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    Plan détaillé Texte intégral Le travail comme travail d’organisation Le travail d’organisation en personne Du point de vue des situations de travail Du point de vue de l’organisation sociale Conclusion : repenser le travail et ses collectifs Auteur

    Quand travailler, c’est s’organiser

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Être « contraint de s’organiser » : la multi-activité, entre situations de travail et formes sociales

    Alexandra Bidet

    Texte intégral Le travail comme travail d’organisation Le travail d’organisation en personne Du point de vue des situations de travail Du point de vue de l’organisation sociale Les formats émergents de communication L’indifférence pratique Le travail d’équipe momentané Conclusion : repenser le travail et ses collectifs Auteur

    Texte intégral

    « Le matin, avant d’ouvrir mon PC et mon téléphone, j’ai élaboré ce que je dois produire dans la semaine. C’est extrêmement basique comme organisation, j’ai énuméré mes tâches, une feuille, j’arrache la feuille, elle est là, et toute la journée je l’ai sous les yeux […] Puis la journée se passe et j’ai forcément pas fait tout ce qu’il y était prévu. Donc le lendemain, je recrée ma feuille de choses à faire avec des priorités qui ont pu évoluer avec le temps. Déjà, ça veut dire que je me suis assigné un objectif indépendamment des mails et du téléphone, je me suis assigné des trucs à faire. Et je remets à jour tous les jours. Quand je pars, il y a des choses que j’ai faites, done, et des choses que je n’ai pas faites. Et à la fin de la journée, tu vas re-gérer tes priorités, par rapport à ces fameux coups de fil et mails. C’est une gestion permanente des priorités que je fais. Je fais une évaluation personnelle des enjeux et des priorités. Je peux me planter en faisant cela. »

    Salarié en SSII (Société de services en ingénierie informatique).

    1Que savons-nous de la contrainte de « s’organiser » au travail ? Le salarié cité en exergue se dit « forcément contraint à s’organiser », car il peut être sollicité à tout instant par un grand nombre de personnes. Il donne une portée générale à sa description :

    « quand tu travailles dans une boutique, je te parle d’une boutique à peu près grosse, et que tu as un peu de responsabilités, en général, tu as un nombre de gens qui sont susceptibles de communiquer avec toi très important. J’avais des gens qui m’écrivaient du monde entier. Donc ce qui t’amène à t’organiser, finalement, c’est le nombre d’interfaces que tu as ».

    2Cette diversification des interfaces est l’objet de stratégies visant à la réduire ou à la cultiver, selon que le salarié y voit une inutile contrainte ou une utile liberté, selon qu’elle favorise ou non ce qu’il éprouve comme son « vrai boulot » (Bidet, 2011a). Dans le premier cas, il peut temporiser ou écarter des sollicitations : « laisser reposer certains mails, tu n’en entendras plus parler » ou « laisser monter la pression, car si c’est essentiel, les gens me rappellent ». Dans le second cas, il peut revendiquer de « s’aérer les neurones », de sortir du « vase clos » en « rencontrant des gens d’environnements différents » : « le mec, il va y trouver un intérêt au-delà de la reconnaissance, par le côté développement personnel », « source d’enrichissement personnel, intellectuel ».

    3Dans les deux cas, comment rendre compte de l’effort pour « s’organiser » ? L’opposition classique entre travail et organisation prépare mal à étudier les formes sociales du travail d’organisation. Une telle étude implique en effet de ne pas se satisfaire de cette dichotomie, qui ramène le travail au salariat. Le « prisme salarial », très répandu en sociologie du travail (Bidet, 2007), saisit le travail depuis l’échange marchand auquel il donne lieu, et où le salarié accepte, en contrepartie d’un salaire, la subordination temporaire à un employeur. Cette subordination, établissant un lien hiérarchique entre ceux qui exécutent le travail et ceux qui l’organisent, tend à opposer, d’un côté, la hiérarchie, les prescripteurs du « poste de travail » et, de l’autre côté, les subordonnés, dits « exécutants ». Ce prisme salarial a longtemps guidé les analyses du travail, en les dissuadant de porter une attention documentée, outillée et précise à l’activité concrète (Borzeix, 2003) – un travail auquel on ne prêtait pas d’intérêt intrinsèque : en économie, le salaire et la consommation sont réputés compenser sa désutilité intrinsèque ; en sociologie, on rabat souvent l’intérêt du travail sur l’acquisition d’un statut social ou d’une reconnaissance, moyennant une peine, un effort, une usure. Au mieux, le salarié peut espérer une marge d’autonomie, mais elle est saisie le plus souvent comme réactive, dirigée contre la hiérarchie et ses prescriptions (Bidet, 2011a). S’organiser, pour les travailleurs, serait avant tout s’opposer : se mobiliser contre.

    4Pour se développer, les recherches sur le travail d’organisation, mais aussi sur l’entreprise (Favereau & al., 2016), ont dû s’affranchir de cette perspective. Revenons donc, d’abord, sur la tradition d’étude du travail d’organisation, et les façons de l’enrichir pour saisir les situations où se généralise le travail d’organisation. Nous suggérons ensuite que ce travail s’inscrit dans différentes formes de gestion collective de la multi-activité, que l’on peut cartographier.

    Le travail comme travail d’organisation

    5La prise de distance à l’égard du prisme salarial, en sociologie du travail, a permis de remettre sur le métier les deux termes : travailler et organiser. Dès les années 1970, des travaux pionniers, comme ceux de Philippe Bernoux ou de Gilbert de Terssac, ne confondent plus travail et salariat. Karl Marx lui-même distinguait la contrainte productive du travail de la contrainte salariale du salariat (Vatin, 2007). Cette distinction permet deux déplacements. D’abord, elle autorise à identifier, dans le travail, à tous les niveaux hiérarchiques, un souci productif, une visée d’efficacité, et non une seule visée polémologique. Car on ne peut pas travailler sans s’approprier, même minimalement, la contrainte productive (Vatin, 2007b). L’activité de travail est ainsi une source de production normative, qui voit chacun « renormaliser son milieu pour vivre » (Schwartz & Durrive, 2009). Auteur en 1981 du Travail à soi, Philippe Bernoux s’est employé en ce sens à dissocier la résistance au travail et l’appropriation du travail : « la résistance est orientée ’contre’ un autre, la hiérarchie, l’organisation, etc., tandis que les comportements d’appropriation ne naissent pas d’une intention explicite de lutter ’contre’, mais d’une volonté de maîtrise de l’outil et de l’environnement » (2015, p. 41). Si conflit il y a, écrit-il, sa racine « est tournée vers soi d’abord » (ibid.).

    6Le déplacement majeur consiste également à thématiser le « travail d’organisation ». Il ne s’agit pas seulement de considérer l’activité des organisateurs ou des encadrants comme un véritable travail : organiser, c’est travailler. Dans la lignée d’Anselm Strauss et de son « articulation work » (Strauss, 1988), il s’agit aussi de prendre pour objet « tout ce qui travaille à structurer l’action » (Terssac, 2002, p. 175) afin de « saisir les solutions singulières et les bricolages organisationnels qu’inventent les acteurs pour résoudre leurs problèmes » (ibid., p. 180). Le travail d’organisation ou d’articulation n’est plus l’apanage des organisateurs en titre : travailler, c’est s’organiser et organiser. L’opposition entre travailler et organiser disparaît : « le travail d’organisation brouille la vision pourtant claire de deux collectifs distincts et séparés selon une logique d’opposition », écrit Gilbert de Terssac, qui regarde l’organisation comme « un lieu d’émergence d’une pluralité d’acteurs et non comme un territoire de collectifs stabilisés dans une logique d’opposition immuable » (Terssac, 2002, p. 207). À la suite de Jean-Daniel Reynaud, Gilbert de Terssac invite à partir plutôt « de la dispersion des intérêts, des préférences et des valeurs » (ibid.).

    7Étudier l’effort pour s’organiser, c’est poursuivre ce programme : repérer dans le travail lui-même la dispersion des intérêts, des préférences et des valeurs, et se demander comment les travailleurs y font face. Mais étudier le travail d’organisation en personne suppose levé un autre obstacle : une fois le prisme salarial écarté, on pourrait s’en tenir au prisme relationnel, si commun en sciences sociales (Piette, 2014). Mais à trop privilégier les relations sur les personnes – c’est-à-dire la production de règles, d’accords, de conventions, d’intercompréhension, etc., on perd la dispersion des intérêts. En économie et en sociologie, les phénomènes de coordination, de coopération et de construction d’une intelligibilité mutuelle ont largement focalisé l’attention : « comment coopérer ? » est la question centrale, avec ses angles morts (Bidet, Boutet & Chave, 2013). Gilbert de Terssac, lui-même, considère que le « travail d’organisation est avant tout un travail de production de règles et un effort pour rendre ces règles communes » (Terssac, 2002, p. 209). Et s’il distingue ces deux dimensions, il les articule aussitôt : « en même temps qu’ils inventent des solutions singulières et efficaces, les acteurs inventent des dispositifs pour régler leur interaction » (p. 204). En somme, il conçoit bien que le travail d’organisation puisse être tourné vers la « structuration » par le salarié de sa propre action, et non seulement de celle des autres, mais ce travail l’intéresse surtout quand il vient « ordonner les interactions avec les autres acteurs qui participent à son action » (Terssac cité par Bruère & Chardeyron, 2013, p. 76). Dans la filiation de la théorie de la « régulation sociale » de Jean-Daniel Reynaud, la question majeure reste donc elle de la « coopération » (Terssac & Lompré, 1994), entendue comme la « négociation » d’une vision commune et d’une identité partagée (Terssac, 2002, p. 191-192). Elle est celle de « la construction de l’organisation » plus que de l’orientation et de l’individuation des personnes. « Développer le travail d’organisation pour transformer l’organisation du travail » titrent en ce sens Sébastien Bruère et Jérôme Chardeyron (2013). Dans la tradition interactionniste, la notion d’articulation, destinée à rendre compte de l’effort pour « coordonner plusieurs perspectives de travail » (Strauss, 1993, p. 87-91), reste en fait associée à la construction d’« arrangements » : d’accords entre des acteurs aux perspectives variées, le plus souvent par négociation ou persuasion. Quand la notion de « multi-activité » apparaît pour caractériser le travail d’organisation requis par cette conjonction de « plusieurs perspectives de travail », donc par l’orientation simultanée, visible ou audible, vers plusieurs activités, le cadre est ainsi celui « l’interaction sociale » : la multi-activité va être décrite comme une « action concertée des participants » (Haddington, Keisanen, Mondada & Nevile, 2014).

    8Or l’expérience de la « dispersion des intérêts, des préférences et des valeurs », dans la multi-activité, ne s’épuise pas plus dans le souci de coopérer (prisme relationnel) que dans celui de s’opposer (prisme salarial). L’expression même d’Anselm Strauss, « working things out », peut désigner plus largement le souci productif, et sa confrontation aux aléas. Tenir compte du souci des travailleurs de produire un effet valable, utile, sur le monde (Bidet & Vatin, 2016), amène alors à s’intéresser à leurs conceptions variées du « vrai boulot ». Un salarié l’exprime ainsi :

    « mon moteur, il est dans le fait de me dire : quelle est ta contribution, à toi, à l’environnement qui t’entoure ? C’est très personnel comme réponse. C’est des enjeux qui me touchent plus que d’autres. Donc, quand j’ai vu cette perspective, avec le Pôle de compétitivité, je me suis dit : y’a peut-être le moyen de travailler plus intelligemment en créant de l’emploi ».

    Le travail d’organisation en personne

    9Gérer ses engagements, sa disponibilité, ses priorités, arbitrer, faire des choix, etc. : le travail d’organisation peut être abordé du point de vue des personnes. Entendons-nous : relativiser la « relation » n’est pas « prôner l’individu ». Albert Piette le souligne : il s’agit plutôt de « s’opposer au “tout relation”, à la relation comme thème de recherche (des rôles, des rapports, des liens) et à la relation comme lecture théorique, réduisant l’individu à des trajectoires, à des interdépendances ou à des saillances situationnelles » (Piette, 2014, p. 20). Un tel pas de côté est en effet « nécessaire pour mieux décrire l’individu en relation » avec son environnement dans son entier (2014, p. 7). La notion de transaction remplace alors celle d’interaction (Bidet, Boutet & Chave, 2013). Les relations étant, de ce point de vue, « d’abord des capacités de l’individu », nous sommes aussi mieux armés pour pister les formes sociales émergentes, en plus de la « destruction de collectifs » ou de « métiers » : on examine ce que deviennent ces capacités, leurs appuis, ce dans quoi elles s’investissent, suivant quelles modalités, etc.

    10On observe aussi les efforts déployés par les personnes pour élaborer, au fil de leurs activités, des orientations qui valent à leurs yeux (Bidet, 2011a). Au travail, ces efforts sont décuplés par la part croissante des « non routine jobs » (Menger, 2010), qui mobilisent le travail humain pour sa plasticité, sa créativité : sa capacité à gérer des aléas et des situations toujours singulières, à passer d’une perspective à une autre, à articuler en situation des engagements ou des préoccupations hétérogènes, etc. La gestion d’aléas n’est plus une tâche périphérique. Les figures convergentes du jongleur (Datchary & Licoppe, 2007), de l’explorateur (Naville, 1963 ; Dodier, 1995 ; Chateauraynaud, 1997 ; Bidet, 2008 ; Auray, 2010), du funambule (Gardella, Le Méner & Mondémé, 2006), de l’équilibriste (Bourgoin, 2015) ou de l’ajusteur (Rot, 2014 ; Rot & Vatin, 2016) témoignent de sa centralité. Un travail protéiforme (Sennett, 2008), déstandardisé (Beck, 2001), expérimental et épistémique (Schön, 1983 ; Knorr-Cetina, 1997) voit se diffuser à tous les niveaux hiérarchiques des traits jusqu’alors associés au travail de cadre (Mintzberg, 2006) ou à la « creative class » (Florida, 2002).

    11L’hétérogénéité croissante du contenu du travail est accrue par sa numérisation. Dans la mesure où les technologies numériques, par nature ubiquitaires (Wacjman & Rose, 2011), équipent aussi bien les espaces et les interactions de travail que les autres espaces de vie des salariés, les lieux de travail, déjà plus variés et plus temporaires (Crague, 2003), sont devenus aussi plus poreux aux sollicitations de collègues ou de tiers, comme à l’irruption de préoccupations personnelles ou familiales. Elles sont d’autant plus aisément ravivées (Amsellem, 2013 ; Le Douarin, 2007 ; Broadbent, 2011 ; Boutet, 2011 ; Licoppe, 2008) que les dispositifs numériques en multiplient les traces objectivées, « “obstinément” présentes » (Lahlou, 2000 ; Datchary & Licoppe, 2007). À rebours de la rationalisation des espaces de travail, qui a historiquement cherché à en exclure toute préoccupation étrangère au travail lui-même, et a initialement bridé l’accès à internet, les technologies numériques équipent désormais presque indifféremment la présence des salariés dans ces différents espaces.

    12Mais comment être, suivant l’expression d’Albert Piette, « ici dans plusieurs activités, ici et ailleurs » ? Il n’est pas de multi-activité possible sans une multi-passivité (Piette, 2013, p. 86). Celle-ci signe notre propension à la « présence-absence », au relâchement attentionnel, à la distraction. Ce trait anthropologique, récent à l’échelle de l’hominisation, a bénéficié de la sécurité offerte par la sédentarisation, et des possibilités de distanciation à l’égard de l’ici-et-maintenant créées par le langage (Piette, 2009). Sans cette « présence-absence », les environnements informationnels complexes, marqués par la diffusion des outils de l’information et de la communication (Ettighoffer, 1998 ; Proulx, 2007), et le passage de « technologies de l’intervention » à des « technologies de la représentation » (Knorr Cetina, 1997), signifierait l’immédiate fragmentation de nos activités : notre attention serait capturée par ces multiples « attracteurs cognitifs », chacun nous attirant vers une activité particulière (Lahlou, 2000). Et « le temps transpercé et discontinu du monde extérieur […] le temps de la distraction, de l’inopiné, de la simultanéité et de la non-coïncidence » s’opposerait à toute continuité de l’expérience :

    « J’essaye de me reconstituer, de me rassembler. De reprendre un fil […] Douleur quand me fait défaut un minimum de…continuité intérieure ? L’idée d’une vie entièrement dépensée, active, je me la représente trop bien : c’est très souvent ce à quoi je m’adonne, dans une vibration continue d’énergie, de vigilance ; puis vient un moment où elle me fait horreur. La continuité que je désire alors, il me semble que c’est peu de chose. […] Je vise à échapper à un style de vie qui ne permettrait qu’une suite d’instants : tâches, interruptions – ou le vide de l’attente entre des tâches trop harassantes ou préoccupantes pour laisser place à autre chose qu’elles, fût-ce quand elles s’interrompent » (Pachet, 1999, p. 89-90). 

    13Il faut un effort pour tramer multi-activité et multi-passivité. La question de la multi-activité est ainsi double : elle implique à la fois la généralisation du travail d’organisation et son déplacement vers un travail sur soi. Y répondre, c’est donc étudier le travail d’organisation en personne. Si un travail plus hétérogène et plus diffus enjoint à s’organiser, comment chacun fait-il avec les préoccupations et les horizons hétérogènes et concurrents qui habitent son travail ? Comment tente-t-il de les articuler ? La nécessité de construire une cohérence, des « lignes d’intérêt actives » (Bidet, 2011b), nourrit ce que nous appelons un « travail sur soi » (Bidet & Boutet, 2013). Il ne s’agit pas seulement de soutenir des « débats de normes » (Schwartz & Durrive, 2009), d’arbitrer entre des critères hétérogènes, de négocier avec une pluralité d’« instances normatives » (Dodier, 1995), ou de fabriquer des règles de « métier » ou de « genre professionnel » (Clot, 1999). Il s’agit aussi, pour chacun, de structurer dans le temps et dans l’espace sa propre action, sa présence et sa disponibilité, afin qu’« une grappe d’activités différentes reste pertinente dans son ensemble » (Datchary & Licoppe, 2007, p. 21) et que s’y dessinent des orientations significatives, sinon un « vrai boulot » (Bidet, 2011a). Jean François Billeter a décrit remarquablement la passivité inhérente à cette « formation d’un intérêt », dans « ces moments délicieux de suspension, d’attente distraite, d’attention à rien – (qui) sont le départ de tout ». Mais attendre que reprenne ce « processus d’intégration », où « le travail se fait », ne signifie pas que ce processus ne doive pas être soutenu, ni relié à l’entretien de notre puissance d’agir :

    « C’est une nécessité pour l’être humain de laisser s’accomplir en lui de nombreux processus d’intégration et de les seconder parfois par un véritable travail. C’est une nécessité pratique, mais c’est aussi par là qu’accroissant sans cesse sa puissance d’agir, il atteint la pleine jouissance de lui-même » (2012, p. 102, 101, 107).

    14Ce travail d’organisation peut passer par un aménagement du milieu de travail pour limiter sa porosité et les sollicitations pouvant y surgir :

    « Quand je m’installe au café le matin, je sais que je ne serai pas dérangé. Je pourrai suivre le développement de mes idées ou me laisser dériver en écoutant distraitement les conversations, laissant mes pensées libres se rappeler à mon attention quand elles le voudront. Travailler au café m’aide aussi à me tenir tranquille. Chez moi, je m’agite, je me lève pour déambuler, ce que je ne puis faire en public. Cette contrainte m’est favorable, elle m’empêche de me dissiper, elle me permet de garder plus facilement le cap. À la maison, je suis entouré de livres, de notes, de travaux qui attendent, de lettres auxquelles je dois répondre, etc., de sorte que je suis sans cesse tenté de sauter d’une chose à une autre. […] Ce qui m’importe, quand je m’installe ainsi, c’est de me sentir dégagé de toute obligation, même de celles qui viennent de moi. Dans cet endroit où je ne possède rien, mais dont je prends discrètement possession en disposant à ma guise les quelques objets que j’admets sur ma table, je renoue avec moi-même » (Jean-François Billeter, 2012, p. 7)

    15L’usage de l’expression « travail sur soi » indique que s’organiser, c’est aussi se décentrer – moduler sa présence, sa disponibilité et, potentiellement, s’individuer – s’orienter autrement dans ses propres possibles (Bidet & Macé, 2011). Le travail appellerait donc aujourd’hui plus fortement à « l’existence individuelle ». Si la multi-activité pose la question de la consistance de la personne, eu égard aux attentes et aux règles de civilité (Thévenot, 2011), elle pose aussi la question de sa production. On becoming an Individual in an Age of Distraction, interroge en ce sens Matthew B. Crawford dans son livre éponyme (2015). Retenons, du moins, que l’effort pour s’organiser pose, au-delà du prisme relationnel, la question de l’individuation (Simondon, 1989). Il conduit à s’intéresser à ce que les personnes ne partagent pas, à ce qui leur est singulier. Il amène, par ailleurs, à diversifier les formes de coexistence étudiées, qui ne sont pas toutes conflit, « disputes », délibérations ou négociations. Car les façons de faire singulières peuvent aussi s’ignorer, s’enrichir ou se relancer l’une l’autre, de même que le téléphone portable offrirait « de l’expansion à l’intimité en lui donnant le moyen de se connecter à tout instant à d’autres espaces intimes » (Pachet, 1999, p. 65-66).

    16Comparativement, l’approche dominante, en psychologie cognitive notamment, est pauvre. Centrée sur l’individu et sa vigilance attentionnelle, elle néglige autant le processus d’individuation que les écologies du travail. La multiplication récente de travaux sur l’attention (Citton, 2014 ; Kessous, 2012 ; Crary, 1999, 2014) privilégie également un angle resserré, celui du versant économique de cette ressource, considérée comme rare ou exploitée. Nous développons dans ce livre une focale plus large, allant de la question du travail, du soin qui lui est apporté, aux formes sociales qui s’y élaborent. Car si la portée éthique et politique du travail, comme son intérêt intrinsèque, sont de plus en plus fréquemment soulignés (Clot, 2010 ; Crawford, 2010, 2015 ; Sennett, 2008 ; Zweig, 2014), peu de travaux documentent encore les formes concrètes de multi-activité et multi-passivité à travers lesquelles des orientations qui valent sont élaborées, individuellement et collectivement.

    17À partir de nos travaux empiriques personnels, et de ceux rassemblés dans cet ouvrage, nous allons proposer une cartographie de ces formes sociales en articulant les focales individuelle, situationnelle et organisationnelle.

    Du point de vue des situations de travail

    « Au fil de ces mêmes journées d’automne 1998 où j’essaie de me présenter au rendez-vous de ces pages sur la dispersion, j’ai en tête bien d’autres textes en attente, ébauchés, ou totalement virtuels. Sans cesse danse ainsi devant mes yeux une liste de choses-à-écrire, une liste qui fluctue souvent et que j’ai plaisir à tenir à jour sur mon cahier de bord, pour fixer et calmer l’inquiétude, pour avoir de temps en temps le plaisir de rayer ce qui a été fait, rendu inutile ou abandonné. En ce moment par exemple :

    exposé sur le mensonge selon Kant et Benjamin Constant

    conférence de Rodez sur la colère

    compte-rendu du journal de Mihail Sébastien, pour la Quinzaine

    article éventuel sur Le Livre des Mémoires, de Péter Nadas, pour la NRF

    et encore, à une échéance un peu plus lointaine (mais guère plus), un article pour la revue de Marie Moscovici, sur « l’idée de meurtre », article qui m’attire sans que je vois comment entrer dedans et pour quoi faire.

    Ces cinq textes en suspens (j’en oublie sans doute), il me faut à la fois les maintenir actifs, possibles, et les écarter un peu pour laisser place à ce que je suis en train d’écrire ici, et qui est heureusement fort différent. Ici, dans ces pages-ci, je veux parler de la dispersion à laquelle je m’adonne ; là, dans ces divers projets que je viens d’évoquer, je veux profiter de cette dispersion (qui est dans les choses) pour m’adonner à des tâches différentes les unes des autres »

    (Pierre Pachet, L’œuvre des jours, 1999, p. 77 ; 24).

    18Dans ce passage, l’écrivain Pierre Pachet indique comment il s’approprie l’hétérogénéité de son travail d’écriture, cette multiplicité « présente dans les choses » : il la circonscrit en créant et en révisant fréquemment une liste. La « discontinuité des jours » l’aide aussi à séparer « les intérêts et les travaux les uns des autres ». Le risque d’une activité fragmentée fait alors place à une multiplicité appréciée positivement : il dit « profiter de cette dispersion ». La liste lui permet de tenir à distance les projets suspendus, ou en instance de réalisation, tout en les maintenant « actifs, possibles ». La liste, comme le tableau, ou les multiples fenêtres ouvertes simultanément sur un ordinateur, crée en effet une commensurabilité (Goody, 1979) : elle rend commensurables des projets hétérogènes, qui deviennent ainsi hiérarchisables. Selon le mot d’un salarié, la liste « aide à hiérarchiser ».

    19Dans certaines situations, l’urgence interdit toutefois de s’appuyer sur une liste ou sur la « discontinuité des jours » pour séparer les activités : « tu ne peux pas dire aujourd’hui je fais cela, demain je fais cela. Tout peut se mélanger dans la même heure, c’est très très imbriqué […] On est tout le temps entrecoupé, ça peut être tout et n’importe quoi », confie la salariée d’une SSII. Identifier des activités distinctes dans le flot des sollicitations, informations, faits et gestes, est alors la condition pour s’orienter : ne pas avoir l’impression d’être emporté par un flot, sans pouvoir rapporter son activité à des effets utiles. Cette salariée, pour s’organiser malgré tout, va ainsi « tout noter » dans deux cahiers parallèles : un agenda et un cahier à proprement parler. Ils lui permettent de distinguer deux temporalités, qu’ils rendent à la fois distinctes et commensurables :

    « J’ai un agenda où je note plein de petites choses, tout ce que j’ai à faire, je fais des petites retouches, je colle, je raye, et puis après j’ai un cahier aussi. L’agenda, c’est tout ce qui est choses sur le long terme, où je peux m’organiser comme je veux, et après j’ai mon petit cahier des urgences, où je note tout ce qu’il faut gérer en urgence dans la journée […] C’est en fonction des appels. Des fois, on n’arrive pas à faire tout en même temps, donc il faut bien lister les uns après les autres, donc quotidiennement, j’ai ce cahier là, et j’essaye de faire en sorte que les choses de la veille ne débordent pas le lendemain, sinon on s’en sort pas ».

    20Le risque d’une fragmentation de l’activité n’est jamais levé, sauf par la perspective d’un « rythme à prendre » :

    « C’est difficile d’arriver à travailler une heure d’affilée sur un projet, c’est cela qui est difficile, car on a le sentiment à la fin de la journée qu’on a été interrompu en permanence, donc de ne pas avoir fait grand chose, d’avoir perdu son temps à avoir répondu au téléphone, et pas réussi à faire vraiment ce qu’on s’était programmé. Donc, quelque part, c’est un peu frustrant et déroutant en termes d’organisation, mais c’est un rythme à prendre. […] C’est une gymnastique assez particulière et difficile. […] J’ai une collègue qui est là depuis cinq ans et qui le fait […] Mais on préfère toujours quelque chose qu’on peut arriver à gérer dans le temps à des urgences qui varient comme ça à tout va ».

    21S’assurer un minimum de contrôle sur son propre travail n’est donc pas simplement répondre aux vélléités de contrôle de sa hiérarchie (prisme salarial) ni s’assurer une intercompréhension entre pairs (prisme relationnel). Il ne s’agit pas non plus de gérer au coup par coup des aléas, mais d’éprouver, dans le temps, la continuité d’un travail « qui compte » : de moments de « vrai boulot » où l’on a l’impression d’avoir « fait quelque chose ».

    22Une autre façon de faire face à l’hétérogénéité de son activité consiste, dans le travail sur ordinateur, à iconiser, sous forme d’onglets, les fenêtres représentant les autres projets ou engagements concurrents. Leur présence, d’insistante, se fait alors discrète. Ce salarié d’une SSII l’illustre :

    « Je me dis souvent : tu fais du multi-fenêtres. Tu es devant ton PC, tu vois bien ce qui est en relation avec le Pôle, avec l’un, avec l’autre… Elles n’ont rien à voir entre elles, mais elles sont bien là. Ce qui est ouvert sur mon écran, que je peux rappeler par des onglets, c’est souvent des choses différentes ».

    23On retrouve ici la même double opération : créer de la commensurabilité (une suite d’onglets coprésents) et séparer (les fenêtres iconisées doivent être « rappelées » pour être de nouveau présentes). L’appréciation positive, formulée en référence au jeu, traduit l’aisance d’une habitude prise (Breviglieri, 2004). De même que le machiniste-receveur étudié par Isaac Joseph parvient à articuler ses trois rôles hétérogènes en restant toujours « en bordure de cadre » (Joseph, 1992), de même l’hétérogénéité de l’activité, une fois mise à distance par l’iconisation, perd son caractère menaçant ou irritant : « si à un moment je regarde mon écran, je peux dire clairement c’est l’une ou l’autre, mais il y a rarement qu’une seule chose ; c’est un jeu presque, je m’y suis habitué ».

    24À travers ces exemples, trois notions prennent une importance particulière :

    • la préoccupation : les personnes savent qu’elles vont être interrompues ou amenées à réactiver d’autres engagements « bien différents ». La préoccupation peut aller de la simple expectative (Licoppe, 2009) à l’exploration poussée de l’environnement (Bidet, 2011b ; Chave). Mais elle contraint toujours à s’organiser, souvent en déposant cette préoccupation dans l’environnement de travail pour s’en défaire momentanément, tout en la gardant à portée, active ou réactivable. Ainsi, l’unité de la « grappe d’activités » est préservée.
    • l’anticipation : les personnes anticipent l’hétérogénéité de leur propre activité, mais aussi souvent de celle des autres. Elles peuvent voir le cœur de leur travail dans la survenue inopinée d’évènements de communication (Licoppe & Tuncer), et dans le fait de devoir « répondre à tout moment » et même, dans certaines circonstances, « à tout » :

    « Moi je n’ai jamais refusé un coup de fil […] Quand tu as un réseau dense, ce n’est pas un appel que tu as pas jour. Donc on prend sur soi, parce que sinon, la prochaine fois que j’appelle, le mec va m’envoyer bouler » ;

    « On peut pas séquencer, parce que quand tu es dans le relationnel, tu peux pas dire à quelqu’un ben je le prends pas au téléphone, je le contacte pas aujourd’hui parce que je m’occupe d’autre chose […] Y’a personne qui peut dire : j’ai essayé de joindre Bernard, je n’ai pas réussi à le joindre, il m’a pas répondu. Quand on anime des réseaux, ou quand on fait partie de réseaux, il faut…[…] Moi je ne travaille que dans la communication » ;

    « Dans un grand groupe, on a une mission, on a une mission et on s’y cantonne, c’est très cloisonné. Quand on arrive dans une PME, on a les grandes lignes de ce qu’on va faire, mais dès le départ, le discours c’est de dire, et c’est normal, qu’il faut pouvoir répondre à n’importe quelle demande à partir du moment où on a un coup de bourre sur tel ou tel poste ».

    25Symétriquement, les personnes anticipent aisément la multiplicité des sollicitations auxquelles les autres sont soumis, et la difficulté de les solliciter au pied levé sans risquer de fragmenter leur activité. Il s’agit alors de prévenir cette fragmentation en cherchant à structurer en amont cette activité :

    « Dans une PME, les gens sont surbookés en permanence. Donc tu peux pas les faire travailler par à-coups, il faut qu’ils fassent un choix, et si tu n’es pas capable d’imposer ton choix, ou de faire en sorte que le choix soit difficilement contournable, tu n’arrives pas à faire avancer ton projet ».

    26Faute de pouvoir s’inviter de façon impromptue dans l’activité des autres (Foli & Gaglio), on cherche à s’y inviter de façon plus structurelle. Anticiper, cela peut être aussi tenter de ne pas nourrir la fragmentation d’une activité déjà hétérogène. Cette anticipation se lit dans l’écriture des mails (Atifi, Gauducheau & Marcoccia) ; elle nourrit aussi de nouveaux genres communicationnels, comme la « question rapide » dans la messagerie instantanée d’entreprise (Licoppe, Cudicio & Proulx, 2011, 2010).

    • la prise de relais : les personnes savent qu’elles sont susceptibles de prendre en charge les activités de collègues, de venir « en renfort », mais aussi d’être relayées par eux. Cette prise de relais va du travail d’équipe (Datchary, 2011) à des écologies de travail qui organisent la disponibilité, comme dans l’exemple de Médiapart (Carnet & Datchary, 2012) ou de cette entreprise de SSII :

    « On est dans une dynamique, entre guillemets, d’entraide, c’est les vases communicants. Quand il y en a une qui n’en peut plus, on essaie de voir si on peut déborder sur l’autre pour arriver à faire ce qu’on a à faire. […] En fait, quand les appels arrivent, ça arrive sur mon poste ou celui de ma collègue, et si on arrive pas à répondre parce qu’on est déjà en ligne, ça bascule sur les postes de l’ensemble de nos collègues ».

    27Prévenir la fragmentation de son activité se suffit parfois d’une improvisation en situation. On peut ainsi répondre à une sommation en jonglant entre plusieurs cours d’action ou foyers d’attention concurrents. L’effort pour les rendre mutuellement compatibles, commensurables, produit alors des « épisodes de multi-activité » (Licoppe & Tuncer) : des torsions corporelles (Schegloff, 1998 ; Datchary, 2011), des tactiques singulières, des manières de se montrer explicitement en multi-activité, à travers des instructions (Relieu & Licoppe, 2011), des gestes de mise en suspens (Tuncer, 2012), ou des façons de thématiser sa « surcharge » ou son « débordement » (Foli & Gaglio). Cette capacité à improviser peut bien sûr se retourner contre les personnes, comme quand les dispositifs de communication par SMS des agences d’intérim renforcent la fragmentation de l’activité des intérimaires en les plaçant en porte-à-faux entre leur engagement présent et de potentiels futurs contrats (Rosini, 2012). Elle amène surtout à examiner les outils susceptibles de l’équiper. Les travaux menés sur le « social software » (Zouinar, Salembier & Darcy, 2010 ; Salembier & Zouinar, 2013) montrent l’intérêt porté aux fonctions permettant de diffuser des messages à plusieurs destinataires en parallèle, ou d’occuper successivement des positions différentes dans les interactions (interlocuteur principal ratifié, interlocuteurs secondaires ratifiés, participants périphériques identifiés), plus qu’à l’hypothétique clarification qu’introduirait un cadre rigide et univoque (éviter les interruptions, etc.). De même, le développement d’une transcription détaillée et multimodale de séquences de suivi d’instruction GPS en voiture pendant des déplacements souligne le caractère collaboratif, polyphonique et distribué de cette activité (Relieu & Nobre, 2011) ; l’analyse du guidage par téléphone mobile (Relieu & Morel, 2011a, 2011b), ou des conversations visiophoniques (Relieu, 2011), montre l’entrelacement de l’organisation des interactions à distance et de celles en coprésence. D’une façon générale, les situations où l’improvisation est le principal mode de gestion de la multi-activité supposent des contextes de coprésence, où les interactions sont suffisamment fréquentes pour que les personnes puissent procéder par ajustements successifs, ou même permanents, dans un espace partagé (matériel ou en ligne), au sein d’un travail d’équipe, ou dans cette forme interactionnelle qu’est la « visite visiophonique » (Relieu, 2011). La possibilité de mettre en saillance cette multi-activité constitue aussi une véritable ressource pour la gérer, à travers une improvisation qui n’est que rarement strictement individuelle.

    28Le paysage apparaît ainsi plus riche et complexe que celui associé classiquement à la notion de « multitasking » (Gonzales & Mark, 2004 ; Kenyon, 2008 ; Oliveira, 2009 ; Stephens & Davis, 2009). Mais la critique de l’individualisme des positions psychologiques et cognitivistes ne conduit pas seulement à affirmer l’importance du contexte ; elle permet aussi de dessiner les linéaments d’un nouveau modèle. D’abord, la multi-activité n’est pas seulement une contrainte, nous l’avons vu, mais une manière de répondre aux contingences et à l’hétérogénéité de son activité en y tramant une continuité : un travail d’organisation en personne. Ainsi, on peut observer la pertinence simultanée de plusieurs cours d’activité, engagements ou projets. Dans les environnements où cette expérience se répand, jusqu’à devenir un trait typique du travail, les réponses qu’elle suscite ne se limitent pas à l’improvisation située et individuelle d’une réponse. L’importance des notions de préoccupation, d’anticipation et de prise de relais suggère déjà que ce travail d’organisation transcende toute situation particulière ; il tend précisément à construire une continuité entre des espaces-temps différents.

    29Passer au point de vue organisationnel n’est donc pas juxtaposer une autre échelle, mais enrichir la description en portant attention au développement de normes, d’outils et de dispositifs ajustés à la gestion de la multi-activité. En les étudiant, on peut distinguer trois formes de gestion collective de la multi-activité.

    Du point de vue de l’organisation sociale

    30En esquissant une cartographie, nous ne cherchons pas ici à épuiser les formes de gestion de la multi-activité, mais à mieux cerner la tendance, au sein des organisations où l’expérience de la multi-activité se généralise, à une prise en charge à la fois individuelle et collective de sa gestion. Trois formes sociales émergentes en témoignent. Elles se différencient selon deux variables, qui développent et généralisent les dimensions de préoccupation, d’anticipation et de prise de relais repérées en situation. La première variable correspond au caractère plus ou moins individuel (préoccupation) ou collectif (prise de relais) du travail ; la deuxième, au caractère plus ou moins institué (anticipation) ou improvisé des appuis moblisés par le salarié. Croiser ces deux variables dessine trois configurations, selon que le travail d’organisation s’appuie principalement sur des formats de communication émergents, sur une norme d’indifférence pratique, ou sur un travail d’équipe momentané. Dans le premier cas, des formats de communication dédiés à la multi-activité, souvent de courts écrits, permettent d’homogénéiser et de hiérarchiser les sollicitations ou engagements hétérogènes. Dans le deuxième cas, l’émergence non concertée d’un cloisonnement et d’une différenciation des activités permet de limiter les interactions directes, sources de fragmentation de l’activité, et d’alléger le travail mémoriel. Dans le troisième cas, une mise en équivalence momentanée des rôles et des fonctions de chacun crée une situation d’entraide généralisée et improvisée.

    31Le schéma ci-dessous présente ces trois formes ou normes sociales. Elles relèvent d’une gestion collective de la multi-activité car elles s’écartent d’une quatrième configuration, où l’habileté technique individuelle et l’improvisation sont les seules ressources à disposition du travailleur pour prévenir la fragmentation de son activité.

     

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    Les formats émergents de communication

    32Le développement de la communication à distance joue un rôle important dans l’essor de la multi-activité au travail. En accroissant l’incertitude quant au moment où l’on sera interrompu, il favorise une figure individuelle où l’effort pour s’organiser traite l’incertitude sur le mode de la préoccupation. Cela atténue l’arbitraire de l’interruption : quoique toujours interrompu, on s’y attend plus ou moins. Mais il faut se placer du point de vue de celui qui sollicite ou interrompt pour repérer une gestion de la multi-activité qui, quoique individuelle dans sa mise en œuvre, procède de la construction d’appuis collectifs. Dans les contextes où les TIC sont implantés depuis longtemps et intégrés aux routines professionnelles, de nouvelles normes de communication s’observent en effet dans nos manières de nous adresser aux autres et de formuler nos messages. Elles procèdent de l’exploration et la stabilisation de nouveaux formats de communication, qui soutiennent la gestion individuelle de la multi-activité.

    33Ces manières de communiquer, émergentes mais déjà conventionnelles, manifestent le souci d’anticiper la probable surcharge de collègues ou de tiers. Dans des contextes où l’on n’a pas une grande visibilité sur ce qu’ils font, ni les ressources de la coprésence physique, ni des interactions suffisamment suivies pour un apprentissage mutuel (prisme relationnel), le risque est toujours de déranger, de tomber au pire moment. S’observent ainsi de nouvelles façons de solliciter autrui, où l’anticipation tient un rôle central. L’étude des courriers électroniques montre que l’anticipation de la possible surcharge du destinataire amène les salariés à développer un tact tout particulier, consistant à être à la fois civil et laconique, poli tout en allant à l’essentiel. Ainsi espèrent-ils maximiser leurs chances d’être lus et considérés (Atifi, Gauducheau & Marcoccia ; Lewkowicz, & Laflaquière). La tolérance à la surcharge des autres se traduit par l’anticipation de leur possible multi-activité (dite contextuelle, inférée ou anticipée). Cette intégration de la multi-activité peut se lire comme l’approfondissement des normes interactionnelles : elle assure le maintien de la capacité à se mettre à la place d’autrui, donc de la réciprocité des perspectives.

    34Une telle anticipation se retrouve dans les usages de la messagerie instantanée au sein d’interactions de bureau à distance. Ainsi s’observe un nouveau format : la « question rapide » (Licoppe, Cudicio & Proulx, 2010, 2011). Façonnée afin de minimiser les coûts et les efforts auxquels le destinataire doit consentir pour y répondre, la « question rapide » présente l’information sollicitée sans détours, sous la forme minimale d’un acquiescement (ou d’un refus), d’un nom de contact, ou de lieu, etc., tout en ratifiant une forme de civilité et de reconnaissance entre des collègues distants, pris dans un « état de parole ouvert » (Joseph, 1994) au sein d’une organisation éclatée et distribuée. De même, certaines notifications deviennent de discrètes indications de statut, permettant d’anticiper les disponibilités et indisponibilités d’autrui. Ces formats émergents, dans lesquels se coulent les interactions avec les autres, supposent donc, pour soutenir la multi-activité, du tact et de l’anticipation.

    35Ils impliquent aussi des outils, le plus souvent des inscriptions courtes : de « courts écrits » (mails, objets de mail, statuts, notifications, questions rapides, tableaux de famille) œuvrent à la continuité de l’expérience en permettant de hiérarchiser, de trier, d’évaluer les priorités. Là réside l’efficacité d’un format. En autorisant à mettre en série des choses hétérogènes, il les rend commensurables, et permet de les traiter par des routines unifiées.

    36Cette configuration se distingue radicalement de la suivante, qui ne cherche pas à préserver une relative réciprocité des perspectives entre collègues ou participants.

    L’indifférence pratique

    37Dans les études menées sur la multi-activité, on distingue en effet des situations où les activités de collègues ou de tiers, bien que partageant le même espace de travail, sont trop étrangères ou changeantes pour être anticipables. Dans ces situations souvent marquées par l’urgence, partager les perspectives (entre cultures techniques ou professionnelles, ou bien entre professionnels et profanes) serait si coûteux que se développe plutôt une norme d’indifférence pratique. La notion est adaptée de « l’inattention civile » thématisée par Erving Goffman dans son analyse des relations entre passants en ville (1973, 2013). Cette deuxième forme de gestion collective de la multi-activité implique en effet une tolérance à l’inattention des autres. La norme d’indifférence pratique consiste à tolérer l’inattention d’autrui et à lui faire simultanément confiance pour tenir son rôle : dans ces situations, on ne se préoccupe pas de ce que font les autres, même si on dépend entièrement de leur activité. Cette indifférence pratique peut s’entendre comme le « just passing » d’Erving Goffman (1994), désignant la forme de disponibilité particulière à l’espace public urbain : son ouverture libère de tout engagement avec autrui qui pourrait entraver l’action ou la flânerie. La distribution de l’inattention permet alors la collaboration fluide d’acteurs qui se comprennent mal, en vue d’un objectif commun, quoique flou ou « fuyant » (Engeström, 2007). Tout se passe en effet comme si chacun avait besoin de l’inattention des autres à son activité pour ne pas trop la fragmenter (Bidet, 2011a ; Chave).

    38La multi-activité est donc gérée collectivement par une répartition des préoccupations, qui suppose que les salariés, bien qu’ils se côtoient, et que leurs activités soient interdépendantes, dérogent à l’idéal ordinaire de rapprochement des perspectives ou d’intelligibilité mutuelle (Salembier & Zouinar, 2004). Les outils associés sont ceux de la logique de cas (affaires, nœuds, problèmes) : fiches de suivi et dossiers, outils dits de « workflow » ou de planning, permettent de limiter les interactions directes avec les autres (sources potentielles de fragmentation de sa propre activité) et d’alléger le travail mémoriel de chacun. Ainsi, peut se déployer un cloisonnement et une différenciation des activités, dans une asymétrie des perspectives. Mais ils sont émergents : ils ne procèdent ni d’une division du travail opérée en amont (ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas, au contraire), ni d’un pilotage des uns par les autres, ni d’un cloisonnement concerté (Boutet, 2011). La communication passe plutôt, comme nous l’avons observé (Bidet & Chave, 2015 ; Bidet, Boutet & Chave, 2013 ; Boutet, 2011 ; Chave), par un entrelacement minimal des rythmes de chacun. On trouve ainsi fréquemment cette gestion de la multi-activité dans les environnements aux rythmes structurellement hétérogènes.

    39Plus largement, cette norme se développe dans des contextes institutionnels où les rôles de chacun sont clairement définis, même si elle ne se réduit pas au respect des procédures ou de la hiérarchie – d’autant que l’indifférence pratique s’étend aussi dans une certaine mesure aux tiers accompagnants, par exemple dans les services d’urgence (Chave). Cette dimension distingue nettement ces configurations de gestion de la multi-activité des suivantes, où nous allons voir que le travail s’émancipe au contraire d’une stricte division des rôles.

    Le travail d’équipe momentané

    40Une troisième forme de gestion collective de la multi-activité s’observe dans des contextes où le travail ne suit pas une stricte spécialisation fonctionnelle, tout en restant tourné vers la maîtrise des aléas. La gestion alors collective du débordement suppose une tolérance nouvelle à la distraction des autres : dans ces espaces de travail, plus délimités et où la co-présence est plus nette entre les personnes, la multi-activité est volontiers thématisée comme faisant partie du travail. Dans des domaines tels que l’événementiel, le trading, la communication d’entreprise ou le journalisme, chacun a un rôle et une fonction, mais dans un contexte de distribution forte de l’activité (Quéré, 2006) : le travail d’équipe suppose des échanges fréquents, et chacun est soumis à des moments de débordement auxquels il ne peut faire face sans le renfort des autres, ce qui implique écoute et polyvalence.

    41La communication, et la réciprocité des perspectives qu’elle nécessite, tiennent donc ici, comme dans le premier cas, un rôle important. Toutefois, c’est plus la conversation ouverte et continuée au quotidien, que la formulation des messages et des sollicitations, qui permet à chacun d’être attentif aux moments de surcharge des autres. La disposition en « open space », avec son « état de parole ouvert » (Joseph, 1994), permet de se faire une idée de leur activité du moment, et de leur venir en renfort dans les moments récurrents de surcharge – notamment avant chaque deadline. Les échanges apparaissent donc moins régulés par une compétence à ne pas trop solliciter – qui préside comme nous l’avons vu à la création de formats spécifiques et à la norme d’indifférence pratique – que par l’« écoute », qui permet d’intervenir au bon moment.

    42Si l’on retrouve ici des logiques de suivi de cas, le principal outil pour apprécier le risque de débordement et l’aide requise est la deadline, qu’il s’agisse de la date de l’événement dans le cadre d’une agence d’évènementiel, de l’envoi de l’ordre de vente ou d’achat pour le trader ou de l’article pour le journaliste (Datchary, 2011a, 2011b). Ainsi, la deadline crée, lors des « coups de bourre », une situation d’entraide généralisée et improvisée où les tâches à faire sont prises en charge indistinctement par tous, dans une interchangeabilité transitoire des rôles et des fonctions. Le carnet d’adresse est un outil complémentaire, car l’équipe de travail peut comprendre des intervenants éloignés, changeant à chaque nouveau projet.

    43Nous présentons ci-dessous une vue synthétique des outils typiques et des compétences associés à chacune des trois formes de gestion collective de la multi-activité décrites plus haut.

     

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    44Chaque configuration se marque aussi par une tolérance à l’égard de l’attente ordinaire de focalisation et d’engagement plein et entier dans l’action et l’interaction. On distingue en particulier trois formes de relâchement de la norme de l’attention focalisée :

     

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    Conclusion : repenser le travail et ses collectifs

    45Les situations contemporaines de travail reposent de plus en plus sur l’effort des salariés pour s’organiser dans leur travail. Cette contrainte, encore souvent tacite, se comprend mieux quand on développe, à côté des prismes salarial et relationnel, classiques en sociologie du travail, un prisme que nous appelons productif. Il désigne le souci de produire un effet valable sur le monde ; un tel souci s’observe très généralement, au-delà de la diversité des façons de s’engager et des degrés d’engagement de chacun dans son travail.

    46Les personnes au travail, contraintes de s’organiser pour faire face à l’hétérogénéité de leur activité, se confrontent à une série de dimensions restées jusque-là du ressort des organisateurs en titre. Ainsi, la multi-activité, ou son envers, la multi-passivité, déjouent l’opposition classique entre travail et organisation, qui interdit de saisir les contraintes d’un travail consistant avant tout à s’organiser. Le travail sur soi impliqué par cet effort se confond en effet, dans le vocabulaire classique, avec « l’autonomie », perçue comme un versant positif du travail et de la relation salariale, puis réinvestie par le discours managérial via la critique artiste du travail (Boltanski & Chiapello, 1999).

    47Or les salariés n’apparaissent pas isolés face à la nécessité de s’organiser pour maintenir leurs activités dans une « même grappe ». La cartographie dressée dans ce chapitre a distingué trois formes sociales de gestion de la multi-activité, dont la dynamique est riche d’enseignements sur le monde du travail contemporain. Elles nous montrent à quel point l’expérience de la multi-activité, ou de son envers, la multi-passivité (Bidet, 2010), sont partagées dans ces environnements de travail, jusqu’à en devenir un trait typique pour leurs salariés.

    48La distance que ces formes sociales entretiennent à l’égard de la norme de l’attention focalisée, chère aux représentations usuelles de la coopération dans le travail, appelle toutefois à remettre sur le métier les notions de travail en commun, de collectif de travail, de groupe de pairs, et bien sûr celle de travail (Boutet).

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    • Alexandra Bidet
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    Chapitre 9. Des ingénieurs en quête d’usagers ?

    Éléments pour une archéologie du marché téléphonique (1920-1980)

    Alexandra Bidet

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    Ce livre est cité par

    • Guéranger, David. Mathieu-Fritz, Alexandre. (2019) Smart city at work. Réseaux, N° 218. DOI: 10.3917/res.218.0039
    • Kon Kam King, Juliette. Legroux, Nadège. (2022) En quête de la haute mer. Socio-anthropologie, 45. DOI: 10.4000/socio-anthropologie.11132
    • Molina, Yvette. (2019) Professionnalisations en tension et recompositions des professions sociales en France. Les Politiques Sociales, n° 3-4. DOI: 10.3917/lps.193.0034
    • Bernier, Amélie. Monchatre, Sylvie. (2018) Introduction. Lien social et Politiques. DOI: 10.7202/1056301ar
    • Molina, Yvette. (2021) Le travail social au croisement de la formation, de l’intervention sociale et de la gestion. Enjeux contemporains et perspectives. Reflets: Revue d’intervention sociale et communautaire, 27. DOI: 10.7202/1084636ar
    • Corbillé, Sophie. Foli, Olivia. Tassel, Julien. (2018) Ce que les recruteurs font des outils numériques : pratiques, enjeux et paradoxes. Communication et organisation. DOI: 10.4000/communicationorganisation.5955
    • Riom, Loïc. Tanferri, Mylène. (2024) On the Trail of Preparations. Revue d'anthropologie des connaissances, 18. DOI: 10.4000/11r9s
    • Riom, Loïc. Tanferri, Mylène. (2024) Tras la pista de la preparación. Revue d'anthropologie des connaissances, 18. DOI: 10.4000/11r9t
    • Carayol, Valérie. Laborde, Aurélie. (2019) Les organisations malades du numérique. Communication et organisation. DOI: 10.4000/communicationorganisation.8207
    • (2022) Appel à contribution pluridisciplinaire sur : Quelles transformations des bureaucraties sociales ? Pour le numéro d’octobre-décembre 2022 de la RFAS. Revue française des affaires sociales. DOI: 10.3917/rfas.224.0219
    • Riom, Loïc. Tanferri, Mylène. (2024) Sur la piste des préparations. Revue d'anthropologie des connaissances, 18. DOI: 10.4000/11r9q
    • Lamy, Aurélia. Matuszak, Céline. Kergosien, Eric. Grabar, Natalia. Valette, Pierre. (2020) New Territories in Health. DOI: 10.1002/9781119706731.ch8
    • Trespeuch, Marie. Tenret, Élise. (2021) La crise sanitaire : une prise de conscience de la condition étudiante ?. Revue Française de Socio-Économie, n° 26. DOI: 10.3917/rfse.026.0005
    • Riom, Loïc. Tanferri, Mylène. (2024) Den Vorbereitungen auf der Spur. Revue d'anthropologie des connaissances, 18. DOI: 10.4000/11r9r
    • Gonnet, Aurélie. Roux, Nicolas. (2025) Introduction. Agora débats/jeunesses, n° 100. DOI: 10.3917/agora.100.0038
    • Bidet, Alexandra. (2024) Poésie et sociologie : le goût du « gros grain du réel ». Entretien avec Raphaël Laiguillée. La Nouvelle Revue du Travail, 25. DOI: 10.4000/12kwm
    • Besenval, Maxime. Bidet, Alexandra. (2021) Digital Transformations in the Challenge of Activity and Work. DOI: 10.1002/9781119808343.ch12
    • Bonneau, Claudine. Enel, Lucie. (2019) Caractériser le méta-travail des nomades numériques : un préalable à l’identification des compétences requises. Lien social et Politiques. DOI: 10.7202/1056308ar
    • Salman, Scarlett. (2022) Le coaching et le tournant personnel du capitalisme. Nouvelle revue de psychosociologie, N° 34. DOI: 10.3917/nrp.034.0019
    • Forner-Ordioni, Elsa. (2020) « L’imagination au pouvoir ! » Appropriation, matérialité et performance de la thérapie par réalité virtuelle en santé mentale. Anthropologie et Santé, 20. DOI: 10.4000/anthropologiesante.5399
    • (2018) Les nouvelles sociologies du travail. DOI: 10.3917/dbu.ughet.2018.01.0133
    • (2021) Aux bons soins du capitalisme. DOI: 10.3917/scpo.salma.2021.01.0291
    • Amdouni, Sonia. (2023) Continuités et discontinuités dans la carrière professionnelle des éducateurs spécialisés au rythme des tensions temporelles vécues. Recherches & éducations. DOI: 10.4000/rechercheseducations.14064
    • Dubey, Gérard. (2024) Planifier le désordre, se préparer à l’imprévisible. Revue d'anthropologie des connaissances, 18. DOI: 10.4000/11r9k

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    • (2021) Aux bons soins du capitalisme. DOI: 10.3917/scpo.salma.2021.01.0291

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    Bidet, A. (2017). Être « contraint de s’organiser » : la multi-activité, entre situations de travail et formes sociales. In Quand travailler, c’est s’organiser. Paris: Presses des Mines. https://doi.org/10.4000/books.pressesmines.3438
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    Bidet, Alexandra. « Être « contraint de s’organiser » : la multi-activité, entre situations de travail et formes sociales ». Quand travailler, c’est s’organiser, Presses des Mines, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pressesmines.3438.

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    Bidet, A., Datchary, C., & Gaglio, G. (2017). Quand travailler, c’est s’organiser. Paris: Presses des Mines. https://doi.org/10.4000/books.pressesmines.3431
    Bidet, Alexandra, Caroline Datchary, et Gérald Gaglio. Quand travailler, c’est s’organiser. Paris: Presses des Mines, 2017. doi:10.4000/books.pressesmines.3431.
    Bidet, Alexandra, et al. Quand travailler, c’est s’organiser. Presses des Mines, 2017, https://doi.org/10.4000/books.pressesmines.3431.
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