La nature a-t-elle un prix ?
|10. Résumé général : limites du principe de l’analyse coût-avantage pour résoudre le problème de l’allocation des biens communs
Texte intégral
1Reposons le problème du choix environnemental dans toute sa généralité :
- 1 Au sens large : soit un bien au sens absolu (par exemple un arbre), soit un bien au sens relatif ( (...)
- 2 Au sens large : préservation au sens strict (ne pas couper l’arbre), ou au sens élargit (préservat (...)
- 3 Nécessaire à la production de telle ou telle chose.
2Soit X un bien environnemental1. Certains individus - groupe A – veulent sa préservation2. D’autres - groupe B - veulent sa destruction3. Il existe deux possibilités d’allocations qui sont :
3E1 : X est alloué à A
4E2 : X est alloué à B
5La question à résoudre est : faut-il choisir E1 ou E2 ? - sachant que donner X à A diminue le bien-être de B et donner X à B diminue le bien-être de A.
6Le problème générique à résoudre est - on le voit - un problème de conflit (d’intérêts ou d’idées, déclaré ou potentiel) entre deux catégories de la population. Identifier et caractériser ce conflit constitue donc le premier pas de toute politique environnementale.
7La règle de résolution du conflit proposée par l’économie du bien-être est la suivante : il faut choisir l’option qui maximise la richesse globale.
8Notre analyse théorique nous a montré que :
9Premièrement, cette règle de décision ne peut pas être appliquée tant que l’État n’a pas défini les droits respectifs des membres de A et des membres de B sur X - sachant qu’il n’existe que deux solutions :
10Deuxièmement, la définition de ces droits définit à son tour la manière de mesurer la variation de richesse entre E1 et E2 (choix entre consentement à payer et à recevoir pour X).
- 6 Sachant qu’il est impossible d’avoir à la fois CAPB(X)CARA(X) et CAPA(X)CARB(X) puisque l’on sait (...)
11Troisièmement, il existe trois et seulement trois6 possibilités :
12(i) Soit CAPB(X) > CARA(X) ; cela signifie que B gagne suffisamment au passage de E1 à E2 pour compenser A tout en restant bénéficiaire. Le passage de E1 à E2 est donc alors une transformation pareto-optimale du monde qui permet de maximiser la richesse globale en un sens absolu. E2 est alors sans ambiguïté le meilleur état social. Le conflit entre A et B à propos de X peut alors se résoudre par un transfert de richesse entre A et B.
13(ii) Soit CAPA(X) > CARB(X) ; cela signifie que A gagne suffisamment au passage de E2 à E1 pour compenser B tout en restant bénéficiaire. Le passage de E2 à E1 est donc alors une transformation pareto-optimale du monde qui permet de maximiser la richesse globale en un sens absolu. E1 est alors sans ambiguïté le meilleur état social. Le conflit entre A et B à propos de X peut alors se résoudre par un transfert de richesse entre A et B.
14(iii) Soit CAPB(X) < CARA(X) et CAPA(X) < CARB(X) ; cela signifie que ni E1- > E2, ni E2- > E1 ne constituent une amélioration pareto-optimale du monde. E1 et E2 sont donc tous deux des optima de Pareto entre lesquels l’économie normative ne peut pas choisir.
15Les notions d’augmentation ou de diminution de la richesse globale sont alors des notions relatives, i.e. dépendantes de la méthode de mesure : des deux états E1 et E2 il est possible de dire qu’ils « maximisent » la richesse, sachant qu’avec un mode de mesure (variation globale de la richesse = CAPB(X)-CARA(X)), on pourra dire que la richesse globale diminue lors du passage de E1 à E2, et qu’avec l’autre mode de mesure (variation globale de la richesse = CAPA(X)-CARB(X)), on pourra dire que la richesse globale diminue aussi lors du passage de E2 à E1.
16Dans le cas (iii), le conflit entre A et B à propos de X ne peut pas se résoudre par un transfert de richesse entre A et B. La règle de « maximisation de la richesse globale » est impuissante.
17Quatrièmement, la question que l’on peut se poser est la suivante : le cas (iii) est-il fréquent ? En d’autres termes, est-il fréquent que la règle de « maximisation de la richesse globale » conduise à l’indétermination ?
18Pour répondre à cette question, mobilisons les résultats que nous avons réunit sur la divergence entre le consentement à payer et le consentement à recevoir :
19Nous sommes par définition dans la situation (i) si CAPB(X) > CARA(X), dans la situation (ii) si CAPA(X) > CARB(X), dans la situation (iii) si CAPB(X) < CARA(X) et CAPA(X) < CARB(X).
20Or nous savons par ailleurs que pour un bien X donné, les CAR sont généralement très supérieurs aux CAP - le ratio CAR/CAP étant généralement compris entre 3 000 et l’infini.
21Il en résulte que les cas (i) et (ii) sont improbables ; le cas (iii) est donc le cas le plus fréquent.
22Autrement dit, dans le cas général, un problème d’allocation de bien environnemental correspond à une situation de type (iii) et ne peut pas être résolu par une analyse coût-avantage.
23Je parle bien sûr ici d’une ACA complète (i.e. tenant compte des coûts et des bénéfices non marchands et de l’existence des deux mesures de la valeur).
Notes
1 Au sens large : soit un bien au sens absolu (par exemple un arbre), soit un bien au sens relatif (par exemple un niveau de propreté de l’air).
2 Au sens large : préservation au sens strict (ne pas couper l’arbre), ou au sens élargit (préservation de la qualité de l’air via une action de réduction du niveau de pollution généré par tel ou tel agent).
3 Nécessaire à la production de telle ou telle chose.
4 Il s’agit - d’une façon générique - du droit de décider du devenir de X.
5 Sachant que si l’on est dans une situation intermédiaire (A et B possèdent tous deux le droit sur X) alors cela signifie qu’il y a incompatibilité entre deux droits : le droit de A d’une part et le droit de B d’autre part. Il faut alors que l’État arbitre entre le droit de A et le droit de B, c’est-à-dire choisisse une des deux solutions présentées dans le texte.
6 Sachant qu’il est impossible d’avoir à la fois CAPB(X)>CARA(X) et CAPA(X)>CARB(X) puisque l’on sait par ailleurs que CARA(X)>CAPA(X), ce qui impliquerait que CAPB(X)>CARB(X), ce qui à son tour serait absurde (cela signifierait que B serait prêt à payer 100 francs pour X tout en acceptant de vendre X pour moins de 100 francs). Cela signifie que si une transformation obéit au critère de Hicks-Kaldor, alors la transformation inverse ne peut pas obéir au critère de Hicks-Kaldor. Le critère de Scitovsky est donc un critère inutile puisqu’il est toujours vérifié dès lors que le critère de Hicks-Kaldor est vérifié. Je rappelle que le critère de Scitovsky postule qu’une transformation du monde est souhaitable s’il est pareto-optimal dans un sens et pas dans l’autre.
© Presses des Mines, 1998