1L’objectif de ce chapitre est de prendre du recul par rapport au cas des Pyrénées-Atlantiques par l’analyse des activités de qualification d’autres races. Il s’agit de montrer la portée générale de l’étude des activités de qualification des races, à la fois en termes d’enseignements génériques sur la gestion de situations intensives en connaissances et mobilisant une multitude d’acteurs, et en termes de perspectives managériales pour la gestion concrète de ces activités. Quels instruments, quels dispositifs favorisent la coopération ? Pour cela nous avons étudié les trois cas suivants :

• Une race très spécialisée (et non locale), la race Prim’Holstein, montrant que, même dans le cas de races pour lesquelles la notion de standard a disparu, et pour lesquelles une instrumentation scientifique d’évaluation intègre une très grande quantité de critères, l’intervention des éleveurs reste indispensable, révélant le caractère mythique d’un régime scientifique pur de qualification ;
• Deux races locales pour lesquelles deux types de dispositifs ont été conçus pour formaliser la participation des éleveurs et institutionnaliser la qualification officielle, grâce à une gestion de l’articulation entre instrumentation scientifique et évaluation morphologique et esthétique de l’animal.

DE L’INCOMPLETUDE DES INSTRUMENTS

2Une déduction trop rapide pourrait amener à croire que, dans les activités de sélection des races les plus performantes, la qualification visuelle des caractéristiques esthétiques et morphologiques par les éleveurs, a été remplacée par une instrumentation scientifique de plus en plus performante. Les exemples suivants montrent que ce n’est pas le cas.

La nécessaire participation des éleveurs

3La race Prim’Holstein, race bovine laitière la plus productive au monde, est sélectionnée sur un grand nombre de critères intégrés dans les index. Ces critères définissent à la fois :

• La production de l’animal : critères de quantité de lait, matière protéique, matière grasse, taux protéique et taux butyreux, regroupés dans un index synthétique, l’Index Economique Laitier (INEL).
• Sa « morphologie fonctionnelle », c’est-à-dire des caractéristiques physiques définies pour leur rôle économique plus ou moins direct. Vingt critères définissent cette morphologie : huit concernent la mamelle, six la capacité corporelle et le bassin, quatre sont relatifs aux membres et deux permettent d’évaluer la vitesse de traite et le tempérament. La morphologie fonctionnelle a remplacé la définition du standard de la race1 ;
• Ses caractéristiques fonctionnelles biologiques telles que la qualité sanitaire du lait, la longévité, la fertilité et les facilités de naissance et de vêlage.

4L’ensemble de ces critères est regroupé sous l’Index de Synthèse UPRA (ISU). Ils sont mesurés, à des fréquences très régulières, par les techniciens de l’UPRA et des Entreprises de sélection ou des organismes de contrôle laitier. La morphologie fonctionnelle a modifié la notion de race : le standard définissant la race est considéré comme fixe (les animaux doivent rester dans ce cadre), tandis que la morphologie fonctionnelle doit sans cesse être améliorée (chaque génération d’animaux doit être meilleure que la précédente selon ces critères). Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici est de montrer que ce changement dans les critères d’évaluation modifie l’organisation de l’activité de qualification : l’intervention des éleveurs pour évaluer les animaux sur le standard en Centre de sélection, n’existe plus. Cependant, il est capital de montrer que ce n’est pas pour cette raison que l’expertise des éleveurs n’intervient plus : elle apparaît sous d’autres formes. En effet, la grille de qualification utilisée par les techniciens intègre deux critères pour lesquels ils doivent demander leur avis aux éleveurs : le tempérament de l’animal (nerveux, docile) et la vitesse de traite. L’évaluation de ces critères, réalisée sur une échelle de 1 à 5 et « en tenant compte de la hiérarchie dans le troupeau », nécessite une expérience acquise durant le travail quotidien avec les animaux.

5Mais cette participation au jugement sur la morphologie fonctionnelle des animaux n’est pas la seule forme d’intervention des éleveurs. En effet, contrairement au cas des Pyrénées-Atlantiques, les concours réalisés par les éleveurs sont fortement institutionnalisés au sein même de l’UPRA, et non en opposition à cet organisme officiel.

Les concours d’animaux

6Dans le cas de la race Prim’Holstein, comme dans beaucoup d’autres races, les concours d’animaux ne sont pas opposés à l’UPRA mais intégrés dans ses activités. Ainsi, dans cette race, des concours encadrés par l’UPRA ont été mis en place et ont pris une grande importance. Ils se déroulent aussi bien au niveau régional qu’au niveau national (Concours Général Agricole), cette race n’étant pas une race locale mais une race internationale. Par ces concours, l’UPRA remplit sa mission de promotion de la race, mission qui, si elle n’a pas d’intérêt direct en termes de création de progrès génétique, participe grandement à la rentabilité des entreprises de la sélection en favorisant la vente de doses de semences : ces concours sont une vitrine et un lieu d’émulation où les éleveurs entretiennent leurs compétences de sélectionneur.

7Ces concours ne mobilisent pas les index dans le jugement mais sont cependant fortement instrumentés : une grille de qualification détaillée est utilisée par les juges, avec un système de notation. Des formations sont organisées pour les éleveurs qui souhaitent devenir juges lors des concours et des concours de juges sont organisés, qui obtiennent un grand succès. Ces différents dispositifs font l’objet d’une émulation importante et reposent sur la mise en valeur de l’expérience et des savoir-faire acquis dès le plus jeune âge par les éleveurs qualificateurs. Ainsi nous avons pu trouver divers articles dans la presse agricole mettant par exemple en avant les compétences d’un jeune garçon sachant reconnaître toutes les vaches du troupeau de son père uniquement en regardant les pis, et participant au concours des juges dès seize ans2.

8L’important ici est de noter la connexion institutionnelle entre ces concours et les Livres Généalogiques : les taureaux récompensés lors de ces concours, même lorsqu’ils ont des index un peu faibles, peuvent être intégrés au Livre Généalogique. Ce mode de qualification par « l’œil de l’éleveur » est donc reconnu et institutionnalisé.

9Nous allons voir maintenant, dans le cas de races ovines laitières locales se rapprochant davantage du cas des races pyrénéenne (races Lacaune et corses) quels dispositifs et instruments ont été mis en place pour gérer l’articulation des différents modes de production de connaissance sur les animaux et pour assurer la coopération au sein des schémas de sélection.

MESURER LA FORME ET L’ESTHETIQUE

Formaliser l’œil de l’éleveur

10Dans le cas de la race Lacaune, les concours d’animaux n’existent plus mais des éleveurs bénévoles interviennent dans la qualification officielle de l’UPRA. Ce sont des éleveurs retraités, passionnés par le jugement visuel des qualités esthétiques et morphologiques des animaux. Comme dans le cadre des concours, ces éleveurs ne sont pas propriétaires des animaux à qualifier, contrairement au cas des Pyrénées-Atlantiques. Il y a déconnexion plus complète entre informations génétiques et évaluation morphologique et esthétique des animaux : aucune information génétique n’est donnée pour cadrer leur jugement. Une fois par an, des sessions d’étalonnage sont organisées pour assurer l’homogénéité du jugement des qualificateurs et des statistiques sont réalisées :

« On se recale une fois par an. On va voir un troupeau à Lafage [ferme d’expérimentations], et on juge plusieurs fois les mêmes animaux, et on échange nos points de vue, pour avoir à peu près tous la même façon de juger » (responsable UPRA Lacaune).

11Une grille de qualification a été validée et est utilisée par les éleveurs qualificateurs (voir annexe 1, page 227). Il est important de voir que la conception de ce dispositif s’est faite en partenariat entre les scientifiques, les gestionnaires du schéma de sélection et les éleveurs. Ainsi, des expérimentations ont été mises en place par les scientifiques pour identifier quelles configurations permettaient un classement homogène et précis des animaux. Par exemple des expérimentations ont été nécessaires pour définir la taille de l’échelle de qualification : faut-il noter chaque critère sur une échelle de 1 à 5 ou sur une échelle de 1 à 10 ? Quelle échelle permettra la qualification la plus précise tout en limitant la charge cognitive impliquée ?

12Enfin, les critères morphologiques et esthétiques choisis pour la qualification ont été écrits et diffusés, favorisant l’adhésion des usagers de la race. Ces éléments montrent que dans ce cas la production de connaissances « sensibles » sur les animaux n’a pas été opposée à l’activité considérée comme scientifique : les deux modes de production de connaissance sont mobilisés de concert pour accroître les capacités collectives de sélection et pour assurer la coopération entre les différents partenaires.

13Il est important de noter que la grille de qualification n’est pas une formalisation de connaissances tacites, mais un appui au processus de « knowing » grâce à la formalisation de critères qui cadrent celui-ci. Cette dynamique de production de connaissances, associant éleveurs, gestionnaires et scientifiques semble avoir participé à la reconnaissance de la légitimité de la qualification officielle : plus aucun concours dissident ne coexiste en Roquefort.-

14Le cas Lacaune illustre par un deuxième exemple cette interrelation entre l’institutionnalisation des processus de « knowing » et l’instrumentation sur laquelle ils reposent : l’intégration de l’évaluation de la morphologie mammaire dans l’évaluation des animaux.

15Productions de connaissances par l’évaluation visuelle et par l’évaluation génétique ont été articulées avec succès dans le cas des mamelles3. La conception de ce dispositif résulte d’un changement de paradigme dans l’amélioration génétique des races : il ne s’agit plus uniquement d’accroître le potentiel de production de chaque animal, mais de répondre aux nouvelles exigences de la profession agricole et des consommateurs :

• Diminution du temps de travail pour les éleveurs, notamment augmentation de la facilité de réalisation de la traite ;
• Diminution des coûts de production en réduisant la réforme trop précoce des animaux pour causes morphologiques (défauts de mamelle) ou sanitaires (mammites à répétition) ;
• Diminution des contaminations entrant en jeu dans la chaîne alimentaire de transformation fromagère, dans l’objectif de répondre à la demande en termes de sécurité sanitaire des produits.

16Or, la sélection des animaux uniquement sur les critères de production laitière augmente en moyenne le nombre de mamelles déformées et de mammites. Pour diminuer ces problèmes a été mise en place une évaluation des mamelles des brebis « à l’œil ». Cette évaluation doit être suffisamment rapide pour que plusieurs milliers de brebis puissent être évaluées chaque année, et assez précise pour que les corrélations entre évaluation visuelle et potentiel génétique soient valables. Un dispositif complexe a dont été conçu, reposant sur :

• La mise en place de critères d’évaluation et d’une grille correspondante ;
• La mise en place d’une procédure de qualification impliquant les techniciens du contrôle laitier dans l’évaluation ;
• La mise en place de sessions de formations et d’étalonnage des techniciens pour assurer l’homogénéité de leur jugement visuel des mamelles.

Esthétique et résolution de conflits

17Dans le cas des races ovines Corses, la question du difficile passage du mode de qualification traditionnel à celui du régime intensif a conduit à la mise en place de travaux scientifiques pour la résoudre :

« L’immersion des connaissances scientifiques correspondantes dans la société corse soulevait la question de l’évolution du système de qualification des reproducteurs : qui peut prétendre qualifier un bon bélier et comment, dans ce cadre, la confiance est-elle assurée dans les échanges ? Le système clanique de qualification, fondé sur des relations personnelles éprouvées par l’usage passé, ne pouvait convenir ; pas plus que l’adoption de normes d’index, élaborés par la recherche sur des caractères de production juvénile des agnelles, ne pouvait garantir la durabilité de leur carrière dans le maquis. Ce « grand écart social » exprime bien la crise majeure de la transition entre une économie domestique et une économie marchande4 ».

18Les chercheurs de l’INRA à Corte ont fait appel à des éleveurs, considérés comme des délégués du groupe social, pour jouer le rôle de « tiers qualifiants5 » auprès des représentants de la recherche et de l’administration :

« “tiers” parce que d’une autre nature que la société clanique locale ou que les responsables du système d’indexation, et “qualifiant” car susceptibles d’obtenir la confiance des éleveurs pour classer leurs béliers respectifs ».

19Nous pouvons voir au travers de ces recherches les enjeux de concevoir, dans ce cas, un dispositif organisationnel permettant de légitimer le mode « officiel » de qualification des animaux : il s’agit ici de choisir des représentants ayant une position sociale et une expertise reconnue dans le milieu professionnel concerné.

20Tout l’enjeu reste à définir ce que sont une position sociale et une expertise reconnues.

21Plus récemment, un autre type de dispositif a été mis en place pour articuler instrumentation scientifique et « knowing » pour l’évaluation du cornage des béliers. L’UPRA corse s’est en effet retrouvée devant le problème d’un trop grand nombre de disqualification de béliers lors de l’évaluation des animaux par les éleveurs : environ 40 à 45 % des mâles présentaient chaque année un défaut de cornage. Ceci entraînait pertes financières pour le schéma de sélection et controverses au sein de la profession. Plutôt que de couper les cornes, solution mise en œuvre en Pyrénées-Atlantiques lorsque celles-ci menacent de rentrer dans la tête de l’animal, les responsables locaux en Corse ont mis en place un protocole pour :

• Déterminer les causes de ces défauts de cornage (causes génétiques ou de milieu) ;
• Mettre en place une grille permettant de formaliser des critères de jugement du cornage, à partir de l’identification des niveaux d’acceptation des éleveurs.

22Pour cela, un travail innovant a été mis en place à partir de photos de béliers :

« Afin d’identifier les critères que les éleveurs prennent en compte dans la définition d’un bon et d’un mauvais cornage et de définir leurs différents niveaux d’acceptation, nous leur avons demandé de commenter une série de photos retouchées […] lors des enquêtes sur leurs exploitations6 ».

23Les commentaires des éleveurs sur ces photos ont ensuite permis d’élaborer une grille de critères à prendre en compte dans l’évaluation des animaux. Cette instrumentation a ainsi un rôle dans la cohésion autour du schéma de sélection : elle sert de dispositif de résolution de conflits sur le cornage et permet la création de connaissances locales sur cette problématique, par l’intervention des éleveurs dans la production de connaissances.

24Au travers de ces deux exemples, nous pouvons voir comment différents types d’instrumentation (orientés relation pour le tiers qualifiant, orientés connaissances pour les expérimentations sur le cornage), assurant la coopération et permettant des apprentissages croisés, ont pu être mis en place.

Articuler les connaissances

25Les éléments d’analyse issus de ces différents cas éclairent celui des Pyrénées-Atlantiques et montrent que trois dispositifs et leurs instrumentations ont permis d’assurer la coopération des éleveurs en jouant à la fois sur la dimension de la « coordination » (moyens de définir l’objet de la coopération) et sur la dimension de la « cohésion » (dispositifs de résolution de conflits)7.

26En Pyrénées-Atlantiques deux formes d’instrumentation coexistent (la qualification UPRA et les concours), mais en opposition et relativement imperméables l’une vis-à-vis de l’autre, révélant les failles de la légitimité de la qualification officielle et les difficultés dans la construction d’un accord sur les caractéristiques des animaux. En Roquefort, ces deux formes d’instrumentation ont été intégrées au travers de la mise en place de procédures, de règles et d’instruments spécifiques qui encadrent les modes « traditionnels » de qualification. Ceux-ci avaient un ancrage historique fort dans ce département, sous la forme des concours de race Lacaune8, ce qui a fourni une base de conventions de qualification sur lesquelles la qualification organisée par l’UPRA a pu se baser (ce qui ne veut pas dire que cette intégration s’est faite sans tensions9). Des apprentissages ont ainsi été développés au travers d’expérimentations encadrées par les scientifiques de l’INRA. C’est également le cas des races Corses : partant d’une controverse, une instrumentation permettant l’intégration de connaissances locales dans l’évaluation des animaux a été conçue, favorisant la cohésion. En Prim’Holstein, les activités de qualification par les éleveurs sont instrumentées et encadrées par l’UPRA, et ont permis la création de nouveaux acteurs, avec des formations leur permettant d’acquérir les savoir-faire nécessaires.

27Le tableau 7 (page précédente) récapitule ces éléments en mettant en perspective les différentes formes d’instrumentation dans les trois cas étudiés.

Gérer la qualification

28Par comparaison, ces différents cas offrent des pistes à explorer en termes de conception d’instrumentations, de collectifs et de connaissances favorisant les apprentissages croisés entre les différents prescripteurs de la qualification et les attentes des usagers pour la production des biens communs. Comme a pu le montrer F. Aggeri dans le domaine des accords volontaires sur le recyclage des véhicules, ce sont par ces apprentissages que pourront s’opérer les mouvements de standardisation de la qualification nécessaires à la constitution d’un nouvel « ordre » de coopération10. En effet, les différentes formes d’instrumentations que nous avons examinées permettent la standardisation de la qualification : élaboration d’un standard des races formalisé, élaboration d’une procédure claire assurant l’indépendance des critères de qualification. Comme H. Mintzberg a pu le montrer, la standardisation des qualifications est l’un des cinq mécanismes de coordination qui représentent « la colle […], l’élément fondamental qui maintient ensemble les parties de l’organisation ». Ainsi, notre analyse nous amène à identifier les points sur lesquels une réflexion peut être menée pour favoriser la coopération autour de la qualification des biens communs nécessaire à la construction de la biodiversité domestique :

• L’identification et la conception des collectifs ad hoc : reconnaître les compétences des éleveurs, repérer ceux dont l’expertise est reconnue comme légitime ;
• La formalisation des caractéristiques du bien à qualifier : par exemple se baser sur des critères antérieurs ayant un ancrage historique, rédiger un standard écrit, qui puisse être affiché et partagé (ou contredit).
• La formalisation de la procédure de qualification : élaborer des grilles de critères, des règles d’indépendance entre l’évaluation sur la performance et l’évaluation esthétique et morphologique, des procédures d’étalonnage des évaluateurs.

29Ces différentes formes d’instrumentation permettent de réduire l’opacité de la qualification collective et donc d’en favoriser la légitimité.

Instruments et coopération

30Notre approche des activités de qualification par le biais de leur instrumentation nous a permis de nous rapprocher de la réalité de ces activités, de dépasser les conflits et les controverses dont elles peuvent faire l’objet, sans pour autant les nier. Elle complète l’analyse proposée par V. Waechter des régimes de gouvernement sur lesquels repose la qualification dans le domaine de l’eau11. Cet auteur pointe l’importance de concevoir des dispositifs suffisamment stables pour orienter l’action sans être à chaque fois renégociés. Notre approche permet ainsi de mieux comprendre les failles de la qualification en l’absence d’instrumentation partagée (comme dans les Pyrénées-Atlantiques) et d’identifier sur quoi reposent des dispositifs suffisamment stables lorsque la qualification est reconnue comme légitime. Il est ainsi possible de « jouer » sur les instruments pour cadrer les apprentissages nécessaires.

31Dans cette troisième partie, nous avons étudié l’une des dimensions centrales de la question de la coopération pour la production de biens communs, les activités de qualification, en les analysant par les instruments et les pratiques dont elles font l’objet. Cette analyse nous a permis de dépasser les conflits et oppositions entre évaluation scientifique du potentiel génétique et évaluation morphologique et esthétique visuelle. Quel que soit le mode d’évaluation, celui-ci fait l’objet de certaines formes de rationalisation, qu’elles soient « industrielles » ou « professionnelles ». Ainsi la participation des éleveurs reste toujours indispensable à la coopération au sein des schémas de sélection. Ceci confirme notre hypothèse de départ selon laquelle le régime intensif de sélection génétique est intrinsèquement hybride et ne peut reposer sur un régime scientifique pur de production de connaissances. Cependant, la légitimité de la qualification est à construire.

32Ces résultats nous semblent particulièrement importants à retenir à l’avenir pour une analyse critique du mythe d’un régime scientifique pur de sélection pouvant résulter des progrès en cours dans le domaine de la sélection génomique. Ces résultats peuvent également éclairer le cas de la sélection végétale, pour laquelle un régime scientifique pur a été mis en œuvre, mais qui est questionné aujourd’hui par des démarches de sélection participative. En effet, ces démarches permettent de requalifier les agriculteurs en reconnaissant leurs compétences en termes d’évaluation de « la bonne semence pour eux ».