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Gérer et comprendre l’open source

 | 
Nordine Benkeltoum

Partie IV. L’innovation dans les régimes de l’open source : compenser les défaillances de l’offre marchande

Texte intégral

I - L’ÉTAT DE L’ART SUR LA USER INNOVATION ET L’ÉVALUATION DE L’INNOVATION DANS L’OPEN SOURCE

1. De la user innovation aux communautés open source

L’identification des utilisateurs comme source d’innovations

  • 1 (von Hippel, 1988)

1Von Hippel a été l’un des premiers auteurs à défendre l’idée que les « innovations produits » n’étaient pas seulement développées par les fabricants originels de ces derniers. En s’intéressant à l’origine de 253 innovations dans 9 industries (instruments scientifiques, semi-conducteurs, etc.), von Hippel a démontré empiriquement que les sources des innovations pouvaient être multiples1. Ainsi, il en a identifié trois principales : les fabricants, les fournisseurs et les utilisateurs. Von Hippel a montré qu’il y avait une variation des sources d’innovations en fonction des industries étudiées. Il expliquait cette variation par le fait que les innovations sont développées par ceux qui en attendent le plus grand bénéfice.

  • 2 (von Hippel & Katz, 2002 ; Franke & von Hippel, 2003b)

2Le principal apport des recherches menées par von Hippel est l’identification d’innovations proposées par des utilisateurs ou ce qu’il nomme les « user innovations ». Grâce à cette étude, von Hippel introduisit le concept de « lead user » permettant de prédire la source d’une innovation. La technique du lead-user consiste à identifier les utilisateurs ayant deux caractéristiques particulières : ils ont des besoins qui deviendront généraux sur le marché des mois ou des années plus tard ; ils obtiennent une solution à leurs besoins. Lorsque les lead-users sont identifiés tout ce qu’il reste à faire est de les aider à générer des innovations. Dans des recherches plus récentes, von Hippel propose de transférer les activités de conception aux utilisateurs via des « toolkits2 ».

Le rôle des utilisateurs dans la définition d’une offre radicalement innovante

  • 3 (Scheid, 2009)
  • 4 (Scheid, 2007)
  • 5 Ibid.

3Récemment, Scheid3 a soutenu une thèse portant sur l’implication des utilisateurs dans un processus de conception d’une offre logicielle sur mesure mais dans le domaine du logiciel fermé. Il a étudié ce phénomène par le biais du suivi longitudinal de plusieurs projets d’une firme spécialisée dans le text mining, un domaine permettant d’extraire du contenu textuel et de réaliser différentes opérations de traitement par le biais d’outils sémantiques4. La firme propose une gamme de produits que Scheid considère comme innovante pour deux raisons : cette offre résulte de la combinaison d’algorithmes d’analyse sémantique et statistique et elle introduit une rupture dans les usages5.

  • 6 Ibid.
  • 7 (Garcia & Calantone, 2002)

4Scheid souligne également que le suivi longitudinal de deux projets lui a permis de « voir émerger une offre innovante unique : le couplage d’un logiciel d’extraction (ESoft) et de catégorisation de l’information (Ksoft) avec un logiciel de gestion de base de connaissance (ASL), destiné au secteur dupublishing6. » Il considère cette combinaison de solutions comme une innovation radicale. Pourtant, le couple « radical/incrémental » introduit une forte subjectivité du fait de la prédéfinition de ce qui est considéré comme radical et incrémental. Plus généralement, il existe de multiples terminologies et celles-ci font l’objet de débats quant à leur définition7. Il faut aujourd’hui avoir une approche de l’innovation limitant la hiérarchisation arbitraire des types d’innovations car celle-ci conduit à une réelle orientation des résultats des recherches. Dans l’industrie informatique, il est spécifiquement nécessaire d’avoir une typologie de l’innovation contingente permettant de catégoriser l’innovation à la fois ex-post et surtout ex-ante : c’est-à-dire une typologie capable d’identifier le type d’innovation au moment de la définition du concept du logiciel et non une fois que celui-ci est vendu ou plus généralement mis à disposition des utilisateurs.

  • 8 (Scheid, 2007)

5Dans le cas développé par Scheid, les utilisateurs ne codent pas mais ils sont réellement acteurs du processus de définition de l’offre par le biais de l’expression de leurs besoins en n’hésitant pas à faire appel à plusieurs firmes. Toutefois l’auteur souligne qu’il n’est pas vraiment possible de parler de communauté d’utilisateurs car les utilisateurs ne disposent pas des connaissances nécessaires leur permettant de modifier le logiciel8.

Les conditions de l’émergence de communautés d’utilisateurs indépendantes

  • 9 (von Hippel, 2001)

6La démocratisation d’Internet a donné naissance à de nouveaux régimes de production de biens informationnels. Dès lors, les recherches de von Hippel ont constitué un cadre de plus en plus pertinent pour expliquer ce phénomène. Trois conditions facilitent les communautés d’utilisateurs : les utilisateurs doivent avoir suffisamment de motivations pour innover ; les utilisateurs doivent partager leurs innovations ; les innovations conçues doivent pouvoir faire concurrence à leurs alternatives commerciales9. Les communautés impliquées dans le développement de logiciels libres rassemblent ces trois conditions.

Condition 1 : la motivation pour innover

  • 10 (MacCormack et al., 2006)
  • 11 (Scheid, 2007)
  • 12 (MacCormack et al., 2007)

7Avec le logiciel libre, le bénéfice attendu des modifications est supérieur au coût de ces améliorations. Cette situation est notamment due au fait que les logiciels libres ont une structure modulaire permettant des modifications avec un impact réduit sur la structure du logiciel10. Cette modularité assure en grande partie la coordination entre les développeurs. La modularisation est une pratique bien connue et bien établie dans l’industrie informatique. Cela correspond à « la décomposition d’un système complexe en sous-systèmes quasi autonomes, pouvant être conçus de manière indépendante11. » La comparaison de la modularité de cinq couples de logiciels libres et fermés a montré que pour quatre des cinq couples, les logiciels libres avaient une structure plus modulaire que les logiciels fermés12.

Condition 2 : le partage des innovations

  • 13 (AlMarzouq et al., 2005)
  • 14 (Henkel, 2003a)

8L’ouverture du code des logiciels libres est considérée comme une incitation au partage de l’innovation13. Pour Henkel, la General Public Licence (GPL) est un outil permettant aux utilisateurs ce partage14.

Condition 3 : le caractère concurrentiel des innovations

9Du fait que le logiciel a la nature d’un bien informationnel cela implique plusieurs éléments : il s’agit d’un bien non rival son utilisation ne donc provoque pas sa destruction ou sa dégradation ; cela signifie également que le logiciel peut être distribué à un coût quasi nul.

2. Les limites de la littérature sur l’évaluation de l’innovation des logiciels libres

La confusion entre processus innovant et produit innovant

  • 15 (Klincewicz, 2005)
  • 16 (Rossi, 2009)
  • 17 (Dahlander & Wallin, 2006)
  • 18 (Bonaccorsi et al., 2006)
  • 19 (Kogut & Metiu, 2000)
  • 20 (von Hippel, 2002)
  • 21 (von Hippel & von Krogh, 2003)
  • 22 (Stuermer et al., 2009)
  • 23 (Stuermer et al., 2009)
  • 24 (Stuermer et al., 2009)
  • 25 Les auteurs parlent eux-mêmes de « generic frameworks » (Stuermer, Spaeth et von Krogh, 2009 : 185)

10La plupart des chercheurs considèrent que les produits open source sont innovants car leur processus de conception est innovant et emploient de manière synonyme les termes open source development et open source innovation : le risque étant d’utiliser le mot « innovation » comme par effet de mode15. Ainsi, pour certains le logiciel open source représente en lui-même une « disruptive innovation16 », un cas extrême d’« open innovation17 » et même une « radical innovation18 ». Ce mode de développement, aux participants géographiquement dispersés, a été qualifié de « E-Innovation19 », de « réseaux d’innovation par et pour des utilisateurs20 » ou encore de « Private-Collective Model » où les participants utilisent leurs propres ressources pour constituer un bien collectif21. Plus récemment ce modèle a été étendu aux communautés hybrides mettant en relation une firme (Nokia), des partenaires et des développeurs bénévoles22. Le problème avec ce modèle est qu’il n’y a pas de distinction entre ce qui est innovant, ce qui l’est moins et ce qui ne l’est pas. Par exemple, Nokia propose à des entreprises concurrentes d’utiliser sa plate-forme. Les auteurs parlent de diffusion de l’innovation ou « spreading the innovation23 » alors que le phénomène mis en évidence n’est pas le partage d’innovation mais d’un socle technologique générique sur lequel Nokia ne crée pas de valeur. Nokia préfère garder le contrôle sur la couche haute des applications et elle ne partage pas à ce niveau. La raison est que c’est spécifiquement sur cette partie haute qu’elle produit de la valeur. Ce cas est typiquement similaire à la stratégie des intégrateurs comme Thales dans le domaine du middleware. Pour preuve, un membre de Nokia interrogé par les auteurs souligne que la base de code générique de Nokia a été réutilisée par un concurrent de Nokia. Toutefois, il ajoute que : « notre truc n’était pas si révolutionnaire24. » En d’autres termes, la notion d’innovation est employée ici pour décrire des portions de code génériques25 n’ayant pas grand-chose d’innovant. La notion de private-collective innovation a donc une sérieuse limite dans la mesure où elle considère tout comme une innovation et cela au même niveau.

  • 26 (Hicks & Pachamanova, 2007)
  • 27 (Lee & Cole, 2003)
  • 28 (Franke & von Hippel, 2003a)
  • 29 (Osterloh & Rota, 2007)
  • 30 (Deek & McHugh, 2007)

11De nombreux auteurs considèrent toute modification de logiciel comme une innovation. Ainsi, le retour des modifications réalisées par des utilisateurs sur le code d’un logiciel libre est considéré comme un phénomène de propagation d’innovation utilisateurs26. Une étude du développement du noyau Linux a montré que les développeurs avaient deux fonctions : une fonction d’assurance qualité et une fonction innovation. Pour l’innovation, les développeurs suggèrent de nouvelles fonctions ou écrivent des correctifs27. Dans les domaines où les besoins sont très hétérogènes, il est plus pertinent de donner la possibilité aux utilisateurs de satisfaire leurs propres besoins grâce à un innovation toolkit plutôt que d’essayer de trouver une solution aux besoins moyens avec quelques produits28. De même, Osterloh et Rota soulignent que du fait que le logiciel est un produit informationnel, les activités de production et d’innovation sont pratiquement confondues29. Enfin d’autres défendent l’idée que le paradigme de l’open source favorise l’innovation30.

L’analyse des études sur l’évaluation des logiciels libres

Les évaluations basées sur des études de cas

  • 31 (Tuomi, 2005)

12D’après Tuomi, l’idée que le logiciel libre est plus innovant que le logiciel non libre est intéressante mais elle dépend largement de ce « que l’on entend par innovation ». Si l’on se place du point de vue de l’innovation produit, Linux doit davantage être considéré « comme un projet d’ingénierie et d’implémentation » que comme une réelle innovation. En effet Linux est basé sur l’architecture Unix qui était innovante au début des années 197031. L’évaluation proposée est très sommaire et uniquement basée sur le cas Linux donc difficilement généralisable à l’ensemble des logiciels libres.

  • 32 (Deek & McHugh, 2007)

13Plus récemment, l’évaluation de l’innovation des logiciels libres en tant que produit fut posée en ces termes : « est-ce que l’open source est innovant ou imitatif » ? D’après Deek et Mchugh : « la réponse est un peu des deux32 ». D’un côté, il y a des logiciels libres étant seulement des imitations de logiciels fermés existants. D’un autre côté, le logiciel libre est la source de la plupart des innovations rendant la création d’internet possible. Toutefois, bien que leur argumentation semble juste, ils ne montrent pas comment faire la distinction entre ce qui est innovant et ce qui ne l’est pas. De plus, ces auteurs ne font pas une distinction claire entre les logiciels initiés par des utilisateurs-développeurs (exemple : Linux Kernel, BitTorrent), ceux qui ont été libérés (exemple : Mozilla, OpenOffice.org) et ceux issus de la recherche fondamentale (exemple : Apache Web Server, TCP/IP).

Les études quantitatives sur l’évaluation de l’innovation des logiciels libres

  • 33 (Klincewicz, 2005)

14Klincewicz a réalisé une étude portant sur les 500 logiciels les plus actifs de SourceForge reposant uniquement sur sa propre évaluation. Plus particulièrement, Klincewicz « se focalise sur l’importance des modifications pour le produit entier, perçu par les individus développant le projet33. » La première limite de cette étude est que la base d’évaluation repose sur la description faite par les concepteurs, de ce fait, les concepteurs sont en quelque sorte « juge et partie ». Comment peut-on analyser l’innovation d’un produit uniquement à partir d’informations fournies par les concepteurs de celui-ci ?

  • 34 (Dahlin & Behrens, 2005)

15Klincewicz base son auto-évaluation sur les travaux de Dahlin et Behrens, en ce qui concerne l’identification des innovations radicales. Ces derniers soutiennent l’idée qu’une technologie radicalement innovante est réussie si elle est : « nouvelle ; unique et a un impact sur les technologies futures34 ». Selon Klincewicz, le critère de nouveauté et le caractère unique est satisfait si aucune fonctionnalité comparable n’existait avant la date du lancement du produit. Klincewicz a ajouté la dimension de plate-forme car certains logiciels sont développés spécifiquement pour une plate-forme. Klincewicz a utilisé la grille reproduite ci-après pour évaluer les innovations.

Tableau 17 : Grille d’évaluation de l’innovation (Klincewicz, 2005)

  • 35 (Hargadon & Sutton, 2000 ; 2003)
  • 36 (De Hoefer, 1858)

16Cette grille présente d’importantes limites. La première concerne la notion de « marché » : il n’y a pas vraiment de marché pour le logiciel libre puisque la plupart sont distribués gratuitement par leur concepteur et peu sont vendus en tant que tel. La seconde limite concerne la nature de l’invention radicale. Klincewicz considère comme une innovation de rupture l’application d’une nouvelle technologie pour une nouvelle plate-forme en créant un nouveau marché. Il convient de se demander ce qu’est une nouvelle technologie. Comment la reconnaît-on ? Dahlin et Behrens proposent deux critères : cette technologie doit être nouvelle et unique. Cependant, cette définition pose le problème de la définition de la base de comparaison permettant de certifier qu’elle est nouvelle et unique. La notion d’invention sous-entend une forte intégration de nouvelles connaissances. Qu’en est-il des produits basés sur des technologies anciennes mais provenant d’autres domaines tout en répondant à un marché existant ? Les innovations ne proviennent pas forcément de la création d’une nouvelle technologie mais aussi du portage de connaissances d’un domaine où celle-ci est évidente à un autre domaine où elle ne l’est pas du tout35. En appliquant le diptyque nouvelle technologie et nouveau marché, on considèrerait également le bateau à vapeur comme non innovant. En effet, le bateau à vapeur inventé par Jouffroy d’Abbans répondait à un marché existant : le transport naval et utilisait une technologie existante déjà largement employée dans les mines depuis 75 ans. Pourtant le bateau à vapeur est bien l’une des plus grandes inventions du xixème siècle36.

17L’étude de Klincewicz montre que 87,2 % des logiciels libres étudiés sont non innovants, 10,6 % des modifications de plate-forme, 1 % des innovations radicales, 0,8 % des modifications de technologie et 0,6 % des innovations marketing. Cette étude prouve qu’il est facile d’identifier les logiciels non innovants et les modifications de plateformes mais qu’il est complexe d’identifier les autres catégories de logiciels notamment les innovations radicales. Finalement, cette grille d’analyse n’a pas été empiriquement testée au préalable, ni bâtie sur des critères validés par des experts du domaine ce qui la remet considérablement en question.

  • 37 (Rossi, 2009)

18Une seconde étude empirique propose une étude comparative entre les solutions basées sur des logiciels libres et les solutions « propriétaires37 ». Plusieurs limites importantes sont identifiées dans cette étude.

191) D’abord, Rossi prouve que les indicateurs classiques de l’innovation (brevets, marques, etc.) ne sont pas applicables à toutes les industries et plus particulièrement à celle du logiciel. Elle propose donc de choisir des critères spécifiques pour mesurer l’innovation dans le domaine du logiciel. Les critères d’évaluation sont classés en trois catégories :

  1. La première dimension consiste à mesurer l’innovation pour la firme. Elle repose sur un indicateur unique consistant à mesurer si le logiciel est nouveau pour la firme (indicateur 1). Mais la question qu’il convient de se poser ici, c’est en quoi rapporter une innovation au niveau de la firme renseigne sur le niveau d’innovation d’un logiciel ? Lorsqu’une firme lance un produit c’est qu’elle ne l’a pas lancé avant...

    • 38 (Christensen, 1997 ; 2006)
    • 39 (Christensen, 2006)

    La deuxième dimension comprend deux indicateurs et vise à déterminer si le logiciel est innovant pour le marché. Dans le premier critère, on demande si le logiciel est plus innovant dans le sens où celui-ci satisfait mieux les besoins et les demandes des utilisateurs (indicateur 2). D’un côté, cette métrique favorise les logiciels libres puisqu’ils sont orientés vers les besoins de l’utilisateur. De l’autre côté, cela ne prend en compte qu’une dimension de l’innovation à savoir la logique qui va de l’utilisateur à la firme. Les travaux de Christensen ont démontré qu’il y avait une catégorie d’innovations qui ne répondaient pas au marché mais en créaient un nouveau en redéfinissant les conditions de la concurrence. C’est ce que Christensen nomme les disruptive innovations dont cette métrique ne tient pas compte38. Le second critère de cette dimension mesure le degré de nouveauté du logiciel d’un point vue technologique (Indicateur 3). Comme pour l’étude de Klincewicz, il y a une focalisation sur la notion de nouvelle technologie alors que des anciennes technologies peuvent être à l’origine d’innovations importantes. De même, Christensen39 met en évidence le fait que toutes les disruptive innovations ne sont pas basées sur des technologies radicales.

    • 40 (Rossi, 2009)

    La troisième dimension proposée par Rossi est la plus générale, elle contient deux critères. Le premier interroge sur le fait que le logiciel contient un module difficile à trouver ailleurs (Indicateur 4). La première interrogation qu’il convient de soulever est comment un expert peut-il connaître la structuration d’un logiciel qu’il n’a pas utilisé et dont il n’a a priori pas étudié le code source ? Les experts de cette étude avaient à leur disposition une brève description du produit et de la firme40. De plus, même si on peut estimer que le logiciel libre permet de vérifier l’innovation des modules car l’accès au code source est normalement possible, comment mesurer l’innovation des modules d’un logiciel non libre, si l’on n’a pas accès au code source et que celui-ci n’a pas été utilisé ?

  • 41 (Rossi, 2009)
  • 42 (Christensen, 2006)
  • 43 (Rossi, 2009)

20Le second critère porte sur la nouveauté de la plate-forme logicielle (Indicateur 5)41. Les deux indicateurs (Indicateurs 4 et 5) sont basés sur la notion « new to the world » (Indicateur 4 : modules new to the world et Indicateur 5 : platform new to the world). D’après, Christensen la notion de « new to the world » est ambiguë, il souligne que « lorsqu’une innovation ne peut pas être décrite relativement à un produit ou une technologie préexistants, on peut dire alors qu’elle était nouvelle pour le monde42 ». L’ensemble des indicateurs sont « market-oriented » ou « need-oriented ». Qu’en est-il des logiciels ne répondant pas à un besoin mais le créent ? Les « disruptive innovations » dont parle Christensen et les logiciels créant un nouvel usage ? Avec ces critères, il y a une proportion anormale de logiciels considérés comme innovants. Pour preuve, plus d’un tiers des produits (35 %) sont considérés comme « nouveaux pour le marché » et plus généralement un tiers des produits ont reçu un haut score d’innovation, ce qui est largement inhabituel dans une industrie43.

  • 44 (Rossi, 2009)
  • 45 (Fuggetta, 2003)

212) Deuxièmement, Rossi souligne le fait que sur chacune des dimensions, les logiciels libres étudiés sont plus innovants que les logiciels non libres et que le modèle de développement des logiciels open source est efficace44. Plusieurs limites peuvent être mises en évidence. Tout d’abord, concernant le modèle de production open source. Des investigations sur le terrain ont montré qu’il n’y avait pas un modèle d’organisation dans l’open source mais une grande variété d’organisations (cf. troisième partie de cet ouvrage). Si l’on se place du point de vue de la division du travail et du génie logiciel, il n’y a pas de différence fondamentale entre le développement de logiciels libres et non libres ni en matière de structuration des équipes, ni en matière de génie logiciel. Fuggetta soulignait que « les informaticiens (et en particulier les ingénieurs logiciel) n’ont souvent pas considéré l’approche open source comme une réelle rupture dans le développement de logiciels : ils ont ignoré ou bien négligé cela45. »

  • 46 (Rossi, 2009)
  • 47 (Rossi, 2009)
  • 48 (Bonaccorsi et al., 2006)

22Ensuite, qu’a réellement étudié Rossi dans son étude ? L’une des questions de recherche de l’auteur est la suivante : « are programs based on FOSS solutions more innovative than proprietary ones ?46 ». Ici ce n’est pas le logiciel libre qui est évalué mais la solution qui se base sur du logiciel libre. C’est une nuance très importante. D’autre part, l’auteur a souligné lui-même que 167 entreprises sur les 323 de l’échantillon proposaient « des logiciels basés sur des logiciels libres à leur clients, souvent en les mélangeant avec des offres propriétaires47. » Dans quelle mesure l’auteur a-t-il considéré les produits de ces firmes ? Sont-ils libres ou fermés ? La séparation entre les logiciels libres et non libres n’est pas évidente et de ce fait la base de comparaison est très discutable. En effet, d’autres études ont montré que les firmes avaient majoritairement des modèles d’affaires hybrides couplant logiciels libres et fermés48.

233) Troisièmement, l’ensemble de l’analyse repose sur le jugement de trois experts ce qui paraît bien peu si l’on observe le nombre de logiciels évalués (134). En premier lieu, comment un expert peut-il évaluer un logiciel qu’il ne connaît pas ? Peut-il évaluer un logiciel sur la seule base de la description qui en est faite sur le site internet de l’éditeur ? Peut-il avoir un jugement cohérent et fiable ? Une étude exploratoire a permis de montrer qu’il y avait une saturation des experts à partir de 30 logiciels. L’évaluation de 20/30 logiciels populaires a semblé être un maximum par rapport à la charge que représentait l’évaluation. De même, quel est l’intérêt de calculer des moyennes lorsqu’il n’y a que trois évaluations ?

Le manque de critères pertinents pour évaluer l’innovation dans l’industrie du logiciel

  • 49 (Danneels, 2004 ; Le Masson et al., 2006)
  • 50 (Deek & McHugh, 2007)
  • 51 (Klincewicz, 2005 ; Rossi, 2009)
  • 52 (Garcia & Calantone, 2002)

24Les études proposant d’évaluer l’innovation des logiciels libres présentent plusieurs limites. La plus importante est sans doute le manque de critères pertinents pour mesurer l’innovation. De même, l’ensemble des métriques choisies sont uniquement capables d’évaluer l’innovation ex-post et il n’est pas possible de dire à l’avance ou ex-ante quel logiciel est innovant ou pas et quel type d’innovation celui-ci propose. Des travaux ont mis en évidence les limites d’une telle approche49. En outre, il est difficile d’accepter ces critères car ils présentent d’importantes limites. L’évaluation proposée par Deek et McHugh est basée sur des cas sélectionnés. Ces auteurs ne suggèrent pas de critères permettant de distinguer un logiciel open source innovant d’un logiciel imitatif50. Dans les deux études quantitatives51, l’ensemble des indicateurs utilisés n’ont pas été testés empiriquement et reposent sur des typologies génériques dont les limites ont été démontrées52.

25De manière plus générale, il y a deux grands paradigmes dans la littérature sur l’évaluation de l’innovation : le paradigme « incremental/radical » (mobilisé dans les études de Klincewicz et de Rossi) et le paradigme « disruptive/sustaining ».

  • 53 (Dewar & Dutton, 1986)
  • 54 (Govindarajan & Kopalle, 2006 ; Danneels, 2004 ; Chandy & Tellis, 1998)
  • 55 (Chandy & Tellis, 1998)

26Dewar et Dutton font la distinction entre les « radical innovations » et les « incremental innovations ». Les radical innovations contiennent un haut niveau de nouvelles connaissances alors que les innovations incrémentales contiennent un bas niveau de nouvelles connaissances53. La notion de radical product innovation se réfère à des produits basés sur des nouvelles technologies54. La plupart du temps, les radical product innovations remplacent les anciens produits. Chandy et Tellis donnent l’exemple de produits remplacés par des innovations radicales : la machine à écrire par le traitement de texte ; le télégraphe par le téléphone ; l’appareil photo à plaque de verre par l’appareil à pellicule celluloïd. Mais ce n’est pas toujours le cas : le micro-ondes n’a pas remplacé les autres fours55.

  • 56 (Christensen, 1997)
  • 57 (Christensen, 1997 ; Christensen & Overdorf, 2000)
  • 58 (Klincewicz, 2005)
  • 59 (Rossi, 2009)

27Christensen propose de faire la distinction entre deux types d’innovations : les « sustaining innovation[s] » et les « disruptive innovation[s] »56. D’un côté, les « sustaining innovations » sont des innovations correspondant à une amélioration des produits existants selon les valeurs du marché dominant. D’un autre côté, les « disruptive innovations » introduisent une proposition de valeur n’étant pas attendue par le marché57. Ce sont ces types d’innovations qui ne sont pas prises en compte dans les études de Klincewicz58 et Rossi59.

  • 60 (Christensen, 1997)
  • 61 (Christensen & Raynor, 2003 ; Christensen, 2006)
  • 62 (Danneels, 2004)

28À court terme, les « disruptive innovations » ont une performance inférieure aux produits existants si ceux-ci sont analysés sur la base des valeurs du marché dominant. Les « disruptive innovations » sont une sorte de pari à long terme : la concurrence n’est pas basée sur des critères préétablis mais plutôt sur la définition de nouvelles règles pour la concurrence60. Plus récemment, Christensen a fait la distinction entre deux types de « disruptive innovations » : les « low-end disruptions » et « new-market disruptions61 ». Le concept de « disruptive innovation » a fait l’objet d’un profond débat dans la littérature sur le développement de produits. D’après Daneels, Christensen ne donne pas de critères précis permettant de déterminer lorsqu’une technologie est disruptive ou pas62.

  • 63 (Govindarajan & Kopalle, 2006)
  • 64 (Slater & Mohr, 2006 ; Govindarajan & Kopalle, 2006)

29Les notions de « radicalness » et de « disruptiveness » ne sont pas comparables car elles ne mesurent pas la même chose. La notion de « radicalness » est basée sur des aspects technologiques alors que la notion de « disruptiveness » met l’accent sur des aspects de marché63. Les « disruptive innovations » ne sont pas forcément des innovations radicales et les radical innovations ne sont pas forcément disruptive64. La matrice ci-dessous propose la mise en évidence de cette distinction.

Tableau 18 : Couplage des paradigmes « incremental/radical » et « sustaining/disruptive »

  • 65 (Garcia & Calantone, 2002)
  • 66 (Christensen, 1997 ; Christensen & Raynor, 2003 ; 2006)

30L’abondance des terminologies et le débat autour de leurs définitions65 rendent difficile l’évaluation de l’innovation en utilisant ces notions. La littérature manque d’une théorie générale de l’innovation applicable à toutes les industries. De plus, dans cette recherche il n’est pas possible de prendre en considération la performance de marché comme dans les travaux de Christensen66 étant donné que cette recherche est centrée sur l’étude de logiciels libres initiés et maintenus par des communautés d’utilisateurs-développeurs. Ces logiciels ne sont pas vendus mais distribués gratuitement.

Le logiciel libre vu par quelques praticiens

  • 67 (Tuomi, 2005)
  • 68 (Klincewicz, 2005)
  • 69 (Rossi, 2009)

31La dernière remarque qu’il convient de faire concerne l’opposition entre la vision des universitaires et des praticiens vis-à-vis des logiciels libres. Rossi soutient l’idée que d’après les études de Tuomi67 et Klincewicz68 les logiciels libres sont peu innovants ; d’un autre côté, au contraire les praticiens considèrent que les logiciels libres ont un haut niveau de qualité et de fiabilité. Sur le terrain, lorsque l’on demande aux praticiens si les logiciels libres sont innovants les réponses sont en contradiction avec la vision citée par Rossi69.

  • 70 Expert 81, Ingénieur, Fournisseur de services IT, entretien en ligne avec l’auteur.
  • 71 Expert 7, Développeur, Google Inc., entretien en ligne avec l’auteur.
  • 72 Expert 104, Directeur général, TshwaneDJe Human Language Technology, entretien en ligne avec l’aute (...)
  • 73 Expert 120, Consultant en logiciels libres et étudiant en cinéma, Freelance, entretien en ligne ave (...)

« Les logiciels open source sont au mieux un assemblage de fortune pour dépanner. J’ai besoin de trucs qui [..] marchent. Je n’ai pas besoin de passer des semaines à essayer de faire des trucs avec [un logiciel] open source que je peux faire en un jour avec un truc propriétaire. [...] Vous devez blaguer. Rien ne me vient à l’esprit des 15 ans que j’utilise des logiciels open source. Sérieusement, la plupart des trucs vont et viennent70. » (Ingénieur, Fournisseur de services IT).
« Mon avis sur les logiciels libres est qu’ils copient en général l’existant, du moins pour ceux que j’utilise le plus, et que je m’en sers plutôt comme boîte à outils71. » (Développeur, Google Inc.).
« Je pense que la plupart des applications open source ne sont pas terriblement innovantes et, même s’il y a des exceptions, il a tellement de différents champs/ catégories de logiciels, et à l’intérieur desquelles différentes applications sont innovantes de différentes manières — par conséquent il est difficile de vraiment les comparer et les classer. À la fin mon choix semble arbitraire. Ce n’est pas toujours [simple] de séparer les "logiciels que j’aime" et "les logiciels vraiment utiles" des "logiciels qui sont innovants" (en effet quelque chose peut être innovant sans avoir une réelle utilité du tout, par exemple : les jeux) ; [...] Je pense que quelque chose peut être innovant, si les idées dans ce logiciel ont vraiment été largement copiées72. » (Directeur général, TshwaneDJe Human Language Technology).
« La principale innovation des logiciels libres est toutefois la liberté du logiciel, et je pense que le concept le plus innovant provenant de la communauté du logiciel libre est la GPL et le concept de copyleft73. » (Consultant, Freelance).

32Face à la vision proposée par ces acteurs du terrain et aux nombreuses contradictions existantes dans la littérature, une recherche a été menée afin d’apporter des réponses concrètes à ce débat. Chercher à savoir si tous les logiciels libres sont innovants ou pas n’a pas beaucoup de sens. En effet, il existe différents régimes de production dans l’open source : un logiciel libre n’est pas forcément développé par une communauté géographiquement dispersée : certains logiciels sont maintenus par une seule entreprise. Un logiciel n’est jamais que le fruit d’un processus de conception. Il convient donc d’étudier les différentes configurations une à une. Pour cela il est nécessaire d’adopter une méthodologie alternative.

II - UNE ÉTUDE EMPIRIQUE DE L’INNOVATION DANS L’OPEN SOURCE

33La littérature défend la thèse selon laquelle les utilisateurs sont une source considérable d’innovations, et les communautés open source constituent un exemple typique de ce type de réseaux. Toutefois, elle présente également plusieurs limites dont les deux plus importantes sont : d’une part, la confusion entre processus de conception innovant et produit innovant ; d’autre part, le manque de critères pertinents pour évaluer l’innovation ex-post et ex-ante. La question qu’il convient donc de poser est la suivante : quels types d’innovations les utilisateurs-développeurs conçoivent-ils ? Pour répondre à cette question, il faut se focaliser exclusivement sur l’évaluation de logiciels libres créés totalement par des communautés d’utilisateurs-développeurs. Par conséquent, tous les logiciels analysés dans ce chapitre ont été créés par des utilisateurs-développeurs : cela signifie sans aucune intervention des firmes que ce soit pour le concept original (logiciel libéré) ou pour le financement partiel (logiciel libre sponsorisé). Plus spécifiquement, il s’agit de répondre aux questions ci-dessous : (1) Comment évaluer l’innovation d’un logiciel libre ? (2) Le résultat d’un processus de conception novateur est-il toujours innovant ? (3) Quels types d’innovations les communautés d’utilisateurs-développeurs du logiciel libre produisent-elles ?

1. D’un problème de mesure au couplage de méthodes qualitatives et quantitatives

Le problème de mesure de l’innovation

34Le premier problème était de savoir comment évaluer l’innovation d’un logiciel ? D’une part, la littérature portant sur l’évaluation de l’innovation ne contient pas de théorie générale applicable à toutes les industries. D’autre part, les recherches dans le domaine du logiciel libre présentaient trois limites importantes : la confusion entre processus de conception innovant et produit innovant, de sérieux défauts dans la technique d’évaluation et un manque de critères pertinents pour mesurer l’innovation. Pour mesurer l’innovation, la construction de critères ad hoc a été choisie pour répondre à ces trois limites.

Les techniques d’évaluation de l’innovation

35Il y a trois façons de mesurer l’innovation : (1) l’auto-évaluation : une méthode consistant à choisir ce qui est innovant et ce qui ne l’est pas de manière arbitraire ; (2) la technique Delphi : l’évaluation par un collège d’experts ; (3) l’évaluation par les utilisateurs : il s’agit de demander à des utilisateurs de noter les produits qu’ils utilisent. En premier lieu, il s’agira de dresser les avantages et limites des techniques existantes adaptées aux logiciels libres.

Tableau 19 : Avantages et limites des techniques d’évaluation adaptées aux logiciels libres

  • 74 (Rowe & Wright, 1999)

36Au vu de l’objet de cette étude, la technique basée sur l’évaluation par les utilisateurs a été écartée. De même, l’auto-évaluation a été considérée insatisfaisante et ce par manque de critères d’évaluation validés empiriquement. Il s’agit d’une des limites relevées dans les précédentes recherches portant sur l’évaluation de l’innovation des logiciels libres. La technique la plus adaptée est l’évaluation via la technique Delphi74.

2. De la technique Delphi à une « web-based Delphi » : une vue générale

  • 75 (Danneels, 2004)
  • 76 (Rowe & Wright, 1999)

37Cette recherche repose sur l’adaptation de Delphi pour « intégrer des estimations des trajectoires technologiques et de marché75. » Delphi fut développée dans les années 1940 par une équipe de RAND Corp. alors impliqué dans un projet de PUS Air Force. Elle peut être utilisée lorsqu’il y a un manque de données adéquates et lorsque le jugement humain est nécessaire76. Il existe quatre conditions pour qu’une technique puisse être nommée Delphi : l’anonymat, l’itération, le feedback contrôlé et l’agrégation statistique des réponses. Cette recherche a été menée par le biais d’internet avec des experts répartis dans le monde (26 pays sont représentés). Par conséquent, la technique Delphi a été adaptée aux nouvelles possibilités offertes par Internet.

38Dans un premier temps, l’évaluation par des experts a présenté un problème quantitatif. En effet, pour avoir des résultats pouvant être généralisés il était nécessaire d’avoir un nombre important d’experts évaluant un nombre important de logiciels. En fait, la plupart des experts interrogés ont soulevé le problème de la lourdeur de l’évaluation et considéraient implicitement qu’il n’était pas possible d’évaluer plus de 30 logiciels. Pour résoudre ce problème quantitatif, une méthodologie alternative a été bâtie. Le jugement moyen d’expert a été modélisé puis utilisé sur un nombre plus important de logiciels. La méthodologie s’est décomposée en quatre phases :

  • (étape 1) la définition qualitative de cinq types d’innovation logiciel basée sur un nombre important d’études de cas (environ 300), des entretiens avec des experts et une revue de littérature pertinente ;

  • (étape 2) une évaluation de 25 logiciels libres utilisant le jugement de 125 experts ;

  • (étape 3) une modélisation conceptuelle du types d’innovation basée sur le jugement moyen des experts ;

  • (étape 4) un élargissement de la procédure d’évaluation à 152 logiciels libres.

3. Les apports de l’approche web-based Delphi : la mobilisation d’experts dans un contexte distribué

Étape 1 : la définition qualitative de cinq types d’innovation

39Cinq niveaux d’innovation ont été définis sur la base de trois éléments : une étude qualitative exploratoire portant sur près de 300 logiciels, un ensemble d’échanges approfondis avec des experts de l’industrie du logiciel libre et une revue de la littérature. L’étude qualitative exploratoire a porté sur 297 logiciels. Pour chaque logiciel libre, des informations ont été rassemblées à propos de :

  • ses principales fonctionnalités ;

  • ses atouts comparés aux logiciels fermés existants ;

  • son origine.

40Ces données ont été obtenues grâce à l’échange de plusieurs centaines de courriels avec les fondateurs ou les responsables actuels (au moment des interviews) du développement et d’informations disponibles sur le site officiel de chaque logiciel en triangulant à chaque fois l’information avec d’autres sources (Wikipedia, FreshMeat, forums, etc.).

41Des interviews approfondies avec des professionnels de l’open source ont été menées. Trois experts ont joué un rôle particulièrement fondamental dans la définition des types d’innovation dans le domaine du logiciel libre.

421) Le premier expert est un chercheur industriel d’Alcatel-Lucent qui « travaille en R&D dans le monde IP (Internet) » et « dépose des brevets régulièrement ». Il est doté d’une expérience de plus de 10 ans en développement et est l’auteur de plusieurs logiciels libres. Selon lui, l’innovation dans le domaine du logiciel :

« est quelque chose : une approche, un procédé qui est nouveau, c’est à dire sans antécédents ([c’est] parfois très subjectif c’est vrai il faut en discuter jusque [devant les] tribunaux), et qui améliore le coût de production, l’efficacité, l’ergonomie, la mise à jour, la fiabilité... il y a même de l’innovation qui ne sert à rien (fonctionnellement) sauf à mieux vendre... »

43Cet expert a eu un rôle fondamental dans la définition des types d’innovation et tout au long de notre recherche.

442) Le deuxième expert est Open Source Architect au sein de Thales D3S. Il est doté d’une expérience de plus de dix ans en développement. Il occupe des positions de responsabilité dans différents projets européens dédiés au logiciel libre. Il a une longue expérience dans le développement de logiciels libres notamment pour un distributeur de Linux. Différentes discussions informelles ont été échangées lors d’une participation à un colloque dédié aux technologies open source. Cet expert a, par exemple, souligné que « c’est difficile de se prononcer utilement sur des [logiciels] qu’on ne connaît pas » : c’est pour cette raison que des logiciels connus ont été sélectionnés afin d’être évalués.

453) Le troisième expert est développeur pour une PME éditrice de logiciels libres. Il est également membre du conseil d’administration d’une association de promotion et de défense des logiciels libres. Il a près de dix ans d’expérience en développement de logiciels. Cet expert a fait partager son expertise dans le domaine et a apporté diverses contributions notamment en ce qui concerne le format des questionnaires : le questionnaire a d’abord été envoyé au format.doc (Microsoft) cet acte a été reçu comme un manque d’ouverture par certains, voire une provocation. Il a apporté aussi d’intéressantes remarques concernant la sélection des logiciels à évaluer. Sa contribution la plus importante est sans doute la mise en évidence du fait que la hiérarchisation artificielle des types d’innovations pouvait orienter de manière très importante les résultats des études menées.

46Enfin une revue a permis de définir théoriquement les cinq types d’innovations suivants : l’alternative libre, l’émulateur, le package, la pièce d’adaptation, l’orienté nouvel usage.

  1. L’alternative libre est un logiciel alternatif à un logiciel fermé existant. Un grand nombre de logiciels libres ont été développés comme des alternatives. C’est le cas du projet GNU commencé par Richard Stallman comme une alternative libre à Unix. C’est aussi le cas du noyau Linux.

  2. L’émulateur est une version émulée d’un matériel ou d’un ensemble d’applications logicielles. Un nombre non négligeable de logiciels libres émulent du matériel. Par exemple, PCSX2 émule le fonctionnement de la Playstation 2.

  3. Le package est un logiciel regroupant plusieurs logiciels libres en un seul bloc. La plupart du temps ces logiciels libres visent à faciliter l’usage, l’installation et/ou la configuration de plusieurs logiciels libres plutôt complexes. Les distributions GNU/Linux, le package AMP (Apache, MySQL, Perl et PHP) en sont de bons exemples.

  4. La pièce d’adaptation est un logiciel qui résoud un problème technique n’ayant jamais été résolu précédemment. Un des premiers logiciels libres créé est un driver. Il a été créé par Stallman pour une imprimante graphique dans le but de résoudre des problèmes non résolus auparavant par le pilote Xerox.

  5. L’orienté nouvel usage est un logiciel introduisant un nouveau concept d’usage. Par exemple, Mute est un logiciel de Peer to Peer (P2P) permettant à ses utilisateurs de conserver leur anonymat. Mute a introduit la notion d’anonymat. Le mécanisme de routage de Mute s’est inspiré de la manière dont les fourmis communiquent lorsqu’elles sont en recherche de nourriture. Habituellement lorsqu’un individu partage des fichiers sur des réseaux de P2P traditionnels chaque fichier est associé avec une adresse IP (Internet Protocol) où le fichier est stocké. Il est très simple pour des institutions constamment à la recherche de violations de droits d’auteur d’identifier les responsables de ces infractions. Mute introduit une nouvelle fonction consistant à associer chaque fichier avec une adresse virtuelle.

Étape 2 : L’évaluation de 25 logiciels libres

Données et profils des experts

47Dans le but de tester la pertinence des catégories dérivées de l’étude qualitative, les types d’innovation ont été transformés en autant d’affirmations testables. Tout d’abord une liste de 152 logiciels libres a été conçue à partir des 100 logiciels les plus populaires des sites SourceForge (100) et FreshMeat (100) en éliminant les doublons. Puis, cinq logiciels préalablement identifiés dans chaque catégorie ont été sélectionnés, soit 25 logiciels au total (voir le tableau ci-après).

Tableau 20 : Les 25 logiciels libres sélectionnés pour l’évaluation

48Après la création de cette liste, les cinq types d’innovation identifiés ont été transformés en autant d’affirmations testables. Concrètement, un questionnaire a été conçu et administré à des experts de l’open source. Ces experts ont été recrutés lors de différentes interactions avec le terrain : un bon nombre d’entre eux proviennent des organisations étudiées. Beaucoup d’experts ont aussi transmis l’information auprès de personnes de leurs réseaux. Des associations d’utilisateurs de logiciels libres ont également servi de relais en postant un lien vers le questionnaire mis à disposition en ligne. Au final, cette étude rassemble des spécialistes du logiciel libre provenant de diverses institutions : 70 % travaillent dans l’industrie, les services IT (Thales, Google, Alcatel-Lucent, Motorola, etc.) ou des centres de recherche (INRIA, NASA, la Marine Danoise, CNRS, etc.).

  • 1 Les données n’étaient pas disponibles pour 21 répondants

Note 11
Tableau 21 : Secteurs d’activité des experts

  • 2 Les données n’étaient pas disponibles pour 21 répondants

Note 22
Tableau 22 : Postes occupés par les experts

Tableau 23 : Expérience en développement

Tableau 24 : Origine géographique des experts

49Pour chaque logiciel, les experts se sont exprimés sur cinq dimensions en utilisant une échelle de Likert à cinq items (« Je suis tout à fait d’accord » ; « Je suis d’accord » ; « Je ne suis pas d’accord » ; « Je ne suis pas du tout d’accord » et enfin « Je ne sais pas ») :

50Pour les alternatives libres :

Ce logiciel libre est avant tout une alternative libre à un logiciel « propriétaire » (closed source) existant. Exemple : aMSN est un clone libre du client de messagerie MSN Messenger. / This open source software is first of all an open source alternative to a main piece of proprietary (closed source) software. Example : aMSN is an open source clone of MSN Messenger the instant messaging client.

51Pour les émulateurs :

Ce logiciel libre émule le fonctionnement d’un matériel physique ou d’un ensemble d’applications logicielles (ex : système d’exploitation, moteur, etc.) : Exemple : PCSX2 est un logiciel qui émule le fonctionnement de la console Playstation 2. / This open source software emulates hardware or a group of applications (e.g. : operating system, engine, etc.). Example : PCSX2 emulates the functioning of Playstation 2 (a games console).

52Pour les packages :

Ce logiciel libre est principalement un ensemble de logiciels libres. Exemple : EasyPHP réunit Apache, MySQL et PHP en un seul logiciel. / This open source software is mainly a package of open source software. Example : EasyPHP assembles Apache, MySQL and PHP in one package.

53Pour les pièces d’adaptation :

Ce logiciel libre a résolu un problème technique qui jusqu’ici n’avait pas été résolu. Exemple : Mono est le premier logiciel qui a permis d’exécuter des applications.Net sur un système Linux. / This open source software has solved a technical problem which had not previously been solved. Example : Mono is the first software to make it possible to run.Net applications (Microsoft) on a Linux system.

54Pour les orientés nouvel usage :

Ce logiciel libre a créé un nouvel usage. Exemple : Mute est un logiciel de P2P (Peer to Peer) permettant de préserver l’anonymat de ses utilisateurs. Mute a ajouté la notion d’anonymat si on le compare aux logiciels de P2P existants lorsqu’il a été initié. / This open source software has created a new usage. Example : Mute is P2P (Peer to Peer) software which makes it possible for users to remain anonymous. Mute has added the notion of "anonymity" if we compare it to other P2P software.

Agrégation des données et traitement statistique

55Les 125 évaluations des experts ont été agrégées pour chaque logiciel sous la même échelle (pourcentage) : ce qui représente 3 125 évaluations (125*25).

Tableau 25 : Données agrégées

56Après cela, une analyse de la variance, en composantes principales et discriminantes ont été réalisées afin de tester la fiabilité des variables et de comparer la première catégorisation à celle des experts. Ainsi, chaque catégorie de logiciel a été testée par le biais d’une analyse de la variance (ANOVA) qui montre des différences significatives des moyennes pour toutes les variables dépendantes : soit très significatives (P<0.000) soit significatives (P<0.05). Elle prouve que les variables sont pertinentes et corrélées avec les évaluations des experts.

Tableau 26 : analyse de la variance

57L’analyse en composantes principales (ACT) confirme que les variables conduisent à une catégorisation des logiciels très proche de la classification qualitative. L’ACP a calculé deux facteurs expliquant respectivement 39,1 % et 33,9 % de la variance. Ensemble ils représentent près de 73 % de la variance. Du fait que le premier ensemble de valeurs se focalise sur la création d’une fonction nouvelle celle-ci a été nommée degré d’innovation. Du fait que le second ensemble se concentre sur la reproduction de produits existants celui-ci a été appelé degré de reproduction.

Figure 28 : analyse en composantes principales

Tableau 27 : composition des axes de l’ACP

58Dans le but de tester la cohérence de la classification qualitative, une analyse discriminante a été réalisée celle-ci s’est décomposée en trois étapes : un test d’égalité des moyennes, une validation de l’étude et une analyse des résultats de la classification. D’abord, le test d’égalité des moyennes (Lambda de Wilks) est significatif pour tous les groupes.

Tableau 28 : test d’égalité des moyennes

59L’analyse discriminante était pertinente puisque le test de Box était significatif.

Tableau 29 : test de pertinence

60Les résultats de la classification montrent que 88 % des logiciels (22 sur 25) qui avaient été initialement classifiés ensemble ont été correctement catégorisés. Ceci confirme que la catégorisation initiale est relativement fiable.

a. Cross validation is done only for those cases in the analysis. In cross validation, each case is classified by the functions derived from all cases other than that case.
b. 8.0 % of original grouped cases correctly classified.
c. 72.0 % of cross-validated grouped cases correctly classified.
Tableau 30 : résultats de la classification statistique

61Toutefois, l’analyse discriminante laisse apparaître des différences entre la classification qualitative et celle basée sur les évaluations des experts : trois logiciels sur 25 semblent mal positionnés.

Tableau 31 : classification qualitative et statistique

62D’abord, MinGW fut classifié comme un package (MinGW regroupe des outils GNU) alors qu’il était rangé dans la catégorie des pièces d’adaptation : il s’agit aussi d’une adaptation des outils GNU pour les systèmes Windows. MinGW signifie : Minimalist GNU pour Windows. Ensuite, Ncurses a été considéré comme orienté nouvel usage alors qu’il était vu comme un émulateur en se basant sur la définition de cette bibliothèque. Enfin, Pidgin fut classifié comme alternative libre alors qu’il était parmi les orientés nouvel usage. En effet, selon un des experts « Pidgin [est] innovant dans le sens où c’est un tout protocole en un seul logiciel » (Expert n°2). Pidgin a probablement été considéré comme une alternative libre aux clients de messagerie instantanée existants.

63En somme, les différences entre la classification qualitative et statistique proviennent d’une raison principale : il existe des logiciels libres relevant de deux catégories. Néanmoins, la classification qualitative est une bonne approximation du jugement moyen des experts.

Étape 3 : La modélisation de l’innovation dans l’open source

64Grâce aux analyses statistiques dérivées des évaluations d’experts, une modélisation des types d’innovation a été réalisée. Chaque type peut être associé avec des propriétés dominantes issues des caractéristiques de chaque cluster.

  • 3 Percent of experts

Note *3
Tableau 32 : Modélisation de l’innovation

Étape 4 : une extension de la procédure d’évaluation à 152 logiciels

65En utilisant cette modélisation comme cadre analytique, la procédure d’évaluation a été élargie via une auto-évaluation guidée à un échantillon de 152 logiciels. Pour chaque logiciel, des informations ont été collectées et triangulées à partir de différentes sources (sites officiels, courriels échangés avec l’(les) auteur(s) de ces logiciels, avis d’experts de l’industrie, entrées Wikipédia sur le logiciel, etc.). Puis, une grille d’évaluation a été appliquée sur la base du questionnaire administré aux experts. Enfin, les propriétés dominantes du logiciel ont été identifiées afin de choisir le type d’innovation auquel chaque logiciel libre appartenait. Ci-après, deux exemples de classification guidée sont donnés.

  • 4 Source : Propos de Tim Kosse, initiateur de FileZilla

Note 14
Tableau 33 : Exemple 1 : FileZilla, une alternative libre

  • 5 Source : Entrée Wikipédia
  • 6 Source : Projet VLC

Note 15
Note 26
Tableau 34 : Exemple 2 : Libdvdcss, une pièce d’adaptation

66Cette procédure d’évaluation est une combinaison des enseignements issus de l’évaluation des 25 logiciels libres par les experts et d’informations rassemblées en utilisant d’autres sources d’informations. Même si la procédure idéale aurait été d’avoir 125 experts évaluant 152 logiciels, elle était irréaliste en pratique. Quel expert peut connaître 152 logiciels au point de pouvoir apporter un jugement utile ? De plus, la plupart des experts interrogés ont soulevé le problème de la lourdeur du travail d’évaluation. Cette méthodologie semble être un bon compromis entre les techniques d’évaluation d’expert et l’auto-évaluation.

67L’application de ces critères à une plus grande liste de logiciels (152) révèle plusieurs éléments saillants. Trois quart des logiciels étudiés sont des alternatives libres à des logiciels fermés existants. Plusieurs éléments sont à souligner. Le fait que la grande majorité des logiciels libres créés par des communautés d’utilisateurs-développeurs soient des alternatives libres ne signifie pas que ces communautés ne sont pas innovantes. Une explication tout à fait intéressante a été apportée par les membres du conseil d’administration de l’AFUL sur les premiers résultats de cette recherche :

  • 77 Membres du Conseil d’Administration, AFUL, compte-rendu de lecture, 16 juin 2008.

« Il est normal qu’une majorité des logiciels soient des clones. Tout simplement parce que les entreprises ne veulent pas investir pour développer sur une plateforme [Gnu/Linux] qui a une trop petite part de marché (sans parler de pressions probables de vous savez qui) et il faut bien créer le logiciel. Faut-il rappeler le cas de l’éditeur Corel, qui ayant commencé à développer pour Linux, a été racheté par Microsoft77 ? »

68Les utilisateurs-développeurs créent des solutions pour satisfaire leurs besoins car aucune solution n’existe sur le marché. Cette défaillance marchande peut se justifier par deux raisons : il n’est pas profitable de proposer une telle solution ; il n’est pas stratégique — et cela est même contraire aux intérêts de certaines firmes - de résoudre le problème. Lorsqu’une firme est dominante sur un marché elle n’a aucun intérêt à permettre aux utilisateurs de changer facilement de logiciel. Les utilisateurs-développeurs jouent un rôle particulièrement important dans l’amélioration de l’interopérabilité. Plusieurs exemples illustrent ce phénomène : NeoOffice, Samba, Mono, etc.

  • 78 (Arthur, 1989)
  • 79 (Deek & McHugh, 2007)

69Pour finir, les données suggèrent également que certains logiciels sont orientés nouvel usage. Toutefois, ces logiciels se concentrent dans trois domaines : la communication (le partage de fichiers, la messagerie, chat, etc.), le développement (langages de script et de programmation) et l’administration de système. D’un côté, ces derniers sont des logiciels pour lesquels les rendements d’adoption78 sont une partie intégrante de la « valeur du logiciel », ce qui justifie le fait qu’ils soient distribués librement et gratuitement. Pour certains le fait de conditionner l’utilisation du logiciel au paiement d’une licence va à l’encontre de sa valeur marchande (directe ou indirecte). Plus il y a d’utilisateurs, plus le logiciel a un potentiel de valeur. Le cas Firefox est, dans une certaine mesure, également dans ce cas puisque plus il y a d’utilisateurs, plus les possibilités de partenariats sont intéressantes pour les firmes. D’un autre côté, l’open source a construit lui-même les briques, les outils nécessaires à sa propre expansion79. Il n’est donc pas étonnant que la plupart des logiciels innovants du point de vue de l’usage proviennent des domaines de la communication, la programmation et l’administration.

Figure 29 : extension de l’évaluation à 152 logiciels libres

4. Discussion et implications : les communautés d’utilisateurs-développeurs compensatrices de l’offre marchande

  • 80 (von Hippel, 1988)
  • 81 (Allen, 1983)
  • 82 (Nuvolari, 2003)
  • 83 (Ulhoi,2004)

70Le but de ces investigations n’était pas de savoir si les communautés d’utilisateurs-développeurs étaient une source d’innovation : la littérature a largement prouvé le caractère innovant des utilisateurs. Il s’agissait plutôt de savoir quels types d’innovations les communautés d’utilisateurs autonomes produisaient. Cette étude démontre que les utilisateurs-développeurs créent principalement des logiciels résolvant leurs problèmes. Ces derniers peuvent avoir différents objectifs comme : combler un manque sur un système (alternative libre), résoudre un problème technique déjà connu mais non résolu (pièce d’adaptation), faciliter la configuration ou installation (packages) ou encore répondre à l’obsolescence d’un matériel abandonné par son fabricant (émulateurs). Sur la base de ce constat, il convient de souligner que la plupart des innovations utilisateurs dans le domaine de l’open source sont d’une part des améliorations ou des personnalisations de produits et d’autre part orientés vers la résolution de problèmes. Cet élément n’est pas restreint à l’open source puisque la plupart des innovations décrites par von Hippel80, celles conçues par les firmes utilisatrices de hauts-fourneaux81 ou de machines à vapeur82 ou encore celles développées par les adeptes de sports extrêmes83 sont aussi des améliorations de produits ou de la résolution de problèmes. En un mot, le but des utilisateurs est de satisfaire leurs propres besoins plutôt que d’en définir de nouveaux pour d’autres.

71Pourtant, la notion de résolution de problème ne peut être considérée comme un synonyme d’innovation. D’après Nonaka,

  • 84 (Nonaka, 1994)

« l’innovation, qui est une forme clé de la création de connaissances organisationnelles, ne peut être expliquée [de manière] suffisante en termes de traitement de l’information ou de résolution de problèmes. L’innovation peut être mieux comprise comme un processus dans lequel l’organisation crée et définit des problèmes et ensuite développe de nouvelles connaissances pour les résoudre84. »

72Par conséquent, cette recherche ouvre un débat sur les capacités d’innovation des utilisateurs-développeurs et plus généralement sur tous les produits conçus par des communautés autonomes d’utilisateurs. Les résultats des travaux offrent une vision différente de l’open source et des innovations utilisateurs. Ils confirment également l’hypothèse de Christensen dans laquelle il suggérait

  • 85 (Christensen, 1997)

« de revisiter les données de von Hippel à la lumière du cadre présenté ici [c’est-à-dire : le cadre sustaining/disruptive innovation]. Le réseau de valeur pourrait prédire que les innovations à travers lesquelles les clients dans l’étude de von Hippel conduisent leurs fournisseurs pourraient être des sustaining innovations. Nous pourrions attendre que les disruptive innovations sont parvenues par d’autres sources85 »

  • 86 (Le Masson et al., 2006)

73En effet, les innovations utilisateurs sont peu adaptées aux contextes fortement incertains. Une recherche menée chez Securit Saint-Gobain a également défendu cette idée à l’époque où la firme a décidé de se lancer dans un nouvel espace de compétition (le vitrage athermique) alors qu’elle était spécialisée dans les formes de vitrages complexes. Cet exemple « souligne à quel point il ne s’agit ni d’innover avec le client ni d’innover en imitant les concurrents ; de telles voies sont semées d’embûches, tant le client est versatile, capricieux, incertain... tant il est risqué d’être suiveur si c’est pour être perdant sur les mauvaises pistes et toujours en retard sur les bonnes86. »

  • 87 (Osterloh & Rota, 2007)
  • 88 fermés (MacCormack et al., 2007)
  • 89 (Osterloh & Rota, 2007)

74Cette recherche est aussi en accord avec d’autres auteurs précisant que : « l’innovation utilisateurs est une caractéristique d’une phase d’exploitation d’une technologie, où les innovations sont incrémentales, et non radicales87 ». En outre, des études ont prouvé que les logiciels libres développés de manière distribuée ont une structure plus modulaire que les logiciels88 fermés et comme cela est suggéré : « la modularité ne peut être atteinte uniquement si une technologie est bien comprise89 » Il est évident que ce travail a des limites méthodologiques nécessitant d’être améliorées. D’abord, dans la procédure de généralisation il y a un biais de popularité. Puis, l’évaluation manque de base de comparaison avec des logiciels non libres.

III - LES MODÈLES D’INNOVATION LIBRES ET FERMÉS : DE L’OPPOSITION À LA CONTINGENCE

  • 90 (Tuomi, 2005)

75Dans le chapitre précédent, la question de l’innovation a été abordée sous l’angle du concept général du logiciel. Tuomi disait qu’une « étude détaillée de l’évolution des projets open source montre qu’ils structurent le processus d’innovation d’une manière très spécifique90 ». Autrement dit, Tuomi défend l’idée que les projets open source ont un processus d’innovation particulier, il est nécessaire d’étudier l’innovation non pas du point de vue du concept général du logiciel mais du point de vue applicatif qui est le domaine où la spécificité de ce mode de développement apparaît réellement.

1. La caractérisation du modèle d’innovation de l’open source : un modèle d’innovation par les extrémités

Bases théoriques et empiriques de l’innovation par les extrémités

76Une étude a mis en évidence que Linux était structuré en deux : une première partie de code stable changeant très peu et une partie de code changeant beaucoup représentant la partie adaptable. L’auteur ajoute que :

  • 91 (Tuomi, 2005)

« ce modèle de développement centré sur la communauté, par conséquent, peut être attendu particulièrement compatible avec les innovations et extensions incrémentales qui renforce les valeurs de base de la communauté. Dans ce modèle, il semble bien difficile d’introduire des innovations radicales qui changent la structure courante des pouvoirs ou qui contredit les valeurs centrales de la communauté91 ».

77À partir de ces travaux, l’hypothèse du conditionnement de la structure sociale des communautés et de la structure technologique du logiciel est envisageable.

78D’après les différents cas étudiés, les organisations de l’open source ont du mal à gérer les modifications provoquant un trop fort changement dans la structure du logiciel puisqu’à partir du moment où l’on redéfinit l’objet à produire l’innovation par les extensions devient plus complexe à gérer. Pour un même objet de production, il est bien difficile pour les organisations de l’open source de gérer à la fois des modifications redéfinissant l’identité du logiciel et des modifications uniquement opérées au niveau des modules. Cela signifie que les communautés d’utilisateurs-développeurs ont bien du mal à être « ambidextres » pour un même produit. Le phénomène du forking est un élément prouvant cette difficulté. Le forking est en effet une scission se produisant lorsqu’il y a des divergences technologiques et/ou idéologiques sur l’évolution d’un logiciel libre.

  • 92 Responsable du Centre de Compétences Open Source, Thales D3S, entretien en face à face avec l’auteu (...)
  • 93 Expert 2, Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Informations (Hébergeur) et Enseignant en Sécur (...)
  • 94 (Nitot, 2009)
  • 95 (Benkeltoum & Hatchuel, 2008)

79D’après un expert, dans l’open soucre : « On a de l’innovation mais dans la chaîne de valeur c’est au niveau applicatif92. ». Un autre expert a souligné à juste titre : « Je pense que beaucoup de logiciels ne sont pas innovants lorsqu’ils sont créés, ils le deviennent en ajoutant des fonctions innovantes93. ». D’après le fondateur de Mozilla Europe, « Bien sûr, il y a de l’innovation aussi dans le monde du logiciel propriétaire, avec des entreprises qui investissent dans le développement de logiciels, mais il y a dans le logiciel libre une autre sorte d’innovation, distribuée et participative94. » De même, d’intéressants commentaires ont été adressés par les membres du conseil d’administration de l’AFUL concernant les premiers résultats d’une étude sur l’innovation95 dont il convient de rendre compte ici :

  • 96 Membres du Conseil d’Administration, AFUL, compte-rendu de lecture, 16 juin 2008.

« L’innovation, ce n’est pas seulement faire quelque chose que personne ne faisait avant. C’est même le cas le plus rare. Souvent l’innovation consiste à faire mieux (techniquement, ergonomiquement, etc.) ce que l’on faisait déjà avant. Typiquement Firefox est plein d’innovation, même si l’essentiel de ses fonctionnalités n’est pas nouveau. Et c’est pour cela qu’il peut prendre des parts de marché à Microsoft Internet Explorer96. »

80Ce qui est mis en évidence dans ces différents propos c’est le caractère massif des innovations incorporées dans certains logiciels libres mais cela se situe au niveau applicatif et non pas au niveau du concept de base du logiciel qui remettrait en question la structure de l’organisation distribuée. Il y a un fort couplage entre la structuration du code source, celle de la communauté et celle des innovations produites. Il convient de revenir sur des situations rencontrées sur le terrain sous l’angle de la conception afin de vérifier l’hypothèse de l’innovation par les extrémités.

Théorisation de l’histoire du développement des logiciels libres : une structuration technologique et sociale

81Dans le graphique ci-dessous, il s’agit de retracer l’histoire générale d’un logiciel libre réussi. Les différentes phases de développement y sont détaillées en mettant en ordonnée la performance et en abscisse le temps. Chacune de ces phases sera détaillée en mettant en lumière les éléments théoriques et empiriques soutenant cette modélisation.

Figure 30 : modélisation de la croissance du logiciel libre

Étape 1 : phase d’autoproduction ou la prédéfinition du produit à concevoir

  • 97 (Raymond, 2000)
  • 98 (Kogut & Metiu, 2001a) (Kogut & Metiu, 2001a)
  • 99 (Hatchuel, 2001)
  • 100 (Henkel, 2004)

82La première phase de développement est une phase d’autoproduction où l’auteur est souvent l’unique utilisateur. Le logiciel est publié avec un niveau de performance très faible. Il s’agit souvent d’un logiciel qu’il n’est pas possible de mettre en production du fait de son instabilité. Selon Raymond, il est extrêmement difficile de commencer à partir de rien le développement distribué : il est nécessaire que les développeurs dispersés aient quelque chose pour travailler97. L’étude de l’origine de logiciels libres aussi bien créés dans un cadre non lucratif de communautés d’utilisateurs-développeurs (Kexi, Freeworks) que dans un but entrepreneurial (Mandriva) révèle que le concept général est défini à l’avance et qu’il n’est pas discuté ou très peu discuté. Comme le soulignait Armand Hatchuel en réaction à la notion de « distributed knowledge » développée par Bruce Kogut et Anca Metiu lors d’un séminaire98 : « Bruce parle de "distributed knowledge ". En réalité, dans le projet Linux, il y a un cœur de connaissance, un cœur conceptuel, rédigé de manière solitaire et autoritaire. Ce cœur n’est pasrévisable. On a donc une claire opposition, dans ce modèle, entre conception et exécution99 ». Les premières versions de ces logiciels étaient très souvent rudimentaires et offraient peu de fonctionnalités. Ce qu’apportent les autres contributeurs ce sont des améliorations et des éléments en plus de ce concept. Ce phénomène est aussi valable pour les communautés constituées exclusivement d’entreprises puisque les travaux d’Henkel, à travers la notion de « jukebox model », montrent qu’il y a en réalité peu d’interactions dans la conception et que le tout résulte de choix individuels indépendants100.

83Dans la grande majorité des cas, le développement d’un logiciel libre commence par une personne définissant le concept général du logiciel et réalisant les premières ébauches de celui-ci. Plusieurs cas peuvent être présentés pour appuyer cette thèse.

  1. Le noyau Linux a été commencé par Linus Torvalds. Il avait déjà défini ce qu’il souhaitait réaliser et cela est clairement spécifié dans son premier message sur Usenet : « Je suis en train de faire un système d’exploitation (libre) (seulement un hobby, ne sera pas grand et professionnel comme gnu) pour clones AT 386(486). Il était en cours de fabrication depuis avril, et commence à être prêt. » Linux était au départ quelque chose qu’il n’était pas possible de mettre en production. La première version de Linux était 0.01 cela a une réelle signification dans le domaine du développement informatique. Il désigne une version alpha : c’est-à-dire une version instable. D’autre part, entre l’annonce du concept (avril 1991) et la première mise à disposition (août 1991) il y a 5 mois ce qui est très peu à l’échelle d’un système d’exploitation.

  2. Fetchmail fut aussi initié par Raymond seul au départ. Dans les cas étudiés la plupart ont commencé par une seule personne.

    • 101 Jean-Michel Delettre, Fondateur, Freeworks, entretien avec l’auteur 3 avril 2006.

    Selon l’initiateur de FlashMyAdmin (FMA) : « Concrètement FMA est développé par moi-même au début101 ».

    • 102 Développeur Actif 1, entretien en ligne avec l’auteur, Kexi, 15 mai 2006.

    De même, « Le projet [Kexi] a été lancé par [Fondateur1], il y a environ 3 ans102. »

    • 103 Blog de Gaël Duval, initiateur de Mandrake.

    Enfin l’initiateur de Mandrake (devenu Mandriva) ajoute qu’il a « donc travaillé plusieurs mois pour créer Linux-Mandrake, seul et contre tous ;) A la maison103 ». Ces différents cas prouvent que les premières versions des logiciels libres ont une performance très faible.

Étape 2 : phase d’intégration des contributions

84À partir du moment où le logiciel est publié, il entre dans une une phase d’intégration des contributions centrée sur le concepteur initial qui décidera d’intégrer ou non les modifications proposées (correction de bugs, ajout de fonctionnalités, etc.). Lors de cette phase d’intégration, le développeur initial est le seul à comprendre l’ensemble du code qu’il a développé et il est le seul en mesure de réaliser l’intégration des contributions externes. Au fur et à mesure, le logiciel améliorera ses performances en étant, en quelque sorte, tiré par les usages (utilisateurs). Le logiciel libre rattrapera les solutions existantes en termes de fonctionnalités puis il deviendra naturellement compétitif une fois qu’il aura un niveau de performance suffisant face aux logiciels existants.

85Après une certaine période, variable selon les logiciels libres et l’implication des utilisateurs dans leur évolution, le développement du logiciel connaîtra une crise du leadership due à deux phénomènes : d’un côté, les contributeurs auront développé suffisamment de compétences pour proposer de nouvelles fonctionnalités et même devenir responsables d’une ou de plusieurs fonction(s) ; d’un autre côté, l’auteur initial souhaitera déléguer (dans le meilleur des cas) une partie du développement aux autres membres de la communauté structurée autour de son logiciel. C’est à partir de ce moment que le logiciel entre dans une nouvelle phase : la production collective.

Étape 3 : phase de mise en production collective

86Le logiciel est réécrit en partie ou en totalité en adoptant une structure en modules désormais indispensable pour la croissance du logiciel car la structure technologique doit être en phase avec la structure sociale de la communauté. Sans cela, il y a un risque de forking : c’est-à-dire la création d’un nouveau logiciel libre sur les bases d’un autre. À la tête de chaque module une sous-communauté d’utilisateurs-développeurs se structurera en adoptant le modèle de l’intégration des contributions non pas sur l’ensemble du logiciel comme c’était le cas précédemment mais sur le module dont l’utilisateur-développeur est responsable.

  • 104 (von Krogh et al., 2003b)

87C’est à partir de ce moment que la modularité entrera en jeu. La coordination des acteurs impliqués dans le développement sera en bonne partie assurée par l’objet de développement : c’est-à-dire le code source constituant un réel instrument de coordination. L’organisation de l’écriture du code source est en lien étroit avec la division du travail dans les organisations de l’industrie du logiciel libre. Le fait de diviser le code source en modules a trois répercutions bénéfiques sur un projet logiciel : cela favorise la transparence d’un projet, abaisse les barrières à l’entrée pour contribuer et permet la spécialisation par l’utilisation efficiente des connaissances104.

88Cette volonté de simplification du travail a également été rencontrée dans les cas étudiés. Notamment, pour le logiciel FlashMyAdmin de l’association Freeworks pour lequel les développeurs principaux souhaitaient réécrire le logiciel en donnant beaucoup d’attention à l’organisation du code source dans le but de favoriser la contribution externe. De même, ce découpage en classes a également été soulevé par les membres de la communauté Kexi, soulignant que : « nous travaillons tous sur une partie spécifique de l’application, et jamais sur toute l’application. Excepté peut être [ Fondateur2] » Développeur Actif 1.

89Dans le cas OpenOffice.org (OOo),une structuration en sous-projets technologiques et humains est également observée. OpenOffice.org est organisé en trois types de « projets ».

  1. Accepted Projects : cette catégorie regroupe les objets techniques et ceux qui concernent le cœur du développement.

  2. Incubator Projects : cette classe rassemble tous les objets devant faire leurs preuves ou des nouvelles idées de développement dont la viabilité n’est pas encore certifiée. Tout nouvel objet de développement passe une période de six mois dans cette catégorie ; une fois que le « projet » a montré sa viabilité, il passe soit au statut d’Accepted Project ou de Native-Lang Project.

  3. Native-Lang Projects : le but de ces objets est d’ouvrir un espace de développement et de support dans la langue native des utilisateurs et contributeurs. Cette catégorie est divisée en deux sous parties correspondant au degré d’avancement de l’objet. Le schéma ci-après résume ce découpage.

Figure 31 : les projets d’OpenOffice.org

  • 105 Membre du Community Council 1, OpenOffice.org.

90Le développement d’OOo est découpé en sous-objets de développement dont une I-Team. Dans cette équipe des rôles sont attribués, en plus de ces rôles les acteurs ont des spécialités. Dans chaque équipe, il y a : un lead, un co-lead, des développeurs, des contributeurs et des utilisateurs. La spécialisation des acteurs (assurance qualité, graphisme, etc.) assure la coordination. Lorsque (2) le code a été produit, celui-ci est (3) testé dans le Child Work Space par un responsable qualité. Si (4a) le code est accepté, il sera intégré au code stable dans le Master Work Space, (5) l’I-Team est alors désintégrée et « les membres sont assignés à d’autres projets105 ». Si (4b) le code n’est pas validé, il sera modifié par l’équipe et recommencera le même chemin (2→3) jusqu’à être validé (4a→5). Ce processus est résumé ci-dessous.

Figure 32 : construction et désintégration d’une I-Team

1.3. Vers une réorganisation du bazaar

  • 106 (Raymond, 1999)
  • 107 (The Economist, 2006)
  • 108 (von Krogh et al., 2003a)

91Dans la littérature, il est souvent fait référence au mode de développement du « bazaar » décrit par Raymond106 comme le mode de développement de référence des communautés. Or, les organisations de l’open source sont très structurées contrairement à ce qui est prétendu. Le débat actuel sur la hiérarchie est bien la preuve de ce phénomène. En matière de génie logiciel, l’activité de développement dans l’open source est très proche de la manière du mode centralisé107 contrairement à ce que prétendent d’autres études108.

92Des témoignages de spécialistes appuient cette idée. D’après le Directeur de la Recherche et de l’Innovation de Thales D3S :

  • 109 Serge Druais, Directeur de la Recherche et de l’Innovation, Thales D3S Shangai, entretien téléphoni (...)

« Les communautés tendent à être très hiérarchisées. Comme par exemple dans Apache, on a trois niveaux : un premier niveau où l’on a le club en gros des fondateurs, les super-committers ; un deuxième niveau où on a les committers : ceux qui ont le droit de déposer du code ; un troisième niveau où on a l’indien de base : le user, ce que je veux dire c’est le développeur de base autorisé à développer du code et à le publier109. »

  • 110 François Bancilhon, ancien Directeur général, Mandriva, entretien en face à face avec l’auteur, mer (...)

93Le deuxième est issu d’un ex-dirigeant de Mandriva, une entreprise ayant une communauté particulièrement active : « [...] Je n’ai pas trouvé d’extraordinaires grandes différences entre le développement en mode libre et le développement en mode centralisé, propriétaire110 ». Le troisième est issu d’un cadre de Sun Microsystems :

  • 111 Technology Advisor, Sun Microsystems, entretien en face à face avec l’auteur, lundi 16 janvier 2007

« Il y a une multitude de technologies qui utilisent l’open source pour activer des communautés, avoir des retours, optimiser la notion de contributeurs, mais dans lesquels la conception même du logiciel ne me semble pas totalement éloignés s’il n’y avait pas eu de processus open source111... »

94Et le quatrième du fondateur de Mozilla Europe :

  • 112 Tristan Nitot, Président, Mozilla Europe, Débat sur les logiciels libres et propriétaires, Emission (...)

« C’est une communauté [Mozilla] qui est extrêmement structurée. Je [...] vais parler de [...] la Mozilla Foundation et de Mozilla Europe qui sont [...] les projets sur lesquels je travaille quotidiennement depuis quatre ans. [...] C’est extrêmement structuré. [...] Ah oui, on est tous des anciens de l’industrie informatique112. [...] »

95Le modèle du « bazaar » et celui qui est effectivement observé sur le terrain sont schématisés ci-après.

  • 113 D = Développeur.

Figure 33 : Le « bazaar » réorganisé113

  • 114 (Mockus et al., 2000)
  • 115 (von Krogh, 2006)

96De même, d’autres travaux ont souligné que la répartition du travail entre les acteurs dans les organisations de l’open source est très inégale. Ainsi, seulement quinze personnes contribuent à plus de 88 % des lignes ajoutées au code source d’Apache cela signifie qu’une très petite partie du code est réalisée par les autres contributeurs114. L’étude de Freenet a également montré des résultats similaires115.

2. Les enjeux de la conception de logiciels fermés

97Deux types de logiciels fermés conçus dans le cadre d’une activité marchande seront considérés : les logiciels créant un nouveau marché et les logiciels répondant à un marché existant. Les enjeux de conception seront analysés via deux cas : Photoshop et OfficeOne.

Confrontation de cas empiriques

Le cas Photoshop

98Le cas Photoshop montre qu’il y a une longue phase réflexion avant la conception d’un logiciel destiné à être commercialisé dans le but de créer un nouveau marché. En effet, entre la première version commercialisée de Photoshop et la première ligne de code développée il y a un décalage de trois années. Ce processus sera décrit ci-après.

Phase 0 : L’influence de Glenn Knoll116
  • 116 Ce paragraphe est basé sur (Hormby, 2007) sauf indication complémentaire.
  • 117 Une chambre noire est un espace dédié au tirage de photos sur pellicules.

99Glenn Knoll, père des frères Knoll, eut un impact important sur les connaissances de Thomas et John Knoll mobilisées plus tard pour créer Photoshop. Glenn Knoll était professeur en sciences radiologiques et en ingénierie nucléaire. Il était également amateur de photographie et passionné de micro-ordinateur. Si bien qu’il avait sa propre chambre noire117 chez lui. C’est par ce biais que John Knoll développa des connaissances à la fois en photographie et en micro-informatique.

100John Knoll commença tout d’abord à maîtriser le tirage de clichés en noir et blanc, puis il s’intéressa aux techniques de traitement des clichés couleurs nécessitant à l’époque un processus de traitement beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui. C’est dans ce contexte qu’il acquit ses premières connaissances en matière de manipulation photo couleur. D’un autre côté, il était aussi fasciné par l’Apple II plus récemment acquis par son père. John et Thomas Knoll commencèrent à travailler sur les technologies Apple en 1978.

Phase 1 : la naissance de Display

101En 1984, John Knoll réussit à trouver un emploi faisant converger ses deux passions : la photographie et l’informatique. Ainsi, il intégra Industrial Light and Magic (ILM) en tant que responsable des effets spéciaux. Il travaillait sur d’importantes productions de Lucas Films (Star Trek, Star Wars, etc.). C’est au sein d’ILM que J. Knoll développa des connaissances pointues en traitement d’image.

  • 118 (Hormby, 2007)

102Parallèlement à cela, Thomas Knoll débuta une thèse en traitement de l’image. Il travaillait alors sous un Mac Plus ce qui lui conféra une connaissance pointue des systèmes Mac. À l’époque le Mac Plus n’était pas capable d’afficher les images en niveaux de gris, c’est pourquoi T. Knoll créa dans un premier temps un programme permettant d’afficher les dégradés de gris, c’est à ce moment que la première version de Display a vu le jour. Display n’était qu’un utilitaire en ligne de commande (cela était très courant à cette époque-là) offrant la possibilité d’afficher des images sous Mac118.

Phase 2 : De l’affichage à l’édition

103En février 1986,J. Knoll travaillait chez ILM ; en visitant le département chargé du traitement informatisé des images, il assista à une démonstration du Pixar Image Computer (PIC) dont ILM était le premier utilisateur. Le PIC fut mis au point par des employés de Pixar au sein de Lucas Film. Grâce à PIC, il était possible d’extraire une image d’un film à partir d’un scanner, ajouter des effets, la corriger, et la réintégrer dans le film. Aujourd’hui cela peut sembler basique mais à cette époque il s’agissait d’une avancée considérable.

104La thèse de T. Knoll portait sur la manière dont un ordinateur était capable de reconnaître un objet prédéfini dans une image numérique. T. Knoll avait écrit un ensemble d’outils permettant le traitement d’images. Lors d’une visite auprès de son frère, J. Knoll fut surpris par la similarité qu’il y a avait entre le travail doctoral de son frère et la machine de Pixar. La différence de prix était telle qu’un PIC coûtait 135 000 dollars alors que Display tournait sur un Mac coûtant 2 599 dollars, soit 51 fois moins cher. C’est à ce moment que J. Knoll incita son frère à faire de Display un véritable éditeur d’images permettant aux utilisateurs de manipuler des images numériques comme s’ils étaient dans une chambre noire. John et Thomas commencèrent à travailler ensemble sur le remplaçant de Display.

Phase 3 : la coopération entre les frères Knoll ou la création d’ImagePro
  • 119 La correction gamma est une technique permettant d’améliorer la reproduction de l’intensité lumineu (...)

105L’interaction entre les frères Knoll provoqua une telle émulation que de nombreux changements furent réalisés sur Display. C’est par ce biais que les fonctions d’éditions furent ajoutées à ce qui n’était qu’un utilitaire d’affichage d’image. John Knoll suggéra d’incorporer la correction gamma119 pour que les images affichées à l’écran soient moins sombres. En 1988, Display fut renommé ImagePro. Ce changement de nom traduit un changement de direction du logiciel.

106J. Knoll proposa à son frère de faire d’ImagePro un produit commercial alors que son frère le distribuait gratuitement. Face à la difficulté de doter ImagePro d’un niveau de fonctionnalités suffisant pour en faire un produit commercial, Thomas Knoll décida de suspendre son travail de thèse pendant six mois pour se concentrer sur le développement à plein temps d’ImagePro. À l’époque, il existait déjà des logiciels permettant l’édition de photos sous Mac et d’autres machines. De ce fait, les frères Knoll éprouvèrent des difficultés à trouver un distributeur pour ImagePro. Diverses firmes furent contactées mais au final, seule BarneyScan qui proposait des scanners, a adopté ImagePro pour le dictribuer avec ses scanners. ImagePro n’était donc pas valorisé en tant que tel. Il accompagnait du matériel en tant qu’utilitaire. Pour des raisons de conflits de propriété de marque ImagePro fut renommé Photoshop au moment où il fut distribué par BarneyScan.

Phase 4 : La coopération entre les frères Knoll et Adobe

107Les frères Knoll avaient simplement conclu un accord de cession de licence avec BarneyScan, donc ils détenaient toujours les droits sur Photoshop. En septembre 1988, ils proposèrent Photoshop à Adobe dirigé par Russel Brown qui l’adopta. À ce moment-là, Adobe avait déjà conçu le produit Illustrator avec lequel Photoshop s’associait bien. Adobe mobilisa 15 à 20 développeurs en plus de T. Knoll pour améliorer Photoshop. En 1990, la première version commerciale de Photoshop fut lancée. Parallèlement Photoshop était utilisé par John Knoll au sein d’ILM. Pendant le développement, J. Knoll passa du département des effets spéciaux à celui du graphisme informatisé. Ce changement eut un impact très important sur l’évolution du programme puisque cela a permis à J. Knoll de le confronter aux exigences professionnelles et de déterminer les fonctions nécessaires pour avoir un produit de niveau professionnel.

Le cas OfficeOne

108Le produit OfficeOne est basé sur OpenOffice.org. Il s’agit d’un pack logiciel conçu pour répondre à une demande existante sur le marché grand public. D’après un des fondateurs :

« Les deux fondateurs, Didier Urban et moi-même, on a créé la société en 1993. On vient du domaine de la gestion et on a conçu un logiciel dans le domaine de l’archivage. Et c’est à ce moment-là, archivant des documents : traitement texte, tableur, etc. ; certains de nos clients nous ont dit : « votre produit, il est très bien, il manque plus que de pouvoir produire des documents bureautiques avec, et on peut produire et on peut archiver et la boucle est bouclée. »

109À ce moment-là le marché de la bureautique était largement dominé par les produits Microsoft. Le but d’Issendis,

« sur la partie OfficeOne, c’est d’apporter l’alternative à des solutions purement propriétaires Microsoft, qui sont à des prix difficilement accessibles pour tout un chacun. Pour nous, c’est pouvoir apporter une solution pour l’utilisateur final. Pour qu’il puisse produire des documents : traitement de texte, tableur, générer du PDF, d’utiliser sa machine dans les meilleures conditions et au meilleur prix. »

110Dans le cas OfficeOne, il n’y a pas eu de profonde réflexion ni sur le type de marché à cibler ni sur les technologies à mobiliser. L’objectif de la firme était d’offrir un produit compétitif.

La modélisation des stratégies de conception de logiciels

Le logiciel fermé créant un nouveau marché

  • 120 (Chesbrough, 2003)
  • 121 Où S = Logiciel ; Τ = Technologie ; M = Marché.

111Le logiciel fermé créant un nouveau marché fait l’objet d’une longue réflexion dans la phase de définition du produit à concevoir. Le succès de la commercialisation d’une nouvelle technologie dépend de la gestion d’une double incertitude : technique (T) et de marché (M)120. Du point de vue technologique, la firme ne sait pas quelle technologie elle devra mobiliser. Du point de vue marchand, elle ne sait pas quel marché cibler. En somme, elle devra trouver le produit121 (S1) tel que S1 (T ; M). On notera que Τ est M sont dépendants. Il y a deux cas de figure pour cela : soit T crée un nouvel espace de M, soit M demande une nouvelle T.

  • 122 P = Profit.

112La firme devra explorer un ensemble tel que122 :

[S1 (T1 ; M1) ; S2 (T2 ; M2) ; S3 (T3 ; M3)... Sn (Tn ; Mn)]

113Où :

S1 (T1 ; M1) →P1 > 0 ?

S2 (T2 ; M2) →P2 > 0 ?

S3 (T3 ; M3) →P3 > 0 ?

114L’inconnue porte à la fois sur T, M et P. La firme ne sait pas quelle technologie elle peut mobiliser, ni quel marché elle devra choisir et encore moins quel profit elle pourra générer. La présente équation nécessite une double exploration : au niveau des technologies et au niveau des marchés.

115Le plus souvent un éditeur de logiciels essayera de se positionner sur un créneau inexploité par le marché. Typiquement, il tentera de se créer un monopole ou une niche. Cette étape est particulièrement importante puisque le modèle d’affaires de la firme repose sur cela. L’exemple de Photoshop souligne bien qu’il y a une réelle et longue phase de réflexion avant la création d’un logiciel destiné à être commercialisé sur un nouveau marché. Dans le graphique ci-dessous la logique d’exploitation du logiciel fermé est modélisée.

  • 123 CS dans le graphique signifie Closed Source.

Figure 34 : La logique d’exploitation d’un logiciel fermé123

116L’innovation incrémentale n’est pas très importante car elle n’est pas source de valeur. L’entreprise préfère incorporer ses innovations dans une nouvelle version. Selon le Directeur de la Recherche et de l’Innovation de Thales D3S :

  • 124 Serge Druais, Directeur de la Recherche et de l’Innovation, Thales D3S, entretien téléphonique avec (...)

« Même des acteurs comme IBM à une époque, sur les marchés où ils étaient leader, avaient tendance à sortir au moment voulu les innovations que la firme avait conçues au préalable. Le leader n’a aucune raison d’être innovant. C’est quand le concurrent sort quelque chose d’innovant que le leader fait les deux pas de plus. Ce qui est recherché par le leader c’est la maximisation du profit. On n’est pas dans la recherche de gain de parts de marché donc la principale préoccupation n’est pas dans la recherche de la satisfaction de l’utilisateur124. »

117Du point de vue des coûts, la firme attendra soit qu’un concurrent lance un produit soit qu’il y ait une rupture dans les coûts de production comme schématisé dans le graphique ci-dessous.

  • 125 C = Coûts ; R = Rentes. Le versionning est la gestion des versions d’un logiciel.

Figure 35 : Stratégie de versionning vue par les coûts125

118Dans le domaine de l’édition, la rente se fait au début de la vie du logiciel. L’éditeur n’a pas intérêt à développer des fonctionnalités nouvelles et à les incorporer automatiquement car ses coûts de production augmenteraient de manière significative sans qu’il y ait une compensation financière. Par conséquent, l’éditeur préfèrera intégrer les nouvelles fonctionnalités dans une nouvelle version du logiciel qu’il lancera de nouveau sur le marché.

Le logiciel fermé répondant à une demande

119Le logiciel fermé répondant à une demande existante sur un marché fait l’objet d’une réflexion conceptuelle relativement courte en termes de technologie et de marché puisque la demande est connue a priori. Il y a peu d’incertitude technique par les premiers arrivants sur le marché. Du point de vue technique, la firme a plutôt à réaliser une fonction de choix sur un intervalle de technologies existantes que d’autres firmes utilisent. Du point de vue du marché, l’étude des solutions concurrentes et des utilisateurs suffira à la firme pour développer un produit alternatif.

120La firme devra réaliser un choix entre les technologies utilisées par les produits existants sur un même marché :

121[S1 (T1 ; M1) ; S2 (T2 ; M1) ; S3 (T3 ; M1) ; S4 (T4 ; M1)]

122Les technologies sont généralement connues et ciblent toujours le même marché. L’incertitude à laquelle la firme sera confrontée portera essentiellement sur le niveau de rentabilité grâce au nouveau produit.

3. Les enjeux de la conception de logiciels libres

Le logiciel libre créé par une communauté d’utilisateurs-développeurs

123Pour le logiciel libre créé par une communauté d’utilisateurs-développeurs, la situation est bien différente puisqu’il ne s’agit pas de trouver un marché pour le produit. Il n’y a donc pas d’incertitude sur le type de marché à cibler puisque, par définition, ce type de logiciel libre n’est pas conçu pour être vendu mais utilisé. Plusieurs développeurs de logiciels libres ont souligné ce point :

  • 126 Expert 2, Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Informations (Hébergeur) et Enseignant en Sécur (...)

« Les logiciels open source répondent toujours à un besoin, au moins celui de son premier utilisateur, son développeur. Un logiciel commercial est destiné à être vendu, pas à servir126. »

  • 127 Expert 27, Développeur (Freelance) et Membre actif d’une communauté (gestionnaire de bases données) (...)

« Je pense que chaque logiciel doit, d’une manière ou d’une autre, répondre au besoin d’un utilisateur et peut être l’utilisateur seulement lui-même développeur... Il n’y a pas de raison de construire un logiciel qui ne le fait pas à mon humble avis127. »

  • 128 Expert 123, Directeur Technique, Site de vente de musique en ligne, entretien en ligne avec l’auteu (...)

« La plupart des logiciels sont créés pour répondre à un besoin existant ! Si ce n’est pas le besoin du créateur, c’est celui d’autres128. »

  • 129 Où S = Logiciel ; T = Technologie ; U = Le besoin ou le problème rencontré par l’utilisateur Dans d (...)

124Dans le cas du logiciel libre créé par une communauté d’utilisateurs-développeurs, il s’agit de trouver la technologie permettant de répondre à un ou plusieurs besoins ou problèmes rencontrés par un utilisateur. Le développeur devra explorer les technologies possibles pour résoudre le problème rencontré ou répondre au besoin129.

125[S1 (T1) ; S2 (T2) ; S3 (T3) ; Sn (Tn)] →U

126L’inconnue réside uniquement dans la technologie à mobiliser mais le problème (problème à proprement parler ou besoin) est connu donc résoluble ou non. Le développeur explorera la liste des T possibles, une fois trouvé il suffira de programmer.

127De nombreux logiciels libres peuvent être cités. Le cas NeoOffice illustre bien ce phénomène de résolution de problème. NeoOffice est né de la volonté de certains développeurs d’OpenOffice.org (OOo) de porter la suite bureautique sur le système Mac. Par conséquent le problème était connu.

128Soit : U = Créer une version OOo nativement compatible avec Mac OS X.

129L’exploration des possibilités par les développeurs d’OOo a montré qu’il existait au moins deux possibilités technologiques.

  • Tl = NeoOffice/J utilisation de Java pour « modéliser de manière interne ce que OOo était en train de faire à ce que OS X attendait via Java »

    • 130 (Drukenbatman, 2005)

    T2 = NeoOffice/C : consistait à « faire ce que était en train de faire NeoOffice/J, mais en utilisant Cocoa130 ».

130Soit pour simplifier :

131[S1 (T1) ; S2 (T2)] →U

132La seconde méthode a été adoptée par les développeurs de NeoOffice (T2). Il s’agissait ensuite de développer le port alors que la communauté OOo avait initialement choisi (T1) ce qui a provoqué un fork.

Le logiciel libre créé par une entreprise

133Dans le cas du logiciel libre créé par une entreprise, le logiciel peut être dans l’une de ces trois configurations : il vise à remplacer une solution non libre, il a initialement été créé pour être commercialisé (logiciel fermé), ou il a été conçu pour être libre.

Le logiciel libre visant à remplacer une solution non libre existante

134Il s’agit d’une situation très proche du logiciel libre créé par une communauté d’utilisateurs-développeurs. Étant donné que le problème est connu il s’agit toujours de résoudre :

135[S1 (T1) ; S2 (T2) ; S3 (T3) ; Sn (Tn)] →U

136Par exemple, Thalix a été développé pour remplacer un ensemble de technologies fermées (Stratus) sur lesquelles Thaïes avait peu de contrôle. C’est aussi le cas lorsqu’une firme veut créer un composant standard.

Le logiciel libre initialement créé pour être vendu en tant que logiciel fermé

137La firme a échoué à trouver une solution satisfaisante à la double incertitude à laquelle elle était confrontée. Elle disposait donc d’un logiciel aux propriétés suivantes :

138S1 (T1 ; M1) →P1≤0

139La firme a échoué à une valorisation directe du logiciel. Par conséquent, elle tentera de libérer le logiciel pour le valoriser indirectement par le biais de produits ou services associés. StarOffice était sur un marché de la bureautique largement dominé par Microsoft Office. Si StarOffice avait dominé le marché il n’aurait certainement pas été libéré. D’autres cas prouvent le phénomène inverse, pour quelle raison Photoshop, Norton Antivirus ne sont pas libérés ? Tout simplement car ils sont rentables. Il serait bien étonnant de trouver un logiciel fermé rentable volontairement libéré.

140Les libérations de logiciels par des firmes sont de véritables stratégies comme le souligne l’ex-Directeur général de Mandriva :

« Il y a pas mal de gens pour qui le logiciel libre c’est une pure stratégie commerciale, si on regarde des boîtes comme MySQL ou JBoss, l’open source ils s’assoient dessus quand même... Ils s’en foutent complètement, c’est juste une stratégie commerciale. »

  • 131 (Bonaccorsi & Rossi, 2003a)

141La motivation principale des firmes dans l’open source est économique131 contrairement à certains développeurs pouvant être engagés dans le logiciel libre par philosophie.

Le logiciel conçu pour être libre

  • 132 M désigne ici le marché des services associés au produit S1.

142Dans ce cas, les firmes peuvent avoir deux types de stratégie. (3a) La firme essayera de valoriser indirectement le produit par le biais de services associés à celui-ci (développements spécifiques, maintenance, etc.). La firme est donc face à une situation incertaine similaire (pour la partie « marché ») à celle d’une société souhaitant lancer un produit fermé sur un nouveau marché. Néanmoins, elle ne cherchera pas forcément à créer un nouveau marché pour son produit. Par conséquent, le fait d’avoir une nouvelle proposition de valeur n’est pas l’élément central. La firme incitera à utiliser son produit car cela augmente son potentiel de vente de produits et services associés132.

143[S1 (T1 ; M1) ; S2 (T2 ; M2) ; S3 (T3 ; M3)... Sn (Tn ; Mn)]

144Pour ce type de logiciels, il y aune spécialisation très pointue des firmes. La société créé d’abord un produit incorporant de lourds investissements en recherche et développement : la maîtrise du code source n’est donc pas à la portée de n’importe quel développeur. Ce n’est pas parce qu’un produit est ouvert qu’il permet de mettre tous les acteurs du marché sur un pied d’égalité en matière de concurrence. L’open source, dans ce cas, est choisi de manière délibérée. Par exemple, Joram de ScalAgent Technologies est typiquement le genre de logiciel entrant dans cette catégorie.

145(3b) Dans le domaine du logiciel libre orienté utilisateur final, la firme éditrice essayera de captiver le client en incorporant des fonctionnalités nouvelles (innovations incrémentales) significatives au fur et à mesure. Comme cela est matérialisé dans le graphique ci-dessous.

  • 133 OSE — produit Open Source d’une Entreprise

Figure 36 : matérialisation des dépenses et recettes d’un logiciel libre133

146Il n’est pas économiquement viable pour une entreprise d’innover de manière importante puisque le code source du logiciel sera mis à disposition des clients. De plus, il n’est pas possible pour la firme de baser son modèle d’affaires sur une expertise comme un composant.

147Comme le souligne l’ex-Directeur général de Mandriva :

  • 134 Cooker ici désigne la plateforme publique de développement de Mandriva.

« la contrainte de vivre dans l’open source, c’est-à-dire vivre dans un environnement où l’on est à poil tous les matins dans la vitrine. Tous les gens voient ce que l’on fait. Chaque fois que l’on développe un nouveau produit, tout le monde le voit sur Cooker134»

148Par conséquent, la récurrence n’est pas possible comme dans le cas d’un éditeur classique. Le modèle d’affaires typiquement adopté est celui de la souscription.

149Le modèle d’innovation reposant sur une communauté produisant un logiciel libre a une caractéristique représentant à la fois la force et la limite du modèle. Dans les communautés, il n’y a pas vraiment de réflexion collective pour définir l’objet produit. D’autre part, les acteurs sont impliqués dans des tâches précises, cela est dû au découpage du code source en modules sensé diminuer la complexité. Le modèle de la production distribuée a une limite importante et celle-ci est intrinsèquement liée à la manière dont les communautés fonctionnent. C’est ce qui a fait le succès de l’open source mais c’est aussi une de ses plus grandes limites. Dans l’open source, le processus de développement est dans une logique d’innovation par les extrémités : cela signifie que les acteurs essayent de développer un maximum de fonctionnalités portant sur des améliorations incrémentales remettant le moins possible en question l’architecture globale du logiciel.

  • 135 (Nonaka, 1994)

150À l’inverse chez les éditeurs de logiciels on essaye de lancer des produits apportant un élément nouveau sur le marché. Dans ce cas le but n’est pas de répondre à des besoins précis puisqu’il s’agit de les créer. Le raisonnement est donc différent : les communautés cherchent à résoudre des problèmes opérationnels, pour cela elles développent ce dont elles ont besoin ; d’un autre côté, les sociétés éditrices de logiciels fermés essayent de créer de nouveaux problèmes et de rechercher les solutions permettant de les résoudre135.

151En somme, c’est la définition même de l’innovation qui diffère entre les communautés de l’open source et les éditeurs du monde fermé. Le but n’étant pas le même, les objets produits ne sont pas les mêmes. Même si cette vision de l’open source est caricaturale, il s’agit d’un élément très important dans la logique de raisonnement qui sous-tend ce modèle. Les communautés ne sont donc pas moins innovantes ni plus innovantes : elles développent ce dont elles ont besoin.

  • 136 (Arthur, 1989)

152Souvent les communautés ont besoin (1) d’alternatives libres n’existant pas sur un système. Elles ont aussi besoin (2) de solutions d’interopérabilité n’existant pas sur le marché et que les firmes dominantes n’ont pas intérêt à produire. Elles développent égaement (3) des logiciels pour lesquels il est très difficile de bâtir un modèle d’affaires du type « édition ». Ces logiciels ont per se une contradiction concernant leur valeur : d’un côté, ils doivent être diffusés au plus grand nombre pour que leur valeur augmente136 ; d’un autre côté, le fait qu’ils soient vendus ralentit leur diffusion et donc leur valeur. Par conséquent, certains logiciels sont difficilement valorisables sur le marché en tant que tels. C’est le cas des logiciels de communication : il est simple de voir qu’il existe peu de logiciels vendus dans le domaine de la communication : Skype, Live Messenger, Yahoo ! Messenger, etc. sont gratuits. Les firmes développant ces logiciels ont bâti un modèle basé sur autre chose que sur l’usage : la publicité. Le modèle publicitaire est une des solutions permettant de contourner ce paradoxe comme dans le cas Mozilla Firefox. Le cas Thunderbird expose le même phénomène mais du point de vue de l’échec de l’application du modèle publicitaire.

Notes

1 (von Hippel, 1988)

2 (von Hippel & Katz, 2002 ; Franke & von Hippel, 2003b)

3 (Scheid, 2009)

4 (Scheid, 2007)

5 Ibid.

6 Ibid.

7 (Garcia & Calantone, 2002)

8 (Scheid, 2007)

9 (von Hippel, 2001)

10 (MacCormack et al., 2006)

11 (Scheid, 2007)

12 (MacCormack et al., 2007)

13 (AlMarzouq et al., 2005)

14 (Henkel, 2003a)

15 (Klincewicz, 2005)

16 (Rossi, 2009)

17 (Dahlander & Wallin, 2006)

18 (Bonaccorsi et al., 2006)

19 (Kogut & Metiu, 2000)

20 (von Hippel, 2002)

21 (von Hippel & von Krogh, 2003)

22 (Stuermer et al., 2009)

23 (Stuermer et al., 2009)

24 (Stuermer et al., 2009)

25 Les auteurs parlent eux-mêmes de « generic frameworks » (Stuermer, Spaeth et von Krogh, 2009 : 185).

26 (Hicks & Pachamanova, 2007)

27 (Lee & Cole, 2003)

28 (Franke & von Hippel, 2003a)

29 (Osterloh & Rota, 2007)

30 (Deek & McHugh, 2007)

31 (Tuomi, 2005)

32 (Deek & McHugh, 2007)

33 (Klincewicz, 2005)

34 (Dahlin & Behrens, 2005)

35 (Hargadon & Sutton, 2000 ; 2003)

36 (De Hoefer, 1858)

37 (Rossi, 2009)

38 (Christensen, 1997 ; 2006)

39 (Christensen, 2006)

40 (Rossi, 2009)

41 (Rossi, 2009)

42 (Christensen, 2006)

43 (Rossi, 2009)

44 (Rossi, 2009)

45 (Fuggetta, 2003)

46 (Rossi, 2009)

47 (Rossi, 2009)

48 (Bonaccorsi et al., 2006)

49 (Danneels, 2004 ; Le Masson et al., 2006)

50 (Deek & McHugh, 2007)

51 (Klincewicz, 2005 ; Rossi, 2009)

52 (Garcia & Calantone, 2002)

53 (Dewar & Dutton, 1986)

54 (Govindarajan & Kopalle, 2006 ; Danneels, 2004 ; Chandy & Tellis, 1998)

55 (Chandy & Tellis, 1998)

56 (Christensen, 1997)

57 (Christensen, 1997 ; Christensen & Overdorf, 2000)

58 (Klincewicz, 2005)

59 (Rossi, 2009)

60 (Christensen, 1997)

61 (Christensen & Raynor, 2003 ; Christensen, 2006)

62 (Danneels, 2004)

63 (Govindarajan & Kopalle, 2006)

64 (Slater & Mohr, 2006 ; Govindarajan & Kopalle, 2006)

65 (Garcia & Calantone, 2002)

66 (Christensen, 1997 ; Christensen & Raynor, 2003 ; 2006)

67 (Tuomi, 2005)

68 (Klincewicz, 2005)

69 (Rossi, 2009)

70 Expert 81, Ingénieur, Fournisseur de services IT, entretien en ligne avec l’auteur.

71 Expert 7, Développeur, Google Inc., entretien en ligne avec l’auteur.

72 Expert 104, Directeur général, TshwaneDJe Human Language Technology, entretien en ligne avec l’auteur.

73 Expert 120, Consultant en logiciels libres et étudiant en cinéma, Freelance, entretien en ligne avec l’auteur.

74 (Rowe & Wright, 1999)

75 (Danneels, 2004)

76 (Rowe & Wright, 1999)

77 Membres du Conseil d’Administration, AFUL, compte-rendu de lecture, 16 juin 2008.

78 (Arthur, 1989)

79 (Deek & McHugh, 2007)

80 (von Hippel, 1988)

81 (Allen, 1983)

82 (Nuvolari, 2003)

83 (Ulhoi,2004)

84 (Nonaka, 1994)

85 (Christensen, 1997)

86 (Le Masson et al., 2006)

87 (Osterloh & Rota, 2007)

88 fermés (MacCormack et al., 2007)

89 (Osterloh & Rota, 2007)

90 (Tuomi, 2005)

91 (Tuomi, 2005)

92 Responsable du Centre de Compétences Open Source, Thales D3S, entretien en face à face avec l’auteur, 23 janvier 2007.

93 Expert 2, Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Informations (Hébergeur) et Enseignant en Sécurité des Systèmes d’Informations (École ingénieur), entretien en ligne avec l’auteur, 28 août 2007.

94 (Nitot, 2009)

95 (Benkeltoum & Hatchuel, 2008)

96 Membres du Conseil d’Administration, AFUL, compte-rendu de lecture, 16 juin 2008.

97 (Raymond, 2000)

98 (Kogut & Metiu, 2001a) (Kogut & Metiu, 2001a)

99 (Hatchuel, 2001)

100 (Henkel, 2004)

101 Jean-Michel Delettre, Fondateur, Freeworks, entretien avec l’auteur 3 avril 2006.

102 Développeur Actif 1, entretien en ligne avec l’auteur, Kexi, 15 mai 2006.

103 Blog de Gaël Duval, initiateur de Mandrake.

104 (von Krogh et al., 2003b)

105 Membre du Community Council 1, OpenOffice.org.

106 (Raymond, 1999)

107 (The Economist, 2006)

108 (von Krogh et al., 2003a)

109 Serge Druais, Directeur de la Recherche et de l’Innovation, Thales D3S Shangai, entretien téléphonique avec l’auteur, mercredi 5 août 2009.

110 François Bancilhon, ancien Directeur général, Mandriva, entretien en face à face avec l’auteur, mercredi 22 mai 2006.

111 Technology Advisor, Sun Microsystems, entretien en face à face avec l’auteur, lundi 16 janvier 2007.

112 Tristan Nitot, Président, Mozilla Europe, Débat sur les logiciels libres et propriétaires, Emission 8-Fi, Direct 8, dimanche 15 mai 2005.

113 D = Développeur.

114 (Mockus et al., 2000)

115 (von Krogh, 2006)

116 Ce paragraphe est basé sur (Hormby, 2007) sauf indication complémentaire.

117 Une chambre noire est un espace dédié au tirage de photos sur pellicules.

118 (Hormby, 2007)

119 La correction gamma est une technique permettant d’améliorer la reproduction de l’intensité lumineuse des objets pour les écrans à tubes cathodiques notamment.

120 (Chesbrough, 2003)

121 Où S = Logiciel ; Τ = Technologie ; M = Marché.

122 P = Profit.

123 CS dans le graphique signifie Closed Source.

124 Serge Druais, Directeur de la Recherche et de l’Innovation, Thales D3S, entretien téléphonique avec l’auteur, 5 août 2009.

125 C = Coûts ; R = Rentes. Le versionning est la gestion des versions d’un logiciel.

126 Expert 2, Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Informations (Hébergeur) et Enseignant en Sécurité des Systèmes d’Informations (Ecole ingénieur), entretien en ligne avec l’auteur, 27 août 2007.

127 Expert 27, Développeur (Freelance) et Membre actif d’une communauté (gestionnaire de bases données), entretien en ligne avec l’auteur, 30 août 2007.

128 Expert 123, Directeur Technique, Site de vente de musique en ligne, entretien en ligne avec l’auteur, 29 octobre 2007.

129 Où S = Logiciel ; T = Technologie ; U = Le besoin ou le problème rencontré par l’utilisateur Dans de nombreux cas le développeur et l’utilisateur peuvent être confondus.

130 (Drukenbatman, 2005)

131 (Bonaccorsi & Rossi, 2003a)

132 M désigne ici le marché des services associés au produit S1.

133 OSE — produit Open Source d’une Entreprise

134 Cooker ici désigne la plateforme publique de développement de Mandriva.

135 (Nonaka, 1994)

136 (Arthur, 1989)

Notes de fin

1 Les données n’étaient pas disponibles pour 21 répondants

2 Les données n’étaient pas disponibles pour 21 répondants

3 Percent of experts

4 Source : Propos de Tim Kosse, initiateur de FileZilla

5 Source : Entrée Wikipédia

6 Source : Projet VLC

Table des illustrations

Légende Tableau 17 : Grille d’évaluation de l’innovation (Klincewicz, 2005)
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 204k
Légende Tableau 18 : Couplage des paradigmes « incremental/radical » et « sustaining/disruptive »
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 252k
Légende Tableau 19 : Avantages et limites des techniques d’évaluation adaptées aux logiciels libres
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 664k
Légende Tableau 20 : Les 25 logiciels libres sélectionnés pour l’évaluation
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Légende Note 11Tableau 21 : Secteurs d’activité des experts
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
Légende Note 22Tableau 22 : Postes occupés par les experts
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Légende Tableau 23 : Expérience en développement
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 220k
Légende Tableau 24 : Origine géographique des experts
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 180k
Légende Tableau 25 : Données agrégées
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 900k
Légende Tableau 26 : analyse de la variance
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 572k
Légende Figure 28 : analyse en composantes principales
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 344k
Légende Tableau 27 : composition des axes de l’ACP
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 232k
Légende Tableau 28 : test d’égalité des moyennes
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Fichier image/jpeg, 276k
Légende Tableau 29 : test de pertinence
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Légende a. Cross validation is done only for those cases in the analysis. In cross validation, each case is classified by the functions derived from all cases other than that case.b. 8.0 % of original grouped cases correctly classified.c. 72.0 % of cross-validated grouped cases correctly classified.Tableau 30 : résultats de la classification statistique
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 692k
Légende Tableau 31 : classification qualitative et statistique
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Fichier image/jpeg, 816k
Légende Note *3Tableau 32 : Modélisation de l’innovation
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 400k
Légende Note 14Tableau 33 : Exemple 1 : FileZilla, une alternative libre
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 864k
Légende Note 15Note 26Tableau 34 : Exemple 2 : Libdvdcss, une pièce d’adaptation
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 772k
Légende Figure 29 : extension de l’évaluation à 152 logiciels libres
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-20.jpg
Fichier image/jpeg, 184k
Légende Figure 30 : modélisation de la croissance du logiciel libre
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-21.jpg
Fichier image/jpeg, 472k
Légende Figure 31 : les projets d’OpenOffice.org
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-22.jpg
Fichier image/jpeg, 556k
Légende Figure 32 : construction et désintégration d’une I-Team
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-23.jpg
Fichier image/jpeg, 400k
Légende Figure 33 : Le « bazaar » réorganisé113
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-24.jpg
Fichier image/jpeg, 180k
Légende Figure 34 : La logique d’exploitation d’un logiciel fermé123
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-25.jpg
Fichier image/jpeg, 320k
Légende Figure 35 : Stratégie de versionning vue par les coûts125
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-26.jpg
Fichier image/jpeg, 252k
Légende Figure 36 : matérialisation des dépenses et recettes d’un logiciel libre133
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1638/img-27.jpg
Fichier image/jpeg, 98k

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