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Abécédaire des architectures distribuées

 | 
Cécile Méadel
, 
Francesca Musiani

7. Cloud Computing

Primavera De Filippi

Texto completo

1Le cloud computing (ou « informatique en nuage ») a radicalement modifié la façon dont les internautes interagissent avec le réseau : un nombre croissant de données et d’informations sont exportées et stockés dans de grands centres, où elles peuvent ensuite être récupérées par les utilisateurs, à la demande. Cela comporte un certain nombre d’avantages, notamment en termes d’élasticité, de flexibilité et de disponibilité des données. Les utilisateurs n’ont plus besoin d’investir dans l’achat de leur propre infrastructure technique ; ils peuvent désormais bénéficier de ressources informatiques fournies de façon dynamique, et dont l’importance s’adapte automatiquement en fonction de leurs besoins réels. De plus, étant donné que les données sont conservées dans les « nuages » – plutôt que d’être stockées localement sur les appareils des utilisateurs – elles deviennent facilement accessibles de n’importe où et à tout moment (à condition d’avoir une connexion Internet). Les fichiers deviennent simultanément accessibles à partir de plusieurs appareils, sans avoir besoin d’installer aucun logiciel spécifique, et sans jamais avoir à se soucier de transférer les fichiers ou les synchroniser.

2On est dans une organisation qui à la différence de celle des architectures distribuées repose sur un degré élevé de centralisation pour ce qui regarde à la fois les infrastructures et les applications (sinon nécessairement les communautés)10 et en cela le cloud computing soulève un certain nombre de défis en ce qui concerne (a) la sécurité, (b) la vie privée et (c) l’autonomie des internautes. Nous nous concentrerons ici sur la façon dont la société civile a fait face aux problèmes liés aux plates-formes de cloud computing centralisées, avec la mise en place de plusieurs alternatives décentralisées qui pourraient permettre de surmonter quelques-uns de ces inconvénients.

3Alors que les avantages du cloud computing sont très appréciés par le grand public (Miller, 2008), des initiatives issues de la société civile ont tenté de pallier les inconvénients de la centralisation en développant des applications alternatives décentralisées. Bien qu’elles ne reposent pas toutes sur les technologies de cloud computing (telles que les technologies de virtualisation et de calcul distribué), la plupart de ces applications se présentent comme une solution pour se différencier des architectures traditionnelles de cloud computing avec leurs grands centres de données centralisées, et aller vers des architectures décentralisées fondées sur des technologies pair-à-pair, et situées directement sur les machines des individus connectés au réseau – ce que l’on appelle aussi « edge computing » (Wang et al, 2012).

  • 11  Voir Communiquer en P2P*.

4Skype, initialement développé par les créateurs de Kazaa, est peut-être l’une des premières applications de cloud computing (et assurément l’une des plus populaires) : ce service de communication qui permet aux utilisateurs de faire la téléphonie-sur-IP (Voice-over-IP11) repose, au moins partiellement, sur des architectures décentralisées (pair-à-pair) dans lesquelles les packets sont acheminés à travers un réseau de pairs interconnectés. Skype a désormais été racheté par Microsoft, et présente aujourd’hui une architecture décentralisée dont la gestion est cependant centralisée – puisque l’ensemble de l’infrastructure de communication est contrôlée en dernier ressort par Microsoft.

5Aujourd’hui, de nombreuses autres applications ont été développées de manière décentralisée, afin de bénéficier des avantages du cloud computing (en ce qui concerne l’ubiquité, l’élasticité et la flexibilité) sans devoir supporter les coûts et les inconvénients de la centralisation (en ce qui concerne le manque d’autonomie et de contrôle de la part des utilisateurs). C’est par exemple le cas du logiciel SlapOS, une application open source s’appuyant sur les technologies pair-à-pair pour la mise en place d’infrastructures de cloud computing décentralisées. Sélectionné pour supporter le centre de données du ministère de l’Intérieur de Côte-d’Ivoire, SlapOS prend en charge divers aspects de l’informatique en nuage, y compris les applications de Infrastructure as a Service (IaaS), Platform as a Service (PaaS) et Software as a Service (SaaS). De la même manière, le projet Clommunity fournit une série d’outils et d’applications visant à soutenir les communautés locales dans les services d’amorçage, de gestion et d’exploitation de clouds communautaires pour des réseaux mesh12 (ou maillés). OwnCloud et CozyCloud sont deux autres alternatives (relativement populaires) qui proposent une sélection de logiciels libres permettant aux internautes d’agréger et de stocker leur propres données sur un serveur « en nuage » personnel et privé, pour les rendre ensuite être accessibles à tout moment et de n’importe où. Contrairement aux applications de cloud computing traditionnelles, où les données sont stockées sur des serveurs gérés par des tiers, ces applications peuvent être installées sur des serveurs individuels, permettant ainsi aux utilisateurs de conserver le contrôle de leurs propres données.

6Ces applications se distinguent par rapport aux serveurs privés traditionnels dans la mesure où elles fournissent une solution « élastique » avec une capacité de stockage partagée qui s’élargit ou se réduit à selon des besoins effectifs des internautes. Ainsi, les internautes peuvent bénéficier des avantages de l’informatique en nuage pour ce qui est de la flexibilité et de la disponibilité des données, sans pour autant renoncer à la capacité de surveiller et de contrôler l’usage qui en est fait. À cet égard, Unhosted est un projet qui a pour objectif de séparer les données de la couche logicielle où elles sont traitées afin de réduire le pouvoir que les fournisseurs traditionnels de services « en nuage » peuvent exercer sur les données personnelles des internautes. Enfin, CrossCloud est un projet mené par Tim Berners-Lee (directeur du W3C et professeur au MIT) dont le but est de promouvoir l’interopérabilité entre les différentes plates-formes de cloud computing. Le service permet aux internautes de déplacer leurs données librement entre un maximum de plates-formes, d’applications, et de réseaux sociaux, tout en conservant l’intégrité et la valeur de ces données.

7Au cours des années, des plates-formes de cloud computing de plus en plus spécialisées ont été mises en place, afin de lutter contre cette tendance croissante vers la centralisation des services en nuage. Parmi les exemples les plus reconnus, on trouve Diaspora, une alternative décentralisée à Facebook fondée sur un réseau fédéré de serveurs opérant sur les dispositifs des utilisateurs ; Kune, un logiciel distribué qui fournit des logiciels de collaboration en temps réel afin de faciliter la coordination des communautés en ligne et MailPile, une alternative aux services de messagerie en ligne, ayant pour but de rendre aux utilisateurs le contrôle de leurs propres courriels (par exemple de leur exploitation éventuelle).

8La plupart de ces applications ambitionne de donner aux internautes plus de contrôle sur leurs données (De Filippi & McCarthy, 2012). Beaucoup de ces applications ont, en effet, été mises au point pour lutter contre l’établissement de « jardins clos » (ou walled gardens) – des plates-formes propriétaires dans lesquelles les données des internautes se retrouvent enfermées (Lametti, 2012). Or, même si elles pourraient potentiellement se présenter comme une alternative intéressante à de nombreux services en ligne centralisés, la plupart de ces applications sont encore en cours de développement et ne bénéficient actuellement que d’une base d’utilisateurs limitée.

9Des applications plus spécialisées existent également, pour des acteurs plus particulièrement concernés par la question de la souveraineté des données. MyProfile permet aux internautes de gérer l’utilisation des données qu’ils produisent et partagent sur Internet, par le biais d’un dispositif élaboré pour agréger une diversité de données sur un compte centralisé. SquareTag est un service permettant aux internautes de garder une trace de toutes les ressources qu’ils possèdent, grâce à la création d’un service de cloud personnel, spécifique à chacune de ces ressources, et le développement d’applications personnalisées par lesquelles les internautes peuvent interagir avec leurs propres ressources. Enfin, Stample permet aux internautes de créer leur propre réseau de connaissances et de savoirs, en récoltant les contenus en ligne et en les organisant au sein d’une bibliothèque personnelle – avec la possibilité d’ajouter des notes, des résumés ou des annotations aux contenus, et de pouvoir les partager.

10La plupart de ces applications de cloud computing décentralisées ont été conçues pour préserver l’autonomie et protéger la vie privée des internautes. En effet, au-delà des problématiques liées à la collecte et au stockage centralisé d’informations personnelles, les plateformes de cloud computing centralisées créent une forte dépendance des utilisateurs envers les fournisseurs de service, qui ont la capacité non seulement de contrôler mais aussi de déterminer les actions des usagers qui interagissent sur ces plateformes. À l’exception de Skype, désormais gouverné par Microsoft de manière centralisé, les alternatives décentralisées des plates-formes de cloud computing se sont déployées de manière autonome et sont régies de façon indépendante par certaines communautés numériques, qui à la fois bénéficient et contribuent au succès de ces applications en nuage (Graham, 2011).

11En s’appuyant sur les ressources informatiques fournies par les utilisateurs du réseau, il est possible de créer des environnements de cloud computing puissants et dynamiques, qui ne sont pas contrôlés par des opérateurs tiers, mais uniquement (et exclusivement) par les membres de la communauté (Marinos et Briscoe, 2009). Revendiquer le contrôle de l’infrastructure technique de communication permet aux internautes de contrôler plus facilement la manière dont les informations ou les données stockées dans le nuage seront accessibles et par la suite exploitées par la communauté (Wu et al., 2010).

12Compte tenu des nombreuses atteintes à la vie privée commises par la plupart des grands opérateurs de cloud computing (tels que Google, Facebook, Apple, etc), les architectures décentralisées sont susceptibles de mieux préserver les droits fondamentaux des internautes. Il est, cependant, important de noter que de telles applications de cloud computing décentralisées pourrait entraîner des coûts de gestion et des risques de sécurité plus élevés que leurs homologues centralisés, en raison de la nécessité de coordonner un grand nombre de dispositifs dont l’intégrité et la fiabilité ne peuvent pas être facilement confirmées (Camp, 2003).

Notas

10  Voir Architecture distribuée/répartie/décentralisée*.

11  Voir Communiquer en P2P*.

12  Voir Mesh*.

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