Version classiqueVersion mobile

La Fabrique de la vente

 | 
Emmanuel Kessous
, 
Alexandre Mallard

Chapitre 8. Il était une fois « Pleine Ligne »

Une décennie de marketing relationnel chez France Télécom

Roland Canu

Texte intégral

  • 1 « Pour Yves Alexandre [un publicitaire réputé du milieu du XXe siècle], la publicité, c’est un ersa (...)

1En proposant de privilégier à l’analyse de l’offre et de la demande celle des médiations et des opérations de traduction qui assurent la mise en relation et l’attachement de l’une à l’autre [Callon et al., 2000], la sociologie du marché a dévoilé une dimension sociale – entendue comme modes d’association [Latour 2006] – endogène au monde économique [Chantelat et Vignal, 2002 ; Cochoy, 2008]. Parmi les médiations participant à ce travail relationnel [Kessous et al., 2005], figurent en bonne place les courriers publicitaires envoyés au domicile de la clientèle. Ces courriers manifestent auprès des clients la présence de l’offreur, affichent sa volonté d’accompagner les parcours de consommation, d’occuper la place et d’entretenir le lien. Ils ont, sur d’autres outils commerciaux, plusieurs avantages : d’abord, celui de pouvoir s’implanter et agir en dehors des espaces habituellement dédiés au marché. Au côté des démarcheurs, ces supports publicitaires sont en effet utilisés pour franchir les obstacles qui cloisonnent les espaces et pour investir la sphère domestique des clients. Moins intrusifs que les démarcheurs, ils sont ensuite théoriquement capables de passer plus efficacement d’un espace extérieur à un espace intérieur et « [d’] instaurer ainsi avec le client un rapport d’intimité que ni le représentant (obligé d’en passer par le détaillant), ni le détaillant (condamné à rester posté dans son magasin), ni le démarcheur à domicile (souvent refoulé sur le pas de la porte) n’avaient pu atteindre » [Cochoy, 1999]. Les courriers publicitaires, par le truchement des boîtes aux lettres, offrent ainsi à l’annonceur la possibilité de s’infiltrer dans un espace privé et, même s’il est sans doute très partiel et fugace, d’y tenir un discours commercial1. Enfin, et parce qu’ils sont souvent associés à un engagement contractuel déjà existant et drapés dans des documents administratifs (factures), ils jouissent d’un statut incertain, brouillant ainsi le contrat de lecture qui les lie aux consommateurs. Ces documents se défont dès lors d’une partie de leur connotation publicitaire pour être davantage considérés comme un service supplémentaire visant à rendre plus transparent le dédale des offres disponibles et favoriser la montée en compétence du récepteur.

2Aussi, pour traiter de la relation client, telle que l’opérateur cherche à la construire, proposons-nous dans ce chapitre de prendre pour focale l’histoire d’un de ces courriers publicitaires, courrier envoyé gratuitement à un segment de la clientèle de l’opérateur France Télécom. De 1994 à 2004, la brochure Pleine Ligne va être diffusée auprès d’un public ciblé, les petits professionnels, pour travailler le lien que l’opérateur entretient avec cette partie du public. Nous verrons qu’il s’agit d’un lien marchand dont les soubassements ne sont pas exclusivement rabattables sur des logiques de placement et de rentabilité directe, mais traduisent également des enjeux de fidélisation, d’attachement, de « cocooning ». Ce positionnement, s’il va faire débat au sein de l’organisation durant toute la décennie, témoigne surtout d’un tournant relationnel qui, au cours de cette période, s’opère à deux niveaux. Il s’opère d’une part dans l’organisation de France Télécom et la structuration de ses services marketing, d’autre part, et de manière synchrone, dans les méandres paradigmatiques de la discipline marketing elle-même. Le dialogue qui se noue dans ce récit entre ces deux niveaux est d’autant plus intéressant à observer qu’il ne relève pas tant d’une performativité de la théorie marketing sur les pratiques [Callon et al ., 2007 ; Araujo et al ., 2010 ; Cochoy et al., 2010] que d’un processus de labélisation des secondes par la première.

  • 2 Le marketing relationnel est un paradigme qui vise à fidéliser le client par la création d’une rela (...)

3Il nous faut dès lors renverser l’intérêt habituellement associé à des publicités et des courriers commerciaux : plutôt que de nous intéresser sinon à l’efficacité réelle de ces dispositifs du moins à leur efficacité supposée [Broadbent, 1995 ; Kapferer, 1990], nous voudrions investir les coulisses, ces laboratoires du désir [Hennion et Méadel, 1988]. Cette entrée sociohistorique auprès des acteurs organisationnels qui ont conçu la brochure nous amènera à considérer les traductions successives de l’objet publicitaire et à insister sur l’enchevêtrement de trois histoires : d’abord, celle d’un service marketing qui emprunte les voies de la professionnalisation pour soutenir ses positions ; ensuite celle, corrélée, d’un cadre paradigmatique, le marketing relationnel2, qui s’impose progressivement chez l’opérateur et engage la formation de nouveaux partenariats et savoir-faire ; enfin, celle d’une pratique du marketing relationnel qui déborde largement de la mise en œuvre du paradigme éponyme alors que le service marketing est, dès le lancement du projet, contraint de durcir en interne une pluralité de relations, notamment celles avec les réseaux de distribution locaux et la force de vente pour davantage d’efficacité dans la gestion des relations avec la clientèle.

4Le démarrage de cette enquête, durant l’hiver 2003-2004, coïncide avec l’arrêt de la conception de Pleine Ligne (au printemps 2004). Aussi, pour reconstruire ce récit, avons-nous travaillé en mobilisant trois corpus de données : le premier se compose d’une dizaine d’entretiens réalisés avec les deux dernières rédactrices en chef de Pleine Ligne et les directeurs commerciaux d’agences de communication partenaires dans la conception de l’imprimé. Nous avons pu compléter ce premier matériau discursif par deux autres types de corpus. Le premier d’entre eux est constitué de la collection complète des numéros de Pleine Ligne depuis 1994 ; cette collection, composée par l’une des rédactrices en chef rencontrées, était en outre enrichie par des imprimés à usage interne liés à l’écriture de ce magazine publicitaire (post-tests, propositions de maquettes, dialogues organisationnels autour de l’outil commercial, de son efficacité et son évolution). D’autres documents liés à la conception de ces numéros ont été mobilisés dans l’étude (notamment des briefs conception présentés par les agences partenaires). Enfin, nos recherches d’archives nous ont permis de consulter un dossier, substantiel, consacré à la création de ce magazine publicitaire au début des années 1990. Ce dossier avait alors été composé par l’un des principaux coordinateurs de ce projet.

5Dans une première partie, nous reviendrons sur le travail amont au lancement de cette revue, notamment le dimensionnement d’un collectif de conception qui repose sur le triple enrôlement par le comité de rédaction de Pleine Ligne de spécialistes de l’écriture publicitaire, de la force de vente locale et d’une direction marketing désireuse d’établir l’efficacité recherchée de ce dispositif couteux. Dans une seconde partie, nous retracerons une histoire de Pleine Ligne articulée autour de deux moments de rupture. Le premier de ces moments intervient en 1998 avec l’ouverture du marché à la concurrence et se traduit par le repositionnement de l’imprimé sur le marché de la prescription. Le second, en 2001, concrétise l’ambition marketing des services publicitaires de l’opérateur par le ralliement au collectif d’écriture d’un nouveau partenaire promoteur de la logique relationnelle et l’introduction concomitante de nouveaux outils de segmentation et de ciblage de la clientèle. Nous voudrions montrer à quel point, derrière ces glissements organisationnels et idéologiques, se posent à la fois la question de la légitimité d’une discipline et de son autonomisation vis-à-vis des professionnels de la vente, celle de la définition même de ce qu’est un marketing relationnel et celle des modalités pratiques de sa mise en œuvre.

1994 : DIMENSIONNER UNE REVUE PUBLICITAIRE ET SON COLLECTIF DE CONCEPTION

  • 3 « Cahier des charges Revue pour la clientèle professionnelle Plus », CPC, 10-11-93.
  • 4 Dans ces études, le profil de cette clientèle est déjà largement esquissé. Le « client Pro » [a] n’ (...)

6L’histoire de Pleine Ligne démarre en 1992, soit deux ans avant la diffusion du premier numéro. Cette année là, le service de la communication et de la promotion commerciale (CPC) de l’opérateur historique conduit un audit sur l’ensemble des publications commerciales du groupe destinées aux clients professionnels (entreprises, très petites entreprises, commerçants, artisans, entrepreneurs). L’intérêt de cet audit est de « répondre à un objectif de cohérence et de communication globale au niveau du groupe France Télécom »3. Parmi les décisions prises à l’issue de cette enquête, figure la réalisation de deux publications destinées à la clientèle d’affaires. La première d’entre elles devra être dirigée vers les grandes entreprises, la seconde orientée vers les petites structures professionnelles. Une première raison est avancée pour justifier ces créations : « Plutôt insuffisamment informée sur l’offre France Télécom, et en l’occurrence sur les applications et bénéfices des produits de télécommunications, la diffusion d’une revue pourrait constituer une des réponses aux attentes de cette clientèle » (Ibid.)4. Outre ces créations de revues dans lesquelles sera présentée l’offre globale de France Télécom, cet audit encourage la suppression de certains supports (notamment les journaux régionaux) et valorise l’adoption du principe de complémentarité entre les diverses publications commerciales du groupe France Télécom. L’hypothèse est alors que la dispersion de la prescription a pour corollaire une moindre écoute de la part des clients.

Le cahier des charges d’une nouvelle revue à destination de la clientèle

  • 5 L’auteur de cette note est un membre des services marketing de l’opérateur important à double titre (...)
  • 6 Le marché professionnel est déjà bien connu des services marketing de l’opérateur. Pour autant, à c (...)

7Une note interne diffusée en aout 19935 présente, « pour avis », un projet de cahier des charges relatif à cette possible revue « destinée aux professionnels ». La note décrit à grands traits tout ce que l’on s’attend à trouver dans un document de présentation marketing : le contexte, les objectifs, la cible, les produits concernés et quelques consignes liées à la conception du magazine. La finalité de ce « journal » est explicitée dès les premières lignes du document : « Il vise à établir une relation plus étroite entre France Télécom et sa clientèle et à intégrer la dimension télécommunication dans l’univers des entreprises dites clientèles professionnelles ». Plus précisément, l’objectif marketing de ce journal professionnel est tout à la fois de mieux faire connaître l’offre France Télécom aux clients, de favoriser l’accroissement du chiffre d’affaires de l’opérateur (faire acheter), et de stimuler les contacts auprès de la force de vente (faire se renseigner). La cible de ce journal est le marché professionnel. Mais, parce que ce marché est « vaste et hétérogène » (Document interne 1993)6, il est nécessaire, selon ces services, de restreindre la diffusion de cette publication « aux segments les plus porteurs » : les clients stratégiques. La note soutient que ce support s’adressera autant que possible nominativement aux « décisionnaires », aux « dirigeants d’entreprise », bref à ceux qui le plus souvent procèdent aux choix de consommation. Pour le ciblage de cette clientèle, une solution transitoire est préconisée : dans la mesure où aucun fichier dédié à cette revue n’est encore constitué, la construction d’un public doit passer par l’emprunt à différents fichiers déjà existants. La représentation de la clientèle à laquelle le message s’adresse est bien définie, mais elle n’est qu’une première étape qui engage également la construction pragmatique des circuits d’adressage au public.

8Enfin, ce document aborde le concept rédactionnel du futur imprimé publicitaire. Ce dernier devra refléter l’intention de l’opérateur de se rapprocher de ses clients, notamment grâce à un ton sérieux, « c’est-à-dire informatif et non publicitaire » qui emprunte « un style rédactionnel de type journalistique ». Il suscitera en parallèle le besoin de s’informer davantage en renvoyant le client vers un plateau téléphonique (via un numéro vert), un service Télétel ou vers un point de vente. Une certaine idée du format et du contenu de la revue – finalement très proche du résultat final – est également esquissée : quatre numéros par an, de huit pages chacun, seront diffusés à 500 000 exemplaires. Le titre, non encore défini, devra évoquer la globalité de l’offre France Télécom et témoigner du concept rédactionnel évoqué supra. Il devra également être suffisamment impliquant pour contribuer à l’appropriation du support par la cible visée et être défini en fonction de celui qui sera attribué à la revue marché entreprise (cohérence, unicité de l’émetteur, complémentarité) (CPC 06 septembre 1993). Parce qu’on réfléchit, chez les services marketing de l’opérateur, à l’évocation de ce titre sur la clientèle, le « client Pro » va rapidement être sollicité dans le cadre de pré-tests. L’intervention du client dans ce processus de conception ne se limite bien sûr pas à la détermination d’un titre : dès cette note, des « mesures d’impact » fréquentes sont envisagées. Avant même qu’un institut de sondage ne soit à pied d’œuvre, le comité de rédaction anticipe et détaille déjà précisément les critères devant servir de repères à l’évaluation du magazine : le taux de lecture, la mémorisation de son contenu, la satisfaction et les attentes des clients, etc.

9L’étape suivante consiste à organiser la sélection de l’agence de publicité avec laquelle France Télécom va collaborer. Les recommandations des agences qui postulent portent sur la conception de l’ensemble du magazine, la présentation des pages régionales, l’élaboration d’une charte garantissant la cohérence globale du magazine, l’organisation de la conception, un devis détaillé et un planning. Plusieurs raisons viennent justifier l’identité de l’agence finalement retenue. Parmi elles, figurent a) « la prise en compte des compétences marketings de cette agence », b) « le principe de modularité du contenu du magazine qui assure une plus grande ouverture vers les Directions Régionales », c) un « budget nettement moins élevé » que celui demandé par la seconde agence finaliste, d) une proposition de mise en page qui « permet plusieurs niveaux de lecture », e) et enfin la pertinence de certains partis pris, notamment l’insertion, dans le contenu du magazine, de « fiches décisions » (Note de CPC, le 22 décembre 1993).

L’inscription territoriale de la logique marketing : l’alliance avec les correspondants régionaux

10À cette première forme d’extension du collectif – CPC/agences de publicité – s’en ajoute une seconde. Au sein de France Télécom, le service CPC doit en effet tisser des relations avec les réseaux de distribution et la force de vente. L’ambition est triple : il s’agit d’affirmer la dimension régionale de l’imprimé (donc la personnalisation des messages envoyés aux clients), de travailler à la constitution d’un public en utilisant les fichiers des agences, et d’assurer l’introduction de l’outil publicitaire dans le travail marchand des acteurs de l’offre au contact du public.

  • 7 Le directeur commercial est à la tête de la Direction Commerciale de France Télécom. La nouvelle or (...)
  • 8 Les ONS commerciaux [Organismes Nationaux de Soutien] sont les interlocuteurs privilégiés des régio (...)

11Un premier document (janvier 1994) est envoyé par le directeur commercial7 aux directeurs régionaux visant à les informer des suites du projet. Parce qu’il sollicite l’appui d’un réseau de correspondants régionaux avec qui collaborer sur ce projet, le directeur commercial réclame aux directeurs régionaux la désignation, au sein de leur direction, d’une personne « motivée » qui « saura assurer les fonctions suivantes : faciliter les remontées d’informations, aider à l’organisation des interviews clients, entretenir et alimenter le fichier client, informer l’ensemble de la direction commerciale régionale et les agences commerciales des étapes relatives à la conception de chaque numéro, répercuter les réactions éventuelles de la clientèle et du réseau commercial afin que ce journal réponde véritablement aux attentes ». Les réunions autour de l’écriture publicitaire s’enchaînent et, le 3 juin 1994, se tient finalement la rencontre des responsables du projet avec les « correspondants régionaux ». À l’occasion de cette réunion, les fonctions du correspondant sont plus précisément définies : d’abord, il intervient dans l’écriture de sujets régionaux en collectant, sélectionnant, proposant les thèmes d’articles à caractère strictement local puis en les transmettant à l’agence de publicité partenaire. Ensuite, il participe également à l’écriture des sujets nationaux, en détectant des opportunités de reportages, en proposant des thèmes d’articles « correspondant aux attentes des clients », en réunissant la documentation « utile » (interviews/illustrations) à la réalisation de ces articles et en transmettant à l’animateur du réseau (ONS RP8) les coordonnées des personnes à contacter. Enfin, il est aussi garant de la qualité des fichiers nécessaires à la détermination du public auquel s’adresser. Une telle détermination reste potentiellement problématique et engage une mécanique d’identification et de ciblage lourde. Le « circuit fichier », tel qu’il est envisagé, se construit en deux temps : dans le premier, les agences ont pour mission d’extraire les données clients à partir des applications informatiques existantes, et de composer des fichiers. Elles envoient dans un second temps, sous forme de disquettes, ces fichiers aux Directions Régionales qui les centralisent et les transfèrent ensuite à l’ONS RP.

12À ce stade de l’histoire, le marketeur n’a pas d’accès direct aux clients, seulement les informations qui lui parviennent de la sphère du contact client. Faute de mieux, il cherche donc à organiser une double circulation à la fois ascendante (informations sur la clientèle) et descendante (informations vers la clientèle). L’économie circulatoire ainsi définie tranche avec l’image habituellement attachée aux publicités. Loin d’être déconnecté du terrain, des clients et des autres médiations lubrifiant la mise en marché des offres de l’opérateur, le message publicitaire transite à l’inverse au ras de l’activité marchande, parmi les attachés commerciaux et autres correspondants régionaux. Il profite de ce tissage organisationnel pour assurer le rapprochement avec des clients que les services marketing ne peuvent connaître et atteindre seuls. Le courrier publicitaire – alors même qu’il est généralement envisagé comme un outil visant à court-circuiter la force de vente [Bruneau, 1956 ; Cochoy, 1999 ; Martin, 1992] – est ici paradoxalement encastré dans des réseaux de distribution rendus consubstantiels à son efficacité.

13Une telle organisation, parce qu’elle met les services de communication dans la dépendance de ces réseaux, a encouragé le comité de rédaction à développer très rapidement une argumentation susceptible de justifier l’efficacité du magazine du point de vue des acteurs de l’offre au contact du public. Il a fallu au comité de pilotage s’assurer de la participation de ces derniers au processus d’écriture et à la circulation de Pleine Ligne et des clients. En d’autres termes, le comité de pilotage a travaillé à ce que ce support publicitaire devienne aussi indispensable à ces professionnels que ces derniers pouvaient l’être à son écriture et à sa circulation. Ce partenariat ne pouvait qu’être bénéfique aux deux parties puisque l’imprimé publicitaire était dès lors présenté comme « un outil d’aide à la vente » :

« Motiver et conseiller le réseau commercial de sa région sur la manière optimale d’utiliser Pleine Ligne relèvent directement des compétences du correspondant. Animateur commercial auprès des responsables des vendeurs professionnels, il est porteur, à chaque instant des atouts commerciaux du journal. Sensibilisé au contenu de ce support écrit, le réseau l’utilisera alors comme un outil de vente et fera face bien armé aux questions des clients […] ». (Kit du correspondant, juillet 1997, p. 4).

14Les liens noués entre l’échelon local et l’échelon national renvoient dès lors à l’usage de Pleine Ligne comme un écrit de travail marchand mobilisé en situation commerciale pour soutenir l’argumentation de la force de vente. Le collectif de conception, à travers des lettres adressées jusqu’au dernier moment aux directeurs régionaux, invite en effet ces derniers à intégrer l’imprimé parmi les instruments mis à leur disposition pour s’adresser à la clientèle. En agence, le responsable du marché professionnel doit notamment s’assurer auprès des attachés commerciaux que Pleine Ligne « joue à part entière son rôle d’outil d’aide à la vente », ou encore « que l’utilisation de Pleine Ligne [est bien] intégrée dans la démarche commerciale de l’Attaché Commercial Affaire (ACA) et rappelle son positionnement en tant que clé d’entrée chez le client ». L’ACA reçoit de son côté Pleine Ligne une semaine avant ses clients :

« Ceci lui permet d’en prendre connaissance assez tôt et donc de se préparer à l’exploiter. En effet, Pleine Ligne constitue une opportunité de prise de contact qui facilite sa démarche car le magazine lui permet : – en réactif, de rebondir sur certains articles et, – en proactif, d’appuyer/de préciser sa proposition diagnostic-conseil » (CPC - Réunion des correspondants du magazine Pleine Ligne, 3 juin 1994).

15De ce point de vue, et contrairement aux dimensions développées dans les futurs post-tests, il ne s’agit plus d’associer la publicité à un consommateur, mais plutôt à un professionnel de l’offre qui la mobilise dans le cadre de son action commerciale.

Déterminer un positionnement marketing à la revue

16La dernière extension du collectif renvoie aux liens qui se nouent entre le service de la Communication et de la Promotion Commerciale et la hiérarchie marketing pour assurer la pérennité de la revue en justifiant son positionnement et son ambition sur le marché. La question débattue ici est celle du statut et de la fonction de ce courrier publicitaire, de la détermination d’un territoire distinct de celui réservé à d’autres outils introduits pour assurer la jonction entre l’offre et la demande. Doit-il contribuer à la prescription des actes d’achat et stimuler les ventes, renforcer l’image de marque, accompagner la fourniture d’un service ou encore favoriser la montée en compétence des usagers ? En d’autres termes, Pleine Ligne semble immédiatement tiraillé entre une logique relationnelle valorisée par le service de communication et une logique commerciale de rentabilité immédiate défendue par les décideurs.

17Pour éprouver cette extension et éclairer ce débat éditorial, nous nous référons dans un premier temps à une lettre adressée à la direction commerciale, plus précisément à la directrice de CPC, de la part du directeur délégué à la communication (soit un membre, haut placé, de la direction générale). Il y introduit une précision en forme de rappel à l’ordre :

« Sur ces sujets, je me permets de rappeler que les deux supports cités ont une vocation purement commerciale […] Des sujets trop généraux sur France Télécom ou globalement sur les télécommunications (du type culture, sociologie, histoire, grands projets stratégiques…) ont naturellement leur place dans les supports à vocation institutionnelle. Bien évidemment, les numéros zéro de chacune de ces publications devront être soumis à l’avis du COP […] » (lettre du Directeur délégué à la communication, 27-01-94).

18Ce court extrait met en évidence un différentiel d’ambition autour de ce journal publicitaire entre, d’un côté, une hiérarchie qui finance la conception et attend des résultats marketing chiffrés et mesurables (« vocation purement commerciale »), et, d’un autre côté, un comité de pilotage qui revendique un positionnement extérieur à ce cadrage fonctionnel étroit de l’outil publicitaire.

19Un second échange interne vient durcir et préciser cette tension autour du positionnement marketing de la revue. Un membre haut placé des services marketing écrit trois mois plus tard :

« Je rappelle que le journal Pro n’est pas ce que nous envisageons d’offrir aux souscripteurs de l’abonnement Pro. Ces souscripteurs recevront un document plus pédagogique et testimonial représentant une véritable valeur ajoutée pour eux plutôt qu’une communication promotionnelle de France Télécom. Attention donc au fait que si beaucoup de pros souscrivent à l’abonnement, le journal Pro ne sera peut-être plus aussi utile » (Mail du 28 avril 1994).

20Le directeur de la publication et futur rédacteur en chef de Pleine Ligne, répond à ce message dans l’heure qui suit :

« Il s’agit d’un problème de fond, car le journal pro a justement une vocation pédagogique et testimoniale, et pas promotionnelle. De plus, l’abonnement pro percute également directement la charte client pro ; tout cela revient à dire : ces services (journal, garanties de qualité, conseil, SAV…) sontils aujourd’hui des prestations minimums auxquelles nos clients ont droit d’office, donc fournis gratuitement, ou une option payante ? C’est à mettre en rapport avec l’offre concurrente potentielle, et la valeur perçue de ce que nous offrons. Les clients sont-ils prêts à payer pour un journal ? Et pour le reste ? Combien ? Cela a-t-il été testé ? » (Mail du 28 avril 1994).

  • 9 Pleine Ligne est alors présenté comme « le magazine trimestriel des solutions France Télécom. Il vo (...)

21L’interpellation initiale tente d’imposer des frontières territoriales à deux supports prescriptifs en attribuant à l’un et à l’autre des zones d’action qui ne se chevauchent pas : d’un côté, un document pédagogique et testimonial proposé à la clientèle qui souscrit à l’abonnement Pro, donc une composante d’une prestation payante, un élément de l’offre qui prend la forme d’un mode d’emploi et favorise la connaissance d’un client que l’on veut valoriser. D’un autre côté, un journal Pro (Pleine Ligne) qui doit figurer parmi les imprimés à caractère promotionnel et être repositionné sur le marché de la prescription [Hatchuel, 1995] sous peine de ne plus avoir aucune utilité. Le journal doit ici emprunter une rhétorique publicitaire classique visant à placer des produits/services et contribuer à stimuler les ventes. Le directeur de publication réaffirme avec vigueur l’appartenance du futur support à la première de ces catégories et pose la question, plus générale, de l’inscription de ce type de document parmi les prestations spécifiques à une offre pour lesquelles paient les clients. Ses efforts ne sont pas vains puisque l’abonnement à la revue Pleine Ligne est par la suite mécaniquement présenté comme un des « avantages gratuits » du « contrat professionnel présence France Télécom » (Plaquette publicitaire, mars 1997)9.

22Stabiliser ces trois extensions du collectif a ainsi permis au comité de publication de déterminer le positionnement éditorial de la revue, d’incarner la clientèle ciblée, de baliser les circuits d’adressage et de s’adjoindre des mains compétentes dans la rédaction de Pleine Ligne. Malgré les divergences que nous venons d’isoler, le premier numéro est enfin envoyé aux clients Pros stratégiques de l’opérateur à l’automne 1994.

1998 ET 2001 : LES TOURNANTS MARKETING DE LA REVUE PLEINE LIGNE

23Le format du magazine défini durant cette phase de création n’est bien sûr ni statique ni définitif. Le collectif d’écriture de Pleine Ligne réagit durant toute une décennie non seulement aux réorganisations internes de France Télécom mais aussi aux mouvements de l’environnement marchand et de la discipline marketing. Le magazine porte les traces de ces réactions et témoigne des glissements qui s’opèrent dans le modèle relationnel privilégié pour s’adresser à la clientèle.

1998 : ouverture du marché à la concurrence et repositionnement sur le marché de la prescription

24Le premier changement d’envergure de la maquette Pleine Ligne intervient pour le premier numéro de l’année 1998. Quelques prises visibles sur la couverture du magazine nous permettent d’identifier immédiatement certaines des modifications opérées dans le positionnement de l’imprimé et le contrat de lecture que l’opérateur tente de faire ratifier à sa clientèle. Le passage de huit à douze pages, l’affichage de nouvelles rubriques « Innover ; décider, anticiper ; repérer, échanger », ou encore la personnalisation géographique du message (l’ajout du nom de la région du client à côté du logo de l’opérateur), sont les signes les plus immédiats d’un renouvellement du discours publicitaire. Parmi ces signaux, le changement de sous-titres explicite largement le repositionnement effectué : « Le magazine des solutions France Télécom » devient « Le journal Télécom des professionnels ». Par cet ajustement rhétorique les rédacteurs manifestent leur volonté de placer désormais le client (les professionnels) et non plus les technologies commercialisées (les solutions de France Télécom) au centre du projet éditorial.

25Derrière l’écriture, quelques mois auparavant, le collectif est en pleine effervescence. L’année 1998 marque sur le marché des télécommunications un tournant largement anticipé, qui n’est pas sans répercussion sur le marché de la prescription. Non seulement, désormais, les clients vont pouvoir, quel que soit le territoire marchand, préférer la concurrence à France Télécom, mais un magazine tel que Pleine Ligne court le risque de se banaliser, là où il était le premier du genre en 1994. Le comité de pilotage, soucieux de ces mutations marchandes imminentes, commande au cours de l’année 1997 un certain nombre d’études auprès de ses partenaires commerciaux susceptibles de l’aiguiller dans sa volonté de « refonte » du magazine. Des enquêtes sont réalisées à la fois par une société de sondage et par l’agence publicitaire partenaire A. Les clients/lecteurs sont eux-mêmes sollicités : un questionnaire est en effet diffusé dans le dernier numéro de Pleine Ligne de l’année 1997. Le comité de rédaction, désireux de recueillir l’avis du public, met en place à cette occasion une rubrique intitulée « En quête d’opinion ». Sur les 518 000 exemplaires de ce numéro distribués aux clients pros, 1 197 questionnaires sont renvoyés au comité de rédaction, soit 0,23 % de la cible. L’agence publicitaire partenaire, de son côté, procède à un important travail pour identifier une « ligne de conduite » capable de répondre aux « nouveaux enjeux commerciaux » (Document du 5 novembre 1997). Cette agence semble avoir joué un rôle décisif dans le basculement opéré : son directeur aurait le premier insisté, selon la rédactrice en chef alors en activité, pour que France Télécom adopte avec cet outil une approche « consumer ». Alors qu’il livre son expertise pour la refonte de la revue en novembre 1997, il soutient que « la relation d’échanges personnalisés devient le concept même de Pleine Ligne » et que, pour y parvenir, la revue doit devenir un « véritable journal régional » et non pas un journal « avec des éditions régionales ». La région est en effet « le lieu d’identification commerciale le plus proche », celui auquel le client s’identifie le plus clairement. Dès lors, le parti pris est celui d’un « marquage fort de la région en page une » (document Agence publicitaire partenaire pour la Refonte de la revue – novembre 1997). La rédactrice en chef accepte rapidement cette proposition puisque la dimension régionale est selon elle une manière de rentabiliser le magazine en étant plus proche du terrain :

« Moi, je voulais faire un truc concret. Je voulais faire un magazine de terrain, vraiment laisser la place… la parole aux clients… Pourquoi ils ont changé tel ou tel produit ? En quoi ça leur est utile au quotidien ? Je voulais qu’il y ait cette ligne derrière… vraiment pour faire la ligne directrice aussi bien dans le titre que dans les titres des articles, dans les choix des photos et le contenu. C’était l’idée. Tout était cohérent, bien sûr » (Naomi, Rédactrice en chef de Pleine Ligne, 19-11-03).

26Ces évolutions de la politique éditoriale de Pleine Ligne sont adossées à une vision renouvelée de la relation entre l’opérateur et la clientèle visée par le courrier publicitaire. Nous avons représenté en figure 1 des schémas qui ont illustrés l’argumentaire tenu par le comité de pilotage à des responsables marketing.

  • 10 Document Interne Pleine Ligne 1998/Division clientèle Professionnelle Comparaison 1997/1998, p. 20.

Figure 1 : le repositionnement de Pleine Ligne dans la relation entre l’opérateur (émetteur) et ses clients (récepteurs) – schémas tirés d’un document marketing interne10.

27Ces schémas rendent compte d’un triple changement : d’abord, celui de la position de l’opérateur qui de « donneur de leçons » devient « partenaire » du client. France Télécom, longtemps soumis à une logique d’ingénieur entachée d’un certain mépris envers les fonctions commerciales, présentait ses produits en privilégiant leur dimension technique. À partir de 1997-1998, la posture des responsables produits évolue et se traduit par une internalisation plus amont des préoccupations marketing autour d’une offre.

« On a un discours de moins en moins technique. Avant, chez France Télécom, on parlait technique avant de parler bénéfices et avantages, donc on se rassurait parce que je pense que France Télécom, de façon générale, n’avait pas de background market. Donc on se rassurait derrière un discours ultra technique pour vendre nos produits » (Naomi, Rédactrice en chef de Pleine Ligne, 19-11-03).

  • 11 Fabrice Van Kote, un des responsables marketing de l’opérateur, qualifie le changement de ligne édi (...)
  • 12 Dans la logique du réflecteur, « les informations captées sont réinvesties pour construire un portr (...)

28Ensuite, ces schémas requalifient un client qui, de « peu informé », serait devenu « curieux et anticipateur » : ces clients, depuis 1994, « ont changé » et se caractérisent en premier lieu par « une plus grande maturité d’usager sur [les] produits et services » (Naomi, Rédactrice en chef). Enfin, la dernière évolution découle des deux précédentes et singularise le discours tenu par l’opérateur à ce public ainsi que la nature de la relation instaurée entre les deux par la médiation de Pleine Ligne. Le « rapport maître-élève » qui prévalait jusqu’ici, selon le document d’archive, se transformerait en partenariat, avec un acteur de l’offre qui prétendrait connaître la situation du « client pro » auquel il s’adresse (de façon personnalisée)11. Le contrat de lecture, tel que le service de communication l’affiche, n’aurait donc plus rien de comparable avec le précédent : d’un support dont l’ambition était de prescrire (donner la leçon à un client peu informé et captif) il devient un support dont l’ambition est désormais de passer par l’étape préalable de la captation (se positionner comme un partenaire qui connaît la situation de l’autre). Avant de proposer un discours commercial à la demande, l’opérateur se place en premier lieu dans une posture de capteur d’information – en théorie, le marketing relationnel, c’est en effet d’abord de l’écoute (la flèche du bas : se renseigner sur les usages du pro). Les marketeurs étudient le marché, et investissent ensuite la connaissance ainsi sédimentée dans la mise au point de stratégies publicitaires qui s’inscrivent parmi ce que Franck Cochoy [Cochoy, 2004] appellent les dispositifs réflecteurs12.

29À cette première évolution annoncée dans le positionnement de Pleine Ligne s’en ajoute une seconde. Dès 1997, le changement de décor marchand incite l’opérateur à introduire un nouveau vocable déjà très prisé dans les milieux marketing (opérationnels et académiques) : celui de « fidélisation ».

« La fidélisation est d’autant plus essentielle que l’ouverture du marché des télécommunications en 1998 va générer des risques d’infidélité » (Institut de Sondage – Optimisation des performances de Pleine Ligne 1998-1999 »).

30La fidélisation passe par un renforcement du lien marchand, une attention constante de la part de l’opérateur pour sa clientèle. Plus qu’un transfert économique minimal entre les deux parties, c’est la relation nouée qui assure une plus-value à l’offre de l’opérateur et une justification supplémentaire, du point de vue du client, pour rester à ses côtés plutôt que partir à la concurrence. Dès lors, pour France Télécom, l’intrusion de la notion de fidélisation témoigne de la nécessité d’engager le basculement d’un capital-produit à un capital-client et de préférer à un marketing transactionnel, un marketing relationnel.

  • 13 « La fidélisation est une stratégie qui identifie, maintient et accroît le rendement des meilleurs (...)

31Il faut néanmoins attendre l’année 2001 pour que, autour du projet Pleine Ligne, se concrétisent cette ambition relationnelle et cette volonté, manifestée par France Télécom, d’introduire un programme de fidélisation de la clientèle13.

2001 : l’avènement d’un marketing relationnel

32Les services marketing de l’opérateur souhaitent désormais réfléchir en termes de « capital client » et soigner/« cocooner » les « meilleurs » d’entre eux, pour éviter qu’ils ne s’en aillent voir ailleurs. « Les meilleurs d’entre eux » ne signifie pas « les plus fidèles », mais plutôt ceux qui, parce qu’ils sont multi-équipés, génèrent le plus de valeur. Déjà formulée depuis 1998, cette ambition marketing s’affiche nettement alors que l’organisation du collectif, les savoir-faire, et les outils de l’opérateur, convergent progressivement vers un modèle « académique » du marketing relationnel [Gruen, 2005]. Aussi, à la charnière des deux siècles, les transformations du marché des télécommunications et celles, synchrones, de l’organisation de France Télécom, sont-elles une aubaine pour le comité de rédaction qui voit enfin le positionnement défendu depuis l’origine de Pleine Ligne légitimé par la discipline marketing.

33L’organisation marketing de l’opérateur va en effet évoluer une nouvelle fois et délaisser le découpage par marché – Entreprises, Professionnels, et Résidentiels – au profit d’un découpage plus disciplinaire : un service de marketing relationnel et un service de publicité média. Nous percevons à quel point, avec cette nouvelle organisation marketing chez l’opérateur, le magazine Pleine Ligne occupe théoriquement une place toute trouvée et désormais labélisée, celle qu’il brigue depuis sa création. Il s’inscrit dans un projet de marketing relationnel que les plans de communication opérationnels valident d’un point de vue organisationnel (puisque cohabitent à la fois le placement, la reconquête et la fidélisation).

« L’objectif [de Pleine Ligne], c’est un objectif de fidélisation et de cocooning, parce qu’on est dans un contexte de lecture, donc il y a le magazine de 20 pages, une information fournie, mais qui n’est pas travaillée dans des objectifs de placements directs. Les objectifs de communication du mag, c’est de travailler à la connaissance des offres, à la pédagogie de ces offres, d’inciter à la découverte de ces offres en agence ; donc en fait, on fait un travail d’incitation à la découverte. Ce n’est pas du tout de la communication hard et agressive » (Naomi, Rédactrice en chef de Pleine Ligne, 19-11-03).

34L’avènement de cette logique disciplinaire chez l’opérateur historique se traduit, dans le processus d’écriture de Pleine Ligne, par la mise en place d’un partenariat complémentaire avec une seconde agence publicitaire (Agence B) et par la multiplication des réflexions autour de l’introduction d’outils de connaissance et de ciblage de la clientèle (en premier lieu, une base de données clients). L’identité de cette seconde agence est tout sauf anodine à ce stade de l’histoire de Pleine Ligne : son directeur est en effet celui qui, outre l’écriture d’un ouvrage marketing remarqué sur le sujet, « […] a dit non au marketing de masse, et […] lance un appel à la mobilisation générale pour le One to One » (plaquette publicitaire de l’Agence B).

  • 14 Pour chaque numéro, la lettre repose sur une rhétorique similaire. Par exemple, celle du numéro du (...)
  • 15 Il suffit de considérer la position centrale occupée, quelle que soit la période, par les responsab (...)

35Si la première agence conserve la main sur la rédaction du journal, l’Agence B est invitée à participer au travail d’écriture en 2001 pour soutenir l’introduction d’un « programme fidélité » et concrétiser les ambitions relationnelles que nourrissent les membres du comité de pilotage. Cette collaboration, qui va se poursuivre jusqu’à l’arrêt de Pleine Ligne et s’étendre à d’autres supports publicitaires de l’opérateur, est censée rendre explicite la spécificité de la relation nouée en insistant sur les « privilèges » que ce dernier réserve à ses (« meilleurs ») clients. Une lettre de présentation et un carnet d’offres proposant des avantages commerciaux (notamment des réductions) sont associés au magazine et déploient toute une rhétorique de la fidélité récompensée. Sur la lettre, le client peut ainsi lire « Pour vous remercier de votre confiance nous vous réservons le meilleur », « Vous faites partie de nos meilleurs clients et nous souhaitons vous remercier d’avoir choisi Ma Ligne France Télécom ». Sur le carnet d’offres est ajouté : « Découvrez vite les offres que nous vous réservons tout spécialement » ou, plus explicite encore, « Votre fidélité remerciée ! » (Pleine Ligne)14 . L’ajout de ces deux imprimés supplémentaires satisfait ainsi aux deux impératifs marketing permanents depuis l’origine du projet Pleine Ligne : outre son apport d’un point de vue relationnel et de la fidélisation de la clientèle, ce supplément assure également une tribune à la promotion des offres en valorisant deux ou trois d’entre elles dans un espace extérieur au magazine (les coupons d’offres)15.

36Au cours de cette dernière période, s’il est bien un discours que la totalité des acteurs impliqués partagent, c’est celui-ci : l’efficacité de l’outil ne se réduit surtout pas à la mesure de sa rentabilité du point de vue de la carrière des offres qui y sont présentées.

« Sur la presse, c’est un travail de fond. Un magazine, c’est vraiment un travail de fond. On instaure vraiment une relation dans le temps » (Louise, Rédactrice en chef de Pleine Ligne, 09-12-03).
« - Mais si tu veux c’était quelque chose qui n’était pas rentable et dont le bénéfice est difficilement mesurable. Parce que si tu lis un article, bon voilà, à court terme …
-En fait oui, c’est ça, il y a deux choses. Il peut y avoir un vrai impact relationnel qu’on ne peut mesurer que difficilement et, après, des impacts financiers, économiques, en termes de vente. Aujourd’hui la situation à FT dans laquelle ils sont depuis quelques années fait qu’ils regardent la rentabilité à court terme. Donc la décision a été prise que ce programme allait être arrêté parce qu’il ne générait pas suffisamment de chiffres d’affaire. Voilà, c’est tout, c’est aussi basique que ça… Ce qui ne veut pas dire qu’effectivement ça n’avait pas un rôle dans la relation… Ils ont voulu s’orienter vers une rentabilité à court terme ; l’image à long terme n’était pas prioritaire, alors que Pleine Ligne, c’est la relation, l’image de marque » (Paul et Charline, Responsables du dossier Pleine Ligne pour l’Agence de communication B, 18-05-05).

37« [Pleine Ligne ] ne rapporte pas d’argent », « Fidéliser les clients », « pas rentable », « bénéfice difficilement mesurable », « travail de fond », « relation dans le temps », « impact relationnel », « Pleine Ligne, c’est la relation, c’est l’image de marque » : parce qu’il échappe à une métrologie de l’efficacité centrée sur la rentabilité immédiate, ce courrier fuit un cadre de contrôle qui serait autre que celui, technique et dogmatique, que les professionnels publicitaires s’imposent à eux-mêmes.

Se détacher de la force de vente : vers un ciblage centralisé de la clientèle

38Si la mise en œuvre d’un programme relationnel assumé et légitime s’accompagne de l’introduction d’un nouveau participant dans le collectif d’écriture en 2001, elle repose également sur la mise en retrait de la dimension régionale de Pleine Ligne et l’introduction concomitante d’outils de marketing direct spécifiques susceptibles de transformer les modalités de circulation du magazine et du client. Ces outils permettent aux services centraux de l’opérateur de reprendre la main, ou plutôt de la retirer à la force de vente pour la donner à d’autres spécialistes chargés d’incarner/de conférer une substance à la clientèle. En basculant d’une délégation (force de vente) à l’autre (experts de la connaissance client), les services de communication s’autonomisent en introduisant de nouveaux outils (notamment la base de données clients) qui répondent aux exigences pragmatiques d’un marketing s’affichant comme « relationnel » tout en se passant de relations directes avec la clientèle. En d’autres termes, se plier aux règles d’un marketing relationnel, c’est paradoxalement s’efforcer de se détacher des réseaux physiques, des relations humaines, c’est-à-dire désincarner les publics pour s’attacher à d’autres spécialistes de la connaissance clients et traduire ces derniers en signes et en modèles plus facilement appréhendables.

39Dans sa forme « adressée » et relationnelle, le marketing direct appelle en effet à la constitution de bases de données sur lesquelles l’entreprise s’appuie alors qu’elle cherche à définir le profil des prospects à qui vont être envoyés les mailings et adressées les promotions. La consigne est très claire : « Vous [les annonceurs] devez vraiment vouloir agir en fonction de ce que vous avez appris sur les besoins individuels de chacun de vos clients » (Brochure publicitaire de l’Agence B). De fait, non seulement le marketing direct est devenu de plus en plus l’affaire d’informaticiens et de statisticiens [Manuel et Xardel, 1989], mais son développement est aussi largement conditionné par le développement technologique [Michon, 2003 ; Desmet, 2001]. Deux options s’offrent désormais aux entreprises : louer (ou acquérir) un fichier ou constituer et enrichir leurs propres bases de données. À partir de ces bases, les services marketing doivent en théorie opérer des segmentations, préciser le ciblage des actions qu’ils souhaitent mettre en œuvre, passant ainsi d’un marketing indifférencié – un même produit pour tout le marché – à différents degrés de ciblage et de segmentation. France Télécom ne déroge pas à cette tendance disciplinaire.

« Il faut constituer une base en national. À partir du moment où on a décidé d’avoir un véritable plan de communication relationnel géré par l’opérateur, il fallait une base. C’est un premier aspect et puis, après avoir constitué la base client et bien il va falloir réfléchir à ce qu’on compte faire. Et ce qu’on compte faire, c’est beaucoup de travail, même si c’est vrai qu’il y a un des piliers fondateurs qui est le magazine et après, bon, on doit travailler à tout ce qui va l’accompagner » (Naomi, Rédactrice en chef de Pleine Ligne, 19-11-03).

40L’introduction, laborieuse, d’une base de données clients stratégiques (pour l’univers du fixe), assure aux marketeurs un accès direct à une clientèle à cibler, mais aussi à connaître. Cette base favorise la stabilisation d’une segmentation sur laquelle appuyer l’envoi des imprimés. Elle autorise également tout un travail d’analyse qui procède d’un emprunt du marketing à d’autres courants disciplinaires, au premier rang desquels figure celui de la sociologie des usages. Nous sommes dans le cadre d’une connaissance moins centrée sur la communication et ses effets (post-tests marketing classiques) que sur la situation (consommation et utilisation) des clients auxquels l’opérateur s’adresse.

41L’espoir que suscite l’exploitation d’une telle base en termes d’opportunités de connaissance et de ciblage de la clientèle se nourrit en outre de références, d’anecdotes, de récits propres à la discipline marketing, de ceux qui participent de l’imposition d’un paradigme.

« Il nous faut améliorer le ciblage. Parce que tu vois, il y a un type qui s’occupe de la base pro qui nous disait que chez X, ils ont une telle façon de cibler, une telle connaissance de la clientèle, enfin, une telle présence de marque, qu’en fait, 80 % de leurs mailings sont lus. Tu vois, 80 % des gens qui reçoivent le mailing le lisent. Donc c’est quand même vachement bien. Alors que nous, sur les mailings on est à 25 %. Encore, 25 % pour le dernier, celui d’avant, en fin de l’été, on était à 4 % ! » (Gabriel, Marketeur-Ciblage France Télécom, 19-11-03)

  • 16 À l’époque, le travail en question a été réalisé par des sociologues du laboratoire SUSI de France (...)

42Pas question ici, pour comprendre les modalités de réception d’un message publicitaire, d’en référer à la nature du marché et des produits présentés. « Une telle façon de cibler », « une telle connaissance de la clientèle » : avec un ciblage performant et une circulation de l’objet publicitaire maîtrisée, tout devient immédiatement plus simple pour le message. Aussi l’exploitation de cette base a-t-elle non seulement mobilisé un service marketing dédié au ciblage de la clientèle sur le marché Pro, mais aussi été confiée à d’autres experts de ce marché présents dans l’organisation : ils ont eu pour mission de partir des usages de télécommunication des pros (en fonction notamment de leur environnement marchand) et d’étudier le profil de ces clients pour parvenir à des typologies exploitables d’un point de vue commercial16.

43L’autonomisation des services de communication se traduit dès lors par une personnalisation des messages qui délaisse la logique territoriale du modèle précédent pour considérer plus attentivement le profil des récepteurs-usagers. Cette logique de ciblage « personnalisé », malgré la constitution d’une base et la stabilisation de typologies de la clientèle susceptibles d’être exploitées, n’a pas pu, sur le dossier Pleine Ligne, être menée à terme.

« Pour le premier numéro [auquel l’agence a collaboré], on avait intégré un questionnaire, pour essayer effectivement de mieux connaître nos clients ; le questionnaire devait alimenter, qualifier la base de données des CSF (clients stratégiques du fixe) qui devait être montée en parallèle. Et qui, au final, aujourd’hui n’est pas exploitée puisque Pleine Ligne est terminé, il n’y a plus de programme privilège destiné aux CSF. Moi cette base client je ne l’ai jamais réellement vue construite, et donc on n’a jamais vraiment travaillé en termes de stratégie de communication, segmentée, à partir de ça » (Charline, Responsable du dossier Pleine Ligne pour l’Agence de communication B, 18-05-05).

44En dépit d’une convergence tardive entre les savoirs et les savoir-faire marketing chez l’opérateur, la fin de carrière de cet imprimé intervient au cours de l’année 2004. Tout de marketing relationnel qu’il est paré, le magazine Pleine Ligne n’en demeure pas moins un support coûteux, dont la hiérarchie attend des résultats tangibles. Autrement dit, quitte à se rendre dans un « au-delà comptable » pour investir des franges que les doctrines marketing privilégient sans pour autant les rendre mesurables, mieux vaut concevoir des outils moins onéreux que ne peut l’être un magazine de vingt pages dont la réalisation s’étend, en outre, sur plus de trois mois.

CONCLUSION

  • 17 Le rattrapage marketing de l’opérateur France Télécom, pour être complet, devrait être rattaché au (...)

45Largement étudiées, les années de « rattrapage téléphonique » sont souvent présentées comme des années « glorieuses » chez l’opérateur, avec un impératif, le développement du parc téléphonique perçu comme « un défi » technique [Alter, 1989, p. 366]. Le rattrapage marketing de l’opérateur reste, lui, dans l’ombre. Moins spectaculaire17, il délaisse l’enjeu public national pour l’enjeu privé d’un opérateur désormais en concurrence. Pleine Ligne apparaît dans ce cadre comme un cas paradigmatique témoignant de ce rattrapage, de cette mue marketing de France Télécom, avec l’implantation d’un nouveau discours et de nouvelles pratiques associées à l’avènement de plusieurs courants disciplinaires, notamment le marketing relationnel.

46La traduction organisationnelle de cette implantation marketing renvoie aux redimensionnements du collectif de conception : dans un premier temps, associant le comité de rédaction de France Télécom, une agence publicitaire et les réseaux de distribution de l’opérateur, ce collectif sacrifie, à partir de 2001, la dimension régionale de la revue et le soutien des forces de vente, pour privilégier le partenariat avec une seconde agence publicitaire et la mise en place d’outils de ciblage nationaux. Les choix marketing de l’opérateur et les opérations d’attachement-détachements au sein du collectif nous permettent ainsi d’observer une dynamique de la main chaude déjà identifiée par les sociologues et historiens du marché [Cochoy, 1999] : les marketeurs publicitaires, d’abord tributaires des professionnels au contact de la demande, souhaitent obtenir durant cette décennie leur indépendance vis-à-vis du commerce. Il ne s’agit plus, comme pour les industriels au début du XXe siècle, de court-circuiter l’influence de détaillants qui n’appartiennent par nécessairement à la marque et ne rendent pas service au produit [Martin, 1992], mais d’assurer la définition d’une relation client qui ne soit pas uniquement rabattue sur des critères géographiques et prise en charge par les vendeurs. La lutte entre industriels et détaillants autour de la valorisation des produits laisse place à une lutte entre marketeurs et vendeurs autour de la qualification de la relation aux clients. C’est la légitimité d’une expertise qui est en jeu, la reconnaissance de savoirs et de savoir-faire spécifiques à un marketing désormais capable de maîtriser, seul, la dimension relationnelle des marchés.

47L’histoire de Pleine Ligne montre également à quel point la dimension relationnelle du marketing mise en œuvre ici déborde largement des cadres académiques élaborés par le marketing comme discipline. Pleine Ligne traduit un projet relationnel bien avant que soit appliqué le paradigme du même nom, pour trois raisons au moins. D’abord, parce que la totalité des imprimés publicitaires envoyés chez les consommateurs trahissent une ambition relationnelle, que le client soit à capter ou à préserver des tentatives de captation concurrentes. Dans le premier cas, l’annonceur manifeste sa volonté d’ouvrir une brèche, d’imposer une pré-séquence, et le courrier publicitaire s’apparente alors à une carte de visite facilitant la prise de contact [Mallard et Ville-Eber, 2008]. Dans le second cas, l’annonceur profite de l’envoi publicitaire pour afficher ses sentiments à sa clientèle. La démarche même de cet envoi (nous pensons à vous) compte sans doute davantage que son résultat immédiat (pensez à nous). Ensuite, parce qu’à la relation avec les clients s’ajoutent toutes les relations tissées avec les partenaires-ressources nécessaires à l’accomplissement du projet. Ainsi, les liens prolifèrent autant sur la scène marchande que dans ses coulisses et la première version marketing de Pleine Ligne est de ce point de vue au moins autant relationnelle que la seconde. Enfin, parce que les concepteurs de la revue préservent tout au long de la décennie la permanence d’une seule et même ambition marketing. Dans la volonté de ciblage, de double circulation du client et de la revue, dans les débats autour du positionnement de Pleine Ligne, on comprend rapidement que le comité n’a pas attendu le marketing relationnel pour en faire. La performativité des théories sur les pratiques atteint ici une de ses limites, notamment lorsque les praticiens anticipent les formulations des théoriciens, ces dernières venant davantage renforcer, légitimer et labéliser des orientations déjà privilégiées sur le terrain.

Notes

1 « Pour Yves Alexandre [un publicitaire réputé du milieu du XXe siècle], la publicité, c’est un ersatz. Un commerçant, un industriel, un négociant font de la publicité parce qu’ils ne peuvent aller à domicile voir tous les clients éventuels […] la publicité est donc un ersatz de ce que l’on dirait de vive voix » [Bruneau, 1956, p. 85].

2 Le marketing relationnel est un paradigme qui vise à fidéliser le client par la création d’une relation offrant à ce dernier davantage que les éléments objectifs de la transaction. L’acquisition d’un nouveau client étant de plus en plus onéreuse, le conserver est devenu une priorité pour l’entreprise. Le marketing relationnel est justement censé entretenir ce lien entre l’entreprise et son capital clientèle. S’établit ainsi un découpage fondateur entre le marketing transactionnel et le marketing relationnel [Desmet, 2001]. Le portefeuille client remplace le portefeuille produit en tant qu’actif principal de l’entreprise. Cette dernière se doit donc, théoriquement, d’être pilotée par l’aval, et c’est la qualité de cette relation avec le client qui devient sa véritable richesse, son véritable capital. Le savoir-faire de la production doit donc absolument s’accompagner d’un savoir-faire dans la gestion de l’information et des connaissances (cf. le knowledge management).

3 « Cahier des charges Revue pour la clientèle professionnelle Plus », CPC, 10-11-93.

4 Dans ces études, le profil de cette clientèle est déjà largement esquissé. Le « client Pro » [a] n’est pas un expert ; [b] il a une faible connaissance de l’offre de France Télécom et ne la relie pas à ses besoins ; [c] il est peu impliqué a priori dans les télécommunications et ne perçoit pas bien ce qu’elles peuvent lui apporter ; [d] il considère les communications comme un coût ; [e] il veut que ça marche, il en attend un gain de temps, d’efficacité et de rentabilité ; [f] il n’est pas disponible, ne veut pas se préoccuper de technique, ne veut pas consacrer du temps à l’achat, l’installation, à l’apprentissage.

5 L’auteur de cette note est un membre des services marketing de l’opérateur important à double titre : non seulement, il fut l’un des principaux protagonistes à porter le projet Pleine Ligne jusqu’à sa création, mais c’est également celui qui a composé le dossier auquel nous nous référons dans cette section.

6 Le marché professionnel est déjà bien connu des services marketing de l’opérateur. Pour autant, à cette époque et malgré l’introduction d’outils marketing plus performants, le « client pro » reste défini par défaut. L’opérateur n’a en effet aucun fichier pro et procède pour le définir principalement par la négative (ce ne sont ni les clients du fichier X, ni ceux du fichier Y…).

7 Le directeur commercial est à la tête de la Direction Commerciale de France Télécom. La nouvelle organisation de cette direction, fondée en 1994, s’appuie sur une spécialisation par grands marchés. Sont ainsi créés, sous l’autorité du directeur commercial, trois services marketing et vente : Entreprises (MVE), Professionnels (MVP), et Résidentiels (MVR). « Ces services ont pour objectif principal de développer de manière rentable la position commerciale de France Télécom sur leurs marchés respectifs et de protéger les parts de marché dans le cadre de l’ouverture à la concurrence » (Relevé de décisions, Directeur général, 8 avril 1994).

8 Les ONS commerciaux [Organismes Nationaux de Soutien] sont les interlocuteurs privilégiés des régions. Ils assurent l’animation du réseau commercial et le soutien de la communication auprès des régions et des agences, à partir des actions préconisées par CPC.

9 Pleine Ligne est alors présenté comme « le magazine trimestriel des solutions France Télécom. Il vous informe sur la vie des télécommunications et sur les nouveautés disponibles dans votre Agence professionnelle » (Plaquette Mars 1997).

10 Document Interne Pleine Ligne 1998/Division clientèle Professionnelle Comparaison 1997/1998, p. 20.

11 Fabrice Van Kote, un des responsables marketing de l’opérateur, qualifie le changement de ligne éditoriale dans le journal « Télécho de mars/avril n° 49 » en isolant lui aussi ces différentes évolutions : « Le repositionnement de Pleine Ligne [format plus étroit, plus pratique, rubriques enrichies et plus informatives] était devenu nécessaire, tout simplement parce que nos clients ont eux aussi évolué. La concurrence, de plus en plus présente, a également eu un poids important dans notre décision de changement. […] Nous nous sommes aperçus que le magazine était de moins en moins lu par ses lecteurs comme un magazine d’information, mais plutôt comme un document commercial ».

12 Dans la logique du réflecteur, « les informations captées sont réinvesties pour construire un portrait, un modèle, un effet de miroir, dans lequel la cible se reconnaît plus ou moins et vers lequel elle se dirige sans avoir l’impression de se déplacer, puisqu’il s’agit pour elle de revenir à soi » [Cochoy, 2004, p. 37].

13 « La fidélisation est une stratégie qui identifie, maintient et accroît le rendement des meilleurs clients au travers d’une relation à valeur ajoutée, interactive et axée sur le long terme ». Parmi les outils favorisant un tel programme marketing, les magazines proposés aux clients fidèles figurent en bonne place [Benavent et Meyer-Waarden, 2004].

14 Pour chaque numéro, la lettre repose sur une rhétorique similaire. Par exemple, celle du numéro du printemps 2003. « Tout client important est en droit d’attendre d’une entreprise des marques d’attention particulières […] Nous avons parfaitement compris vos exigences […] Ce numéro de Pleine Ligne est l’occasion de vous le prouver. Nous allons vous faire gagner du temps, vous proposer de réduire votre facture, vous permettre de tester de nouveaux services gratuitement, en découvrant nos offres privilégiées » (Lettre Pleine Ligne – Mars/avril 2003).

15 Il suffit de considérer la position centrale occupée, quelle que soit la période, par les responsables produits (chargés de défendre les intérêts de leur progéniture) dans les rouages de l’écriture de Pleine Ligne pour comprendre combien le marketing, tel qu’il est pratiqué par l’opérateur dès 1994, croise sur ce projet enjeux transactionnels et relationnels.

16 À l’époque, le travail en question a été réalisé par des sociologues du laboratoire SUSI de France Télécom Recherche et Développement, spécialistes de ce marché.

17 Le rattrapage marketing de l’opérateur France Télécom, pour être complet, devrait être rattaché au début des années 1980 : même si le domaine marchand y est encore largement contraint par le domaine technique, l’élite dirigeante de la DGT se convertit progressivement au management et confère une place prépondérante aux principes de rationalité économique. On assiste donc à un transfert progressif du technique vers le commercial [Hochereau, 2003 ; Warin, 1997, p. 16] qui se traduit notamment par la multiplication des formations aux nouvelles exigences du métier commercial [Lagrevol, 1990, p. 117]. L’anticipation de l’ouverture à la concurrence ou encore l’introduction de biens tels que le Minitel sur le marché vont largement accélérer cette prise en compte du marketing et alimenter le souci de l’opérateur de penser la relation marchande.

Table des illustrations

URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1799/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 67k
Légende Figure 1 : le repositionnement de Pleine Ligne dans la relation entre l’opérateur (émetteur) et ses clients (récepteurs) – schémas tirés d’un document marketing interne10.
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1799/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 59k

© Presses des Mines, 2014

Licence OpenEdition Books

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search