La situation est très différente au parc des expositions où une « gare » provisoire a été spécialement aménagée sur le vaste parking privé du parc. L’incertitude sur la définition de ce seuil pose d’évidentes difficultés de coordination des professionnels. L’absence de la STAR aux réunions de coordination en préfecture ne favorise pas l’élaboration de schémas tactiques d’intervention en cas de crise. Ces professionnels d’horizons très différents s’ajustent en situation. La situation observée montre bien les limites de ce travail de coordination réalisé par des professionnels qui ne partagent pas les mêmes références, les mêmes conventions, les mêmes appuis pour construire une chaîne opérationnelle. De ce point de vue, la situation est très différente place Saint-Michel (évacuation de la place samedi matin). Le scénario est parfaitement rodé. Les forces de police, sous l’autorité d’un commandant des opérations clairement identifié, se mettent en mouvement pour converger vers la place des Lices. Le conteneur lui-même favorise ce travail de coordination des acteurs. La place est exiguë, facile à tenir, facile à défendre, facile à évacuer. Par ailleurs, le dénivelé de la place des Lices favorise l’évacuation vers les quais. En revanche, la place Saint-Michel où de nombreuses personnes se réunissent après la fermeture des bars n’est pas un seuil, c’est un conteneur.

Compter pour contrôler

113Les seuils permettent de réaliser une triple opération : trier, contrôler et compter les publics. Le seuil permet de passer d’une logique de masse ou de flux à une logique de goutte-à-goutte qui favorise ce travail de tri, de contrôle et de comptage. La foule anonyme est segmentée en unités, sérialisée comme nous l’avons dit et en même temps traitée dans le temps, dans une évolution d’un statut à l’autre. Pour réaliser cette opération d’atomisation des foules, il convient de canaliser ou endiguer les publics en amont du seuil pour permettre ce filtrage.

114Le seuil est autant un point de comptage qu’un point de contrôle. Les tripodes mis en place dans les couloirs du métro parisien ou du stade de la Beaujoire en sont un exemple. Le comptage permet d’avoir prise sur l’événement. Il objective les choses. Il donne le sentiment d’une certaine maîtrise. L’événement fluide, intangible, erratique échappe sans cesse aux organisateurs. Ainsi, l’opérateur transport compte les voyageurs (« on n’ouvre pas les vannes » nous dit le responsable de la sécurité de la STAR), les gendarmes comptent les ravers à la sortie de la rave 2007 ou le nombre de contrôles d’alcoolémie réalisés aux abords du parc des expositions, les organisateurs des transmusicales comptent leur public. Le comptage permet de mesurer son audience ou son activité. Le comptage constitue un enjeu en soi pour tous les acteurs de l’événement qui doivent justifier leur activité. Combien sont-ils ? Combien sommes-nous ? Le dispositif est-il bien dimensionné ? Le rapport de force nous est-il favorable ? L’événement est-il un succès ? Lorsque les seuils sont plus difficiles à identifier, lors d’une manifestation par exemple, le comptage est l’objet d’un véritable enjeu (les compteurs du SDIG et les compteurs des syndicats sont rarement d’accord). Ces chiffres renvoient à la dimension économique de l’événement. Chacune de ces unités est pour l’organisateur des Transmusicales ou pour l’opérateur transport autant de clients. Ouvrir les vannes pour faire face à l’afflux, signifie perdre autant de clients.

Trier les publics

115Le seuil est une gare de triage qui permet de séparer et de trier les publics. Cette opération de triage est particulièrement visible lors des matchs de football. Les supporteurs des deux équipes sont maintenus à bonne distance. Un lourd dispositif permet d’encadrer et de canaliser les publics pour éviter un face-à-face. Les supporteurs lensois, observés lors d’un match au parc des Princes face au Paris Saint-Germain, quittent leurs bus encadrés par un cordon serré de policiers pour éviter l’affrontement avec le public parisien qui l’insulte rituellement lors de son passage aux abords du stade. Le billet permet d’indexer le public pour mieux le trier dans la perspective de potentiels affrontements. Or, ce travail de triage est parfois défaillant. Un supporteur marseillais qui achète un billet dans les points de vente nantais échappe au tri. En affrétant des bus, des camionnettes et des voitures immatriculés dans les Bouches-du-Rhône, les supporteurs opèrent eux-mêmes un premier tri très en amont du stade. Ils s’identifient comme visiteurs. Le supporteur marseillais de Nantes échappe à ce tri. Il est identifié comme Nantais. Il se dévoile parfois au cours du match, lorsqu’après une belle action de son équipe, il déploie son écharpe aux couleurs de l’OM. Il est alors isolé du groupe de Nantais pour éviter l’affrontement et reconduit dans la tribune visiteurs parmi les Marseillais. Mais dans cette tribune visiteurs sera-t-il accepté parmi les Marseillais ? Les supporteurs et les clubs effectuent en leur sein d’autres classements, d’autres tris pour mieux se partager l’espace de la tribune.

Des modes de contrôle des seuils toujours particuliers

116La maîtrise du seuil constitue un enjeu central pour les différents acteurs. « On est chez nous. C’est pas les stadiers marseillais qui vont imposer leurs méthodes », affirme clairement le directeur opérationnel du FCN qui exige qu’ils soient fouillés. À Rennes, la STAR avait souhaité organiser le départ des bus depuis le pôle d’échanges Henri Freville (métro/bus) dont l’opérateur transport à la parfaite maîtrise (« on est chez nous », affirme le responsable de la sécurité). Le fait d’être chez soi permet de se reposer sur un conteneur en dur sur lequel on va pouvoir s’appuyer pour effectuer un contrôle. Le guichet visiteurs du stade de la Beaujoire bardé de grillages, de grilles, de barbelés… en est une illustration. La maîtrise du seuil suppose généralement une articulation des forces et une distribution des tâches. Dans le cas du match de foot Nantes/OM, le modèle est réglé. À l’heure dite, chacun des acteurs prend sa place selon un scénario séquencé lisible pour l’observateur. Le contrôle des banderoles est réalisé, avant l’ouverture des guichets, à la sortie du stabilisé, par les gendarmes mobiles. Le contrôle des billets est effectué par les stadiers nantais au guichet visiteurs. Les gendarmes mobiles se chargent de la palpation des stadiers puis des supporteurs marseillais dans l’enceinte du stade. Les missions de contrôle des billets et de palpation sont ici clairement séparées. Après le contrôle des billets, les supporteurs gravissent l’un après l’autre les marches qui conduisent vers les tribunes. En haut des marches, ils sont stoppés par un gendarme qui les place en position d’attente. Lorsqu’un des gendarmes qui procède à la palpation est libre, le supporteur est dirigé vers ce gendarme. Le gendarme chargé de la palpation invite le supporteur à pivoter sur lui-même à 180° et à tendre les bras parallèlement au sol. Le gendarme bloque le pied du supporteur pour éviter de recevoir un mauvais coup. La palpation des supportrices marseillaises est réalisée en parallèle par du personnel féminin du FCN sous le contrôle d’un gendarme légèrement en retrait. La technique est plus approximative soulignant mieux les savoir-faire mis en œuvre par les gendarmes. Les supporteurs contrôlés peuvent ensuite gagner les tribunes. Lors de la bousculade place de la République, l’articulation des forces et des compétences apparaît beaucoup moins claire. Les contrôleurs effectuent un simple contrôle des titres de transport. Ils ne réalisent pas de palpation ni de fouille et ne sont pas formés au maintien de l’ordre. Ils ne maîtrisent pas les techniques très spécifiques du maintien de l’ordre qui permettent de tenir et de défendre un point. Les forces de l’ordre ne participent pas directement à cette opération de canalisation et de contrôle. La demi-compagnie de CRS en place a une mission de « surveillance de la zone d’embarquement des navettes bus place de la République ». Les fonctionnaires de la section d’intervention « sont constitués en unité de surveillance des navettes bus dirigeant les festivaliers de la place de la République au parc des expositions ». Ils ont pour mission d’effectuer des « contrôles préventifs place de la République », de « suivre le cheminement des bus de façon aléatoire » et « sur réquisition du STAR d’intervenir rapidement sur les lieux d’incidents signalés » (Note de service DDSP 35). Mais lorsque les forces de l’ordre interviennent, il est déjà trop tard. Le dispositif technique trop fragile, parce que destiné à canaliser et non à contenir la foule, s’écroule. La coordination des acteurs, peu préparés à travailler ensemble, se révèle difficile. Les professionnels ne parviennent plus à dominer la foule.

117On observe plusieurs techniques de domination. La foule peut être dominée en occupant une position de surplomb qui permet d’embrasser la situation du regard pour mieux coordonner les forces ou d’occuper une position favorable en cas d’affrontement. À Nantes, lors de la manifestation, les policiers et les gendarmes occupent tous les points hauts qui entourent la Préfecture. Au stade de la Beaujoire, le haut des marches qui conduit aux tribunes forme un belvédère facile à défendre qui offre une vue panoramique sur le stabilisé. Il n’existe rien de tel place de la République. Mais les professionnels n’ont probablement pas pris « la dimension du territoire » pour repérer les « amis » sur lesquels ils pourraient s’appuyer en cas de débordement, pour reprendre le terme technique des sapeurs pompiers qui décrivent leur environnement et ses appuis.

Seuil marchand

118La présence de laissez-passer renvoie à la dimension économique de l’événement (lutte contre la fraude pour la STAR et l’ATM (société privée de sécurité) et lutte contre le marché noir pour le Football Club de Nantes (FCN). L’événement est aussi un marché dont la maîtrise est primordiale. La majorité des tensions observées à Rennes et à Nantes a pour origine la maîtrise de ce marché de ces biens d’expérience (Bomsel, 2010), que l’on doit rendre rares, c’est-à-dire exclusifs pour générer des revenus, à une époque où toutes les expériences semblent diffusées en ligne gratuitement. Les organisateurs tentent parfois de déléguer à d’autres acteurs ce travail de tri et de contrôle. C’est par exemple le cas lors du match de football entre Nantes et Marseille au stade de la Beaujoire. Les représentants du FCN mobilisent les services de police dans la lutte contre le marché noir. Les problèmes de tri et de contrôle des gains propres au FCN se transforment en sécurisation avec contrôle du délit de « vente à la sauvette » qui suffit à l’interpellation, quelque soit le gain réel pour le vendeur. Cela oblige les forces de l’ordre à gérer plusieurs objectifs à la fois et est à l’origine d’une vive tension entre représentants de la Direction Départementale de la Sécurité Publique et de la CRS, qui n’accepte pas cette souplesse.

119Les seuils sont généralement tenus par des acteurs mixtes privés ou publics de cultures et de statuts professionnels très différents. Par exemple, au stade de Nantes nous trouvons : des stadiers marseillais, des stadiers nantais, des gendarmes mobiles et des policiers. À Rennes, place de la République, nous sommes en présence de contrôleurs de la STAR, de personnel Amistar, de personnel de la société de surveillance, d’un maître-chien, de CRS et de fonctionnaires de police de la section d’intervention. Un soupçon pèse très souvent sur certains de ces acteurs. Les stadiers marseillais sont soupçonnés de fraude et d’introduire des fumigènes. Les agents de sécurité de différentes agences intervenant au parc des expositions s’accusent mutuellement de surfacturation, de travail au noir ou de revente de billets. Ces professionnels qui tiennent les lieux ne sont pas toujours jugés très fiables. Cette défiance est source de tension entre professionnels. Elle s’observe particulièrement au parc des expositions à Rennes. L’affaire du bracelet en est une illustration.

Le risque du sas

120Le seuil n’est pas un sas. La durée d’immobilisation du public doit rester brève. Le public qui est déjà dans l’événement ne peut supporteur une longue attente ou une assignation à résidence dans un espace qui tiendrait lieu de sas. Le seuil s’inscrit dans une logique de mouvement et de flux. Il ne doit pas excessivement ralentir l’écoulement des publics. Lorsque le seuil devient sas ou nasse, la pression et la tension montent, les corps et les esprits s’échauffent, le climat change. Le seuil doit être alors suffisamment dur et robuste pour supporteur cette pression sans quoi il menace de s’écrouler comme dans l’exemple observé place de la République. Mais lorsqu’il est trop dur, ce sont les corps qui plient. Ainsi, immobiliser de longues heures les Marseillais sur le parking stabilisé aux abords du stade, serait prendre le risque, selon la police, d’avoir à gérer des « lions en cage ». La lutte contre le marché noir, à l’origine de cette volonté de parquer les supporteurs marseillais, peut ainsi se révéler génératrice de tensions justifiant, a posteriori, un impressionnant dispositif de sécurité.

Seuils poreux

121Le conteneur n’est pas toujours marqué par un seuil dur et tangible dont le franchissement nécessite un contrôle (fouille ou palpation) ou un laissez-passer. Il existe d’autres formes de seuils, plus souples, plus mous, plus poreux. À Rennes, on observe la présence d’une multitude de seuils qui redessinent la ville. Les rues autour de la place Sainte-Anne et Saint-Michel sont fermées à la circulation. Le franchissement de ce seuil ouvre accès à des pratiques généralement jugées illicites ou illégales. S’alcooliser ou fumer du shit place Sainte-Anne ou sur le lieu de la rave, est un acte très banal (c’est l’inverse qui l’est moins). Au centre-ville de Rennes, l’endroit où il est légitime de fumer et de boire (peu ou pas de contrôles de police) est précisément le périmètre soumis aux arrêtés municipaux et préfectoraux relatifs à l’interdiction de transporter et de consommer de l’alcool dans l’espace public. Au cœur de ce périmètre (Sainte-Anne et Saint-Michel), les forces de l’ordre sont absentes, ou plutôt invisibles ou discrètes. Dans le cas de la rave party organisée en marge des Transmusicales, on observe aussi la présence d’un seuil. Les forces de l’ordre mettent en place un itinéraire bis ou off pour mieux canaliser les flux de voitures et de camionnettes vers une seule entrée et une seule sortie (comptage et contrôle d’alcoolémie de la gendarmerie). La mise en place de ce seuil, porte d’entrée d’un « sarkoland » selon l’expression des ravers, dessine le périmètre de cette manifestation off. Autour du parc des expositions, on repère un autre seuil. Les gendarmes réalisent des contrôles d’alcoolémie systématiques sur les différents ronds-points qui conduisent au parc. Ils ne vérifient pas les permis de conduire mais le contenu, non pas des poches et des sacs, mais des corps (le corps est aussi un conteneur) en réalisant des contrôles d’alcoolémie et de stupéfiants. Par la seule présence de ces seuils qui modifient l’écoulement normal des flux des usagers de la ville ou de la route, ces derniers sont affectés par l’événement et ne peuvent l’ignorer. Leur ville habituelle a été redécoupée et eux-mêmes doivent se plier à ces seuils. C’est pourquoi les riverains du parc des Princes, qui doivent supporteur une journée entière d’inaccessibilité en voiture à leurs logements sur un périmètre assez large, protestent régulièrement et ont été associés au plan de sécurité qui a été spécialement créé pour l’équipement. Les seuils modifient les droits des différents usages, et permettent d’obliger légalement (car il y faut toujours des arrêtés du maire ou du préfet) à céder la place à un usage spécialisé de l’espace public. On conçoit bien le potentiel explosif de cette démarche si elle devenait répétitive, ce qui est le cas par exemple des jeudis soirs dans le centre de Rennes. Cette reconfiguration de la ville pour accueillir l’événement signifie pour le public affecté résidant sur place, une forme de dépossession abusive de leurs lieux de vie habituels. La tolérance vis-à-vis de ces événements reste incertaine et les forces de police le savent bien qui veillent à rétablir la circulation dès qu’elles le peuvent lors des manifestations pour limiter les effets de seuil sur le public affecté.

122Limiter la durée, limiter la surface, limiter aussi la dureté du seuil en tolérant pour les riverains certaines exceptions, limiter aussi la visibilité en laissant les forces de l’ordre en retrait, tout est fait pour ne plus pratiquer une forme dure de sécurisation par purification des publics et des fonctions, qui était à l’ordre du jour à une certaine époque : c’est en effet le meilleur moyen de maintenir l’ordre que d’éviter les interférences entre publics. Il est toujours plus facile d’intervenir vis-à-vis d’un groupe de manifestants que l’on peut bien identifier que de faire la même intervention en tenant compte d’un public indéterminé, à risques plus élevés et qui se définit seulement comme affecté, comme passant, ou comme usager d’un espace public qu’on ne lui a pas interdit.

6/ LE TEMPS DE L’INTERVENTION ET LES TEMPS DES PROFESSIONNELS

123À certains moments, le basculement de la situation est bien identifié. Parfois, parce que des indices le montrent et obligent à intervenir, parfois aussi parce que l’heure limite est arrivée, que la tolérance exceptionnelle ne peut plus être prolongée, car l’espace public a d’autres vocations ou parce que le spectacle est terminé. Ces moments de descente sont le contrepoint de la montée que nous avons observée lors de la situation place de la République et il n’est pas moins difficile de faire descendre la tension, de réguler la climatisation à un niveau plus bas, contre le gré des participants ou tout au moins des derniers irréductibles. L’institution s’affiche alors et affirme son autorité. La fête est terminée par décision préfectorale ou municipale et dans tous les cas, les porteurs de l’autorité, les divers services de police, entrent en scène et cette fois-ci de façon très visible. Ce seul signal suffit parfois mais, comme nous le verrons dans l’histoire qui suit (qui relate l’intervention place Saint-Michel et place des Lices pour libérer la place pour le marché), le public présent met parfois du temps à s’en rendre compte. Seule la force demeure et s’exerce dans ce cas avec facilité au petit matin dans une ville qui est en train de changer de régime pour revenir à une vie hors fête.

Rennes - Samedi 6 décembre - 4h

124Le commandant A entre d’un pas décidé dans la salle de commandement. C’est lui qui désormais prend les choses en main. Sa seule présence indique une évolution de la situation. La « physionomie » de la situation (« place Saint-Michel, environ 300 à 350 personnes, ambiance agitée, tapage sur les poubelles, un feu a été allumé, mais du même ordre qu’hier ») n’a pas évolué au cours de ces dernières minutes justifiant sa venue, mais l’heure avancée marque la fin de la nuit. Les bars de nuit sont fermés depuis près d’une heure, les fêtards ont bénéficié d’une « marge » d’une heure pour se disperser et regagner leur domicile, il est temps de mettre fin à la fête. Dans une heure, les premiers commerçants investiront la place des Lices pour dresser leurs étals. La présence des commerçants marque la fin de la nuit. L’espace public laissé ouvert à la fête doit permettre d’autres usages. Les policiers veillent au partage de l’espace public.

125Le commandant A. fait le point avec le lieutenant C. et le lieutenant commandant de la Compagnie Républicaine de Sécurité dont les effectifs sont stationnés place de la République. Il demande s’il est possible d’avoir des images de Saint-Michel pour apprécier la situation. « Comment sont-ils ? », s’inquiète le commandant qui ne dispose pas d’images pour apprécier la situation. « Si on leur demande gentiment, est-ce qu’ils vont partir ? », ajoute-t-il avec une pointe d’humour. Une nouvelle physionomie précise l’état de la situation : « Il y a du tapage sur les poubelles mais pas de bruit autrement. C’est libre sur le haut des Lices ». Le commandant demande le regroupement des effectifs de la BAC place du Champ Jacquet, à deux cent mètres de la place où se trouvent les fêtards. Le tutoiement est désormais de rigueur. Le commandant A. et lieutenant C. indiquent au lieutenant de la CRS le meilleur moyen d’accéder à la place Sainte-Anne et la manœuvre mise en place. L’officier CRS visualise l’itinéraire sur la carte murale et s’inquiète des sens interdits. « Il n’y a presque plus personne place Sainte-Anne, vous pouvez garer vos véhicules là (Contour Saint-Aubin). Si tu mets une section là et une section là : tu fais la jonction en dix secondes en marchant. Moi (Lieutenant C.), je vais aller avec la BAC et le service général ici, au top départ, on vient bloquer pour qu’ils ne descendent pas vers la place Rallier du Baty. Le but, c’est de les envoyer vers les Lices, comme c’est en descente jusqu’aux quais… ».

L'évacuation des fêtards Place des Lices à Rennes le samedi à 5h du matin

126Trois des quatre rues desservant la place étant bloquées, les fêtards, sous la pression des CRS et des fonctionnaires du Service Général, n’ont d’autre solution que d’évacuer la place et de se replier vers les quais situés en contrebas. Le dénivelé de la rue en pente favorise l’évacuation des fêtards. Le commandant demande à ses hommes de limiter l’usage des gaz lacrymogènes. Le lieutenant donne l’ordre au Service Général de s’équiper en tenue de maintien de l’ordre et aux policiers de la BAC de prendre leur tonfa. « Bon, les enfants, à 5 heures, il faut que ça soit nettoyé », lance le commandant pour clore la réunion. Un message radio semble lui répondre en écho : les premiers commerçants arrivent sur la place des Lices. Il est temps de quitter l’hôtel de police. Le commandant A. et le lieutenant C. prennent leurs jambières et leur casque qu’ils déposent dans la petite Ford Fiesta banalisée dans laquelle nous nous entassons. À 4h30, avant de quitter l’hôtel de ville, le commandant A appelle le commissaire de permanence depuis son portable. La brigade canine qui ne peut intervenir dans un environnement saturé de débris de verre est invitée à rester place de la République pour accueillir les bus en provenance du parc des expositions.

Nous quittons l’hôtel de police, le lieutenant, au volant du véhicule, fait un rapide débriefing de la nuit au commandant. Le commandant a pris la radio : « Simon (Centre d’information et de commandement), je fais mouvement avec Orion nuit (lieutenant C). La demi-unité va être répartie, une section à Saint-Michel, une deuxième section rue Penhoët. Pour ma part, en compagnie d’Orion nuit, des effectifs de la BAC et du service général, on va dans un premier temps demander à ces braves gens d’aller se coucher. Et si on n’obtient pas gain de cause, à ce moment-là, on les repoussera gentiment. Je vous aviserai du début de la manœuvre ».

127Aucune tension ne perce dans la voix du commandant et du lieutenant. Cependant, comme le rappelle le commandant, la prudence s’impose : « dans ce type d’événement, quelquefois, nous avons affaire à des mouvements libertaires qui profitent de l’agglomération des gens pour faire dégénérer la situation. Ils arrivent à jeun… ». La Ford Fiesta progresse dans les rues du centre-ville vers le lieu de rendez-vous. Au détour d’une rue, le lieutenant C. aperçoit sur sa gauche les premiers commerçants qui s’installent. Cet indice rappelle aux policiers qu’il est temps d’évacuer la place. Nous rejoignons les policiers de la BAC au point de rendez-vous. Ils nous dévisagent durant de longues secondes pour être sûrs de ne pas nous confondre avec les fêtards. Dans le même temps, les CRS rejoignent leur poste. La place est désormais bouclée.

  • 2 Le SNSM assure des missions de secourisme lors de grandes manifestations.

128À la vue du dispositif, les secouristes de la Société Nationale de Secours en Mer2 quittent la place pour se placer derrière le barrage de CRS. Quelques personnes, bonnets de père Noël sur la tête, ont suivi les conseils des secouristes de la SNSM et ont quitté la place. Le dispositif met de longues minutes à se mettre en place, mais on ne sent aucune impatience, aucune tension chez les policiers qui se déploient conformément à l’idée de manœuvre imaginée quelques minutes plus tôt. Le commandant a revêtu ses jambières, son casque pend à sa ceinture, accompagné du lieutenant, il invite les personnes assises ou allongées à aller se coucher : « Merci de quitter les lieux. Merci. Soyez raisonnables. C’est fini, le marché doit s’installer. Allez… bonne nuit ». Une personne l’interpelle : « hé, monsieur, où on peut dormir ? ». « C’est pas mon problème, faites demi-tour, soyez sympas », lui répond le commandant. Aucune agressivité n’est perceptible de part et d’autre. Le commandant, muni d’un porte-voix, fait les sommations d’usage pour avertir les fêtards que s’ils ne quittent pas les lieux, les forces de l’ordre feront usage de la force pour « libérer » la place.

« La difficulté, c’est qu’ils sont dans un tel état d’ivresse qu’ils n’arrivent pas à comprendre ce qu’on leur dit. Avec 2,5 grammes en moyenne, vous pouvez leur expliquer ce que vous voulez… Le risque, c’est qu’une foule qui n’est pas hostile le devienne lors de l’intervention d’où les précautions pour ne pas faire prendre des risques au personnel. Je ne sais absolument pas comment ils vont réagir. A priori, on sent qu’il n’y a pas de tension. On est suffisamment nombreux pour ne pas avoir à employer la force ».

129Les CRS en tenue de maintien de l’ordre, tonfa en main, attendent l’ordre du commandant. Un CRS filme la scène avec un camescope. Les CRS équipés de leur bouclier ont avancé de quelques pas formant une ligne qui désormais ferme les rues desservant la place.

130Le commissaire quitte la place et s’adresse à Simon : « 5h début de l’opération. Au top, c’est parti. J’ai omis de transmettre que j’avais fait les sommations d’usage ». Le lieutenant nous dit : « Ce qui peut vous étonner, c’est le luxe de détails que je donne à la radio, en cas de rétablissement de l’ordre, il faut les tenants et les aboutissants et les raisons de l’opération de maintien de l’ordre. L’intégralité des conversations radios est enregistrée. Juridiquement, pour les repousser, dans la mesure où il n’y a aucun acte de violence à l’égard des fonctionnaires, j’ai obligation juridique de faire les sommations d’usage de la force ». Le commissaire met son casque. L’opération peut commencer. Les CRS et le Service Général convergent vers le centre de la place pour repousser les fêtards allongés par terre. Les fêtards sont progressivement repoussés vers le bas de la place des Lices. Ils lancent des insultes : « CRS SS ». D’autres s’adressent au CRS sur un mode parodique : « Ah, elle est belle la France. Elle est où la France ». Les policiers de la BAC protègent les arrières des unités de maintien de l’ordre et n’hésitent pas à faire usage de leur tonfa pour déloger les fêtards. Les forces de police gagnent du terrain sans difficulté. Des canettes volent au-dessus de la ligne formée par les policiers. Une commerçante qui décharge ses cagettes d’agrumes empoigne un jeune fêtard qui croit pouvoir trouver là des projectiles. La situation n’a pas le temps de dégénérer, les policiers sont déjà là et repoussent les fêtards. Policiers et fêtards sont face-à-face. Les policiers de la BAC progressent avec les CRS et le service général qui pourraient être pris à revers. Ils se positionnent à l’angle des rues d’où pourrait venir la menace. Au coup de sifflet du commandant, les policiers effectuent un « bond » de quelques dizaines de mètres qui repousse les fêtards lesquels, surpris par la rapidité de la manœuvre, cèdent du terrain. Un deuxième bond les repoussera encore de quelques dizaines de mètres. Quelques canettes de bière sont encore projetées et s’écrasent derrière la ligne formée par les policiers. Quelques policiers fondent sur un lanceur de canettes qui s’était approché de leur ligne. Il est rapidement conduit dans une camionnette située en retrait du lieu de l’affrontement. Les policiers ferment la rue au moyen de barrières. On entend quelques coups de sifflet rapprochés : une jeune fille crie : « ils vont nous charger ! ». Les policiers se sont arrêtés depuis de longues minutes, les esprits s’échauffent du côté des fêtards : quatre ou cinq personnes reprennent en cœur : « CRS SS - CRS SS ». Le ton monte du côté des fêtards qui interpellent directement les CRS : « Et ta mère, elle est fière de toi ? Hein, elle doit bien être fière de toi ta mère ! ». Les fêtards chantent à l’unisson. Les CRS chargent à nouveau et repoussent les fêtards de l’autre côté du pont. Les hommes de la BAC sont sur le pont. Ils se font insulter par un homme d’un certain âge qui les traite de « fascistes ». Ils le laissent faire pendant quelques minutes avant de l’encercler pour le faire taire. De l’autre côté du pont, les fêtards, dont le nombre décroît à mesure que les policiers progressent, ont réussi à trouver une poubelle qui fait office de tambour. Vers 5h30, les CRS et les policiers du service général reculent de vingt mètres et s’écartent pour ouvrir la route à la circulation. Peu avant 6h, les policiers quittent les lieux. Les automobiles et les véhicules des commerçants se sont chargés de disperser les derniers manifestants. L’opération sera ponctuée de messages radio émis par le commandant qui sont autant de traces qui constitueront la mémoire des événements. Ces traces enregistrées permettront de déconstruire les différentes séquences de la conduite des opérations. « Thémis 2 à tout le dispositif, on continue à pousser. On continue à pousser tout en bas de la place des Lices. Jets de canettes. On les a repoussés en bas de la place des Lices. Aucun usage de la violence ni de lacry ».

Un cas d’école ?

131L’évacuation de la place Saint-Michel et de la place des Lices est finalement un cas d’école pour toute opération de maintien de l’ordre : un cadre bâti qui fait conteneur de façon très efficace et une stratégie qui s’applique exactement comme prévu. Cependant, nous verrons que la seule limite au caractère typique de cette opération est apportée par l’état du public, tellement ivre qu’il devient totalement insensible aux consignes et à la peur.

Un conteneur qui fait son travail

132La carte de la place Saint-Michel et de la place des Lices le montre bien : le site se prête par excellence à un encerclement de la foule et à son évacuation selon un processus de chasse d’eau assez élémentaire. La place Saint-Michel présente les qualités urbaines qui en font un bon conteneur (forme arrondie, dimensions modestes, hauteurs traditionnelles non écrasantes, matériaux traditionnels « naturels » (pavés du roi en secteur classé). C’est pourquoi on s’y regroupe et non place Sainte-Anne à l’autre extrémité de la rue Saint-Michel. Les bars présents tout autour de cette place constituent aussi des attracteurs non négligeables mais ils ferment à 1h et durant les Transmusicales à 2h, ce qui crée un effet de vide, d’absence de contenant. C’est ce qui encourage la plupart des noctambules à quitter la place après quelques minutes de stationnement pour prolonger la sortie du bar. Ces qualités de conteneur deviennent des ressources fort utiles pour les forces de l’ordre lorsqu’il faut évacuer, mais aussi auparavant pour toute surveillance, comme nous le verrons pour l’histoire du feu qui suivra. En effet, il est possible de masser les forces en observation puis en préparation de l’intervention à la périphérie, dans les rues adjacentes, ce qui permet de voir sans être trop visibles. Dès que l’intervention est décidée, le blocage des rues est très aisé puisque trois rues doivent être barrées par les forces de police et quelques hommes suffisent à réaliser l’opération. Mieux encore, une quatrième issue reste ouverte pour l’évacuation et c’est celle qui est la plus large. Il n’existe donc pas de risque de congestion, de blocage de la foule si l’affolement la gagnait. Et ce point est très important pour les forces de police qui doivent éviter des effets de panique provoqués par leur intervention car c’est dans ces moments que les accidents peuvent arriver. Tout le tuyau que constitue la place des Lices serait presque parfait pour poursuivre les irréductibles s’il n’y avait des marches sur le côté gauche de la place dans sa partie haute. Dès lors, en raison de l’état alcoolisé des personnes évacuées, et en raison de l’effet de panique possible, on peut craindre des accidents sur cette partie. C’est pourquoi la BAC veillera particulièrement à ce secteur et c’est aussi en partie pour cette raison que la première tactique consiste à pousser les derniers fêtards sans charger véritablement. C’est seulement au bas de la place des Lices que les bonds seront mis en œuvre car le caractère ouvert de l’espace permet d’assurer que, même en état de panique, les fêtards résistants pourront s’enfuir en toute sécurité. N’oublions pas de mentionner que toute la place est en descente et que ces charges vont s’effectuer du haut vers le bas, ce qui renforce encore la puissance naturelle de l’action policière. Les forces de police ont des « amis », comme le disent les sapeurs-pompiers, ce sont les propriétés du cadre bâti. Tout environnement demande une analyse de ce point de vue pour identifier les facteurs de risque, dus non seulement à la méthode des forces de police mais aussi à l’existence de matériels qui peuvent servir aux manifestants (c’est ce qui sera vérifié pour la manifestation des ravers), ou à l’existence de facteurs de risque (rivière, marches, etc.) pour une population paniquée et rendue encore plus inconsciente par l’alcool.

Des stratégies qui fonctionnent à condition d’être adaptées au terrain

133Les stratégies mises en place doivent être pensées non seulement en fonction des règles et du savoir-faire habituel des forces disponibles, en fonction des propriétés de l’environnement, de la situation actuelle des populations (du « climat ») mais aussi en fonction du climat possible une fois l’intervention enclenchée. Mais, chose remarquable, dans le cas de cette évacuation, les plans établis fonctionnent parfaitement et n’ont guère à être adaptés, même s’ils le sont toujours un minimum. Il faut reconnaître que l’expérience est déjà longue. Expérience des nuits des Transmusicales, puisque le festival a fêté ses 30 ans, et de ce moment de l’évacuation du samedi matin rendue impérative pour l’installation du marché des Lices. Mais aussi expérience des jeudis soirs devenus fameux à Rennes, et pendant quelques années, mobilisant des centaines de fonctionnaires de police et de gendarmes mobiles. La police a appris beaucoup et notamment à traiter avec une foule alcoolisée, ce qui n’est pas le cas de toutes les villes, où l’expérience sera plutôt celle des manifestations étudiantes, ou de dockers ou encore des bagarres entre supporteurs de foot qui sont à chaque fois des cas différents qui demandent aussi un apprentissage. Nous avons vu pendant l’étude du centre d’information et de commandement que cette salle est finalement très peu centrée sur le commandement (elle le sera plus nettement lors de la manifestation des ravers), dans le cas présent, la procédure opérationnelle standard s’applique entièrement. Cependant, il ne s’agit pas d’un standard mais d’une routine locale, adaptée à une situation particulière, comme toutes les situations de maintien de l’ordre. La stratégie est d’autant plus applicable que les acteurs qui la mettent en œuvre sont sur le terrain, très proches des personnels qui font l’intervention et qu’ils peuvent adapter en direct le timing d’un plan qui par ailleurs a été bien rodé. Les deux seules questions sont en effet : à quel moment faut-il intervenir ? (avec la contrainte de l’installation du marché qui commence à s’effectuer) et les fêtards irréductibles sauront-ils entendre raison à temps malgré leur état d’inconscience avéré ou réagiront-ils plus violemment que prévu ?

Une foule en état mental modifié

134Le seul véritable élément d’incertitude est constitué par les réactions des derniers fêtards sous l’emprise de l’alcool. Tous les acteurs notent à quel point cela change leur comportement dans l’intervention, car ils ne peuvent pas supposer que les jeunes qu’ils ont en face comprennent ou se rendent compte de ce qu’ils risquent. D’un côté, cela facilite l’intervention, car aucun plan de réaction alternatif n’est à prévoir, mais d’un autre côté, cela la rend plus difficile car ces fêtards en état d’ébriété avancée peuvent prendre des risques inconsidérés. Le contraste est important entre le climat interne du groupe d’irréductibles, et celui des forces de l’ordre, qui, tout en la « jouant amicale », font bien comprendre que l’intervention va avoir lieu. Ce sont deux mondes totalement opposés avec des registres d’appartenance au même lieu et à la même situation qui n’ont rien à voir. Ce n’est pas le cas d’une manifestation organisée qui veut s’opposer à la police. Les deux protagonistes s’entendent clairement pour définir la situation comme un test des forces en présence, au point d’aller vers une forme de guérilla urbaine que l’on pourra imaginer par radio en écoutant ce qui se passe à Saint-Nazaire lors de la manifestation du 29 janvier. Lorsque forces de l’ordre et services d’ordre des organisateurs sont d’accord, c’est une coproduction de la sécurité qui est effectuée et les deux parties parlent la même langue. Mais lorsque les participants à l’événement n’ont aucun but spécifique sinon rester sur place, continuer à tenter de faire la fête et qu’ils ignorent la police plus qu’ils ne la provoquent, ce n’est plus seulement une question d’asymétrie, c’est une question de mondes étanches qui ne vont communiquer que par la force de l’évacuation. La situation était devenue différente lors des batailles rangées rituelles qui se sont déroulées durant quelques années les jeudis soirs à Rennes. La même population de fêtards s’était transformée en opposant clair à la police et venait même de toute la Bretagne pour jouer et jouir de cette opposition. Dès lors que la police a refusé de continuer ce jeu, tout l’intérêt de la soirée s’est effondré pour une partie des participants. Pour une bonne partie de ceux qui restent ce samedi matin, la seule vue de la police équipée (et le seul fait qu’elle s’équipe fait signal) suffit à les faire partir. Ceux-là sont encore en terrain d’intercompréhension possible. Pour les irréductibles, la police n’existe pas dans leur horizon de conscience et si elle est là, c’est seulement pour créer une animation finale qui les excite encore un peu, mais à vrai dire, tardivement.

135Dès lors, c’est la police qui doit prendre en charge les soucis de sécurité des personnes qu’elle évacue, sans devoir compter sur la participation des principaux intéressés. Le climat de sécurité de tout événement nécessite donc un cadre de perception, commun aux organisateurs, aux services de sécurité et aux publics/foules, des risques, des règles, des seuils à ne pas franchir et un impératif de préservation des personnes et, dans une certaine mesure, des biens. Dès lors que ce cadre supposé partagé et considéré comme naturel ou évident n’existe plus, la gestion du climat devient très compliquée car il n’est possible pour aucun intervenant de réguler le climat interne des personnes et des groupes de force. C’est pourtant bien ce que devra faire la police lors de la charge des CRS pour évacuer la place, car il n’existe aucun régulateur propre au groupe des irréductibles pour leur indiquer que la partie est finie. Dans les situations normales, la gestion de la descente du climat se fait par l’extinction des lumières ou au contraire leur allumage, par des avis verbaux officiels (dispersion), par des comportements de leaders qui sont imités aussitôt, par l’apparition d’intervenants qui indiquent bien qu’on réinitialise les lieux (par exemple, les véhicules de nettoyage) : tout cela suffit à influencer le climat interne du groupe et à calmer son élan pour le préparer à faire son deuil de l’événement. Basculer dans ce nouvel état de climat intérieur n’est pas simple mais les organisateurs disposent tous de ce savoir-faire et parviennent en général à le mettre en œuvre. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est alors à la police qu’ils font appel. La police dispose d’outils d’influence, qui constituent autant de signaux clairs qui soit font revenir à la raison soit font peur mais qui dans tous les cas font chuter radicalement le climat ou le font changer de nature. Le cas des fêtards irréductibles de la place Saint-Michel est un cas, somme toute assez rare, où le climat interne du groupe a été tellement chargé en alcool et autres substances, qu’il est devenu indifférent aux informations et modifications intervenant de l’extérieur, si ce n’est à la force. C’est pourquoi on peut encore hésiter à qualifier ces groupes de foules car leur état mental modifié leur fait perdre même les caractères réactifs traditionnels des foules.

7/ LE RYTHME DE L’ÉVÉNEMENT ET LE RYTHME DES PROFESSIONNELS

136Deux modèles policiers semblent s’opposer. Le premier, représenté par le lieutenant C. qui assure le service de nuit pendant la semaine, est marqué par une grande familiarité avec l’événement :

137Le lieutenant C. vit biologiquement au rythme de la nuit (4 jeudis soirs sur 6). Elle a incorporé la nuit. Elle ne subit plus le « décalage horaire ». Elle a resynchronisé son horloge biologique (elle se lève le « matin » à 17h après une bonne « nuit »). Elle connaît les lieux. Elle connaît les rythmes de l’événement. Elle se fond dans l’événement, mais elle ne colle pas à l’événement comme le fêtard qui perd toute notion du temps (cette perte de la notion du temps est particulièrement perceptible lors de la rave. Le jour et la nuit se confondent pour le raver. L’usure du temps ne semble plus avoir prise sur lui). Elle garde la capacité de prendre de la distance, distance nécessaire à l’analyse des indices qui permettent de lire une situation. Cette lucidité, cette attention, cette vigilance n’est possible que grâce à l’incorporation de la nuit et à la resynchronisation de l’horloge biologique (la fatigue use cette capacité : dans le domaine du sport on parlerait de lucidité). Le corps devient un capteur mobile (relation entre la dimension physique et cognitive).

138Les allers-retours vers l’hôtel de police permettent de gérer cette distance mais aussi de créer du rythme et des séquences d’actions dans la nuit (pause repas…). Le temps de la nuit n’est pas linéaire et monotone. Il est réinscrit dans un calendrier nocturne fait de variations.

139Peut-être faut-il cette expérience des lieux, cette connaissance de l’événement, ce réglage biologique pour être en mesure de lire une situation et de choisir le moment opportun (kairos) pour agir. C’est peut-être cette connaissance qui lui permet de pénétrer au cœur de l’événement en restant invisible et insaisissable à l’image du jeune éphèbe à la mèche (le dieu grec Kairos). Elle est là sans être là. Elle échappe à l’ici et maintenant de l’événement.

140Cette expérience de la nuit permet aussi de savoir que le kairos n’échappe pas complètement au temps programmé et prévisible. Le kairos se niche dans les creux d’un agenda. Les professionnels le savent : après deux heures du matin la situation peut basculer. C’est une double grille de lecture que mobilise ce policier : la grille de programme informelle (à 2 heures ça risque de basculer) de l’événement et les indices extraits de la situation. Ce point de basculement est à la fois social (heure de fermeture des bars et dernier métro) et biologique (fatigue, alcoolisation…).

141Les CRS et les Gendarmes mobiles semblent quant à eux extérieurs à l’événement (temps et espace). Ils connaissent relativement mal la ville (et ne cherchent pas nécessairement à la connaître). Cette force supplétive est paradoxalement très peu mobile lorsqu’elle est projetée loin de ses bases. La ville n’est qu’un conteneur plus ou moins réussi sur lequel ils peuvent prendre appui. Ils sont placés à distance de l’événement. Ils semblent le suivre en parallèle. Pour eux, la nuit connaît peu de variations de rythmes (sauf en cas d’intervention qui vient rompre la monotonie). Il faut alors lutter contre l’ennui et le froid (cigarette, DVD, soupe, patrouille, faire tourner le moteur de l’engin). Ils éprouvent le décalage horaire en fin de nuit (fatigue).

142Comme les pompiers, CRS et Gendarmes mobiles fonctionnent sur un mode relativement binaire : action/inaction. Ils ne disposent pas de la maîtrise du basculement des situations (injonction à agir). Ils agissent sur ordre. Il n’appartient pas aux CRS/GM de définir le moment opportun. Les agents de sécurité et les CRS font référence à un autre calendrier qui leur permet de se déprendre de l’événement : leur planning de travail inscrit dans un fichier Excel. Le découpage temporel de ces professionnels n’est pas toujours en phase avec le découpage temporel de l’événement. Par exemple, la relève des CRS place de la République se fait en plein milieu d’un moment de tension. Autre exemple, le refus de porter le bracelet par un agent de sécurité au parc des expositions : comment faire de la maçonnerie avec un bracelet autour de la main, car il a une autre activité le jour explique-t-il. S’il existe des seuils spatiaux, il existe aussi des seuils temporels.

8/AU FEU ! !

143Le savoir-faire des professionnels comme le lieutenant C., habitué à la nuit, sera encore plus manifeste lors d’événements qui ne doivent pas déclencher une intervention massive, sous peine de provoquer un enchaînement plus grave que la situation qu’ils veulent traiter. Nous sommes là au cœur de l’expertise de la gestion des climats, en pleine nuit, avec une population dans un état d’ivresse avancée, ce qui modifie considérablement tous les supposés plans élaborés en chambre. Car, dans ce cas, il faut aller au contact, il faut être capable de prendre les décisions en sentant la situation en direct et toute la circulation d’informations via le CIC ne peut remplacer cette épreuve des sens, profitable seulement si on a l’expérience suffisante pour ne pas s’y laisser absorber. Car pour tout intervenant novice, ce type de situation risquée nécessiterait des interventions radicales alors qu’il est essentiel précisément d’exercer une riposte maîtrisée et au bon moment, dans ce kairos qui est ici décisif. L’histoire qui suit, celle des feux déclenchés rituellement lors des nuits rennaises, montre bien cet art de la gestion du climat et l’analyse multicritères et multi-sensorielle qui est nécessaire pour traiter ces situations.

Rennes - Vendredi 5 décembre 2008 - 2h10

144Les bars du centre-ville ont fermé leurs portes depuis quelques minutes. Une foule joyeuse et enivrée est venue se déverser dans les rues et les places déjà largement encombrées de fêtards. La rue Saint-Michel qui dessert les places Rallier du Baty et Sainte-Anne est noire de monde. Seuls les bars de nuit sont encore ouverts. Malgré la présence de cette foule compacte et bruyante, le lieutenant C. observe que la situation est « calme ». Rien dans la « physionomie » de la situation ne met en éveil le lieutenant C. Mais, après deux heures du matin, nous dit-elle, « l’hostilité monte » progressivement.

« Il faut avoir des yeux partout. Tout le monde est calme, puis tout d’un coup, ils deviennent agressifs. On les voit s’aviner, on sait qu’il ne faut pas grand-chose pour que ça parte… Au début, ils sont éméchés, c’est jovial, quand ils passent à côté de nous, ils veulent discuter, ils font des blagues, ce n’est pas agressif, c’est gentil. Après, ils s’alcoolisent un peu plus, c’est des regards méchants qu’ils nous lancent comme si c’était nous les agresseurs. On sait que c’est en train de monter, on les dérange dans leur alcoolisation. Ils vont avoir une insulte, un geste, une moquerie, une provocation vis-à-vis de nous ».

145Si la situation est calme, le lieutenant C. qui pratique la nuit rennaise quatre jeudis sur six sait qu’à cette heure, nous avons franchi un seuil. Les agents de sécurité présents au parc des expositions font le même constat. Forts de leur expérience des nuits rennaises (Dazibao), ils observent « qu’avant deux heures, il ne se passe quasiment rien, sauf exception, par contre à partir de deux heures, il se passe des trucs en permanence ». Aucun indice ne permet encore de repérer un changement de situation, mais l’alcool consommé depuis quelques heures fait progressivement son œuvre. Si la situation est encore « bon enfant » selon l’expression des policiers (un jeune homme montre ses fesses aux policiers qui se déplacent dans la rue Saint-Michel), nos enquêteurs qui déambulent dans les rues du centre-ville notent, dans leur carnet de terrain, que les « esprits s’échauffent ». Ils observent un changement imperceptible dans l’attitude des fêtards et des policiers. Les altercations entre fêtards sont plus fréquentes. Pour faire face à cette montée progressive de l’agressivité et à ce risque de basculement, les patrouilles de la Section d’Intervention qui patrouillaient par équipe de trois sont désormais constituées de six à huit personnes. À cette montée progressive de l’agressivité correspond une montée en puissance discrète du dispositif de sécurité.

146Au volant d’un véhicule banalisé, le lieutenant C. et son chauffeur patrouillent dans les rues proches de la place des Lices. En arpentant cette portion de territoire, elle en prend la mesure, elle l’éprouve, elle incorpore les indices. Quelques heures plus tôt, nous avions, en compagnie de la directrice de cabinet du préfet, sous la conduite du lieutenant, parcouru les rues du centre ancien pour en prendre la température. Ce premier coup de sonde permet d’apprécier la progressive transformation de la foule sous les effets de l’alcool. Avant deux heures du matin, les forces de l’ordre peuvent encore s’immerger sans risques. Nous nous apprêtons à regagner l’hôtel de police où se trouve le bureau du lieutenant C. Le retour au « central » permet de prendre de la distance avec le terrain, de faire retomber la pression, de restaurer le corps fragilisé par la fatigue, le froid et l’humidité de la nuit. Le lieutenant C. fait ainsi sans cesse varier les rythmes. La nuit sera ponctuée de plusieurs allers- retours entre le « central » et le lieu de la fête. Le silence s’installe dans le véhicule, la radio est muette… Au même moment, dans le haut de la place des Lices, trois policiers pénètrent sur la place et découvrent la présence d’un feu au milieu de la place. Ils se placent à l’angle d’une rue et appellent avec leur talkie-walkie le centre d’information et de commandement pour l’informer de la situation.

1472h16 – une seconde patrouille de trois policiers pénètre sur la place à l’opposé de la première. Ils sont à une trentaine de mètres du feu. Des policiers de la BAC en civil ont rejoint la première patrouille. Dans le véhicule, la radio crépite…

1482h15 - Simon à Orion nuit : « L’équipe Rivarol nous signale un fort feu de palettes au niveau de la place Saint-Michel. Un feu de joie avec pas mal de monde autour. Il demande la conduite à tenir ». (Le lieutenant demande à son chauffeur de regagner le commissariat situé à proximité de la place Sainte-Anne).

149Orion nuit : « C’est reçu Simon. Pour l’instant, ils n’interviennent pas. Vous faites appel aux pompiers. On va rassembler les effectifs. Si les effectifs BAC peuvent me rejoindre, et également les effectifs disponibles ».

150Simon : « Vous nous donnez un point de chute ? »

151Orion nuit : « Oui, le bureau P. doit être accessible, j’en sors, pour les effectifs qui peuvent s’y rendre, et je vous retrouve là dans cinq à dix minutes ».

152Simon : « Reçu, regrouper les effectifs BAC et SI du côté de P. ».

153Orion nuit : « Oui, je confirme ».

154Nous retournons au commissariat de la rue P. que nous avions quitté quelques minutes plus tôt. Le chauffeur gare le véhicule. Le lieutenant C. décide d’aller voir de plus près la situation. Elle a revêtu son gilet pare-balles sous son blouson avant de quitter l’hôtel de police, elle porte son arme de service à la ceinture et s’équipe de son tonfa, gravé de ses initiales, qu’elle dissimule le long de son avant-bras.

« En général, ils n’aiment pas les pompiers, ils font voler des canettes, mais, on va voir s’ils sont de bonne humeur ou de pas de bonne humeur. Ça va pas leur plaire qu’on éteigne leur feu, c’est pour ça que je rappelle tous les effectifs. Ça risque de partir…. ».

1552h25 - Le feu attire les fêtards qui forment des cercles concentriques autour de ce point d’attraction. La partie émergée des containers (recup’verre) enterrés sert de tambour improvisé. Trois cracheurs de feu ont pris place sur cette scène improvisée. Deux jeunes hommes apportent des cagettes pour alimenter le feu. Le lieutenant C. arrivé sur place regarde d’abord la situation de loin. Elle fait le point avec un policier de la SI et lui signale qu’ils doivent attendre l’arrivée des pompiers avant d’intervenir. Le bruit est intense. Les chants, les cris, les rires accompagnent la progression des flammes. D’un pas décidé, le lieutenant slalome entre les fêtards pour s’approcher du feu. Le feu de joie se révèle être un modeste feu de cagettes. Le lieutenant s’approche d’un petit groupe qui frappe sur un Récup’verre produisant un bruit assourdissant. Le lieutenant tape avec son tonfa sur le Récup’verre pour attirer l’attention du groupe qui ne comprend pas d’emblée qu’il a affaire à un fonctionnaire de police. Elle cherche à faire retomber le bruit assourdissant des martèlements qui galvanisent la foule. La présence d’un cracheur de feu à quelques mètres, l’incite à faire appel aux pompiers. Elle a peur que la situation ne dégénère.

1562h29 - Lorsque les pompiers de la caserne Saint-Georges (Rennes) arrivent sur place, elle leur demande de patienter quelques minutes pour permettre aux policiers de sécuriser leur intervention. Quatre ou cinq policiers de la Section d’intervention entourent l’engin d’incendie (fourgon pompe-tonne) situé à une dizaine de mètres du feu. Les pompiers équipés d’appareils respiratoires isolants (ARI) déploient une lance pour éteindre le feu sous les huées de la foule. Une dizaine de CRS casqués et tonfa en main arrivent en renfort au pas de course de la rue Saint-Michel. La foule recule. L’ambiance se fait plus électrique. Un fêtard hurle : « C’est le bordel, il faut se casser ». Un autre, au contraire, semble apprécier le « spectacle » : « C’est bon, ils sont arrivés. Yes, c’est bon ça. Allez, ça va commencer ». La tension est palpable. L’inquiétude se lit dans le regard des CRS qui, malgré leur volonté de maintenir un cordon de sécurité, sont plongés au milieu de la foule. Ce contact, cette proximité, ce corps-à-corps avec les fêtards est générateur de tension. Les CRS portent leur casque estampillé du n°13 sur la tête, mais ils n’ont pas rabattu leur visière et la bavette de cuir qui leur protège la nuque. Ils ne portent pas leur bouclier et leurs jambières. Les sapeurs-pompiers qui portent tenue de feu, casque F1 et cagoule ne travaillent pas sous appareil respiratoire isolant. Le feu semble ridicule au regard des moyens déployés. Les pompiers l’éteignent rapidement au moyen de leur lance. Ils piétinent les derniers détritus qui pourraient s’enflammer et regagnent leur fourgon. Ils se retirent immédiatement de la scène.

1572h37 – De l’autre côté de la place, accoudés à la devanture d’un bar, les trois policiers de la BAC sont debout à côté d’un jeune qui roule un joint. D’un coup d’œil complice, ils se lancent sur lui. Deux policiers l’extirpent de la foule, le maintiennent à terre et le menottent. Deux minutes sont nécessaires pour le maîtriser. Le troisième policier dissuade les quelques personnes témoins de la scène d’intervenir. Un jeune homme insulte le policier qui le repousse avec son tonfa. Une vingtaine de personnes regarde la scène ébahie : « c’est des flics en civil, ils nous ont baisés !! »

1582h41 - Le bruit augmente. Les percussions sur les poubelles ont repris de plus belle. La tension monte encore d’un cran lorsque quelques CRS s’équipent d’un masque pour ne pas inhaler les gaz lacrymogènes que leurs collègues pourraient projeter avec leurs bombes aérosols. Ce détail n’a pas échappé à quelques fêtards qui craignent une offensive. Cinq minutes plus tard, les CRS quittent la place sous les insultes et les quolibets. Certains fêtards tentent de se faire photographier à leurs côtés.

159L’ambiance est joyeuse. Si la tension est palpable, aucune agressivité ne vient faire basculer la situation.

« On nettoie le feu, on part vite et on les laisse finir leur soirée. Plus on est présent, plus ça va dégénérer. Tant que ce n’est pas l’heure, entre guillemets, de dire : " maintenant tout le monde s’en va, la fête est finie ", j’aime autant éviter que ça dégénère. C’est encore un peu tôt ».

160La situation est rapidement revenue à la normale. Le lieutenant a demandé à ses hommes de se retirer. Les CRS ont regagné leurs véhicules situés à quelques centaines de mètres. En ce premier jour des Transmusicales, les policiers ont le souci d’apaiser la situation. « Ils se sont calmés, ils n’ont pas remis le feu, donc on n’intervient pas tant qu’il n’y a pas d’événements majeurs. Parce que d’une, c’est médiatisé, c’est juste le début des Transmusicales, on va pas non plus… et c’est sur ordre, le commissaire de permanence a dit… maintenant, s’ils mettent de nouveaux feux, là oui on interviendra. Mais, là ça devrait se disperser. Notre présence sur place risque de réactiver l’événement. Ça va se diluer tout seul sauf s’il y a un noyau dur qui décide de remettre le feu » (policier de la section d’intervention). Si la situation s’est calmée, nous avons cependant franchi un palier. Le lieutenant appelle le commissaire de permanence par téléphone pour l’informer de la situation : « il y a 200 à 300 personnes sur place. Je ne sais pas s’il y en aura beaucoup plus après la fermeture des bars à 3h. Je pense qu’on restera à 300. Je dois avoir 80 fonctionnaires ». Le niveau supérieur de la hiérarchie est activé, le dispositif monte en puissance, le lieutenant regagne l’hôtel de police pour s’équiper en tenue de maintien de l’ordre.

« Si ça repart, je ne peux pas rester à observer en civil. Je me mets en civil pour aller voir quand c’est calme, normalement, je suis censé être en tenue. Tant que c’est calme, je préfère y aller en civil, on peut se balader dans le dispositif, en tenue, on n’aurait pas pu se balader. Quand on sent que ça monte, on met la tenue de MO ».

161Ce n’est pas tant la situation elle-même qui a dicté la conduite du lieutenant, c’est l’heure avancée de la nuit. Avant l’appel radio de Simon (centre d’information et de commandement), nous étions sur le chemin de l’hôtel de police pour permettre au lieutenant de s’équiper de sa tenue MO. La déclaration du feu n’a fait que confirmer l’analyse du lieutenant C. et les observations de nos enquêteurs sur le terrain.

9/ LES ATTRACTEURS

162Le statut de ces groupes de fêtards qui occupent la place Saint-Michel pose certes des problèmes d’ordre public, de cohabitation entre populations, d’alcoolisme, etc. Il pose également un problème au sociologue qui veut le caractériser. En effet, il n’a rien d’un public, mobilisé par un contenant fort, programmé par les organisateurs, annoncé par les médias, qui créent des attentes, comme c’est le cas des festivaliers ordinaires des Transmusicales, même si l’étendue de l’événement nécessite certainement de parler de publics au pluriel, tant les goûts, les attentes, les moments de mobilisation sont différents. Lorsque nous avons cherché à caractériser toutes les étapes de transformation de ces quasi-groupes qui vont devenir éventuellement des publics, nous n’avons jamais trouvé d’équivalents à ce que vit ce groupe de la place Saint-Michel. Les voyageurs en attente place de la République, pour certains déjà fort alcoolisés, ont des réactions peu éloignées de celles de ces fêtards, puisqu’ils plaisantent avec les policiers, essaient même de les toucher, ce qui marque clairement leur perte du sens des limites ! Ils sont soit dans l’état de voyageurs, pris en charge par la STAR, soit dans celui de futurs festivaliers, déjà quasi-public en attente d’un événement précis. Plus encore, si nous cherchons à penser ces groupes de fêtards de la place Saint-Michel comme foules, nous ne parvenons pas à leur trouver de réactions adaptées à ce statut, car ce sont avant tout des petits groupes qui stationnent dans un même espace, qui boivent en attendant mais qui n’ont ni but, ni leader, ni émotions communes. Pour reprendre la distinction de Livet et Thévenot (1994), ils occupent la place « à plusieurs », à peu près comme on occupe l’espace du trafic routier à plusieurs, avec dans ce cas des règles de circulation, mais sans qu’il y ait action « en commun » ou « action ensemble ». Ces concepts nous semblent nécessaires pour affiner les états de ces quasi-foules. Or, cohabiter sur un même espace public pendant plusieurs heures – car ce sont des heures que passent certains, dans le froid, et parfois la pluie – demande une énergie phénoménale. L’alcool peut aider pour atténuer la perception de la situation mais cela ne suffit pas à rendre compte de la capacité d’un tel quasi-groupe à se perpétuer durant la nuit. Il est avant tout défini par la relation d’occupation d’un conteneur, la place, qui convient bien pour jouer ce rôle et qui peut créer ce sentiment de coprésence plus fort que dans d’autres espaces, mais ce sont donc bien ces relations de corps à son environnement bâti qui restent encore le cadre de compréhension de ce qui s’y joue.

163L’on comprend mieux alors le rôle important de médiateurs comme le feu, que nous venons de décrire dans cette histoire. Le feu constitue un attracteur qui permet d’offrir un substitut de contenant à ce groupe. Ce substitut, et nous expliquerons plus loin pourquoi il ne s’agit que d’un substitut, finit par opérer comme un médiateur car il transforme l’état de coprésence en foule mobilisée autour d’un attracteur. L’observation prolongée de cette place la nuit (mais aussi de certains espaces publics en journée) montre à quel point il n’est pas si aisé de maintenir un état de stationnement partagé pendant aussi longtemps. La conversation est certes le ressort fondamental de cette coprésence. Les personnes se parlent dans leur petit groupe, mais de façon intermittente et sont en fait très attentives à ce qui se passe autour. Comme pour certains professionnels de la sécurité, les fêtards de la place Saint-Michel sont en posture d’« awareness », d’alerte ou de veille, qui leur permet d’être engagés dans leur petit groupe sous forme de conversation tout en guettant ce qui se passe autour. Car si ce petit groupe reste là, c’est qu’il s’agit de l’endroit « où il faut être », « là où ça se passe » : « ça » quoi ? c’est bien la question, personne ne le sait exactement mais le ça en question mobilise. Il a sa réputation, qui est celle du lieu mais aussi celle d’un climat connu à l’extérieur de Rennes, qu’il faut avoir vu une fois et surtout au moment des Transmusicales. Sera-t-il à la hauteur ce soir ? Nul ne le sait et aucun programmateur ne peut s’y engager mais une chose est au moins garantie, c’est le caractère unique de ce moment de coprésence durable sans but ni règles. Pour être à la hauteur de sa réputation, et pour faire supporteur le froid, le lieu génère en fait des attracteurs qui n’ont pas été pensés comme tels. Dans ces soirées, nous avons noté successivement le Récup’verre, qui sert de percussions, l’arbre, qui sert à grimper dedans, et les feux qui remportent toujours un grand succès. Leur statut n’est pas identique. Les percussions sur les containers créent plutôt un phonotope comme le dit Sloterdijk (2005), de type plutôt immersif par son côté lancinant et répétitif. Les djembés apparaissent parfois mais ont été interdits en raison des troubles pour le voisinage. À la différence des percussions sur les containers, les djembés permettaient à certains « artistes » de s’exprimer et de constituer un public éphémère (mais toujours trop durable pour l’ordre public lorsqu’il dure jusqu’à 5h du matin). Les percussions « sauvages » mettent seulement dans un climat de fête, marquée nécessairement par le bruit qui attire de façon mécanique les passants qui circulent dans les autres rues, silencieuses elles. L’important ici n’est donc pas la qualité musicale, ce qui au moment d’un festival de musique peut surprendre, mais c’est bien le signe de la fête, la saturation des sens qui est organisée pour marquer cet état de fête. L’arbre et les acrobaties de certains jouent un rôle nettement plus proche du spectacle puisque seuls trois ou quatre personnes vont grimper dessus dans la soirée. Tous les yeux se tournent un instant vers ces acrobates improvisés, exactement avec le même sentiment qu’au cirque, où l’on guette la chute. C’est aussi ce que craignent les services de police et la SNSM, qui observent tout sans intervenir mais avec inquiétude. Les comportements à risque font partie de ces attracteurs qui polarisent l’énergie vers un objet précis pendant quelques instants. C’est une constante de tous ces regroupements et surtout lorsqu’ils sont fortement alcoolisés que de se lancer dans des défis, de manifester son état hors normes en désinhibant la peur et le respect des normes. Dans ce cas, c’est l’attention de tous les co-présents sur la place qui est attirée puisque l’arbre est en hauteur, et qui les constitue l’espace d’un instant en spectateurs.

164Lorsque le feu intervient, la même dynamique de jeu avec le risque se déclenche mais elle n’est plus sous la forme du spectacle car personne ne risque rien individuellement. C’est l’ensemble des co-présents qui se rassemblent pour sortir de leur état d’action (ou position) à plusieurs, pour « agir ensemble ». Ils alimentent le feu, ils se mettent en cercle autour du feu, les personnes plus éloignées viennent voir ce qui se passe : tous les présents deviennent polarisés par le feu et sont de ce fait en cours de transformation vers un état de foule, centrée sur un objet précis. C’est bien ce que sent le lieutenant C., qui est à la fois préoccupé par les questions de sécurité et par les évolutions possibles de la foule, qui seraient renforcées par l’arrivée de cracheurs de feu. L’incendie est une hantise dans le centre ancien de Rennes puisqu’il a détruit la moitié de la ville en 1720 mais aussi le Parlement de Bretagne en 1994 (puis en 2007 un immeuble plus récent du centre, qui a causé la mort de trois jeunes et plus récemment encore sur cette place Saint-Michel elle-même). Les peurs sont déjà préarrangées par ces expériences douloureuses que les fêtards n’ignorent pas d’ailleurs. Dès lors, même un « simple feu de cagettes », qui avait été qualifié au départ de « feu de joie » donne lieu à intervention très lourde des sapeurs-pompiers. Le feu de joie était pourtant la bonne expression, car c’est cette joie que l’on recherche. Une forme d’exaltation grâce à un attracteur très simple, toujours changeant, fascinant, qui fait chaud au corps et au cœur et qui modifie de ce fait le climat. Le feu attire et rassemble ces co-présents qui peuvent ainsi devenir une foule, qui jouit de cet « être ensemble ». Selon G. Tarde, « la foule jouit ici d’être en foule ». Les groupes se sont soudés et dissous à la fois, les contacts se font plus chaleureux. Nul ne préside à cette organisation, même si certains sont plus actifs et finissent par se battre entre eux, tellement ils sont ivres. Le feu peut donner à certains des idées de performances risquées de divers types, sauter par-dessus le feu étant la plus courante et la plus ancestrale (cf. dans tous les feux de la Saint-Jean). Cette reprise de pratiques traditionnelles permet de créer ce moment choral comme le dit J. Gagnepain, c’est-à-dire où l’on célèbre notre être-ensemble. Nul but, nulle évaluation, nul programme. Cette fois, ça y est, on est au bon endroit, il se passe quelque chose et nous sommes ensemble au bon moment. Les musiciens improvisés peuvent parfois tenter de venir se greffer sur cet attracteur pour créer un effet feu de camp très stéréotypé, mais l’essentiel est dans cet attracteur qui rassemble ceux qui jusqu’ici étaient seulement des occupants d’un même espace délimité par un conteneur bien construit.

165Cette foule ne peut cependant devenir un public, car cet attracteur fonctionne comme un substitut de contenant mais n’est pas un contenant. Qu’est-ce à dire ? L’attention sollicitée est éphémère si le bois vient à manquer, elle n’a pas été programmée par des organisateurs. Ce qui s’assemble ici, ce sont des attentes de faire la fête, de manifester les signes de la fête, qui doit être avant tout marquée par des comportements excessifs et hors normes. Le feu n’est pas une offre qui constituerait en face son public et qui lui fournirait un contenant. Il n’est qu’une occasion qui fait le larron de la foule, qui peut s’assembler là où elle était émiettée. Le feu de la Saint-Jean n’a pas du tout le même statut car il est programmé et il s’ancre dans des traditions. La posture cognitive et mythique est différente. Le feu de la Saint-Jean raconte une histoire comme le diraient les spécialistes du marketing, puisant allègrement dans la tradition anthropologique et sémiotique des fonctions et des formes des mythes. Ici le feu ne raconte rien, il est éprouvé physiquement par les participants, mais personne ne le parle ni ne l’ancre dans autre chose que ce moment-ci, unique, éphémère. C’est sans doute d’ailleurs ce qui est recherché à travers tout état de transe, à savoir le détachement avec tout son environnement habituel pour se reconnecter avec des sensations et des expériences ineffables. Le feu de ce point de vue n’est pas un attracteur faible, attention, ce n’est pas ce que nous voulons dire. Il ne produit pas de contenant car il ne sature ni les imaginations, ni les références, ni les sensations comme tente de le faire tout spectacle puissant. Il réalise un effet de foule en provoquant la coalescence de ces corps co-présents, pour les faire tourner pendant quelques instants autour d’un point de référence partagé, ici et maintenant, mais il ne parviendra pas, à la différence des attracteurs puissants, à produire de contenant.

166Dès lors on peut comprendre que les services de sécurité appréhendent ce moment car c’est une foule orientée à laquelle ils ont affaire. Or, si pour des raisons de sécurité incendie, ils doivent intervenir et casser l’attracteur, ils se retrouvent en face d’un groupe qui a déjà changé de nature. C’est pourquoi il n’est pas bon de le laisser durer trop longtemps, puisqu’ensuite l’action ensemble autour du feu constituera un bon point de départ pour une action ensemble contre la police. Dans ce cas, l’attracteur change et la foule se stabilise dans un élan contre, ensemble mais contre, ce qui est une expérience forte, recherchée là aussi, et ce d’autant plus que Rennes a eu la réputation d’offrir cette expérience de façon programmée pendant quelques années.

10/ LES PUBLICS AFFECTÉS

167Le cas des fêtards de la place Saint-Michel est l’occasion de mesurer l’extension d’un événement bien au-delà des participants actifs. Les marchands qui viennent s’installer à 5 heures du matin en prévision du marché font partie de ces usagers de l’espace public affectés, très directement, mais qui en retour vont affecter l’heure de fin pour les fêtards. Bien d’autres publics restent invisibles ou inouïs (Boullier, 2009) et pourtant, ils doivent être pris en compte de façon à composer cet espace public même déformé par l’événement. La prise en compte est cependant un exercice difficile car il faut avoir des capteurs qui sont tous plutôt imprécis. Les tambours sur les poubelles et le bruit assourdissant qu’ils font doivent affecter des habitants, s’il en reste, sur la place Saint-Michel. Mais bien d’autres façons d’être affecté doivent être prises en compte pour comprendre ce qu’un événement fait à une ville, comment il déborde largement son lieu d’affectation. Ce sont ici avant tout les « vecteurs d’affectation » qui vont nous servir de points d’entrée, car le processus est bien analogue à celui d’une épidémie. Par quel vecteur se fait le contact avec l’événement ? Qu’est-ce qui porte ou déporte l’événement au-delà de la bulle où l’on pense parfois possible de le maintenir ? Selon le type de vecteur, l’étendue du public affecté sera très différente, ses réactions plus ou moins possibles et objectivables et la pression plus ou moins forte sur les organisateurs.

Le vecteur sonore

168Malgré la tentative d’organiser un phonotope relativement hermétique pour la plupart des spectacles et événements dans les lieux fermés, le débordement est constant. Le son ne se contrôle pas totalement d’autant moins lorsqu’il est porté par des éléments mobiles que sont les participants à l’événement qui anticipent ou qui prolongent l’événement en dispersant leurs bruits qui doivent signifier l’état de fête : on fait la fête donc on fait du bruit, on doit faire du bruit pour bien montrer et se montrer qu’on fait la fête.

169Le bruit a été le problème clé de la rave et les tentatives de neutralisation de l’effet sur les riverains ne sont jamais performantes. Des secteurs entiers de la ville à plusieurs kilomètres de distance peuvent en être affectés. Le son ne déborde guère le parc des expositions et cela surtout en raison du fait qu’il est situé au milieu d’un désert (apparent) de riverains, près de l’aéroport (c'est-à-dire un espace par avance dédié aux nuisances sonores). La meilleure solution pour ne pas affecter involontairement un public consiste à occuper un territoire sans riverains.

170Le bruit créé par les soirées en centre ville n’est guère plus important en période de Transmusicales que lors des fameux jeudis soirs du quartier Saint-Michel Sainte-Anne à Rennes. Ce territoire est considéré comme sinistré sur ce plan. Malgré certaines tentatives avec les riverains et malgré les efforts engagés avec les tenanciers de bars, il faut constater que les riverains sont considérés comme quantité négligeable lors de ces soirées. Cependant, ils restent toujours dans les préoccupations des forces de police. Selon le nombre de plaintes reçues, ils sont plus prompts à intervenir pour faire cesser les djembés et autres tam-tams improvisés sur les poubelles. C’est donc un indicateur de réaction du public affecté qui sert à réguler mais aucune mesure plus précise (ni du bruit, ni du nombre de plaintes) n’est exploitée.

171Dans le cas des manifestations de rue, en plein jour, il est clair que le but des organisateurs n’est jamais la discrétion, spatiale (on occupe la rue), visuelle (on sature la vision et notamment celles des télés – qui font partie des publics affectés – avec des ballons, des banderoles, des fumigènes, qui font des belles images) et sonore (qui, elle, est nettement plus perturbante et à effet local : slogans criés par les mégaphones et repris en masse, sound systems qui font ressembler les cortèges syndicaux à des radios ou à des festivals ambulants, finalement pas si éloignés de la norme proposée par les ravers). Tout l’environnement doit être saturé, tel est le mot d’ordre, ce qui pose des problèmes de communication entre organisateurs, pour les forces de l’ordre, etc. La guerre interne entre les participants peut parfois prendre cette tournure : comment s’imposer dans la saturation de l’univers sonore pour capter entièrement le public présent et écraser les éventuels concurrents ? Cette volonté de saturation fait donc partie d’une stratégie délibérée d’affectation de publics non concernés, pour capter leur attention. Il n’est plus question dans ce cas de climatisation et de régulation de la capsule sonore commune qu’est l’espace public mais d’invasion déclarée. Ce qui génère évidemment des réactions de publics non seulement affectés mais qui se sentent agressés. La réglementation est en théorie utilisable pour réguler cette cohabitation sonore, mais il est à la fois difficile de faire réaliser à chaud les mesures avec les sonomètres et de verbaliser des organisateurs qui ont obtenu toutes les autorisations, ou qui sont eux-mêmes des organismes publics locaux.

Le vecteur circulation

172Les riverains des stades et autres équipements publics (dont le parc des expositions) sont les plus affectés puisque leurs trajets ordinaires et leurs habitudes de stationnement sont totalement perturbés par ces événements. Cela a nécessité autour du Parc des Princes de longues négociations avec les habitants, car c’est dès le matin d’un match que la circulation et le stationnement sont interdits. Au moment même de l’événement, le souci de maintenir la circulation constitue un objectif permanent, pour éviter que l’événement ne déplace son potentiel de désorganisation trop largement dans la ville.

173La cohabitation entre voitures et piétons est toujours problématique et les enjeux de sécurité sont un souci constant des forces de l’ordre : une bonne part de leur travail consiste d’ailleurs à éviter ces contacts potentiels en bloquant les rues avant l’arrivée de la manifestation. La rue prend alors une autre fonction plus théâtrale et un rapport avec un public spectateur s’installe, celui-ci acceptant volontiers d’être empêché en se plaçant dans ce rôle de spectateur. Ce n’est pas le cas de tout le monde et les conflits sont nombreux autour des manifestations et peuvent parfois dégénérer (cf. les voitures dans la foule). Une part importante des forces de police, à Paris pour les matchs au Parc des Princes ou à Nantes lors de la manifestation, est consacré à cette sécurisation de la circulation (ouverture/fermeture de voies, policiers avec leurs cyclomoteurs ou avec leurs motos en tête de manifestation ou sur les côtés pour bloquer les véhicules). Tout l’intérêt des transports en commun dans ce cas, consiste précisément à atténuer ces conflits mais il faut alors être sûr que le service soit capable d’absorber un tel afflux. À Rennes, pour les Transmusicales, le public à été bien plus nombreux à se déplacer en navettes mais le service n’était pas prêt à prendre en charge tous ces voyageurs, d’où l’incident de la place de la République. La voiture ayant tellement redéfini l’espace urbain depuis cinquante ans, elle reste le souci essentiel, à la fois pour les questions de sécurité et pour des soucis de priorité des affectations de l’espace public. A Rennes, dix minutes après la fin de la manifestation des ravers, sur un grand axe d’entrée dans Rennes, le service décide de rouvrir la circulation, après avoir vérifié que toutes les conditions de sécurité sont réunies.

Le vecteur cohabitation

174La rencontre entre publics dans l’espace public peut constituer un élément difficile à gérer. Nous l’avons évoqué pour les supporteurs d’équipes différentes. Ces mêmes supporteurs rencontrent d’autres publics dans les trains, les gares, les métros et les bus, les aires d’autoroute, bien avant leur arrivée au stade. C’est aussi le cas pour les manifestants. Les flux de population massifs ne se déroulent jamais hors des réseaux de transport habituels. De ce point de vue, le transport du public des Transmusicales fait exception et constitue une forme de transport hors-sol, coupé de la diversité habituelle rencontrée dans les transports. Cet effort de ségrégation des publics dans les transports est en général très difficile à soutenir. Le problème principal devient la foule, les risques générés par la cohue, plus que la cohabitation des publics ; c’est pourquoi l’on ferme certaines stations de métro lors des manifestations. La puissance d’un groupe mobilisé par les mêmes émotions qui envahit l’espace public des transports notamment est propre à inquiéter le voyageur ordinaire, d’autant plus lorsqu’il sent que l’alcool est de la partie. Cette expérience de la peur de la foule (supporteurs, fans, manifestants) est toujours très difficile à prendre en charge ou à atténuer car elle est aussi alimentée par des fantasmes impossibles à réguler.

175Dans le cas de la manifestation des ravers, la cohabitation entre publics dans la rue, à quelques mètres les uns des autres, des ravers avec tous les signes de leur appartenance (et le bruit généré) et la population qui fait ses courses du samedi après-midi en centre ville avait quelque chose de très curieux et constituait à elle seule un événement. Les forces de police avaient prévu d’empêcher toute intrusion dans l’hypercentre, surtout en raison de la présence de chars sonores dans le défilé qui auraient posé des problèmes. Sur les quais, les badauds étaient ébahis de pouvoir voir ces jeunes dont on parle tant dans les journaux et à la télé, qui les affectent uniquement par les nuisances sonores lorsqu’ils font leurs raves. C’était un spectacle urbain au sens fort, où une population peut se confronter à des groupes bien réels mais cachés le plus souvent, éloignés dans les prairies ou les zones industrielles. Certains stéréotypes étaient effectivement confirmés : les tenues, les looks en général, la musique, etc… mais d’autres étaient finalement aisément relativisés : pour une fois, ils n’étaient pas sales (et pour cause, d’habitude ils doivent faire la fête dans des terrains boueux), ils écoutaient la musique au ras des enceintes transportées par les camions mais finalement ce n’était pas si bruyant et pas si inaudible que ça (il y avait des mélodies), ils étaient très soucieux des règles de l’espace public (les canettes de bière étaient jetées dans les poubelles de la rue), ils faisaient vraiment la fête et n’avaient rien d’agressifs, etc… Cette expérience était sans doute aussi valable du côté des ravers, qui ont appris à cette occasion à se discipliner. On peut considérer que ce seul contact a joué un rôle décisif dans un changement d’image des ravers, ce qu’ils cherchaient précisément. La ville fait spectacle et la foule fait spectacle d’elle-même, comme le dit G.Tarde : « C’est la foule surtout qui dans ces occasions se sert de spectacle à elle-même. La foule attire et admire la foule » (L’opinion et la foule, 1901, p. 25). Le même phénomène est observable lors des Marches des Fiertés (ex : Gay Pride) qui sont un spectacle délibérément organisé par certains groupes devant un large public de badauds.

176Dans le cas des publics qui restent tard dans la rue lors des Transmusicales, il est supposé que toute personne dans la rue à cette heure-là partage les mêmes intérêts ou le même style de vie que tous ceux qui sont autour de lui. Ces publics sont assimilés aux autres et sont donc des acteurs de cette ambiance de fête, même si en réalité, ils sont là soit par curiosité (c’est un but de visite de touristes à Rennes), soit par hasard (en sortant d’autres activités). Ces publics sont encore moins pris en compte que les riverains. La fuite est en fait la seule solution pour les non-participants, ce qui d’une façon ou d’une autre les affecte, y compris dans la durée, car ils savent désormais qu’il leur faudra éviter cette partie de la ville à telle heure de la soirée. Ces effets ne sont pas secondaires pour le climat général de la ville, car cela renforce le caractère insulaire de ces lieux, ainsi que les micro-climats tolérés parce que circonscrits mais provoquant de fait une forme d’appropriation très marquée de l’espace public au profit d’un seul public.

Le vecteur odeur

177N’oublions pas que les fêtes et autres événements génèrent aussi une transformation de l’atmosphère au sens strict. La rue ou le quartier finissent par sentir la friture, la barbe-à-papa, les gaz d’échappement, le brûlé, ou encore, beaucoup moins plaisant, l’urine ou le vomi, voire les gaz lacrymogènes et cela de longues heures après l’événement lui-même ! Cela déborde nécessairement les espaces de déroulement de l’événement, cela déborde son public, cela déborde le moment précis et peut persister. Tout peut constituer un élément très fort de sympathie ou de rejet car ces goûts des odeurs ne peuvent guère se contrôler et peuvent entraîner des réactions de dégoût. Là encore, l’atmosphère est transformée et attaque l’environnement des riverains ou des passants, comme l’a rappelé Sloterdijk (2005) pour la guerre 1914-18 et les premières expériences de guerre avec le gaz à Ypres. L’impression de se faire prendre dans un environnement hostile peut même émerger à cause de ces odeurs et de ces gaz dans des événements publics urbains les plus ordinaires. Cet élément est souvent sous-estimé alors qu’il joue un rôle important dans la qualification sociale des espaces : par exemple, l’odeur prenante du pop-corn peut disqualifier le plus élégant des multiplexes, car elle tend à imposer une norme de pratique dans le spectacle qui reste insupportable à certains. Les passages souterrains sont très souvent disqualifiés par le seul fait de l’odeur infecte d’urine qui s’y installe et qu’on ne parvient plus à faire disparaître malgré produits et interventions. L’odeur produite par les feux de bois allumés place Saint-Michel contribue à propager l’alerte, à attirer l’attention même au loin et à modifier le climat de la fête en cours. Ces goûts ont été incorporés dans la prime enfance et leurs qualifications demeurent malgré nous comme une seconde nature.

Le vecteur police

178La présence policière est un effet quasi automatique des grands événements urbains et cela ne concerne pas seulement les publics cibles et participants mais aussi tous ceux qui peuvent passer ou habiter dans les zones concernées (c’est par l’absence de ces forces ou la difficulté à les mobiliser dans d’autres lieux ou incidents que certains peuvent se rendre compte des effets d’un événement donné). Voir la police, parfois même équipée pour le maintien de l’ordre, un samedi après-midi lorsqu’on fait ses courses dans le centre ville, crée aussitôt un sentiment mélangé de protection et d’insécurité, puisque cette présence indique à elle seule que les apparences normales du lieu ne tiennent plus et sont menacées. C’est toute la complexité de l’affichage de la présence des forces de police qui ne peuvent jamais se livrer à leurs manœuvres sans tenir compte de la vie normale qui continue pendant ce temps-là. C’est d’ailleurs dans ces moments de mélanges des publics que l’intervention devient très risquée puisqu’une grenade lacrymogène ne vise pas seulement un individu ou un groupe mais modifie l’atmosphère de toute la zone et la rend irrespirable pour tout le monde. Le public ordinaire est donc affecté par la seule présence policière qui fait événement en tant que telle, mais peut se trouver mêlée beaucoup plus directement et involontairement à l’événement.

Le vecteur médias

179L’atmosphère qui entoure un événement finit par toucher des publics au sens classiquement médiatique du terme dès lors que la presse, la télé, les radios et le web s’emparent de quelque chose pour en faire un événement. L’événement est par définition médiatique et par définition aussi il ne devient événement que dans la mesure où il est connu et parvient à attirer l’attention. Ce qui est affecté alors, c’est bien cette attention qui se focalise dans toute une partie d’une ville au moins, voire au-delà, vers LA manifestation, LA rave, LES Transmusicales ou LE match. Cette focalisation peut modifier les comportements de nombreux habitants qui vont anticiper soit la fête soit les nuisances, et qui dans tous les cas, vivent pendant quelque temps dans une participation mentale à cet événement. Ils seront au moins avertis, « aware », et cela les rendra sensibles aux divers indices qu’ils rencontrent dans la ville. C’est ce qu’on appelle en termes de sociologie de la communication politique notamment, l’effet d’« agenda setting ». Les médias finissent par faire participer tous les citoyens à la focalisation sur un « problème » donné, dont ils ignoraient tout quelques heures avant et sur lequel ils devront avoir rapidement une opinion pour pouvoir participer aux conversations publiques ou encore pour répondre à un sondage. Dans le cas des événements, le même phénomène se produit et selon la tonalité médiatique, l’impatience ou l’anxiété peuvent monter alors même qu’on n’est pas participant direct à l’événement. Le climat déborde largement alors la dimension physique : il est aussi mise en place de disposition mentale d’attente, d’attention et de jugements parmi de larges segments de population que l’on ne pensait pas touchés. Dès lors, l’aura médiatique doit faire partie de la zone prise en compte pour mesurer l’étendue du public affecté. Les professionnels le savent bien, organisateurs comme forces de police sont très attentifs aux effets d’un incident donné, ou d’une de leurs décisions d’intervention sur les esprits via leur retraduction dans les médias (ainsi dit le lieutenant C., intervenir dès le jeudi soir, c’est créer une image négative et conflictuelle avec la police qui encouragera les comportements agressifs par la suite, sans laisser de marge de manœuvre pour monter dans le degré de répression). Le public affecté est donc aussi affecté médiatiquement même s’il habite à 50 km de là et n’a pas l’intention de venir assister à l’événement. L’image donnée dépassera de très loin le territoire concerné, ce qui est d’ailleurs recherché par les organisateurs de l’événement (match, manifestation ou festival) et qui peut se retourner contre eux en cas de détérioration de l’ambiance.

180Les médias constituent de puissants agents épidémiques et leurs effets d’influence étendent considérablement les zones pertinentes pour l’étude du climat. Un incident comme celui, historique à Rennes, des Béruriers noirs (groupe de rock) en 2003 est avant tout un effet des réseaux médiatiques. Les Béruriers noirs n’étaient pas apparus en public depuis quatorze ans et le public, en manque, était composé de trois générations différentes donc beaucoup trop nombreux pour la salle du Liberté. Il s’est défoulé de sa frustration par une guérilla de toute une nuit contre la police. Cette mémoire mérite d’être citée car c’est cet incident qu’évoquent les fonctionnaires de police avec qui nous avons patrouillé lorsqu’il faut rappeler les moments difficiles rencontrés dans leur carrière, les moments où ils se sont sentis débordés.

11/ LA MANIFESTATION DES RAVERS VUE À TRAVERS LE CENTRE D’INFORMATION ET DE COMMANDEMENT

181Ce récit permet de suivre la description visuelle qui est faite ci-dessus et qui montre bien les différents environnements urbains concernés et l’état de regroupement de la manifestation qui varie selon le temps et selon ces espaces.

182Toute la coordination se passe cette fois-ci dans la salle de commandement proprement dite, séparée de la zone qui gère les conférences courantes. Les CRS ont leur poste : deux à la table et deux autres derrière eux en permanence. Un policier est chargé de la main courante. Un chef de salle conduit les relations radio. Le Directeur Départemental de la Sécurité Public (DDSP) est présent en tenue et c’est lui qui dirige les opérations. L’adjoint du DDSP est aussi en tenue, ainsi qu’une femme récemment promue capitaine. Un responsable du SDIG (ex-RG) est présent, en tenue aussi, et sera très sollicité. Enfin, un représentant de la préfecture passe régulièrement. Ce qui prouve que la mobilisation est importante et que l’on a prévu de prendre très au sérieux cette manifestation des ravers, avant tout parce que ce sont des ravers et que personne n’a l’expérience d’un tel cas de figure.

Manifestation des ravers dans le centre ville de Rennes

183Tout le groupe est orienté vers le dispositif d’affichage qui comporte deux cartes, une restreinte sur le centre ville et une autre plus large sur la ville et sa première couronne. Une troisième carte de Bretagne est aussi affichée mais elle n’est visiblement pas à jour et n’est donc pas très utilisée. La carte est équipée avec des petits magnets pour chaque unité de police que l’on va déplacer de façon très régulière en fonction des événements.

Centre d’Information et de commandement (CIC) de Rennes pendant la manifestation

184La tactique est présentée par le DDSP :

« On bloque le nord de la Vilaine. On veut étanchéifier le nord, se mettre en barrage. On prépositionne des unités CRS discrètes assez haut dans le centre. On fait suivre plus près par la Section d’Intervention à une rue de décalage. Ils bloquent rapidement si nécessaire pour éviter que la manifestation rentre dans le centre. Puis ils font glisser les CRS à la place des SI. Et la SI continue à suivre tout le long des quais. »

185Ce qui fait deux lignes parallèles à la manifestation le long des quais, celle des SI en première ligne, discrète mais visible et celle des CRS plus haut et masquée. Ce souci de discrétion est toujours présent pour éviter l’effet provocation mais aussi parce que le terrain est constitué par le centre ville occupé par les clients du samedi après-midi.

186Une annonce est lancée sur la radio de la part des observateurs sur place (qui comportent des membres du SDIG) : « Départ du cortège dans dix minutes ». « Vous pouvez vous prépositionner sans trop vous faire voir ». « Restez toujours au niveau des chars ». La terminologie spontanée adopte celle des carnavals ou celle de la Gay Pride.

187Le SDIG a des estimations et parie sur 1 000 personnes. Cent sont arrivées pour l’instant sur le site à dix minutes du début.

« L’itinéraire a été discuté pour être le moins perturbant pour la circulation et le public, pour éviter aussi de passer près de chantiers où il y aurait des matériaux pouvant être utilisés dans des bagarres. La personnalité des leaders joue énormément pour parvenir à mener à bien ces discussions. Ce sont des connaissances établies depuis des années. Il faut toujours du temps pour établir ces connaissances. Par exemple, on peut accepter qu’ils nous donnent des renseignements et nous engager à ne pas les diffuser, pour bien marquer la relation de confiance. Aujourd’hui ils jouent leur légitimité vis-à-vis du mouvement et vis-à-vis de la mairie avec laquelle ils veulent discuter pour obtenir un lieu pour les raves. Les contacts sont longs et ouverts et les négociations claires pour les parcours. On savait que le site de la Prévalaye n’était pas adapté pour la rave. Au sein du SDIG, on a tendance à se spécialiser pour bien connaître les informations sur la musique par exemple. »

188Les collectifs n’ont pas de porte-parole clairs. Comment prendre la parole à la place des autres – c’est un problème pour eux. Il y a aussi le problème de l’argent car c’est une passion qui leur coûte beaucoup d’argent et ils ont peur de se faire saisir le matériel. Ils recherchent aussi une reconnaissance. Il y a des groupes identifiés qui sont intéressants à suivre. Le public des Transmusicales n’a pas d’intérêt pour le SDIG car c’est un public ordinaire.

« Le public raver ne va pas au parc des expositions. Nous, on concentre nos efforts sur la rave. Notre rôle c’est d’anticiper dans tous les domaines. L’annonce qu’il n’y aura pas de rave et le refus de la ville de Rennes sur la plaine de Baud a un effet de réduction de l’attraction par rapport à l’extérieur (et donc de la jauge). »
« Ils sont prêts à partir, il y a 150 personnes. »

189Le DDSP explique qu’il y a beaucoup d’autres manifestations en ce moment et qu’il faut en tenir compte : le Téléthon, les forains, le marché de Noël, la vélorution, et tout cela le samedi après-midi ! Les organisateurs n’ont pas mis en place de service d’ordre. C’est la police municipale qui tient les points de circulation.

190Les annonces radio arrivent au fur et à mesure : il y a 250 personnes et quatorze véhicules avec des sons. Le DDSP insiste pour qu’on lui décrive les véhicules, et doit expliquer qu’il a besoin de savoir cela pour vérifier si ces véhicules peuvent rentrer dans le centre ville. En fait, ce sont treize camionnettes avec remorques et un camion. Il est rassuré car avec tout ça ils auront du mal à rentrer vraiment dans le centre.

191On lui annonce que 300 personnes viennent de sortir du squat de la rue Lenée et vont à la rencontre du cortège. « Le squat fera partie des miniteufs de ce soir » (les remarques vont se succéder pour anticiper sur la rave possible et sur son emplacement).

192La manifestation a avancé tranquillement et on annonce 600 personnes à hauteur de la rue de Chateaudun mais on ne sait pas si c’est avec ou sans le squat. « Ça va déborder dans la rue ce soir ». Les estimations sont à 1 000 personnes mais restent assez vagues car le cortège est très allongé et découpé par sound system. Le cortège avance très lentement. L’arrivée d’un groupe à contre-sens est signalée et on l’interprète comme étant le squat, mais il reste très difficile d’en être certains. On annonce « 1 300 sûrs » !

Observation en direct de la manifestation

193À hauteur des Galeries Lafayette, en plein centre de Rennes, le camion de tête avec un grand Triskell sur son toit fait impression mais sa sono n’est pas très bruyante. Une voiture de police ouvre le cortège. Le plus remarquable est le croisement des publics de la ville. Les uns font leurs courses, normalement « urbains » par leurs vêtements mais ils s’arrêtent sur les trottoirs pour voir passer cette autre espèce, ces jeunes avec bières à la main et qui se collent à la sono derrière les remorques, habillés avec la tenue de ravers pour certains, mais pour beaucoup déguisés comme pour un carnaval. Les revendications sont inscrites un peu partout et c’est tout un univers et un mode de vie qui défilent sous les yeux de ces personnes, souvent plus âgées, qui ouvrent de grands yeux ; certains fuient le bruit mais d’autres qui jouissent du spectacle. Tout le monde prend des photos y compris les participants : spectacle et plaisir de regarder et de se montrer.

Tête de cortège de la manifestation des ravers

194Malgré l’absence de frontière formelle, les deux groupes sont assez séparés puisque les uns sont dans la rue les autres sont sur le trottoir et les artères choisies sont assez larges pour permettre cet effet de spectacle. Les quais fonctionnent comme des canaux et ils ne savent pas que c’est exactement ce que la police recherche : créer deux autres canalisations – au cas où.

195Les stationnements sont prévus place de Bretagne puis en face du Théâtre National de Bretagne comme cela avait été négocié, mais les ravers sont restés en cortège et ne se sont pas arrêtés longtemps. Une jeune fille avec un talkie-walkie s’avère être une organisatrice, nous dira le SDIG ensuite.

Retour au CIC

196Le DDSP appelle au mouvement puis son ordre est repris par le commandement CRS.

19717h15 -« On tient le bon bout ». Ils cherchent à anticiper les ruptures au sein du cortège et ce qu’il en reste. Un départ de cent personnes environ est noté vers le squat. Malgré le côté rassurant de la tournure des événements, le DDSP refuse de dégager trois voitures à la fois pour les envoyer sur des incidents police secours.

198Les CRS sont déjà dans leur organisation future : ne pas revenir aussitôt dans le centre ville pour le soir, rester plutôt cachés, partir à quelle heure pour rentrer à Rouen et dîner sur l’autoroute, se coordonner avec le camion de ravitaillement qui viendra de Rouen.

199Les camions sont arrivés au point de départ et coupent le son au fur et à mesure avant 18h comme ils s’y étaient engagés. « Voilà un organisateur responsable ! », ironise-t-on dans la salle, car tout le monde est quand même impressionné par ce respect strict du cadre négocié par les ravers. Les sons commencent à être démontés à 18h08 ! « Ça fleure bon » (la fin tranquille) et l’ambiance se détend nettement au sein de la salle.

200Désormais, il faut anticiper sur le reflux de manifestation pour ne pas se retrouver au contact après avoir suivi le cortège et être attentifs pour voir si une « teuf » se prépare pour le soir : « Il faut regarder ce qui va se passer, comment ça va dégraisser et on saura s’il y aura une teuf ce soir ». « S’il se passe quelque chose au squat, on laisse faire. Je préfère avoir cinquante petites soirées qu’une rave sauvage » dit le DDSP.

201Les points de circulation « à tenir » sont précisés mais les décisions reviennent au chef circulation, ce qui donne lieu à discussion précise sur la configuration locale pour ne pas prendre de risque du point de vue sécurité. Une physionomie est transmise à 18h15 : « Il reste 300 personnes. Ambiance très, très calme, ils sont assis sur le trottoir ». La traduction en interne au PC ne tarde pas : « Ils cuvent » !

202Annonce de dispersion des véhicules qui quittent Rennes.

203Aussitôt l’hypothèse d’une rave hors de Rennes est faite (car on ne peut pas penser qu’ils soient venus avec tout leur matériel sans en faire une). Hypothèse qui sera vérifiée : tous les téléphones ont fonctionné avec des SMS pour se retrouver dans une rave à une trentaine de kilomètres de Rennes (mais personne n’en saura rien de toute la soirée, y compris au CIC, ce sera indiqué dans les journaux le lendemain seulement). Les médias ont quelquefois un temps d’avance et dans d’autres cas, sont coupés de toute information : ils n’ont pas cessé d’appeler le CIC pour savoir ce qui se passait durant la manifestation et avoir les estimations chiffrées de la part du SDIG. Le SDIG constate qu’ils ont sous-estimé le public car il y avait bien 2 000 personnes, ce qui est un vrai succès pour les ravers.

12/ DE LA RAVE A LA MANIF

204La « teuf » semble parfois être saisie par le même mouvement erratique que les « teuffeurs ». Le lieu de son déroulement change de jour en jour. À Rennes, fin 2008, les ravers entretiennent le suspense. La rave aura t-elle lieu ? Où aura-t-elle lieu ? Jusqu’à la dernière minute les services préfectoraux et les forces de l’ordre sont en alerte. Le collectif Korn’g’heol, collectif de sound systems de l’ouest de la France espère pouvoir organiser un « rassemblement festif à caractère musical avec diffusion de musique amplifiée » sur les sites de la Plaine de Baud ou de la Prévalaye sur le territoire de la ville de Rennes. Il a adressé un courrier en ce sens à la préfecture d’Ille-et-Vilaine. Le site de la Prévalaye, situé en bordure de rocade, avait été « réquisitionné » lors des deux éditions précédentes par la préfecture d’Ille-et-Vilaine. La ville de Rennes s’oppose à la mise à disposition de ces terrains pour accueillir une rave. Le retour des forains qui stationnent traditionnellement leurs véhicules à la Prévalaye interdit le déroulement de la rave sur ce site. Le site de la plaine de Baud en bord de Vilaine est jugé dangereux. Face à ce refus et à ces arguments jugés peu convaincants, le collectif a souhaité rencontrer les élus de la ville et appelle à une manifestation en centre-ville pour protester contre les dispositifs sécuritaires qui encadrent les raves. La préfecture se dit prête à mettre un terrain à disposition des ravers au Pré Namet en limite de Rennes et de Saint-Jacques de la Lande. Ce terrain avait déjà accueilli une rave, il y a quelques années. La mise à disposition de ce terrain suppose une réquisition de la préfecture. Pour le collectif, la réquisition est un déni de légitimité de la part de la ville de Rennes.

205La rave party n’a finalement pas eu lieu au cours de l’édition 2008. Elle s’est transformée en manifestation revendicative et festive dans les rues de Rennes. Une manifestation partie de la Plaine de Baud qui permet aux ravers d’exprimer leur revendication et leur volonté de reconnaissance. Durant tout le week-end, les forces de l’ordre seront sur le qui-vive. Les différents squats, friches urbaines et terrains vagues ne seront-ils pas le lieu d’organisation de « raves sauvages » ? La BAC en zone police, le Peloton de Surveillance et d’Intervention de la gendarmerie (PSIG) et les brigades territoriales en zone gendarmerie patrouillent à la recherche d’une hypothétique rave. Ils explorent ces conteneurs en marge des centres urbains à la recherche d’une rave improvisée.

206Cette volonté de sortir des espaces de relégation pour se donner un conteneur à portée de la ville témoigne d’un processus d’institutionnalisation de la rave. En s’approchant de la ville et en sortant de la clandestinité, elle se retrouve prise en charge par les services préfectoraux et par les forces de police qui vont lui donner un cadre. En construisant ce cadre normatif, en déroulant un dispositif policier autour de la rave, la préfecture, devenue organisateur, épuise ce qui en fait la substance, l’esprit free et off. En s’institutionnalisant, en devenant politique, le rassemblement change de forme et change de cadre. Pour se faire entendre, il sort des non-lieux de la ville pour s’approprier l’espace public et la centralité urbaine. Ce changement de conteneur et ce glissement vers le champ du politique illustrent le processus d’institutionnalisation de ce type d’événement festif, géré comme n’importe qu’elle manifestation.

13/ ÉVÉNEMENT-MOUVEMENT

207Le mouvement, le déplacement, la mobilité sont indissociables de l’événement. Ils en constituent très souvent l’une des expressions. L’événement est mouvement. Un événement est une machine à émouvoir au sens étymologique du terme, c’est-à-dire à créer de l’émotion et du mouvement. À chacun de ces événements sont associées des manières de se mettre en mouvement, des formes de mobilité, des manières de pratiquer l’espace et des géographies différentes.

208À ces conteneurs très statiques auxquels nous pensons spontanément – un stade, une salle de concert, une place publique etc. – il convient d’ajouter des conteneurs plus réduits, plus diffus, plus mobiles que sont les différents systèmes de transport. Le bus ou l’automobile sont des conteneurs qui délimitent le périmètre de l’événement et le contiennent pour partie. Ces conteneurs participent à la définition du périmètre de l’événement (rave) et à la définition de son esthétique.

209Le caractère mobile de l’événement pose la question de son rapport au territoire. L’événement, quelle que soit sa nature (culturelle, sportive, syndicale…) a toujours une dimension politique (la rave devient manifestation ; elle change de forme et de modalité d’expression). L’événement s’inscrit dans une géographie urbaine et dans un espace politique et symbolique qui lui donne sens. L’événement s’inscrit dans un conteneur qui dépasse les limites tangibles matérialisées par les murs, les grilles, les barrières… d’un stade, d’une salle de concert ou d’un itinéraire de manifestation. Il révèle une géographie du pouvoir rendue visible par la présence des forces de l’ordre, par la promulgation d’interdictions, par la délivrance d’autorisations… qui cherchent à contenir, à canaliser, à filtrer les mouvements dans l’espace urbain (voir les points défendus par les forces de l’ordre lors de la manifestation des ravers).

210L’événement est formé de différents éléments : in et off. La rave appartient pleinement à la nébuleuse des Transmusicales. Elle en est le miroir inversé, elle se définit en creux, par opposition au festival. La rave est à la fois extérieure au festival et intérieure à l’événement. Elle est libre et gratuite, par opposition au festival sommé de respecter des normes et d’instaurer un droit d’entrée pour parvenir à son équilibre financier synonyme de pérennité. De la même manière, les manifestations nocturnes et spontanées qui se déroulent parallèlement dans les rues du centre-ville de Rennes, constituent un élément de l’événement Transmusicales. Les événements off qui se déroulent en périphérie du festival repoussent et redessinent les frontières de l’événement au-delà des conteneurs officiels. C’est la ville tout entière, et parfois une partie du département, qui est saisie par l’événement. Si le festival, canalisé, encapsulé, dans le parc des expositions, ne déborde pas, l’événement, quant à lui, a déjà débordé.

211Dans la forme manifestation, qui sera plus amplement développée dans le chapitre suivant, le flux continu et le mouvement de la foule créent un effet de conteneur (sous forme d’un jet d’eau orienté versus les trajectoires dispersantes d’un arrosoir). Il est important de maintenir un flux régulier et compact pour éviter la pénétration des voitures d’une part et pour éviter les mouvements d’élastiques qui créent des trous et provoquent la perforation de la canalisation d’autre part. Les manifestations sont, à l’image du patchwork, faites d’éléments hétéroclites. Chaque groupe peut avoir la tentation de créer un trou pour gagner en visibilité pour son propre compte et c’est l’événement collectif qui est alors confisqué au profit de quelques-uns.

212La manifestation évolue dans un environnement plus ouvert. L’espace public, l’espace urbain qui accueillent la manifestation du 29 janvier à Nantes, la manifestation du 1er mai ou la Marche des fiertés plus connue sous le nom de Gaypride à Paris ne présentent pas les mêmes contraintes pour le public. Les frontières, les seuils et les sas ne sont pas hermétiquement contrôlés. L’accès à ce type de rassemblement est à la fois libre et gratuit. Une première analyse pourrait laisser croire que le centre-ville tout entier est contaminé ou pris par l’événement. Le centre ville n’est pas une bulle. Les forces de police qui encadrent la manifestation cherchent à préserver la mixité des fonctions urbaines. Ainsi, la place Salengro, à deux pas de la préfecture de Loire Atlantique, où stationnent les véhicules des gendarmes mobiles, reste ouverte à la circulation jusqu’à l’approche de la manifestation.

« Il y a quelques années, on construisait une bulle autour de l’événement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les forces de l’ordre progressent avec l’événement et libèrent progressivement l’espace public pour le rendre à la circulation… La philosophie est la même pour les cortèges de personnalités : provoquer le moins de perturbations. Avant le cortège fonctionnait dans une bulle vide de tout. La circulation était bloquée bien avant… Il y avait des artères entières qui étaient vides. C’est fini. La volonté politique a changé » (commissaire de police – Nantes).

213Ce cantonnement de la manifestation est particulièrement visible lors du défilé unitaire du 1er mai 2008 à Paris. La manifestation est ouverte par la police qui ferme une à une les rues adjacentes pour les rouvrir après le passage des manifestants. Le défilé est encadré par les véhicules des gendarmes mobiles et les engins d’entretiens de la ville de Paris qui jouent le rôle, au sens propre comme au sens figuré, de voiture balai. À Rennes, les forces de police suivent en parallèle la manifestation des ravers et endiguent les rues pour interdire la remontée des manifestants vers le nord de la ville où se trouvent la préfecture, la mairie et les grandes artères commerçantes. Ils progressent en tiroir, ouvrant et fermant un à un les axes routiers. Le conteneur de la manifestation est finalement relativement réduit. Une place ou une grande esplanade – la place de la République à Paris (manifestation unitaire du 1er mai 2008) ou la place du commerce à Nantes (manifestation du 29 janvier 2009), le boulevard Montparnasse à Paris (Marche des Fiertés 2008), la plaine de Baud à Rennes (manifestation du 6 décembre 2008) – servent de réceptacles à la foule des manifestants. En fin de manifestation, un espace vaste et ouvert permet à la foule de se disperser. Les manifestants sont contenus dans cet espace progressivement fermé à la circulation. Lorsque la manifestation est importante, elle occupe la totalité de cet espace (Nantes 29 janvier 2009). Lorsqu’elle est plus réduite, comme à Paris le 1er mai 2008, les forces de l’ordre poussent les manifestants vers la sortie. La topographie des lieux et le cadre bâti participent à la construction du micro-climat des différents segments de la manifestation. Dans les rues étroites qui montent vers le Théâtre Graslin (Nantes), la tension est palpable. Les chants et les slogans des manifestations résonnent dans les rues canyons. Les manifestants enveloppés par l’écho de leurs propres revendications mesurent leur force. Les rues canyon piégeant les bruits et les sons provoquent un effet de cloche. Les curieux se mettent au balcon pour observer les manifestants. Chacun sait qu’à tout instant la situation peut déraper. Les vitrines de la rue Crébillon peuvent devenir la cible de « casseurs ». Lorsque la manifestation atteint la place Graslin, la pression semble retomber. Sur le cours des « 50 Otages » vaste et largement ouvert, la manifestation semble perdre de sa puissance. Le choix d’un itinéraire participe à la définition du climat de l’événement. Il faut pouvoir occuper l’espace public. Les organisateurs de la Marche des fiertés auraient aimé défiler sur les Champs Élysées, mais la « jauge » de cette avenue est trop importante pour un tel événement. Il faut pouvoir remplir le conteneur pour donner la sensation (et se donner la sensation) de faire salle pleine. Le vide et les absents refroidissent naturellement l’ambiance.

214Si la manifestation est trop importante et l’itinéraire trop court ou trop tortueux pour permettre au ruban des manifestants de se dérouler dans l’espace urbain, « le serpent se mord la queue ». La manifestation se fige et se cristallise. Elle devient son propre conteneur. Ce sont les corps agglutinés des manifestants qui font conteneur.

CONCLUSION : CE QUE FAIT UN FESTIVAL À LA VILLE

215Un événement comme un grand festival du type des Transmusicales, dont une partie de la programmation est distribuée dans la ville, qui a su garder ses qualités expérimentales ou exploratoires qui lui permettent d’attirer sans cesse de nouveau public, secoue une ville. C’est aussi l’effet recherché, et c’est ce qui fait événement précisément. L’agitation climatique a gagné la ville bien au-delà de ce que les organisateurs peuvent maîtriser. Il peut sembler difficile de parler de climat urbain alors qu’il s’agit seulement de spectacles organisés par des professionnels. De même, la mise à l’écart dans un site éloigné de la ville permettrait de dire qu’on est revenu à un festival comme les autres, comme ceux qui se tiennent dans les champs. Dès lors les questions de sécurité, de maintien de l’ordre seraient à part, seraient des épiphénomènes dont les Transmusicales pourraient se dissocier aisément. Or, dès que l’on parle de transport, le cordon ombilical des navettes touche directement le centre ville. Le climat général de l’événement peut être fourni par des comptes-rendus faits par la presse qui mettent la pression sur les festivaliers mais aussi sur les fêtards ou encore sur les forces de police, et c’est pourquoi ils étaient si prudents avant d’engager des interventions qui mettraient en péril ce climat. De même, la relation avec les riverains du centre ville s’était instituée malgré les tensions. Tous ces éléments apparemment distincts sont en fait au coeur de la pensée des organisateurs comme le montre cet extrait d’entretien avec Béatrice Macé, fondatrice et directrice des Transmusicales, qui combine remarquablement les effets cumulés des relations avec les riverains, avec les stratégies de maintien de l’ordre, avec les médias, avec le off, avec l’environnement urbain.

« Il y a quelques années, entre 2003 et 2005, les incidents avec la police qui ont émaillé le centre-ville lors de chaque édition, ont déchiré la relation des Trans avec le centre-ville (riverains). La relation naturelle, du milieu de nidification qui nous a donné naissance, la relation avec l’oiseau, a été rompue. Peut-on réparer la relation ? Cette relation a été douloureuse. Il y a eu des échauffourées en centre-ville, des violences, avec escalade et dans le même espace-temps, hors de la période du festival, les jeudis soir étaient fréquemment marqués par des affrontements entre forces de l’ordre et jeunes en fin de nuit déclenchant un état d’hystérie générale. Nous étions tranquilles au parc des expositions (le festival a quitté le centre-ville lors de l’édition 2004). Il y a eu une déchirure du tissu relationnel entre le milieu, les riverains et le festival. Peut-on cicatriser la plaie ? Je pense qu’on ne peut pas revenir sur le même format. En six ans, les gens ont changé, le monde a changé, nous avons changé. Le niveau de tolérance des riverains a baissé. Les gens sont beaucoup plus stressés, angoissés, la société est plus anxiogène, tout élément est vécu comme perturbateur. On voit les reportages, par exemple sur TF1 quand les gens disent : " oui, les Trans et la free c’est le bordel ", même si sur France 3 ils faisaient bien la distinction entre les Trans et les incidents. Des gens ne vont pas chercher à distinguer le symptôme des causes du symptôme. Les Trans vont être amalgamées comme perturbateur. Pour la rave de Marcillé Raoult, à quarante kilomètres de Rennes, on s’est fait alpaguer par tout le monde, j’ai dû appeler le maire de Marcillé pour lui dire : " c’est pas nous qui faisons ça ". On est dans un monde où tout va très vite, il n’y a pas d’analyse, de prise de distance, comme les Trans sont grosses, tout va être la queue de comète des Trans même si ça n’a rien à voir : la free, bars en Trans et le off du off. Tout ça, ça forme la nébuleuse des Trans. Nous qui sommes l’équipe IN, on ne gère rien de tout ça. On a dû faire un communiqué de presse pour dire la free, ce n’est pas les Trans. Quand on fait quelque chose, on le revendique, on a fait des raves, on les a revendiquées. L’image des Trans a été dégradée par ces affrontements. Je ne me suis jamais pensée comme étant responsable de ce qui s’était passé en centre-ville. Mais je suis touchée. C’est notre image qui a été écornée. Jusqu’en 2002, les Trans étaient vécues positivement par les Rennais. En 2003, il y a eu 22 vitrines qui sont tombées. 2003 – 2004 – 2005 : il y a eu des échauffourées. En 2003, les gens sortaient du Liberté comme si de rien n’était, ils hallucinaient, il y avait les CRS d’un côté, les barricadés de l’autre… Ils se disaient : " mais qu’est-ce qui s’est passé ? " Ils avaient passé six heures au Liberté… Les Trans avaient tenu, mais l’extérieur était ravagé. La préfette en poste à cette époque n’a jamais perturbé le montage du dossier Trans et la relation avec la préfecture. On n’a jamais eu des relations frontales, on n’a jamais été en opposition sur le dossier. Mais, sur les à-côtés, elle avait mis en place un mode relationnel avec la ville de Rennes, en termes politiques, en termes de relation avec ses habitants, et les Trans ont été pris comme dans une nasse dans le système mis en place.
La relation s’est fluidifiée avec l’arrivée du nouveau préfet. Il m’a étonné : il est venu aux Trans sans présence ministérielle. C’est le seul qui soit venu sans l’impératif de la visite du ministre. Il était avec le dir cab et le chef de cab. Il a visité tout le parc des expositions dès la première année. Il a fait preuve d’une attention et d’un regard non crispés. »

216C’est dire à quel point le maintien de l’ordre n’est pas à côté ou après-coup ou malgré tout : c’est toute une philosophie de l’événement qui doit prendre en compte la climatisation dans toute sa complexité, toutes ses relations avec l’environnement de tout type. Cela suppose de sentir non seulement le présent mais d’avoir aussi une culture du passé, d’être capable de ne pas seulement gérer le climat à l’aide de conteneurs qui peuvent tenir (hold) mais non pas maintenir (handle) comme peuvent le faire des contenants. Ce qui frappe dans la gestion d’un tel événement, si pervasif dans toute la ville, c’est précisément cette séparation des fonctions, ce traitement difficile des articulations, non pas tant en raison des mauvaises volontés ou de problèmes techniques mais bien parce que la vision de l’événement comme créateur d’un climat qui doit être tendu par des contenants n’est pas prise en charge officiellement. La division technique et juridique du travail, nécessaire et assez efficace, ne rend pas compte de ce qui se passe dans les interrelations entre festivaliers, fêtards, ravers, riverains, médias et qui les met ensemble dans un certain état.

217La ville alors n’est plus une simple juxtaposition de foules ou de publics spécifiques mais un effet systémique de ces relations. Cela n’est pas une question théorique, mais une expérience et une vision que certains acteurs possèdent en partie. Or, la vision n’y suffit plus, les découpages fonctionnels non plus et l’objet n’est plus la surveillance, mais bien la compréhension profonde des mouvements qu’ailleurs on appellerait sans doute d’opinion, mais qui sont si peu explicites que leur captation demande d’autres dispositifs.

218Dès lors, le couplage festival/ville ou plus généralement événement/ville n’est pas une simple affaire de « communication », d’implantation spatiale et de programmation temporelle, même si les trois facteurs jouent un rôle. Il demande d’accéder à ce qui fait l’urbanité, qui dépasse la somme des entités et qui finit par les affecter. C’est bien le sens des questions que se pose la responsable des Transmusicales quant à l’avenir du festival en tant que festival urbain :

« Pourquoi revenir en centre-ville ? Parce qu’on y est né, il y a des publics qui ne sont venus au Parc Expo, il nous importe d’avoir une relation avec les habitants de Rennes. On veut un lien avec ce territoire. Un parc expos n’est pas sur un territoire, c’est un No man’s land, de zones industrielles qui n’a pas de racines avec le territoire humain. Le centre-ville, c’est notre territoire. L’urbanité, c’est la relation aux habitants. On veut rentrer à la maison, il est possible que le prochain schéma des Trans soit mixte. On ne peut plus faire de grand concert que sur un grand terrain pour y mettre toutes les prestations. C’est une configuration très spéciale, on demande aux gens de rester très longtemps. C’est différent d’aller voir un spectacle au Théâtre National de Bretagne. Si on veut faire les choses en grand, il faut de l’espace, il n’y a pas ce terrain en centre-ville. Le lien avec l’histoire, le fait que l’on est un "festival d’hiver", le fait qu’on est né en centre-ville, on a besoin de retrouver ce lien… Les festivals d’été sont des festivals de transhumance, avec des publics qui se déplacent et campent dans les lieux de festivals. Les festivals d’hiver, il n’y a pas de transhumance, même si les Trans ont un peu de transhumance. On additionne les contraintes : on est un festival d’hiver avec un projet artistique particulier et assez pointu hors période de vacances. 50% du public, le weekend, vient de l’extérieur ! Les festivals d’hiver se passent en ville : c’est là où sont les gens. Le festival d’été déplace les foules le plus souvent hors des villes et il est la motivation de ce tourisme culturel d’été.
En raccordant avec le milieu de naissance, on raccorde avec l’histoire, avec la logique de la naissance : on est un "festival urbain d’hiver". Pour survivre au Parc expos, on a répondu : programmation de têtes d’affiches, sur deux éditions seulement. Maintenant, on enlève les têtes d’affiches. Et pourtant on n’a pas perdu de public. Mais si nous avons prouvé que l’idée "Trans" résistait quelque soit son contexte d’implantation, il nous faut maintenant profiter de la réouverture du Liberté pour expérimenter un nouveau schéma dans lequel le centre-ville de Rennes retrouve une place d’importance.
On ne pourra pas tout déménager au Liberté. J’ai le sentiment qu’on va rester au Parc et recréer quelque chose au Liberté. Ca fera un projet au niveau de Rennes Métropole, qui est un nouveau territoire. C’est un "troisième âge des Trans. Les Trans auront été suffisamment fortes pour survivre à deux déménagements (on a quitté après douze ans la Cité, pour aller au Liberté, on a passé dix ans au Liberté avant de migrer en 2004 vers le Parc Expo). »

219Le climat est bien présent puisqu’on y parle d’hiver et d’été mais la ville est faite de ces contraintes, l’urbanité de l’événement s’enracine dans cette expérience de l’urbain en hiver. Mais la capacité à chauffer un public, puis des foules, voire une opinion, à travers un événement constitue une gestion du climat puissante qui peut retourner les conditions climatiques dites naturelles sans pour autant les nier.

Notes

1 « Prev’en ville » est un bus destiné à accueillir et sensibiliser les jeunes aux risques (sida, toxicomanie, alcool).

2 Le SNSM assure des missions de secourisme lors de grandes manifestations.

Table des illustrations

Légende L'évolution de l'incident place de la république à Rennes lors des Transmusicales
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 481k
Légende Calendrier des fréquences de bus
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 67k
Légende L'évacuation des fêtards Place des Lices à Rennes le samedi à 5h du matin
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 289k
Légende Manifestation des ravers dans le centre ville de Rennes
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 278k
Légende Centre d’Information et de commandement (CIC) de Rennes pendant la manifestation
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 130k
Légende Tête de cortège de la manifestation des ravers
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/616/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 139k

© Presses des Mines, 2012

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