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Construire la biodiversité

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Julie Labatut

Introduction. La biodiversité en crise ?

Texte intégral

1L’année 2010 a été décrétée par les Nations Unies comme étant l’année de la Biodiversité. Depuis bien longtemps déjà, nombreuses sont les alertes à la « diminution de la biodiversité ». Mais qu’entend-on par là ? Le plus souvent, la biodiversité n’est considérée que dans sa dimension « sauvage », c’est-à-dire la diversité des ressources génétiques existant dans la nature et encore non ou peu utilisées par l’homme. Or l’ensemble des ressources alimentaires des populations humaines, qu’elles soient végétales ou animales, produites par l’agriculture, proviennent d’une certaine biodiversité : la biodiversité des ressources génétiques domestiques (pour les animaux) et cultivées (pour les plantes). L’ensemble des aliments que nous consommons tous les jours, du pain au filet de bœuf, proviennent de ressources génétiques végétales ou animales (variétés, races, lignées). Au cours du xxe siècle, la diversité de ces ressources directement utilisées pour la production alimentaire s’est considérablement réduite, l’industrialisation de l’agriculture n’ayant favorisé qu’un petit nombre de ces ressources, laissant les moins productives et rentables au domaine de la « conservation ». Cette diminution pose depuis longtemps de nombreuses questions, mais reste relativement peu considérée par la majorité des discours sur la biodiversité, alors que c’est celle qui nous touche le plus directement, quotidiennement, puisque c’est celle qui permet à chaque être humain de se nourrir. Cette biodiversité est d’autant plus importante aujourd’hui, face aux questionnements environnementaux tels que le changement climatique, la diminution de la consommation d’énergie, des ressources en eau, etc. Assurer et reconstruire la diversité des ressources génétiques utilisées pour la production alimentaire est une condition essentielle à l’adaptabilité de nos systèmes de production alimentaires face aux enjeux des générations futures. Or, la gestion des ressources génétiques est aujourd’hui au cœur d’une actualité renouvelée. Elle se trouve notamment en tension entre deux évolutions.

2D’un côté, le développement d’une logique marchande, d’un mouvement néo-libéral dans la gestion de ces ressources. Certains parlent de « marchandisation du vivant », bien que celle-ci soit loin d’être un phénomène récent. Le développement de brevets et de droits de propriété intellectuelle sur ces ressources dans le domaine végétal en est un exemple. Dans le domaine animal, en France, la récente réforme de la loi sur l’élevage, qui coordonnait un dispositif national de sélection génétique animale, entraîne un désengagement de l’Etat et une ouverture à la concurrence avec la suppression du monopole territorial des entreprises de sélection produisant des inséminations artificielles. De même, les innovations importantes dans le domaine de la génomique laissent imaginer des voies accélérées de mise en marché du « progrès génétique » créé par les activités de sélection.

3De l’autre, l’émergence accrue de logiques civiques et territoriales questionne les fondements et l’unité des dispositifs de gestion de ces ressources génétiques. Cette émergence offre de nouvelles opportunités d’évolution et de nouvelles capacités d’innovation. Citons par exemple les mouvements « Semences Paysannes » et la mise en œuvre de dispositifs de sélection participative en sélection végétale.

  • 1 Selon l’arrêté du 26 juillet 2007 suite à la réforme de la Loi d’Orientation Agricole, « une race (...)

4Nous nous intéressons ici à un cas particulier de ressources génétiques, dans le domaine animal : les « races locales »1. Ces races sont au cœur de ces deux phénomènes, qui peuvent être aussi bien opposés que combinés : intégrées dans des filières économiques, ces races ne peuvent se contenter d’une logique de conservation de ressources génétiques menacées, et se reposer sur les programmes consacrés à cela tels qu’ils peuvent être proposés pour les races à petits effectifs. Elles sont ainsi confrontées au marché national et international au côté des races spécialisées, le plus souvent beaucoup plus compétitives en termes de potentiel de productivité. Leur avantage comparatif se situe alors à d’autres niveaux que la seule dimension productive. Ancrées dans des territoires, elles sont l’un des éléments constitutifs de l’identité des filières de production localisées mettant en avant des produits typiques, dans un contexte d’économie de la variété.

DES BIENS COMMUNS ET DE LEURS CRISES

5L’ensemble des ressources génétiques fait partie de ce que l’on peut appeler des « biens communs », dans un sens assez large : ce sont des ressources communes (inaliénables) associées à des objectifs de production. L’eau, les ressources de pêche sont des exemples de biens communs. Dans le cas des races locales, le bien commun ne se limite pas à la seule race. Il englobe également une dimension territoriale (la montagne, le bocage, les marais, etc.), le maintien d’un tissu social d’éleveurs, de systèmes d’élevages orientés vers des productions de qualité, des pratiques « traditionnelles » telles que la transhumance, ou encore des connaissances et des savoir-faire spécifiques liés à ces races et à leurs usages.

6La gestion de tels biens communs repose sur des organisations coopératives et distribuées, permettant la coproduction de ces biens. Elles comprennent des acteurs variés, qui peuvent souvent avoir des objectifs divergents, en fonction de leurs différents usages de la ressource. Le pouvoir est diffus : il est difficile de définir qui gouverne et comment, qui est légitime pour orienter la gestion de la ressource.

7Ces organisations reposent sur des dispositifs permettant la création de connaissances sur la ressource et sur la façon d’atteindre des objectifs de production. Très souvent, elles reposent sur des formes de couplage entre dispositifs de recherche et dispositifs de production et d’utilisation de la ressource. Les scientifiques sont souvent impliqués dans ces organisations distribuées, participant à produire des connaissances et à favoriser les innovations dans l’utilisation et / ou le maintien de ces ressources. Ainsi, les grands types d’acteurs impliqués sont des organismes de recherche, privés ou publics, un ou plusieurs organismes de gestion de la ressource, et des usagers qui participent plus ou moins à la gestion de la ressource (définition des objectifs, des usages, et / ou production du bien commun lui-même).

  • 2 Comme l’indique A. Audiot, « une trop grande hétérogénéité des projets pour un petit effectif d’an (...)

8Comme dans la plupart des cas de coopération, la ressource est toujours menacée, notamment du fait des grands changements évoqués précédemment. Des crises de la coopération, des crises de légitimité, des crises des savoirs et des recompositions de collectifs gestionnaires de la ressource apparaissent de façon récurrente, et accrue aujourd’hui. Jusqu’à présent, ces crises étaient en partie régulées par l’Etat. Aujourd’hui, cette régulation s’affaiblit. Quels sont les risques engendrés par ces crises et cette fragilité de la coopération ? Ils sont multiples et varient selon le type de ressource concerné. Il peut s’agir d’un éclatement de l’organisation qui, dans le cas des races animales, s’avérerait assez rapidement dangereux : chaque entité dissidente sélectionnerait selon ses propres orientations, conduisant à une division de la population animale en plusieurs sous-populations, à terme de tailles trop faibles pour éviter les problèmes de consanguinité inhérents à l’activité de sélection génétique2. Si dans le cas des ressources de pêche par exemple, le risque est l’épuisement de la ressource, dans le cas des ressources génétiques, le risque se situe davantage dans la perte de variabilité génétique. Ainsi un usage trop intensif des « meilleurs individus » d’une population peut conduire, en l’absence de protocole de gestion de cette variabilité, à sa réduction progressive. Deux effets peuvent être alors anticipés :

  • à terme, des problèmes de consanguinité peuvent apparaître, avec les dégradations de performance et l’apparition de tares qui y sont liées ;
  • le potentiel de sélection génétique future diminue d’autant, celui-ci reposant sur la disponibilité d’une grande variabilité génétique pour pouvoir avoir un large choix d’orientation de la sélection.

9Ces éléments ne peuvent qu’accroître les risques de diminution de certaines races locales au profit d’autres plus performantes : près de 20 % des races d’animaux d’élevage seraient ainsi menacées d’extinction.

10Se pose alors la question des modes de pilotage de telles formes d’action collective, notamment : quels dispositifs permettent de concevoir un bien commun territorial, et comment ? Comment analyser ces crises de la coopération dans un environnement complexe ? Comment maintenir, régénérer les capacités d’innovation et de réflexivité collective autour de ces biens ?

CHANGER DE PERSPECTIVE ?

Limites des approches classiques

11De façon générale, les biens communs (« commons » en anglais) font référence à un domaine :

  • où il est difficile de développer des moyens physiques ou institutionnels d’exclure des bénéficiaires ;
  • où des problèmes d’encombrement, de sur-utilisation, de pollution, de disparition potentiels apparaissent en l’absence de limitations d’usages à appliquer.
  • 3 (Hess C. et Orstrom E., 2001), (Lascoumes P. et Le Bourhis J.P., 1998), (Schlager E. et Orstom E., (...)

12Ainsi la question de la gestion des biens communs a alimenté de nombreux développements dans diverses disciplines. Il est difficile de regrouper les approches qui s’intéressent à la question de la coopération autour de biens communs tant les acceptions de la notion de « bien commun » sont nombreuses et ces approches hétérogènes, amenant parfois une certaine confusion3. En effet, cette notion est assimilée pour certains à celle d’intérêt général (notamment dans les travaux en sciences politiques), pour d’autres à celle de ressource commune (notamment en économie) ou de valeur commune (en sociologie par exemple). De façon très générale les économistes se sont interrogés sur le fonctionnement, les failles et les soutiens au marché autour de ce type de bien. Les chercheurs en science politique ont travaillé sur la question de la gouvernance des biens communs : par qui et comment sont-ils gouvernés, quelle est la place des Etats dans cette gouvernance ? Les sociologues ont cherché à analyser les collectifs qui gèrent ces biens, leurs valeurs, leurs savoirs et les controverses qui les animent.

13Nous n’allons pas détailler ici ces approches. Par contre, nous pouvons identifier deux perspectives généralement adoptées par une partie importante des recherches dans le domaine de la gestion des biens communs et qui sont d’ailleurs fréquemment combinées au sein de mêmes travaux : les perspectives utilitaristes et naturalistes.

14La perspective utilitariste s’inscrit dans une logique économique et dans la recherche d’un intérêt individuel des acteurs. Le mode de pilotage optimum est alors considéré comme étant le marché, l’Etat n’intervenant qu’à la marge, pour en compenser les failles. Dans cette perspective utilitariste, la question de la gestion des biens communs se résume souvent à une modélisation du comportement des usagers de la ressource. Les solutions mises en œuvre par le protocole de Kyoto pour les émissions de gaz ou encore le marché des brevets et des droits de propriété intellectuelle sont des exemples de la mise en œuvre concrète de ces théories néo-classiques de gestion des biens communs.

  • 4 (Ostrom E., 1990).

15Cette approche a été critiquée et amendée par les approches institutionnalistes et l’économie politique. E. Ostrom a ainsi mis en évidence que l’adoption de régimes institutionnels de gestion adaptés, combinant instruments politiques de protection de la ressource et régimes de propriété et de droits d’usage, permet d’assurer la durabilité de la gestion. Cet auteur a ainsi montré que l’intervention de l’Etat n’était pas la seule réponse politique possible : des arrangements volontaires, basés sur des communautés, peuvent également faire émerger des biens communs, parfois même contre la volonté de l’Etat4.

16La perspective naturaliste considère les biens communs comme donnés et s’y intéresse alors comme à des stocks, l’enjeu étant de les classer, de les définir. Si, selon cette perspective, on se penche sur les controverses, les différentes visions du bien commun que peuvent avoir les usagers, on ne prend pas en compte le processus qui a permis de concevoir le bien commun, de le rendre « gérable ».

  • 5 Callon M., Muniesa F., 2003), ( Karpik L., 1989, 2007).

17Les approches institutionnalistes ont également développé l’idée que les biens ne sont pas donnés a priori mais qu’ils co-évoluent avec les échanges : d’un côté la nature des biens détermine la forme des échanges mais, inversement, la forme des échanges influence également la nature des biens. De même, des sociologues ont montré en quoi les biens et leurs qualifications étaient fortement dépendants de dispositifs qui permettent de concevoir ces biens et leur qualité5.

  • 6 (Callon M., 1986).

18D’autres orientations théoriques ont davantage essayé de mettre en avant le processus et les dynamiques de construction sociale et technique des biens communs : c’est le cas de la sociologie de la traduction, ou encore de certains domaines de la sociologie des sciences et des techniques comme les études sur la « construction sociale des technologies ». Ces approches se sont davantage intéressées aux processus par lesquels se stabilise un monde social, et par lesquels les différents acteurs sont « attachés » à l’action collective6.

19Les perspectives utilitaristes et naturalistes ont en commun un modèle normatif qui suppose de donner a priori les contours de ce qui est commun et les positions des acteurs. Notre objectif vise plutôt à comprendre les processus de conception des biens communs et les régimes de coopération sur lesquels ces processus reposent.

Trois principes

20Notre approche repose sur trois principes :

1er principe : « Considérer les biens communs comme résultant d’un processus de conception »

  • 7 (Hatchuel A., 2000).

21Le premier principe est d’opérer un déplacement par rapport aux perspectives exposées ci-dessus en considérant les biens communs non pas comme donnés mais comme résultant d’un processus de conception et en ne présupposant pas d’une forme unique de rationalité. Il s’agit en quelque sorte, selon l’argument proposé par A. Hatchuel, de rentrer dans un rapport de « dénaturalisation / artefactualisation » de l’action collective autour de biens communs7. Dans le cas de la sélection génétique, ce n’est pas tant la race en tant que population animale à un instant donné qui est un bien commun. Ce qui est « commun » est le fait :

  • qu’une communauté d’éleveurs soit responsable de sa définition (si la race reste un bien inaliénable, ils en sont collectivement les « propriétaires » comme l’indique la Loi d’Orientation Agricole8) ;
  • qu’elle nécessite une action collective pour évoluer et se reproduire dans le temps : c’est à la reproduction de la race en tant que bien commun qu’il s’agit de s’intéresser et non à la race en tant que quelque chose de stable et de donné.

22Le processus de conception des biens communs repose alors sur deux aspects :

  • Une dimension liée à l’orientation de la production et de l’utilisation du bien commun : vers quels objectifs orienter la sélection des races ? comment améliorer leur performance selon ces objectifs ?
  • Une dimension liée à la « qualification » : qu’est ce que le bien commun ? (comment définit-on la race, comment qualifie-t-on les animaux qui en font partie et ceux qui n’en font pas partie ?)

23Ces deux dimensions ne sont ni opposées ni indépendantes l’une de l’autre : les objectifs de production peuvent définir le bien commun jusqu’à un certain point où rentre alors en jeu la qualification pour déterminer si oui ou non il s’agit du bien commun en question. Elles font écho aux deux logiques que nous avons évoquées, logique marchande pour les objectifs de production et logique territoriale et identitaire pour la qualification, par exemple la gestion de l’information génétique pour l’une, le maintien d’un certain nombre d’agriculteurs sur un territoire pour l’autre. Dans l’une comme dans l’autre, il peut y avoir des divergences entre les différentes parties prenantes de l’action collective sans pour autant que cela conduise toujours à une faillite de celle-ci, ces divergences pouvant, au contraire, parfois offrir de nouvelles capacités d’innovation.

  • 9 (Allaire G. et al, 2007).

24Nous proposons alors de considérer que les processus de conception d’un bien commun reposent sur des dispositifs coopératifs à la fois techniques et organisationnels, qui intègrent la double dimension des activités liées aux biens communs : d’une part la production d’un service marchand, et d’autre part la définition, le maintien et l’orientation du bien commun9.

2ème principe : « Analyser les processus de conception des biens communs par leurs instrumentations »

  • 10 (Moisdon J.C , 2006).
  • 11 « The nuts and bolts » selon (Bijker W.-E., 1995).
  • 12 « Utopies possédant à la fois les propriétés mobilisatrices du mythe [...] et les propriétés opéra (...)

25Le deuxième principe est de suivre la multiplicité des instruments qui rendent possible la gestion des biens communs plutôt que les discours des acteurs ou les controverses. En effet, les dispositifs coopératifs de production de biens communs reposent sur un ensemble d’instruments, de règles, de normes. Cette dimension « artefactuelle », souvent délaissée par la littérature car considérée comme « allant de soi », n’en est pas moins essentielle pour la compréhension des dynamiques d’action collective. Ainsi, à l’instar de J.-C. Moisdon, nous adopterons cet élément de méthode essentiel consistant à partir de ces objets eux-mêmes, plutôt que de « pourchasser le pouvoir dans ses intentions, sa substance, sa subjectivité »10. La thèse défendue ici est que l’instrumentation permet de comprendre pourquoi des choses ne marchent pas comme prévu : c’est en discutant de la « plomberie »11 que l’on touche à de vrais problèmes… Nous adoptons ici une définition large de l’instrumentation, prenant en compte non pas uniquement les « outils de gestion » mais l’ensemble des techniques, règles, contrats, instruments scientifiques, dispositifs spécifiques permettant la conception des biens communs et la production des services associés. En l’occurrence, il s’agit de l’instrumentation qui a rendu « sélectionnables » des populations animales utilisées en agriculture, et qui a rendu gouvernables ces activités de sélection. Nous nous attacherons à différencier ce qui, dans ces instrumentations, relève d’un « mythe rationnel »12 et ce qui relève de la mise en acte effective, « dans l’action ». Ainsi, si les instruments de la sélection génétique et les projets politiques qu’ils ont équipés ont souvent été accusés de favoriser la diminution de la biodiversité domestique en ne privilégiant que les plus grandes races, nous montrons ici plus finement leurs effets inattendus, dans un cas où ils ont permis la préservation de trois races locales.

26En focalisant l’attention sur l’instrumentation plutôt que sur les discours stratégiques des acteurs, notre projet s’inscrit dans l’élaboration de ce qu’A. Hatchuel appelle une « infra-théorie », qui doit alors pouvoir être actionnable à l’échelle des collectifs concernés. L’étude des instruments permet par ailleurs de se placer dans une perspective différente de celle qui considère d’un côté des institutions, de l’autre des micro-pratiques, et peut permettre de dépasser une vision désincarnée des institutions.

3ème principe : « Combiner plusieurs axes d’analyse : histoire, dispositifs de coordination, marchés »

27Un premier axe développe une perspective historique : il doit permettre de saisir les processus sur le temps long, en élaborant une généalogie de la coopération et de l’activité de gestion des biens communs. Pour cela nous identifions des « régimes de coopération », chacun correspondant à un équilibre dynamique entre différents arrangements institutionnels. Ces régimes peuvent correspondre à des périodes historiques plus ou moins longues, mais peuvent également coexister au sein d’une même période.

28Les deux axes suivants sont parallèles, reflétant la double dimension des dispositifs coopératifs de production de biens communs exposée plus haut :

  • La constitution de la ressource productive et des services associés (les services de sélection génétique dans notre cas mais dans d’autres cas l’approvisionnement en eau d’une population, etc.) par l’étude du rôle de l’instrumentation scientifique et technique permettant la conception des biens communs et de ces services.
  • La constitution des contours du bien commun, par l’étude des activités de qualification collectives de ces biens nécessaires à leur production. Par quels dispositifs technico-organisationnels, par quels instruments sont organisées les activités de qualification et la coopération entre usagers, gestionnaires et scientifiques dans la définition du bien commun à concevoir ?

29Si les deux axes précédents s’intéressent au système de production des biens communs et des services qui y sont liés, le quatrième axe s’intéresse à la diffusion de ces services et de ces biens, celle qui est contrôlée par les dispositifs coopératifs et celle qui leur échappe (marchés parallèles, comportements opportunistes, etc.). En effet, lorsque l’on s’intéresse à des biens communs, il est impossible de dissocier production et diffusion, d’autant plus lorsque les utilisateurs sont à la fois « consommateurs » et « producteurs » des biens en questions. L’objectif est de comprendre le fonctionnement du marché des biens communs, d’identifier les instruments qui permettent de le réguler. Comment fonctionnent les marchés dans lesquels circulent les ressources communes, en quoi sont-ils régulés ou non par l’instrumentation collective et les dispositifs coopératifs ? Quelles sont les pratiques des acteurs qui justifient leur engagement ou non dans les dispositifs coopératifs et leurs comportements au sein du marché ? Quels usages font-ils de l’instrumentation collective ? Ce quatrième axe nous permet de mieux comprendre ce qui constitue la valeur des biens communs conçus, le désistement de certains acteurs du processus de conception et leurs moyens d’accéder malgré tout au bien commun.

UN CAS REVELATEUR

30Nous avons mis en œuvre la démarche précédente pour étudier le cas empirique de la sélection des races ovines laitières locales dans les Pyrénées-Atlantiques. Il s’agit d’un cas exemplaire pour alimenter notre problématique : la coproduction des biens communs y est menacée, à la fois par un contexte concurrentiel fort et par des problèmes de participation au dispositif coopératif. Dans ce département, trois races locales (Manech Tête Rousse, Manech Tête Noire, Basco-Béarnaise) font l’objet depuis les années 1970 d’une sélection génétique réalisée au travers de trois schémas de sélection, gérés par une structure coopérative, le Centre Départemental de l’Elevage Ovin (CDEO). Ces trois races locales produisent du lait pour une filière fromagère composée d’une multitude d’opérateurs : industriels, petits transformateurs et producteurs fermiers.

31Trois caractéristiques importantes des activités techniques et économiques de sélection génétique sont à souligner d’emblée pour comprendre les enjeux de la gestion des races et les contraintes organisationnelles de ces activités :

  • La sélection génétique, qu’elle soit animale ou végétale, nécessite d’utiliser un grand nombre d’individus (animaux ou végétaux) pour réaliser un progrès génétique tout en évitant la consanguinité. Intrinsèquement, un hectare de terrain permet de réunir davantage de végétaux que d’animaux, surtout pour les espèces de ruminants. Pour ces espèces, la sélection génétique demande donc des dispositifs beaucoup plus importants en termes d’organisation collective à l’échelle d’un territoire entier, et nécessite en particulier la participation des éleveurs et de leurs troupeaux à l’effort de sélection. En France, un organisme privé, ou public, peut difficilement avoir seul la maîtrise d’un effectif suffisant pour réaliser cette sélection (contrairement à la sélection végétale) et créer du progrès génétique à l’échelle d’une race.
  • Lorsqu’un critère de sélection est défini (quantité de lait, qualité du lait, résistance génétique aux maladies, morphologie de la mamelle en sont des exemples), au moins dix ans sont nécessaires pour qu’une amélioration de ce critère soit constatée dans la population d’animaux.
  • Dans le cas des ovins, les doses de semence ovine ne peuvent être utilisées que fraîches sans avoir à opérer les brebis, contrairement à la semence bovine qui peut être congelée et utilisée directement. Au-delà de sept heures, leur pouvoir fécondant n’est plus garanti, ce qui rend impossible la constitution de stocks et limite fortement la possibilité de diffusion par l’insémination artificielle par rapport à la semence bovine. De plus les troupeaux d’ovins comprennent trois à quatre fois plus d’animaux que les troupeaux de bovins, la production à l’individu étant beaucoup plus faible.

32Les schémas de sélection qui ont permis l’amélioration des races des Pyrénées Atlantique ont été mis en place localement avec l’aide des scientifiques de l’INRA à partir des dispositifs techniques qu’ils avaient conçus et mis en œuvre dans la zone Roquefort pour la sélection de la race des brebis Lacaune. L’innovation constituée par ces dispositifs a consisté à adapter les techniques déjà utilisées pour la sélection bovine (insémination artificielle, contrôle de performance, évaluation quantitative du potentiel génétique) au cas des ovins.

33Dans un souci d’optimisation économique et pour répondre aux contraintes techniques précédemment détaillées, l’innovation organisationnelle a reposé, pour la brebis Lacaune, sur la mise en place d’une sélection pyramidale : un noyau de sélection (représentant environ 20 % des brebis de la race) produit du progrès génétique diffusé aux 80 % restants des troupeaux par la vente de reproducteurs mais surtout par la vente et la mise en place d’inséminations artificielles par les

34Centres de sélection (ce qui leur assure un retour sur investissement de leur efforts de sélection, étant donné qu’il faut tester la performance des reproducteurs pendant 2 ou 3 ans avant de pouvoir en retirer des bénéfices).

  • 13 En moyenne, la race Lacaune produit 290 litres de lait en 165 jours de traite, contre 167 litres d (...)

35Le succès de ces innovations techniques mais surtout organisationnelles dans la zone Roquefort, grâce aux capacités dynamiques d’une filière très intégrée, a conduit à faire de la race Lacaune l’une des plus productives au monde13. Dans les Pyrénées-Atlantiques, la trajectoire de l’innovation a été différente. Les schémas de sélection ont permis l’augmentation importante des performances des races locales. Cependant ces schémas de sélection restent fragiles et toujours controversés. En effet, contrairement à la zone Roquefort, dans les Pyrénées-Atlantiques le modèle de diffusion du progrès génétique par l’insémination artificielle, et l’importance du contrôle de performance des animaux, n’ont pas pris la dimension escomptée, rendant difficile l’autofinancement des schémas de sélection en les privant d’une partie de leurs revenus.

  • 14 L’AOC, ne représentant qu’un tiers de la production totale de fromage dans le département des Pyré (...)

36De plus, des phénomènes de défection des éleveurs dans les noyaux de sélection, notamment celui de la Manech Tête Noire, sont observés depuis quelques années, jusqu’à remettre en question l’avenir du schéma de sélection de cette race. Les axes de la sélection des trois schémas sont remis en cause par certains éleveurs, notamment dans la presse agricole locale, critiquant les orientations du CDEO et l’accusant de « Lacauniser » les races locales. D’un autre côté, la race Lacaune menace de concurrencer les races locales sur leur territoire, malgré l’intégration de celles-ci dans le cahier des charges de l’AOC locale14. Ainsi les gestionnaires et les professionnels du CDEO ont émis auprès des scientifiques leur volonté de « reformuler un projet de sélection, véritablement partagé par l’ensemble des producteurs et bien resitué dans le contexte économique européen ». Mais comment atteindre cet objectif et assurer la coopération autour d’un bien commun dans une situation si complexe ? Obtenir un consensus n’est-il pas un mythe et ne faut-il pas opter pour la conception de dispositifs adaptables à une diversité de stratégies de différenciation ?

  • 15 En particulier les chercheurs de la Station d’Amélioration Génétique des Animaux (SAGA) à Toulouse
  • 16 Notamment l’équipe Médiations de l’UMR Agro-systèmes et Développement Territorial à Toulouse.

37Pour tenter d’apporter une aide à l’orientation stratégique des schémas de sélection pyrénéens, le Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) « Id64 » associant professionnels de la filière et scientifiques a mené une étude prospective à l’horizon 2020. Par ailleurs, deux départements recherche de l’INRA s’intéressaient à la problématique de la gestion des populations locales : le département de Génétique Animale15 et le département Sciences pour l’Action et le Développement (SAD)16, département pluridisciplinaire, associant bio-techniciens et chercheurs en sciences sociales, dont les sciences de gestion. Ils ont décidé d’enrichir réciproquement leurs analyses à travers le travail présenté ici, avec l’accord des professionnels et des gestionnaires du GIS et du CDEO.

38C’est donc dans ce cadre que la démarche analytique proposée précédemment prend tout son sens. En effet, un élément très important à mettre en avant est que les crises de la coopération pour la production de biens communs se situent à différents niveaux :

  • au niveau des régimes de coopération eux-mêmes (coexistence de plusieurs régimes en tension),
  • au niveau de la légitimité de l’instrumentation scientifique et technique (critique du « modèle Roquefort » accusé de ne pas respecter les spécificités des races locales dans les Pyrénées-Atlantiques, telles que l’adaptation à la montagne et à la pratique de la transhumance),
  • au niveau de la qualification des biens communs (critique sur le respect du standard des races par les schémas de sélection),
  • au niveau du fonctionnement du marché (persistance d’un important marché parallèle des reproducteurs) et des pratiques individuelles (diversité des stratégies et des systèmes d’élevage).

AU CARREFOUR DE LA RECHERCHE ET DE L’INTERVENTION

  • 17 (Hatchuel A., Molet H., 1986).

39La méthode de recherche choisie pour réaliser ce travail est la mise en place d’une « recherche-intervention »17. La recherche-intervention, dans sa définition idéale, vise :

  • comprendre en profondeur le fonctionnement d’un système ;
  • à en mettre à jour les mythes rationnels afin d’en dépasser la doctrine ; -à accompagner les acteurs pour mieux formuler les problèmes qu’ils encontrent ;
  • à définir des trajectoires possibles d’évolution, à les aider à en choisir une, à la réaliser et à en évaluer le résultat.

40Ce travail retrace les résultats issus des trois premiers points, tandis que la dernière étape va être développée à la suite de celui-ci.

  • 18 (Hatchuel A., 2000).

41La recherche-intervention est une recherche en partenariat, mais il s’agit plus spécifiquement d’un « partenariat dans la construction de l’action »18. Ici, le partenariat s’est constitué autant avec les gestionnaires des schémas de sélection qu’avec les généticiens de l’INRA, s’interrogeant sur la coopération autour des ressources qu’ils participent à gérer.

42Notre objectif dans la mise en œuvre de ce partenariat était de faire évoluer les points de vue, d’aider à dénaturaliser des formulations toutes faites pour s’intéresser à la nature de l’activité de sélection génétique. Selon B. Segrestin

  • 19 (Segrestin B., 2006).

« l’enjeu est donc de ne pas se satisfaire de discours rationalisés a posteriori, mais de suivre l’émergence des opinions, des objets collectifs, des représentations communes et des collectifs qui sont en train de se nouer »19.

43Il s’agissait donc de remettre en question des idées reçues entendues au début de notre intervention, telles que la réduction des problèmes observés à des spécificités culturelles ou politiques.

44Plus généralement, la conception de l’innovation dans la gestion de ces dispositifs s’est principalement développée dans une logique descendante : si localement les préconisations des généticiens et des techniciens sont appliquées, « il n’y a pas de raison que ça ne marche pas ! », l’intendance suivra forcément… Ces catégories préconçues peuvent être des freins à l’innovation, en empêchant de penser l’action collective et d’imaginer de nouvelles trajectoires. Notre posture devait notamment offrir la possibilité aux « accompagnateurs » des dispositifs de gestion de ressources de mieux connaître les stratégies et les pratiques des acteurs pour lesquels ils conçoivent des instruments scientifiques et techniques.

  • 20 (Le Masson P. et al, 2006).

45Par contre, nous ne sommes pas allés dans notre recherche jusqu’à la mise en œuvre d’un changement effectif dans le mode de pilotage des schémas de sélection. Ainsi, notre travail d’intervention a consisté essentiellement à déconstruire les idées préconçues circulant sur l’origine et la nature des controverses en cours, à élaborer un diagnostic des crises de la coopération et du fonctionnement des dispositifs de sélection génétique, et à proposer non pas des « solutions toutes faites » mais des pistes à approfondir pour favoriser les capacités locales d’innovation collective et de conception territoriale de biens communs. Il a notamment été proposé un cahier des charges pour organiser des ateliers de conception innovante, selon la méthode proposée par Le Masson et al20 dans le cas des entreprises, adaptée alors à une démarche de conception territoriale.

46Un travail de conception d’un outil, sa mise en œuvre et son évaluation a été réalisé par ailleurs, suite à la demande conjointe des scientifiques de l’INRA et du GIS Id64. L’outil devait permettre de suivre l’évolution de la filière grâce à une batterie d’indicateurs et a été mis au point par un groupe de travail dont nous assurions l’animation.

  • 21 (Pettigrew A.M., 1990).

47Comme toute recherche-intervention, notre travail d’investigation s’est déroulé sur le temps long, dans la perspective d’une recherche « longitudinale » telle qu’a pu la définir A.M. Pettigrew21 : le contact avec le terrain s’est étalé sur trois ans, et les interactions avec les « accompagnateurs » des dispositifs de sélection n’ont jamais cessé pendant cette période. La durée de l’interaction est importante en particulier pour comprendre les processus et les logiques à l’œuvre dans les organisations. Pendant cette recherche longitudinale, nous avons réalisé notamment :

  • des entretiens, le plus souvent sur un mode ouvert, dont la nature et le contenu ont évolué tout au long de l’avancement de la recherche : il ne s’agissait pas d’une liste de questions fixées à l’avance mais d’une démarche proche de l’enquête policière ;
  • des observations (participantes ou non) de réunions et d’activités du Centre de sélection (insémination, contrôle laitier, qualifications) ;
  • des recherches d’archives (archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, archives des différentes organisations étudiées, notamment le Centre de sélection) ;
  • l’analyse des publications scientifiques en sélection génétique.

48Nous avons également mobilisé d’autres cas de sélection génétique (sélection de la race Lacaune, sélection de la race de vache laitière Prim’Holstein) pour mettre à l’épreuve les connaissances produites dans le cadre de notre recherche-intervention et pour donner des éléments de comparaison entre différents cas, même si ces cas supplémentaires n’ont pas été étudiés de manière aussi approfondie que celui des Pyrénées-Atlantiques.

49La première partie offre une lecture généalogique des dispositifs et des pratiques de la sélection génétique, permettant de comprendre l’évolution des modes de production de connaissances et des formes de relation pour la sélection des animaux d’élevage. Elle permet ainsi d’identifier différents régimes de sélection se succédant plus ou moins dans le temps et dont les chevauchements peuvent expliquer certaines des crises de la coopération. La deuxième partie analyse en détail les instruments scientifiques et techniques du régime de sélection majoritaire aujourd’hui, appelé régime intensif, les « mythes rationnels » sur lesquels ils reposent et leurs effets inattendus sur la gestion des ressources génétiques. La troisième partie montre l’importance d’étudier les pratiques et dispositifs de qualification collective des ressources gérées pour comprendre les difficultés de la coopération. Enfin, la quatrième partie analyse comment le progrès génétique créé par les dispositifs étudiés dans les parties précédentes est diffusé, et montre que le marché du progrès génétique, fortement cadré par l’instrumentation scientifique, n’est qu’une hypothèse parmi d’autres modes d’échanges possibles, et que la diversité des pratiques, règles et réseaux permettant aux ressources de circuler doit être étudiée.

Notes

1 Selon l’arrêté du 26 juillet 2007 suite à la réforme de la Loi d’Orientation Agricole, « une race est dite locale, au sens de l’article D. 653-9 du code rural, si des liens suffisants avec un territoire spécifique sont démontrés, notamment si 30 % des effectifs sont situés dans un seul département ou 70 % dans trois départements limitrophes deux à deux ».

2 Comme l’indique A. Audiot, « une trop grande hétérogénéité des projets pour un petit effectif d’animaux peut conduire les derniers propriétaires à gérer leur cheptel de façon autonome. Ce dernier état très précaire ne peut être que transitoire, préparant l’extinction définitive de la race » (Audiot A., 1995).

3 (Hess C. et Orstrom E., 2001), (Lascoumes P. et Le Bourhis J.P., 1998), (Schlager E. et Orstom E., 1992).

4 (Ostrom E., 1990).

5 Callon M., Muniesa F., 2003), ( Karpik L., 1989, 2007).

6 (Callon M., 1986).

7 (Hatchuel A., 2000).

8 Le Décret n° 2006-1662 du 21 décembre 2006 « relatif à l’identification et à l’amélioration génétique des animaux », dans sa section consacrée à la « gestion des ressources zoogénétiques », fournit une définition de la race comme un « accord » entre éleveurs (« race : un ensemble d’animaux qui a suffisamment de points en commun pour pouvoir être considéré comme homogène par un ou plusieurs groupes d’éleveurs qui sont d’accord sur l’organisation du renouvellement des reproducteurs et des échanges induits, y compris au niveau international) ».

9 (Allaire G. et al, 2007).

10 (Moisdon J.C , 2006).

11 « The nuts and bolts » selon (Bijker W.-E., 1995).

12 « Utopies possédant à la fois les propriétés mobilisatrices du mythe [...] et les propriétés opératoires de la raison » (David A., 2001). L’idée de mythe rationnel veut dire qu’il y aura toujours un écart entre le projet et la réalité, mais avoir un modèle est important pour pouvoir susciter l’adhésion. Il faut alors être capable de gérer ces écarts.

13 En moyenne, la race Lacaune produit 290 litres de lait en 165 jours de traite, contre 167 litres de lait en 146 jours pour la moyenne des races des Pyrénées-Atlantiques (chiffres contrôle laitier 2001, Institut de l’Elevage).

14 L’AOC, ne représentant qu’un tiers de la production totale de fromage dans le département des Pyrénées-Atlantiques, n’a pas un pouvoir suffisamment important pour éviter à elle seule l’introduction de races exogènes dans le département.

15 En particulier les chercheurs de la Station d’Amélioration Génétique des Animaux (SAGA) à Toulouse.

16 Notamment l’équipe Médiations de l’UMR Agro-systèmes et Développement Territorial à Toulouse.

17 (Hatchuel A., Molet H., 1986).

18 (Hatchuel A., 2000).

19 (Segrestin B., 2006).

20 (Le Masson P. et al, 2006).

21 (Pettigrew A.M., 1990).

© Presses des Mines, 2010

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