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Diversifier le recrutement public

 | 
Florence Audier
, 
Maya Bacache-Beauvallet
, 
Éric Mathias

Partie II. Motivations et aspirations des magistrats des voies latérales

3. Entrer par voie latérale : modalité et attractivité

Full text

Spécificités

1On met en évidence dans un premier temps les spécificités relatives à l’accès à la magistrature par voie latérale, qu’il s’agisse du concours ou d’une des procédures d’intégration – intégration directe ou intégration en tant qu’auditeur de justice. Le détail des différentes options incluses dans chacune de ces deux grandes modalités est pris en compte. Les contraintes en matière de mobilité géographique et la manière dont elles se déclinent selon ces différentes voies d’entrée dans le corps sont ensuite abordées. À cet égard on s’intéresse à la fois aux mobilités passées, à celles envisagées, et à leur concrétisations à travers les desiderata exprimés par les uns et les autres.

Devenir magistrat par concours ou sur titre. Quelles conséquences ?

2Lorsqu’on examine quelles sont les voies d’accès qui ont été empruntées par les magistrats entrés par une voie latérale, on note que les hommes entrent bien davantage par la voie du concours que les femmes. Ils sont en effet 58 % à avoir passé un concours, tandis que les magistrates ne sont que 53 % à l’avoir fait.

3D’une manière générale, la fréquence des recours aux diverses voies d’entrées est évidemment liée aux caractéristiques mêmes de ces voies, dont certaines sont régulièrement ouvertes tandis que d’autres, au contraire, ne sont ouvertes que suite à des décisions ministérielles ponctuelles ou circonstanciées. Autre élément majeur : le nombre de postes mis aux concours fluctue fortement y compris en ce qui concerne les concours réguliers, et ces fluctuations sont amplifiées par le fait que certaines ouvertures de postes sont contingentées et liées au nombre de postes ouverts au 1er concours. Le nombre de postes ouverts au recrutement latéral a donc à voir avec le nombre de postes ouvert au concours étudiant. De plus, rappelons que les postes non pourvus dans une des voies peuvent être aussi, sous certaines conditions, pourvus dans une autre et cette pratique est courante (voir chapitre 1). La résultante de tous ces éléments se lit directement dans les relations entre les dates d’entrées dans le corps et les modes d’accès : 44 % des effectifs entrés par une voie latérale et présents dans le corps début 2012 sont entrés entre 1999 et 2006, et une entrée sur cinq est intervenue depuis 2006. Si on examine les calendriers dans le détail, on note que près de 60 % des entrées réalisées entre 1985 et 1992 se sont effectuées via un concours interne, ce qui n’est le cas, par exemple, que de 11 % des entrées réalisées entre 1999 et 2006, principalement en raison de l’ouverture de deux concours complémentaires durant cette période. Parallèlement, on constate une forte montée en charge des recrutements par l’art.18-1, c’est-à-dire par intégration comme auditeur sans passer un concours, et non par intégration directe dans le corps des magistrats. L’examen rétrospectif met aussi en évidence un glissement important, au cours du temps, au profit des entrées sur titres : celles-ci représentent durant le dernier quinquennat près de 70 % des entrées latérales contre 35 % parmi celles effectuées entre 1985 et 1992. Ce basculement au profit des recrutements sur titre se vérifie tant chez les hommes que chez les femmes.

4Néanmoins, les réponses à l’enquête montrent – ce qui constitue un de ses apports majeurs, sur lequel on reviendra – qu’une part de hasard ou sans aucun doute d’opportunité a présidé au choix de la voie d’entrée empruntée par les postulants : le mode d’entrée finalement retenu semble bien résulter d’un choix, qui ne s’est pas imposé d’emblée. Ainsi, 50 % de ceux entrés sur titres et 54 % de ceux entrés par concours disent qu’ils auraient pu choisir une autre voie que celle retenue. Selon les personnes interrogées, il existe donc une marge certaine de choix dans le type de recrutement, d’ailleurs latéral ou non – auquel on peut postuler.

5Les femmes semblent plus que les hommes avoir perçu comme très ouverte cette marge de choix entre les différentes voies possibles : elles sont 54 % à penser qu’elles auraient pu choisir une autre voie que celle qu’elles ont empruntée lorsqu’elles sont entrées sur titre et 58 % lorsqu’elles sont entrées par concours tandis que, pour leurs collègues masculins, les pourcentages correspondants sont de 48 % et de 51 %. Sans doute cela renvoie-t-il aux règles associées aux différentes voies.

Les caractéristiques personnelles sont-elles si différentes ?

6Tout d’abord, on remarque que, de manière générale, les magistrats entrés sur titres sont plus jeunes que ceux entrés par concours. Ainsi, 54 % de ceux entrés par concours sont nés avant 1960 (52 ans lors de l’enquête), ce qui n’est le cas que de 44 % de ceux entrés sur titres. Corrélativement, 28 % de ceux entrés sur titres sont nés en 1970 ou après (moins de 42 ans au moment de l’enquête), ce qui n’est le cas que de 14 % de ceux entrés sur concours.

7La montée en charge des recrutements sur titres, qui ne requièrent pas statutairement de conditions d’ancienneté, s’accompagne donc d’un très notable rajeunissement du corps.

8En cohérence avec ce constat, comme dans l’ensemble des recrutements de la fonction publique de l’État, ceux entrés sur titre ont nettement moins d’ancienneté que leurs confrères : 72 % de ceux entrés sur titre ont rejoint la magistrature depuis l’an 2000 et même 32 % d’entre- eux depuis 2006, ce qui n’est le cas que de respectivement 58 % et de 11 % de ceux entrés par concours. Au contraire, à peine plus de 3 % des entrées sur titres ont eu lieu avant 1986, alors que c’est le cas de près de 12 % des entrées par concours.

9Cela ne veut cependant pas dire que tous les magistrats entrés dans le corps par une voie latérale, et plus spécifiquement sur titres, y sont entrés jeunes. Ainsi, par exemple, sur les 111 magistrats nés avant ou en 1960 et entrés sur titres, 54 sont entrés dans le corps seulement depuis 1999. Pour ceux entrés par concours, c’est aussi le cas de 65 des 166 magistrats nés ces mêmes années.

Les grades auxquels sont classés les magistrats en 2012 sont-ils impactés par la voie qu’ils ont empruntée pour rejoindre le corps ?

10De premier abord cet impact semble avéré : ceux entrés sur titre sont, presque pour moitié au second grade, alors qu’ils ne sont que 30 % à être dans ce cas parmi ceux entrés par concours. Mais ce premier constat est trompeur, car lorsqu’on corrige ces données par l’ancienneté dans le métier, alors la différence de classification s’inverse. Ainsi, parmi les entrées les plus récentes (après 2006) on note que tous les entrants par concours sont au 2nd grade, ce qui n’est le cas que de 88 % des entrants sur titres, les autres étant déjà au 1er grade. Chez ceux entrés entre 1992 et 1999 également, la classification des magistrats entrés sur titre est plus favorable que celle des magistrats entrés par concours : plus de 11 % d’entre eux sont en 1Bbis ou en HH, ce qui n’est le cas que de 4 % de ceux entrés par concours. À l’inverse, ceux entrés entre 1999 et 2006 dans le corps des magistrats via des concours sont plus fréquemment classés au 1er grade que leurs homologues entrés sur titre, dont 44 % sont encore au 2nd grade (contre 34 %). Le même type de constat peut s’appliquer aux plus anciens : ceux entrés par concours avant 1992 sont dans 34 % des cas en 1Bbis ou en HH, ce qui n’est le cas que de 28 % de ceux entrés sur titres, dont 72 % sont toujours au 1er grade. Les voies d’entrée dans le corps ne semblent donc pas avoir influé sur les opportunités de changement de grades.

La voie d’entrée dans la magistrature influe-t-elle sur le type de juridiction auquel on accède ?

11Il s’agit là d’une question en partie complémentaire de la précédente, dans la mesure où les juridictions hiérarchiquement élevées ne sont pas accessibles au second grade. Pour y voir plus clair, on s’intéresse aux premiers postes auxquels ont accédé les magistrats et au type de juridiction à laquelle ils appartiennent au moment de l’enquête.

12Concernant le premier poste, la proportion de ceux qui ont été nommés en TI est tout à fait semblable quelle que soit la voie d’entrée : autour de 10 % déclarent en effet avoir été nommés dans un tribunal d’instance, même si souvent, dans les petites juridictions, ces mêmes magistrats interviennent aussi en TGI. Ce qui distingue ceux entrés sur titres de ceux entrés par concours vient de l’accès aux cours d’appel, qui semble un peu plus fréquent dans le cas des entrées par concours que par intégration, mais il s’agit le plus souvent de magistrats placés. On retrouve les mêmes ordres de grandeur lorsqu’on s’intéresse au poste occupé au moment de l’enquête : la proportion de ceux qui sont en TI est tout à fait semblable, quelle que soit la voie d’entrée (autour de 12 % déclarent être affectés dans un tribunal d’instance) et la part de ceux en TGI est, pour les uns et les autres, semblable à ce qu’elle était au départ. Ceux qui sont à la cour, moins nombreux, y bénéficient sans doute d’une affectation plus stable que précédemment.

La voie d’entrée dans la magistrature influe-t-elle sur le type de fonctions auxquelles les magistrats peuvent accéder ?

13Là encore il s’agit de regarder quelles sont les fonctions auxquelles ont accédé lors de leur première nomination les magistrats entrés selon les deux grands types de voies latérales, et d’examiner quelles sont les fonctions qu’ils exercent au moment de l’enquête.

14Au moment de leur première nomination, ceux entrés sur titres semblent avoir rejoint un peu plus souvent le parquet que ceux entrés par concours (38 % contre 36 %), et cela s’observe encore davantage lorsqu’on examine les fonctions exercées au moment de l’enquête : dans les deux cas, la fréquence des affectations au siège a augmenté, mais ceux entrés sur titre sont toujours davantage au parquet qu’au siège (34 % contre 30 %). En entrant dans le détail des fonctions du siège, on peut constater que les magistrats entrés au siège sont moins souvent devenus juges généralistes lorsqu’ils sont entrés sur titres que lorsqu’ils sont entrés par concours. En revanche, ils sont un peu plus fréquemment en charge de fonctions « spécialisées » comme l’application des peines et surtout l’instruction, mais aussi plus fréquemment juges des enfants.

Tableau 5 : Siège ou parquet : 1er poste et poste en cours selon le mode d’entrée

1er poste

Sur titre

Par concours

Total

Siège

61,6

64,2

63,0

Parquet

37,9

35,8

36,8

Autre que siège ou parquet

0,5

0,2

Total

100

100

100

Poste en cours

Au siège

66,2

69,8

68,2

Au parquet

33,8

30,2

31,8

Total

100

100

100

Source : enquête spécifique

15Du point de vue de la carrière, des différences apparaissent plus nettement entre les deux grandes modalités d’entrée. En effet, les réponses à l’enquête indiquent que ceux entrés sur concours ont changé beaucoup plus souvent de postes que leurs homologues, sans qu’on en connaisse à ce stade les raisons : plus des 2/3 d’entre eux ont occupé au moins 3 postes alors que c’est le cas de moins de la moitié de ceux entrés sur titre. Ceux entrés par concours sont même plus de 30 % à déclarer avoir changé au moins 5 fois de postes. Si on prend en compte l’ancienneté, ces décalages se confirment. Ainsi, par exemple, parmi ceux entrés avant 1992, les deux-tiers de ceux entrés par concours ont occupé au moins 5 postes, ce qui n’est le cas que de moins de la moitié de ceux entrés sur titres.

Quelles sont les raisons qui ont guidé le choix de la voie d’entrée dans la magistrature ?

16Les fluctuations dans les modes d’entrée dans la profession au cours du temps conduisent à s’interroger sur les raisons qui ont conduit aux choix individuels effectués, et tout d’abord à leur robustesse. Comme déjà évoqué, celle-ci semble toute relative. En effet, à la question « auriez-vous pu choisir une autre modalité d’accès à la magistrature ? », les magistrats sont très nombreux à répondre qu’ils auraient pu choisir un autre mode d’entrée que celui finalement sélectionné : seuls 34 % ne le pensent pas et 12 % ne le savent pas. Cette conviction qu’il existe entre les diverses modalités d’entrée une certaine latitude ou marge de choix est exprimée à la fois par ceux entrés sur titres et ceux entrés par concours. De plus, elle ne semble pas tenir seulement aux caractéristiques de certains concours, dont les conditions d’accès sont statutairement spécifiées, ni d’ailleurs au grade des intéressés.

Tableau 6 : Auriez-vous pu choisir une autre modalité d’accès à la magistrature ?

Sur titre

Par concours

Total

Non réponse

0,4

0,7

2,1

Oui

50,7

54,4

52,1

Non

35,2

34,1

34,0

Je ne sais pas

13,7

10,8

11,8

Total

100,0

100,0

100,0

Source : enquête spécifique

17Et s’ils ont opté pour l’une ou l’autre formule, c’est qu’ils ont privilégié, en premier lieu, la nature des procédures – en particulier pour ceux entrés sur titres – ainsi que la nature et l’ampleur de la formation associée à chaque modalité. Ils ont aussi, semble-t-il, pesé leurs chances de réussite et évalué l’adéquation du calendrier à leurs souhaits.

Tableau 7 : Les motifs du choix de la procédure d’entrée (pour ceux qui estiment avoir eu le choix)

Sur titre

Par concours

Total

Le calendrier

14,7

19,0

17,4

La nature des procédures (concours ou titre)

28,4

19,5

22,8

Les chances de réussite

13,8

18,0

16,5

La question de l’anonymat

0,9

5,0

3,5

La nature et le temps de la formation à accomplir

22,4

25,5

24,4

Autres raisons

19,8

13,0

15,5

Total

100,0

100,0

100,0

Source : enquête spécifique

Quelles spécificités pour les différents types de concours ?

  • 25 Parmi les magistrats de notre échantillon entrés par le concours fonctionnaire, les hommes sont, on (...)

18Les concours proposés aux candidats à l’entrée dans la magistrature par une voie latérale sont, comme on l’a vu, le deuxième concours – dédié aux fonctionnaires - le troisième concours – destiné aux autres actifs – ainsi que, de manière irrégulière, les concours exceptionnels et complémentaires. Afin de cerner si les avis sont partagés ou au contraire distincts, nous évoquerons ici quelques-uns des items les plus caractéristiques des entrées par le concours fonctionnaire, en comparaison avec les entrées par les concours exceptionnels ou complémentaires, les entrées par le 3e concours étant trop peu nombreuses pour permettre une comparaison aussi fine25. Nous examinons successivement les réponses aux questions ayant trait au concours choisi, puis à leur carrière.

19Les magistrats entrés par le concours fonctionnaire sont dans 46 % des cas convaincus qu’ils auraient pu entrer dans la magistrature par une autre voie que celle qu’ils ont empruntée. Si on leur adjoint ceux qui « ne savent pas », on note que seule une minorité (42 %) pense que la seule voie qui leur permettait d’atteindre leur objectif était le 2e concours. En réalité, ce sont les hommes qui semblent les moins persuadés qu’il existait pour eux une alternative au 2e concours, puisque 46 % pensent qu’ils n’auraient pas pu choisir une autre modalité, alors que leurs homologues femmes sont seulement 36 % à le penser. Par comparaison, les lauréats des concours complémentaires ou exceptionnels sont beaucoup plus nombreux à avoir saisi l’opportunité de candidater à un tel concours alors qu’ils auraient pu, disent-ils, tout aussi bien se présenter selon d’autres modalités : seuls 30 % des hommes et 26 % et des femmes pensent qu’ils ne l’auraient pas pu.

20Ces magistrats ayant été invités à exprimer les raison qui les ont poussés à choisir telle modalité d’accès plutôt que telle autre, on peut cerner quelques-uns de leurs motifs. Pour les lauréats du concours fonctionnaire semble avoir primé, précisément, le fait qu’il s’agit d’un concours auquel, de plus, est associé un temps long de formation au sein de l’ENM. Ces deux raisons, qui sont les plus citées, sont suivies d’une appréciation sur les chances de réussite, considérées comme plus élevées par cette voie d’accès au corps. En revanche, les questions liées au calendrier ou à l’anonymat, qui sont associées à la procédure même des concours, sont peu alléguées. Sans surprises, ces arguments ne sont pas développés par les lauréats des concours exceptionnels ou complémentaires, qui ont saisi l’opportunité de l’ouverture de ces concours pour s’y présenter (ils sont 23 % à le signaler). Eux-aussi mettent en exergue de leur choix la nature et le temps de la formation, même si celle-ci est considérablement réduite par rapport à la scolarité des lauréats des autres concours d’entrée à l’ENM.

Tableau 8 : Les motifs du choix de la procédure d’entrée (pour ceux qui estiment avoir eu le choix)

2e concours

Conc. exceptionnels/compl.

Total

Le calendrier

12,5

21,8

17,9

La nature des procédures (concours ou titre)

23,8

17,3

20,0

Les chances de réussite

20,0

15,5

17,4

La question de l’anonymat

7,5

3,6

5,3

La nature et le temps de la formation à accomplir

22,5

28,2

25,8

Autres raisons

13,8

13,6

13,7

Total

100

100

100

Source : enquête spécifique

21Les magistrats entrés par le concours fonctionnaire et ceux entrés par un concours complémentaire ou exceptionnel ont des carrières assez différentiées.

22Les magistrats concernés par le 2e concours ont connu une très importante mobilité : 44 % d’entre eux ont occupé au moins 5 postes, ce qui est le double de la moyenne des magistrats latéraux et nettement plus du double de ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire : ces derniers ne sont que 20 % à être dans ce cas. Et sur les 33 magistrats de notre échantillon ayant occupé plus de 7 postes, 19 sont entrés par le 2e concours. Cette forte mobilité est d’autant plus surprenante que le second concours – ainsi que les concours exceptionnels ou complémentaires – mènent très prioritairement au siège : c’est le cas de respectivement 63 à 65 % des hommes et de 76 % à 80 % des femmes (si on ne tient compte que des répondants à cette question). D’ailleurs, parmi les divers modes d’accès à la carrière, c’est le 2e concours et les concours exceptionnels et complémentaires qui sont, de loin, ceux qui conduisent le plus fréquemment au siège, spécialement pour les hommes.

23Les magistrats entrés par le concours fonctionnaire sont davantage qu’en moyenne et bien davantage que ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire classés en 1Bbis et même en Hors Hiérarchie. L’accès aux responsabilités leur a donc été davantage reconnu. Ainsi, 14 des 20 magistrats en HH qui ont répondu à l’enquête appartiennent à ce groupe. Le fait qu’ils possèdent, en moyenne, une ancienneté plus importante que les autres explique pour une part cette classification supérieure aux autres voies d’entrée. En effet, les magistrats entrés par le concours fonctionnaire représentent les 2/3 des magistrats latéraux entrés avant 1990. Ils ne sont pas pour autant plus âgés, bien au contraire : si la proportion de ceux qui sont nés avant 1960 est proche d’un groupe à l’autre (entre 60 et 66 % selon qu’il s’agit du 2e concours ou des concours exceptionnels ou complémentaires), en revanche ceux nés après 1970 sont absents des concours exceptionnels ou complémentaires alors qu’ils sont bien présents parmi les lauréats du 2e concours, dont ils représentent même 22 % des effectifs.

24Quoi qu’il en soit, les responsabilités auxquelles ceux entrés par le concours fonctionnaire ou ceux entrés par un concours exceptionnel ont accédé se différencient nettement : alors que les lauréats d’un concours exceptionnel ou complémentaire sont très fréquemment soit Vice-Présidents soit vice-procureurs (respectivement 38 % et 21 % exercent ces fonctions), ceux entrés par le concours fonctionnaire accèdent très nettement moins souvent à ce type de responsabilités. D’ailleurs, leurs situations sont beaucoup plus diverses, peut-être du fait que les promotions d’entrée s’étalent régulièrement au cours du temps. Ainsi, ils sont davantage juges et substituts, mais surtout conseillers.

Tableau 9 : Les fonctions assumées par les magistrats selon le type de concours d’entrée

2e concours

Conc. exceptionnel/compl.

Président(e)

5.4

3.2

Vice-Président

20.3

38.4

Conseiller

17,2

6,4

Juge

22,7

20,0

Magistrat(e) placé(e)

3,1

1,6

Avocat général ou procureur ou procureur adjoint

8.6

2.4

Vice-procureur

14

20.8

Substitut

7.1

4,8

Secrétaire général

1,6

2.4

Total

100,0

100,0

Source : enquête spécifique

Quelles spécificités pour les différents types de recrutements sur titres ?

25Après avoir comparé les situations de lauréats des différents types de concours, on s’attache à présent à mettre en évidence les caractéristiques principales des personnes recrutées sur titres via les articles 18-1 et 22 du statut de la Magistrature, en gardant à l’esprit les différences entre les deux formules, la seconde conduisant à une entrée directe dans le corps (au 2nd grade) tandis que l’art.18-1 permet une entrée directe à l’ENM (sans concours). Dès lors ces auditeurs se soumettent à une scolarité normale, sont mêlés à tous les autres auditeurs y compris lors de la procédure de fin de scolarité avec son classement de sortie. On ne confrontera pas ces situations avec celles associées à l’art.23, qui donne accès directement au 1er grade, faute d’effectifs suffisants.

26Les magistrats entrés par l’art.22, davantage encore que par le 18-1, sont, on le rappelle, majoritairement des hommes : ils comptent respectivement pour 57 % et 55 % des entrées par ces voies dans notre échantillon, soit un taux proche de ceux entrés par les concours exceptionnels (55 % d’hommes) mais très inférieur à celui du 2e concours (65 % d’hommes).

27Ces magistrats, entrés sur titre, sont nombreux à estimer, comme leurs homologues entrés par concours, qu’ils auraient pu rejoindre la magistrature par une autre procédure que celle qu’ils ont empruntée, tout en pensant qu’ils auraient eu plus de difficultés en passant un concours. En particulier seule une faible majorité de ceux intégrés directement dans le corps via l’art. 22 aurait pu l’envisager. Curieusement, les avis sont très contrastés selon le sexe et même divergents selon la voie d’entrée. Ainsi, 51 % des femmes entrées par l’art.22 et 48 % de celles entrées par le 18-1 déclarent qu’elles auraient pu choisir une autre voie. Chez les hommes, alors que 59 % de ceux entrés par le 18-1 déclarent à leur tour qu’ils auraient pu choisir une autre voie, ce n’est en revanche le cas que de 38 % de ceux entrés par l’art. 22. Il n’y a que ceux qui ont rejoint l’ENM par le 18-1 qui sont nombreux à penser qu’ils auraient tout autant pu entrer dans le métier via un des concours. Il est vrai qu’ils ont été mélangés avec les auditeurs issus des concours tout au long de leur formation à l’ENM.

28Les magistrats entrés sur titre grâce à l’art. 22 ont connu une plus forte mobilité que leurs collègues : ils ont occupé nettement plus de postes depuis leur recrutement que ceux entrés par le 18-1. En effet, plus de 23 % des premiers ont occupé au moins 5 postes, alors que ce n’est le cas que de moins de 10 % des seconds. Il faut dire qu’ils ne se trouvent pas dans des situations comparables : les grades auxquels ont accédé les uns et les autres sont très différents, ceux entrés par le 18-1 étant à près de 70 % classés au moment de l’enquête au second grade, alors que près de 70 % de ceux entrés par l’art. 22 sont en revanche au 1er grade ou en 1Bbis. Ce contraste dans la classification est particulièrement accentué chez les hommes, et le déclassement particulièrement fort chez les femmes.

29Ces importantes différences d’ancienneté dans le corps jouent évidemment un rôle majeur dans l’ampleur de la mobilité comme dans les niveaux de classification : la montée en charge des recrutements par le 18-1 est récente, tandis que les entrées via l’art.22 se répartissent comme on l’a déjà dit – avec des effectifs variables – tout au long du temps. Si bien que ces derniers sont même presque les seuls à être entrés dans le corps avant 1990 et sont encore largement majoritaires entre 1990 et 2000, tandis que près des trois quarts des recrutés via le 18-1 sont entrés après l’an 2000 (ce n’est le cas que de 44 % de ceux entrés par l’art. 22). En cohérence avec ces précédents éléments, les différences dans l’âge des magistrats entrés par l’une ou l’autre filière sont manifestes. Ainsi, alors que le cinquième de ceux entrés par l’art. 22 sont nés avant 1950, ce n’est le cas que d’une infime minorité de ceux entrés par le 18-1 : à peine 6 %. Et tandis que 61 % de ceux entrés par l’art. 22 sont nés entre 1950 et 1960, et à peine 6 % depuis 1970, ce sont plus de la moitié de ceux entrés par le 18-1 qui sont nés depuis 1970.

30Dès lors, les responsabilités auxquelles ont accédé les uns et les autres sont-elles logiquement très contrastées : ceux entrés par l’art. 22 et affectés au siège accèdent majoritairement à des Vice-Présidences voire à des responsabilités supérieures, positions que ceux entrés par le 18-1 n’ont atteintes qu’exceptionnellement. C’est le même constat pour le parquet : rares sont ceux entrés par le 18-1 qui ont déjà accédé à une position de vice-procureur, plus des 2/3 d’entre eux étant encore substituts en poste, ou même substituts placés.

Tableau 10 : Les fonctions exercées par les magistrats du siège et du parquet entrés sur titres

Siège

Art.18-1

Art. 22

Total

1er Président(e)

Président(e) de chambre

6,5

3,1

Président(e) de chambre instruction

Président (e)

4,5

6,5

5,4

1er Vice Président(e)

1er Vice Président(e)-adjoint(e)

Vice Président(e)

17,9

33,9

25,6

Conseiller

4,5

14,5

9,3

Juge

64,2

29,0

47,3

Magistrat(e) placé(e)

9,0

4,8

7,0

Secrétaire général(e)

4,8

2,3

Total siège

100

100

100

Parquet

Art.18-1

Art. 22

Total

Procureur général

Avocat général

3,1

1,6

Procureur de la République

6,3

3,1

Procureur-adjoint

3,1

3,1

3,1

Vice-procureur

21,9

46,9

34,4

Substitut général

6,3

9,4

7,8

Substitut

56,3

21,9

39,1

Substitut placé

9,4

4,7

Secrétaire général

3,1

9,4

6,3

Total parquet

100

100

100

Source : enquête spécifique

Les motivations à l’entrée dans la magistrature 

31Après avoir fait le point sur les situations des magistrats au moment de l’enquête et tenté de mettre à jour les principales différenciations entre les diverses voies d’entrée dans le corps, on s’intéresse à présent à leur passé professionnel et aux déterminants qui les ont amenés, personnellement, à changer de profession. Une série de questions sur leur formation, leur passé professionnel ainsi que leurs liens avec le milieu judiciaire permet de dresser un tableau des acquis et des expériences propres à cette population, au moment où elle rejoint la magistrature.

II.1. La nature de leur formation initiale

32Les magistrats entrés par une voie latérale ont presque tous fait leurs études dans une université française (10 % ont en outre fréquenté une université étrangère, le plus souvent dans un pays de l’Union Européenne). Ce qui ne les a pas empêchés de passer aussi par une École (40 % sont passés par une École autre que l’ENM), le plus souvent pour une spécialisation professionnelle et surtout en vue de préparer une candidature au concours d’entrée à l’ENM ou à un autre concours de la fonction publique. C’est ainsi que, par exemple, la fréquentation des IEP est largement répandue, ainsi que celle de diverses écoles professionnelles ou d’application de la fonction publique, comme par exemple des IRA, l’École des Greffes, de la Pénitentiaire, l’École de Santé publique, ou encore l’École des Douanes. Plus généralistes, on trouve aussi des magistrats issus des Écoles Normales Supérieures, et même quelques magistrats ayant fait une École de commerce. Mais la plus fréquentée parmi les écoles reste l’École de formation au Barreau.

33La formation de base est, bien entendu, juridique. À cet égard, transparaissent néanmoins des différences entre ceux entrés par concours et ceux entrés sur titres, ces derniers étant davantage des juristes « purs » que ceux entrés par concours, qui paradoxalement semblent avoir des profils plus diversifiés. C’est le cas surtout de ceux entrés par le concours fonctionnaire dont certains déclarent à l’enquête avoir suivi des études non seulement en sciences politiques mais aussi, moins fréquemment il est vrai, en économie-gestion voire en lettres.

Tableau 11 : Les diplômes des magistrats selon les voies d’entrées détaillées

Art.18-1

Art. 22

2e concours

Concours except.

Licence

26

24

33

35

Maîtrise

40

52

63

72

DEA

38

22

16

40

DESS

15

11

7

21

Master 2

2

3

1

Doctorat

36

3

5

IEP

5

4

10

9

École de commerce

2

1

4

École d’ingénieur

2

Expertise comptable

2

CAPA

26

27

6

32

autre

13

11

25

26

Source : enquête spécifique (attention : plusieurs réponses possibles). Pas d’information sur les art.23 et le 3e concours.

34Concernant le niveau des études atteint par les uns et les autres, le questionnaire invitait les enquêtés à mentionner leurs diplômes de divers types et divers niveaux. L’examen des réponses permet de constater, comme attendu, que la plupart d’entre eux ont une licence, une maîtrise voire, moins fréquemment, un DEA ou un DESS. Il faut noter de fortes différences entre les voies d’accès. Par exemple, les magistrats entrés par l’art. 18-1 possèdent nettement plus souvent que les autres un doctorat, même si les docteurs sont loin d’être majoritaires. Ils ont aussi assez fréquemment le CAPA. Le fait d’avoir le CAPA caractérise particulièrement ceux intégrés par l’art. 22, ainsi que ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire. En revanche, les magistrats entrés par le concours fonctionnaire ont, plus classiquement, une licence et une maîtrise, mais aussi d’autres diplômes liés à leur cursus antérieur, certains possédant aussi des diplômes spécifiques à la branche de la fonction publique à laquelle ils appartenaient précédemment (impôts, éducation, ENA, IRA etc.).

Leur situation professionnelle antérieure 

Les magistrats entrés par une voie latérale avaient-ils précédemment une activité professionnelle, et si oui laquelle ?

35La réponse est massivement positive : 80 % des magistrats présents dans l’enquête étaient même en emploi au moment de leur entrée à l’ENM ou de leur entrée dans le corps, dans le cas d’une intégration directe. C’est dire que les situations autres que l’emploi sont pratiquement absentes, qu’il s’agisse du chômage, de l’inactivité (i.e. pas d’activité professionnelle ni recherche d’emploi) ou bien encore de la participation à une formation initiale ou continue. Ce constat est commun à toutes les voies d’entrées (à l’exception du 3e concours dont à peine 43 % des lauréats étaient en emploi, mais les effectifs concernés sont trop faibles pour être significatifs). Sans surprise, le taux de ceux en emploi est le plus élevé (près de 85 %) parmi ceux entrés par l’art. 22 et par le 2e concours, ces deux voies étant dédiées aux professionnels du droit et aux fonctionnaires. Il est encore très élevé (80 %) pour ceux entrés par l’art. 18-1, compte-tenu du fait qu’il s’agit de décisions qui relèvent de la commission d’avancement. Il faut également noter que près des trois-quarts des entrants par un concours exceptionnel ou complémentaire étaient aussi en emploi lors de leur entrée à l’ENM.

36Comme on vient de l’évoquer, la proportion de ceux qui déclarent avoir été en formation au moment de leur recrutement est très faible (moins de 5 %). Il semble bien qu’elle soit, en réalité, plus importante que ce qui est déclaré car lorsqu’on demande à ceux des enquêtés qui répondent avoir été dans une situation « autre » que celles classiquement énoncées (emploi, formation, chômage, inactivité) d’expliciter leur situation, la plupart des réponses évoquent très clairement des situations de formation dans la cadre de la préparation à des concours (IEJ, prep. ENM, voire IRA DEA…)

Tableau 12 : Situation personnelle des magistrats entrés par une voie latérale lors de leur entrée dans le corps ou à l’ENM

Art.18-1

Art. 22

2e concours

Concours except.
ou compl.

Ne sait plus

Total

En congé pour raisons personnelles

2

4

3

3

1

13

En recherche d’emploi

4

7

1

16

En formation (initiale ou en reprise de formation)

3

14

6

27

En emploi

86

83

113

95

19

411

Sans activité professionnelle ni recherche d’emploi

3

3

7

Autre situation

8

11

4

15

3

43

Total

106

98

134

129

24

517

Source : enquête spécifique (limité aux seuls répondants).

37Quels types d’emploi les nouveaux magistrats avaient-ils quittés ? La majorité des magistrats entrés par une voie latérale et qui étaient en emploi au moment de leur entrée à l’ENM ou au moment de leur intégration étaient des salariés de la fonction publique (56 %), auxquels s’ajoutent ceux qui étaient assistants de justice (3 %). Au total, la fonction publique employait donc 59 % d’entre eux. Les autres exerçaient en libéral (23 %) ou, beaucoup plus rarement, en entreprises (15 %), encore plus rarement dans une association ou une fondation (3 %).

38Si l’on entre dans le détail, on distingue des situations très contrastées, qui correspondent aux spécificités des différentes voies. Ainsi, alors que ceux qui sont entrés par le concours fonctionnaire étaient bien dans la fonction publique, ils ne sont plus que respectivement 36 % et 35 % à être issus de la fonction publique lorsqu’il s’agit des entrées via l’art. 18-1 ou les concours complémentaires ou exceptionnels. Avec, là encore, des forts contrastes. Car si ces deux dernières voies comptent de nombreux avocats, elles se distinguent par le fait que c’est par l’art. 18-1 que candidatent principalement les assistants de justice, ce qui n’est pas du tout le cas des concours exceptionnels ou complémentaires, qui attirent davantage des juristes d’entreprises.

39Mais quelles que soient leurs origines professionnelles, il est important de noter que, à part les assistants de justice (qui sont des non-titulaires), la plupart des magistrats entrés par une voie latérale à partir d’une situation d’emploi étaient dans une situation professionnelle stable. Les fonctionnaires sont dans la quasi-totalité des cas des fonctionnaires titulaires de l’État, à l’ancienneté dans la fonction publique généralement très élevée : si 26 % d’entre eux ont moins de 10 ans d’ancienneté, 29 % ont entre 10 et 20 ans, et les autres encore davantage. Ceux qui étaient en libéral sont près de 9 fois sur 10 des avocats ; les ¾ sont même des associés, et un quart seulement des collaborateurs salariés. Enfin, ceux qui sont issus de l’entreprise étaient quasi tous en CDI.

Leur proximité personnelle avec la justice ou le monde judiciaire

40Près de la moitié (47 %) de ceux qui ont rejoint la magistrature via une voie latérale occupaient des situations professionnelles personnelles antérieures proches du monde judiciaire. Lorsqu’ils sont entrés sur titre, le taux est même proche des 2/3. En revanche, les recrutements par concours se sont faits largement en dehors de la sphère judiciaire, puisque seuls 34 % déclarent avoir précédemment travaillé dans le monde judiciaire. Lorsqu’on entre davantage dans le détail des voies d’entrées, le contraste est encore plus fort : les entrants par intégration directe ou par intégration comme auditeurs – qui on le rappelle doivent leur intégration aux décisions de la commission d’avancement – ont dans les deux-tiers des cas précédemment travaillé dans le judiciaire, alors que ce n’est le cas que de 26 % des lauréats du concours fonctionnaire, ceux entrés par les concours complémentaires ou exceptionnels étant à 42 % des anciens du monde judicaire.

41Mais de quel monde judicaire s’agit-il ? Pour près de la moitié d’entre eux, il s’agit d’anciens avocats, auxquels s’ajoutent, à hauteur de 12 %, des assistants de justice et de 9 % des fonctionnaires du greffe, ainsi qu’un nombre non négligeable de fonctionnaires issus de la pénitentiaire ou encore de la police. Là encore, on observe de grandes différences selon les voies d’entrées : une grande majorité d’avocats parmi ceux entrés par l’art.22 et surtout, moins attendu, par les concours exceptionnels ou complémentaires ; une plus grande variété d’origines pour les entrées via l’art.18-1 et le concours fonctionnaire. Dans l’espace du questionnaire dédié aux commentaires « libres », certains magistrats ont répondu à l’invitation de préciser quelle était leur fonction au moment de leur entrée dans le corps ou à l’ENM : chargé de TD à la fac de droit ou éducatrice spécialisée, huissier de justice, juriste de banque ou encore magistrat dans un autre pays, etc.

42Mais quelle qu’ait été leurs situation professionnelle de départ – en particulier pour les non-fonctionnaires – ces magistrats ont tous été prudents : ils ont conservé leur emploi jusqu’à ce que leur entrée dans la magistrature ou leur entrée à l’ENM soit officiellement actée. C’est le cas de la totalité de ceux entrés par le 2e concours, de 97 % de ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire, et de 93 % de ceux entrés par l’art.18-1. C’est un peu moins vrai de ceux entrés par l’art. 22 : 18 % avaient quitté leur emploi avant leur réussite définitive.

43De l’ensemble de ces indications il ressort qu’une proportion importante des magistrats entrés par une vois latérale ont donc exercé des professions proches voire partie prenante du judicaire, soit en assurant la défense des justiciables, soit en tant que membres de l’institution sans être juges, soit encore en intervenant en amont ou en aval des décisions de justice. Peut-être est-ce précisément cette proximité qui leur a permis de réussir à rejoindre le corps, et peut-être ceux qui en étaient davantage éloignés n’ont-ils pas satisfaits aux prérequis imposés via les concours ou à l’étude des dossiers par la commission d’avancement.

Un entourage immédiat proche de la justice ?

44Si ces magistrats ont eux-mêmes été antérieurement en rapport souvent étroit avec le monde judiciaire, comme on vient de le voir, très peu nombreux sont ceux qui déclarent avoir eu des magistrats dans leur entourage immédiat : à peine plus de 13 %. Encore moins ont-ils été entourés de membres de l’institution ou de l’administration judicaire – à peine 9 % le seraient. En revanche, les membres du barreau sont relativement nombreux autour d’eux, lorsqu’ils n’y appartiennent pas eux-mêmes : ils sont 16 % dans ce cas, avec une proportion maximale pour les intégrés par l’art. 22, qui sont 22 % à avoir des avocats dans leur entourage immédiat.

45En fait, ce qui caractérise le mieux ces magistrats entrés par la voie latérale c’est qu’il s’agit de juristes issus de milieux bien insérés dans la fonction publique, en particulier dans la fonction publique de l’État. En effet, si la majorité de ceux intégrés via l’art. 22 ont des fonctionnaires d’État – non magistrats – dans leur entourage immédiat, c’est aussi le cas de 63 % de ceux entrés par le 2e concours et encore 46 % de ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire. L’accès à la magistrature correspond donc à la fois à une proximité avec le judiciaire mais également à une proximité avec le service public. En revanche, c’est nettement plus rarement qu’ils ont des proches dans la fonction publique territoriale et hospitalière.

Quels sont les moyens dont se sont dotés les candidats pour réussir, et quel était leur niveau de connaissance quant à leur situation future ?

46Si les candidats à l’entrée dans la magistrature se sont dotés de moyens – notamment en termes d’informations – pour réussir leur projet, il ne semble pas que ce soient en priorité des moyens institutionnels. En effet, avant la soumission de leur candidature, à peine 14 % de ceux qui ont finalement réussi l’accomplissement de leur projet disent avoir consulté la Chancellerie, 19 % les services de la cour d’appel de leur résidence – alors que c’est à ce niveau que s’instruisent les dossiers de candidature notamment pour les diverses voies d’intégration. Qu’il s’agisse de la Chancellerie ou de la cour d’appel, leurs services n’ont pas davantage été consultés par les générations de recrutés les plus récentes : le taux de ceux qui ont pris leur attache est resté tout à fait étal. Et si, en moyenne, les sites internet du ministère et de l’ENM ont été, eux aussi, très peu consultés (moins de 30 % disent l’avoir fait) on remarque sans surprise une nette augmentation de leur fréquentation par les dernières générations : parmi les entrants depuis 2006, près de 62 % s’y seraient connectés. Quant aux organisations professionnelles, pourtant relativement nombreuses et actives, elles ont été, à ce stade au moins, totalement ignorées.

47En revanche, les relations personnelles sont très largement et de plus en plus sollicitées : en moyenne 63 % ont consulté un ou des magistrats de leur connaissance (77 % pour ceux entrés depuis 2006) et 43 % ont pris contact avec des connaissances personnelles dans la justice – ce qui témoigne à nouveau d’une forte intégration antérieure dans le milieu judiciaire. D’autant que ces consultations avaient pour but, dans plus de la moitié des cas, d’abonder leur dossier et dans la totalité des cas de prendre des conseils.

Tableau 13 : Avez-vous avant la soumission de votre dossier … ? (en % d’affirmation : oui)

Date d’entrée dans le corps

Avant 1992

Entre 1992 et 1998

Entre 1999 et 2005

Depuis 2006

Moyenne

Consulté la chancellerie

19,5

19,5

7,5

19,2

14,2

Consulté la cour

19,5

23,4

17,1

18,9

19

Consulté le site internet ministère

1,4

2,7

29

61,2

27,1

Consulté le site internet ENM

1,4

5,4

32,3

62,5

29,2

Consulté une ou des organisations professionnelles

1,4

4,1

2,1

Consulté un ou des magistrats de connaissance

40,2

38,8

43,8

45

42,5

Consulté des connaissances personnelles dans la justice

52,3

58,1

62,9

76,5

63

Source : enquête spécifique

48Ces profils « moyens », très typés, ne reflètent en réalité que très imparfaitement les ressources spécifiques propres à chacune des voies d’entrée, qui conduisent à mobiliser différemment les sources d’informations et de conseils. Ainsi, par exemple, les intégrés par l’art.22 font deux fois plus appel à la Chancellerie et à la cour d’appel que les autres.

49Mais quelles qu’aient pu être les ressources et informations sollicitées – ou non –, les magistrats estiment le plus souvent avoir entamé leurs démarches en vue de leur recrutement ou préalablement au concours « en toute connaissance de cause ». Leur information semble davantage formelle que pratique, elle concerne davantage les prérequis que les conséquences de l’entrée à l’ENM, l’intégration, le recrutement. Ainsi, l’information est unanimement maîtrisée pour tout ce qui regarde les exigences réglementaires ou encore les types de connaissances juridiques indispensables – il est vrai que sans cette maîtrise on est recalé –, mais est nettement moins partagée pour tout ce qui concerne l’après-recrutement, sauf peut-être les obligations et contraintes liées aux affectations géographiques, qui sont connues de près des trois-quarts des personnels concernés.

Tableau 14 : Avez-vous entamé ces démarches en toute connaissance de cause quant aux…

Tableau 14 : Avez-vous entamé ces démarches en toute connaissance de cause quant aux…

Source : enquête spécifique

50La relativement faible connaissance des conditions matérielles et statutaires futures durant le processus d’entrée dans le corps semble refléter une situation commune à toutes les voies d’entrée. En revanche, sur les conditions réelles de l’intégration, seuls ceux entrés par l’art. 22 disent – et encore seulement pour les 2/3 d’entre eux – avoir été au fait de leur future situation. Paradoxalement, ce sont les magistrats entrés par le concours fonctionnaire qui étaient, semble-t-il, le moins au clair, la moitié d’entre eux ne sachant pas exactement quelle serait leur situation à l’issue de l’ENM.

51Quant aux questions précises relatives à leur rémunération et leurs conditions de travail après avoir rejoint leur affectation, il semble bien que les magistrats soient très loin de les maîtriser et même de les connaître, ce qui, comme on le montre dans la section suivante, leur vaudra souvent de fortes désillusions. En effet, lorsqu’ils ont déposé leur candidature, 40 % ne savaient pas quelle serait leur rémunération à venir (32 % le savaient plus ou moins) tandis qu’à peine plus de 28 % savaient combien ils toucheraient. Cette incertitude vient peut-être du fait que 58 % ne savaient pas du tout – ou plus ou moins – comment serait validée leur carrière antérieure. Quant à leurs futurs régimes d’indemnisation (primes) il semble avoir été très largement ignoré puisque seuls 13 % des magistrats disent l’avoir anticipé au moment de leur candidature, ce qui va de pair avec le fait que bien peu d’entre eux (22 %) avaient une idée claire de leurs futures astreintes et plus largement de leurs futures conditions de travail.

Tableau 15 : Au moment du dépôt de votre candidature, aviez-vous une idée claire/précise….

De votre rémunération à venir ?

De la validation de la carrière antérieure ?

Des astreintes et des primes ?

Des futures conditions de travail ?

Oui

28,3

22,1

13,4

22,3

Non

39,7

57,8

70,9

53,1

Plus ou moins

32,0

20,2

15,7

24,6

Total

100

100

100

100

Source : enquête spécifique

52D’une manière générale, il semble que ceux entrés par l’art.22 soient davantage au fait de tous ces aspects liés à la carrière – même si leur niveau d’information reste très lacunaire – que leurs collègues entrés par l’art.18-1, les plus éloignés de ces informations : les intégrés art.22 sont près du tiers à avoir eu d’emblée une idée précise de leur rémunération et des modalités de validation de leur carrière antérieure, et ils seraient presqu’autant à avoir eu une idée de leurs futures conditions de travail. Reste qu’une grande majorité déclare n’avoir pas eu d’idées claires à ce sujet, voire en avoir tout ignoré. C’est le cas pour le salaire, la validation de l’ancienneté, mais surtout pour les primes. Ceux intégrés comme auditeurs par l’art.18-1 sont encore dans une bien plus grande ignorance de ce qu’il adviendra de leur rémunération : lorsqu’ils déposent leur dossier, à peine un sur cinq en a une idée claire. D’ailleurs, presque 80 % d’entre eux ne savent pas comment leur ancienneté sera reconnue (13 % le savent plus ou moins, et seuls 7 % déclarent le savoir). Encore moins nombreux sont ceux qui savaient quoi que ce soit au sujet des primes.

53Le niveau d’information des magistrats entrés par le concours fonctionnaire est paradoxal : en dépit des règles qui régissent la fonction publique, seuls 26 % avaient une idée claire de leur rémunération et 20 % seulement savaient comment leur passé professionnel serait validé. Quant aux primes, ils sont à peine plus nombreux que ceux entrés par le 18-1 à en connaître le futur montant.

Les principaux éléments d’attractivité de la magistrature ?

54On a mesuré précédemment la forte attractivité qu’exerce la magistrature vis-à-vis de juristes ayant déjà entamé une carrière professionnelle extra-judiciaire, attractivité qu’illustre notamment l’abondance des candidatures, et aussi la forte sélectivité du processus.

55Grâce à l’enquête originale menée, dans le cadre de cette recherche, auprès d’un échantillon représentatifs de magistrats concerné par ces modes de recrutement, on peut se pencher sur les raisons ou circonstances qui ont conduit des hommes et des femmes qui précédemment travaillaient soit dans la fonction publique, soit en libéral, soit dans le privé ou qui parfois étaient en reprise de formation ou sans emploi, à prendre les initiatives nécessaires pour devenir magistrats.

56On s’intéresse tout d’abord aux principaux éléments d’attractivité tels qu’ils sont perçus par ceux qui ont pu conduire leur projet jusqu’au bout et avec succès, puisqu’ils sont devenus magistrats. Pour les saisir dans leur diversité, le questionnaire cherche à cerner les éléments d’attractivité à caractère général – les valeurs attribuées à la magistrature – et ensuite les éléments d’attractivité plus singuliers en abordant les actions concrètes mises en œuvre par les enquêtés afin d’atteindre leur objectif : intégrer le corps. Les projets tels que récapitulés par les individus – dans leur plus ou moins grande précision – sont ensuite confrontés aux appréciations qu’ils portent ex-post.

Le rôle primordial des valeurs

57Pour cerner les motivations des magistrats concernés par le recrutement latéral, une question à caractère général énonce 12 propositions que les enquêtés doivent sélectionner, sans limitation a priori, afin de définir ce qui, pour eux, explique le mieux l’attractivité de la magistrature. Certaines des questions concernent la Justice en général, d’autres le métier de magistrat, d’autres enfin les conditions de travail et le statut etc. Parmi ces propositions, les répondants ont généralement retenu 3 ou 4 items, ce qui a conduit à l’enregistrement d’environ 2200 réponses, les réponses multiples étant bien entendu acceptées. À l’examen, ces réponses privilégient nettement six items, dont la moitié est liée à la conception de la justice et de la magistrature, les autres étant davantage centrés sur l’exercice du métier.

Tableau 16 : L’attractivité de la magistrature réside, selon vous, dans… ?

Magistrats entrés …

sur titre

par concours

Non réponse

6,3

5,1

Le fait qu’il s’agit d’un service public

11,8

11,0

Les valeurs qu’elle promeut

13,6

13,2

L’exercice d’un pouvoir régalien

5,1

6,3

L’indépendance

10,8

12,0

Le prestige

2,5

2,7

Les relations humaines

10,6

9,9

Le fait qu’il s’agit d’un emploi de titulaire

2,8

2,9

Les protections statutaires

1,5

2,9

La maîtrise de l’emploi du temps

5,0

4,2

La variété des contentieux

11,9

12,2

La variété des fonctions possibles

15,9

15,1

La capacité d’exercer près de chez soi

1,3

1,5

Autre

0,7

0,9

Source : enquête spécifique (selon le mode d’entrée – en % du total des réponses émises. Plusieurs réponses possibles.)

58C’est « la variété des fonctions possibles » qui est le plus cité, 341 fois, suivi par les « valeurs qu’elle [la magistrature] promeut » (294 fois) puis par « la variété des contentieux » (265 fois) «l’indépendance » (254 fois) et le fait qu’il s’agit d’un « service public » (249 fois). Au contraire, les items liés à la sécurité de l’emploi, au statut, au prestige… ne sont presque pas retenus. Ces hiérarchies de valeurs attribuées à la magistrature sont, fait singulier, tout à fait semblables parmi les magistrats entrés par concours et parmi ceux entrés sur titres, et ce dans les mêmes proportions. Fait tout aussi exceptionnel, on ne note que très peu de différences entre les réponses des hommes et celles des femmes, les femmes retenant un peu plus souvent la variété des contentieux et les relations humaines, tandis que les hommes semblent plus sensibles à l’indépendance, au fait qu’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir régalien, voire au prestige, mais ce sont davantage des nuances que des différences. La hiérarchie des valeurs et leurs pondérations sont si robustes qu’elles ne sont pas sensibles à la situation personnelle du répondant : par exemple ceux pour qui l’entrée dans la magistrature a entraîné une évolution positive ou négative de leurs revenus ont des réponses très similaires.

Tableau 17 : L’attractivité de la magistrature réside, selon vous, dans… ?

en poste …

Au siège

Au parquet

Ensemble

Le fait qu’il s’agit d’un service public

11,1

14,1

12,0

Les valeurs qu’elle promeut

13,4

15,8

14,1

L’exercice d’un pouvoir régalien

5,7

7,5

6,2

L’indépendance

14,0

8,0

12,2

Le prestige

1,8

4,6

2,7

Les relations humaines

11,0

11,0

11,0

Le fait qu’il s’agit d’un emploi de titulaire

2,6

3,9

3,0

Les protections statutaires

2,7

2,0

2,5

La maîtrise de l’emploi du temps

6,2

1,9

4,9

La variété des contentieux

12,8

12,7

12,8

La variété des fonctions possibles

16,0

17,3

16,4

La capacité d’exercer près de chez soi

1,9

0,7

1,5

Autre

0,9

0,7

0,8

Source : enquête spécifique ( % selon qu’on est au siège ou au parquet. Plusieurs réponses possibles.)

59Même lorsqu’on détaille les réponses selon les voies d’entrées, la similitude des choix de réponses apportées par les magistrats appartenant à ces groupes, par ailleurs très différents, est manifeste. Il semble donc bien qu’il s’agisse là d’une hiérarchie de valeurs très largement partagée. Cette hiérarchie des valeurs et leur pondération ne varient pas non plus avec l’origine professionnelle des magistrats : qu’ils aient été précédemment dans la Fonction Publique ou exercé en libéral ou encore en entreprises, ils estiment tous, dans des proportions proches, que l’attractivité de la magistrature réside principalement dans le fait qu’il s’agit d’un service public avec ses valeurs, et que la variété des contentieux, des fonctions, et la qualité des relations humaines sont aussi à mettre au premier plan. Il n’y a que sur l’item de l’indépendance que des nuances peuvent être notées : incontestablement, ceux qui sont issus d’une profession libérale y sont moins sensibles(deux points de pourcentage d’écart). À noter que dans aucune des « catégories d’origines » – sauf celle concernant l’exercice antérieur dans une association – ne sont mis en exergue les aspects statutaires ou de « confort » liés à l’exercice de la profession.

60L’examen détaillé des réponses permet toutefois de mettre en exergue quelques nuances dans les critères liés à l’attractivité, nuances qui sans modifier la hiérarchie des items influe sur leur pondération. Le rôle de l’indépendance, par exemple, est apprécié un peu différemment par les magistrats du parquet et par ceux du siège : l’item représente 8 % des citations des parquetiers, et 14 % des citations des magistrats du siège. Mais ces mêmes parquetiers citent davantage que leurs collègues du siège la qualité de service public ainsi que les valeurs qui sont promues par la magistrature, tant et si bien qu’au total, l’ensemble des items liés aux valeurs au sens large (items 1,2,4) sont cités avec la même fréquence par les uns et les autres (respectivement 38,5 % pour le siège et 37,9 % pour le parquet). Ces éléments sont encore confortés par les réponses des magistrats dont le projet initial (i.e. celui qu’ils avaient à l’entrée dans le corps) était d’exercer au siège ou au parquet. Quelle que soit leur situation au moment de l’enquête, ils placent les mêmes valeurs dans le même ordre et avec la même pondération. Ainsi, l’indépendance, à nouveau, est appréciée un peu différemment par les magistrats qui se projetaient au parquet et par ceux qui espéraient le siège : cet item pris isolément représente 9 % des citations des parquetiers, et plus de 13 % des citations des magistrats du siège. Toutefois, les parquetiers citent là encore davantage que leurs collègues du siège la qualité de service public ainsi que les valeurs qui sont promues par la magistrature, et, au total, l’ensemble des items liés aux valeurs au sens large (items 1,2,4) sont cités avec la même fréquence par les uns et les autres (respectivement 38,8 % et 38,4 %).

Vouloir entrer dans la magistrature, une décision précoce ou tardive ?

61La hiérarchie des valeurs étant précisée, on cherche à comprendre quand s’est noué le projet d’entrer dans la magistrature, le degré d’antériorité du projet constituant un indice de son attractivité.

62Les réponses sont à cet égard particulièrement nettes : les magistrats entrés par une des voies latérales ont pour la plupart formé le projet de devenir magistrat précocement, même si ce projet ne s’est réalisé que de manière plus tardive. Le fait qu’il s’agisse d’un projet souvent longuement mûri constitue, là encore, un des apports majeurs de cette enquête. Ainsi, sur les 287 répondants à l’enquête qui sont entrés par concours, si 168 (58 %) ne se sont présentés qu’une seule fois (ils sont donc entrés dès leur première tentative), 92 se sont présentés deux fois (32 %) et 26 trois fois (9 %), témoignant ainsi d’une motivation confirmée. Même une proportion non négligeable de ceux entrés sur titre ont fait préalablement des tentatives d’entrée via un ou des concours de l’ENM : c’est le cas d’un quart d’entre eux, dont certains ont fait deux voire trois tentatives avant de s’orienter plus tard vers un recrutement sur titre. La mise à jour de ces multiples initiatives antérieures éclaire évidemment les réponses précédemment notées quant à la diversité, voire la substituabilité, des choix possibles parmi les différentes voies d’accès à la magistrature.

63Lorsqu’on examine les cursus de ceux entrés par le concours fonctionnaire et de ceux entrés par un concours exceptionnel ou complémentaire, on note que, pour ces deux voies,  la part de ceux entrés à leur première tentative est légèrement majoritaire et peu différente: 57 à 59 % sont concernés. On note aussi que 35 % des lauréats du concours fonctionnaire ont passé deux fois le concours, et 8 % d’entre eux trois fois, et que la part de ceux qui sont entrés à la troisième tentative est plus élevée parmi les lauréats du concours exceptionnel ou complémentaire, puisqu’elle dépasse 12 %. Même ceux qui sont entrés dans la magistrature par intégration ont parfois essayé de le faire via un concours : un tiers environ de ceux entrés par l’art.18-1 avaient préalablement tenté le concours, parfois à plusieurs reprises. Et si ceux entrés par l’art.22 sont moins nombreux à avoir tenté la voie du concours, néanmoins, parmi les 22 % qui l’ont fait, quelques-uns sont même allés jusqu’à se présenter plusieurs fois.

64Symétriquement, on a cherché à savoir combien de fois les magistrats avaient tenté un recrutement sur titre. À cet égard, on note que 18 % de ceux entrés dans le corps par concours avaient tenté précédemment un recrutement sur titre, et que 11 % de ceux entrés sur titre avaient réussi leur intégration à la seconde voire exceptionnellement à leur troisième candidature dans ce cadre. C’est que, pour les uns comme pour les autres, le projet d’entrer dans la magistrature est un projet longuement mûri, et finalement, peu leur importe par quelle voie.

65Le choix de devenir magistrat remonte souvent à l’époque de leurs études. Près de la moitié des magistrats entrés par la voie latérale avaient en effet déjà envisagé d’entrer dans la magistrature dès le choix de leur filière d’études initiales ou tout de suite à son issue. Un nombre important d’entre eux avaient même, à ce moment-là, suivi des préparations au concours d’entrée à l’ENM : 109 des répondants le déclarent à l’enquête, et parmi eux 80 disent s’être présentés au concours dans la foulée. Curieusement, ce sont davantage les intégrés – tant par l’art.18-1 que l’art. 22 – que les lauréats par concours qui avaient, dès la fin de leurs études et même avant, le projet d’entrer dans la magistrature, même s’ils ont été moins nombreux à le concrétiser à ce moment-là, notamment par le biais d’une candidature au concours.

66Cette candidature précoce au concours d’entrée à l’ENM s’est accompagnée, au même moment, d’autres initiatives, sans doute en raison de la difficulté du concours « étudiant ». Ainsi, 70 magistrats indiquent qu’ils se sont présentés simultanément à un autre concours, 15 qu’ils en ont présenté deux, et 12 qu’ils ont tenté 3 concours et même davantage. Sans surprise, ce sont en majorité de futurs lauréats du concours fonctionnaire qui ont fait ces tentatives multiples (subsidiairement des entrants par la voie 18-1). Ils ont rejoint, pour un temps, un autre corps sans renoncer pour autant à leur projet initial, non abouti, d’entrer dans la magistrature.

67D’ailleurs leur itinéraire est tout sauf surprenant, au vu des types de concours qu’ils ont présenté puisqu’il s’agit, en grande majorité, de concours logiquement adaptés à des juristes et en rapport souvent étroit avec la justice : outre l’accès au barreau, sont largement cités les greffes, la pénitentiaire, la police, les concours des tribunaux administratifs mais aussi divers types de concours d’entrée à l’ENM ouverts à ce moment-là. Outre ces concours liés à la justice, sont largement cités des concours de la fonction publique plus généralistes comme l’ENA, les IRA, ou plus particuliers comme l’inspection des Impôts, des douanes, santé publique, direction d’hôpitaux, inspection du travail, commissaire de la marine, Assemblée nationale et plus rarement des concours d’enseignement, comme celui de Maître de conférences.

68Ces démarches en vue de rejoindre la magistrature par une voie latérale ont donc été entamées en cours de carrière professionnelle. Elles se sont parfois réalisées tardivement. Au moment de leurs premières démarches pour rejoindre la magistrature, la plupart des magistrats entrés par une voie latérale étaient comme on l’a vu déjà en emploi, la majorité d’entre eux en emploi dans la fonction publique. Toutefois, cette situation prévaut très majoritairement chez ceux entrés par le concours fonctionnaire, même si elle reste importante dans les autres types de voies, en particulier pour l’intégration directe par l’art. 22. En dehors de ces deux filières, les situations professionnelles d’origine sont nettement plus variées. Ainsi, appartenaient à une profession libérale – en l’occurrence au barreau – une importante proportion de ceux entrés par le 18-1, par un concours exceptionnel ou complémentaire, et surtout par l’art. 22.

69Les magistrats entrés par une voie latérale ont donc visiblement à la fois longuement muri leur projet d’entrée dans la magistrature et se sont donné les moyens de l’accomplir. En réalité leurs projets étaient relativement précis, du moins pour une grande partie d’entre eux.

Quels projets en entrant dans la magistrature ? Et quelles réalisations ?

70Lorsqu’ils ont envisagé d’entrer dans la magistrature, les postulants se faisaient pour la plupart une représentation assez précise de leurs futures fonctions. Tous ne la divulguent pas lors de l’enquête, si bien qu’il n’est pas possible de distinguer, parmi les 21 % de non répondant, ceux qui ne veulent pas répondre de ceux qui, par exemple, n’avaient pas choisi a priori entre le siège et le parquet ou encore de ceux qui n’en n’ont pas gardé un souvenir précis. Si l’on s’en tient aux seules réponses formulées, on note que la proportion de ceux qui initialement souhaitaient rejoindre le parquet est presque identique à celle qu’on trouve dans le corps (autour de 21 %).

71Toutefois, de fortes différences dans les choix a priori apparaissent selon les voies d’entrées empruntées. Ainsi, ceux entrés par concours avaient choisi massivement le siège (les 4/5e sont dans ce cas), par contraste avec ceux entrés par l’art.18-1, qui sont plus de 37 % à avoir choisi plutôt le parquet.

Tableau 18 : En entrant dans la magistrature votre projet était de devenir…

Magistrat du parquet

Magistrat du siège

Total

Art.18-1

37,2

62,8

100

Art. 22

20,0

80,0

100

2e concours

27,2

72,8

100

Concours except. ou compl.

21,8

78,2

100

Je ne sais plus

31,6

68,4

100

Total

27,0

73,0

100

Source : enquête spécifique

72Les souhaits ne correspondent évidemment pas toujours avec ce qui est advenu, du moins à la réalité telle qu’elle prévaut au moment de l’enquête, puisque 34 % de ceux qui déclarent avoir souhaité être au parquet sont, au moment de l’enquête, au siège, tandis que 20 % de ceux qui souhaitaient être au siège sont parquetiers, mais il est vrai que leurs choix peuvent avoir évolué au cours de la scolarité, des stages, depuis leur entrée en fonction, etc... Le décalage entre la situation présente et les souhaits est toutefois plus important chez les femmes que chez les hommes : 44 % de celles qui souhaitaient le parquet sont au siège, alors que ce n’est le cas que de 31 % de leurs collègues masculin. Au contraire, seules 15 % des femmes qui souhaitaient être au siège sont au parquet tandis que c’est le cas de 23 % des hommes.

73Ces choix de fonction correspondaient à des profils très marqués : ainsi plus de 78 % de ceux qui souhaitaient rejoindre le parquet étaient avant tout des pénalistes, tandis que ceux qui se projetaient au siège étaient majoritairement motivés par le droit des obligations ou le droit des personnes.

Tableau 19 : Choix du siège ou du parquet en fonction des préférences juridiques

Magistrat du parquet

Magistrat du siège

Total

Vers le droit des obligations et de la responsabilité

3,2

32,2

25,2

Vers le droit des personnes 

8,0

23,9

20,1

Vers le droit pénal 

78,4

26,6

39,0

Pas de préférences particulières

10,4

17,3

15,7

Total

100,0

100,0

100,0

Source : enquête spécifique

74Ces préférences ne se retrouvent finalement que plus ou moins dans les affectations au moment de l’enquête. Ainsi, si ceux qui marquaient une préférence pour le civil sont dans 80 % au siège, en revanche, les pénalistes ne sont qu’un peu plus de la moitié à être au parquet et pour près de la moitié d’entre-eux au siège. Mais, à y regarder de plus près, on remarque qu’ils occupent relativement souvent des postes à l’instruction.

75Finalement, dans quelles mesures les orientations professionnelles souhaitées au départ par les magistrats entrant dans la profession se retrouvent-elles dans leur situation présente ? C’est difficile à dire, tant la catégorie des magistrats qui déclarent être au « siège non spécialisé » est importante. Notons toutefois, sans surprise, que ceux qui souhaitaient l’instruction sont beaucoup plus nombreux que ceux qui ont pu la rejoindre : ils ne sont que 18 sur 56. À l’inverse, parmi les 36 magistrats à l’instruction, seule la moitié avait formulé ou osé formuler ce souhait au départ….

Notes

25 Parmi les magistrats de notre échantillon entrés par le concours fonctionnaire, les hommes sont, on le rappelle, très majoritaires : 65 % sont des hommes et seulement 35 % sont des femmes. Les concours exceptionnels ou complémentaires sont plus équilibrés, bien que toujours en faveur des hommes (55 %).

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Title Tableau 14 : Avez-vous entamé ces démarches en toute connaissance de cause quant aux…
Credits Source : enquête spécifique
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