1. MAI

1Les événements de Mai 68 à l’ORTF commencent plus tard et se prolongent plus tard que dans le reste du pays, comme si la soumission plus totale réclamait une révolte plus complète. L’incapacité même de la télévision à rendre compte des premiers troubles fait office de détonateur. France-Inter est mise en cause, mais c’est bien par la télévision que tout commence. En effet, sans donner la parole aux contestataires, la radio nationale couvre les événements beaucoup mieux que la télévision : France-Inter accorde, depuis le début du mois de mai, « une très grande importance » à la crise universitaire1. Cependant, « l’objectivité » n’est pas de mise. Un jeune journaliste stagiaire qui a la responsabilité de la rubrique de l’Éducation nationale au journal télévisé comme au journal parlé, adopte dans ses interventions des 3 et 4 mai le point de vue gaulliste sur les premières manifestations étudiantes2 : elles sont le fait de « groupuscules ». D’où ce slogan qui sera entendu lors du grand défilé étudiant du 6 mai : « Nous sommes des groupuscules, nous voulons Mourousi ». Yves Mourousi, après une interview-choc mais contestée du ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, le 6 mai à Télé-Soir, sera un journaliste particulièrement discret pendant toute la durée des événements.

2Plus que les singularités de la radio, c’est le silence de la télévision qui paraît insupportable. Des journalistes vont sur les lieux, recueillent des images qui ne sont pas diffusées. Le 8 mai, Cinq colonnes à la Une et Panorama envoient des équipes couvrir les manifestations. « Le 10 mai à 19h45, le numéro de Panorama est visionné par Jean-Pierre Hutin pour le ministère de l’Information, par M. Bourricaud pour l’Éducation nationale ». Le reportage ne passe pas3.

3Le 11 mai, en fin de matinée, les producteurs des grands magazines d’information communiquent un texte à l’AFP, qui sera diffusé à 16h, dénonçant « la scandaleuse carence d’information du public » dont a fait preuve l’ORTF, constatant que « la direction et la rédaction en chef des actualités télévisées ont été incapables de résister aux pressions gouvernementales », et menaçant de « suspendre l’ensemble de leurs émissions ». À midi, c’est un autre communiqué dont les signataires « représentant les différents secteurs de la création à la télévision (producteurs, auteurs et réalisateurs) », estiment que la carence de l’information « porte atteinte à l’honneur professionnel de l’ensemble des hommes de télévision », mais demandent aussi des sanctions contre les responsables de la situation, et la réunion d’urgence du conseil d’administration. Parmi les signataires, l’essentiel du bureau du SFRT (Bluwal, Lorenzi, Krier, Guillaume…) et les signataires du communiqué précédent.

4Le 13 mai, c’est la grève nationale à laquelle appellent les confédérations nationales, et, pour l’ORTF, les syndicats affiliés à la Fédération nationale du spectacle CGT, ainsi que l’Intersyndicale des journalistes, « voulant affirmer par cette solidarité effective, la dignité de la profession de journaliste »4. Mais la question-clef est celle de l’entrée en grève de la FSU, c’est-à-dire des techniciens. Celle-ci, cédant à de très vieux réflexes, publie d’abord le 12 mai un tract, « un véritable poulet »5, où elle ne se déclare pas concernée par les mouvements qui sont le fait des fédérations. L’entrée dans la grève a lieu non sans réticences, et Marcel Huart lui-même, à partir du centre de modulations, donne les consignes de grève aux techniciens du réseau6.

5Le lendemain, le Zoom sur les « contestataires » fini par être diffusé, suivi d’un débat sur la deuxième chaîne. Les visionnages préalables ont été nombreux, de la commission d’information du conseil d’administration (pour une fois sollicitée) à la direction de l’ORTF. Il a fallu l’intervention personnelle de Michel Jobert pour que l’émission soit diffusée7. Le reportage est bien accueilli par la presse. Mais une intervention du Premier ministre deux jours plus tard montre bien que la télévision ne sera pas un instrument de dialogue. Après une tribune où Daniel Cohn-Bendit est invité, le Premier ministre intervient avec ce commentaire : « Des groupes d’enragés, nous vous en avons montré quelques-uns, se proposent de généraliser le désordre… »8.

6Le même jour que la diffusion de Zoom, les syndicats de l’Intersyndicale traditionnelle publient un communiqué réclamant un « statut démocratique » de l’ORTF et « un statut des personnels » nouveau. L’Office entre dans une ébullition de réunions qui aboutit à l’assemblée générale en triplex (Buttes-Chaumont, Cognacq-Jay, Maison de l’ORTF) du 17 mai, de 17h à minuit, qui réunit au total plus de 5 000 personnes9. On ne réussit à voter qu’une partie de la plate-forme où les revendications de réformes de structure viennent avant les conditions de travail. À minuit, l’assemblée générale vote le principe de la grève, tout en laissant à l’Intersyndicale « le soin d’en décider la forme »10.

7L’assemblée du 17 mai marque le seuil maximum de mobilisation. Beaucoup des administratifs qui se rendent à cette assemblée ne participeront ensuite qu’en restant chez eux. Elle montre aussi la légitimité fondamentale des syndicats, même si des communiqués de rappels à l’ordre à « droite » (les ouvriers mettant en avant le statut des personnels) ou à « gauche » (les éléments les plus radicaux du personnel réclamant la prise du pouvoir) seront émis à plusieurs reprises durant le conflit.

8Les quelques jours qui suivent sont le temps fort de l’unité. L’Intersyndicale est composée de la FSU (4 voix) du SNRT (3 voix), du SNA (1 voix), du SIRT-CFDT (1 voix), les quatre syndicats classiques, ainsi que du SFRT, des syndicats de journalistes et, à partir du 28 mai, d’un représentant des journalistes TV, suivi du SFOC (Syndicat français des orchestres et des chœurs) (1 voix) et d’un comité de liaison interprofessionnel de la production (1 voix). Au total 16 voix pour les statutaires et 4 voix pour les hors-statut (réalisateurs SFRT, réalisateurs FO, producteurs, et auteurs), bien représentés par rapport à leur importance numérique. Statutaires et hors-statut s’affronteront fréquemment sur des points fondamentaux. Cette tension ne se traduit au début que par des plaisanteries de Simonetti qui, brocarde par exemple Alain Decaux (le représentant des auteurs).

9L’Intersyndicale définit ses revendications le 19 mai. Une commission doit travailler sur le statut de l’ORTF, une autre sur le droit syndical, les droits sociaux, le statut du personnel, le futur comité d’entreprise. Ainsi se poursuit un processus de réflexion qui, pour les personnels de l’ORTF, n’est pas une nouveauté mais l’aboutissement d’années de travail sur leurs métiers et leur établissement.

10L’unité des personnels est au plus haut. D’abord, les administratifs rejoignent massivement la grève, le 21 mai. Quant aux cadres, dès le 16 mai, leur Union a remis à l’Intersyndicale une lettre demandant des réformes de structures identiques à celles souhaitées par les personnels. Déçue tant par une réunion avec André Astoux le 21 mai que par la séance extraordinaire du conseil d’administration le même jour, l’UCO annonce la démission de son représentant au conseil d’administration et décide de créer des groupes de travail commun avec l’Intersyndicale. Le souci des cadres sera aussi, durant toute la grève, de respecter le service minimum légal et de laisser, à tout moment, l’antenne accessible aux représentants du pouvoir politique11.

11Restent les journalistes. Si les journalistes de radio, jugés plus indépendants, dotés d’un délégué actif à l’Intersyndicale et d’une « direction collective » à partir du 22 mai, sont bien considérés, il n’en est pas de même des journalistes de télévision. Les vedettes du journal votent le 20 mai un texte qui attire la fureur de l’Intersyndicale : « La garantie de l’objectivité de l’Information est de la seule responsabilité commune des journalistes et de la direction de l’ORTF, à l’exclusion de tout comité de contrôle intérieur ou extérieur »12. C’est renvoyer dos à dos le SLII et l’Intersyndicale !

12On passe très près de la rupture. Mais le 21 mai, un homme de conciliation, François de Closets, qui fait partie du Comité des Dix mis en place par les journalistes de télévision, fait voter une motion de solidarité avec l’Intersyndicale par ses collègues. Le même jour, la retransmission en direct (ou, pour être plus précis, en léger différé puis en direct) du débat sur la motion de censure à l’Assemblée nationale le 21 mai contribue à apaiser les tensions. Les journalistes essayent de poursuivre dans cette voie d’une information plus complète et négocient avec la direction l’organisation de deux tribunes, l’une avec des journalistes de presse écrite de toutes tendances, l’autre avec des hommes politiques qui réagiraient au discours de De Gaulle. C’est, au cœur de la crise, l’aboutissement de vieilles revendications politiques, professionnelles et parlementaires.

13La Direction s’en tient au statu quo et refuse l’organisation des débats : les journalistes de télévision basculent dans la grève le 25 mai. Un strict service minimum est alors appliqué, réduit au seul journal télévisé du soir. L’Intersyndicale déclare ne « plus pouvoir […] assurer l’impartialité » du journal13. Malgré un débat difficile, les deux grands syndicats statutaires, FSU en tête, ont tenu à préserver le respect de la légalité.

14Au total, tous les grands courants, du personnel, journalistes compris, finissent par siéger dans une Intersyndicale où l’accord se fait sur des points essentiels. Cependant, nous sommes en mai 1968, et le mouvement de contestation des structures syndicales qui traversent le pays rencontre un écho à l’ORTF. D’abord, il se crée des comités de grève, dès les débuts du mouvement. S’ils manifestent une certaine mauvaise humeur envers les appareils, leurs revendications principales sont celles de l’Intersyndicale : « l’objectivité de l’information » et des « réformes de structures » de l’ORTF14. Leurs rapports avec l’Intersyndicale sont formalisés le 29 mai : deux délégués du « Comité central de grève » qui fédère les comités de grève siègent avec voix non-délibératives à l’Intersyndicale.

15La tentation révolutionnaire est plus forte dans d’autres catégories, surtout chez les réalisateurs et les assistants-réalisateurs. Stellio Lorenzi, représentant cégétiste des réalisateurs à l’Intersyndicale, est dans une position fort inconfortable entre une base « gauchiste » désireuse de mettre en place tout de suite des structures alternatives de la télévision et une Intersyndicale foncièrement légaliste. Marcel Bluwal se souvient de la coupure que consacre mai 1968 entre une fraction de « rêveurs », « des gens comme Drot ou Prat » « qui parlaient beaucoup de démocratie dans la profession » et les « corporatistes » comme lui, soucieux d’organisation de la profession, d’« accession par le rang ». C’est « l’idéalisme » de ce courant gauchiste, entre autres, qui le convainc d’adhérer au Parti communiste15. Mais le courant « gauchiste » est beaucoup plus fort chez des assistants-réalisateurs et des scriptes souvent frais émoulus de l’IDHEC, proches des étudiants : leur éphémère comité d’action n’eut cependant aucune influence sur le cours des choses.

16Organisés, bien représentés, légalistes, il ne manque aux personnels de l’ORTF qu’un pouvoir avec lequel négocier. « Un modus vivendi » s’est installé « entre l’Intersyndicale et la direction qu’elle a démissionnée »16. La Maison de l’ORTF est occupée. Cependant, on ne touche pas à l’étage où le directeur général dort dans son bureau. Mais la négociation ne peut s’engager qu’avec le ministre de l’Information. Roger Louis le décrit comme un « homme fatigué, désabusé, mornement philosophe » : il est vrai que Georges Gorse, rencontré par Roger Louis dès septembre 1967, aurait porté ce jugement de mauvaise humeur impuissante sur l’ORTF : « Que voulez-vous que j’y fasse ? C’est un vrai bordel ! Il faut le prendre comme il est. Je ne peux rien y changer, c’est au-delà de mon pouvoir… »17. En mai 1968, Georges Gorse est pris entre son peu de goût pour l’épreuve de force et les consignes du général de Gaulle, le 19 mai : « Cette fois c’est la chienlit, l’anarchie, ce n’est pas tolérable […]. Pour l’ORTF, dit-il en se tournant vers Gorse, vous reprenez les choses en main. Vous mettez les trublions à la porte, et puis voilà »18. Ces consignes sont renouvelées le 28 mai au téléphone, la veille de sa disparition à Baden-Baden : « Foutez-les tous à la porte »19. Mais le ministre de l’Information est dépassé par les événements, au point qu’il convoque en pleine crise tel haut responsable de l’ORTF pour lui demander, avec quelque affolement, « ce qui allait se passer »20. Le gouvernement, ou en tout cas le ministre, a-t-il le sentiment que le pouvoir est déjà entre les mains des « révolutionnaires » ? En tout cas, l’Intersyndicale n’a pas d’interlocuteur. Elle dispose d’un dossier complet, dont un protocole de réforme de l’ORTF préparé avec le concours de Georges Vedel. Grâce à l’entremise de l’Union des cadres, elle peut rencontrer le ministre le 28 mai. Mais les délégués n’ont pas l’impression d’avoir affaire à un véritable responsable.

2. JUIN

17Le retour en force du gaullisme est brutal. Après la manifestation monstre du 30 mai, un nouveau ministre Yves Guéna est nommé, qui vient de briser la grève des PTT. La direction de l’ORTF paraît anticiper sur le changement de style. Elle fait évacuer par la police « une des places fortes de la grève », le centre d’Issy-Les-Moulineaux, le même jour21 . Alors qu’on discute de l’interruption du journal télévisé en représailles, l’Intersyndicale reçoit le signe tant attendu, l’invitation au ministère de l’Information. Le 1 ^er juin, le premier contact n’est pas mauvais, le ministre, Yves Guéna, acceptant de discuter l’ensemble des revendications et reconnaissant le bien-fondé de certaines.

18Mais le 2 juin révèle un interlocuteur plus habile : seuls les statutaires sont invités à une négociation que les hors statut ne rejoignent que plus tard. Entre Stellio Lorenzi et Violette Frank, c’est un « dialogue orageux »22 que nous savons être aussi l’aboutissement des tensions anciennes. Tous les représentants de l’Intersyndicale sont intégrés à la négociation l’après-midi, mais un coin a été enfoncé. Le 3 juin les choses se gâtent : le ministre ne convoque les membres de l’Intersyndicale que pour leur lire un véritable ultimatum. Le lendemain commence l’expulsion des techniciens grévistes : en province par l’armée, à Paris par des techniciens du secteur privé. Car la province, liée à Paris par le réseau intérieur, a été d’une Combativité remarquable. La « manœuvre du 3 juin »23 ne réussit que partiellement.

19La direction a fait certaines concessions aux grévistes, ce que n’apprécie pas le nouveau ministre. Tout le monde est brutalement « démissionné » le 3 juin : Jacques-Bernard Dupont, Émile Biasini, Edouard Sablier, Pierre de Boisdeffre. Seul reste André Astoux, l’homme du Général, mais ce n’est qu’un sursis. C’est à nouveau un ancien directeur de cabinet d’Alain Peyrefitte, Jean-Jacques de Bresson, rigide magistrat, qui devient directeur général de l’ORTF. Entre le 4 et le 10 juin, de nouveaux émetteurs sont occupés par l’armée, et la direction réussit ce qui avait été un des enjeux de la grève de 1964 : l’élargissement du service minimum. Le 10 juin au soir est diffusé L’Homme tranquille, de John Ford, sur Paris et dans certaines régions.

20Le climat se durcit aussi chez les journalistes. Seuls vingt-trois non-grévistes s’étaient opposés à la grève le 25 mai. C’est parmi eux que se constitue un comité d’action civique qui transmet à l’AFP dans la nuit du 3 au 4 juin un communiqué qui dénonce nommément treize des grévistes et « l’attitude antirépublicaine » de six réalisateurs et producteurs. Désapprouvé par l’essentiel de la presse, ce communiqué n’a d’autre conséquence que de créer un fossé désormais infranchissable entre grévistes et non-grévistes. À la direction de la télévision, « l’inspecteur général François »24 est l’artisan de la reprise en main. Le jour de son entrée en fonction (le 3 ou le 4 juin), il arrive au centre nodal de Cognacq-Jay flanqué de ses collaborateurs ingénieurs. Il y trouve les douze techniciens nécessaires, mais aussi « plus de cent personnes » : « J’ai fait savoir que je donnais dix minutes à ceux qui n’étaient pas inscrits au tableau de service pour libérer le centre nodal ». La manœuvre réussit. André François assiste alors à une confrontation extrêmement vive entre les techniciens du nodal et les ingénieurs, auxquels est reproché leur manque de solidarité avec leurs techniciens25.

21Les cadres, et surtout les ingénieurs, responsables du fonctionnement des émetteurs, traversent un moment fort difficile. Leur strict légalisme a déjà créé des tensions à plusieurs moments. Le 3 juin, le recours à l’armée, mais surtout aux techniciens privés, leur paraît intolérable. Plutôt que de laisser atteindre ainsi l’intégrité du service public, Claude Mercier accepte que certains ingénieurs participent à l’élargissement du service minimum et à la diffusion d’un film26. La solidarité du corps avec le directeur de l’équipement et de l’exploitation est entière : « En des jours aussi dramatiques pour notre maison que ceux que nous vivons, je tiens, au nom de tous les ingénieurs, à vous assurer de notre entière confiance et de notre total attachement », écrit, le 5 juin, le président de l’ANIRT à Claude Mercier27.

22En même temps, les ingénieurs, par le biais de l’UCO, participent aux négociations qui s’engagent. Une première rencontre a lieu avec Jean-Jacques de Bresson, le 6 juin. Le ton est donné : aucune concession réelle n’est possible sur le statut de l’établissement et l’objectivité de l’information, qui « ne relèvent pas » du directeur général ou du ministre. En revanche, des propositions sont faites sur le statut des personnels, le comité d’entreprise, les salaires des statutaires. Le 10 juin a lieu une assemblée générale des ingénieurs, au beau milieu de laquelle surgit le directeur général, en compagnie d’André Astoux et de Claude Mercier. Seul Pierre Schaeffer répond à la déclaration rassurante de Jean-Jacques de Bresson, en soulignant que le protocole de réforme de l’ORTF est au cœur des revendications des personnels. Il sera félicité par des ingénieurs respectueux de l’autorité, en révolte silencieuse28.

23L’Union des cadres adopte alors un questionnaire en six points, et décide que les cadres se mettront en grève si aucune réponse n’est donnée à ces six questions. La menace d’une grève de l’encadrement contribue sans doute à accélérer les négociations, qui se poursuivent entre le 13 et le 17 juin. On avance difficilement sur les questions de la représentation des personnels au conseil d’administration et du comité des sages. Le 16 juin, l’Intersyndicale dépose des contrepropositions qui portent notamment sur une « commission consultative auprès de la direction », chargée de réfléchir sur les structures nouvelles de l’Office, et sur la réaffirmation du monopole de production. Le lendemain, lors de l’assemblée des ingénieurs, Henri Berthod diagnostique fort justement une volonté de reprise du travail chez les statutaires. Les hors-statut resteraient seuls en grève29. Dès ce jour, les ingénieurs, comme les cadres, estiment que de « véritables négociations » ont été amorcées, et sont favorables à une reprise du travail.

24L’Intersyndicale joue la carte de l’opinion publique, en organisant, sur une idée de Roger Louis, l’« opération Jéricho », une suite de défilés de différentes professions du 6 au 11 juin, autour de la Maison de l’ORTF (gens du spectacle, journalistes, ouvriers, étudiants, employés du service public, travailleurs intellectuels). Il n’y manquera que l’acte essentiel : le 12 juin, l’interdiction gouvernementale des manifestations empêche les téléspectateurs de défiler. Du 8 au 13 juin, ont lieu avec l’appui des vedettes de la télévision des grands galas-meetings à Paris et en province, au succès incontestable. La sensibilisation de l’opinion a donné courage à l’Intersyndicale. Elle ne fait pas fléchir le gouvernement.

25Après le refus des contre-propositions et les avertissements des cadres, le 16 juin, c’est le temps des flottements. Le 19 juin, le bureau de l’Intersyndicale vote majoritairement pour la suspension de la grève. On organise alors des assemblées générales par centre, chargées de voter pour ou contre la reprise. Il n’est pas douteux que la majorité du personnel y soit alors favorable. Il n’y a que trois-mille votants au total. La province a voté pour la reprise, de même que les délégués du SUT. Les journalistes ne « lâchent » rien sur le comité des sages et l’objectivité. Le 22 juin, après que le bureau confédéral de la CGT national s’est prononcé pour la reprise, l’assemblée des sections CGT de l’ORTF (SNRT et réalisateurs) à la Bourse du travail se déroule dans un climat houleux. Si le principe de la reprise est accepté à mains levés, des cartes de la CGT sont déchirées, des insultes échangées. L’Intersyndicale publie le 23 juin un communiqué ambigu où il est question d’une suspension de la grève, suspension « révocable à tout moment ». Mais on ne s’y trompe pas. Le 24 juin, les statutaires décident clairement la reprise, suivis le 27 par les journalistes de radio et les réalisateurs FO, le 1 ^er juillet par ceux qui ont déclenché la grève un 11 mai qui paraît déjà très loin : les réalisateurs et les producteurs de télévision. Seuls les journalistes de télévision continuent jusqu’au 13 juillet…

3. TIMIDES RÉFORMES

26Le statut de 1964 a été condamné par les événements de 1968. Tout le monde reconnaît qu’il est nécessaire de l’amender, d’Yves Guéna à l’Intersyndicale. Mais cette condamnation a plusieurs significations. D’abord, le statut (il s’agit en fait surtout du décret sur les personnels de juillet 1964) n’a pas permis d’organiser les rapports entre les personnels et la direction, et a contribué à l’explosion de mai.

27Il faut donc adapter le droit du travail à l’ORTF comme dans le reste du pays. C’est là le maximum que le pouvoir est disposé à accorder, comme on le comprend très vite. D’abord a lieu la passation des pouvoirs : Maurice Couve de Murville succède à Pompidou le 12 juillet. Le nouveau secrétaire d’État à l’Information est Joël Le Theule, « connu pour ses compétences en matière de défense »30, et jugé par André Diligent « jeune, cordial, travailleur, ouvert »31. Mais son autorité sera limitée. Dans un premier temps, il sera surtout chargé d’appliquer les décisions de Matignon – c’est-à-dire de l’Élysée.

28Le 26 juillet se tient un Conseil des ministres restreint sous la présidence du chef de l’État : « Le Général est juste aimable. L’ambiance n’est pas à la bienveillance ». L’élargissement du conseil d’administration est accordé.

« La tutelle financière sera allégée malgré l’avis de Michel Debré. Va pour le comité d’entreprise mais pas de commissions paritaires pour les problèmes concernant les personnels. Quant à la commission consultative pour l’objectivité des programmes, le Général ne veut pas en entendre parler. Enfin, le statut des journalistes est à voir de très près. Dès maintenant, sur les quatre-vingt quinze postes à supprimer, il faut prévoir quinze licenciements de “grosses têtes” qui ont mené la rébellion à l’extérieur, quarante-cinq pour “incapacité” et le déplacement d’une trentaine de journalistes dans les provinces. Plus d’images et moins de paroles […], faire appel à des réalisateurs extérieurs, telles sont les directives du chef de l’État ».

29Enfin, l’introduction de la publicité est prévue pour le 1 ^er octobre32. Jamais le chef de l’État n’est intervenu aussi directement.

30La réforme la plus rapidement mise en œuvre est l’allègement du contrôle financier : les dirigeants de l’Office, toutes tendances confondues, profitent de la réorganisation pour « faire passer » une très ancienne revendication33, le contrôle financier a posteriori des dépenses. Le fameux arrêté du 31 juillet 1964, qui réduisait à néant les efforts d’Alain Peyrefitte, est annulé. Un décret et un arrêté seront publiés le 26 décembre 1968. Le contrôle a priori qui touchait toutes les dépenses d’investissement et de personnel est désormais réduit « aux actes ou dispositions générales d’une grande importance », selon les termes de la note de présentation du service de l’information du ministère de l’Économie et des Finances du 5 décembre 196834. Corrélativement, l’Office met en place un contrôle de gestion interne et un système budgétaire et comptable nouveau, lequel prévoit notamment l’instauration de la comptabilité analytique. Le régime comptable de l’Office est simplement aligné sur celui des autres établissements publics industriels et commerciaux de l’État.

31Est-ce bien la fin du contrôle a priori, tant honni ? On peut en douter. Le mois suivant, un énarque diplomate, suivant une tradition bien établie depuis 1964, est nommé secrétaire général pour l’administration. Alain Dangeard, rigide dans ses conceptions de gestionnaire, dénie volontiers à la télévision la « spécificité » tant revendiquée par les personnels35. Il va modifier profondément, non sans des heurts violents avec « certaines catégories de personnel », la gestion de l’ORTF Il va être confronté aussi, comme ses prédécesseurs, au contrôle ministériel, et découvrir que les allègements, comme toujours, ont été interprétés dans le sens le plus restrictif :

« […] dépendant des ministères de tutelle pour chaque décision de quelque importance, notre établissement ne jouit de ce fait que d’une autonomie très restreinte. À chaque tentative d’allègement de ces tutelles, il est mis en avant que l’Office, à cause d’une gestion lourde, inefficace, inadaptée, ne peut bénéficier d’un préjugé favorable, d’où la difficulté de présenter des réformes qui puissent prendre corps ».

32Tels sont les termes dans lesquels le syndicat CFDT de l’ORTF rend compte d’une intervention d’Alain Dangeard devant les syndicats au printemps 196936.

33Les personnels – notamment les réalisateurs – prêtent d’abord peu d’attention à la mise en place du contrôle de gestion ; pourtant elle devra aussi se traduire, à terme, par un contrôle plus rigoureux de la direction elle-même sur les dépenses de programmes, et non plus seulement d’un ministre des Finances trop puissant et trop lointain en même temps. Ils obtiennent des satisfactions importantes sur les structures de participation du, personnel à la gestion de l’Office. Elargi de 16 membres à 24, le conseil d’administration de l’Office compte désormais 5 membres du personnel au lieu de 2. Certes, la direction profite des réactions contre les évènements de mai 1968 pour appuyer la mise en place de deux syndicats-maison lesquels présentent des candidats aux sièges du conseil d’administration. Le premier, l’AJPOM (Association des journalistes de province et d’outre-mer) voit son président, responsable du bureau régional d’information de Poitiers, nommé membre du conseil d’administration de l’Office. Le deuxième, le Groupement interprofessionnel pour la réforme et l’expansion de l’ORTF (GIRE, dit « groupement Bauman », du nom de son secrétaire général, par les autres syndicats), a un nombre d’adhérents plus substantiels mais ne survit pas non plus à l’année 1969. L’ardeur militante fait cruellement défaut. Pour les hors-statut, c’est un réalisateur connu, mais représentant du syndicat minoritaire, qui est choisi : Roger Iglésis. Mais Régis Farnoux, pour la FSU, Marcel Huart, pour le SNRT, Michel Oudin pour les cadres, siègent désormais au conseil d’administration, à partir du 4 septembre 196837. Le conseil n’est pas une instance de décision, mais c’est un symbole, ainsi qu’un lieu de dialogue et d’information supplémentaire.

34Mais du côté de l’information, aucune réforme ne point. Sauf la suppression du SLII. Chacun s’en attribue la paternité. Ainsi Edouard Sablier déclare dès le 19 mai : « Le SLII n’a plus de raison d’être, maintenant que nous sommes émancipés ». Une telle expression ayant peu de chance d’être appréciée à l’Elysée, Edouard Sablier soutient après les événements (et jusqu’à aujourd’hui38) qu’il aurait dit : « … maintenant que nous en sommes émancipés ». Deuxième candidat à l’émancipation : Yves Guéna, qui s’attribue la décision de la suspension du SLII au début de juin 1968. Enfin, la suppression est officielle au 31 juillet 1968, dans la conférence de presse de Joël Le Theule.

35Dans sa thèse, Jean-Pierre Filiu suppose que le SLII n’avait plus qu’une existence théorique dès mai 196839. En fait, selon les procès-verbaux des séances du SLII40, des journalistes de l’Office assistent épisodiquement aux séances du SLII jusqu’au 17 mai 1968 : messieurs Fortier (pour l’actualité télévisée, c’est un des futurs non-grévistes), Lacour, Moll, Claude Désiré le 9 mai (autre non-gréviste). La dernière apparition d’un responsable de l’actualité télévisée date du 23 avril : Jean-Louis Guillaud est présent. À cette date, l’incapacité du SLII à agir véritablement sur l’information est patente. Le 19 mai, Michel Denieul rédige une note sur la « situation du SLII au dimanche 19 mai 1968 ». On y apprend que le SLII assure l’écoute et la transmission de résumés des journaux parlés et télévisés au gouvernement. Les échanges d’information entre représentants des ministères se poursuivent. Enfin, cette phrase finale : « Le SLII n’entretient plus aucune relation avec l’ORTF ».

36Pourquoi cette rupture ? La décision allait largement de soi pour un organisme tant critiqué – et agonisant. Edouard Sablier peut avoir donné l’ordre à des journalistes de ne plus se rendre à des réunions, il y a longtemps que les volontés essentielles du gouvernement ne passaient plus par le SLII. Dès lors, chacun peut s’attribuer le mérite d’une décision inévitable. « Oh, bien sûr, il y a eu la suppression du SLII, ce SLII qui était devenu un symbole mais qui, il faut bien le dire, n’était pas autre chose […] », écrit Notre République, l’organe des gaullistes de gauche, le 15 novembre 196841.

37L’information gouvernementale devra donc évoluer. Première étape, la création d’un CII, ou Comité interministériel pour l’information, le 13 septembre 1968, qui hérite de bien des missions du SLII, mais ne sera jamais aussi violemment incriminé. Les soucis du gouvernement n’ont pourtant guère changé. En décembre 1968, le secrétaire d’État à l’Information fait un exposé au Conseil des ministres « pour proposer une meilleure organisation de la participation des membres du gouvernement aux émissions politiques de l’ORTF ». Un principe très clair est posé : toutes les demandes ministérielles, que ce soit pour le journal ou pour les magazines, devront passer par le secrétaire d’État à l’Information42. Le principe n’est pas neuf, mais la réalité est rebelle.

38Pour les journalistes, ces « réformes » sont accessoires. Les soucis ne manquent pas. Les grévistes exclus se battent, à travers l’Union des journalistes de télévision, pour obtenir réparation en justice et pour retrouver du travail. Ils publient un nouveau journal, Le Fait public. Du côté des rédactions, Edouard Sablier, secondé par Jean-Louis Guillaud pour le journal et par Jacques Alexandre pour les magazines, a fort à faire pour regagner la confiance, sinon du public, du moins de ses maîtres politiques.

4. SANCTIONS : LES JOURNALISTES

39L’histoire des sanctions de 1968 est bien connue43. Après les événements, Georges Pompidou est aussi peu satisfait que Charles de Gaulle du comportement des journalistes : « La détermination de Matignon à cet égard est manifeste, Jobert insistant auprès de Bonnefous [NDA : il s’agit du directeur de cabinet d’Yves Guéna] pour obtenir des listes nominatives de grévistes »44. Vers le milieu du mois de juin, les journalistes en grève reçoivent de Jean-Jacques de Bresson une lettre où l’on peut lire : « Conformément à la Constitution et à la loi, la cessation de travail des personnels, qu’ils soient statutaires, ou “hors-statut” ne donnera lieu à aucune sanction »45.

40Quand les journalistes de radio et de télévision se présentent au travail, ils sont invités à rester chez eux, en attendant une lettre de convocation individuelle. Mais ils ont de quoi s’inquiéter. Dès le 17 juillet, le nouveau Premier ministre évoque un « allègement des structures ». Le nouveau secrétaire d’État reprend la formule lors de sa conférence de presse du 31 juillet. En août, 37 journalistes de télévision et 22 journalistes de radio reçoivent une lettre de licenciement, 22 sont mutés (dont Brigitte Friang, gaulliste fidèle mais gréviste), 6 sont mis en congé spécial. Sur tous ces journalistes, un seul non-gréviste.

41Comment interpréter ces sanctions ? Ce n’est pas tant l’UDR qui châtie des journalistes de gauche qu’un pouvoir politique autoritaire qui s’en prend à de mauvais « serviteurs », quelle que soit leur tendance politique. Les grévistes actifs ont été la majorité parmi les journalistes, toutes tendances confondues. La grève n’est certes pas le fait d’une « minorité agissante », comme la présente un des nongrévistes soucieux de justifier son action46. La minorité agissante, c’était les nongrévistes, dont beaucoup entretenaient des rapports étroits sinon militants avec le gaullisme, non sans déchirements parfois : « Je savais que j’étais dans le mauvais camp, mais je ne voulais pas aller dans l’autre », dit une jeune journaliste, farouche admiratrice du Général, ce qui lui valut de passer de la radio à la télévision en 1964 par l’entremise de Bernard Gouley47.

42Les grévistes sont une majorité qui n’a pas l’habitude d’agir, qui cède parfois dans la grève à une véritable « illusion lyrique », qui tient des propos extrêmes. Au fond, ils défendent une idée : l’indépendance de l’information, quelle que soit la couleur politique du pouvoir. C’est pourquoi ils poursuivent la grève après la victoire électorale du gaullisme, pour montrer que le problème demeure, identique. Le 5 juillet, seuls les professionnels qui ont fait grève dans une solidarité hésitante, comme Léon Zitrone ou Louis-Roland Neil, reprennent le travail. La majorité de la rédaction parisienne poursuit, sachant qu’elle va perdre, mais se lavant des reproches tant entendus de soumission et d’autocensure.

43La position de la direction de l’ORTF est claire et constante. Sur le plan juridique, on déguise les sanctions en compressions d’effectifs, et l’on se garde bien d’engager des journalistes à l’automne 196848. Malgré la promesse faite aux grévistes, Jean-Jacques de Bresson souligne aussi que la sanction n’était pas pour fait de grève, qu’il y avait plus – et plus grave. Il déclare d’abord qu’il y avait besoin de réduire les effectifs. Puis il argumente en deux temps49. D’abord les termes de sa lettre de la mi-juin n’étaient valables que si le travail reprenait immédiatement. Ensuite, et surtout, beaucoup de journalistes avaient critiqué l’Office de l’extérieur, et réclamaient par exemple la démission du Conseil d’administration : « Cela dépasse le cadre de la cessation de travail, c’est attaquer la Maison dont vous faites partie ».

44Derrière cette casuistique, il y a une vérité. Celle d’un pouvoir politique qui considère les journalistes de télévision comme « ses » journalistes et non comme « des » journalistes, en un temps où le chef de l’État identifie la fidélité au régime et à la nation à la fidélité à sa personne. Dans ces conditions, la grève de 1968 était beaucoup plus qu’une grève : le fait de « déserteurs », selon le mot même de Jean-Jacques de Bresson50.

45On comprend qu’un tel climat ait des effets à l’intérieur de la télévision. Les journalistes, cible des critiques de leurs confrères et des insatisfactions perpétuées des politiques, sont amers, y compris les non-grévistes dont deux s’étonnent d’être poursuivis en justice pour avoir reconnu leur participation au communiqué dénonciateur du Comité d’action civique en mai51.

46De plus, entre les rancœurs et les craintes suscitées par Mai 1968 et les volontés relatives d’ouverture, les journalistes s’en tiennent à une voie prudente, qui est loin de satisfaire l’Elysée52. Edouard Sablier se sait dans une position délicate. Il a gardé d’un obscur épisode en mai des relations difficiles avec certains membres de l’UDR : il est lié à une tentative manquée du Premier ministre, Georges Pompidou, pour s’adresser au pays par la télévision en l’absence du Général, le 29 mai, au plein cœur de la crise. Aussi le 3 juin, à l’émotion de l’Elysée « où on le tient en grande estime »53, Edouard Sablier est « démissionné ». Mais il retrouve ses fonctions le 3 août, et ne partira que le 29 avril 1969, en même temps que le Général.

47Du côté des rares magazines encore en vie, les incidents reprennent. Pierre Lazareff doit défendre le Cinq colonnes nouvelle manière, De nos envoyés spéciaux, qu’il a lancé le 3 octobre54 . Le dimanche 8 décembre, la présence de Maurice Clavel à l’émission L’Invité du Dimanche est jugée indésirable. Le même Maurice Clavel avait évoqué la télévision dans sa chronique sur RTL, fin novembre, sur un ton jugé politique, qui lui avait valu son départ de la station. L’émission L’Invité du Dimanche, grand direct en couleur de la deuxième chaîne autour d’une personnalité, connaît la première des nombreuses difficultés qui conduiront à sa disparition en avril 1970. Autre incident notable : le 11 novembre, au cours du magazine Contacts, diffusé en direct sur la première chaîne, Ivan Levaï interroge un « jeune » qui tient des propos jugés irrévérencieux sur la Première Guerre mondiale et ses morts. Il est mis fin au contrat d’Ivan Levaï, et Contacts, émission quotidienne, s’oriente vers des sujets anodins55.

48Une seule émission de la rédaction est un grand succès : Midi-magazine, produit par Georges Folgoas et animé par Jacques Martin, démarre le 9 septembre et remplace le défunt Paris-Club de Jacques Chabannes. L’émission qui tient autant au divertissement et à la variété qu’à l’information réussit à faire croître l’audience de la télévision à la mi-journée.

49La presse met à l’ordre du jour les difficultés de la télévision – et d’abord de l’information. En décembre, une polémique éclate autour d’un sondage commandé par l’Union des journalistes de télévision (association qui regroupe les grévistes sanctionnés) à l’IFOP : 56 % des téléspectateurs se déclarent « mécontents de la qualité de l’information télévisée sur les chaînes de l’ORTF » et 69 % « des Français » se déclarent « pour le principe de la réintégration des journalistes licenciés l’été dernier ». L’ORTF riposte avec le sondage mensuel qu’elle commande régulièrement à l’IFOP : pour novembre 1968, 22 % des téléspectateurs ont jugé le journal du soir « très bon », 54 % bon, soit 76 % de satisfaits56.

50Le directeur de l’IFOP, Roland Sadoun, renvoie les écarts entre sondages à la différence d’échantillonage et de formulation des questions. Pour notre part, nous ne pouvons pas apprécier s’il y a eu des mouvements d’opinion profonds à propos de l’actualité télévisée. En tout cas, un troisième sondage57 est fait par l’IFOP en mars 1969. Cette fois les réponses sont favorables. 81,7 % des personnes interrogées « trouvent les informations à la télévision bien présentées », 50 % les trouvent « complètes », et 51,6 % « dignes de confiance ». Ce dernier chiffre peut paraître faible. Mais les résultats sont tous légèrement supérieurs à ceux d’une enquête équivalente d’octobre 196558. Nous ne trancherons donc pas sur la « réalité » des mouvements d’opinion, par défaut d’une série suffisamment régulière. En tout cas, l’intervention d’une opinion publique que les sondages sollicitent de plus en plus contribue à enfler la polémique.

51À la rentrée, les choses s’améliorent un peu. Une réforme de la présentation du journal est bien appréciée (le journaliste parle sur fond de décor incrusté et non plus avec le traditionnel rideau gris). On voit reprendre à un rythme régulier les magazines de débat : Face à face (débat entre deux personnalités), Face à la presse, Face à un dossier, Face au public se succèdent chaque lundi à 21h45 pour une durée de 45 minutes. Mais bientôt c’est l’annonce du référendum du 27 avril, et, tandis que toutes les émissions de controverse sont supprimées à la télévision pour le profit des radios périphériques, le journal retourne « insensiblement à ses démons d’avant-mai : mise en pages non hiérarchisée des nouvelles, découpage savant des déclarations et des discours, silence sur certains sujets, pilonnage insidieux en faveur de la régionalisation, etc. »59.

52Le silence sur certains sujets est la lacune la plus criante du journal. Peu appréciée par les éléments conservateurs de l’UDR, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur du nouveau ministre de l’Éducation nationale, Edgar Faure, votée en octobre est à peine évoquée par la télévision et son auteur n’a pas l’occasion de s’en expliquer dans une des émissions de débat. Georges Pompidou, depuis son départ du gouvernement, est pratiquement interdit de télévision, tandis qu’on ne voit pas beaucoup plus souvent Valéry Giscard d’Estaing. Dans ce silence, l’intervention de Maurice Séveno, invité par l’opposition à bénéficier de son temps d’antenne lors de la campagne électorale, a un certain retentissement : il évoque, le 17 avril, les « soixante-dix journalistes rayés, proscrits, parce qu’ils prétendaient vous fournir une meilleure information »60.

53Après l’échec du Général au référendum et son départ, l’ORTF ne cesse pas d’être sur la sellette. Alain Poher, président de la République par intérim, convoque le président du Conseil d’administration et réclame des changements en matière d’objectivité. La nouvelle élection présidentielle suscite de timides espoirs. Tous les candidats sont partisans d’une réforme de l’ORTF et déclarent vouloir remédier aux maux de l’information, y compris l’ex Premier ministre, favori de l’élection, qui répond à Télérama : « Quand j’ai fait le statut actuel de l’ORTF, je le croyais libéral. On dit maintenant qu’il ne l’est pas assez. S’il en faut un plus libéral, j’en suis tout à fait d’accord […] »61.

5. RÉALISATEURS ET PRODUCTEURS : RETOURS

54André François, nommé en pleine crise, ouvre son mandat par des déclarations tonitruantes le 30 juin :

« Après ces événements, il paraît difficile que la télé continue à être ce qu’elle était. Le responsable de la télévision doit créer une nouvelle télévision, trouver des jaillissements nouveaux. Les émissions ne sont pas supprimées mais elles ne sont pas programmées et je ne peux dire encore quelles sont celles qui seront rénovées. Nous avons à organiser un programme qui a beaucoup vieilli. Je vais faire appel à des hommes nouveaux »62.

55Malgré cette proclamation, qui contient des éléments rituels pour un nouveau directeur, André François va être l’homme de la continuité par rapport à l’avant-1968.

56La télévision de l’été 1968 traverse une crise, qui ne touche pas seulement le journal télévisé. Les événements de l’année (« pause » d’Émile Biasini, grève surtout, difficultés de la reprise) expliquent que pour la première fois dans l’histoire de la télévision, le nombre d’heures diffusées grâce aux différents supports de production baisse, qu’il s’agisse du magnétoscope (1967 : 689 heures, 1968 : 571 heures), du direct en studio (1967 : 818 heures, 1968 : 779 heures), du film produit par la RTF (1967 : 1 408 heures, 1968 : 1 247 heures), ou même du film acheté à l’extérieur (1967 : 1 363 heures, 1968 : 1 327 heures). Seules exceptions : les apports des régions qui croissent légèrement (de 232 à 347 heures), et surtout le direct extérieur (de 197 à 274 heures) et les relais de l’étranger (de 245 à 489 heures) où l’on peut lire très directement les apports des Jeux olympiques de Grenoble et de Mexico63.

57Outre les Jeux olympiques de l’été, la télévision reprend surtout quelques grandes émissions populaires, inoffensives sur le plan politique : Au Théâtre ce soir, Les Coulisses de l’exploit, Les Dossiers de l’écran, ces derniers évitant l’actualité trop brûlante. Enfin, les séries américaines contribuent à alimenter l’écran. Mais il manque les grandes dramatiques, les magazines qui drainent à la fois l’audience et le prestige. Or, André François a besoin de ces émissions. Il se veut, comme ses prédécesseurs, un directeur ambitieux et pas seulement le responsable d’une énième remise en ordre. Il est soucieux de donner sa « patte » aux programmes. Pour cela, il doit s’attacher les réalisateurs et les producteurs64. Encore aujourd’hui, il souligne – comme tous les directeurs de l’époque – que ses relations avec les réalisateurs étaient des meilleures65.

58Il commence par donner « une tête » à chaque chaîne. Deux vieux routiers de l’ORTF sont nommés en août 1968 : Pierre Sabbagh à la tête de la première, Maurice Cazeneuve, réalisateur qui passe ainsi à une fonction de direction, à la tête de la deuxième. André François précise aujourd’hui que ces nominations ne reflétaient aucune volonté de spécialisation des chaînes – ni de concurrence. La complémentarité est toujours à l’ordre du jour : « Je ne voulais pas spécialiser les chaînes, mais ils représentaient un peu ma conscience en matière populaire [NDA : pour Sabbagh] et en matière culturelle [NDA : pour Cazeneuve] »66. Dès leur prise de fonctions, Maurice Cazeneuve et Pierre Sabbagh s’aperçoivent, eux aussi, de l’absence des hommes de programmes.

59Alors le nouveau directeur de la télévision plaide sa cause auprès de la tutelle. « Lorenzi raconte qu’André François […] lui avait confié […] : je me suis fait engueuler. Mais j’ai dit, ce n’est pas de ma faute si les réalisateurs sont de gauche. Donnez-m’en d’autres »67. Il obtient pourtant de remettre les producteurs, et, sans doute plus difficilement, les réalisateurs au travail, partant du postulat « qu’on tirait un trait et qu’on recommençait comme avant »68. Les grands metteurs en scène et producteurs sont donc invités à reprendre la tâche, y compris les deux délégués du corps des réalisateurs à l’Intersyndicale, Pierre Badel et Stellio Lorenzi. Seuls André Harris et Alain de Sédouy attendront très longtemps avant de revenir à la télévision : Zoom, magazine social et frondeur, était sans doute la seule émission vraiment intolérable pour les franges conservatrices du gouvernement dès avant 1968.

60Une condition préalable est posée au retour : ne plus reprendre les mêmes émissions, et, surtout éviter les mêmes titres. Ce nominalisme est révélateur de la valeur dont on crédite le programme. Équation implicite : un des facteurs de la crise, c’était peut-être les images de la télévision. Première victime, les grands magazines d’information. Outre Zoom, Cinq colonnes à la Une, « chef-d’œuvre » des années 1960, disparaît de l’antenne. En octobre 1968, ses producteurs, grâce au poids personnel de Pierre Lazareff qui obtient le retour de ses comparses grévistes, lancent De nos envoyés spéciaux, mais l’expérience ne survit pas à l’année 1969. Panorama, plus sage, reprend en janvier. D’autres magazines liés aux grévistes, ou jugés trop graves ou trop sérieux, disparaissent également, dont Les Femmes… aussi (qui reprendra ultérieurement pour durer jusqu’à 1973), Livre mon ami, En votre âme et conscience et Lectures pour tous : beaucoup de symboles des années 1960.

61Même les jeux, genre peu politique s’il en est, sont entachés de cette suspicion. Pierre Bellemare, gréviste sans passion, se souvient de son exclusion et de son retour :

« En tant que soixante-huitard, j’ai été mis à la porte. Mais je n’ai pas été interdit d’antenne comme Harris et Sédouy ou Chapatte et Couderc. Je n’avais pas été à la Sorbonne, ce qui était le critère d’exclusion [NDA : ou, en tout cas, un des critères…]. J’ai été un “exclu réintégré” à condition de ne pas refaire une émission qui avait été faite avant 1968. Nous avons alors lancé Cavalier seul qui reprenait en réalité la même idée que Pas une seconde à perdre »69.

62De même, les réalisateurs reprennent, mais les projets de l’avant 1968 sont abandonnés. Marcel Bluwal soumet à André François son projet ancien sur La Commune, mais le thème sent le souffre. Il se voit proposer Les Frères Karamazov, dans une adaptation de Dominique Arban initialement prévue pour le théâtre. Bluwal s’enthousiasme pour le projet. Il travaille d’une façon très originale, suivant les traces de Michel Mitrani pour Tous ceux qui tombent : en vidéo mono-caméra (pour bénéficier de l’éclairage), avec reprise sur kinescope film 35 mm (pour bénéficier du montage film) :

« Je m’étais aperçu, et c’est José Bernhart qui me l’avait prouvé, que le kinescope 35 repris du noir et blanc vidéo est à la fois très défini et très beau […]. On tournait plus vite qu’en film parce que c’était quand même de la vidéo. L’énorme avantage des caméras vidéo noir et blanc de l’époque, c’est qu’on pouvait éclairer avec une bougie. Quand le film est repassé à la cinémathèque [NDA : en 1985], les gens se sont demandés comment on avait fait »70.

63Une grande adaptation littéraire, une technique au service de la création : on est – à nouveau – dans la tradition de la télévision des réalisateurs. L’inventaire des dramatiques71 pour 1969 montre bien cette reprise de la production, après le double fléchissement (la pause avant la crise, et le lock-out après) de 1968. Sous la rubrique, « grand répertoire » et « présence de l’histoire », figurent de grands « auteurs de télévision », tels que Goldoni, Büchner, Hebbel, Wilde, Shaw, Gogol. Autre symbole de cette continuité, c’est à Claude Santelli, le responsable des fêtes de fin d’année de 1964, qu’est confiée la même tâche en 1968 : ce sera la dernière manifestation de cette tradition.

6. LA REPRISE SYNDICALE

64De toutes les catégories du personnel, les statutaires et leurs deux grands syndicats, FSU et SNRT, ont le plus vite rétabli la situation. Ils n’ont pas déplu au pouvoir, comme les journalistes. Ils ont évité les tentations du « gauchisme ». Ils ne sont pas vulnérables, comme les statutaires. Les personnels font le bilan des événements à la rentrée de 1968. Le SNRT tient un congrès national du 25 au 27 octobre. Marcel Huart contribue largement à cette initiative :

« Après 1968, on a été le seul syndicat à faire un congrès sur les événements. Certains orthodoxes étaient en vacances quand on a décidé mais quand ils sont rentrés ils ont dû approuver l’idée du congrès. Tout s’est dit dans ce congrès, toutes les positions ont été exprimées. Au lieu de nous nuire comme certains le disaient, ça a permis au SNRT de s’affirmer un peu plus, comme une organisation vraiment ouverte »72.

65La FSU a moins le goût des grands débats publics. L’activité syndicale reprend. Des dialogues avec la direction, il est rendu compte dans la revue qui reparaît à la rentrée de 1968. Le bureau de la FSU décide aussi de l’adresser au domicile des douze mille agents de l’ORTF. On ne sait si la décision fut appliquée. En revanche, la revue annonce régulièrement des tirages de l’ordre de 6 000. Certes, les syndicalistes de la FSU estiment qu’ils y consacrent la moitié du temps et des ressources du syndicat. Mais cette capacité de travail – pour une revue de bonne tenue – est un indice du degré de mobilisation.

66C’est seulement en novembre 1969 que la FSU tient son congrès-bilan. Deux questions sont au centre des débats. D’abord le syndicat sent le besoin de laisser plus d’autonomie à ses différentes sections et de « décentraliser » son organisation. La forte mobilisation des techniciens de province pendant la grève de mai et le meilleur niveau de formation des militants, poussent dans cette direction. Une nouvelle génération de militants apparaît : Marc Avril, futur secrétaire général en 1975, se souvient de la « forte mobilisation » de 1968 qui le conduisit à être permanent syndical au conseil national du SUT en 197173 . D’autre part, la « confédéralisation », souhaitée depuis longtemps, paraît de plus en plus nécessaire. On hésite bien sûr entre les deux grandes confédérations. Mais déjà des militants, dont Marc Avril, font observer que la CFDT, moins « marquée » sur le plan idéologique, serait le meilleur choix. En outre, une raison pratique joue. Si la CFDT a bénéficié, à l’ORTF comme ailleurs, de mai 1968, si elle publie - comme les autres syndicats – un bulletin : Le lien interprofessionnel, dont le titre dit l’ambition de concurrencer la FSU en étant « vraiment » interprofessionnel74, elle reste d’une taille modeste, et serait dominée dès le lendemain de la fusion (fusion très débattue, précipitée en 1974 par la crise) par la composante FSU.

67Ces syndicats renouvelés sont rejoints par un troisième larron, le Syndicat national des journalistes, doté d’un leader, Edouard Guibert, qui sera porte-parole de l’Intersyndicale de 1972 à 1974. Dans la grève de mai, le SNJ s’est renforcé : il a « perdu en chair, mais gagné en muscle »75. Malgré les sanctions, ses quelques militants entament un travail de reconstruction syndicale qui s’alimente à la volonté de dignité professionnelle désormais inextinguible chez les journalistes. Un document interne à l’Office, une « note confidentielle concernant les Associations et Syndicats des personnels de l’ORTF » qu’on peut dater de la rentrée 1969 attribue au SNJ plus de cent cartes de militants contre cinquante au SNJ-CFDT et cinquante au syndicat FO76. Sans étiquette confédérale, il domine les deux autres syndicats de journalistes et peut jouer le rôle de pivot entre SNRT et FSU.

68Entre les leaders syndicaux, la grève de mai est le point de départ d’une période de dialogue et de réflexion, d’approfondissement des débats sur l’ORTF, période dont tous ont gardé souvenir. On évoque avec respect, avec émotion même, les homologues des autres syndicats et la solidité, la quotidienneté, des nouvelles relations77.

69Du côté des revendications classiques, la défense du monopole de production, est réaffirmée par tous les syndicats comme un objectif primordial. Là encore, ils obtiennent gain de cause sur un principe essentiel : c’est à l’Office qu’il appartient de réaliser l’essentiel de sa production. Le rapport d’activité de l’Office pour 1969 fait figurer parmi ses « principes d’une politique des programmes » le maintien d’un « taux élevé de production interne ». Ce taux sera en effet maintenu, la part de la production interne s’établissant pour 1969 à 72,75 %78.

70En ce qui concerne les salaires, les syndicats complètent les hausses de mai (augmentation de 9,25 % sur l’année) en recueillant les fruits de leur combat contre la suppression en 1964 de l’article 37 du statut de 1960. Si l’article est maintenu, ses conséquences financières sont abolies par des arrêts de la Cour d’appel de Paris le 19 mars 196679. Sept-cents agents de l’ORTF touchent des rappels importants versés en deux fois au cours de l’année 1969. En 1971, un nouveau statut des personnels reviendra à des règles de promotion plus favorables et moins suspectes d’arbitraire que celles du statut de 1964.

71Pour la mise en œuvre du comité d’entreprise et des commissions paritaires, les dossiers syndicaux sont prêts depuis longtemps. Les nouveaux dirigeants, s’ils ne tolèrent plus les désordres de mai, sont des partisans du dialogue avec les personnels. Le nouveau directeur général a mis en place, dès juillet 1968, une commission consultative qui lui remet des conclusions très complètes au début de 1969. Le Conseil d’administration « planche » également au cours de trois séances. La direction transmet enfin les conclusions de ces travaux au gouvernement.

72À ce stade, le processus va être bloqué par les changements à la tête de l’État, en avril-mai 1969. C’est seulement à la rentrée que l’effort aboutit : les personnels vont alors bénéficier du climat d’ouverture – et du départ du Général qui avait fermement refusé un rôle réel à des commissions paritaires du personnel. Le 12 novembre 1969 sont promulgués deux décrets modifiant les décrets de 1964 portant statut des personnels et statut des journalistes. Le premier décret rétablit les commissions paritaires dans leurs droits consultatifs en matière de promotion, et d’affectation entraînant un changement de résidence ; elles conservent leur fonction en matière disciplinaire ; il est également mis en place des comités d’établissement (un par région radiophonique) et un comité central d’entreprise conformément au droit commun, comme le souhaitaient les organisations syndicales. En outre, les agents de l’ORTF bénéficient des conquêtes nationales en matière de congé annuel et de droit du travail. Le second décret porte sur les journalistes. Il rétablit également les commissions paritaires de 1964 dans leurs droits de 1960 et prévoit la représentation des journalistes au comité central d’entreprise et aux comités d’établissement.

73Ainsi, mai 1968 n’a pas d’effets immédiats sur le style et le contenu des revendications syndicales. Il n’infléchit pas fondamentalement la courbe : le catalogue revendicatif est presque le même ; malgré les changements de direction, un dialogue se poursuit entre directions et syndicats également désireux de consolider l’ORTF – au moins jusqu’en 1972. Pourtant, deux modifications fondamentales ont lieu dans le statut de l’Office. D’abord, l’introduction de la publicité, changement majeur mais peu spectaculaire, n’est pas l’objet de fortes mobilisations, ni au dedans ni au dehors. La deuxième réforme, engagée par étapes, est très vite grosse de contradictions et de conflits : la décentralisation, apparemment souhaitée par tous, n’a pas pour tous la même signification.

7. LES SUCCÈS DE LA PUBLICITÉ

74Mai 68 est un événement bénéfique pour les responsables de la publicité télévisée. Après la violence des controverses un an auparavant, c’est dans une relative discrétion que se mettent en place des mécanismes commerciaux pourtant révolutionnaires par rapport aux habitudes du service public. Les premiers spots sont diffusés le 1 ^er octobre 1968, à 19h40, pendant deux minutes. C’est dès cette date que fonctionne la Régie française de publicité qui est responsable de la gestion des modestes espaces publicitaires. Outre la présence de publicité sur l’écran, la naissance de cette Régie donne lieu à une mutation dans le mode de gestion de la télévision. Il s’agit d’une société anonyme où l’État (par le biais de l’ORTF) est majoritaire à 51 % : c’est le statut qui sera conféré aux sociétés de programmes par la loi de 1974. C’est la première filiale de l’ORTF à bénéficier de toute la souplesse de gestion du droit privé. II suffira d’un bref décret qui consacre, après coup seulement, le 8 janvier 1969, l’existence de la RFP.

75Dirigée par Jean-Claude Servan-Schreiber (personnalité gaulliste et candidat UDR malheureux contre François Mitterrand aux élections législatives de juin), la RFP travaille très vite « à guichets fermés ». Elle se fait assister de deux commissions consultatives, une commission de sélection et une commission de visionnage.

76La publicité est théoriquement sans influence sur les programmes du service public. Les responsables ne cessent de répéter que sa place est limitée. Pourtant sa progression, à tout égard, est très rapide. D’abord, elle s’étend à la seconde chaîne malgré la déclaration de Joël Le Theule au Sénat, en novembre 1968, en réponse à une question d’André Diligent80 : « Seules les antennes de la première chaîne de télévision émettront de la publicité de marques, et cela uniquement dans les programmes nationaux. Il n’y aura pas de publicité dans les émissions régionales ni sur celles de la seconde chaîne ». Dès avril 1969, on sait que la RFP envisage l’extension à la seconde chaîne. Le blocage ne vient pas des autorités de tutelle, mais de l’ORTF, qui s’oppose à une modulation des tarifs – nécessaire compte tenu de la faible audience relative de la deuxième chaîne. En janvier 1971, la seconde chaîne accueille la publicité de marques.

77La durée et les domaines ouverts se développent. En octobre 1968, on commence avec 2 minutes par jour. En janvier 1969, la durée maximum par jour est de 4 minutes. En septembre 1969, on passe à 6 minutes. En janvier 1970, on est à 8 minutes, en janvier 1971, à 12 minutes (avec des variations de plus ou moins 4 minutes selon les périodes). Quant aux secteurs autorisés, seuls l’électroménager, les textiles, et l’alimentation ont accès à la publicité télévisée en octobre 1968. En janvier, de multiples petits secteurs sont accueillis (horlogerie, accessoires de bureau, chaussures…). Puis ce sont les carburants (1970), les firmes automobiles (1971). À cette date, il est clair que l’autorisation sera la règle, et l’interdiction, (elle concernera surtout l’alcool et le tabac, ainsi que les produits dont l’ORTF fait déjà la promotion) l’exception81.

78Enfin, le patronage et l’échange de services, longtemps tolérés, acquièrent en 1969 droit de cité à l’ORTF avec la bénédiction des autorités de tutelle. N’apprend-on pas dans le rapport d’activité que les émissions les plus souvent patronnées (on dirait aujourd’hui parrainées ou sponsorisées) sont celles :

« qui comportent le plus souvent des jeux ou des concours ? Pour alléger leur budget et notamment permettre d’attribuer prix ou récompenses aux gagnants, il est fait appel à certains organismes “patronneurs”. Aux termes de conventions passées avec l’Office, ces organismes participent aux frais de production, réalisation et aux attributions de prix et de récompenses ; en échange, ils bénéficient dans l’émission de mentions et de citations publicitaires orales et visuelles »82.

79À la radio, la Loterie nationale patronne le jeu des mille francs. À la télévision, La Caisse nationale du crédit agricole, la Caisse d’épargne et de prévoyance et les Banques populaires (c’est-à-dire des banques ou des établissements financiers publics) patronnent des jeux.

80Cette progression ne suscite pas de réactions violentes, sauf de la part de la presse. Les syndicats ne s’emparent pas du sujet, pas plus que l’opposition politique. Du côté syndical, la FSU s’était déclarée favorable à la publicité sur les ondes de l’ORTF. De plus, le spectre de la télévision privée ressurgit et déplace le débat. La création d’une troisième chaîne paraît une occasion favorable au lancement d’une nouvelle chaîne. Le Premier ministre lui-même, Maurice Couve de Murville, a annoncé officiellement le lancement de la troisième chaîne le 22 mars 1969. JeanJacques de Bresson l’évoque au cours d’une table ronde réunie par le ministre de l’Information le 31 mars83.

81Deux mois plus tard, le général de Gaulle a été remplacé par Georges Pompidou dont la presse dit qu’à l’inverse du Général, il n’a pas d’hostilité de principe envers la télévision privée. Pierre Simonetti84, note en mai 1969 : – « Les promoteurs de la Télévision commerciale […], hommes proches du pouvoir politique, s’efforcent d’accréditer l’idée selon laquelle les aspirations des auditeurs et des spectateurs seraient incompatibles avec les impératifs d’un service public ». Un an plus tard, en juin 1970, la presse révèle les dessous d’un projet de télévision privée qui aurait les faveurs du Premier ministre, le projet Canal 10, dont les animateurs sont à peu près ceux de la défunte société d’études Pro-Tv de 1967 : Europe N ° 1, Publicis, Dassault, et Télé Monte-Carlo, dont l’administrateur général Jean Frydman est le promoteur du projet85. Dans ce contexte, disent beaucoup à l’ORTF, mieux vaut que la publicité bénéficie au service public, d’autant que celui-ci est promis à de nouvelles réformes.

8. APRÈS DE GAULLE, LES DÉCENTRALISATIONS

82Au fond, c’est la réforme de Jacques Chaban-Delmas qui clôt la période gaullienne de l’histoire de la télévision. La création de deux unités autonomes d’information est un épisode mythifié qui réclamerait une exploration approfondie. Au début, les journalistes l’apprécient. La dynamique de la concurrence apporte une certaine libéralisation. La mise en place des deux unités d’information permet de mesurer le travail des informateurs selon des critères autres que la satisfaction du pouvoir ou celle des groupes de pression : il fallait faire mieux, et plus, en termes d’audience, en termes de « scoop », que l’unité concurrente.

83C’est un aspect de la réforme, le plus souvent mis en valeur. Pourtant, l’examen de sa genèse montre que les choses sont un peu plus compliquées. Décentralisation n’égale pas « libéralisation ». Nous constatons la résurgence d’une idée déjà ancienne, qui réalise sur des connotations favorables ce « consensus ambigu » que nous avons déjà observé. La décentralisation pose en termes nouveaux la question de l’autorité sur le programme à l’ORTF. En cela, elle rompt avec les idéaux de la période antérieure, pendant laquelle cette autorité, critiquée, n’avait jamais été mise en question en tant que telle.

84L’idée de décentralisation est avancée d’abord par les personnels, au cours des multiples travaux des commissions des grévistes, pendant et après mai.

85L’Intersyndicale a connu ses commissions, auxquelles participaient certains cadres. Mais les réalisateurs ont aussi avancé des idées originales. Les ingénieurs ont apporté leur contribution aux débats. Les journalistes ont médité sans fin sur leur statut et la garantie de l’objectivité. Ce faisant, ils ont systématisé des années de réflexions antérieures. Il y a peu de propositions vraiment nouvelles – il faut dire qu’on a déjà beaucoup réfléchi sur les questions – mais jamais elles n’ont été aussi abouties. Deux propositions sont les plus riches d’avenir86. D’abord l’idée d’un « Comité des sages » chargé de veiller à l’objectivité de l’information (idée déjà présente dans le projet Diligent de 1962), ensuite l’idée des unités de production – première ébauche de la décentralisation. Ce deuxième thème avait déjà été agité au cabinet du ministre de l’Information, Alain Peyrefitte, toujours en 1962 (cf. chapitre 8).

86En 1968, l’idée réapparaît d’abord chez les réalisateurs. Selon Marcel Bluwal, les réalisateurs ont eu deux grandes idées dans l’histoire de la télévision, « à part la haute idée qu’ils se faisaient d’eux-mêmes » : le système de cooptation tel qu’il était prévu dans le protocole de 1963, et l’idée des unités de production87. Dans leur document de 196888, les réalisateurs proposent des unités dotées d’un budget proportionnel au nombre d’heures, contrôlé a priori. Elles ne sont en principe pas spécialisées. À leur tête, un « promoteur délégué », responsable du budget, maintient tous les contacts avec les personnels de création, et rend des comptes au directeur. Les unités doivent être petites (leur nombre est estimé à vingt-cinq).

87Il est remarquable de voir les réalisateurs adopter une position très neuve. Ils savent que leur base de pouvoir traditionnelle s’est effritée, y compris vis-à-vis des personnels (la grève n’a pas amélioré les relations). Aussi, dans leur projet, ils se placent en position subordonnée par rapport à des directeurs de production, dits « promoteurs délégués », qui peuvent être, mais pas seulement, des réalisateurs. L’idée fera du chemin et sera traduite, assez exactement, dans la réforme de la Direction de la télévision, lorsque seront mises en place, début 1971, dix-sept sections de production89.

88Dans ses différentes versions, l’idée des unités de production répond à deux critiques de plus en plus souvent émises. La première est simple, sinon simpliste : l’ORTF est devenu ingérable, parce que trop volumineux. En soi ce n’est pas un obstacle à la gestion. C’est la direction de l’ORTF, soucieuse de justifier l’organisme, qui se targue d’une forte productivité dans son rapport d’activité de 1969, et répond au reproche de gigantisme en se comparant à ses homologues européens. Après avoir décompté les différentes catégories parmi les 11 269 employés permanents, les auteurs du rapport écrivent90 : « Il n’est pas sans intérêt de noter que le rapport “nombre d’heures de programmes”/“nombre d’agents” place l’ORTF en tête avec 7h, contre 5h6min à la RAI et 2h56min à la BBC (chiffres 1967) ». Sans commenter la validité du mode de calcul, notons le souci de productivité qui sera un trait permanent des débats à venir.

89Mais « décentraliser » a une autre signification : il faut identifier des responsables et contrôler les coûts. Ce qui paraissait impossible avec des grandes catégories de personnel largement autonomes les unes par rapport aux autres serait facilité par la constitution d’équipes de production placées sous l’autorité d’un responsable au sein de nouvelles unités.

90Derrière l’argument de gestion, le politique perce, en l’occurrence le vieil adage « diviser pour régner ». Le pouvoir de l’ORTF a fait peur en 1968. La classe politique s’en est inquiétée, certains des grévistes, réalisateurs et journalistes, s’en sont enivrés. Décentraliser, c’est aussi, peut-être, diviser un pouvoir menaçant et incontrôlable. Jamais dite telle quelle, cette préoccupation est indubitablement présente – dès 1969. Elle sera au cœur de la réforme de 197491.

91Si la presse évoque les débats des personnels, le thème de la décentralisation ne devient véritablement public qu’avec l’élection de juin 1969. « Les projets de réforme les plus divers sont prêtés au nouveau président de la République », écrit Le Monde le 27 juin, sous le titre « Réformer ou démanteler l’ORTF ? ». On affirme que le Premier ministre serait partisan d’une « authentique concurrence entre les deux chaînes de télévision (et la troisième […]). C’est pourquoi il serait favorable à la création de sociétés nationales pour la diffusion et la conception des programmes des différentes chaînes, devenues autonomes ». S’il était question de décentraliser et de mettre en concurrence la production, l’idée d’une concurrence entre les programmes est ici clairement formulée.

92C’est le Premier ministre qui prend en main le dossier en juin. Apôtre de la nouvelle société, Jacques Chaban-Delmas se dit aussi partisan d’une réforme de l’ORTF, et, avant tout, d’une libéralisation de l’information. Premier signe : le ministère de l’Information est supprimé, et la tutelle de l’ORTF est désormais exercée directement par le Premier ministre. Au cabinet du Premier ministre, le responsable des problèmes audiovisuels est Roger Vaurs, qui connaît bien André François et lui fait part des nouveaux projets lors d’une entrevue en septembre 1969 : il s’agit de séparer les deux directions de l’Information en unités indépendantes, et, à terme, de supprimer la direction de la télévision. André François est en désaccord sur un point essentiel ; la décentralisation doit s’accompagner du maintien d’un « secteur fédérateur », au moins dans le secteur des programmes. Il est partisan de la complémentarité comme l’étaient Philippe Raguenau et Émile Biasini : « Je trouvais que la solution adoptée risquait de créer une anarchie et une déperdition d’énergie par rapport à ce qu’attend de nous le téléspectateur »92. André François souhaite donc rectifier les tendances qui se dessinent. Mais au cours d’une conversation avec Michel Jobert, alors secrétaire général de l’Elysée, il perçoit que des problèmes de relation se posent, « à la tête de l’État », entre le Premier ministre et le chef de l’État lui-même. Aussi renonce-t-il à peser sur le processus93.

93Les intentions nouvelles se traduisent donc dans la déclaration de politique générale du Premier ministre en septembre :

« […] Mais il ne suffit pas de former les hommes, il faut aussi les informer, complètement, c’est-à-dire contradictoirement. Cela concerne d’abord l’ORTF, qui doit conserver son caractère de service public, garant de la qualité de l’ensemble des programmes. Mais, pour qu’il puisse répondre pleinement à sa vocation, son autonomie doit être assurée, une compétition véritable doit être organisée en son sein, et il doit être ouvert à tous […]. Il faut aussi qu’une large décentralisation améliore le fonctionnement de l’Office et permette qu’une véritable compétition soit organisée en son sein, notamment, grâce à l’existence de deux chaînes, et, plus tard, d’une troisième. J’ai demandé aux responsables de l’Office de créer deux unités autonomes d’information correspondant aux deux chaînes existantes. Le directeur de chacune de ces deux unités d’information choisira, librement, les journalistes de son équipe et utilisera sous sa seule autorité les moyens mis à sa disposition […]. Par ailleurs, je vais confier à une commission qui procèdera à de larges consultations, mandat d’étudier les modifications à apporter au statut de l’Office. Le rapport de cette commission sera rendu public. Je ferai ensuite au Parlement les propositions nécessaires »94.

94Très vite les unités autonomes d’information sont mises en place et reçoivent tous les honneurs de la presse. On remarque donc relativement peu les aspects décentralisateurs de la réforme. La « réforme Chaban » exerce un attrait indéniable. Le retour de Pierre Desgraupes est apprécié par tous les professionnels. L’image de marque de l’ORTF, passablement altérée, en bénéficie. Comme d’autres militants syndicaux, Pierre Simonetti approuve la réforme en octobre 1969, même s’il s’inquiète de la part faite à la compétition, et si d’autres militants de la FSU dénoncent les risques de découpage en secteurs autonomes95.

95À l’ORTF même, les éléments de « décentralisation » et de concurrence ne semblent pas bénéfiques à tous. Les ingénieurs d’abord, certes déjà habitués à une certaine autonomie de la technique du journal, constatent que les unités autonomes d’information fonctionnent comme des petites chaînes autonomes, y compris sur le plan technique. L’un des leurs part occuper un poste « technico administratif » chez Pierre Desgraupes, il s’agit d’Henri Perez : « À l’époque, ça avait fait un certain bruit qu’un jeune ingénieur parte s’occuper de problèmes de gestion »96.

96Des dirigeants soucieux de l’unité de commandement s’émeuvent. Le premier est André François qui quitte la direction de la télévision en décembre 1969 pour laisser libre cours aux ambitions respectives de ses deux directeurs, devenus autonomes. Un fidèle du Général, Philippe Raguenau, désapprouve la réforme. Il était déjà en fâcheuse posture après Mai 68 :

« Tout de suite après les événements, quelques beaux esprits, qui s’étaient cachés sous la table, m’ont reproché mes “compromissions” avec l’Intersyndicale. L’ayant appris […], le Général m’avait dit : “Et surtout Raguenau, si on cherche à vous embêter, vous me prévenez !” C’était à l’occasion du nouvel an 69, il avait traversé la grande salle pour me dire cela »97.

97Philippe Raguenau n’a plus le soutien du chef de l’État. Il critique la concurrence, estimant qu’elle est née d’une « fausse interprétation » de propos de Georges Pompidou. Il écrit à Roger Vaurs, le 31 octobre 196998. Il s’inquiète aussi de la primauté accordée à la coordination administrative (la coordination des moyens) au détriment de la coordination entre programmes. André François comme Philippe Raguenau prennent une fonction traditionnelle pour d’anciens dirigeants en désaccord avec les politiques nouvelles : celle d’inspecteur général de l’Office.

98L’idée de « décentralisation », déjà lourde de définitions et commencements d’application, va être reprise par tout un chacun. Les deux directeurs de chaîne sont éminemment satisfaits de l’autonomie conquise. Maurice Cazeneuve présente dès le 17 janvier 1970 un plan d’ensemble pour la deuxième chaîne, avec des objectifs chiffrés en matière de production et de programme, et une nouvelle grille des programmes99. Le 30 juin 1970, la commission nommée par Jacques Chaban-Delmas rend son rapport. On y trouve la première critique en règle de la notion de monopole, sous ses divers aspects. Si la commission réclame le maintien du monopole de programmation, elle réclame aussi une mise en concurrence des chaînes de télévision, une autonomie des services de diffusion, et « la transformation des services de fabrication en usines fonctionnelles mises en concurrence entre elles et avec les sociétés extérieures »100. Certes, l’ORTF maintenu devra se transformer « en une société holding contrôlant des filiales spécialisées »101. Sans attendre les réactions du gouvernement à ce rapport, la direction de l’ORTF décentralise en janvier 1971, en créant trois unités de fabrication et dix-sept sections de production. Enfin, la décentralisation est inscrite dans la loi du 3 juin 1972, qui prévoit la création d’établissements publics décentralisés au sein de l’ORTF. La télévision n’est déjà plus celle souhaitée par le Général. Elle ne sait pas encore à quel destin elle est promise.