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Abécédaire des architectures distribuées

 | 
Cécile Méadel
, 
Francesca Musiani

28. Régulation

Maya Bacache et Julia Cagé

Texte intégral

1La régulation et la réglementation sont deux notions proches. La réglementation est l’édiction de règles : elle renvoie à l’élaboration des lois par le Parlement mais plus généralement à la création de normes et de règles. Ces règles sont édictées et décidées par l’État et les pouvoirs publics en général. Le terme de régulation vient en français de la traduction anglaise de regulation. Dans son acception française, régulation désigne soit de manière synonyme la réglementation, soit un ensemble plus large de règles explicites ou implicites et les conventions qui régissent les comportements des individus, édictées de manière extérieure ou générées par les acteurs eux-mêmes. La régulation au sens strict désigne donc l’action de l’État face au marché. Le développement des modèles de régulation, sur lequel le livre séminal est celui de Laffont et Tirole en 1993, s’explique par l’intégration des théories de l’information, du modèle principal-agent, des objectifs spécifiques de l’État et des agences de régulation pour comprendre les politiques de régulation et déterminer leur efficacité.

2L’action première de régulation de l’État consiste à veiller au bon fonctionnement du marché. Pour cela, l’État assure une fonction d’ordre : il garantit les droits de propriété, le respect des contrats et le libre jeu du marché. En ce sens, les autorités de concurrence ou les politiques de concurrence, les politiques de « droit et d’ordre » sont la première étape d’une politique de régulation.

3Ensuite, le marché connaît des défaillances lorsque le libre jeu du marché n’aboutit pas à un équilibre optimal. Certaines défaillances de marché impliquent alors plus directement une réglementation du marché. Par exemple, l’existence de coûts fixes importants induit des rendements d’échelle dans la production et l’apparition de monopoles dans la production, dit monopoles naturels. Dans ce cas, la tarification du bien ne peut plus se faire au coût marginal (qui n’intègre donc pas le coût fixe de la production). De nombreux travaux en économie ont montré comment établir dans ce cas-là le prix du produit, et pourquoi l’État doit alors intervenir soit en nationalisant le monopole, soit en le régulant – c’est-à-dire, dans ce cas précis, en contrôlant son prix.

4Une autre défaillance de marché nécessite une intervention de l’État en matière de régulation : l’apparition d’effets externes (ou externalités). Un effet externe désigne l’impact de l’action d’un agent sur le bien-être d’un autre agent qui ne passe pas par le système des prix. L’exemple désormais connu est celui de la pollution générée par les entreprises qui ont un impact sur la santé des citoyens. La régulation peut dans ce cas prendre plusieurs formes : édiction de normes (interdiction par exemple de polluer au-delà d’un certain taux de CO2 ou de concentration en produits chimiques donnés) ou taxation (principe du pollueur payeur) ou encore création de droits (par exemple création de marchés à polluer).

5Une troisième défaillance induit la nécessité de la régulation par les pouvoirs publics : l’asymétrie d’information. En cas d’asymétrie d’information, le consommateur et le producteur n’ont pas la même information sur le bien échangé. Dans ce cas, et sans régulation, le marché est défaillant et produit deux effets non souhaitables : l’aléa moral et la sélection adverse. Cette dernière a été mise en évidence par l’exemple célèbre des voitures d’occasion (étudié par Akerlof en 1970)53 : supposons qu’une voiture sur deux soit de mauvaise qualité et vaut 0, et une sur deux de bonne qualité sur le marché des voitures d’occasion et vaut 100. Le vendeur connaît la qualité de la voiture qu’il met en jeu mais le consommateur estime donc son risque à acheter une voiture qui ne vaut rien et propose d’acheter la voiture à 50. Le vendeur de la bonne voiture se retire du marché alors que le vendeur de la mauvaise voiture est heureux de faire une bonne affaire. Cette sélection adverse des mauvaises voitures est connue par le consommateur qui ne propose plus alors 50 pour une voiture qu’il sait ne rien valoir et aucun échange n’a lieu.

6L’aléa moral (moral hazard), lui, désigne une modification des comportements des agents et se retrouve dans l’exemple de l’assurance voiture. Le comportement du consommateur (bien conduire ou ne pas boire) modifie le risque couvert par l’assurance, or le consommateur seul connaît son comportement. Ainsi, si l’assurance propose une couverture trop élevée, elle incite le consommateur à conduire mal ou plus vite et augmente ainsi le risque couvert. Là encore, le marché est défaillant et l’assurance va être tentée de ne pas fournir le bon niveau d’assurance. L’intervention de l’État dans ce cas de défaillance peut être (i) la réglementation (contraindre les assureurs à assurer les risques et ne pas sélectionner les assurés par exemple), (ii) la certification ; ou de manière plus souple (iii) l’organisation de l’élaboration de labels.

7Un quatrième cas de défaillance de marché est l’existence de biens non-rivaux et non-excludables (voir Biens collectifs*) qui ne peuvent être produits par le marché, et que l’État peut soit produire directement, soit inciter ou obliger les acteurs de marché à produire.

8Enfin, un dernier cas de défaillance est l’existence d’incohérence inter-temporelle. Les biens à effet d’addiction créent des incohérences inter-temporelles : avant la consommation d’un produit addictif, le consommateur souhaite l’essayer mais non y succomber, alors qu’après la consommation, du fait du processus addictif, le consommateur arbitre en faveur de davantage de consommation du bien en dépit du risque parfois mortel de cette consommation. Jon Elster (1979) donne l’exemple d’Ulysse et des sirènes pour indiquer que la régulation choisir par Ulysse a été de se lier les mains au mât du bateau pour s’empêcher de se jeter à l’eau à l’écoute des Sirènes. L’État peut jouer ce rôle de régulateur en liant les mains des consommateurs : il interdit ou régule la consommation de produits addictifs et inversement encourage la consommation des biens d’expérience qui ne plaisent pas au début mais finissent par être souhaitables (éducation, culture, etc.).

9La régulation au sens large ne désigne pas uniquement l’action de l’État, mais l’ensemble des règles, conventions, explicites ou implicites, qui émerge également par l’autorégulation. La problématique que posent les réseaux pair-à-pair est celle de l’autorégulation. En effet, dans les exemples listés ci-dessus, en cas de défaillance de marché les agents sont incapables par eux-mêmes de trouver des solutions et ont recours à l’État ou aux pouvoirs publics qui régulent. Mais la régulation dans son sens large englobe l’autorégulation par les acteurs. On montre par exemple que dans le cas d’interactions répétées un groupe d’agent réussit à produire un bien public sans intervention de l’État : c’est l’exemple simple de la famille ou des groupes d’amis ou des associations.

10En effet, dans le cas du bien public, un premier problème est de parvenir à contraindre les agents qui bénéficient du bien à le financer ; or ces biens sont non-excludables, donc on ne peut en exclure les consommateurs. L’État impose simplement le paiement de l’impôt. Mais dans les groupes sociaux d’autres acteurs peuvent jouer ce rôle de contrainte. La pression des pairs est un autre exemple de contrainte autorégulée.

11Une autre difficulté du bien public est la révélation des préférences ou le passager clandestin. Si on demande aux agents s’ils bénéficient du bien et qu’alors ils le financent, ils sont incités à déclarer ne pas en vouloir et attendre qu’un autre agent le finance pour en profiter puisque c’est un bien non-rival. Là encore, l’État contourne ce problème, mais les petits groupes sociaux qui interagissent souvent règlent également la difficulté. Les exemples sont nombreux mais les limites également. On convient en général que seuls les petits collectifs qui parviennent à faire émerger des conventions et des normes s’autorégulent. Le paradoxe du pair-à-pair est de proposer une autorégulation à grande échelle entre pairs qui ne se connaissent et ne se reconnaissent pas.

12Une littérature importante économie a étudié la question du passager clandestin dans le cadre des partages P2P de fichiers et en particulier les incitations à contribuer aux ressources communes. Un travail récent de Hergueux et al. (2014b) étudie le rôle joué par les motivations intrinsèques et les motivations extrinsèques à participer au réseau. Les auteurs analysent les déclarations des participants sur leur motivation et leur participation effective au réseau. Ils montrent que les motivations que les développeurs classent le plus bas, la réputation et les compensations monétaires, sont celles qui sont le plus fortement corrélées aux contributions effectives.

Notes

53  Voir Confiance*.

© Presses des Mines, 2015

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