Postface
p. 329-330
Texte intégral
1Un courant de pensée très dynamique s’est récemment développé autour des relations entre humains et animaux. Progressivement, des sociologues, des anthropologues, des géographes, des historiens, des philosophes, des éthologues, souvent jeunes, documentent la diversité mouvante et quasi infinie de ces relations et leur importance dans et pour les sociétés humaines. Une « ethnographie multispécifique » se constitue ainsi, à laquelle le travail de Jérôme Michalon apporte une importante contribution.
2Que dit ce courant de pensée ? Que nous avons besoin d’autres êtres, et notamment d’animaux, pour devenir humains et le rester. Le propos est fort. Nous avions depuis longtemps cessé d’être au sommet de la Création pour devenir une espèce parmi d’autres. Nous avons désormais besoin d’autres espèces pour être pleinement humains. C’est une étape supplémentaire dans la désacralisation du statut de l’humanité et dans son insertion dans une communauté diversifiée de vivants. Puisque les hommes seuls ne suffisent pas à faire des sociétés humaines, les chercheurs en sciences sociales doivent étudier les assemblages hybrides qu’ils forment avec d’autres êtres, en particulier les assemblages « humanimaux ». Ce faisant, ils renouvellent la compréhension de ce qu’être humain veut dire.
3L’approche est résolument relationnelle. Elle pose que la relation préexiste aux êtres, qu’elle les fait advenir et les transforme, qu’elle les instaure. L’ouvrage de Jérôme Michalon témoigne de l’impossibilité de décider qui prend soin de qui, la personne humaine qui brosse le chien, ou le chien qui se laisse patiemment brosser. Il y a une réciprocité du care. C’est aussi la conviction de celles et ceux qui entendent aider des humains en souffrance par le contact avec des animaux. Ils pensent que la relation à l’animal peut apporter un mieux être, durablement ou au moins passagèrement, et s’efforcent d’établir cette relation. Jérôme Michalon a pris leur travail au sérieux et a présenté au lecteur leurs pratiques, leurs dispositifs, leurs « trucs », leurs essais, leurs apprentissages et leurs difficultés. Car ce travail est difficile et contesté. Souvent, l’humain et l’animal passent à côté l’un de l’autre sans se voir et s’intéresser. Ils s’ignorent ; ils se ratent. Comment produire, reproduire et prolonger le petit miracle qu’est une rencontre interspécifique réussie ? Et comment démontrer ses bénéfices à ceux qui n’y ont pas assisté ? Parfois, les thérapeutes sont sûrs que la rencontre a eu lieu et qu’elle a agi, parce qu’ils ont vu un visage s’éclairer, un buste affaissé se redresser ou un corps crispé se détendre. Mais ils peinent à « capturer » et à rendre public ce moment fugitif et privé, que la médecine des preuves et son exigence de protocoles standardisés et d’essais cliniques randomisés renvoient au rang d’anecdotes.
4Jérôme Michalon a apporté un grand soin à son propre travail de chercheur. Il a observé des interactions singulières entre les thérapeutes, les personnes en souffrance et les animaux avec beaucoup de respect et une attention extrême aux détails, décrivant les gestes, les déplacements, les regards, les sons, les silences, les lieux et les ambiances. La question des relations entre humains et animaux lui tient à cœur ; il la travaille et elle le travaille depuis des années. Il y a, là aussi, une forme de care . Et une belle leçon de slow science.
Auteur
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