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Devenirs urbains

 | 
Maryse Carmes
, 
Jean-Max Noyer

Algérie : sens et enjeux d’une urbanisation par le bas

Abdelkader Lakjaa

Abstract

Cet article explore les pratiques urbaines en Algérie. Il s’appuie sur l’hypothèse de la manifestation d’un conflit entre les intentions des concepteurs de la ville, tant coloniaux que nationaux, et les Algériens habitant les villes. Il présente des enquêtes de terrain à travers lesquelles l’observation de données factuelles se mêle à l’écoute du discours des acteurs. Il a pour but de produire une interprétation identifiante à la lumière du sens que les acteurs urbains injectent dans leurs pratiques des espaces urbains. Pour ce faire il aborde la société urbaine algérienne en essayant de décrypter les pratiques et les imaginaires qui donnent du sens à ce qui est urbain ici et maintenant.

Testo integrale

INTRODUCTION

1À travers le texte qui suit, je me propose de contribuer à la connaissance de la société urbaine algérienne telle qu’elle se laisse saisir à travers la vie quotidienne. Mais le concept de société urbaine ne recouvre pas, ici, la même réalité à laquelle renvoie Henri Lefèbvre, et qu’il présente comme effet induit :

  • 1 Henri Lefèbvre, Du rural à l’urbain, Ed. Anthropos, Paris, 2000, p. 229.

« Cette société que nous vivons, on l’appelle souvent : société industrielle. Ce terme ne me paraît pas exact. Le processus d’industrialisation étant le processus inducteur, il serait plus juste de nommer cette société par l’effet induit qui est l’urbanisation, donc : société urbaine en formation. »1.

2En Algérie, en effet, le processus inducteur est de tout autre nature : il est d’essence exogène. En ce sens, dans l’histoire urbaine de l’Algérie, la colonisation française se révèle être un fait de rupture en fonction duquel on procède au classement des villes en « villes pré-coloniales » et « villes coloniales ». Cette classification ne comporte pas encore la rubrique « ville postcoloniale », bien que l’expression « ville nouvelle » s’insère de plus en plus dans la terminologie du registre officiel de l’urbanisation en Algérie.

  • 2 Cité par Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier, Ed. Dunod, Paris, 1977, p. 2.
  • 3 Charles de Montesquieu (baron de Segondat), cité in Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences socia (...)

3L’approche des pratiques urbaines en Algérie, que je propose dans cette contribution, repose sur l’hypothèse de la manifestation d’un conflit entre les intentions des concepteurs de la ville, tant les coloniaux que les nationaux, et les Algériens habitant les villes. Dans ce conflit, au mépris de la conviction de Le Corbusier : « Vous savez, c’est la vie qui a toujours raison, l’architecte qui a tort »2, c’est aux habitants qu’il est reproché le manque de savoir-être, le laisser-aller, l’attachement à leur culture rurale et leur « fantaisie » en matière de conception architecturale, de choix de couleurs, voire de mode de vie. Face à la complexification de la vie urbaine, due principalement à l’exclusion coloniale quasi-totale des Algériens de la ville et le processus de réappropriation de cette même ville par ces derniers dès le départ des Européens en 1962, j’ai fait mienne la posture de Montesquieu : « J’ai d’abord examiné les hommes et j’ai cru que dans cette infinie diversité des lois et des mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leur fantaisie »3.

  • 4 Idem p. 85

4Ces hypothèses et postures m’ont amené à procéder à des enquêtes de terrain à travers lesquelles l’observation de données objectives se mêle à l’écoute du discours des acteurs. Ces investigations, guidées par le principe qui consiste à « décrire ce qui est, non ce qui doit être »4, ont porté, entre autres, sur l’appropriation des espaces domestiques et résidentiels en milieu urbain, le travail informel des femmes en ville, les retombées de l’urbanisation sur la santé mentale des habitants des villes. En vue d’intégrer ces éléments empiriques dans un cadre théorique global, nous nous efforçons de les faire converger en les articulant dans une même problématique. Cette démarche consiste à soumettre ces éléments relativement disparates à un processus de clarification dans lequel s’entremêlent et se confrontent des éléments issus d’un travail théorique de conceptualisation et d’analyses de travaux de terrain méthodologiquement construits, c’est-à-dire soumis à un même questionnement.

5Un dernier mot sur l’objectif et la démarche qui lui est solidaire :

  1. L’objectif : opérer en vue de produire une interprétation identifiante à la lumière du sens que les acteurs urbains « injectent » dans leurs pratiques des espaces urbains.
  2. La démarche : l’approche de la société urbaine algérienne nécessite d’inverser la perspective : plutôt que de rechercher les critères qui définissent et établissent de façon abstraite le caractère urbain et tout ce que doit renfermer le concept d’urbanité, il importe de s’attacher à décrypter les pratiques et les imaginaires qui donnent du sens à ce qui est urbain ici et maintenant. Cette démarche s’inscrit en opposé à celle qui consiste à appliquer un référentiel normatif exogène à la société urbaine et à ses villes en Algérie. Il semble encore que l’image de laboratoire social soit plus représentative de la réalité actuelle de la ville algérienne tant il est vrai que « les premières ébauches des transformations sociales en milieu urbain sont souvent difficiles à saisir »5 et que la détection de ces signes a une importance particulière.

6Cette contribution s’articule autour de cinq idées essentielles :

  1. l’urbanisation coloniale pour rappeler l’exclusion et le sens historique de la réappropriation de la ville par les Algériens dès les toutes dernières années de la présence coloniale française ;
  2. l’urbanisation postcoloniale pour souligner la complexité de la réalité urbaine en Algérie ;
  3. l’urbanisation par le bas pour mettre en évidence l’apparition de nouveaux acteurs : les femmes et les jeunes ;
  4. urbanisation et changement social : axe qui lève le voile sur le « coût » social de l’urbanisation en Algérie ;
  5. la société urbaine en émergence : axe qui renseigne sur les spécificités de l’urbain en Algérie

I - L’URBANISATION COLONIALE : L’EXCLUSION DE LA VILLE

  • 6 Coquery-Vidrovitch, Catherine., Histoire de l’Urbanisation africaine, in Jean-Louis Biget et Jean- (...)

7Quand on s’intéresse à l’urbanisation en Algérie, la période coloniale française prend place dans le processus d’urbanisation comme une brisure « béante » qui ressort, le long de l’histoire urbaine, depuis la période ante-coloniale jusqu’à l’indépendance, « comme remarquablement brève en durée, mais néanmoins lourde de conséquences »6.

  • 7 Bourdieu Pierre et Sayad Abdelmalek, Le déracinement - La crise de l’agriculture traditionnelle en (...)
  • 8 Germaine Tillion, préface au livre de Michel Cornaton, Les regroupements de décolonisation en Algé (...)

8Parmi les transformations opérées par la colonisation française en Algérie, le déplacement de la population rurale peut être cité non seulement comme le plus massif mais aussi sûrement comme le plus déterminant. À ce propos P. Bourdieu et A. Sayad ont relevé que : « Si, outre les regroupements, on prend en compte l’exode vers les villes, on peut estimer à trois millions au moins, c’est-à-dire la moitié de la population rurale, le nombre des individus qui, en 1960, se trouvaient hors de leur résidence coutumière. Ce déplacement de population est parmi les plus brutaux qu’ait connus l’histoire »7. Et pour Germaine Tillion quand bien même le déracinement des populations paysannes est un problème mondial, « […], seulement il est plus aigu, plus impossible à différer en Algérie qu’ailleurs… »8.

  • 9 L’expression est de Pierre Bourdieu dans Travail et travailleurs en Algérie, Ed. Mouton, 1963, p. (...)
  • 10 In préface au livre de M. Cornaton, Les regroupements de décolonisation en Algérie, Editions Econo (...)

9Si ce déracinement force l’attention c’est parce qu’il ne se dissocie pas de la crise de l’agriculture traditionnelle qui a inévitablement conduit à l’enclenchement des mécanismes de l’exode des populations rurales vers les villes, le tout produisant un « bouleversement extraordinaire et irréversible » de la société rurale algérienne9. Ici le mot déplacement revêt le sens de déracinement parce qu’il a arraché des populations entières à leur terre, à leur rythme de vie et à tout leur univers spatiotemporel. Cet arrachement a conduit aux regroupements massifs de la population rurale algérienne et a été, par conséquent, à l’origine d’une urbanisation forcée. Non seulement « le déracinement casse les points d’appui », mais en plus il a conduit et abandonné le paysan dépossédé et détribalisé « au milieu du gué », dans le sens où « ce paysan des montagnes n’avait pas été mis en possession des connaissances nécessaires à une réadaptation » comme le précise Germaine Tillion10.

10Face à ces pratiques coloniales, on n’a pas manqué de souligner l’analogie entre les missionnaires de la colonisation espagnole en Amérique latine et les urbanistes de l’armée française en Algérie, quand il s’est agi de changer le modèle de l’organisation sociale et la cosmogonie des colonisés. Les deux puissances coloniales ont recouru au changement des structures spatiales pour agir sur les structures sociales et les identités. À ce propos, il a été relevé que :

  • 11 Le déracinement - La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Ed. de Minuit, 1964, op. ci (...)

« Tout se passe comme si le colonisateur retrouvait d’instinct la loi ethnologique qui veut que la réorganisation de l’habitat, projection la plus fondamentale de la culture, entraîne une transformation généralisée du système culturel. M. Lévi-Strauss remarque par exemple que les missionnaires ont vu dans la transformation de l’habitat imposé aux Bororo le moyen le plus sûr d’obtenir leur conversion. La réorganisation de l’espace habité est donc obscurément saisie comme une façon décisive de faire table rase du passé en imposant un cadre d’existence nouveau en même temps que d’imprimer sur le sol la marque de la prise de possession »11.

  • 12 Pour la faiblesse relative de l’évolution de l’emploi salarié non agricole durant cette période, s (...)

11En Algérie, l’urbanisation coloniale, brusque et brutale à la fois, telle qu’elle a été amorcée au début de la deuxième moitié du XIXe siècle, se différencie de l’urbanisation induite de l’industrie dans les sociétés de l’Europe de l’ouest. D’autre part, ici, l’urbanisation s’est trouvée accélérée, dès 1954, par des facteurs à la fois politiques et militaires qui n’ont aucune commune mesure avec des considérations économiques, tels les besoins en force de travail de l’industrie ou autre secteur12.

  • 13 Statistiques, Armature Urbaine 1987, Les Collections de Statistiques 4, Office National des Statis (...)

12C’est là une particularité qui a fini par s’imposer comme la caractéristique essentielle de l’urbanisation dans l’Algérie postcoloniale. Il suffit de rappeler, à cet effet, qu’au lendemain de la mort de l’initiateur de la politique d’industrialisation, Houari Boumèdiène en 1978, l’arrêt de celle-ci, menée tambour battant durant les années 1960/70, n’a eu aucune incidence sur le taux d’urbanisation qui a poursuivi son fol accroissement. De 40 % en 1977 ce taux grimpe à 49,67 % en 1987 et à plus de 58 % en 1998 alors qu’il a cru de 8,6 % entre 1966 et 1977 en passant de 31,4 % à 40 %13. Nous sommes, ainsi, en présence d’une urbanisation démographique, selon l’expression du géographe Robert Escalier, qui se déploie de façon quasiment indépendante de l’industrie. Il ne semble pas inintéressant de comparer l’évolution du taux d’urbanisation des décennies 1966/1977, 1977/1987 et 1987/1998 et considérer que la période 1966/1977 est celle qui constitue le moment fort de la politique des industries industrialisantes en Algérie, mise en œuvre par le régime jacobin de Houari Boumèdiène. Le coup d’arrêt porté à cette politique saint-simonienne du « Tout pour l’industrie, tout par l’industrie », peut être illustré, pour la SONATRACH, par l’annulation pure et simple du projet GNL3 prévu à Béthioua, dans le pôle pétrochimique d’Arzew.

13Cette caractéristique de l’urbanisation en Algérie explique l’intérêt que je porte à l’analyse des espaces urbains et, plus en profondeur, aux espaces résidentiels à travers une démarche identifiante.

  • 14 Bernard Lepetit in Jean-Louis BIGET et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains – Situ (...)

14En effet, l’idée de l’autonomie relative de la dynamique d’urbanisation me conduit à m’interroger sur l’identité des villes et de leurs populations. Ce questionnement est sous-tendu par l’idée que la question urbaine se ramène, en dernière instance, à la question sociale ; il se focalise « sur la nature du lien social et de l’identité (non pas celle des villes […] mais des individus et des groupes qui y résident) »14. De ce point de vue, mon questionnement s’empare de l’urbanisation, tant coloniale que postcoloniale, comme un processus qui vise à « retravailler » la société urbaine en vue de sa profonde resocialisation/acculturation.

Tab. 1- Èvolution de la population urbaine de 1886 à 1954 ( %)

Source : Collection Statistiques N° 4 et N° 97, ONS

  • 15 Henri Lefebvre, Du rural à l’urbain, Ed. Anthropos, Paris, 2000, p. 229.
  • 16 Julien Freund, préface, Max Weber, La ville, Ed. Aubier-Montaigne, Paris, p. 15/16.
  • 17 Henri Lefebvre, Du rural à l’urbain, op. cit., P. 236.

15L’urbain comme concept a été élaboré, nous dit Henri Lefèbvre, pour saisir, à la lumière d’analyses dialectiques, la complexité des faits contradictoires et conflictuels et, ainsi, dépasser les constats descriptifs et les simplifications réductrices. En s’attachant à rendre compte de la vie qui se déploie hors des entreprises et des autres espaces de travail productif, le concept de l’urbain « met l’accent sur le quotidien dans la vie des villes »15. Dans cette perspective, je m’attache à proposer des éléments de connaissance sur les rapports particuliers qu’entretiennent les Algériens avec leurs villes, c’est-à-dire ces rapports propres à toute ville selon Max Weber pour lequel « le développement des villes s’est également fait dans chaque civilisation selon la logique ou l’esprit propre à chacune. C’est ce qu’il appelle Eigengesetzlichkeit, ou loi interne propre. »16. En Algérie, comme dans le reste du monde arabo-musulman contemporain, l’urbain s’il ne s’assimile ni à la cité arabe antéislamique ni à la ville arabo-musulmane, ni enfin aux villes arabes sous la colonisation, il « les remplace en les englobant donc sans les exclure en tant que moments historiques »17.

  • 18 Jean-François Augoyard, Pas à pas. Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain. Ed. du Seu (...)

16La réalité urbaine de plus en plus lourde de conflits « incompréhensibles » et de « pratiques plurielles qui vont de la dégradation des lieux urbains à l’inversion ironique de leurs significations fonctionnelles »18, dicte à l’observateur de s’interroger sur les liens qui fédèrent ces différentes manifestations et les sens qui les structurent. Les réponses à ces interrogations semblent de nature à permettre de fournir des éléments de connaissance sur les modes d’appropriation des espaces urbains dont l’interprétation passe nécessairement par le décryptage des représentations et des images associées à ces espaces. L’analyse de ces modes d’appropriation/réappropriation des espaces a été menée à la lumière d’analyses de pratiques urbaines « anodines », « banales » et même « légères » en apparence mais de plus en plus « lourdes » de sens. En procédant selon l’approche par « paliers en profondeur », je me suis attardé sur les rapports à l’espace résidentiel à travers la dynamique des modifications/transformations qu’on fait subir à l’habitation, aux discours sur la ville à travers les représentations qu’en ont les habitants, au travail des femmes à domicile en milieu urbain, aux troubles de la santé mentale en relation avec l’urbanisation.

17Dans l’Algérie indépendante, la ville coloniale a été reconduite comme le symbole du lieu d’exercice du pouvoir mais elle a cessé, dès 1962, d’être celui de l’exclusion de la majorité de la population qui va manifester son droit à la ville.

II - L’URBANISATION POSTCOLONIALE : RÉAPPROPRIATION DE LA VILLE

  • 19 Anatole Kopp, Changer la ville, changer la vie, Ed. Union Générale, 1975.
  • 20 La délimitation de ce qui est urbain par l’Office National des Statistiques (ONS) rappelle s’il en (...)

18En Algérie, la continuité du modèle d’urbanisation colonial, bien au-delà de l’accession à l’indépendance, offre une grille de lecture qui permet de décrypter une grande partie de la crise urbaine qui y sévit. D’autre part, ce décryptage de la ville algérienne postcoloniale requiert la compréhension du modèle d’urbanisation prôné en URSS dans les années 1920. La conception dominante de la ville postcoloniale, de type fonctionnaliste, semblait répondre au principe cher aux constructivistes « changer la vie, changer la ville », ce qui revient à dire « agir sur la société via l’espace »19. En écho à l’intervention de l’État dans ce domaine20, le sens la « reconfiguration » de l’espace urbain planifié par ses usagers se donne à lire comme l’expression d’un refus de continuer à se laisser enfermer dans un modèle urbain d’inspiration exogène. Ce qui n’est pas sans rappeler, les constructivistes soviétiques :

  • 21 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, (...)

« L’idée de nouvelles configurations d’espaces comme locomotive du progrès social est récurrente dans la doctrine architecturale et alimente le débat entre une architecture progressiste, scientifique et philanthropique et une architecture plus ancrée dans l’histoire, plus « humaniste ». Ce débat a été amorcé en 1920 par les constructivistes russes : comme les autres institutions, le logement, ancrage de la vie quotidienne, devait participer aussi à la construction du nouvel homme soviétique »21.

La crise urbaine

  • 22 Le lecteur intéressé par cet aspect de la crise urbaine en Algérie peut se référer à Abdelkader La (...)

19Aussi l’ampleur du champ urbain se révèle-t-elle à un double niveau : 1) un niveau quantitatif et concret, 2) un niveau qualitatif et caché qui est au fondement même de la crise urbaine22.

20Sur le plan objectif, les signes par lesquels se manifeste l’ampleur de la crise urbaine se révèlent sous plusieurs contours. Sans le moindre doute, le premier de ceux-ci réside dans l’accroissement des populations qui se sont laissé gagner par la dynamique de l’exode vers les villes dès les premières années de l’indépendance du pays. L’accroissement du taux d’urbanisation dès 1966 traduit cette dynamique :

Tab. 2- Évolution de la population urbaine de 1966 à 2008 ( %)

Source : Collection Statistiques N° 4 et N° 97, RGPH 2008, ONS

La crise urbaine dans ses manifestations concrètes

21La multiplication des bidonvilles et, son pendant, la crise du logement, sont deux autres aspects de cette crise urbaine qui sévit depuis plus d’un siècle en Algérie.

22La dimension cachée de cette même crise est révélée par la dynamique de transformation et de modification du logement. Telle que je l’ai observée au départ, cette dynamique ne semblait concerner que les habitations coloniales, abandonnées par les familles françaises et européennes, durant les premières années de l’indépendance. Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour dépasser ma première hypothèse selon laquelle les transformations/modifications visaient à adapter l’habitation française au mode de vie de la famille musulmane. Car l’élargissement du champ d’observation a conduit à la reformulation de l’hypothèse à la lumière de l’extension de cette même dynamique des transformations/modifications aux logements conçus et réalisés par les organismes étatiques algériens, au profit des classes urbaines moyennes et inférieures, dès les années 1970. En clair, et de façon concrète, tant les anciens que les néo-urbains ont signifié à l’observateur que la ville s’offre à l’analyse comme une configuration socio-spatiale en cours de reconfiguration. D’autre part, les autres parties des espaces résidentiels, publics et semi-publics, n’ont pas manqué d’être saisis par cette même dynamique.

  • 23 Georges Balandier, Sens et puissance, les dynamiques sociales, 2ee, Quadrige, PUF, Paris, 1981.

23Dans la réalité algérienne, le projet urbain « réel » se révèle par petites touches, à travers les pratiques sociales qui dominent les espaces urbains et dont nous dégageons deux caractéristiques paradoxales : elles sont ascendantes et elles s’ancrent dans des réalités sociales invisibles. En paraphrasant Georges Balandier, il nous paraît prioritaire que la sociologie procède au repérage des indicateurs des multiples micro-changements qui convergent tous en autant d’éléments d’une même mutation23. C’est en vue de la recherche de ces signes, tels qu’ils se laissent saisir à travers les mille et une manifestations de la vie quotidienne, que je me suis intéressé à l’espace résidentiel comme objet d’étude.

L’espace résidentiel

  • 24 Préface au livre de Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier 1927-1967, Ed. Dunod, Paris, 1972

24J’ai opéré l’approche des modes d’appropriation des espaces urbains sous l’angle des transformations/modifications de l’habitation. Cette dynamique renseigne, de notre point de vue, sur les rapports qu’établissent les groupes sociaux nouvellement urbanisés avec l’espace bâti, c’est-à-dire à l’urbain dans sa dimension matérielle. Cependant cette dynamique, qui confirme l’idée de ce que Henri Lefèbvre appelle l’habiter actif24, n’est pas propre à Algérie :

  • 25 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, (...)

« La nécessaire liaison sans cesse invoquée par Le Corbusier entre logement et architecture sera étudiée in situ par Ph. Boudon (1969) à Pessac ; l’enquête qu’il mène quarante ans après la construction du quartier, révèle les transformations opérées sur les maisons révélant les conflits qui se règlent dans l’espace entre une certaine raison architecturale et une compétence que les habitants manifestent par des changements dans tout ce que l’architecte fait d’innovant »25.

  • 26 Se référer à Abdelkader Lakjaa, L’habiter identitaire, in Abdelkader Lakjaa (s/d), Modes d’appropr (...)
  • 27 Voir à ce propos les travaux de Abdelkader Lakjaa, pour l’habitat collectif, et de Mohamed Madani, (...)

25Mais en Algérie cette dynamique va au-delà : elle puise son sens dans la recherche d’un habiter identitaire26. Du moins, c’est sous cet angle qu’il me semble possible de proposer une interprétation de l’accroissement régulier de la part des dépenses que les ménages algériens, toutes CSP confondues, consacrent à leur habitation. Au-delà des différentes charges, les dépenses allouées à la transformation/modification du logement, telles qu’elles ressortent dans les statistiques officielles dans la rubrique « entretien et réparation » de leur habitation, de façon régulière depuis 1959, année de la première enquête réalisée en Algérie par l’ARDES sur la Consommation des Familles Musulmanes d’Algérie, n’ont jamais cessé de croître. Mon hypothèse m’amène à interpréter ces dépenses comme étant des dépenses consenties à la recherche d’une meilleure habitabilité. Pour l’Algérie, des recherches menées depuis la fin des années 198027, montrent que les compétences affichées par les usagers à travers leurs recherches d’un autre mode d’habiter ne vont pas dans le sens souhaité par les architectes ou par l’État.

26Les modifications observées s’affichent dans différents registres :

  1. Interventions sur le bâti : a) déplacements : entrées des pièces et/ou de la cuisine, b) réductions : dimensions des fenêtres, c) surélévation : des murs d’enceinte, d) adjonctions : du balcon et/ou de la loggia, partie ou totalité des espaces collectifs, partie des espaces extérieurs limitrophes des immeubles, e) sécurisation des portes et fenêtres : pose de barreaux sur les fenêtres (cette opération, observée sur tout le territoire national, est appelée « barreaudage » en Algérie) et de portes métalliques en renforcement des portes en bois, etc.
  2. Transformation du garage en local commercial.
  3. Nouveaux investissements esthétiques : pose de faïence, de stucs, embellissement des faux-plafonds.
  4. Réaffectation des pièces à de nouvelles utilisations.
  • 28 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, (...)

27Si ces observations sur les transformations/modifications que les usagers font subir à leur logement sont importantes, c’est parce qu’elles permettent de savoir ce que fait la société de ce qu’on a voulu faire d’elle, comme le note Marion Segaud à propos de « l’effet social d’un dispositif spatial [qui] n’est rien moins que garanti quand on examine les usages. »28 et que

  • 29 Ibid. p. 169

« Le rapport entre l’espace domestique et la conduite morale des familles étant en grande partie le moteur de ces préoccupations. Le logement est considéré comme un outil de transformation de l’individu mais aussi de la société et comme condition de son entrée dans l’âge industriel »29.

  • 30 Pour le projet de modernisation du monde rural algérien, à travers principalement La révolution ag (...)

28En Algérie, ces préoccupations ont conduit les décideurs à réfléchir aux possibilités d’adapter les nouvelles classes urbaines au nouveau cadre urbain, en les transplantant de leur culture d’origine, agricole et pastorale30, à la culture industrielle, « moderne » et « rationnelle ».

  • 31 Les problèmes que pose la formation de l’architecte algérien semblent s’expliquer par cette contin (...)

29Face à ces réalités, j’ai été amené à recentrer mes recherches autour de la notion d’habiter identitaire qui s’est avérée, comparativement à celle de modes d’appropriation de l’espace résidentiel, plus synthétique et plus adéquate à la complexité de la réalité de l’habitation31.

30Par ailleurs, cette nouvelle perspective de recherche a été confortée par le sens qui se dégage, selon la lecture que j’ai faite, des séries statistiques relatives aux dépenses de consommation des ménages algériens depuis 1959, dont les dépenses consacrées au groupe « Logement et charges ».

Tab. 3 - Evolution des dépenses d’entretien et de réparation du logement dans les dépenses du groupe « Logement et charges » ( %)

Source : construit à partir de différentes enquêtes de l’ONS (36).

* Les résultats de l’enquête 2001 ne nous permettent pas de présenter la part des « Entretien/Réparation » dans le groupe « Logement et Charges » ; nous avançons la part des dépenses Logement et Charges dans l’ensemble des dépenses des ménages algériens.

31Il est aisé de faire remarquer que non seulement le groupe de dépenses « Logement et Charges » enregistre un accroissement régulier depuis 1967 (et même depuis 1959 puisque la première enquête en ce domaine montrait que la part du budget des familles musulmanes réservée au logement était de 9,76 %) jusqu’à 2001 mais aussi qu’au sein de ce groupe les dépenses « Entretien et Réparation » du logement connaissent un accroissement non moins régulier. En 1988/1989 les résultats de l’enquête sur les dépenses de consommation des ménages algériens montraient que ces derniers consacraient près de la moitié de leur budget Logement et charges aux « Réparation et Entretien » de celui-ci. L’accroissement de la part de ce sous-groupe « Réparation et Entretien » s’avère fort significatif si on admet l’hypothèse que ces dépenses traduisent, pour une large part, la dynamique des transformations/modifications que les habitants opèrent dans leur habitation tant ancienne (héritée de l’époque coloniale) que récente (conçue, construite et livrée par l’État) mais toujours en vue d’une recherche d’une meilleure correspondance entre l’unité spatiale (l’habitation) et l’unité sociale (la famille). Sur un autre plan, ces séries statistiques, officielles et nationales, permettent de souligner la convergence relative entre strate urbaine et strate rurale quand il s’agit du niveau des dépenses consacrées au groupe « Logement et charges ». L’un des enseignements qui se dégage de cette convergence concerne bien le caractère non-pertinent du découpage de l’objet (rapports à l’espace résidentiel) en termes d’urbain et de rural tant les budgets consacrés aux habitations dans les deux strates s’inscrivent dans un processus de rapprochement. Est-ce alors là le signe d’un fait social total ?

32En évoluant comme réaction à l’offre d’un espace planifié, la reconfiguration des espaces domestiques et résidentiels lève le voile sur le conflit des rationalités par lequel se caractérise, en Algérie, le « dialogue » entre architectes/planificateurs/décideurs et le reste de la société : ces derniers

  • 32 Marion SEGAUD, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, op. cit., p. 171

« […] ; ils subodorent alors que les configurations d’espaces proposées induiront certaines pratiques qu’ils considèrent « en progrès » par rapport aux pratiques existantes. Ce faisant ils provoquent des réactions de la part des habitants qui à leur tour agissent sur l’espace proposé en l’adaptant »32.

  • 33 Ibid.

33La dominance du type de logements F2 et F3 dans l’ensemble des programmes de logements construits par l’État durant les différents plans quadriennaux et quinquennaux, le long des décennies 1980, 1990 et 2000, va dans le sens de cette même hypothèse qui veut que l’action sur l’organisation sociale et l’ensemble d’idées et d’attitudes qui vont avec, passe par l’action sur l’espace résidentiel offert à la famille. Il s’agit au fait de la recherche de ce qui a été appelé « les effets sociaux de l’architecture » et qui traduisent fort bien les relations entre les configurations spatiales et les rapports sociaux. L’hypothèse qui a toujours prévalu chez les architectes consiste à concevoir le logement comme un « dispositif devant agir sur les rapports familiaux »33.

  • 34 Bruno Etienne, Le flou urbain : l’affrontement des modèles, in Annuaire de l’Afrique du Nord, Ed. (...)
  • 35 La Casbah d’Alger, gestion urbaine et vide social, Ed. OPU, Alger, 1985.

34Ainsi, si l’espace de la ville se déploie comme le terrain de prédilection d’un conflit de rationalités, la raison en est que le projet urbain porté par la société se révèle être aux antipodes de la ville programmée. En effet, si du côté de la société il est question de transformation/modification des espaces urbains, soit un processus de rupture par rapport au modèle français colonial, du côté des décideurs le modèle de la ville coloniale n’a jamais cessé de fonctionner34. Pour signifier l’importance et le sens de la rupture avec le modèle urbain colonial, voici la réflexion d’un Algérois habitant une ancienne maison coloniale : « Lorsque je rentre chez moi, j’ai l’impression de rentrer chez l’étranger »35.

35Pour illustrer ce fait, il suffit de relire la production réglementaire et législative relative à l’organisation des espaces urbains pour relever que la référence française en ce domaine n’a jamais cessé de jouer ; objectivement, l’urbanisation postcoloniale s’est inscrite dans le prolongement du modèle colonial. À ce propos Maria Sgroï-Dufresne ne trouve pas mieux que de conclure l’étude qu’elle a consacrée à « Alger 1830-1984, stratégie et enjeux urbains » en relevant que

  • 36 Maria Sgroï-Dufresne, Alger 1830-1984, Stratégie et enjeux urbains, Editions Recherche sur les Civ (...)

« la politique urbaine menée en Algérie pendant les 15 premières années qui ont suivi l’indépendance peut apparaître comme une « non-politique », profondément marquée par la continuité par rapport à la période coloniale. Aucun changement important n’intervient en effet dans la législation sur l’urbanisme, le statut des organismes de promotion et gestion immobilière ou les techniques de construction. Les investissements industriels prévus par le Plan de Constantine de 1958 sont, quant à eux, poursuivis. »36.

  • 37 Jean-Yves Toussaint, Un fragment de la crise algérienne, Thèse de Doctorat en Sociologie urbaine, (...)

36Presque vingt ans plus tard, les architectes font le même constat à partir du cas de la ville de Tlemcen37.

  • 38 Georges Balandier, Sens et puissance, les dynamiques sociales, op. cit..
  • 39 Marc Augé, Le sens des autres, Actualité de l’Anthropologie, Paris, Ed. Fayard, 1994, p. 90.

37De ce point de vue, l’adaptation se révèle être le résultat plus ou moins heureux d’efforts ingénieux, longs et patients par lesquels les sujets reproduisent, ajustent leurs propres comportements ou encore en adoptent de nouveaux. Contraints de s’adapter, ceux-ci sont amenés à « improviser », c’est-à-dire créer pour se loger, travailler, en mettant au point des stratégies de survie dans un système de contraintes qui leur est imposé. Tout ceci ne pouvant se réaliser ex-nihilo, les migrants en ville se réfèrent forcément à leurs propres repères culturels, à leurs représentations de soi et des autres, du monde et de la vie, du temps et de l’espace, de la vie en société ; repères à la lumière desquels ils se meuvent en ville et participent à la reconstruction sociale des réalités urbaines et à la redéfinition du lien social. De cette façon, ils s’adaptent au nouveau contexte qu’est la ville dans laquelle, comme le dit Georges Balandier, « tout est mis en situation d’effacement, de substitution ou de transformation mais aussi de réemploi de certaines formes reçues du passé »38. Sinon comment peut-on imaginer une société re-élaborer ses propres grilles d’interprétation du réel si ce n’est à la lumière de sa propre culture qui définit sa singularité collective39.

38Le résultat le plus pertinent de cette évolution est que sous les coups de boutoir de cette crise urbaine, c’est tout le mythe de l’accès à la modernité tel que prôné par l’idéologie urbaine qui s’effiloche, et, d’autre part, le mythe de l’État comme acteur unique d’urbanisation qui ne résiste plus. Le tout se jouant dans une véritable ambiance de guérilla urbaine.

La crise urbaine sur le plan théorique

39Sur le plan théorique, la crise urbaine en Algérie se révèle, me semble-t-il, à travers le « succès » qu’ont enregistré les notions de ruralisation, de désordre urbain, de non-ville, de rurbanisation. Si ces notions ont pris place dans le registre lexical de la sociologie urbaine en Algérie, la raison réside fondamentalement dans l’incapacité des analystes et autres observateurs à accéder à la connaissance du sens des nouvelles réalités urbaines. Selon ces derniers, ces réalités urbaines, et les pratiques sociales qui en sont solidaires, sont systématiquement perçues comme les manifestations de la « retraditionalisation » des villes.

  • 40 L’architecte Jean Jacques Deluz souligne cette même incompréhension, voir son texte Ordre et désor (...)
  • 41 Henri Lefebvre, Intervention au séminaire de sociologie de Madrid (6 novembre 1968), Du rural à l’ (...)
  • 42 Lewis Mumford, « La cité à travers l’histoire », Ed. du Seuil, Paris, 1964, p. 228.

40Aujourd’hui, en Algérie, tout semble indiquer que les chercheurs en sciences sociales et la ville se sont tourné le dos depuis longtemps. La ville n’étant pas ce qu’elle aurait dû être, c’est-à-dire comme ils se l’ont toujours représentée, les chercheurs adhèrent quasiment tous au postulat selon lequel celle-ci n’est que désordre40, voire une non-ville. Mais en opérant ainsi, ils ignorent que la réalité de toute ville n’est point « dans un idéal qui serait au-delà du réel, mais simplement (dans) des possibilités qui sont dans le réel, dans le mouvement du réel, dans le processus du réel qu’il s’agit de connaître »41. Aux traits distinctifs, différentiels et singuliers qui fondent la réalité concrète de tout processus d’urbanisation, comme celui en cours en Algérie, les analystes des villes algériennes, tels les sociologues, les géographes, les urbanistes, les architectes, les politologues, mais aussi les intellectuels islamistes, tournent le dos en allant se référer à des cités passées. Si les « modernistes » se réfèrent aux cités d’outre-mer, les islamistes eux se retournent vers la cité arabo-musulmane dont le noyau premier est bel et bien le modèle de ville conçu à l’origine par le prophète Mohamed ; chacun élevant son modèle au rang de modèle universel. Tel Platon qui s’est détourné « du désordre et de la confusion de sa cité natale, pour imaginer des structures semblables à celles d’archaïques cités, il s’écarte en même temps de toutes les fécondes possibilités de l’existence citadine : le rapprochement et la compréhension des hommes, la lutte et la conciliation des contraires en vue de synthèses nouvelles, et ce pouvoir de proposer aux hommes des objectifs nouveaux qui ne soient pas entièrement déterminés par les structures anciennes »42.

  • 43 Comme la cité grecque du VIe siècle qui évoluait comme « le contenant (qui) apparemment ne valait (...)

41Chez ces chercheurs, les villes algériennes héritées de l’époque coloniale, « dégradées », « rurbanisées », submergées par la démographie, mal entretenues, « souillées », évoluent en fait selon le prisme du « contenu » qui ne vaut pas le « contenant »43. Un contenant légué par la colonisation, c’est-à-dire conçu selon une rationalité spatiale occidentale et, par conséquent, moderne, et un contenu porteur d’une culture arabo-berbéro-musulmane. Ce refus de la nouvelle réalité urbaine, d’essence fondamentalement politique, puise ses référents chez les orientalistes et autres auteurs de la colonisation.

42Cette même thèse de l’« inadaptabilité » des Algériens à la vie urbaine est reprise dans l’Algérie postcoloniale, tant par le discours officiel que par celui des universitaires. Dans l’étude-bilan « Demain, l’Algérie » que le Ministère de l’Équipement et de l’Aménagement du Territoire à consacré en 1996 à l’état et à la reconquête du territoire, on lit à ce propos :

  • 44 République algérienne démocratique et populaire, Demain, l’Algérie 2 Vol. L’état du territoire (vo (...)

« La légalité républicaine est actuellement foulée aux pieds aussi bien par les dépassements que l’on constate vis-à-vis des réglementations de l’urbanisme que par l’incivisme généralisé que l’on constate de la même façon pour l’hygiène et le respect des espaces publics, l’entretien des constructions… ; ces phénomènes étant évidemment exacerbés dans les poches d’exclusion des villes, quasiment en marge de toute loi »44.

43Chez les universitaires il est fait preuve de la même incapacité à comprendre ces réalités urbaines mouvantes et, par conséquent, de la même démarche d’exclusion. Farouk BENATIA, un des sociologues-urbanistes les plus en vue durant les décennies 1970/80, donne libre cours à son amertume de citadin envahi par l’incivisme et l’inculture des ruraux :

  • 45 Alger : agrégat ou cité, SNED, Alger, 1980, P. 39. Chez les géographes même son de cloche : l’un d (...)

« … il arrive qu’en ville, c’est le mode de vie « rurale » qui domine. Ceci est le cas lorsque le nombre de ruraux dépasse celui des citadins. Le degré de « ruralité » est supérieur au degré de citadinité », et encore
« L’ancienne citadinité écrasée par le nombre essaie tant bien que mal de résister en s’efforçant de récupérer les nouveaux arrivés et de les aider à respecter les limites du moule ancestral »45.

44L’architecte J.-J. Deluz, l’un des rares observateurs qui voit dans le désordre apparent des villes algériennes autre chose que de l’anarchie urbaine, note à ce propos :

  • 46 Ordre et désordre dans les périphéries urbaines, NAQD, Revue d’études et de critique sociale, DesO (...)

« Aujourd’hui, on a pris l’habitude de parler de l’espace anarchique des périphéries urbaines. Or, ceux qui en font l’analyse ont de plus en plus tendance à corriger cette appréciation et à découvrir dans cette apparente anarchie un ordre déterminé »46.

  • 47 Michel Coquery, Histoire urbaine des États-Unis : apports d’une approche historiographique. - in J (...)

45Pourquoi alors continuer à refuser le statut d’urbain à des migrants venus s’installer dans les agglomérations urbaines, dès le début du XXe siècle, lesquels migrants n’étaient pourtant ni plus paysans ni plus ruraux que les ouvriers anglais du XIXe siècle ou français des trente glorieuses (1945-1971)47.

  • 48 Robert Tinthoin, Le peuplement musulman d’Oran, extrait du Bulletin de la Société de Géographie et (...)

46Ces présupposés idéologiques qui conduisent à percevoir les villes comme ensauvagées, envahies, et les immigrés ruraux incapables de s’adapter à la ville, ne sont pas sans rappeler le discours colonial dans toute sa splendeur : « En 1900, un douzième des immigrants est Kabyle. En 1936, cette proportion est de un tiers […]. Ce « rush » aura pour conséquence immédiate de perpétuer les habitudes rurales ancrées chez les immigrés et transmises de père en fils dans les villes »48. D’un côté comme de l’autre, on se laisse enfermer dans une vision « statique » des dynamiques urbaines, une vision qui conduit droit à une impasse théorique tapissée de notions comme celles de désordre urbain et de non-ville. Les efforts patients, ingénieux et parfois même douloureux, qui sous-tendent le processus d’élaboration et d’émergence du nouvel ordre urbain, font apparaître au grand jour que ces notions sont des non-sens et ne peuvent être aucunement opératoires pour l’analyse concrète de la ville et de la société urbaine algériennes actuelles.

47Cependant, les difficultés de l’objet, la société urbaine, et son insaisissabilité, d’une part, et sa relative nouveauté, d’autre part, sont telles qu’elles ne peuvent être tues, quand bien même elles ne peuvent justifier le recours à la voie des simplifications réductrices. Ceci est d’autant plus juste que la sociologie urbaine s’est constituée pour tenter de comprendre l’avènement de l’urbain dans toute sa complexité.

48En Algérie, la prise de conscience de la complexification croissante des réalités urbaines, tant chez les gestionnaires que les universitaires, s’est manifestée dès la fin des années 1980 par une série de manifestations scientifiques, organisées principalement dans les trois ou quatre plus grandes villes**. Le dénominateur commun à toutes ces manifestations est que gestionnaires, décideurs et universitaires sont d’accord sur l’essentiel : la ville algérienne échappe à leurs grilles d’analyse et à leurs représentations de ce qu’elle aurait dû être. Tout ceci est de nature à signifier que l’ampleur du champ et de la crise urbains renseigne essentiellement sur ce qui s’y déroule et s’y joue comme processus identificatoires

** Dont on peut citer les plus importantes :
- un premier colloque international en 1988 à Alger consacré au thème « La gestion des grandes villes »,
- en juin 1990 organisation à Oran d’un deuxième colloque international sur la gestion urbaine en 1997 la ville d’Oran abrite la troisième édition de ce colloque,--à Oran encore, entre les deux dernières manifestations initiées par les décideurs, les universitaires tentent de faire entendre leur point de vue sur la question par l’organisation d’un Colloque International organisé par l’Institut de Géographie d’Oran et l’unité de recherche URBAMA de Tours (France) du 24 au 27 novembre 1991 autour du thème « Aménagement du Territoire et Réorganisation wilayale » et centré sur la mise en évidence « des réactions des aménagés bien plus que celles des aménageurs »,
- à Annaba les 26 et 27 mai 1998 une autre manifestation mais déjà autour d’un nouveau questionnement où il n’était plus question d’une simple maîtrise de la gestion urbaine mais plutôt de la recherche de moyens permettant de conjurer la fatalité urbaine : « Comment gérer autrement ? » : un questionnement qui s’est décliné en axes de réflexion novateurs : 1) L’état des lieux (identification des acteurs et de leurs stratégies, instruments actuels de la gestion), 2) L’adaptation des villes à notre société (patrimoine, ville globale, logique des concepteurs et pratiques sociales, tradition et modernité), 3) L’alternative à la gestion urbaine actuelle (échelles d’approche, management public, plan et stratégies de communication).
- Toujours en 1998, soit moins d’un mois après le colloque de Annaba, la ville d’Alger reprend l’initiative par la tenue d’un séminaire les 17 et 18 juin par l’École Nationale d’Administration, le Centre de Documentation et de Recherche Administrative et le Gouvernorat du Grand Alger sur le thème « Vivre la ville » pour lequel quatre angles d’approche ont été privilégiés : gestion, sociologie urbaine, histoire, culture.
- Enfin à Oran au mois de janvier 2002 les décideurs de la commune d’Oran et les universitaires se concertent le temps d’un colloque autour de « Démocratie, citoyenneté et civisme et leur impact sur la gestion de la ville ».
- En 2005, le département d’architecture de l’Université des sciences et technologies d’Oran organise, les 17, 18 et 19 décembre 2005, un colloque international sur la fabrication de la ville.

49La conjoncture historique et politique qui a vu le lancement de cette réflexion sur la crise urbaine en Algérie appelle au moins deux remarques :

  • L’initiative première revient principalement au ministère de l’Intérieur, dirigé par M. El Hadi Khediri, et non pas aux universitaires, même si j’avais moi-même organisé, en juin 1988, une journée d’étude sur les rapports à l’espace résidentiel dont la problématique portait déjà en germes, les axes de réflexion contenus dans cette contribution. Voir à ce propos Abdelkader Lakjaa (présentation et coordination), Les rapports à l’espace résidentiel, Cahiers de l’URASC, N° 3, Oran, juin 1988.
  • La deuxième est que cette initiative a « trop » coïncidé, d’une part, avec la dégringolade des prix du baril de pétrole et, d’autre part, avec les évènements d’octobre 1988, ce « coup de tonnerre dans un ciel serein » en Algérie.

50En effet, si pour les réalités urbaines occidentales le constat des difficultés à les saisir a été établi, pour les villes du Tiers-Monde la situation se révèle encore beaucoup plus complexe. Les conclusions d’un colloque tenu en 1992 en France, en vue de dresser un état des lieux des cadres majeurs de la recherche sur l’urbanisation dans plusieurs disciplines (économie, géographie, histoire, sciences politiques, anthropologie sociale et sociologie), méritent d’être rappelées ici tant elles demeurent d’actualité :

  • 49 Michel Coquery, « Histoire urbaine des États-Unis : apports d’une approche historiographique ». - (...)

« Le constat général sur les antécédents et les conséquences de l’urbanisation fut que les lacunes étaient plus importantes que les acquis :
- La plupart des généralisations sur l’urbanisation comme variable dépendante ou indépendante ne reposaient pas sur des justifications empiriques adéquates.
- Ce qu’on connaissait ou croyait connaître restait fondé sur des observations limitées dans l’espace et dans le temps et principalement cantonné dans le domaine des cultures occidentales.
- L’aspect positif fut la prise de conscience de la nécessité de l’intérêt de promouvoir des recherches interdisciplinaires et comparatives, notamment dans les pays en voie de développement »49.

  • 50 Maria Sgroï-Dufresne, Alger 1830-1984 Stratégie et enjeux urbains, op. cit. 233/4.
  • 51 Djamel Guerid, Algérie : L’une et l’autre sociétés, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale e (...)

51Le résultat le plus significatif de cette évolution est que sous les coups de cette crise urbaine, c’est tout le mythe de l’accès à la modernité tel que prôné par l’idéologie urbaine qui s’effiloche, et, d’autre part, c’est le mythe de l’État comme acteur unique d’urbanisation qui ne résiste plus50. Là aussi, « c’est la société qui a toujours le dernier mot »51. Il importe alors de savoir ce que fait la société de ce qu’on a voulu faire d’elle : comment détourne-t-elle le sens des actions qui la ciblent, comment contourne-t-elle les mesures qui se révèlent incompatibles avec ses sens et comment s’adapte-t-elle à celles qui ne heurtent pas son être anthropologique et culturel ? Le tout se jouant dans une véritable ambiance de guérilla urbaine, dans des luttes de sens.

III - URBANISATION PAR LE BAS, CHANGEMENT SOCIAL ET TROUBLES DE SANTÉ MENTALE

L’urbanisation par le bas : sens et enjeux

  • 52 André Raymond, Ville musulmane, ville arabe : mythes orientalistes et recherches récentes, in Jean (...)
  • 53 Voir à cet effet les travaux récents qui ont porté sur ces processus acculturatifs à travers l’ind (...)
  • 54 Catherine Coquery-Vidrovitch : Histoire de l’urbanisation africaine. La ville coloniale : « Lieu d (...)

52Si l’histoire urbaine universelle fait ressortir le caractère coextensif de la ville et de la société, en Algérie ce caractère est surdéterminé par les effets acculturatifs de la première sur la deuxième. Aussi dans notre approche de la ville, telle qu’elle a muté sous les effets de la colonisation française, celle-ci est saisie comme un espace auquel les groupes sociaux s’efforcent de s’adapter mais tout en s’ingéniant de l’adapter à leurs représentations et imaginaires. La ville actuelle, d’inspiration exogène, apparaît être en cours de remodelage par la population arabo-berbéro-musulmane qui l’habite52. Les travaux récents sur les processus d’adaptation aux situations nouvelles induites par des processus acculturatifs53, dont certains ont pour objet le nouvel ordre urbain né de la colonisation en Afrique54, soulignent les efforts investis dans des entreprises de réorganisation culturelle à travers des actions d’apprentissage, d’invention, de créativité.

53Ces entreprises puisent leurs sens dans des processus de réinterprétation des valeurs et des traits culturels nouveaux à la lumière des valeurs et des traits culturels anciens, et trouvent leur cohérence dans la constitution d’une culture nouvelle :

  • 55 Encyclopédie Universalis, Ed. Encyclopédie Universalis France SA, 1968, vol. 1, deuxième publicati (...)

« Les processus acculturatifs enveloppent des actes de créativité de la part des individus ou des groupes qui acquièrent de nouveaux éléments culturels.. C’est-à-dire que la culture nouvelle qui se développe ne peut pas être considérée – tout comme à l’époque où l’on avait une conception statique de la culture – comme un ensemble de traits disparates qui s’ajoutent les uns aux autres, en mosaïque de traits anciens et de traits nouveaux empruntés, il faut parler, au contraire, de synthèses vivantes, d’apparition de traits culturels inédits »55.

  • 56 Michel Liu, L’étude des cultures, document N° 98/2, Centre d’Etude et de Recherche en Sociologie d (...)
  • 57 Idem. Voir aussi Paul Henry Chombart de Lauwe, (s/dir), Transformations sociales et dynamiques cul (...)

54Cette posture légitime le regard que je porte sur la société urbaine algérienne et sa culture ; cette dernière considérée dans sa double réalité : comme une manifestation de « l’existence d’une entité sociale » ainsi que celle d’un « mouvement qui invente, maintient, transforme le lien social et le transmet aux nouveaux membres »56. Mais le point de vue adopté à travers mes différentes recherches m’a amené à être plus attentif à la culture, telle qu’elle se déploie à travers le foisonnement de la vie quotidienne, faite de jeux « de sélection, de combinaison, de renforcement, ou rejet des traits culturels »57.

55À la pédagogie de l’espace formel qui peut se résumer dans le fameux slogan soviétique « Changer la vie pour changer la ville » s’oppose la pédagogie de la ville informelle qui semble aller dans le sens de « Changer la ville pour changer la vie ». Pour illustrer cette pédagogie de l’espace formel, il suffit de rappeler qu’en 1987, selon les résultats du RGPH, 54,8 % du parc national de logements se constituaient de F2 et F3 et en 1998, selon le même RGPH, ce taux était resté le même : 54 % mais en 2008 il passe à 67,30 %. Face à cette production d’un espace d’inspiration fondamentalement exogène, et bien que l’espace ait toujours précédé les habitants, la problématique en termes d’intégration se révèle insuffisante. Au lieu d’intégration il nous faut y voir un processus de constitution d’une ville nouvelle, selon la logique du syncrétisme comme le proposait le sociologue algérien, Djilali Liabès, en 1984 déjà :

  • 58 Capitalisme privé et patrons d’industrie en Algérie (1962-1982), Ed. CREA, Alger, 1984, p. 101.

« Tout le monde s’accorde à dire que l’Algérie « se « transforme ; les agents principaux de la transformation seraient l’industrialisation (la multiplication des usines et la généralisation du travail à l’usine) et la croissance des villes (celles-ci sont considérées comme l’espace de déploiement et de réalisation de nouveaux modèles de consommation des biens matériels et symboliques, de comportement et de sociabilité). Nouveaux modèles opposés aux anciens, mais si habités et informés par ces derniers qu’il est impossible de les distinguer ; bien au contraire, c’est ce syncrétisme qu’il importera d’interroger et de comprendre »58.

56En effet, toutes les oppositions et affrontements ont pour enjeu le sens : hier négation de la ville arabe par la colonisation et aujourd’hui négation de la ville informelle par l’État national. La ville informelle s’est donné un sens et une légitimité depuis son opposition à la ville coloniale ; ceci explique qu’elle ne peut pas être perçue comme informelle (le sens) et encore moins illicite (la légitimité) par tout le monde. L’intégration à la vie urbaine (ou citadine ?) ne signifie pas autre chose que l’adoption de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes, l’adhésion à des organisations sociales modernes et l’acquisition de nouveaux modèles, y compris de consommation. L’intégration ainsi conçue aurait opéré dans le sens de la planification algérienne et, par conséquent, dans celui de la naissance de l’Algérien moderne. La ville informelle par son extension, c’est-à-dire la reproduction élargie de la dualité de la ville algérienne, signifie l’échec de la planification algérienne par son flanc urbain. Cet échec, tout comme le refus de l’accès à la ville aux ruraux, sont d’essence politique comme le soulignait Bruno Etienne en 1972 à propos des angoisses que suscitent les ruraux au sein de la classe dirigeante algérienne en reproduisant :

  • 59 Bruno Etienne, « Le flou urbain : l’affrontement des modèles », in Annuaire de l’Afrique du Nord, (...)

« […] les angoisses du système colonial et des bourgeois précoloniaux qui craignaient toujours le bled, et par là même entretenir, voire reproduire, la problématique khaldûnienne de l’opposition ville-campagne.[…] certains dirigeants maghrébins perçoivent l’exode rural comme un danger, reproduisant ainsi (inconsciemment ?) certains archétypes classiques de la hantise des urbains et des citadins pour les bédouins nomades, ces destructeurs décrits par Ibn Khaldûn et toute l’opposition entre badawi et hâdari »59.

  • 60 Maurice Godelier, Communauté, Société, Culture – Trois clefs pour comprendre les identités en conf (...)

57Par son déploiement comme une réelle lutte de sens portée par de nouveaux acteurs sur la scène sociale, et son extension comme un fait social total, l’urbanisation par le bas signifie bien la permanence du conflit de rationalités à travers la question urbaine en Algérie depuis au moins le XIXe siècle. Les manifestations multiformes de ce conflit (reconfiguration des espaces domestiques et urbains planifiés, développement de l’emploi informel des femmes face à la faiblesse de l’emploi féminin officiel…) sont autant d’éléments de réponse à la question Que fait la société de ce qu’on a voulu faire d’elle ? En effet, les Algériens, comme tous les humains, comme le dit Maurice Godelier, « […] ne se contentent pas de vivre en société. Ils produisent de nouvelles formes d’existence sociale, donc de sociétés, pour continuer à vivre. Et en transformant leurs manières de vivre, ils transforment leurs manières de penser et d’agir, donc leur culture »60.

  • 61 Michel Peraldi (s/d), Cabas et containers : activités marchandes informelles et réseaux migrants t (...)
  • 62 Ibid. p. 73.
  • 63 Ibid p. 74.
  • 64 L’informel au cœur de la cité, Rapport Afrique de l’Ouest 2007/2008, Décembre 2008, p. 170 : même (...)

58Parmi ces transformations de leurs manières de penser, d’être et d’agir, il peut être cité le cas des effets de l’urbanisation informelle sur les espaces urbains planifiés par le jeu des activités économiques et commerciales informelles. À partir des années 1985-90, on assiste en Algérie à l’externalisation du Trabendo qui occupe les trottoirs ; il sort de l’espace domestique pour occuper et s’afficher sur l’espace public61. En fait on assiste depuis les vingt dernières années à un glissement de l’espace privé (domicile) vers l’espace public dans lequel les femmes tiennent et gèrent leurs propres boutiques en leur nom propre. Le commerce informel, appelé dans la région ouest du pays Trabendo, parvient à construire des moments d’urbanité et, de façon générale, le commerce transnational informel participe à l’émergence de nouvelles socialités62. L’observateur de ces pratiques informelles qui se déploient au cœur des villes maghrébines, ne manque pas de souligner que « Le trabendo témoigne non pas d’une humanité qui répète et reproduit, mais d’une humanité qui expérimente et bricole, nourrit le sentiment diffus de commencer, d’initier »63. Il faut bien admettre que si le commerce informel de rue parvient à créer ses propres « centralités urbaines informelles » c’est parce que d’une façon ou d’une autre « L’informel participe au processus d’urbanisation, en offrant des emplois et de modestes rémunérations à un flux de nouveaux urbains […] »64.

  • 65 Jean-François René, « L’insertion socioprofessionnelle des jeunes : le prisme du partenariat comme (...)

59Par leur insertion dans la sphère des activités informelles, les femmes, d’une part s’affirment en acteurs centraux qui s’inventent « de nouveaux rôles qui seront peut-être les repères sociaux de demain » et, d’autre part, et malgré toutes les difficultés sociales qui se dressent contre elles, elles se délimitent une « marge de manœuvre qu’[elles] conservent et qui leur permet de s’approprier leur propre espace autonome de responsabilités. »65.

  • 66 Dès les années 1990, suite aux grandes vagues de licenciement des travailleurs des entreprises éco (...)

60Ces femmes, comme les hommes, en s’insérant dans l’informel évoluent en « héros obscurs », bravant ainsi le monde de l’incertitude, et allant de rupture en rupture avec les institutions étatiques de socialisation telle l’école (le refus scolaire), avec la phratrie suite aux mésententes avec les frères (les jeunes filles dans le commerce transnational informel66, conjugales avec le mari (le divorce), mais aussi rupture géographique (elles viennent aussi des petites et moyennes villes de l’intérieur).

  • 67 Grell P., Wery A. 1993. Héros obscurs de la précarité. Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, cité (...)
  • 68 Pierre Bouvier, 1995. Socio-anthropologie du contemporain, Paris, Galilée, Débats.

61Mais ces femmes et ces hommes parviennent à créer ou à s’investir dans des réseaux durables en donnant du sens à leur existence dont les récits portent « la trace d’un acteur social, d’une collectivité, d’un nous, qui se définit comme une entité sociale et autonome, groupe d’appartenance, communauté à laquelle l’individu s’identifie »67. Des groupes d’appartenance dont les capacités à produire du sens sont signifiées par des formes d’affiliation et que Bouvier définit comme « des entités où se constitue, se cristallise et s’argumente du sens collectif »68. Les traces de cet acteur social, de ce nous producteur de sens collectif, se retrouvent plus sur le terrain religieux que sur le terrain associatif.

62L’attitude face au mouvement associatif en Algérie est solidaire des attitudes envers les institutions étatiques : elle reflète la non-implication dans la gestion des affaires publiques placées sous le contrôle de l’État. Une réalité qui se révèle profondément marquée par le désenchantement politique chez les jeunes.

Le changement social

63Le changement social, ainsi que le rappelait Guy Rocher dès 1968, n’a de sens que s’il s’inscrit dans la durée et dans une dimension collective. Je m’intéresse ici au changement social comme objet d’étude de la sociologie dynamique. La démarche consiste à saisir, à travers une analyse microsociologique, la logique du changement.

  • 69 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, 3. Le changement social, Ed. HMH, Ltée., 1968, (...)

64Partons de la définition de Guy Rocher de ce que recouvre le concept de changement social. Il s’agit de « Toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire »69. À partir de là, il importe de souligner que le changement social est un phénomène collectif qui affecte les conditions ou les modes de vie et tout l’univers mental.

  • 70 Jean Piaget, Le possible et le nécessaire, Ed. PUF, 2 vol., 1981, cité in Omer Kimbale Mirembe, Éc (...)

65Si l’analyse historique contribue certainement à éclairer sur le processus d’émergence des phénomènes auxquels je m’intéresse ici, il faut cependant s’attarder encore plus sur la saisie et l’analyse des raisons qui font que ces phénomènes se reproduisent et s’étendent. En effet, si la structure de ces phénomènes renvoie forcément à leur antériorité, leur reproduction et leur extension dépendent sûrement de leur fonction dans la sphère socio-économique ou socio-culturelle dans lesquelles ils ont émergé et desquels ils ont fini par faire partie intégrante. Dans ce même sens, Piaget, lui aussi, mettait l’accent, en 1981, sur la nécessité de mener l’analyse selon une double dimension : diachronique, par une analyse historique, et synchronique, qui permet de dire pourquoi tel phénomène émergent se maintient-il : « La difficulté essentielle inhérente à toute théorie sociologique consiste à concilier l’explication diachronique des phénomènes, c’est-à-dire celle de leur genèse et de leur développement avec l’explication synchronique, c’est-à-dire celle de l’équilibre »70.

  • 71 Pour la sociologie, Ed. du Seuil, 1974. C’est là tout le sens de la caractéristique majeure de l’è (...)
  • 72 Pierre Bourdieu, Réponses : pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, 1992.

66Alain Touraine est encore plus explicite sur le concept de changement social en considérant celui-ci comme résultant de l’action collective des acteurs et non pas comme un phénomène objectif que les individus et les groupes finissent presque toujours par subir. Il considère que celui-ci n’est pas commandé par la seule technologie ou même par l’État71 mais bien plutôt par lui-même, c’est-à-dire par la société. Chez Pierre Bourdieu72 ce sont les finalités collectives qui jouent un rôle moteur dans l’action sociale. Déjà en 1973, Guy Rocher finit par débusquer un certain sociologisme qui tend à réifier le changement social, en le présentant

  • 73 Guy Rocher, L’idéologie du changement comme facteur de mutation sociale, Un article publié dans l’ (...)

« Toutes les descriptions qu’on donne de la société nouvelle, aussi bien que de la société industrielle, ont ceci en commun qu’on tend à présenter le changement social comme un phénomène objectif, qui se produit en quelque sorte en dehors de l’homme et dont celui-ci subit l’impact et les conséquences. Les descriptions du changement dans la société moderne n’échappent pas à ce qu’on pourrait appeler un certain sociologisme, qui tend à réifier le changement, à le considérer comme un objet ou une chose à peu près complètement en dehors et au-dessus de l’homme, comme un phénomène objectif, qui se produit en quelque sorte en dehors de l’homme et dont celui-ci subit l’impact et les conséquences »73.

67Ceci l’amène à estimer que

  • 74 Idem.

« les descriptions du changement dans la société moderne n’échappent pas à ce qu’on pourrait appeler un certain « sociologisme, qui tend à réifier le changement, à le considérer comme un objet ou une chose complètement en dehors et au-dessus de l’homme »74.

68Selon lui, le changement ne doit pas être réduit à un phénomène extérieur à l’homme mais c’est aussi une idéologie, une certaine perception du monde, et une conviction. En un mot, et selon Guy Rocher, le changement social est une construction sociale.

69Dans le cas algérien on se trouve face à un changement social volontariste, enveloppé dans une terminologie empruntée au registre de la modernisation occidentale, et visé à travers les programmes ambitieux d’industrialisation et d’urbanisation. Les résultats des recherches les plus significatives dans le domaine de l’urbanisation en Algérie montrent que cette opération conçue, planifiée et mise en œuvre par l’État Providence, dès les années 1960, comme entreprise visant toute la société, a produit des effets plus inattendus qu’escomptés. Parmi ceux-ci, ceux qui puisent leur sens de l’urbanisation par le bas sont des plus remarquables.

  • 75 Jacques Charmes, expert du BIT, a été appelé à la rescousse par l’Office national des Statistiques (...)

70Sous cet angle, la réalité de l’emploi féminin en Algérie, considéré comme l’un des indicateurs privilégiés quand il s’agit de mesurer les effets modernisateurs sur la partie traditionnelle de la société, est des plus surprenantes75. En ce domaine, l’Algérie, bien qu’elle se soit dotée d’une législation qui n’a rien à envier aux pays industrialisés, se singularise par un taux d’activité féminine des plus faibles au monde :

  • 76 Jacques Charmes, Mesure statistique de la population active et du secteur informel en Algérie, (si (...)

« L’Algérie est, avec le Bangladesh, le pays où le taux d’activité féminine est le plus bas du monde. Selon le Rapport Mondial sur le Développement Humain (PNUD, 1995), c’est aussi le pays où les femmes représentent la plus faible proportion de la main-d’œuvre totale (4 %), proportion qui est même inférieure à celles des pays du Golfe »76.

  • 77 L’expression est d’Yves barel, La marginalité sociale, Ed. PUF, 1982.

71Mais dès qu’on perce l’écran de la réalité officielle, et qu’on découvre « l’invisible social »77, c’est-à-dire les pratiques de la société réelle, l’emploi féminin non seulement y est présent mais surtout selon un volume qui retient l’attention : c’est l’emploi féminin informel. Cette situation a fini par pousser les statisticiens de l’ONS à faire appel à un expert auprès du BIT pour l’explication de la faiblesse de l’emploi féminin, en deçà par rapport au Maroc et à la Tunisie. L’une des recommandations essentielles prônées par cette expertise, focalisée sur l’examen de la méthodologie suivie par l’ONS en ce domaine, a conduit à l’intégration des travailleuses à domicile dans les statistiques officielles de l’emploi féminin dès 1995.

72Ainsi, les activités informelles, comme ici le cas du travail des femmes à domicile, se découvrent être porteuses de sens :

  • 78 Ahmed Henni, Essai sur l’économie parallèle, le cas de l’Algérie, 1991, p. 148.

« Très souvent, les activités qualifiées d’informelles sont les vraies pratiques sociales. Elles ne se présentent comme informelles, comme écart, comme biais, que par rapport à un mode de manifestation de la réalité et un mode de représentation qui leur sont étrangers. L’informel n’est alors que l’échec d’une raison se voulant totalisante sans pouvoir l’être »78.

  • 79 Yves Barel, 1990, Le Grand Intégrateur, Connexions, n° 56, 1990.

73Les transformations économiques, sociales et culturelles, tout en brouillant les certitudes, contrarient les schémas d’insertion élaborés au siècle dernier. Cette remise en cause est particulièrement manifeste dans la sphère économique où le travail ne joue plus le rôle qui lui était réservé. La perte du « Grand Intégrateur » rend l’intégration elle-même insensée79.

74La face cachée de ces activités qui relèvent de l’invisible social est qu’elles participent, selon mon hypothèse, à la refondation du lien social au sein de la famille, refondation rendue désormais possible par la production que la femme destine au marché et qui lui permet de contribuer au budget de la famille. La « reproduction élargie » des activités féminines informelles, largement concentrées en milieu urbain, en levant le voile sur les représentations, les attentes et les aspirations relatives à l’emploi féminin au sein de la société urbaine algérienne, signifie bien que dans ce domaine la stratégie de la société et la stratégie des pouvoirs publics se tournent le dos.

  • 80 Paul Grell et Anne Wery, Marginalité et exclusion sociales, Héros obscurs de la précarité, Paris, (...)

75Par ailleurs, ces pratiques informelles féminines, une fois sortie de l’espace résidentiel privé pour occuper les trottoirs, se sont inscrites dans une dimension transnationale. Les effets de cette nouvelle forme d’informalité n’ont pas manqué d’agir sur les reconfigurations des espaces urbains en contribuant à la naissance de nouvelles centralités et à la formation de nouveaux acteurs sociaux. Les auteurs qui s’intéressent à ces femmes engagées dans le commerce informel n’hésitent pas à présenter celles-ci comme des « héros obscurs » qui parviennent à donner du sens à leur existence. Leurs récits portent ainsi directement « la trace d’un acteur social, d’une collectivité, d’un nous, qui se définit comme une entité sociale et autonome, groupe d’appartenance, communauté à laquelle l’individu s’identifie »80. D’autre part, les pratiques informelles, tant transnationales que locales, s’articulent à des processus sociaux et culturels qui ont cours au sein des espaces urbains. De ce point de vue, ces femmes, en nouvelles actrices, se situent au cœur des mutations qui ont cours actuellement dans les sociétés du Maghreb.

76Au fond tout indique que cette forme d’activité féminine révèle son sens dans le mouvement de la révolution tranquille que les femmes ont engagée, mais selon un référentiel qui s’éloigne de celui adopté par les défenseurs des droits des femmes inspirés du modèle européen. Une réalité que Abdelkader Djeghloul synthétise, lui aussi, par la refondation « endogène » du lien social en Algérie qui passe par la renégociation des rapports hommes/femmes, loin du sens initié par les chantres de la modernisation de la société algérienne :

  • 81 Quand les algériennes inventent leur modernité, in Al Dafatir, Les Cahiers Algériens de Sociologie(...)

« L’autonomisation des femmes algériennes, en tant que personnes, est inexorablement en marche. Les formes qu’elle revêt sont déjà complexes et se complexifieront davantage à l’avenir. Une chose est cependant sûre : ce processus ne va pas dans le sens, non principalement en tous les cas, de ce qui se produit en Europe, celui de l’exacerbation du mythe de l’individu »81.

Tab 4 - É Evolution de l’emploi féminin en Algérie

Source : Construit à partir des enquêtes de l’ONS

Tab. 5 - L’emploi féminin en Algérie sous ses deux facettes en 1990

Source : Enquête main-d’œuvre et démographie 1990, ONS.

Les troubles de santé mentale

77Ce nouveau contexte, ainsi que les efforts d’adaptation, de contournement, d’inventivité qu’il commande, ne peuvent être sans incidences sur la santé des habitants des villes. Parmi celles-ci, les troubles de la santé mentale constituent ce qui semble représenter le tribut payé par la société.

78Aujourd’hui, dans les villes algériennes, l’extension des troubles de santé mentale n’est pas sans relation avec la complexification des processus identificatoires qui renseigne plus sur une inflation de référents que sur leur raréfaction ; c’est une anomie inversée. En ce sens, la dépression révèle tout son sens comme élément structurant d’une société urbaine nouvelle qui prend naissance sous nos yeux, sous les décombres et dans le chaos d’un ordre socio-urbain ancien. L’idée de complexification des processus identificatoires est attestée au moins par trois faits : la structure matérielle en voie de reconfiguration par des processus de réappropriation des espaces urbains, l’organisation sociale en cours de recomposition comme le suggère l’évolution de la famille, et enfin le flottement régnant dans la sphère des attitudes et des idées ainsi que permet de le penser la très faible implication dans les comportements collectifs de type nouveau à travers les associations et les partis politiques.

  • 82 Edward Sapir, parle, lui, d’ajustement et de mésajustement, Anthropologie, T. 2, Culture, Ed. de M (...)
  • 83 Georges Balandier, Sens et puissance, op. cit.
  • 84 Bernard Lepetit, La ville moderne en France-Essai d’histoire immédiate, in Jean-Louis BIGET et Jea (...)

79De ce point de vue, l’adaptation se révèle être le résultat plus ou moins heureux82 d’efforts ingénieux, longs et patients par lesquels les sujets reproduisent, ajustent leurs propres comportements ou encore en adoptent de nouveaux. Contraints de s’adapter, ceux-ci sont amenés à « improviser », c’est-à-dire créer pour se loger, travailler, en mettant au point des stratégies de survie dans un système de contraintes qui leur est imposé. Tout ceci ne pouvant se réaliser ex-nihilo, les migrants en ville se réfèrent forcément à leurs propres repères culturels, à leurs représentations de soi et des autres, du monde et de la vie, du temps et de l’espace, de la vie en société ; repères à la lumière desquels ils se meuvent en ville et participent à la reconstruction sociale des réalités urbaines et à la redéfinition du lien social. De cette façon, ils s’adaptent au nouveau contexte qu’est la ville dans laquelle, comme le dit Georges Balandier, « tout est mis en situation d’effacement, de substitution ou de transformation mais aussi de réemploi de certaines formes reçues du passé »83. Sinon comment peut-on imaginer une société réélaborer ses propres grilles d’interprétation du réel si ce n’est à la lumière de sa propre culture qui définit sa singularité collective84.

  • 85 Claudine Herzlich, Représentations sociales de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le (...)
  • 86 La révolution urbaine, Ed. Gallimard, 1970, p 69.

80Afin de mesurer l’incidence de ces mutations sur la situation sanitaire des Algériens, j’ai conduit une recherche sur les retombées de l’urbanisation sur la santé mentale en partant de l’hypothèse que les troubles de santé mentale sont des révélateurs des mutations que connaît la société algérienne depuis la fin du XIXe siècle. Aussi suis-je parti de questionnements liés aux effets de la précarisation des conditions de vie objectives et subjectives, et plus subjectives qu’objectives, sur la santé mentale. Parmi les facteurs et les indicateurs de cette précarisation peuvent être cités le chômage, la dislocation de la famille par le divorce, les transformations du patriarcat auxquelles les familles algériennes s’adaptent dans le fracas, la déscolarisation que certaines familles vivent comme un drame et qui renseigne toutefois sur l’attention de plus en plus grande accordée aux enfants, la dégradation des conditions d’habitat avec leur lot de difficultés de voisinage et de violences urbaines, la dépression et le suicide comme signifiants de l’émergence contrariée de l’individu. Le point de vue adopté dans cette réflexion est que toutes ces perturbations sociales en se répercutant sur la santé mentale deviennent des signifiants dont le signifié est la renégociation des rapports individu-société et par conséquent la refondation du lien social. Ainsi le trouble mental est-il devenu depuis longtemps une question tout à la fois sociale, politique et médicale : c’est-à-dire que « Plus encore que métaphore, la maladie est donc un signifiant dont le signifié est le rapport de l’individu à l’ordre social »85. Ceci n’est pas sans rappeler l’idée d’Henri Lefèbvre selon laquelle les psychiatres ont beaucoup à dire sur la ville86.

  • 87 Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi - Dépression et société, Ed. Odile Jacob, 1998, Août 2000, (...)

81Ainsi l’une des dimensions essentielles de la problématique de la santé mentale en Algérie, comme ailleurs, se ramène-t-elle, en fin de compte, à la corrélation entre le changement social et les troubles de santé mentale. Cette problématique n’est pas tout à fait nouvelle puisque déjà Durkheim, qui s’était attaché à l’explorer en partant des « anomalies diverses que l’on réunit d’ordinaire sous le nom commun de neurasthénie », a prévu que cette maladie « va même de plus en plus en se généralisant »87. Mais si la problématique de la relation entre le changement social et l’accroissement des troubles mentaux n’est pas nouvelle, la relation entre urbanisation et troubles de santé mentale se révèle être encore plus antérieure puisqu’on situe son origine première chez Ibn Khâldoun :

  • 88 Rachid Bennegadi, Préface au livre de Robert Berthelier, L’homme maghrébin dans la littérature psy (...)

« Dans un de ses brillants articles, H. B. M. Murphy évoquant le développement de la psychiatrie transculturelle rapporte que parmi les textes les plus sérieux sur les liens entre la culture et la santé mentale, il fut frappé par celui du grand historien sociologue arabe, Ibn Khâldoun, au XIVe siècle. En effet, pour Ibn Khaldoun, un citadin, la sédentarisation et l’urbanisation des peuples arabes au Moyen Âge furent très problématiques pour des raisons socioculturelles et provoquèrent des troubles psychologiques (paranoïdes ou phobiques) et cela contribua au déclin non seulement des individus mais de toute la dynastie. C’était un bon début car il n’y avait là qu’une description « méthodologiquement nette de faits socioculturels observés dans un contexte endo-culturel »88.

  • 89 Civilisations matérielles et capitalisme cité par Yvonne Turin in Affrontements culturels dans l’A (...)
  • 90 Michel Cornaton, Les regroupements de la décolonisation en Algérie, Préface de Germaine Tillion, E (...)
  • 91 Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le déracinement, op. cit., p. 216/7

82Dans le cas de la société algérienne, il s’agit plutôt d’un contexte « exo-culturel » comme le souligne F. Braudel qui s’interroge, à propos des populations d’Amérique latine, s’il ne faut pas tenir compte d’un déséquilibre que provoquerait, sur le plan médical, la multiplication des rapports avec l’étranger89. Sous ce même angle il a été souligné à propos des Algériens que : « C’est la modification des rythmes temporels qui leur a fait découvrir la maladie »90. Les changements des rapports à l’espace habité, tels que signifiés dans les témoignages poignants des déracinés, n’ont pas été sans effets sur la situation sanitaire des Algériens91.

  • 92 Office national des statistiques ONS, Recensement général de la population et de l’habitat RGPH 19 (...)
  • 93 République algérienne démocratique et populaire, ministère de la Santé et de la Population, Direct (...)
  • 94 Office national des statistiques, collections statistiques N° 60, Dépenses de consommation des mén (...)

83En Algérie, durant les cinquante dernières années, on s’accorde à souligner l’accroissement de la demande de soins en psychiatrie : en 1990 les affections mentales représentaient 1 % de toutes les consultations médicales, 2 % des hospitalisations et se classaient au 8e rang des maladies chroniques ; en 1998, et pour la première fois dans la statistique de l’Algérie indépendante, le RGPH s’intéressa à l’affection mentale en recensant 140 000 personnes qui en souffrent92 ; et en 2000 ces affections représentaient 1,5 % de toutes les consultations médicales et 7 % des maladies chroniques. Il est désormais admis que parmi ces affections, la dépression vient en premier : « parmi les motifs de consultation en psychiatrie, la dépression nerveuse vient en premier, suivie des affections psychiatriques chroniques, des troubles du comportement et des toxicomanies »93. À ces données il convient d’ajouter la part non négligeable des consultations dans le secteur médical informel comme le montre les résultats de l’enquête consommation des ménages algériens en 1989, résultats confirmés par la même enquête décennale de l’année 200094. Face à cette réalité, le ministère de la Santé annonce la création de centres intermédiaires de santé mentale (CISM) dans les grandes et moyennes villes, la révision de la législation relative à la santé mentale et le renforcement de la formation de spécialistes dans le domaine. L’existence et la multiplication rapide de ces structures renseignent de façon éloquente sur l’ampleur de la pathologie mentale en milieu urbain : on ne dénombrait pas moins de 180 CISM en Algérie en 2013.

  • 95 Ainsi, si l’on croit Donald Klein, l’un des plus grands spécialistes mondiaux, l’anxiété est « une (...)

84Aussi la dépression qui fait partie des processus d’émergence d’une société nouvelle, se vit-elle comme le drame d’une normalité en émergence qui tend à devenir une nouvelle normativité95. Tout comme pour la neurasthénie, la dépression, cette maladie des temps nouveaux dominés par l’industrie et la grande ville, représente la dimension pathologique du changement social dans la mesure où le facteur social est au premier plan de l’étiologie. La neurasthénie pour Durkheim comme la psychonévrose pour Freud, et aujourd’hui la dépression, sont à la fois des ratés et des conditions du changement. Pour l’Algérie, c’est précisément ce qui représente le coût social de l’urbanisation.

IV - UNE SOCIETE URBAINE EN EMERGENCE

  • 96 Georges Balandier, Sens et puissance, op. cit.

85Nous proposons dans cette dernière partie des hypothèses pour une lecture des nouvelles réalités urbaines. Par leur convergence, celles-ci nous mettent en présence d’un processus « finalement générateur d’une société nouvelle »96, comme dirait G. Balandier, et révélateur d’une centralité invisible.

86En effet, comment rendre compte de cette rupture à l’origine de la mutation des villes algériennes et de leurs populations si ce n’est par la notion d’émergence d’un nouvel ordre urbain porté par une nouvelle société urbaine algérienne ? Cette notion a l’avantage de pouvoir recouvrir la réalité de formation et d’apparition d’éléments nouveaux et, partant, de changement profond et « inédit » allant dans le sens d’une mutation. Par ailleurs, quand bien même la notion d’émergence souffre de l’incapacité à montrer dans quel sens s’oriente cette dynamique, et à identifier cette nouvelle réalité, elle permet de garder le cap sur l’objectif scientifique qui consiste en « la connaissance et la maîtrise par la pensée d’un certain processus » (H. Lefèbvre) de formation d’une nouvelle société urbaine en Algérie depuis au moins le début de la seconde moitié du XXe siècle.

87La notion d’émergence étant centrale dans cette réflexion, il importe de s’arrêter sur le sens qu’elle recouvre. Pour ce faire je recours au sens que lui ont attribué Morgan et Morton Wheeler :

  • 97 Cités par Lewis Mumford, La cité à travers l’histoire, op. cit. p. 41.

« Au cours du phénomène, la formation d’un élément nouveau modifie la qualité du mélange et les propriétés de ses composants. L’examen du précédent état ne permettait pas de déceler ces virtualités entièrement nouvelles, comme par exemple l’apparition de la vie organique dans un milieu apparemment stabilisé, de manière inerte »97.

88Dans cette perspective, la notion d’émergence semble « coller » le plus adéquatement à cette nouvelle société urbaine qui désigne une réalité en formation appelée à se développer davantage. Dans le cas algérien, je propose d’appeler cette nouvelle société en formation société en émergence.

89Les différentes enquêtes que j’ai réalisées autour de la question urbaine en Algérie, m’ont conduit à l’idée d’une urbanité en émergence qui s’est avérée être indissociable de celle de société urbaine en émergence. Le passage de la première à la deuxième m’a été inspiré par la démarche de Montesquieu exposée dans l’Esprit des Lois :

  • 98 Charles de Montesquieu (Baron de Segondat), Préface à l’Esprit des lois, œuvres complètes, La Pléi (...)

« Je suivais mon objet sans former de dessein : je ne reconnaissais ni les règles ni les exceptions ; je ne trouvais la vérité que pour la perdre, mais quand j’ai découvert les principes, tout ce que je cherchais est venu à moi »98.

90L’hypothèse d’une société urbaine en émergence veut que les entreprises d’interprétation/réinterprétation puisent leurs sens dans des valeurs et des traits culturels nouveaux à la lumière des valeurs anciennes, et puisent leur cohérence dans la constitution d’une culture nouvelle. Dans cette perspective, le processus de formation de cette nouvelle société urbaine en émergence traduit et, en même temps, synthétise les contradictions qui font le maillage de la vie quotidienne dans les villes algériennes et qui se manifestent, depuis l’époque coloniale à différents niveaux de la vie en société : urbanistique, architectural, sociologique, psychologique, culturel, politique.

91Ainsi posée, cette problématique s’inscrit contre les démarches qui saisissent la société urbaine à l’aune d’une évolution linéaire, à sens unique, dans laquelle les ruraux installés en ville sont « happés » comme objets « re-travaillés » par la culture citadine. Je ne suis pas seul à défendre un tel point de vue. Bernard Lepetit, par exemple, s’interroge à propos des canaux d’insertion dans la cité en ces termes :

  • 99 Bernard Lepetit, La ville moderne en France. Essai d’histoire immédiate, in Jean-Louis Biget et Je (...)

« ne sont-ils pas susceptibles de véhiculer et de reproduire des comportements antérieurs à la migration ? Comment alors supposer un mouvement à sens unique (téléologique dans sa tendance à assimiler urbanisation, urbanité et progrès) de diffusion des normes sociales ? »99.

92La persistance des difficultés à saisir l’objet en soi, c’est-à-dire selon sa dynamique et ses lois propres, renseigne sur l’absence de perspectives théoriques nouvelles. En effet, selon André Raymond qui s’intéresse au cas de la ville arabe :

  • 100 André Raymond, Ville musulmane, ville arabe : mythes orientalistes et recherches récentes, in Jean (...)

« Le problème qui se pose ne doit pas être, par une comparaison avec d’autres types de villes (anciens ou contemporains : la ville antique, orientale, la ville médiévale, occidentale), de faire apparaître des déficiences, des manques, qui amènent à la considérer comme une « non-ville », mais de mettre en évidence les éléments spécifiques qui permettent de rendre compte de sa constitution et de son fonctionnement. Bref la ville arabe doit être considérée, elle aussi, comme un système urbain original dont il faut analyser la structure et comprendre le fonctionnement, fut-ce au moyen de principes différents de ceux que nous connaissons et qui ont en effet assuré la vie et, dans certains cas, l’éclat des villes qui nous sont plus familières »100.

93Autrement dit, qu’il s’agisse de la ville arabe ancienne ou contemporaine, l’analyse gagnerait à s’appuyer sur une démarche interprétative et identifiante, et non plus selon un critérium et/ou un référentiel inspirés, sinon importés, d’ailleurs. Dans cette perspective, il s’agit de privilégier des « principes différents » qui, d’une part, s’appuient sur les réalités urbaines de façon concrète et endogène et, d’autre part, inspirent des perspectives théoriques nouvelles.

  • 101 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie 1997, mis en ligne le 15 ja (...)

94Parmi ces perspectives théoriques nouvelles, celle concernant la modernité en Algérie n’est pas des moindres. En effet, même si à partir de la fin des années 1980 les indicateurs démographiques ont manifesté la transformation de l’ordre familial traditionnel, et que le RGPH de 2008 a confirmé cette tendance irréversible en montrant que 60 % des familles algériennes étaient déjà de type nucléaire et que près de 70 % des Algériens vivaient en milieu urbain, « […], la disparition de la famille traditionnelle étendue ne signifie pas que les solidarités familiales soient en déclin. Différentes enquêtes soulignent au contraire que la famille continue à jouer un rôle central, tant dans les échanges de toute nature que dans le système de valeurs. Il semblerait en fait que l’industrialisation, l’urbanisation, la liberté de l’union, le rôle croissant de l’État providence n’aient pas affaibli les relations de parenté, et les échanges de biens et services, mais en aient transformé la nature »101. La plupart des enquêtes confirment, par ailleurs, l’attachement en permanence renouvelé aux valeurs familiales.

  • 102 Une enquête que j’ai conduite auprès de 851 jeunes, répartis entre trois quartiers populaires d’Or (...)
  • 103 « Le phénomène urbain comme mode de vie » (1938), cité par Yves Grafmeyer, Sociologie urbaine, Ed. (...)

95D’autre part, les Algériens vivant en milieu urbain n’adhérent que très faiblement à la vie associative, et encore moins partisane102. S’ils ont rompu leurs attaches avec leurs groupes d’appartenance idéologique et tribale, par le fait, entre autres, de la mobilité géographique et du salariat, ils ne parviennent pas, du moins jusque-là, à leur substituer de nouveaux cadres de sociabilité en dehors du champ religieux. En effet, en Algérie, à l’instar des autres pays maghrébins et arabes, seul le champ religieux suscite l’adoption de comportements collectifs citoyens comparés, dans la formule heureuse de Louis Wirth comme étant « une constellation de personnes qui adoptent un comportement collectif type »103.

96En un mot, il s’agit de cesser de chercher la ville idéale, en Algérie comme partout ailleurs, parce qu’elle n’a jamais existé et qu’il importe plutôt de connaître et comprendre la ville d’aujourd’hui et d’ici, sous peine de passer à côté de l’authenticité culturelle de nos villes, l’authenticité de l’urbanité des Algériens, c’està-dire l’authenticité des Algériens eux-mêmes.

97Cette perte de cap est indissociable de l’échec du modèle de développement, et du projet de société qui lui était solidaire, et qui auraient dû fonctionner comme un « Grand intégrateur ». Dans ce nouveau contexte caractérisé par un brouillage des certitudes et une large remise en cause des principes et des valeurs structurants :

  • 104 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie 1997, op. cit.

« On est ainsi en droit de s’interroger sur l’existence de formes d’appartenance parallèles exprimant une vulnérabilité sans pour autant suggérer une désaffiliation. Pour ce faire, il faut abandonner la question sociale pour celle du sens et admettre que si les vulnérables ne sont pas désaffiliés, c’est qu’il existe des liens leur conférant une identité et structurant leur vie quotidienne. »104.

  • 105 Djilali Khamès, Changement et continuité. Le cas de la ville d’El Bayadh. Approche anthropologique (...)

98À une échelle plus large, et à la lumière des résultats d’enquêtes récentes105, il peut être soutenu que l’entreprise de modernisation de la société algérienne, à travers l’urbanisation et l’industrialisation, c’est-à-dire dans sa version instrumentale, n’a pas pu détruire totalement les liens communautaires :

  • 106 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie, 997, op.cit.

« La modernité, en démantelant l’organisation de type communautaire, n’a pas pour autant détruit le lien qui la caractérisait. L’état actuel des sciences sociales nous enseigne que les choix opérés par la modernité ne sont pas obligatoirement exclusifs les uns des autres. Les rapports sociétaires et communautaires coexistent au sein du monde contemporain… »106

99Ainsi la modernité semble, elle aussi, engendrer du « tribalisme », ce que Ulf Hannertz a appelé la « retribalisation ».

CONCLUSION

  • 107 Abdelkader Lakjaa, Conflits de rationalités en espace urbain : l’habitat spontané à Oran, in Abed (...)
  • 108 Ces chiffres ont été communiqués par Madani Safar Zitoun, sociologue-urbaniste, Université d’Alger (...)

100En Algérie, l’État a toujours eu un rôle puissant, voire un monopole, dans l’aménagement de l’espace urbain et plus particulièrement dans le secteur de l’habitat107. Les années Bouteflika s’inscriront dans les premières cinquante années de l’indépendance politique de l’Algérie comme étant celles qui auront vu la question sociale se focaliser sur la question du logement. C’est, en effet, durant le troisième mandat 2009-2014 que fut lancé le programme du million de logements. Ainsi, les années Bouteflika resteront dominées par le passage du prolétariat revendicatif, à partir de l’entreprise productrice de richesses, à l’ère du « Propriétariat », soit l’ère des propriétaires de leur logement qui a profité largement aux couches sociales défavorisées : 4 350 000 logements ont été distribués depuis 1990, 70 % de l’offre de logement en Algérie sont de type public et enfin la proportion des locataires est passé de 70 % en 1966 à 23 % en 1987, à 13,8 % en 1998108.

101Face à ce volontarisme, la posture adoptée dans mes différentes enquêtes se décline en deux perspectives : l’inscription dans le champ de l’anthropologie du changement, le parti de saisir les changements dus à l’urbanisation par le bas.

102Cette contribution est rédigée dans le sens d’une synthèse, soit le passage du simple, c’est-à-dire des différents travaux de recherche sur des thèmes délimités et relatifs à des pratiques urbaines disparates, au complexe, c’est-à-dire à ce qui donne sens et cohérence à ces mêmes pratiques urbaines. Dans cette perspective, je me suis attaché à proposer quelques éléments de connaissance sur les rapports particuliers qu’entretiennent les Algériens avec leurs villes.

103Méthodologiquement, cette préoccupation conduit à définir le domaine de recherche par deux orientations principales :

  • 109 Georges Balandier, Sens et puissance, Les dynamiques sociales, p.91, Paris, 1971.

« d’une part, la détermination des limites et des variations à l’intérieur desquelles la société reste approximativement elle-même ; d’autre part, le repérage des processus par lesquels la société devient créatrice de différenciation et non plus de répétition »109.

  • 110 Ibid p.284.

104Différenciation signifie, ici, processus générateur de sens nouveau, le sens comme « porteur de valeur et de différence ». Création plus de différenciation que de répétition, c’est ce qui identifie, selon nos observations, la dynamique de construction de la société urbaine émergente en Algérie à propos de laquelle « le problème se pose moins en termes d’identité perdue que de convergence à venir ; et sous des formes que nous sommes mal préparés à concevoir »110.

  • 111 Tayeb El Mestari, « Analyse socio-politique des intellectuels francophones algériens : problèmes d (...)

105Mais « ce processus de contrôle étatique n’a pas vraiment rencontré d’obstacles chez la plupart des intellectuels francophones pour qui l’État est l’agent du progrès et de la modernisation. Chemin faisant, la contestation populaire a renvoyé au visage des tenants de l’idéologie de la modernisation une cruelle vérité que Paul Vieille a bien résumée : en Algérie, nous avons affaire non pas à un Etat moderne dans une nation arriérée, mais, plutôt, à un Etat arriéré dans une société qui aspire aux bienfaits économiques qu’offre la modernité ; aspiration populaire universelle mais qui se pare d’un voile idéologique aux couleurs de chaque pays »111.

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Note

1 Henri Lefèbvre, Du rural à l’urbain, Ed. Anthropos, Paris, 2000, p. 229.

2 Cité par Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier, Ed. Dunod, Paris, 1977, p. 2.

3 Charles de Montesquieu (baron de Segondat), cité in Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Ed. Dalloz, Cinquième édition, Paris, 1981, p. 83.

4 Idem p. 85

5 Paul Henry Chombart de Lauwe, La fin des villes, Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1982, p. 159.

6 Coquery-Vidrovitch, Catherine., Histoire de l’Urbanisation africaine, in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Herve (coordonateurs), Panoramas urbains – Situations de l’histoire des villes, ENS Editions Fontenay/Saint-Cloud, Paris, 1995, p. 16.

7 Bourdieu Pierre et Sayad Abdelmalek, Le déracinement - La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Ed. de Minuit, 1964, Paris, p. 13.

8 Germaine Tillion, préface au livre de Michel Cornaton, Les regroupements de décolonisation en Algérie, Éditions économie et humanisme/Les éditions ouvrières, Paris 1967, p. 10.

9 L’expression est de Pierre Bourdieu dans Travail et travailleurs en Algérie, Ed. Mouton, 1963, p. 259 cité par Michel Cornaton, Les regroupements de décolonisation en Algérie, Editions Economie et humanisme/ Les éditions ouvrières, op. cit., p. 18.

10 In préface au livre de M. Cornaton, Les regroupements de décolonisation en Algérie, Editions Economie et humanisme/ Les éditions ouvrières, op. cit., p. 9.

11 Le déracinement - La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Ed. de Minuit, 1964, op. cit., p. 26/27.

12 Pour la faiblesse relative de l’évolution de l’emploi salarié non agricole durant cette période, se référer à Abdellatif Benachenhou, Formation du sous-développement en Algérie, Essai sur les limites du développement du capitalisme en Algérie 1830-1962, OPU, Alger, 1978.

13 Statistiques, Armature Urbaine 1987, Les Collections de Statistiques 4, Office National des Statistiques, Collections Statistiques N° 97, Recensement Général de la Population et de l’Habitat 1998, Armature Urbaine, Office National des Statistiques.

14 Bernard Lepetit in Jean-Louis BIGET et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains – Situations de l’histoire des villes, ENS Editions Fontenay/Saint-Cloud, Paris, 1995.

15 Henri Lefebvre, Du rural à l’urbain, Ed. Anthropos, Paris, 2000, p. 229.

16 Julien Freund, préface, Max Weber, La ville, Ed. Aubier-Montaigne, Paris, p. 15/16.

17 Henri Lefebvre, Du rural à l’urbain, op. cit., P. 236.

18 Jean-François Augoyard, Pas à pas. Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain. Ed. du Seuil, Paris, 1979. p.

19 Anatole Kopp, Changer la ville, changer la vie, Ed. Union Générale, 1975.

20 La délimitation de ce qui est urbain par l’Office National des Statistiques (ONS) rappelle s’il en est besoin, comment l’urbanisation est « pensée » comme soutien à l’industrialisation. L’ONS a pour mission, en effet, de mesurer l’impact de l’action de l’État sur la société, via son action sur l’espace. Cet aspect de la relation urbanisation/industrialisation révèle l’attachement des aménageurs/planificateurs algériens au modèle européen, tout comme le font leurs collègues industrialistes/modernisateurs ’inspirant en cela du principe des Saint-simoniens « Tout pour l’industrie, tout par l’industrie ». Le lecteur intéressé par ces aspects de l’expérience algérienne en matière de développement gagnerait à se référer au livre de Djamel Guerid consacré à cette question, L’exception algérienne, La modernisation à l’épreuve de la société, Ed. Casbah, Alger, 2007.

21 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, 2ème édition, Paris, 2012.

22 Le lecteur intéressé par cet aspect de la crise urbaine en Algérie peut se référer à Abdelkader LakjaA, La ville : creuset d’une culture nouvelle, Revue Insanyiat, Villes algériennes, N° 5, Mai-Août 1998, CRASC ; L’habiter identitaire (compte-rendu de recherche avec enquête de terrain 1993-1995), 1996, publié dans la Revue Insanyiat, Espace habité, Vécus domestiques et formes d’urbanité, N° 2 - Automne 1997, CRASC ; Oran, une ville algérienne reconquise. Un centre historique en mutation, in L’Année du Maghreb, 2008, Dossier La fabrique de la mémoire, CNRS Editions, Edition 2008 ; Conflits de rationalités en espace urbain : l’habitat spontané à Oran, in Aménageurs et aménagés en Algérie, Héritages des années Boumediene et Chadli, sous la direction de Abed Bendjelid, Jean-Claude Brûlé, Jaques Fontaine, Ed. L’Harmattan, Paris 2004 ; Algérie : Une société en attente de sa sociologie, in Abdelkader Lakjaa (coordination et présentation), Sociologie et Société en Algérie, Ed. CASBAH, Alger, 2004.

23 Georges Balandier, Sens et puissance, les dynamiques sociales, 2ee, Quadrige, PUF, Paris, 1981.

24 Préface au livre de Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier 1927-1967, Ed. Dunod, Paris, 1972

25 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, 2ème édition, Paris, 2012, p. 171.

26 Se référer à Abdelkader Lakjaa, L’habiter identitaire, in Abdelkader Lakjaa (s/d), Modes d’appropriation des espaces urbains, Rapport de recherche, Ed. CRASC, 1996.

27 Voir à ce propos les travaux de Abdelkader Lakjaa, pour l’habitat collectif, et de Mohamed Madani, pour l’habitat individuel, in Abdelkader Lakjaa (s/d), Modes d’appropriation des espaces urbains, Rapport de recherche, Ed. CRASC, 1996.

28 Marion Segaud, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Ed. Armand Colin, 2ème édition, Paris, 2012, p. 171

29 Ibid. p. 169

30 Pour le projet de modernisation du monde rural algérien, à travers principalement La révolution agraire lancée en 1971, se référer à François Burgat et Michel Nancy, Les villages socialistes de la Révolution agraire algérienne, Postface de Werner RUF, Paris, Editions du CNRS, 1984. Il importe de rappeler que la paternité du projet des 1000 villages agricoles revient à l’ingénieur français Paul Delouvrier, un des auteurs du Plan de Constantine, élaboré à la hâte, en 1959, à la demande du Général De Gaulle, dans le cadre de l’opération de pacification de l’Algérie en guerre depuis le 1er novembre 1954.

31 Les problèmes que pose la formation de l’architecte algérien semblent s’expliquer par cette continuation du modèle urbain colonial. Aussi, lors des Assises nationales de l’architecture, tenues à Alger, il a été reconnu par les architectes eux-mêmes qu’ils ne savent plus pour quelle société construire.

32 Marion SEGAUD, Anthropologie urbaine, Habiter, fonder, distribuer, transformer, op. cit., p. 171

33 Ibid.

34 Bruno Etienne, Le flou urbain : l’affrontement des modèles, in Annuaire de l’Afrique du Nord, Ed. CNRS, Paris, 1972, p. 34-35, cité par Jean-Yves Toussaint, Un fragment de la crise algérienne, op. cit. p. 372.

35 La Casbah d’Alger, gestion urbaine et vide social, Ed. OPU, Alger, 1985.

36 Maria Sgroï-Dufresne, Alger 1830-1984, Stratégie et enjeux urbains, Editions Recherche sur les Civilisations, Paris, 1986, p. 233.

37 Jean-Yves Toussaint, Un fragment de la crise algérienne, Thèse de Doctorat en Sociologie urbaine, Sous la Direction de Henri Raymond, Université de Pais X - Nanterre, 1993.

38 Georges Balandier, Sens et puissance, les dynamiques sociales, op. cit..

39 Marc Augé, Le sens des autres, Actualité de l’Anthropologie, Paris, Ed. Fayard, 1994, p. 90.

40 L’architecte Jean Jacques Deluz souligne cette même incompréhension, voir son texte Ordre et désordre dans les périphéries urbaines, in NAQD, Revue d’études et de critique sociale, DesOrdres urbains, Printemps/Eté 2002, N° 16.

41 Henri Lefebvre, Intervention au séminaire de sociologie de Madrid (6 novembre 1968), Du rural à l’urbain, Ed. Anthropos, Collection Ethno-sociologie, 3e édition, Paris, 2001, p. 236.

42 Lewis Mumford, « La cité à travers l’histoire », Ed. du Seuil, Paris, 1964, p. 228.

43 Comme la cité grecque du VIe siècle qui évoluait comme « le contenant (qui) apparemment ne valait pas le contenu », parce qul’elle « était très loin d’une quelconque perfection : crises de croissance, entreprises mort-nées, structures périmées, détritus épars, vestiges d’une vie rurale inadaptée à l’organisation urbaine », Lewis Mumford, « La cité à travers l’histoire », op. cit. E, p. 228.

44 République algérienne démocratique et populaire, Demain, l’Algérie 2 Vol. L’état du territoire (vol. I), La reconquête du territoire (vol. II). Ministère de l’Equipement et de l’Aménagement du Territoire, p. 321.

45 Alger : agrégat ou cité, SNED, Alger, 1980, P. 39. Chez les géographes même son de cloche : l’un d’entre eux, Abed Bendjelid, n’hésite pas à noter à propos des classes moyennes à Oran que « la société a bien souvent fini par imposer ses valeurs et ses traditions qui demeurent malgré tout, marquées par la ruralité […] » Anthropologie d’un nouvel espace habité : « enjeux fonciers et spatialités des classes moyenne à Oran et sa banlieue (Algérie) », Espace habité : vécus domestiques et formes d’urbanité. - in Insaniyat N° 2, automne-1997, Oran, CRASC., pp. 5 à 26.

46 Ordre et désordre dans les périphéries urbaines, NAQD, Revue d’études et de critique sociale, DesOrdres urbains, Printemps/Eté 2002, N° 16.

47 Michel Coquery, Histoire urbaine des États-Unis : apports d’une approche historiographique. - in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains – Situations de l’histoire des villes, op. cité. -p. p. 110-111.

48 Robert Tinthoin, Le peuplement musulman d’Oran, extrait du Bulletin de la Société de Géographie et d’Archéologie de la province d’Oran. Oran, 1953. - p. 20.

49 Michel Coquery, « Histoire urbaine des États-Unis : apports d’une approche historiographique ». - in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas Urbaines - op. cit.-p. p. 110-111.

50 Maria Sgroï-Dufresne, Alger 1830-1984 Stratégie et enjeux urbains, op. cit. 233/4.

51 Djamel Guerid, Algérie : L’une et l’autre sociétés, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle CRASC, Ed. CRASC 1995.

52 André Raymond, Ville musulmane, ville arabe : mythes orientalistes et recherches récentes, in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Herve (coordonateurs), Panoramas urbains – Situations de l’histoire des villes, op. cit., p. 333/4.

53 Voir à cet effet les travaux récents qui ont porté sur ces processus acculturatifs à travers l’industrialisation du pays et plus particulièrement l’entreprise économique : Industrialisation, classe ouvrière et sociologie. L’exemple algérien. Thèse de doctorat d’État es lettres et sciences humaines, 1993-1994 de Djamel Eddine Guerid, sous la direction de Pierre Fougeyrollas. Voir aussi Isabelle Berry-Chikhaoui et Agnès Deboulet (s/d), Les compétences des citadins dans le monde arabe. Penser, faire et transformer la ville, Ed. IRMC/Karthala/URBAMA, 2000.

54 Catherine Coquery-Vidrovitch : Histoire de l’urbanisation africaine. La ville coloniale : « Lieu de colonisation » et métissage culturel in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains – Situations de l’histoire des villes, op. cit.

55 Encyclopédie Universalis, Ed. Encyclopédie Universalis France SA, 1968, vol. 1, deuxième publication mai 1969, p. 104.

56 Michel Liu, L’étude des cultures, document N° 98/2, Centre d’Etude et de Recherche en Sociologie des Organisations, Université Paris Dauphine, Avril 1998.

57 Idem. Voir aussi Paul Henry Chombart de Lauwe, (s/dir), Transformations sociales et dynamiques culturelles, Paris, Ed. du CNRS, 1981.

58 Capitalisme privé et patrons d’industrie en Algérie (1962-1982), Ed. CREA, Alger, 1984, p. 101.

59 Bruno Etienne, « Le flou urbain : l’affrontement des modèles », in Annuaire de l’Afrique du Nord, Ed. CNRS, Paris, 1972, p. 34-35.

60 Maurice Godelier, Communauté, Société, Culture – Trois clefs pour comprendre les identités en conflits, CNRS Editions, Paris, 2009.

61 Michel Peraldi (s/d), Cabas et containers : activités marchandes informelles et réseaux migrants transfrontaliers, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 68.

62 Ibid. p. 73.

63 Ibid p. 74.

64 L’informel au cœur de la cité, Rapport Afrique de l’Ouest 2007/2008, Décembre 2008, p. 170 : même si on relève une productivité faible et quasi stagnante, on souligne toutefois que l’informel, dans la région africaine du Sahel, est le principal pourvoyeur d’emplois, regroupant entre 65 % et 80 % de l’emploi urbain. Au niveau des villes côtières, les unités du secteur informel contribuent à 37 % du Produit Local Brut (PLB). Pour la ville sahélienne type, cette contribution est même évaluée à la moitié du PLB.

65 Jean-François René, « L’insertion socioprofessionnelle des jeunes : le prisme du partenariat comme catalyseur de la responsabilité », Lien social et Politiques, Numéro 46, automne 2001, p. 125-139

66 Dès les années 1990, suite aux grandes vagues de licenciement des travailleurs des entreprises économiques publiques, qui ont résulté de la crise pétrolière et gazière des années 1980, la société algérienne enregistra l’entrée massive des femmes dans le monde du travail informel. À cela il importe d’ajouter deux grandes et décisives transformations qui ont marqué l’institution familiale ces 30 ou 40 dernières années en Algérie : la « désacralisation » de l’union conjugale, attestée par l’accroissement de la divortialité, et la baisse de la fécondité.

67 Grell P., Wery A. 1993. Héros obscurs de la précarité. Paris, L’Harmattan, Logiques sociales, cité par Valérie Cohen « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie, 1997, op. cit.

68 Pierre Bouvier, 1995. Socio-anthropologie du contemporain, Paris, Galilée, Débats.

69 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, 3. Le changement social, Ed. HMH, Ltée., 1968, p. 22.

70 Jean Piaget, Le possible et le nécessaire, Ed. PUF, 2 vol., 1981, cité in Omer Kimbale Mirembe, Échanges transnationaux, réseaux informels et développement local : une étude au Nord-est de la République démocratique du Congo, septembre 2005, PUL Louvain-la-Neuve Thèses soutenue en 2005.

71 Pour la sociologie, Ed. du Seuil, 1974. C’est là tout le sens de la caractéristique majeure de l’ère Boumediene (1965-1978) qui avait pour objectif majeur d’opérer le changement social par la mise en œuvre d’un programme ambitieux d’industrialisation, d’urbanisation et de scolarisation.

72 Pierre Bourdieu, Réponses : pour une anthropologie réflexive, Paris, Seuil, 1992.

73 Guy Rocher, L’idéologie du changement comme facteur de mutation sociale, Un article publié dans l’ouvrage de Guy Rocher, Le Québec en mutation, Montréal, Éditions Hurtubise HML Ltée, 1973.

74 Idem.

75 Jacques Charmes, expert du BIT, a été appelé à la rescousse par l’Office national des Statistiques pour passer en revue les enquêtes de cet organisme étatique en vue de trouver des failles méthodologiques devant expliquer la faiblesse de l’emploi féminin en Algérie, comparativement au Maroc et à la Tunisie où les pourcentages sont relativement plus élevés avec des moyens financiers largement moindres.

76 Jacques Charmes, Mesure statistique de la population active et du secteur informel en Algérie, (situation actuelle et orientations méthodologiques), Rapport pour le Bureau statistique des Nations Unies et le Programme des Nations Unies pour le Développement, Mission auprès de l’ONS du 13 au 20 décembre 1991. Cette situation n’épargne pas une entreprise de l’envergure de SONATRACH qui se place en douzième position dans le classement mondial des compagnies pétrolières. D’autre part, et jusqu’en 2013 la mesure de l’emploi féminin en Algérie continuait à poser problème selon la thématique d’une journée d’étude consacrée à l’emploi féminin en Algérie et organisée à Alger à l’initiative du Ministère du Travail, le CREAD (Centre de Recherche en Economie Appliquée au Développement), l’ONS (Office National des Statistiques) et CNEIDFFE (Centre National d’Etude, d’Information et de Documentation sur les Femmes, la Famille et l’Enfance : « L’Algérie figure actuellement parmi les pays où les femmes participent le moins à la vie économique : selon un rapport du Forum économique mondial publié à la fin de l’année 2013, elle est classée à la 124ème position dans une liste comprenant 136 pays. En 2006, elle occupait, pourtant, la 97ème position dans le classement établi par la même organisation. Selon une enquête de l’ONS, la part de l’emploi féminin sur l’emploi total en Algérie est estimée à 17,6 % en 2013. Selon cette même enquête, le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport population occupée/population âgée de 15 ans et plus, est de 39 % au niveau national, de 63,7 % chez les hommes et de 13,9 % chez les femmes » selon, Cellule communication du CREAD en date du 30 mars 2014

77 L’expression est d’Yves barel, La marginalité sociale, Ed. PUF, 1982.

78 Ahmed Henni, Essai sur l’économie parallèle, le cas de l’Algérie, 1991, p. 148.

79 Yves Barel, 1990, Le Grand Intégrateur, Connexions, n° 56, 1990.

80 Paul Grell et Anne Wery, Marginalité et exclusion sociales, Héros obscurs de la précarité, Paris, L’Harmattan, 1993.

81 Quand les algériennes inventent leur modernité, in Al Dafatir, Les Cahiers Algériens de Sociologie, Revue des recherches sociologiques éditée par le département de sociologie d’Alger, N° 1 Année 2000, Numéro spécial ; Société algérienne et pratiques sociologiques, Actes du 2ème colloque de sociologie 11-12 novembre 1997.

82 Edward Sapir, parle, lui, d’ajustement et de mésajustement, Anthropologie, T. 2, Culture, Ed. de Minuit, Paris, p. 168.

83 Georges Balandier, Sens et puissance, op. cit.

84 Bernard Lepetit, La ville moderne en France-Essai d’histoire immédiate, in Jean-Louis BIGET et Jean-Claude Herve (coordonateurs), Panoramas urbains, op. cit.., p. 188.

85 Claudine Herzlich, Représentations sociales de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social, in Denise Jodelet (sous la dir.) L’étude des représentations sociales, Ed. Delachaux et Niestlé, Neuchatel, Paris 1986, p. 161.

86 La révolution urbaine, Ed. Gallimard, 1970, p 69.

87 Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi - Dépression et société, Ed. Odile Jacob, 1998, Août 2000, p. 47.

88 Rachid Bennegadi, Préface au livre de Robert Berthelier, L’homme maghrébin dans la littérature psychiatrique, Ed. L’Harmattan, 1994, p. 7.

89 Civilisations matérielles et capitalisme cité par Yvonne Turin in Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale - écoles, médecines, religion -, 1830-1880, Ed. F. Maspéro, 1971.

90 Michel Cornaton, Les regroupements de la décolonisation en Algérie, Préface de Germaine Tillion, Ed. Economie et Humanisme, Les éditions ouvrières, Paris, 1967, p. 198/9

91 Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le déracinement, op. cit., p. 216/7

92 Office national des statistiques ONS, Recensement général de la population et de l’habitat RGPH 1998, Collections Statistiques N° 80, Les principaux résultats du sondage au 1/10e, Série Résultats N° 01.

93 République algérienne démocratique et populaire, ministère de la Santé et de la Population, Direction des actions sanitaires spécifiques, Programme national de santé mentale, 10 octobre 2001.

94 Office national des statistiques, collections statistiques N° 60, Dépenses de consommation des ménages, 1988, Soins médicaux, hygiène corporelle et produits de beauté. Les résultats de l’enquête de l’année 2000 (cette enquête est réalisée tous les 10 ans après chaque RGPH) montrent que les ménages algériens consacrent 2,68 DA pan et par habitant à la médecine traditionnelle. Selon l’Enquête nationale de l’Office national des Statistiques sur les « Dépenses de consommation des ménages 1988 », tous les ménages algériens (tous CSP, tailles ou déciles confondus), consacrent une part de leurs dépenses médicales à la médecine traditionnelle (services du guérisseur traditionnel, du « Taleb » et autres). Non observés lors de l’enquête 1979-80, les « Honoraires de la médecine traditionnelle » se classaient déjà en 1988 avant les « Frais d’accouchement » et « Autres appareils » et sont déclarés, tant en zone urbaine que rurale, au même titre que tous les autres postes de dépenses des ménages algériens.

95 Ainsi, si l’on croit Donald Klein, l’un des plus grands spécialistes mondiaux, l’anxiété est « une réponse adaptative et non apprise à un danger anticipé. Dans la mesure où la vie nous apprend à connaître un grand nombre de dangers, l’apparition de sensations inhabituelles d’anxiété ne serait rien d’autre que le reflet d’une expérience d’apprentissage inhabituelle », cité par Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, op. cit. p. 97. Le phénomène du suicide est une autre palette de ces troubles de santé mentale en milieu urbain : en Algérie, cette marée montante des morts volontaires enregistre un accroissement régulier depuis au moins 1986/1987. Notre approche, ici, s’appuie sur les résultats d’une série statistique portant sur le suicide à Alger entre 1980 et 1991 à partir des seuls cas enregistrés au service de médecine légale du CHU Mustapha et autopsiés. Le nombre de suicides est passé, pour la seule ville d’Alger, de 20 en 1980 à 51 en 1991 soit un accroissement de deux fois et demi (2 et l/2), soit au total 277 suicides de 1980 à 1991. En 2006 il a été enregistré pas moins de 48 cas de suicides, à l’échelle nationale, pour le seul premier trimestre :
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Tab.6 - Evolution du suicide à Alger 1980-1991
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Tab.7 - L’âge des suicidants à Alger

96 Georges Balandier, Sens et puissance, op. cit.

97 Cités par Lewis Mumford, La cité à travers l’histoire, op. cit. p. 41.

98 Charles de Montesquieu (Baron de Segondat), Préface à l’Esprit des lois, œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, t. I, 1949, t. II, 1951, cité par Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. p. 85.

99 Bernard Lepetit, La ville moderne en France. Essai d’histoire immédiate, in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains, op. cit., p.188.

100 André Raymond, Ville musulmane, ville arabe : mythes orientalistes et recherches récentes, in Jean-Louis Biget et Jean-Claude Hervé (coordonateurs), Panoramas urbains op. cit., p.324.

101 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie 1997, mis en ligne le 15 janvier 2003, http://revuessocio-anthropologie.revues.org

102 Une enquête que j’ai conduite auprès de 851 jeunes, répartis entre trois quartiers populaires d’Oran (Algérie), entre mai et juin 2012, confirme ceci.

103 « Le phénomène urbain comme mode de vie » (1938), cité par Yves Grafmeyer, Sociologie urbaine, Ed. Nathan, Paris, 1994, p.17.

104 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie 1997, op. cit.

105 Djilali Khamès, Changement et continuité. Le cas de la ville d’El Bayadh. Approche anthropologique, Mémoire de magistère en sociologie, sous la direction de Abdelkader Lakjaa, Université d’Oran, 2012.

106 Valérie Cohen, « La vulnérabilité relationnelle », Socio-anthropologie, 997, op.cit.

107 Abdelkader Lakjaa, Conflits de rationalités en espace urbain : l’habitat spontané à Oran, in Abed Bendjelid, Jean-Claude Brûlé, Jaques Fontaine (s/d), Aménageurs et aménagés en Algérie, Héritages des années Boumèdiène et Chadli, Ed. L’Harmattan, Paris 2004.

108 Ces chiffres ont été communiqués par Madani Safar Zitoun, sociologue-urbaniste, Université d’Alger, lors de sa conférence du 19/12/2013 au CEMA, à Oran, sous le titre « Pourquoi la crise du logement perdure-t-elle ? Aspects systémiques et sociologiques de la question ».

109 Georges Balandier, Sens et puissance, Les dynamiques sociales, p.91, Paris, 1971.

110 Ibid p.284.

111 Tayeb El Mestari, « Analyse socio-politique des intellectuels francophones algériens : problèmes d’approche théoriques », in Aïssa KADRI (s/d), Parcours d’intellectuels maghrébins _ Scolarité, formation, socialisation et pos itionnements, Ed. Karthala - Institut Maghreb-Europe, Paris, 1999. P.306/7.

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