Partie 2. La sous-traitance de l’horlogerie de luxe en Suisse
p. 119-128
Texte intégral
1Le secteur de l’horlogerie peine à honorer les commandes tant les demandes s’envolent. Les délais se rallongent. Mais dans l’horlogerie les clients savent patienter pour bénéficier d’un savoir-faire exceptionnel sur des ouvrages d’une extrême finesse gravés à travers un binoculaire avec des techniques ancestrales au service des artisans d’art4. Les grandes manufactures ont su préserver leurs investissements dans la recherche et le développement pendant la période de crise et rebondir ainsi dès la reprise avec des produits techniques exceptionnels qui se traduisent par de nombreux projets d’investissements et d’embauches dans ce secteur. Pourtant, si les grands groupes s’en sortent bien, les sous-traitants mettent plus longtemps à sortir de la crise car les grandes marques commencent par écouler leur stock avant de relancer la production.
LE SWISS-MADE POUR MAINTENIR SON SAVOIR-FAIRE
2Pour préserver son patrimoine et garantir l’activité de son savoir-faire sur son territoire, la Suisse a le 23 décembre 1971 rédigé une ordonnance (référencée 232.119) réglant l’utilisation du nom Suisse pour les montres. Elle a été complétée en 1992. Une nouvelle loi sur le Swiss made est actuellement en cours de discussion. Il s’agit d’une réactualisation des règles d’attribution visant à durcir les pourcentages de pièces à produire sur place. On parle du passage de 51 à 80 % de pièces faites en Suisse. Mais le label Swiss made ne mentionne aucun critère de qualité des matériaux. Le plastique, par exemple, peut très bien être incorporé dans une montre de luxe. En revanche, d’autres labels suisses de très haut de gamme et de luxe (comme le Poinçon de Genève ou la qualité Fleurier) refusent le plastique même pour le joint d’étanchéité.
3L’industrie horlogère de luxe profite au mieux des effets country of origin [Papadopoulos, Heslop, 2002]. Il lui suffit pour cela de prendre les mesures appropriées en termes de marketing en utilisant les symboles et ressources de l’identité visuelle, le lieu du siège social et même des sites de production. Bien sûr les petites entreprises dans ce domaine ont tout intérêt à s’attacher à cette revendication suisse pour bénéficier de cette image globalement positive. On peut toutefois noter avec humour qu’avec plus de 3300 frontaliers français sur 6 000 actifs dans la Vallée de Joux, le Swiss made horloger est presque assuré par des Français !
Le modèle apprentissage fonctionne depuis toujours
4Les dirigeants des PME des deux terrains suisses souffrent d’une pénurie de personnel qualifié. Si le système de la formation professionnelle est bien rôdé en Suisse, le manque de places dans les écoles, organisées en formation duale ou non, reste un problème car dans l’horlogerie, la mission de formation avait été abandonnée par les grandes manufactures. Elles commencent à nouveau à s’y intéresser. Trois cinquièmes des jeunes choisissent la formation professionnelle. Ils sont formés à travers l’apprentissage, en particulier en Suisse alémanique pour près des deux tiers et en Suisse romande avec plus de 55 %. Chaque métier a un règlement d’apprentissage qui rassemble les objectifs du métier visé, le volume horaire des cours à dispenser et le programme détaillé des enseignements. L’apprentissage dure trois à quatre ans selon le niveau visé. L’entreprise, pour accueillir un jeune en apprentissage, doit être certifiée par une autorisation à former. Une affiche dans le hall d’accueil ou sur la porte d’entrée indique que l’entreprise est une entreprise formatrice. Le frein à l’accueil d’apprentis est le temps à consacrer pour accueillir, intégrer le jeune à ses débuts, si bien que de plus en plus d’entreprises souhaitent embaucher du personnel déjà formé. La lourdeur administrative de plus en plus pointilleuse les décourage. De leur côté, les jeunes sont prêts à être payés moins cher pour un emploi à temps plein tout de suite plutôt que de passer par les bancs même discrets d’une école. La Suisse offre des écoles techniques spécifiques aux métiers exercés dans les territoires.
5Les formations à la microtechnique et à la micromécanique et non exclusivement à l’horlogerie permettent aux entrants nouvellement formés d’avoir non seulement un savoir-faire spécifique mais également un savoir d’adaptation à un environnement pour une évolution et une progression collective en cas de nécessaire diversification lors de crises à venir. Ce savoir-faire territorial volontairement non sectoriel participe à la dynamique régionale de la vallée. Des jeunes rencontrés à la proximité de l’école technique de la Vallée de Joux s’expriment :
« Je suis venu à l’école parce qu’elle est dans la vallée, pas besoin de partir. Et puis les parents ça les rassure qu’on se lance dans la mécanique, surtout si je me spécialise ensuite dans la mécanique horlogère. Alors je me suis dit pourquoi pas ! Y a de l’avenir. Et puis la vallée c’est la montre alors j’y suis, je la fais ».
6Pour atteindre le poste dit d’horloger, une expérience d’au moins huit ans est nécessaire en plus de la formation, même par apprentissage. C’est un véritable conflit entre le jeune diplômé et l’entreprise. Les patrons veulent des gens diplômés mais pas trop ambitieux car ils en ont besoin aux postes d’assembleur alors que les jeunes veulent très vite faire une tâche réputée plus noble qui est celle du balancier. Les deux sont d’accord pour convenir d’un parcours mais pas en partant du même poste. Les négociations sont quelquefois rudes car les entreprises ont un vrai besoin de personnel et les jeunes le savent.
« Avant d’être horloger, le jeune devra travailler longtemps de façon séquentielle avec une formation très ciblée, voire taylorisée afin de s’assurer de sa maîtrise de chacun des postes et d’être polyvalent. Les plus intelligents le comprennent et s’ils ont en plus une bonne dextérité, ils doublent très vite ceux qui refusent de progresser par étape et se trouveront bloqués à un moment par une limite de compétences », explique un cadre d’une grande manufacture.
7Même si, comme à Porrentruy, on forme jusqu’à 70 horlogers par an, avec une formation complète par apprentissage qui va de l’horloger mécanicien au rhabilleur, il n’y en a pas assez et plus de 60 % des personnes employées chez les assembliers-boitiers n’ont aucune formation. Ils apprennent sur le tas. Il s’agit pour beaucoup de travaux manuels et l’origine des personnes est très variée, ex-boulanger, explombier, couturière. Les entreprises vérifient plus leur habileté et leur dextérité que leur savoir-faire de toute façon inexistant. Quelques techniciens et ingénieurs sont présents pour les encadrer et surtout pour gérer le parc machines. Avec l’évolution des machines à commandes numériques, l’embauche de personnes qualifiées à ces postes est devenue un impératif. Deux mondes se côtoient désormais dans les ateliers, les formés sur les machines, l’ingénierie et l’encadrement d’une part et les non-formés aux postes d’exécutions manuelles d’autre part.
Une longue tradition suisse
8En 1430, l’invention du ressort comme moteur des horloges permet l’arrivée des premières montres portatives [Landès, 1987]. À l’époque, la Suisse n’est pas tournée vers l’horlogerie mais vers l’orfèvrerie. Les pays les plus avancés techniquement en horlogerie sont alors l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Angleterre et les Pays-Bas qui doivent répondre au besoin scientifique des grands explorateurs et notamment des marins mais également à la demande accrue de l’aristocratie pour ces montres considérées comme des articles de luxe.
9Au Moyen-âge, la Suisse était l’un des principaux producteurs d’orfèvrerie mais au XVIe siècle sous l’influence de Calvin, deux lois somptuaires réduisirent l’activité. La première invitait à limiter le port de bijoux et la seconde interdisait aux orfèvres de fabriquer des objets religieux. Les artisans suisses durent alors se réorienter et choisirent la décoration de boîtes de montres. Puis en 1685, quand Louis XIV a révoqua l’Édit de Nantes, de nombreux protestants s’exilèrent. Ces Huguenots arrivèrent en Suisse avec de nouvelles technologies horlogères, des capitaux et des réseaux commerciaux. Déjà les « orologeurs » (métier d’horloger à l’époque) s’organisèrent en corporation développant des mesures en vue de protéger le savoir-faire et de favoriser le développement local par un protectionnisme affiché.
10À la fin du XVIIIe apparaissent des centres de production à l’extérieur de Genève dans des régions rurales, comme la Vallée de Joux, les montagnes Neuchâteloises et le Vallon de Saint-Imier. La présence des grandes familles de négociants présents à Neuchâtel à cette époque a ouvert l’accès à des réseaux commerciaux mondiaux. Cette extension des marchés et la complexification des produits ont conduit à une forte spécialisation des acteurs dans des métiers déployés au XIXe pour 50 % à domicile et pour 50 % dans des PME inférieures à dix personnes. Cette grande division des métiers nécessaires à l’élaboration d’une montre a vu naître une nouvelle fonction qui est celle de l’établisseur. Non seulement il peut jouer le rôle d’intermédiaire entre les fabricants et le marché mais surtout il fera l’assemblage de pièces sous-traitées avant de livrer des pièces finies.
11Le XIXe siècle est essentiellement marqué par la concurrence grandissante des États-Unis qui, dans un processus de production industrielle de masse de montres, instaurent le principe des pièces interchangeables et créent la première crise économique mondiale dans l’industrie de l’horlogerie. Les acteurs suisses s’organisent en créant des groupements, des associations pour défendre leurs spécificités mais gardent la particularité de leur organisation en districts industriels qui permettent la survie de l’établissage et l’indépendance des petites entreprises. C’est à partir du salon international de Philadelphie de 1876 qu’un mouvement d’industrialisation se met doucement en place en Suisse, favorisant le développement d’ateliers traditionnels autour de fabriques d’assemblage modernes, les manufactures (à la différence des grosses entreprises américaines complètement intégrées). La Suisse connaît alors une croissance continue de sa production horlogère jusqu’à la Première Guerre mondiale pendant laquelle elle se diversifie pour participer à la fabrication d’armements et de munitions. Après une courte période d’euphorie post-guerre, la Suisse subit une très grave crise principalement due au protectionnisme appliqué par les différents États avec de très fortes taxes douanières. Afin de lutter contre ce protectionnisme exacerbé, certaines entreprises suisses ont développé ce qu’elles appellent le « chablonnage » qui consiste en fait à exporter des montres sous forme de pièces détachées assemblées dans le pays importateur pour éviter les taxes douanières sur les produits finis. Malheureusement, cette pratique présente l’inconvénient de participer au transfert de compétences et de savoir-faire horloger [Donzé, 2009]. En réaction à cette pratique, on assiste au rassemblement de plusieurs sociétés horlogères qui forment alors un cartel. Ce cartel répond également fort bien à la structure en districts de l’industrie horlogère. Le système permet de maintenir une activité dans des régions rurales dépourvues de toute autre activité.
12Malgré une forte croissance de la demande au niveau mondial durant les 30 glorieuses (1945-1973), la Suisse ne parvient pas à l’emporter sur les nouveaux concurrents internationaux et avec l’apparition des montres à quartz dès 1974, elle entre dans sa plus grande crise économique. Elle voit alors se perdre l’autonomie de nombreuses entreprises familiales et le début de la création de grands groupes horlogers. À partir de 1983 la Suisse adopte un nouveau positionnement marketing en se spécialisant dans le haut de gamme, le très haut de gamme et les produits de luxe. Afin de garantir un contrôle sur la production et les exportations, l’État fédéral adopte deux mesures-clés dans l’industrie horlogère : le contrôle technique des montres en 1962 et le Swiss-made en 1971. La concentration industrielle est alors très faible (tissu industriel éparpillé et morcelé) avec seulement deux groupes l’ASUAG et la Société Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH), regroupement de fabricants suisses, à l’origine des marques Tissot et Omega. À la fin des années 1970, les deux groupes rassemblent près de la moitié des emplois horlogers suisses. Avec la crise économique des années 1980, ils connaissent de grandes difficultés financières et en 1983 les deux groupes sont fusionnés en une seule entité : la Société suisse de Microélectronique et de l’Horlogerie (SMH), dont Nicolas Hayek prendra le contrôle en 1985 en acquérant la majorité du capital. Elle deviendra en 1998 le Swatch Group [Hayek, 2006]. Cette concentration industrielle débouche sur une politique de rationalisation avec une centralisation de la R & D et même de la production de certains calibres en un seul endroit.
13En plus de cette opération de rationalisation, Nicolas Hayek a sorti un nouveau produit marketing, la Swatch, montre à quartz en plastique, bon marché qui s’adapte aux tendances et à la mode. Dotée d’un mécanisme simple (51 composants contre 90 en moyenne) elle peut être assemblée par des chaînes de montage entièrement automatisées avec des coûts de production réduits de plus de 10 %. Elle rencontre un vif succès qui permet de relancer et de développer tout le groupe horloger. Dans son esprit, ce lancement d’une gamme bon marché doit permettre de maintenir les marques prestigieuses qui font la réputation de l’horlogerie suisse. À partir des années 1980, l’industrie horlogère suisse, qui ne peut résister à la concurrence asiatique, renonce aux productions bas de gamme et même au quartz pour se concentrer sur le haut de gamme et le luxe. Les exportations traduisent cette tendance avec une baisse en volume mais une hausse en valeur.
Le rôle majeur de l’innovation et du développement technologique
14Pour les montres de luxe, le savoir-faire traditionnel domine mais l’industrie horlogère sait aussi se moderniser et progresser avec les technologies les plus avant-gardistes. La marque se dit alors en phase avec le High Tech comme un gage de très haute qualité [Chapatte, Wenger, 2007]. Les innovations sont extrêmement nombreuses, elles sont attendues lors des deux salons phares de l’horlogerie de luxe que sont les salons de Bâle et de Genève. Les prix très médiatisés remis lors de ces salons poussent les manufactures à toujours améliorer leur production et les créateurs à renouveler leur offre.
15La Suisse dispose de nombreux laboratoires de recherche publique en microtechnique, optoélectrique, micromécanique, domaines réinvestis dans l’industrie horlogère. Les manufactures ont en leur sein des départements de recherche et développement (R & D) qui apportent des améliorations en permanence et proposent des innovations sur leurs modèles. Chez les sous-traitants l’innovation est également présente même si elle est moins organisée et peu codifiée. Les astuces dans le savoir-faire des artisans relèvent souvent d’une expérience et d’une maîtrise qui conduisent à des avancées notables. D’une manière générale, ce sont les marques qui bénéficient de l’ensemble de ces travaux innovants avec des dépôts de brevets nombreux et des articles dans la presse spécialisée. De nombreux prototypes sont également produits intégrant les toutes dernières innovations technologiques. Ces concept-watchs ne sont certes pas commercialisés en l’état mais inspirent la déclinaison en plusieurs modèles et permettent le dépôt de brevets et la preuve d’une antériorité. Les innovations dans l’horlogerie de luxe très nombreuses et très attendues ont pour objectif non seulement l’amélioration de la précision mais également celle d’autres critères comme l’étanchéité, la résistance aux chocs, à l’humidité ou autres complications. La co-conception permet aux plus petits de participer également à ces progrès et ainsi de se faire reconnaître pour leur compétence à faire émerger des innovations.
16Le design de la montre s’inspire d’autres secteurs d’activité comme celui de l’automobile qui a produit des innovations par les codes stylistiques quelquefois repris, par les lignes aérodynamiques appliquées sur le boîtier de la montre. Ces partenariats entre les marques horlogères de luxe et les voitures de prestige ne prétendent pas à une production de masse mais bien à des lancements pour collectionneurs dont la presse se fera écho. On peut, en exemple, citer le modèle RM009 de Richard Mille qui est imprégné du monde de la formule 1. Cette montre portée par Felipe Massa (pilote automobile brésilien) qui a aidé aux tests pour son développement est la plus légère au monde, elle supporte de fortes vibrations et des accélérations ou décélérations brutales. Cet appel au sponsoring dans des activités sportives très privilégiées comme le golf pour Tag Heuer ou la voile pour Audemars Piguet permet aux marques d’accroître leur notoriété en préservant leur image et en mettant en avant les progrès technologiques et leur accès au high tech. D’autres préfèrent soutenir des événements artistiques de haute culture avec la Scala de Milan ou la Philharmonie de Vienne. Enfin, certains, comme Bréguet, s’appuient sur leur histoire pour financer des restaurations, comme celle du Petit Trianon du Château de Versailles. La dernière tendance est à la montre vintage, c’est-à-dire la montre ancienne dont on préserve le design mais à l’intérieur de laquelle on introduit des éléments de progrès technologiques. Àpropos du Salon International de la Haute Horlogerie5, Sylvain Menétrey raconte :
« Jamais, semble t-il, les marques horlogères n’ont autant puisé dans leur passé, mis autant en avant leur réelle légitimité et leurs traditions séculaires pour séduire. Ici, des nouveautés, baptisées Vintage, heritage ou Patrimony. Là, des stands architecturés comme un musée éphémère ».
17Actuellement l’une des principales préoccupations des marques et des manufactures est l’annonce faite par la société ETA SA de ne plus fournir les calibres à l’ensemble des acteurs de l’industrie horlogère mais de les garder en interne pour la production de ses propres marques (Swatch group). L’annonce faite en 2002 par Nicolas Hayek alors PDG du groupe Swatch, de cesser de livrer des ébauches au profit de mouvements terminés à partir de 2006 a créé une véritable panique car un très grand nombre de marques se ravitaillaient chez ETA SA. Elles en sont complètement dépendantes [Pilet, 2008]. En effet, après la crise des années 1970, peu d’entreprises ont gardé en interne le savoir-faire et l’outil industriel pour produire ses propres mouvements. Devant ce risque industriel, la commission fédérale de la concurrence a conclu un accord à l’amiable avec les dirigeants de ETA SA pour maintenir sa production et donc ses livraisons jusqu’en 2011 afin de permettre à chacun de se trouver une nouvelle organisation, soit en réinternalisant la production, soit en trouvant d’autres sources d’approvisionnement, sachant que le durcissement des critères du label Swiss-made autorise à la même époque peu d’opportunités en dehors de la Suisse. Nous verrons sur nos deux territoires suisses comment réagissent les acteurs rencontrés. Pour beaucoup d’horlogers indépendants le savoir-faire des ébauches de ETA SA était un savoir-faire commun à toute l’industrie horlogère et cette décision fragilise, voire supprime certaines entreprises alors que pour d’autres c’est une opportunité, certes forcée, de reprendre sa destinée pour cette pièce essentielle à un mécanisme de qualité.
Une place incontestée de leader mondial
18Le tissu horloger helvétique est incontestablement aujourd’hui le leader au niveau mondial pour les montres mécaniques de luxe. De nombreuses marques, petites et grandes, sont à la fois fortes et légitimes. L’horlogerie représente le troisième secteur industriel de la Suisse après les produits chimiques et pharmaceutiques et les machines industrielles. Avec un niveau très élevé à l’exportation, le secteur propose à la fois des montres d’exception mais également pour les grandes marques, des manufactures d’exception dessinées par des architectes de renom. Le milieu horloger lui-même et les journalistes spécialisés reconnaissent qu’il est difficile de rassembler des données statistiques de ce secteur, que les réponses sont souvent vagues et les secrets bien gardés. La performance est pourtant remarquable avec plus de 50 000 employés répartis dans plus de 600 sociétés. Au niveau mondial, avec seulement 2 % des exportations horlogères en nombre de montres, la Suisse représente 60 % des exportations horlogères en valeur. En fait 95 % des montres de plus de 1 000 CHF (environ 778 euros – taux de change du 10.03.11) sont produites en Suisse. Le prix moyen à l’exportation d’une montre chinoise est de 2 dollars quand celui d’une montre suisse est de 563 dollars. Si l’on exclut Hong-Kong qui est certes le premier importateur de montres suisses mais qui est en fait une plaque tournante de réexpéditions vers la Chine continentale et le reste de l’Asie, ce sont les États-Unis qui restent les premiers consommateurs de montres suisses, avant le Japon et la France. En effet, l’explosion de la demande de montres de luxe est essentiellement due à une distribution au niveau mondial. Cette diversification géographique oblige les marques à entretenir en moyenne 5 000 points de vente à travers le monde.
19Le monde de l’horlogerie reste extrêmement fermé quant à ses résultats et son organisation. Il est ainsi bien difficile d’accéder à des données précises en termes financiers et commerciaux. Avec environ 400 marques de montres en Suisse, on peut noter la prépondérance de trois grands groupes qui à eux-seuls représentent quasiment la moitié des ventes mondiales. Il s’agit du Swatch Group (16,3 %) qui rassemble 19 marques (Breguet, Blancpain, Omega, Tissot, Balmain, Certina…) de Rolex (16,1 %), marque indépendante qui produit sous son seul nom plus de 770 000 montres par an et du groupe Richemont (14,2 %) qui réunit 17 marques (Vacheron-Constantin, Jaeger-LeCoultre, Piaget, Van Clef & Arpels, Montblanc, Roger Dubuis…). Le plus gros producteur ensuite est le groupe japonais Citizen qui avec ses deux compères horlogers Seiko et Casio placent le Japon à près de 15 % de la production mondiale. Patek Philippe est ensuite la seconde marque indépendante avec 4,3 % alors que LVMH, premier groupe de luxe mondial, dispose d’une part de 4,9 % avec cinq marques de l’horlogerie (Tag Heuer, Zenith, Hublot, Dior montres et Chaumet).
20Du fait de la difficulté à s’approvisionner en pièces détachées, de la complexité à recruter une main d’œuvre spécialisée, on assiste depuis les années 1990 à une restructuration du secteur par des prises de participations des marques de l’horlogerie du luxe dans les activités de sous-traitance et des investissements importants en amont et en aval de la chaîne de valeur. Ce mouvement d’intégration verticale pour s’assurer la disponibilité de la production impacte directement les acteurs soustraitants de l’horlogerie du luxe (producteurs de cadrans, aiguilles, boîtes ou composants de mouvements, par exemple) et notamment lorsqu’il s’agit de la transmission de l’entreprise comme nous le verrons sur nos deux terrains suisses. Cette intégration verticale s’est faite en parallèle du regroupement dans de grands groupes internationaux de plusieurs marques de luxe dans une vaste vague de fusions et d’acquisitions.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Design : l’objet dans l’usage
La relation objet-usage-usager dans le travail de trois agences
Sophie Dubuisson et Antoine Hennion
1996
La nature a-t-elle un prix ?
Critique de l’évaluation monétaire des biens non-marchands
Martin Angel
1998
Reconnaissance et usages d’Internet
Une sociologie critique des pratiques de l’informatique connectée
Fabien Granjon
2012
Sur la piste environnementale
Menaces sanitaires et mobilisations profanes
Madeleine Akrich, Yannick Barthe et Catherine Rémy (éd.)
2010
Communiquer à l’ère numérique
Regards croisés sur la sociologie des usages
Julie Denouël et Fabien Granjon (dir.)
2011
Le vin et l’environnement
Faire compter la différence
Geneviève Teil, Sandrine Barrey, Pierre Floux et al.
2011
