La flânerie dans un jeu en ligne. Dynamiques de montée en compétence1
Texte intégral
1Les « scripts » des objets numériques marchands sont plastiques ou intrinsèquement fragiles, c’est-à-dire ouverts au détournement et au piratage. Alors que la notion de « script », dans la sociologie des usages, désigne des propriétés des objets techniques qui configurent l’usage, visent à le discipliner, ou cherchent à aligner les comportements de l’usager (Akrich, 2006), les objets numériques favorisent des régimes d’incertitude et d’exploration : ces objets tolèrent voire encouragent l’échappement de leurs utilisateurs à leur assignation dans des programmes d’action ; ainsi donnent-ils une place à des espaces non marchands au cœur de la marchandisation. Dans le concret de leurs dispositifs, ils sont plastiques, ils résistent à un polymorphisme infini, propriété qui définit philosophiquement la notion de plasticité (Malabou, 2000). Neff et Stark (2003, p. 185) quant à eux, parlent pour désigner des technologies qu’ils considèrent comme évoluant en permanence à l’état de brouillons, de « développement arrêté (au sens de stoppé avant leur achèvement) »1.
2L’apprêtement pour la curiosité, le détournement et le « fun » ont, bien sûr, été tout particulièrement au centre des conceptions des designers de jeux vidéo. Il est ainsi intéressant de revenir brièvement sur le rapport central à l’action exploratoire qui structure l’histoire du game design. Les game designers ont coutume de distinguer deux manières de concevoir les règles de tels jeux. Les jeux peuvent être soit qualifiés de progressifs, soit d’émergents (Juul, 2005 ; Triclot, 2011). Dans le premier cas, ils s’apparentent à un script cinématographique avec quelques embranchements qui donnent une impression de liberté et qui se déroulent au gré des actions du joueur, ce que les programmeurs sont à même d’anticiper et donc de contrôler aisément. Même dans ce cas, les jeux sont riches en surprise, car ils se fondent sur une modalité particulière d’émergence de la narration, « la narration comme archéologie » : celle-ci est présentée par un dépôt de traces morcelées ou d’indices. Elle est moins amenée par un récit en langage indirect que par l’égrenage d’indices évocateurs, sur le modèle du puzzle. Toujours dans cette logique d’espaces à explorer, les créateurs du jeu ont intégré en quelques « endroits » des niveaux de nombreuses salles secrètes, des passages parallèles où le joueur peut récolter des pièces bonus, ou encore des passages secrets ou « warp zones », qui lui permettent de s’approcher plus rapidement des tableaux finaux. Pour réaliser ces cheminements, la dislocation du faisceau d’attention est encouragée.
3Dans les jeux spécifiquement émergents, certains éléments du jeu sont en revanche produits en contexte, de manière générative (Natkin, 2003), suivant un algorithme qui ménage une place importante à l’aléa. Ultima Online [Origin systems, 1997], Everquest [Verant Interactive, 1999], Dark Age of Camelot [EA Mytic, 2001], World of Warcraft [Blizzard, 2004] et plus récemment Minecraft [Mojang, 2009], l’une des stars actuelles du jeu en ligne indépendant, sont parmi les plus populaires représentants de cette lignée. Mathieu Triclot revient à partir de Minecraft sur une propriété fondamentale de cet engendrement procédural, à l’infini, de l’univers du jeu : la désorientation et la perte de repère des joueurs.
« Au fur et à mesure que le joueur se déplace dans l’espace du jeu, l’ordinateur crée un monde, un vaste décor qui s’étend potentiellement à l’infini. L’infini du monde n’est plus simplement dans Minecraft une illusion engendrée par la taille d’un univers fini : le monde (même en jeu solo) continue à croître. L’utilisation de mécanismes de l’ordre de l’émergence offre une ligne de fuite à l’intérieur même du médium. […] L’effet sans doute le plus impressionnant de cette propriété du design est l’engendrement d’un monde qui apparaît « vivant » du fait que personne ne peut en prévoir le cours : le joueur se retrouve plongé dans un monde sans repère, sans signe préalablement disposé à son égard […] où rien n’a spécialement été prévu pour son propre usage » (Triclot, 2011, p. 59).
4Sans surprise, les game designers ont rapidement identifié dans ces cas une pratique des joueurs qui leur a valu le qualificatif « d’explorateurs » (Bartle, 2004) :
« La plus grande joie pour des explorateurs, c’est d’accroître leurs connaissances sur le fonctionnement du monde virtuel. Leur félicité est dans la découverte. Ils recherchent la nouveauté. » (Notre traduction).
5Dès lors, il devient possible de se perdre, d’oublier son chemin à moins qu’on arrive à inscrire des signes, des codes, pour marquer sa position.
6Une deuxième dimension de l’émergence consiste à privilégier les créations générées par les utilisateurs et surtout les échanges auto-organisés entre les utilisateurs créateurs. Cela n’est pas spécifique aux jeux « massivement multi-joueurs » puisque dans de nombreux jeux faisant l’objet d’un usage « solo », les plus courants, les dynamiques d’échange de créations alimentent le cœur des logiques d’usage chez les habitués et les experts. Ainsi, dans un grand nombre de MMORPG2 d’inspiration « heroic fantasy », le personnage incarné peut progresser de manières sensiblement différentes dans ce vaste univers peuplé de fées, de squelettes et autres dragons, ce qui donne une impression de grande liberté. Selon le choix d’une spécialisation, le joueur peut, par exemple, décider d’incarner guerrier, mage ou archer, tout autant qu’il pourra engager la carrière de chacun d’entre eux, non pas seulement dans le pillage et la sauvagerie guerrière, mais aussi dans celle de métiers d’intermédiaires sociaux, tels que le commerçant ou le prospecteur de matières premières convoitées par d’autres. Un mécanisme fondamental des MMORPG consiste à pousser les personnages à se spécialiser, de manière à produire des dépendances sociales fortes entre les joueurs, contraints à s’allier pour progresser aisément dans le jeu. Quelle que soit la spécialisation qui aura les faveurs du joueur, celui-ci sera conduit à accumuler plus ou moins de biens dont la rareté est variable. Les joueurs collectionnent des biens, mêmes inutiles, pour leur personnage, en prévision d’échanges ultérieurs. Ces biens sont troqués contre des objets mieux adaptés au rôle social choisi pour le personnage.
7Soulignons une troisième caractéristique de l’émergence, beaucoup moins abordée par la littérature et notamment par les game studies, car elle nous semble tenir à un principe de design méconnu puisqu’elle est fondée sur la mise en place, par le design, d’une dynamique de flânerie : l’entrave, par les concepteurs, de la possibilité donnée à l’utilisateur d’avoir une vue globale et totalisée de l’espace géographique dans lequel il circule, et donc de pouvoir planifier ses comportements. Nous l’illustrerons par deux choix de design par lesquels cette « entrave au plan » peut advenir. Ce ne sont que deux modalités liées au terrain étudié.
8Nous allons pour y parvenir documenter une expérience d’usage, la pratique normale d’habitués d’un jeu français très populaire auprès des jeunes et des adolescents, créé sur Internet en 2004 par une petite entreprise de Roubaix. L’entreprise répond au nom d’Ankama, un nom composite, concaténation des deux premières lettres des prénoms des créateurs : ANthony, CAmille et MAnuel. Le jeu que nous prenons pour objet est Dofus. Dans ce jeu, nous retrouvons des caractéristiques majeures de l’engagement exploratoire marqué par la flânerie.
9La dislocation du faisceau d’engagement est encouragée : certes le genre du jeu est ciblé (il s’agit d’un jeu de stratégie tour par tour, avec un temps par tour qui est souvent de moins d’une minute) et cela pourrait assimiler l’engagement à un régime du plan. Certes, il y a aussi un attachement au personnage principal de l’ordre de la familiarité avec un objet : ainsi les personnages sont affublés d’un pseudo et le jeu suscite un attachement indéniable puisqu’il n’est pas rare que les joueurs y consacrent près de 35 heures par semaine pendant quatre ou cinq mois au minimum.
10Mais il y a une particularité d’usage réel qui subsiste en permanence, selon laquelle les joueurs jouent « sur la paroi externe de l’enveloppe » et cela crée un étourdissement de l’ordre du vertige. Ce jeu est en effet un freemium : il offre la possibilité de créer des comptes gratuitement, avec cinq personnages par compte. Habituellement, chaque joueur expert s’arrange pour contrôler plusieurs personnages afin de faciliter sa progression. Le jeu peut être collectivisé : les comptes sont souvent prêtés entre amis pour que les personnages montent plus vite de niveau. De plus, il y a des bifurcations d’exécution qui font que l’usager, lors d’une session de jeu, arbitre entre exploration de la carte, discussion par chat, et entrée dans un combat, voire change de serveur ce qui revient à jouer dans une autre partie avec d’autres participants et à changer à cette occasion aussi de personnage.
11Comment se traduit cette dislocation du faisceau d’engagement ? Les cours d’activité par flânerie sont-ils maintenus lors de la montée en compétences ? C’est ce que nous allons étudier. Notre méthode a été qualitative : une cinquantaine d’entretiens, en particulier des concepteurs du jeu en ligne (N=10) et des joueurs de Dofus (N=20), et des commerçants « d’objets virtuels » de Dofus que nous avons contacté par internet (N=40), puis vus lors d’entretiens semi-directifs (N=4). Une observation de l’activité des joueurs de Dofus et sur des sites Internet qui leur sont dédiés complète le volet qualitatif. S’y ajoute l’analyse de données quantitatives, notamment de l’évolution des statistiques des personnages du jeu, ainsi que les taux de change entre monnaies du jeu et l’euro. L’ensemble du travail de terrain et la collecte des données ont été menés par Bruno Vétel.
La dislocation du faisceau d’engagement
12Soit un joueur de Dofus, Luc. Luc utilise un stratagème. Comme la plupart des autres joueurs, il joue en « PvM », Player versus Monsters, c’est-à-dire qu’il cherche à lutter contre des monstres qui sont des intelligences artificielles. Pour cela, il joue en multi-compte. Un observateur qui n’en a pas l’habitude ne comprendrait rien à ce qui se passe à l’écran lorsqu’il regarde Luc. Plusieurs fenêtres du jeu représentent la même scène de combat mais chacune est centrée sur un personnage différent. L’observateur ressent un étrange effet de strabisme : les représentations graphiques sont légèrement décalées dans l’espace du jeu ; les indicateurs quantitatifs qui parsèment chaque fenêtre sont légèrement différents parce qu’ils ne sont pas les mêmes pour chaque personnage. Les scènes s’animent simultanément ; le curseur de la souris passe sans cesse de l’une à l’autre, il n’y a pas de temps morts ; un monstre est attaqué ici, les points de dégât s’affichent quelques secondes ; presque en même temps un chiffre d’une autre couleur s’affiche au-dessus de son « main »3 ; Luc est déjà ailleurs sur l’écran, sur la fenêtre d’un « personnage de soutien », affairé à soigner son « main ». S’il n’y a pas assez de place à l’écran pour afficher simultanément toutes les fenêtres, la confusion est accrue ; les fenêtres passent séquentiellement les unes derrière les autres, si bien que seul Luc est encore capable de comprendre à quel personnage il est en train de faire faire une tâche. Le combat peut durer une dizaine de minutes, jusqu’à ce que tous les monstres s’effondrent sous les coups de cette multitude de personnages. Luc est sans conteste un habitué du jeu solitaire en multi-compte. En témoigne sa manière originale d’organiser en séquences ses actions de jeu, puisque chaque personnage reçoit une tâche de quelques secondes à réaliser, le temps pour Luc de s’occuper du deuxième personnage, puis de repartir vers le premier, avant peut-être de solliciter un troisième. Cette manière d’assigner à tour de rôle les actions à plusieurs personnages lui demande une attention et une adresse particulières, pour être à même de manipuler la souris et son clavier si rapidement sur un seul écran. Elle est le fruit de centaines d’heures de jeu en multi-compte.
Figure 1 : Juxtaposition de deux vues fractionnées qui s’affichent séquentiellement à l’écran du joueur, lorsqu’il déplace son personnage entre deux « maps » adjacentes

13Tout n’est pas possible cependant : il y a nécessité de ne pas corrompre l’agencement ludique. Depuis mai 2011, il est ainsi impossible de faire du multi-compte depuis la même adresse IP en PvP (Player versus Player), car les concepteurs se sont aperçus que cela créait un déséquilibre. Autrement dit, il n’est plus possible de faire un combat en PvP par équipe avec des personnages connectés dans le même foyer4, via la même connexion Internet. La mesure vise à empêcher certains joueurs, provoqués en duel, de connecter au dernier moment d’autres personnages. Autoriser cette situation revenait à condamner l’assaillant solitaire à une défaite certaine, puisqu’il faisait brutalement face à de nombreux adversaires.
14La manière dont le terrain de jeu est présenté à l’utilisateur est caractéristique : par fractionnement des vues, sans possibilité de totalisation cartographique. Cette particularité favorise chez les utilisateurs des comportements de butinage et de collecte non ciblés et encourage des dynamiques de cueillette au gré des trouvailles, donc ultérieurement les échanges de ces objets collectés entre joueurs. L’affichage fractionné du terrain de jeu sur l’écran du joueur encourage ainsi l’exploration curieuse.
15Dans Dofus, les espaces sont dessinés en deux dimensions. Il s’agit d’un genre graphique repris aux jeux de rôle sur ordinateur que l’on pratique seul chez soi. Ce monde ne représente donc pas le terrain de jeu en trois dimensions comme c’est le cas d’une autre génération de MMORPG un peu plus récente5. L’alternative dont les jeux comme Dofus font usage est la géographie dessinée en perspective isométrique. Toutes les directions de l’espace y sont représentées dans des proportions équivalentes, depuis un seul point de vue surplombant la portion du terrain de trois quarts, sans le moindre mouvement de caméra. Le personnage dirigé évolue dans des espaces géographiques statiques délimités par l’écran de l’ordinateur, dont on ne peut pas avoir une vue synoptique. Ce qu’on appelle parfois des « tableaux de jeu ». Une différence se joue dans la statique et l’unicité du point de vue, contrairement aux jeux en trois dimensions, pour lesquels depuis Alone in the dark [Infogrames, 1992] des placements de caméras élaborés découvrent progressivement de larges portions aux alentours du personnage. Pour le joueur de Dofus et des jeux dessinés en perspective isométrique, il est par conséquent nécessaire d’atteindre l’extrémité du terrain affiché à l’écran pour en voir une nouvelle portion adjacente. Les détails de la carte se découvrent par tâtonnements progressifs6. Pour explorer les contrées de Dofus, le joueur doit en premier lieu y déplacer son personnage. Celui-ci se trouve sur ce que les joueurs appellent une map, c’est-à-dire l’étendue de territoire de taille fixe qui peut être affichée sur l’écran de l’ordinateur à un instant donné. Lorsque le joueur clique avec son curseur à l’écran, le personnage se déplace jusqu’à l’endroit indiqué à l’écran. S’il souhaite s’aventurer au-delà de la zone, il peut faire sortir son personnage en cliquant à proximité de l’un des rebords de son écran. Lorsqu’il l’atteint, une dizaine de secondes plus tard, le pan de territoire adjacent s’affiche. Ce système de représentation fractionnée du terrain de jeu, affiché de proche en proche, empêche le joueur de déterminer à l’avance un point plus éloigné qu’il voudrait faire atteindre à son personnage7. Il doit impérativement indiquer la direction du trajet qu’il suivra à l’affichage de chaque nouvelle map.
16C’est une faiblesse du design : l’impossibilité d’afficher du scrolling pour une technologie Flash fondée sur du dessin vectoriel a créé une gêne d’usage, sublimée en un essor du butinage parmi les divers éléments interactifs affichés à l’écran (exercice de chasseurs-cueilleurs). La quantité d’objets hétéroclites susceptibles d’être ainsi glanée est limitée artificiellement par les concepteurs. Ils fixent un seuil aux capacités d’accumulation des personnages pour forcer les joueurs à comparer les objets collectés entre eux grâce à une gestion adaptée de ces collections. Le joueur novice qui commence par glaner tous les objets qui passe à sa portée se rend bien vite compte que son stock est saturé et qu’il doit évaluer parmi ses trouvailles celles qui valent la peine d’être conservées : il est encouragé à s’auto-organiser ; cette contrainte fait émerger des échanges.
17Malgré une carte du territoire conçue une fois pour toute par les programmeurs du jeu, Dofus réussit à prodiguer un caractère émergent au territoire de jeu qui est capable de renouveler la curiosité des joueurs. Pour ce faire, les designers agissent non pas sur la construction de la topographie de l’espace de l’univers du jeu, mais sur l’impossibilité de la percevoir en entier et de manière continue ; ils l’agencent savamment à un système de rationnement du stockage des objets du jeu qu’on retrouve dans la plupart des MMORPG. Cela force le joueur à composer deux dimensions d’exploration : le butinage et l’échange avec d’autres joueurs sur des places de marché internes au jeu. C’est cet équilibre entre deux modalités exploratoires qui permet de garantir que la plupart des joueurs ne s’ennuient pas pendant leurs déplacements répétés dans le jeu.
Monétiser la curiosité
18Dans Dofus, depuis mars 2010, une conduite réglée consiste à ce que des joueurs expérimentés « payent leur abonnement » avec l’argent d’autres joueurs. Les concepteurs ont créé une monnaie virtuelle, les Ogrines, qu’on peut recevoir moyennant une somme d’argent (selon un taux de conversion fixe) et qui permet d’acheter une période d’abonnement ou d’acheter de la monnaie virtuelle du jeu, appelée Kama (selon un taux de conversion fixe également). Cela permet à des joueurs de recevoir des Ogrines contre de la monnaie du jeu ou à ceux qui ont amassé des trésors de payer leur abonnement en Kamas. Toutefois, les Ogrines acquises à partir de Kamas ne sont pas convertibles en euros ce qui empêche l’enrichissement, autrement que dans le jeu.
19Pour monétiser les dynamiques d’exploration curieuse et d’attraction pour la contingence, les concepteurs ont pensé à des dispositifs marchands adaptés. Il leur arrive ainsi souvent de privilégier le couplage des principes du freemium et du free-to-play. Le freemium est analogue à la présence pour un service en ligne d’une offre premium, mais ici on attise l’intérêt du consommateur avec un contenu gratuit, puis on lui demande de payer, sous la forme d’un abonnement, au-delà d’un certain niveau de progression ou pour libérer certaines fonctionnalités. Le freemium exploite notamment une disposition à payer pour recevoir plus de propriétés d’émergence. Le free-to-play est différent du freemium : il consiste à facturer à l’intérieur du jeu, plutôt que par l’abonnement, l’achat d’unité d’objets pour organiser les usages payants. Dans les deux cas, l’argent est un dispositif central pour faire émerger des dynamiques exploratoires. Simmel en effet a bien montré que ce qui est primordial dans l’argent c’est son rôle d’ouverture de tous les possibles (Simmel, 1987 [1900], pp. 71-73) ou encore qu’il intervient comme valeur de toutes les possibilités (op.cit, p. 92). Il insiste en effet sur le rapport entre l’argent comme entité vide sémantiquement (l’argent n’a pas de valeur en lui-même) et les objets (ou l’ensemble des possibles) auxquels il donne potentiellement lieu : la valeur de l’argent est d’autant plus grande qu’il offre ce choix. L’argent est ainsi défini comme « la puissance maîtresse qui dispose de l’objet » op.cit., p. 80).
20Cependant, l’arbitrage qui s’offre au designer est plus complexe que le simple choix de composer entre ces deux modèles de tarification ; il doit réfléchir au nombre d’objets du jeu à inclure dans l’offre gratuite. D’une certaine manière, le placement à un seuil bas du nombre d’objets du jeu qui sont accessibles après le paiement d’un abonnement peut bloquer la curiosité en diminuant la sensibilité des utilisateurs, qui n’y ont pas encore souscrit, aux propriétés génératives et émergentes de l’univers. Un peu à la manière dont est conçue une vitrine de magasin, le concepteur d’un jeu en ligne doit guider sa réflexion sur le fait à la fois de laisser entrapercevoir à tout utilisateur suffisamment d’éléments émergents et en même temps à l’amener à une certaine frustration en lui en interdisant l’usage, de manière à l’inciter à en vouloir plus encore, et donc à payer.
21Un autre objectif des designers consiste à construire une délimitation précise pour un espace d’activités non marchandes. L’amélioration des compétences d’un personnage joué peut s’acheter (notamment par l’échange entre joueurs, y compris auprès de joueurs spécialisés dans l’élévation à un haut niveau de performance, des items qui équipent le personnage), et d’autres sont exclus du marché et donc acquises uniquement par d’autres types d’activités ou d’expériences. C’est pourquoi, pour assurer plus finement cette partition, la plupart de ces modèles font émerger une devise interne médiatrice, une « monnaie virtuelle », dans notre exemple le Kama. Tout comme dans la plupart des MMORPG conçus jusqu’au milieu des années 2000, les game designers de Dofus veillent à préserver le jeu de l’insertion en son sein de processus marchands impliquant de l’argent réel. L’argent réel, pour rentabiliser les investissements de l’entreprise, est repoussé à l’extérieur du jeu, concentré de manière emblématique au niveau du paiement de l’abonnement qui régule les conditions d’accès, l’entrée dans le jeu. Passée cette étape, l’argent réel n’a plus droit de cité dans le jeu. Dans la bouche des game designers, cela revient pour eux à défendre l’intégrité de ce qui se passe à l’intérieur du jeu, à préserver sa dimension ludique. Ils œuvrent, selon eux, pour empêcher de « transformer le jeu en supermarché » ; le dosage ludique risquerait de se déplacer trop brusquement vers des activités de consommation marchande, de shopping, au détriment des épreuves du jeu traditionnelles, à commencer par celles qui consistent à « tuer des monstres », des activités que les game designers ont tendance à valoriser spontanément. La capacité d’une monnaie à construire une ligne de démarcation entre le non-marchand et le marchand est une caractéristique qui a été mise en évidence par la sociologie de la monnaie (Zelizer, 2005). Dans le cas des jeux vidéo, il y a au moins deux monnaies, la monnaie réelle et la monnaie virtuelle. Cette différenciation des statuts monétaires est explicitement endossée par les concepteurs afin de configurer le périmètre des actions pouvant être mises en équivalence les unes avec les autres et pour délimiter à l’intérieur du monde une sphère du non marchand, seule susceptible de générer la curiosité et l’envie de rester.
22Un dernier objectif des designers concerne la modalité de mise en place d’un espace d’échanges d’objets entre joueurs, que ces derniers possèdent dans leurs collections mais qui ne leur servent pas. Un des systèmes de commerce entre personnages de joueurs à l’intérieur de Dofus, le mode marchand, est repris à certains MMORPG plus anciens. Il ressemble par exemple très fortement au « player owned vendor » d’un des premiers MMORPG en perspective isométrique populaire8, Ultima online [(Origin systems, 1997]. Ce jeu ne fonctionnait pas sur un système de carte géographique fractionnée, il s’agissait d’une carte découverte progressivement avec le déplacement du personnage, par « scrolling » ; la curiosité des joueurs n’est donc pas entretenue par les mêmes moyens. Selon les game designers, l’intention du salarié qui imagina l’usage du mode marchand de Dofus était de faire en sorte que, lors de la première année du jeu, son usage corresponde « au petit bonheur la chance » des achats et des ventes dans le jeu. Il s’opposait aux comportements reposant sur la connaissance pure et parfaite d’une grande partie des offres et des ventes, ce que permet un autre interface marchande, très répandue également dans de nombreux MMORPG, appelée « hôtel de vente »9. En effet, le mode marchand est localisé dans l’espace géographique du jeu, et la connaissance des objets qui sont proposés à la vente suppose des déplacements qui sont pour les joueurs coûteux en temps de jeu.
« Le mode marchand, même si très vite il aurait pu être totalement remplacé par les hôtels de vente, on a préféré le laisser, pour conserver cette dispersion de l’information économique. En effet, le problème qu’on a aussi avec les hôtels de vente concentrés c’est que le jeu peut être optimisé : j’achète pas cher, je revends, dans le temps peut-être, plus tard, plus cher. L’avantage d’avoir l’offre du mode marchand c’est qu’il a une dimension géographique, c’est-à-dire qu’aller d’un point A à un point B ça te prend du temps, c’est pas forcément rentable de faire 50 maps pour trouver la laine de bouffetout la moins chère si dans le même temps t’as fait 12 combats qui te rapportent 10 fois ce que ça t’as coûté. » (Frédéric., Directeur de la conception du jeu, 29 ans).
23Avant de quitter le jeu, le marchand sélectionne une liste d’objets à vendre pour le prix de son choix10. Dans le cas de Dofus un personnage, sac à terre, symbolise le marchand à l’emplacement de sa déconnexion (cf. figure 2) pendant un maximum de 72 heures d’affilée. Si leur personnage passe à proximité, les joueurs à la recherche d’une vente intéressante peuvent cliquer sur le sac et consulter les offres du marchand, représentées dans une fenêtre sur la gauche de l’écran (cf. figure 3). Toutes ces spécificités font de l’appariement de celui qui cherche un objet avec celui qui en offre un évènement hautement aléatoire. Le mode marchand correspond ainsi à un design émergent, susceptible d’éviter que l’excitation du flâneur ne retombe en ennui.
Figure 2 : La représentation graphique d’un personnage en « mode marchand »

Figure 3 : L’interface graphique qui présente à gauche et au centre les objets offerts par un personnage en « mode marchand »

24Cette forme de design « au petit bonheur la chance » réintroduit une figure du marché comme bric-à-brac généralisé, propre aux cabinets de curiosité, du bazar (Geertz, 1978) ou, sous des formes plus contemporaines, avec la mosaïque des boutiques qui déplace l’apparent désordre vers la juxtaposition d’une multiplicité d’offres au cœur de la ville ou d’un « shopping mall » (Andrieu, Badot et Macé, 2004). Cela renoue également avec le fantasme de réunir « sous un même toit » tous les produits du grand marché universel dans l’espace centralisé de l’hypermarché (Grandclément, 2008). Le marché, en jouant sur la multiplicité et la variation, assez naturellement, permet ainsi de réenchanter l’acte marchand. Un tel marché joue aussi spontanément et structurellement sur la multiplication et la variation continues des séries d’objets, grâce au ressort de la mode et de ses collections. Plus largement, la constitution et la présentation harmonieuse des gammes de produits dans le secteur de la distribution jouent sur la séduction des assemblages et des combinaisons, et donc réintroduisent l’excitation curieuse au cœur du processus marchand.
25Comme dans la plupart des jeux en ligne massivement multi-joueurs qui proposent souvent des montures à l’achat, celles de Dofus coûtent relativement cher, ce qui nécessite plusieurs dizaines d’heures de jeu assidu pour s’en payer une avec de l’argent du jeu. Cette situation induit des conséquences socioéconomiques que nous avons pu observer de l’intérieur du jeu, et recouper avec les discours de joueurs ou de concepteurs du jeu :
« L’opulence des équipements, bottes, capes, casques et gantelets, qu’arborent beaucoup de cavaliers ne laisse aucun doute sur le niveau de leurs richesses. Pour se payer de telles armures, les joueurs qui dirigent ces cavaliers se sont le plus souvent intégrés à des « guildes » qui organisent en leur sein des réseaux de dons, de prêts temporaires et de revente de biens à des prix préférentiels. Les déclarations des concepteurs vus en entretiens et le temps passé avec des joueurs dont les personnages sont membres de guildes renforcent ces observations dans le jeu, la progression et l’enrichissement des membres de « guilde » s’en trouvent accélérés » (Synthèse rédigée à l’issue d’observations ethnographiques et d’entretiens).
26Le prix des montures les réservent donc aux joueurs dont les personnages sont suffisamment riches. Dans les faits, ceux-ci sont souvent membres de « guildes », des groupements de joueurs facilités par des interfaces spécifiques de communication et de mises en commun d’objet et de monnaies du jeu. À cette étape de l’analyse, les montures ne sont qu’un marqueur de l’appartenance très probable des riches personnages à une guilde. Mais quelles sont les conséquences d’un délaissement des « modes marchands » par les cavaliers ? On constate en effet que les cavaliers délaissent les modes marchands placés au milieu de leurs routes.
« Les biens convoités par ces riches cavaliers associés dans des guildes sont dès à présent très rares, trop rares pour être fréquemment disponibles auprès de modes marchands. Ces joueurs s’organisent donc autrement pour trouver la perle rare afin de ne pas perdre un temps précieux à ralentir volontairement leur course. Ils consultent, au lieu de cela, des marchés parallèles auxquels il est difficile d’avoir accès sans devenir soi-même membre d’une de leurs “guildes” » (Synthèse rédigée à l’issue d’observations ethnographiques et d’entretiens).
27Une particularité centrale du monde en régime exploratoire est ainsi une cohabitation à l’écran entre des personnages qui se meuvent lentement à pied et d’autres qui sont devenus des cavaliers, capables de traverser l’écran à grande vitesse grâce à l’achat d’une monture11. Il s’agit de deux groupes différents, issus des catégorisations qu’utilisent fréquemment entre eux les joueurs de MMORPG, la monture est en effet un élément de distinction important dans Dofus, comme dans la plupart des MMORPG. L’étude des moyens de locomotion des personnages de Dofus met en lumière l’éclosion d’inégalités structurelles selon le niveau d’expertise dans le jeu.
28Paradoxalement, cette situation n’aboutit pas, comme on pourrait s’y attendre, à un sentiment d’injustice intolérable de la part des joueurs novices vis-à-vis des experts. Peu de frictions ont lieu entre les personnages de ces deux catégories, parce que les interactions entre les deux groupes sont limitées. La forme d’attention au monde (Kessous, 2012) que chacun d’eux développe les engage en réalité dans des univers relationnels distincts ; et c’est en cela que leurs mondes se séparent et que l’inégalité observée n’est pas ressentie comme intolérable par les novices. La disparité attentionnelle se traduit, dans un second temps, par le rattachement des joueurs à deux réseaux de circulations de biens du jeu, relativement distincts. Les novices développent certes un rapport d’envie. Mais ils ne s’offusquent pas parce que la progression dans le jeu est suffisamment bien pensée pour que cet objectif soit à la portée de la majorité des joueurs.
29Une deuxième forme d’inégalité réside dans le fait qu’émerge rapidement une différenciation foncière à l’intérieur de l’espace géographique du jeu, pourtant qualifié de virtuel. Les emplacements pour installer un mode marchand dans des endroits très fréquentés sont vite prisés, car les transactions commerciales y aboutissent beaucoup plus fréquemment. De plus, la demande y étant plus importante, les possibilités de surévaluer le prix pour le joueur offreur sont meilleures. De ce fait, les joueurs expérimentés, incarnant de riches marchands, se sont organisés pour obtenir les meilleurs emplacements de manière systématique et ils se sont mis à préempter l’ensemble des zones les plus passantes pour y faire du commerce. Or, parce que le logiciel de jeu créé par les concepteurs doit garantir l’ergonomie de l’usage ludique, le nombre d’emplacements marchands à l’intérieur d’une même carte de jeu a été limité à huit et aucun marchand ne peut y rester plus de 72 heures d’affilée.
30Pour cette raison, les joueurs novices en sont donc constamment exclus. Parce que ceux-ci n’ont pas conscience de l’importance stratégique de ces emplacements, ils ne parviennent pas à s’organiser pour les obtenir. Un joueur expert nous indique sa pratique de localisation systématisée de son personnage en mode marchand :
« Je me mets à un emplacement précis où je reviens tout le temps. Devant le donjon, devant un donjon que tout le monde fait en boucle. Où il y a du trafic en gros » (Christian, Joueur expert, 24 ans).
31Les vendeurs en mode marchand se concentrent donc progressivement dans les zones fortement fréquentées par de potentiels clients. Taylor (2006) a décrit les problèmes d’ergonomie que cela posait dans le jeu Everquest, il s’agit en substance de ralentissements de l’affichage qui rendent le jeu inutilisable. Si rien n’est fait par les concepteurs du jeu Dofus, l’accroissement incontrôlé du nombre de modes marchands dans certaines zones très fréquentées menaçait là aussi d’altérer la qualité de l’accès au jeu de manière catastrophique et pouvait à terme faire abandonner nombre de joueurs. Les concepteurs de Dofus ont choisi d’y remédier en limitant le nombre de marchands par écran de jeu. Un joueur nous expose les conséquences d’un tel choix :
« Par carte on peut être six ou sept modes marchands. Ce qui fait que, là où sont les THL12, sachant que c’est un endroit qui est très regardé, c’est là où s’il y a une place de libre dans la journée, si tu la prends et que tu mets en vente un objet ridicule, je veux dire un objet qui vaut rien du tout, et bien tu peux le revendre super cher. En fait la personne qui va venir acheter ton objet il n’achète pas ton objet, il achète ton emplacement, comme si on louait une place de parking ». (Antoine., Joueur, 24 ans)
32Ce même joueur décrit la manière dont se regroupent dans le jeu les vendeurs les plus riches et les mieux organisés :
« Il y a des zones de cartes où c’est des « très hauts level », il y a certaines cartes qui sont basées au centre de la carte de Dofus, c’est vers Amakna. Deux cartes sont très ciblées, il y a tous les THL qui passent leur temps de dessus ». (Antoine, Joueur, 24 ans)
33Une dernière source d’inégalité tient à la constitution de réseaux privilégiés de marchands, liés entre eux par le système de carnets de commande. La localisation libre des modes marchands tout au long du jeu a généré des inégalités liées au fait que les meilleures affaires ne s’y trouvaient généralement pas. Elles ont été mises de côté, réservées aux utilisateurs qui disposaient de capital social et économique à l’intérieur du jeu, du fait d’une pratique de carnets de commande. Les vendeurs les plus expérimentés du jeu se sont mis à privilégier des systèmes de carnets de commandes qu’ils organisent le plus souvent à l’écart, sur des Skyblogs externes au jeu, communiquant l’adresse du site, en priorité, aux membres de leurs réseaux sociaux.
34Sur le blog illustré ci-après (cf. figure 4), le marchand expose les objets qu’on peut lui commander via Skype. Il indique en haut de l’écran les zones de chasse dans lesquelles il collecte des matières premières. Les deux monstres principalement chassés sont représentés en dessous avec la mention « ON », ce qui indique qu’il est prêt à les chasser en ce moment si on lui en fait la demande. Les objets en regard de chacun des monstres sont ceux que le marchand est prêt à fabriquer à partir des matériaux collectés sur chacun des monstres. Le marchand indique donc implicitement qu’il est également un artisan expérimenté capable de confectionner des objets très rares, qu’il revendra aux visiteurs, par définition riche et bien informé. Cette logique de commande implique de la part du marchand une logistique des plus rigoureuses pour minimiser le temps de production des objets demandés. La section « objectifs » présente sur cette capture d’écran se retrouve sur plusieurs blogs qui font offices de catalogues de commande. Elle est à la fois un gage de légitimité pour le marchand, qui indique qu’il a presque accompli toutes les quêtes les plus difficiles du jeu et reflète par ailleurs l’extension d’une conduite vidéoludique orientée vers la performance que l’on obtient de manière planifiée.
Figure 4 : Page de commande d’objets du jeu sur le blog du marchand de la guilde Metalo-team

Bilan d’étape
35Tout en étant réceptifs à la focalisation multiple, à la dispersion de l’attention, à la multi-activité, les objets numériques ont ceci de particulier qu’ils suscitent un régime d’excitation exploratoire, caractérisé par le fait qu’il attire l’attention sur la longue durée selon une sorte de fil rouge qui minimise la focalisation du regard et la concentration. Nous avons distingué ce régime et l’ensemble des techniques de design émergent qu’il suscite pour parvenir à maintenir une telle dynamique éminemment friable. Pour cela, nous avons clarifié les rapports à l’incertitude dans l’action.
36Nous avons rendu compte de la pragmatique des évaluations normatives pour identifier les cas d’émergence de la critique au cours d’un usage donné, celui de la confrontation aux modes marchands dans Dofus. La conscience simultanée de la discontinuité du temps et le ménagement d’un certain degré de fragmentation de l’attention semblent mieux à même de décrire l’action équipée de ces objets techniques industriels. Nous avons distingué trois dimensions d’excitations qui ont différents destins critiques : 1) la tolérance pour une forme de désordre maîtrisable, 2) la flânerie et difficulté de maîtrise synoptique, et 3) l’encouragement des passions grâce à des dispositifs qui les suscitent, et qui les domptent. La valorisation de la flânerie, qui apparaît au XIXe siècle au moment de l’avènement de la modernité industrielle, couplait déjà la description d’un régime d’attention particulier à l’identification d’une valeur et d’une fonction critique. Nous avons tenté d’identifier les conséquences sur la coordination et la transformation de la critique de cette démocratisation de la flânerie de la pratique amateur, en insistant sur les inégalités que peuvent générer ces dynamiques.
37Ce chapitre a ainsi souhaité identifier la contribution qu’apporte le numérique à l’extension, à la démocratisation et à la perception des problèmes de coordination liés à ce régime de valorisation normative de l’activité comme enquête et comme expérience curieuse. Plus largement, si l’on croit aux vertus sociales de ces explorations curieuses et à la contribution des équipements qui les accueillent à la réduction de la fracture numérique, il serait malsain que les politiques du numérique continuent à s’orienter, au nom de la sécurité informatique, vers une assimilation de ces agissements exploratoires sur le réseau à des actes délinquants. L’idée qu’il y a un enjeu de bien-être collectif, dans une société de la connaissance, à protéger les digressions curieuses, devrait conduire nos sociétés vers l’encouragement de tels dispositifs, que les jeux vidéo par exemple abritent, et à éviter le plus possible les formes juridiques de pénalisation.
Notes de bas de page
1 Des éléments de ce chapitre ont été publiés dans un article de Réseaux 2013/6 n°182, pp.153-186.
1 Traduction de « design in process ».
2 Massively multiplayer role playing game (MMORPG).
3 Parmi la pluralité de personnages dont le joueur se sert, le « main » désigne le « personnage principal », celui qui est le plus fréquemment joué.
4 La plupart des box des fournisseurs d’accès Internet assignent la même adresse IP à tous les ordinateurs connectés au réseau via la même box. Les box utilisées de cette manière passent en mode routeur et se contentent d’une translation d’adressage réseau. Autrement dit, elles communiquent sur Internet, à l’extérieur du foyer, en utilisant une adresse IP unique, puis redistribuent les données à l’ordinateur destinataire situé dans le foyer au moyen d’un autre système d’adressage local, spécifique au foyer.
5 Le jeu qui commence cette longue série s’appelle Meridian 59 [Archetype Interactive, 1996].
6 De ce point de vue Dofus ressemble à une très grande partie de jeux multi-joueurs.
7 Comme dans beaucoup de MMORPG, une carte plus large de tous les environs est bien disponible, mais on la consulte en se privant momentanément de l’affichage habituel du jeu. Il faut donc sur la carte générale repérer, puis garder en mémoire, les points d’intérêt qui sont éloignés et bien souvent peu nombreux, puisque seuls quelques lieux sont repérés explicitement; aucun monstre n’apparait, aucun emplacement d’objet rare non plus. Il est nécessaire de revenir à une vue et des déplacements de proche en proche, d’une map à la suivante. Une mini-carte est parfois affichée en surbrillance du tableau de jeu pour étendre sa connaissance des géographies aux maps directement adjacentes, mais à nouveau, la vision globale de la région n’est pas accessible simultanément et les décisions de déplacement doivent se faire à partir de la perception des environs.
8 Les éditeurs affirment qu’il s’agit du premier MMORPG à avoir rassemblé 100.000 joueurs abonnés.
9 Les hôtels de vente sont une interface d’échange où les joueurs peuvent accéder à des offres d’objets proposées à l’échelle d’un village du jeu. Ce dispositif centralise donc les offres qui y sont déposées, contrairement aux modes marchands qui listent respectivement les offres d’un seul marchand et les localisent à chaque fois dans un lieu différent du jeu. Les offres des deux systèmes restent toujours indépendantes, un objet ne pouvant pas être proposé simultanément au moyen des deux modes de commercialisation.
10 Un système de vente comparable était présent dans le jeu en ligne Habitat [Lucasfilm games, 1986], qui a fait l’objet d’une description minutieuse par (Morningstar & Farmer, 1994).
11 Les montures sont introduites dans Dofus à partir de 2006, soit deux ans après la commercialisation du jeu.
12 Le « très haut level » ou « THL » désigne les personnages les plus puissants et les plus riches du jeu.
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