1Je propose ici une explication originale du phénomène de divergence entre le CAR et le CAP. Elle repose sur une explication du phénomène de divergence entre les deux surplus Hicksiens à partir, non pas de concepts purement formels comme le firent Willig et Hanemann, mais de deux concepts dotés chacun d’une signification propre indépendante de l’axiomatique de la maximisation de l’utilité : ce sont les concepts de « valeur » et de « décroissance de l’utilité marginale du revenu ». Nous verrons que nous retrouverons ainsi les intuitions qui se trouvent à la base des travaux de Willig et Hanemann mais, contrairement à eux, nous veillerons à ne pas les stériliser par l’axiomatisation. Nous renonçons donc à la rigueur formelle au profit du contenu, ne pensant pas que les deux soient compatibles ici.

2Le concept d’utilité marginale du revenu existe au sein de l’axiomatique de la maximisation de l’utilité. Mais nous verrons que lorsqu’il est pris dans le sens donné par cette axiomatique, nous arrivons à un concept dépourvu d’intérêt puisque l’utilité marginale du revenu est alors par définition décroissante. Nous verrons ensuite comment un concept d’utilité marginale du revenu peut être construit à partir d’un sens propre indépendant de cette axiomatique, et être utilisé avec profit pour expliquer la divergence CAP/CAR.

3Partons d’une représentation graphique : la dégradation de l’environnement est illustrée par le passage de l’état q0 à l’état q1 (figure 6). L’axe des ordonnées représente l’ensemble des biens marchands, l’axe des abscisses représente la qualité de l’environnement.

4(0, X0) représente l’ensemble des biens consommés. Par commodité, nous poserons l’hypothèse que le prix de l’ensemble des biens consommés, p(0, X0), est égal au revenu R. Nous appellerons q l’élément environnemental disparu entre q0 et q1.

5Posons l’hypothèse suivante :

6H : La variation de bien-être résultant de la consommation de xi et de xii est indépendante de l’existence de q.

7Cette hypothèse est généralement appelée hypothèse de faible complémentarité. Elle a été posée pour la première fois par Mäler (1974)1.

8Cette hypothèse est d’une validité triviale pour la majorité des biens privés. Elle n’est fausse que pour les biens complémentaires au bien environnemental q (par exemple des jumelles permettant d’observer des oiseaux, si q représente précisément ces oiseaux faisant l’objet d’une observation aux jumelles). Comme les biens xi et xii sont par définition les biens qui sont substitués à q lors de la détermination du CAP et du CAR, ils ne peuvent pas être a priori des biens complémentaires à q. Notre hypothèse est donc d’une validité très générale.

9Nous disposons ainsi grâce au bien environnemental non marchand d’un référentiel extérieur au système marchand pouvant nous servir d’étalon local de valeur pour comparer la valeur relative des biens marchands.

10Nous savons, par hypothèse, que la variation d’utilité entre X0-xi et X0 est identique à la variation d’utilité entre X0 et X0 + xii (voir figure). Cette variation est égale à (U0-U1). Cette identité signifie que l’individu est indifférent entre les deux options A et B suivantes :

11A = possession de (xi, q)

12B = possession de (xi, xii)

13Du fait de l’hypothèse H, nous pouvons en conclure que l’individu est indifférent entre :

14A’ = possession de xi

15B’ = possession de xii

16d’où l’on peut conclure que la variation d’utilité résultant du passage de Rp(xi) à R est égale à la variation d’utilité résultant du passage de R à R + p(xii). Nous savons par ailleurs que les différentes expériences donnent SC > SE. Or nous voyons (figure 6) que si SC > SE (i.e. p(xii) > p(xi)), alors cela implique que l’utilité marginale du revenu est strictement décroissante sur la zone de revenu [p(X0-xi), p(X0 + xii)] (figure 7).

17On voit ainsi que si SC > SE - i.e. p(xi) < p(xii) - alors l’utilité marginale du revenu doit être strictement décroissante pour la zone de revenu [p(X0-xi), p(X0 + xii)].

18Il en résulte qu’à valeur égale - i.e. U1-U0 constant - plus l’utilité marginale du revenu sera décroissante et plus la différence entre les deux mesures de la valeur sera grande. Symétriquement, à taux de décroissance de l’utilité marginale du revenu égal, plus la valeur (i.e. U1-U0) de l’élément environnemental sera grande et plus la différence entre les deux mesures de la valeur sera grande.

19On peut exprimer cela par la relation suivante : CAR-CAP = t.(U1-U0) avec t = taux de décroissance de l’utilité marginale du revenu.

20Remarque : Nous voyons ainsi que si t est nul - i.e. si l’utilité marginale du revenu est constante - alors CAR = CAP (nous retrouvons là un des résultats de Hanemann). Cela peut être illustré graphiquement de la manière suivante.

21A partir de ces représentations graphiques, nous voyons qu’une démonstration formelle beaucoup plus simple - et tout aussi inutile – que celle proposée par Hanemann peut être donnée à la supériorité de la SC sur la SE. Cette démonstration consiste à démontrer que t  0, i.e. que l’utilité marginale du revenu est toujours constante ou décroissante. Or nous allons voir que c’est toujours le cas dès lors que l’on définit le concept d’utilité marginale du revenu à partir de l’axiomatique micro-économique.

22Nous passerons ensuite à une conception non axiomatique et non tautologique de l’utilité marginale du revenu de manière à disposer d’un véritable élément d’explication de la divergence CAP/CAR.