1 Pour Alain Bertho, le développement des usages des TNIC a permis l’émergence d’un nouveau répertoire de « mobilisation visuelle » : « C’est en donnant à voir directement en acte en partageant ces images que les ‘‘singularités quelconques’’ rassemblées contribuent à produire la subjectivité commune des mouvements » (2013 : 218).
2 À ces formes de mobilisation qui s’articulent toujours, d’une manière ou d’une autre, au répertoire d’action traditionnel de l’action collective, d’autres propositions émergent, à l’exemple de l’application « 90 jours (pour devenir écolo) » qui aurait été téléchargée plus de 20 000 fois à la veille de la COP21. Cette application invite à réaliser des « défis », c’est-à-dire des actions concrètement réalisables dans la vie quotidienne et permettant par exemple de réduire sa consommation d’énergie. Aux États-Unis, en 2016, ce sont des opposants amérindiens et environnementaux à la construction du Dakota Access Pipeline qui invitent cette fois les internautes à se géolocaliser, via Facebook, dans la réserve de Standing Rock (Dakota du Nord) : « Le département du shérif du comté de Morton utilise les “check-ins” de Facebook pour savoir qui est à Standing Rock afin de les cibler et d’essayer de perturber les groupes de prières. Les protecteurs de l’eau demandent à TOUS de se géolocaliser à Standing Rock, pour les submerger et semer la confusion ».
3 Sans que cela ne se résume uniquement à ces trois modes d’action. En Syrie, Cécile Boëx montre, par exemple, que « le sit-in à domicile (i’tissam manzili), [filmé et diffusé en ligne] est devenu un mode d’action répandu chez les femmes résidant dans les grandes villes, où il est particulièrement risqué de manifester. […] Ce mode d’action emprunte certaines pratiques propres aux manifestations : souvent, la date, et le lieu sont précisés sur un encart et les protagonistes reprennent des mots d’ordre tels que ‘‘Le peuple syrien ne fait qu’un’’, ‘‘Liberté’’, ‘‘Nous ne sommes ni des salafistes ni des infiltrés’’. Sur une vidéo tournée à Damas le 30 mai 2011, par exemple, l’un des slogans est même reproduit à partir d’une photo de manifestation, dont le sit-in se veut une déclinaison » (2013 : 177).
4 De nombreuses campagnes de boycott et de buycott (Clean clothes campaign, etc.) ont eu recours aux ressources apportées par Internet, notamment celles qui ont été conduites contre les entreprises transnationales, sweatshops et autres maquiladoras, aux conditions de travail iniques (non respect des conventions internationales, travail des enfants, très bas salaires, esclavage « moderne », etc.) :Nike, Apple, McDonald, etc. Lors de la campagne de boycott des produits Danone, en 2001, une série de sites Web dédiés ont par exemple été mis en ligne : « jeboycottedanone », « .com », « .net » puis « .org » au fur et à mesure que les noms de domaine étaient contestés en justice (Trautmann, 2004 ; Nyström, Vendramin, 2015).
5 Il est convenu d’attribuer au journaliste du magazine Wired!, Bill Wasik, « l’invention » des flash-mobs. Il fit circuler, en 2003, un courriel invitant les destinataires à se réunir devant un bijoutier puis se disperser, comme pour réaliser une performance artistique. L’idée fut rapidement reprise pour organiser des événements festifs en tout genre.
6 Ces auteurs identifient en fait deux types d’organisation en réseaux. Le premier est constitué des organisations « conventionnelles » qui créent une sorte de « réseau dorsal » (backbone networks) permettant que se développent des mécanismes d’engagement en ligne. Le second décrit les réseaux d’action « en couches » (layered networks) que créent ensuite les individus engagés et qui, eux, sont dédiés à l’organisation concrète de l’action collective.
7 http://zad.nadir.org/spip.php?article4027.
8 En 2015, Avaaz déclare avoir d’ores et déjà mobilisé près de 41 millions de « sympathisants » (i.e. de personnes ayant signé au moins une fois une pétition) répartis dans 194 pays dont les plus représentés seraient le Brésil et la France avec, respectivement, plus de 9 et 4 millions d’inscrits. Avaaz se targue d’avoir monté de nombreuses campagnes ayant eu des issues positives : l’arrêt des bombardements au Yémen par l’Arabie Saoudite, l’effondrement des soutiens à Monsanto à la Commission de l’UE, le retrait de multinationales tirant profit de l’occupation militaire israélienne de la Palestine, la condamnation de généraux guatémaltèques qui avaient utilisées des femmes comme esclaves sexuelles, etc. : https://www.avaaz.org/page/fr/highlights/.
9 http://www.wesign.it.
10 En février 2016, 50 pétitions françaises avaient recueilli plus de 100 000 signatures. On peut également mentionner les sites ipetitions.com, thepetitionsite.com, moveon.org, etc.
11 « Bonjour ! Nous utilisons les cookies pour le fonctionnement de Change.org et pour vous proposer des contenus personnalisés » ; « Passez à l’étape supérieure en parrainant cette pétition sur Change.org pour lui donner plus de visibilité. Votre contribution de 3 € ou plus permettra à des dizaines de citoyens engagés comme vous de découvrir cette pétition et de la conduire vers la victoire. Plus votre contribution sera importante, plus ceux qui verront cette campagne seront nombreux et pourront la signer. Merci de choisir un montant :50 €/La pétition sera montrée à 280 soutiens potentiels ; 10 €/La pétition sera montrée à 56 soutiens potentiels ; 3 € La pétition sera montrée à 16 soutiens potentiels ».
12 https://www.mediapart.fr/journal/france/290216/loi-sur-le-travail-une-mobilisation-jamais-vue-sur-internet?onglet=full.
13 Le slogan de Taranis News est « Liberté, Égalité, Full HD ». Révolution Permanente revendique, pour sa part, en référence au modèle léninien de la presse, être un organisateur collectif numérique. D’autres collectifs se font également une spécialité de documenter les mouvements sociaux :Street Politics, Collectif OEIL, etc.
14 « Les différents outils disponibles pour évaluer le trafic du site montrent que les statistiques du site ont triplé en 4 mois. D’environ 250 000 lecteurs et lectrices mensuels, en janvier et février 2016, Paris-luttes est passé à plus de 760 000 lecteurs et lectrices au mois de mai et juin 2016, un niveau jamais atteint depuis son lancement (en novembre 2013). […] Au début du mouvement, le site affichait environ 5 000 ‘‘like’’ sur Facebook. Fin juin, ce sont près de 12 000 personnes qui sont abonnées à la page, laquelle relaie automatiquement les articles publiés sur le site, sans animation particulière. Mieux, si 2 000 comptes Twitter suivaient le flux de PLI fin mars, ils sont plus de 5 500 aujourd’hui. […] Il est difficile de faire des moyennes du nombre de visites des pages articles sur Paris Luttes Infos, celle-ci variant énormément. Cependant, pour donner un ordre de grandeur, les articles de suivis et retours des journées de grandes mobilisations, généralement les plus consultés, regroupent généralement autour des 30 000 vues » : https://paris-luttes.info/que-change-un-mouvement-social-6359.
15 Certains de ces médias se sont réunis dans le réseau MUTU : « outil d’entraide morale, matérielle et technique pour faciliter l’existence et l’émergence de ces outils d’informations ».
16 Des opérations visant à empêcher la réception de ces médias sont parfois mises en place, comme à Rennes où la fréquence de Radio Croco a été brouillée et la qualité de la 4G sévèrement réduite dans le quartier où se trouvait la Maison du peuple occupée.
17 Quand Gaspard Glanz, co-fondateur de Taranis News, met en ligne une vidéo intitulée « BLESSÉ GRAVE – Manif 26 mai 2016 à Paris », une heure plus tard, celle-ci comptabilise près de 20 000 vues.
18 Les organisations de copwatching documentent les exactions policières et les abus de pouvoir des forces de l’ordre qu’elles publicisent via des sites Web, des blogs, des pages Facebook, etc. Elles font largement appel à des témoignages extérieurs et compilent des récits écrits ou en images de personnes ayant assisté ou ayant été victimes de ces violences. Cf., par exemple, http://copwatch.fr.over-blog.com.
19 En juin 2016, Taranis News lançait, par exemple, une opération de crowdfunding via le service dédié Leetchi : « Soutenez les médias libres et indépendants ! TARANISNEWS est un média gratuit et sans publicité :l’intégralité de nos reportages, de nos déplacements, du matériel et revenus des reporters sont issus de la vente d’images à des agences de presse, ou à d’autres médias. […] Tout ce travail aura été réalisé sans prêt bancaire, sans subventions, sans mécène, sans injection d’argent par des actionnaires extérieurs, sans réduction de TVA similaire aux autres médias ou agences de presse. […] Nos corps et notre matériel sont éprouvés par 4 mois de couverture non-stop des évènements sociaux autour de la #LOITRAVAIL. […] Soutenez les médias libres et indépendants ! Taranis News – https://www.leetchi.com/c/taranis-news ».
20 La diffusion des savoir-faire militants hors structure de formation bénéficie également des potentiels ouverts par l’informatique connectée. La multiplication de tutoriels vidéo en est une des illustrations. YouTube permet ainsi de se renseigner sur la fabrication de fumigènes, la conduite à avoir lors d’une mise en garde à vue ou encore les manières de se protéger des armes qu’utilisent les forces de l’ordre.
21 Cf., par exemple, les streams en direct de la Tim Pool lors d’Occupy Wall Street, ceux des Midia Ninja brésiliens lors des manifestations de São Paulo contre l’augmentation des prix des transports publics, ou encore les reportages en direct « #NuitDebout » de Rémy Buisine, réunissant sur Periscope jusqu’à 80 000 internautes. Le jeune community manager de 25 ans affirme ne pas être militant, mais vouloir simplement contrer la « BFMisation » des médias dominants.
22 Néologisme concaténant les vocables « hack » et « activisme ».
23 La société finlandaise de sécurité informatique F-Secure Corp. rapporte qu’en 2003, plus de 10 000 sites Web ont été graffités par des opposants à la guerre en Irak.
24 En 2009, les Anonymous créent, pour leur part, l’outil LOIC (« Low Orbit Ion Cannon ») qui permet à tout un chacun (même aux n00bs – les nuls en informatique) de participer à une attaque de type DDoS, sans compétences techniques avancées.
25 Chaos Computer Club, Cult of the Dead Cow, L0pht Heavy Industries, LulzSec, Telecomix, The Pirate Bay, etc.
26 Une attaque par déni de service (denial of service attack – DoS) est une attaque informatique menée par un hacker et visant à rendre indisponible un service. Ce type d’offensive peut également être conduit par plusieurs individus, parfois à leur insu. Dans ce dernier cas, ils sont appelés « zombies ». Ces actions DoS collectives sont qualifiées d’« attaques distribuées » (distributed denial of service attack – DDoS). Cf. Aquilina, 2016.
27 Le film est lui-même tiré d’une bande dessinée scénarisée par Alan Moore et dessinée par David Lloyd.
28 L’accord définitif de l’ACTA a été signé en octobre 2011 par huit pays : États-Unis, Australie, Canada, Corée du Sud, Japon, Maroc, Nouvelle-Zélande et Singapour, puis, en janvier 2012 par 22 États membres de l’Union européenne dont la France.
29 Lesquels se structurent autour de threads, i.e. de « fils de discussion » qui thématisent les échanges.
30 Mobilisations où sont notamment apparues d’humoristiques pancartes et banderoles : « Don’t worry, we are from the Internet ».
31 Dès 2007, Anonymous va notamment soutenir les mouvements sociaux qui émergent dans les pays sous régimes autoritaires (Birmanie, Iran, Syrie, etc.), mais aussi les causes portées dans des pays considérés comme démocratiques, mais remettant en cause, souvent par des projets de loi, certaines libertés liées à Internet : Espagne, Italie, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, etc.
32 L’IRC (Internet Relay Chat) est un protocole basique de communication textuelle sur Internet.
33 L’anonymat permet au sujet de mener une action politique sans se rendre visible et donc sans se constituer comme sujet identifiable. Il permet de lever, pour partie, l’injonction à n’engager que des actions légales et « responsables » en libérant le sujet politique des conséquences que peuvent avoir ses actes et ses discours. Julian Assange et WikiLeaks ont par exemple mis en place un dispositif technique, afin de garantir la non-traçabilité de leurs sources. Il est en effet pratiquement impossible de trouver l’identité des personnes qui utilisent les services de WikiLeaks pour y déposer des informations. Ce dispositif permet notamment aux individus d’agir politiquement contre d’éventuelles institutions pour lesquelles ils pourraient par ailleurs travailler (Bodó, 2011 ; de Lagasnerie, 2015).
34 Srnicek et Williams citent à un endroit de leur manifeste, le projet Cybersyn de planification mis en place au Chili sous le gouvernement de Salvador Allende, lequel consistait à faire remonter, via des télex, les informations concernant la production de certaines entreprises de l’industrie nationale, permettant ainsi de tenter une gestion en temps réel au plus près des nécessités économiques du pays (Stafford Beer, 1978).
35 Nous n’évoquons pas ici les théories du post ou trans-humanisme entendu comme condition augmentée de la personne humaine (Bostrom, 2003), ni les écrits sur la figure du cyborg (Haraway, 2007). Le développement considérable des bio et nanotechnologies, ainsi que de la robotique et des intelligences artificielles ouvrira sans doute, dans les années qui viennent, l’espace des usages à de nouveaux artefacts dont les politiques du conflit se saisiront certainement, notamment des milieux dont les intérêts et revendications portent sur les processus de construction/déconstruction des identités.
36 Certains canaux sont également modérés par des Anons qui ont des droits de censure spécifiques.
37 A contrario de cette labilité, il existe des collectifs hacktivistes organisés de manière beaucoup plus verticale, à l’instar par exemple du groupe turque RedHack qui se réclame du marxisme-léninisme.
