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Abécédaire des architectures distribuées

 | 
Cécile Méadel
, 
Francesca Musiani

22. Modèles économiques

Maya Bacache y Julia Cagé

Texto completo

1Étudier le modèle d’affaire économique – ou business model – d’un secteur d’activité, consiste à étudier ses coûts et ses revenus. De manière statistique, ces coûts et revenus sont décrits dans les comptes de résultat d’une entreprise. Il s’agit également d’étudier la structure de propriété de ce secteur d’activité. Enfin, le modèle économique d’un secteur varie selon que l’activité de ce secteur est commerciale ou non commerciale.

2Dans les secteurs d’activité les plus « classiques », les revenus – ou produits d’exploitation – proviennent de la vente d’un bien ou d’un service à des consommateurs (ils peuvent également parfois provenir de subventions). Dans d’autres secteurs d’activité, que l’on qualifie de « marchés bifaces », les revenus proviennent tout à la fois de la vente d’un bien ou d’un service à des consommateurs (première face du marché), et de la « vente » de ces consommateurs à des publicitaires (deuxième face du marché). C’est le cas par exemple du secteur des médias : les journaux reposent tout à la fois sur les revenus de leurs ventes (vente des exemplaires en kiosque ou par abonnement) et des revenus de la publicité, revenus qui dépendent eux-mêmes des ventes, puisque plus les ventes seront élevées (ou plus le pouvoir d’achat des lecteurs est élevé), plus les publicitaires seront prêts à payer pour publier leur publicité dans le journal en question. En ce qui concerne les coûts d’un secteur d’activité – ou charges d’exploitation –, on distingue le plus souvent (et de manière simplifiée) d’une part, les achats de marchandises, d’autre part, les salaires versés aux employés, et enfin les impôts et charges sociales.

3Le « pair-à-pair » (P2P) est un secteur d’activité particulier – dont le modèle économique n’a jusqu’à présent jamais véritablement été étudié – puisque qu’il s’agit d’un système de distribution coopérative qui utilise des ressources distribuées pour accomplir des fonctions essentielles de manière décentralisée. Dans le P2P, il n’y a pas de « client ». Les participants agissent à la fois comme des consommateurs du service (c’est-à-dire des clients) et comme des producteurs du service (des serveurs). Surtout, ils ne paient pas toujours ce service. Si certains réseaux P2P sont en effet des réseaux commerciaux dans lesquels les utilisateurs paient pour accéder aux contenus (c’est le modèle économique choisi par exemple par Grooveshark et rVibe), d’autres réseaux P2P sont des systèmes d’échange purement coopératifs. Dans un cas, il s’agit de plateformes commerciales qui agissent comme des entreprises (commercially supported online communities), dans l’autre, de plateformes autogérées mais qui engendrent toutefois un certain nombre de coûts qu’il faut bien assumer, et supposent donc la mise en place d’une infrastructure, même simple.

4Le choix – ou non – d’un modèle économique commercial a des implications non seulement du point de vue des recettes, mais également de celui des dépenses. En effet, un système commercial qui fait payer le service rendu par les utilisateurs peut du même coup utiliser des paiements monétaires pour encourager les utilisateurs à distribuer leur contenu sur le réseau. Par exemple, Altnet paie les utilisateurs sur le réseau Kazaa qui acceptent de rejoindre Altnet comme point de distribution ; Grooveshark et rVibe compensent également les utilisateurs qui distribuent du contenu. En effet, dans un réseau P2P, pas plus qu’il n’y a véritablement de « client », il n’y a véritablement d’« employés ». Or les systèmes fondés sur le paiement peuvent permettre de réduire le problème du passager clandestin dans les systèmes P2P40. Que se passe-t-il dans le cas des plateformes autogérées ? Les plateformes P2P autogérées ou communautés de partage P2P se distinguent par de nombreux participants et un renouvellement constant des membres. Ces communautés se développent et se maintiennent par elles-mêmes, sans parrainage commercial ou d’entreprise. Il faut le reconnaître, les coûts des plateformes de P2P sont beaucoup moins élevés que ceux des entreprises traditionnelles. La distribution est par exemple peu coûteuse sur internet ; elle peut être offerte d’individu à individu sans qu’aucune entreprise n’ait à investir dans un immeuble ou dans des coûts de maintenance d’un serveur.

5La frontière entre réseaux P2P commerciaux et réseaux P2P non commerciaux est cependant loin d’être évidente. De nombreuses plateformes de P2P gratuites, par exemple Buddybackup (qui permet le stockage de données sur des ordinateurs de « buddies », c’est-à-dire des connaissances, de la famille, des amis ou encore des collègues) ou Databarracks, sont en réalité avant tout un support publicitaire pour un service payant. De même, Joost, la télévision du futur imaginée par Niklas Zennström et Janus Friis, les fondateurs de Kazaa et Skype, propose ainsi un service gratuit aux internautes financé exclusivement par la publicité. Il s’agit alors d’un modèle économique qui s’apparente au modèle des marchés bifaces. Les « clients » ne payent pas pour le service, mais sont « vendus » à des publicitaires sur la deuxième face du marché. La publicité est une source de revenus importante pour les plateformes P2P.

6De plus, de même que certains logiciels libres, comme par exemple Sendmail, se sont développés à la fois comme logiciels libres et comme logiciels brevetés après avoir été libres, tout laisse à penser que de nombreuses plateformes de P2P sont vouées à devenir payantes (par exemple Blablacar qui a levé 100 millions d’euros de fonds en 2014). Déjà lors de la création de Napster, beaucoup pensaient que l’entreprise, qui avait déjà 46 employés en 2000 seulement après 15 mois d’existence, allait générer des revenus en passant un accord avec le secteur du disque, en faisant payer de la publicité ou des sponsors sur le site, ou bien encore en chargeant un frais de souscription mensuel. D’où les fonds importants de capital-risque que l’entreprise a été capable de lever, et ce dès sa création.

7Finalement, il est intéressant de noter que le P2P fait émerger de nouvelles sources de revenus qui ne sont pas prises en compte dans l’analyse des modèles économiques traditionnels. En effet, l’extension de l’accès aux données et la constitution de big data pose la question des enjeux de l’exploitation de ces masses de données qui peuvent permettre aux entreprises d’améliorer leurs performances et de provoquer des innovations radicales en matière de modèles d’affaires. La récupération des données personnelles en particulier est un enjeu essentiel dans le contexte actuel de monétisation croissante des informations fournies par les utilisateurs sur Internet.

Notas

40Voir Biens collectifs*.

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