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Se mobiliser pour la santé

 | 
Madeleine Akrich
, 
Cécile Méadel
, 
Vololona Rabeharisoa

Chapitre I. Incertitudes et connaissances

Le travail d’information sur les questions de santé complexes

Texte intégral

  • 1 Les expressions suivies d’un astérisque sont définies dans le lexique p.197

Associations ou collectifs représentés dans le groupe :
■ AAPEL, Association d’Aide aux Personnes avec un « État Limite »1, Capucine Leroy, Alain Tortosa
■ AFM-Groupe Myasthénie, Marguerite Friconneau
■ Alcool Assistance, La Croix d'Or, François Moureau
■ Asperger* Aide, Elaine Taveau
■ Association des Fibromyalgiques* des deux Savoies, Daniel Lemoine
■ CIANE, Collectif interassociatif autour de la naissance, Cécile Loup
■ FNAFF, Fédération Nationale des Associations Françaises de Fibromyalgie*, Janine & Jean-Paul Garau
■ France Acouphènes*, Jacques Gérard
■ France Dépression, Association française contre la dépression et la maladie maniaco-dépressive, Stephanie Wooley
■ HyperSupers – TDAH* France, Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité, Christine Gétin

1Les associations représentées dans ce groupe ont été choisies en considérant un critère principal : elles sont concernées par des problèmes de santé « complexes » notamment parce qu’ils échappent à une catégorisation évidente. Par exemple, l’autisme, la dépression, l’alcoolisme, les états limites, le trouble déficit d’attention et hyperactivité sont souvent considérés comme des pathologies affectant la santé mentale ; cependant, la frontière entre le psychique et l’organique est de plus en plus bousculée par les développements des neurosciences et des controverses existent tant sur la catégorisation de ces pathologies que sur leur traitement par les professionnels de santé. Et, de fait, les problèmes évoqués dans ce groupe font l’objet d’une médicalisation jugée insatisfaisante par les patients ou leurs proches. Nous avons fait l’hypothèse qu’en conséquence, la redéfinition de ces problèmes de santé et la redéfinition de la manière dont ils doivent être « pris en charge » doivent être des objets centraux dans les activités de ces associations, et que ceci doit se traduire par un travail spécifique sur l’information, celle qui est rassemblée comme celle qui est produite par les associations. Les discussions ont permis de valider assez largement cette hypothèse et d’affiner la description des difficultés que soulève la médicalisation actuelle. On peut distinguer deux configurations qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre :

  • Tout d’abord, dans un certain nombre de cas, les problèmes de santé en question restent assez mal connus, leurs causes ne sont pas bien identifiées, leurs manifestations variables bien que souvent très invalidantes, les traitements ou formes de prises en charge encore incertains. Les associations cherchent alors à faire reconnaître le problème en tant que tel, à mobiliser les professionnels de santé pour qu’ils s’y intéressent, à faire en sorte que reconnaissance, connaissance, traitement et prise en charge globale évoluent. La fibromyalgie, les acouphènes relèvent en première approximation de cette configuration. Les problèmes liés à l’alcool, bien qu’en apparence familiers, sont de fait aussi dans une situation analogue.

  • En second lieu, on peut se trouver face à des problèmes qui apparaissent mieux cernés – il existe éventuellement une importante littérature scientifique internationale sur la question – mais pour des raisons diverses, les acteurs français semblent ignorer ces connaissances, et la prise en charge proposée est, de l’avis des patients et de leurs familles, très insatisfaisante, voire désastreuse. Le cas de l’autisme de haut niveau et du syndrome d’Asperger, la myasthénie, la dépression, les états limites sont plutôt dans ce cas de figure. La périnatalité relève aussi de cette configuration avec une nuance : les usagers déplorent non un « désintérêt » des acteurs médicaux, mais une propension à la surmédicalisation de ce qu’ils considèrent avant tout comme un événement normal de la vie, surmédicalisation qui, par ailleurs, peut entraîner de fait des problèmes médicaux. Le TDAH (trouble déficit de l’attention/hyperactivité) se situe probablement dans une configuration intermédiaire : il existe des connaissances et des traitements qui sont encore lacunaires et ces connaissances, même lacunaires, sont peu diffusées dans le milieu médical français.

2L’engagement des personnes dans ces associations est, de manière classique, presque toujours lié à une expérience personnelle douloureuse, que le problème de santé concerne la personne elle-même ou un de ses proches. Cependant, compte tenu de ce qui a été dit précédemment – connaissances limitées, incertaines et/ou non diffusées –, l’action prend une forme spécifique dans laquelle la question de l’information occupe une place centrale.

3Trois objectifs semblent fondamentaux dans ce travail des associations autour de l’information :

  • il s’agit tout d’abord de constituer les problèmes auxquels les personnes sont confrontées, de les faire exister, de les rendre exprimables, visibles et compréhensibles pour soi et pour autrui ;

  • en second lieu, il s’agit de transformer les autres acteurs, professionnels de santé au premier chef, mais aussi du milieu de l’éducation, de la justice, de l’action sociale etc. et de transformer les prises en charge proposées ;

  • enfin, il s’agit de transformer les patients/usagers eux-mêmes.

  • La synthèse sera organisée autour de ces trois thèmes. Dans un dernier temps, nous aborderons la question de la place des associations et de leurs relations avec les autres acteurs compte tenu des développements précédents.

CONSTITUER ET FAIRE EXISTER LES PROBLÈMES

4De manière générale, les patients/usagers membres des associations représentées dans le groupe affirment être face à un mur d’incompréhension voire à un déni de leurs difficultés ou de leurs souffrances, déni qui, cerise sur le gâteau, s’accompagne souvent d’une interprétation moralisatrice des troubles et d’une véritable stigmatisation.

De l’errance diagnostique au droit au diagnostic

5Cette incompréhension se traduit, dans un certain nombre de cas, par une longue errance diagnostique qui n’est pas la moindre des épreuves subies. Qu’il s’agisse de la fibromyalgie, des états limites, du TDAH (trouble déficit d’attention/hyperactivité), du syndrome Asperger, de la myasthénie, les patients et leurs proches passent par un très long parcours du combattant qui les font errer de médecin en médecin, débouchant soit sur des diagnostics inopérants parce qu’erronés, soit, non pas comme on pourrait le croire sur une absence de diagnostic par défaut de certitude, mais sur un jugement : « C’est dans votre tête, dans l’éducation… »

6Face à cette situation, une revendication se fait jour, celle du droit au diagnostic, qui s’exprime sur deux plans. D’abord comme un droit à « disposer » d’un réseau de professionnels formés et informés des derniers développements des recherches, ouverts à différentes approches pour autant qu’elles aient montré une efficacité minimale, capables d’effectuer dans un temps raisonnable un diagnostic correct, c’est-à-dire, entre autres choses, qui redonne au patient des marges de manœuvre. En second lieu, cette revendication, plus spécifique aux problèmes de santé mentale, s’oppose fermement à une doctrine, encore en pratique dans nombreuses de consultations, qui exclut les patients et leurs proches du diagnostic en arguant du caractère pathogène en soi d’un tel diagnostic.

7Au-delà de ces revendications générales, les associations essaient de proposer des solutions concrètes qui apportent des réponses ici et maintenant : plusieurs associations ont constitué des « annuaires », des répertoires des praticiens ou d’équipes capables de poser des diagnostics fiables. Ces annuaires sont le résultat cumulé des expériences individuelles des patients qui partagent les informations collectées tout au long de leur parcours avec le collectif.

Mettre à disposition des informations médicales

8Transmettre les connaissances existant sur les problèmes en cause est l’un des moyens privilégiés par lesquels les associations essaient de conforter leurs membres, de leur apporter la reconnaissance qui leur fait défaut dans leurs relations avec les professionnels de santé, de leur donner un certain nombre de pistes permettant d’agir sur leur destinée. Deux moyens principaux sont utilisés : les écoutes téléphoniques généralement assurées par des bénévoles, eux-mêmes concernés par le problème en question, et Internet qui a joué un rôle majeur dans la constitution de ces savoirs partageables et partagés, facilement réactualisés et largement accessibles. À côté de ces moyens qui supposent au départ une certaine asymétrie entre l’association et des individus qui arrivent en position de demande, les rencontres, les groupes de parole, sont l’un des vecteurs par lesquels peuvent aussi transiter un certain nombre d’informations.

9Un des premiers effets recherchés de cette mise à disposition est de rendre exprimable et appropriable par les personnes concernées leur état ou celui de leur proche, en fournissant un vocabulaire, des outils qui permettent une certaine objectivation : si l’on peut se représenter ce par quoi on est atteint, en des termes qui ont un poids parce qu’ils résultent d’un travail collectif, voire scientifique, alors il devient plus facile de communiquer avec les autres et de faire reconnaître la réalité de ses troubles. Ce qui a pour effet d’accroître la légitimité de la souffrance exprimée et des demandes qui l’accompagnent et par voie de conséquence d’œuvrer dans le sens de la déstigmatisation : ce ne sont pas la fainéantise ni la faiblesse de caractère qui expliquent le comportement du dépressif, du fibromyalgique ou de la personne dépendante de l’alcool, pas plus que la mauvaise éducation ne cause la conduite de l’enfant hyperactif. Dans un registre différent, mettre à disposition des données de la science médicale qui montrent que l’hypermédicalisation de la naissance ne peut être justifiée par des considérations d’efficacité est crucial : les personnes soucieuses de préserver le caractère familial de cet événement peuvent ainsi formuler leur demande dans un langage a priori compréhensible par les médecins et échapper en principe à l’accusation d’irresponsabilité dans laquelle certains les enferment spontanément.

10Dans cette configuration, on comprend bien que l’utilisation de telle ou telle catégorie revêt une grande importance : parler de « maladie alcoolique », c’est d’une part alléger la charge morale qui pèse sur l’individu, mais aussi en appeler à des formes de prises en charge et des recherches en décalage avec les représentations communes. De même, décrire le syndrome Asperger comme un problème neurologique d’origine génétique et non psychologique, c’est bien sûr mettre fin à des décennies d’accusation portée contre les mères, mais aussi désigner de nouveaux professionnels concernés, en exclure d’autres, et dessiner de nouveaux espaces d’action – pédagogique par exemple. On voit bien, au travers de ces exemples, que la mise à disposition d’informations constitue une véritable problématisation de ce qui est en jeu, c’est-àdire qu’elle définit les difficultés rencontrées par les patients, les acteurs pertinents, des formes d’action adaptées, des traitements possibles, des programmes de recherche à développer, etc.

Problèmes de déontologie : jusqu’où aller dans l’information et le conseil ?

11Ceci étant, en faisant ce travail, les associations se placent dans une position qu’elles estiment elles-mêmes risquée, en particulier en raison des incertitudes qui pèsent sur les connaissances médicales et de la difficulté du diagnostic. Le fréquent déplacement des patients d’une pathologie à l’autre illustre cette difficulté : de ce point de vue, les liens entre un certain nombre de pathologies représentées dans le groupe sont apparus fortement. Non seulement les diagnostics sont incertains et fluctuants, mais la situation même dans laquelle se trouve une personne dont le problème n’est pas correctement traité peut conduire au développement de nouveaux troubles. Des fibromyalgiques ou des myasthéniques laissés à eux-mêmes deviennent dépressifs ; des hyperactifs non traités peuvent développer une dépendance à l’alcool, etc.

12Dans ce contexte, certaines informations, certains avis peuvent avoir un effet délétère : on connaît certes le pouvoir libérateur du diagnostic, mais si une personne souffrante est envoyée trop vite dans une direction qui s’avère mauvaise à moyen terme, le bénéfice de l’information s’évanouit. En règle générale, les associations s’efforcent de rester en deçà du diagnostic, même si, de fait, tout échange – par exemple sur un service d’accueil téléphonique – implique de rentrer dans la description des symptômes ressentis, de l’histoire des problèmes, du parcours médical suivi par le patient, ce qui, pour un « écoutant » ayant une certaine expérience, peut être évocateur ou à l’inverse non évocateur de telle ou telle pathologie. Face au doute et à la demande insistante des patients, la solution généralement adoptée consiste à conseiller un deuxième avis et à orienter vers des praticiens « reconnus » par l’association.

13Par ailleurs, les associations sont confrontées à une difficulté particulière concernant ces pathologies mal connues de la plupart des médecins : que faire, que dire lorsque le récit fait par un patient incite l’écoutant à penser que le traitement proposé n’est pas adapté ? Comment concilier deux exigences déontologiques, laisser la médecine au médecin et apporter une réponse efficace à la souffrance du patient ? Les associations ne peuvent pas ouvertement trancher en empiétant sur le domaine des médecins ; cependant, les individus-écoutants sont amenés à donner des avis qui vont plus loin qu’ils ne le voudraient en théorie ; là encore, l’orientation vers des médecins formés et informés permet de « repasser » la main aux professionnels.

14Plus rarement, la question est posée du bénéfice de l’information lorsque le système de santé n’est pas capable d’apporter une réponse adéquate. Doit-on tendre une perche qui se retire dès que les personnes commencent à s’y accrocher ?

15Les associations sont aussi confrontées à une critique externe concernant les effets de l’information : un certain nombre de médecins, fidèles à une conception plutôt paternaliste des relations soignants/soignés, considèrent en effet que les informations diffusées par les non professionnels sont de piètre qualité, voire fausses, qu’elles induisent les patients en erreur, ou pire encore, qu’elles transforment une population de biens portants en malades, les symptômes décrits étant la plupart du temps communs à un ensemble de pathologies, des plus bénignes au plus graves. Les associations cherchent à parer ces critiques en se dotant d’un conseil scientifique qui contrôle la qualité des informations proposées au public.

Faire un état des lieux des malades, des maladies et des problèmes

16Pour faire exister les problèmes rencontrés par les patients, faire reconnaître leur pathologie, les associations essaient de tirer parti de leur existence même : beaucoup d’entre elles réalisent des enquêtes auprès de leurs adhérents et collectent de l’information par des biais variés : ce travail de recueil peut prendre différentes formes, enquêtes proprement dites, recueil lors de manifestations d’ampleur, par l’intermédiaire des délégués régionaux, au travers des services d‘écoute téléphonique, ou dans les groupes de parole. Peu ont cependant les moyens de systématiser cette démarche ou d’y associer d’autres acteurs comme les pouvoirs publics, ce qui renforce la légitimité des résultats obtenus.

TRANSFORMER LE REGARD ET LES PRISES EN CHARGE

17Tout le travail que nous avons décrit dans la partie précédente vise d’abord à transformer la manière dont les professionnels de santé perçoivent les problèmes et définissent des prises en charge. En règle générale, ces professionnels ont, de l’avis des associations, une vision réductrice qui ne masque que difficilement leur manque de connaissances ; rapidement, les personnes concernées, patients, proches etc. en savent davantage que les médecins sur leurs problèmes, et ce, sur deux plans différents, d’abord celui de l’expérience de vie de celui qui est confronté au problème et ensuite sur l’état des connaissances médicales sur la question.

Transmettre l’expertise du patient

18Cette transmission de l’expertise du patient est un des objectifs des associations : il ne s’agit pas simplement de créer une forme d’empathie du médecin à l’égard de son patient, mais plutôt d’apporter au monde médical les connaissances indispensables qui permettront de mieux accueillir les patients, de soigner correctement et de soulager une plainte qui aura été mieux appréhendée. Dans certains cas, comme celui des acouphènes par exemple, les médecins sont incapables de se représenter clairement ce dont il s’agit pour le patient.

19Plus généralement, connaître les différents cas de figure auxquels le patient peut être confronté, la manière dont d’autres se sont sortis de tel ou tel problème permet d’affiner le dialogue avec le patient et de faire différentes propositions thérapeutiques : beaucoup d’associations reconnaissent que les médecins sont majoritairement demandeurs d’informations, contrairement à ce qu’elles pensaient de prime abord, et qu’ils accueillent ces informations de manière favorable. Les associations participent à des formations pour les professionnels de santé et éditent des brochures.

20Elles sont aussi sollicitées pour apporter leur contribution dans des groupes de travail pluridisciplinaires, organisés par diverses institutions comme les URCAM ou la HAS, qu’il s’agisse de sujets proprement médicaux, comme par exemple l’élaboration de recommandations de pratique clinique, ou de sujets à la frontière du social, comme les arrêts de travail.

Transmettre des connaissances biomédicales

21Si, lorsqu’il s’agit d’apporter le point de vue du patient, de faire part de son expérience, de « compléter » les savoirs supposés objectifs par des savoirs subjectifs, les médecins sont plutôt accueillants, la tâche est un peu plus rude lorsque les associations tentent de mettre en avant des travaux réalisés par des chercheurs étrangers. L’on atteint là évidemment à ce qui est au cœur de la légitimité médicale : que les associations se mettent en position de donneurs de leçons, voilà qui est difficile à avaler. Et pourtant, de l’avis des associations, les défaillances de la formation continue en France, conjointes à des partis pris dogmatiques, laissent perdurer de larges poches d’ignorance. Parce que l’information n’est tout simplement pas disponible en français, les associations organisent des conférences, traduisent des articles, élaborent des synthèses de la littérature, font publier des ouvrages.

22Ce travail de formation s’étend à d’autres professionnels que ceux de la santé : les pharmaciens, les médecins du travail, mais aussi les enseignants – il existe des méthodes pédagogiques adaptées aux enfants autistes ou à ceux atteints d’hyperactivité et de déficit d’attention – sans oublier les professionnels du secteur judiciaire, avocats, juges qui, en dernier recours, peuvent être saisis par les patients ou usagers, ou pire encore, ont été saisis par les instances sanitaires qui soupçonnent les parents déjà accablés par les difficultés de leur enfant d’en être la cause par maltraitance.

(In)former les patients pour qu’ils (in)forment les professionnels

23Les associations ne peuvent pas être sur tous les fronts, d’où l’idée qu’il faut aussi trouver le moyen « d’équiper » le patient, l’usager afin qu’il ne se trouve pas démuni devant son médecin, qu’il puisse instaurer un dialogue constructif et apporter les informations pertinentes qui feront avancer sa situation. Plusieurs associations proposent des guides, des livrets, des dépliants qui puissent servir de documents d’appui dans la relation entre les patients ou leurs proches et les médecins.

24Il s’agit en tout état de cause de redonner la main aux patients ou usagers. Le médecin n’est plus seul, du haut de sa compétence médicale, à pouvoir décider pour eux, soit que cette compétence soit obsolète par manque de formation continue, soit qu’elle soit trop partiale et cette partialité conduise à écarter des options souhaitées par les usagers.

25De ce point de vue, le lien entre les deux types de connaissances que nous avons distinguées précédemment, celles qui résultent de l’expérience des personnes en tant que patients ou usagers, et celles qui sont produites par les chercheurs et cliniciens du domaine, est absolument crucial. Quel que soit l’état du droit, la demande d’un patient n’est pas complètement recevable pour de nombreux médecins tant qu’ils ne sont pas persuadés que cette demande est raisonnablement défendable sur un plan médical. D’où l’importance d’étayer cette demande, d’apporter tous les éléments qui permettent de réfuter sa disqualification par les professionnels. Redonner des possibilités de choix aux patients passe aujourd'hui par un investissement relativement lourd pour l’appropriation par les profanes des connaissances académiques.

Faire valider l’apport des patients/usagers

26La reconnaissance de cet investissement ne va pourtant pas de soi. Les associations se doivent de mobiliser divers soutiens afin de convaincre. Nous l’avons déjà évoqué, l’existence d’un comité scientifique est d’un apport considérable ; encore faut-il pour qu’il soit envisageable que la communauté médicale française compte suffisamment de spécialistes reconnus et « éclairés » sur le domaine en question, ce qui n’est pas toujours le cas. Le logo d’une institution comme l’Éducation Nationale ou l’INSERM apposé sur une publication est d’un secours précieux. Le choix des références est aussi stratégique : mieux vaut citer, semble-t-il, les expériences ou les études allemandes que celles venues des milieux anglo-saxons.

27Ceci étant, cette reconnaissance reste fragile. En particulier, les associations de patients sont la cible d’attaques qui dénoncent la supposée mainmise de diverses sectes sur leur activité. Cette situation conduit à une tension permanente qui résulte de l’existence de ces deux lignes de front, l’une du côté de la médecine classique, l’autre du côté des sectes et des charlatans.

Mobiliser les acteurs

28Les associations savent néanmoins qu’elles ne pourront pas gagner leur combat sans s’entourer de compétences, de médecins convaincus, de chercheurs engagés. Il y a donc aussi un travail qui vise à attirer ces acteurs et à les mobiliser. L’organisation de conférences ou la participation à des conférences médicales est un des moyens privilégiés pour nouer cette relation, encore faut-il procéder avec doigté et apparaître comme un soutien potentiel du monde médical plutôt que comme une menace. Parfois ce peut être les médecins qui prennent contact à partir de la lecture d’un site Internet ou d’un forum. Cependant, cet intéressement ne va pas sans difficultés. Les associations ont le sentiment que parfois les professionnels peuvent être pénalisés de s’être investis sur un problème particulier. Ce peut être parce que la manière même dont le problème est défini met à mal les courants théoriques dominants (le syndrome Asperger par rapport aux approches psychodynamiques), ou parce que le problème en question est considéré comme non sérieux, comme relevant de la maladie « psychosomatique » (par exemple la fibromyalgie).

Vers la prise en charge des problèmes complexes

29Nous l’avons déjà souligné, les problèmes auxquels les personnes sont confrontées sont complexes, et ce pour plusieurs raisons : ils sont mal connus et donc se donnent à voir au travers d’une série de manifestations, de symptômes divers que l’on ne peut ramener à une cause bien identifiée ; ils ont de fortes incidences sur la vie sociale des personnes – les fibromyalgiques sont souvent dans l’incapacité de maintenir une vie professionnelle ; les enfants autistes ou hyperactifs ont des difficultés d’apprentissage qui les ont fait exclure de l’école ; les personnes dépendantes de l’alcool se désocialisent etc. ; ils sont déstructurants et de ce fait contribuent à réactiver des problèmes de santé ou des problèmes psychologiques qui étaient tant bien que mal contenus avant la survenue de la maladie. D’où l’importance, du point de vue des associations, d’avoir des formes de prise en charge qui soient capables de traiter de manière coordonnée l’ensemble des problèmes. En conséquence, la pluridisciplinarité de la prise en charge est un objectif assez largement partagé.

SOUTENIR ET TRANSFORMER LES PATIENTS/USAGERS

30Le soutien est généralement la première mission que se donnent les associations. Le partage des expériences individuelles est en soi un des moyens de soutien, non seulement en raison de l’empathie manifestée, mais aussi parce qu’y circulent un certain nombre d’informations, d’opinions, d’appréciations subjectives qui sont des ressources pour l’action. Il y a, de plus, une valeur d’exemple et une force en soi qui se dégagent de la solidarité active manifestée au sein du collectif.

31Beaucoup d’associations considèrent en effet que la solution des problèmes rencontrés par les individus ne peut pas seulement venir de l’extérieur : transformer les personnes et les conduire à prendre en charge leur santé constitue l’un des objectifs des associations. Cela les conduit à proposer des « recettes » éprouvées par les uns ou les autres, à donner des conseils sur l’hygiène de vie, avec les interrogations « éthiques » que nous avons déjà évoquées.

32Le soutien peut prendre une forme encore plus active, en particulier lorsque les individus sont confrontés à des problèmes majeurs qui menacent leur intégrité : en particulier, si la menace prend une forme judiciaire ou administrative, elle devient dangereuse et requiert que des personnes bien informées, disposant d’un réseau d’acteurs convaincus, s’en saisissent. Dès lors, par exemple, qu’un enfant est repéré « à problèmes » à l’école, il n’est pas rare que s’enclenche un scénario catastrophe qui peut déboucher sur le retrait de l’enfant de sa famille. Dans ces situations d’urgence, les membres actifs des associations se mobilisent pour obtenir des mesures conservatoires en attendant que la « défense » des personnes puisse se mettre en place.

LA PLACE DES ASSOCIATIONS

33Deux écueils guettent les associations de leur propre point de vue : d’un côté, parce qu’elles mettent en avant des dysfonctionnements ou des lacunes du système de santé, elles peuvent être perçues comme agressives et en conséquence, risquent de s’aliéner les médecins et les chercheurs sur lesquels elles comptent pour faire avancer les choses. Mais lorsqu’elles sont mieux reconnues et/ou qu’elles s’engagent dans une coopération avec les autres acteurs, elles ont parfois le sentiment de servir de caution à des décisions qui sont en partie contestables, ou d’être utilisées afin de pallier certaines carences organisationnelles.

« Trouver sa place »

34Parce qu’elles pensent qu’elles ne peuvent se couper des milieux professionnels et politiques, les associations déploient un certain nombre d’efforts pour se définir une place : comment maintenir leurs revendications, mettre en avant leurs propres savoirs et analyses, en évitant que leurs positions soient interprétées comme une mise en cause trop radicale des compétences et des pratiques médicales ? Comment se faire respecter en tant qu’interlocuteur légitime sans être perçu comme agressif, alors que des décennies d’histoire ont conforté les praticiens dans une position d’autorité scientifique et morale ?

35Pour résoudre cette tension, la tendance générale est de s’appuyer sur l’idée d’une complémentarité entre profanes et professionnels, bien que nous ayons vu plus haut qu’en pratique, la gestion quotidienne de cette « complémentarité » n’est pas évidente et suscite chez les associations des interrogations sur leur « déontologie ». Comme cette complémentarité ne va pas de soi, les associations s’emploient à rassurer les médecins, inversant d’ailleurs de manière presque amusante les positions relatives entre patients et professionnels. Ce travail de réassurance se fait au niveau des responsables de l’association et du discours public qu’elle tient : prendre soin d’essayer d’intervenir en public en s’associant à un médecin, insister sur les aspects positifs plus que sur les aspects négatifs etc. Par ailleurs, des recommandations sont adressées au patient individuel de manière à ce que, s’il s’appuie dans son dialogue avec le médecin sur des éléments fournis par l’association, il invite dans le même temps le médecin à entrer en contact avec l’association et évite donc d’opposer trop brutalement l’un et l’autre.

36Les médecins sont dans un certain nombre de cas plutôt satisfaits que les associations puissent prendre le relais, car ils n’ont pas la possibilité, par manque de temps et d’information, de répondre à toutes les questions que se pose le patient et de proposer, tout particulièrement en l’absence de traitement médicamenteux satisfaisant, des pistes qui permettent au patient de vivre avec ses troubles.

Éviter l’instrumentalisation et la manipulation

37Mais c’est à cet endroit précisément aussi que les associations s’interrogent sur la bonne stratégie : jusqu’où faut-il aller dans la prise en charge des problèmes ? ne risque-t-on pas d’empêcher que des questions qui devraient être traitées par la collectivité dans son ensemble soient déléguées sans contrepartie à la bonne volonté des associations ?

38Par ailleurs, la volonté de coopération des associations, qui se manifeste entre autres choses par leur participation aux conseils d’administration des hôpitaux et aux diverses commissions existantes, est parfois bousculée par le sentiment, diffus ou très net, de se faire manipuler. À quel moment atteint-on le point de rupture ? Et surtout comment équiper les représentants pour qu’ils soient capables de réagir de manière adéquate alors qu’ils sont seuls face à une assemblée de personnes qui sont dans un cadre professionnel et qui ont beaucoup plus de ressources à disposition ? La question de la formation des représentants revêt de ce point de vue un caractère crucial : de l’avis de certains, cette formation devrait être assurée ou appuyée par les pouvoirs publics, et les initiatives qui ont été prises en la matière, notamment par l’INSERM ont été saluées.

39Enfin, se pose la question du positionnement d’une association par rapport aux controverses susceptibles de déchirer les milieux professionnels : la réponse n’est pas univoque, elle dépend évidemment de la compatibilité d’une approche donnée par rapport aux revendications des usagers. Nous avons vu plus haut qu’une façon de rouvrir les choix pour les usagers consiste à leur présenter l’état du débat et à permettre l’appréciation des différents arguments par rapport aux éléments qui leur importent. Du point de vue institutionnel, la composition du comité scientifique de l’association, quand il existe, peut être pluraliste et intégrer des scientifiques qui défendent des positions contrastées, à condition qu’elles n’entrent pas en contradiction avec les buts de l’association. Notons cependant que pour certaines associations, le défi se situe en amont, dans la capacité à intéresser des médecins et des chercheurs à leur cause.

Rester soi-même

40Nous avons pu constater le caractère très exigeant des missions que se donnent les associations dont le fonctionnement repose pour la plupart sur un noyau de bénévoles. Se pose la question de la viabilité à moyen terme de leur mode de fonctionnement. Compte tenu de l’étendue et de la difficulté des tâches à accomplir, les personnes volontaires et capables de les assumer ne sont pas légion : faut-il faire l’hypothèse que les « jeunes » retraités de demain constitueront une réserve de main d’œuvre ? À supposer que cela soit le cas, l’association ne risque-t-elle pas de se couper de ses adhérents plus jeunes ? Ne faudrait-il pas prévoir une forme d’aide financière qui permettrait à des malades, que la maladie a privé en partie de ressources, de s’investir ? En même temps, l’attachement au bénévolat est très fort et paraît constitutif des associations : c’est ce qui permet de garder sa liberté, et de « vouloir » quelque chose.

41Au-delà de la question du « statut », il reste malgré tout cette identité bizarre, en quelque sorte « bénévole professionnel », bénévole par les motivations, par le dévouement, par le don de soi, professionnel par l’investissement, le sérieux, les compétences. Avec une exigence qui est de se maintenir dans une position de médiation entre le corps médical et les usagers/patients.

42Cela passe par des choses qui peuvent paraître anodines mais ne le sont pas comme par exemple, la question du vocabulaire : il faut à la fois être capable de comprendre le vocabulaire des médecins mais exiger d’eux symétriquement qu’ils soient capables de traduire, quand c’est nécessaire, des descriptions techniques en des termes accessibles au plus grand nombre, surtout quand une analyse critique montre que l’utilisation d’un certain vocabulaire a essentiellement pour fonction de mettre de la distance entre le groupe des professionnels et celui des malades, distance qui permet à la fois de constituer l’autorité et de se tenir éloigné de la contamination émotionnelle.

*

Sur Internet, j’ai lu tout ce qu’on aurait dû me dire, alors que les gens que j’étais allée voir depuis 18 ans me disaient que c’était ma faute, me culpabilisaient comme tout le monde. Quand j’ai lu ça sur Internet, ça a été un grand choc pour moi. Je n’arrivais pas à obtenir une information que je recherchais ; j’étais allée voir tous les psychiatres, psychologues, tout ce qu’il y avait à Paris et partout : personne ne m’avait donné cette information que je lisais sur Internet en anglais. Je me suis dit que c’était très grave et que tous les parents de France avaient le droit d’avoir un diagnostic et le droit de savoir ce dont souffre leur enfant.
Parce que c’est vraiment une souffrance. L’Asperger n’est pas une maladie, c’est un problème neurobiologique, d’origine génétique. Mais j’étais culpabilisée, pas seulement moi, mais mon mari, ma famille, tout le monde me disant que je ne savais pas l’élever…
En France, l’autisme en général est considéré comme un problème psychologique, il n’est pas compris comme un problème neurologique Donc très peu de médecins peuvent faire le diagnostic. Pour les enfants, il y a peut-être bien une dizaine de médecins en France qui peuvent faire le diagnostic. Pour les adultes, il y a deux médecins en France qui peuvent faire le diagnostic. Il n’y a aucune formation pour les médecins
Je me suis alors dit que tout le monde manquait d’information et j’ai appris à faire un site Internet. À partir de cette première page, j’ai commencé à avoir des appels téléphoniques et à comprendre que je n’étais pas la seule personne au monde à avoir ces problèmes. Qu’on était beaucoup. Maintenant l’autisme Asperger, on sait que ça touche une personne sur 150. ■ Asperger Aide

Pour moi, le plus gros problème, je parle en tant que malade et par rapport à mon vécu dans l’association, c’est le diagnostic, c’est le droit au diagnostic. J’ai eu énormément de mal à savoir ce que j’avais. Je l’ai su par hasard. Je n’avais pas du tout de contact avec le monde médical, en France. Quand j’ai des contacts, c’est avec le monde paramédical : il y a des étudiants en psychologie, qui ne sont donc pas des médecins, qui s’y intéressent. Certains travailleurs sociaux sont formés à la maladie mais pas les médecins généralistes. Il y a une ignorance phénoménale de la chose. J’ai été souvent très rejetée, comme les gens qui m’appellent au téléphone, par les médecins qui sont pour beaucoup d’entre eux incompétents sur ces questions, et qui se défendent par la moquerie.
Nous ne sommes pas directement face à un problème d’école. Ce n’est pas une opposition entre des psychanalystes et des comportementalistes pour le dire simplement. D’ailleurs, nous avons nous-mêmes constitué un annuaire dans lequel il y a les deux. Donc nous ne sommes pas en train de défendre l’un plutôt que l’autre. On est face à un mur français en termes de psychiatrie, et nous revendiquons le droit au diagnostic : ce que nous constatons, c’est que ce droit n’existe pas. C’est même plus que ça : une majorité écrasante de psychiatres considère même que le diagnostic en lui-même est néfaste. On n’est même pas en train de dire s’il y a polémique sur le trouble borderline ou pas, s’il existe ou pas. En tant que patient, on n’a pas droit au diagnostic. ■ AAPEL, États limites

Nous diffusons principalement l’information sur le canal Internet. Notre site Internet génère plus de 2000 visiteurs par jour. Ce qui fait que, petit à petit, ce qui était ignoré il y a quelques années – le mot borderline n’était pas prononcé – commence à être connu. Aujourd’hui le mot commence même à être utilisé à mauvais escient dans les médias : preuve en est qu’il y a un travail qui a été fait. ■ AAPEL, États limites

Je commence par expliquer aux parents de quoi il s’agit ; si l’on ne peut pas comprendre l’état mental de son enfant, on ne peut pas savoir comment l’élever. Il y a beau n’y avoir qu’un livre sur le sujet, les médecins qui connaissent le syndrome d’Asperger ne disent jamais au patient : « Lisez-le ». C’est très difficile à comprendre, le mental. Comment savoir qu’il y a un sixième sens qui est le sens social ? On organise des cafés Asperger tous les mois à Paris, il y a des adultes Asperger qui viennent, qui ont fait Polytechnique mais qui sont au chômage ; réaliser seul un travail intellectuel est beaucoup plus facile pour un Asperger que d’aller à la machine à café avec le collègue, mais si vous n’allez pas à la machine à café, et que vous ne vous socialisez pas, vous ne pouvez pas travailler dans le monde actuel. Ils sont sans travail. ■ Asperger Aide

Je souhaite dire que c’est bien triste quand on n’est pas compris. À France Acouphènes, nous expliquons aux personnes qui nous contactent ce qu’il leur arrive et souvent qu’il faut faire le deuil du silence. C’est-à-dire qu’avec les acouphènes, il n’y a plus de silence, plus de calme. La difficulté c’est qu’on ne nous croit pas : on va sur Mars et l’on ne sait pas guérir les acouphènes ! Les médecins disent souvent : « Il faut vivre avec, reposez-vous. C’est dans votre tête. » La semaine dernière, dans une réunion, nous avions un couple d’un certain âge, après avoir expliqué ce qu’était un acouphène, la femme a dit en se tournant vers son mari : « Mais alors c’est vrai ce que tu disais, tu entends vraiment des sifflements ? Pourtant le docteur avait dit que c’était dans ta tête. Mais tu les entends vraiment ? Excuse-moi mon chéri. » ■ France-Acouphènes

Nous avons pour rôle d’informer les personnes qui sont atteintes de fibromyalgie. De leur dire que cela touche 4,45 % de la population en France, selon une étude de 2005. Leur dire que cette pathologie existe : « On sait que vous avez mal, on le comprend et on est là pour vous aider. » Les malades qui viennent vers nous, bien souvent, viennent chercher une « légitimité » de leur pathologie. Ils se sentent rejetés par le milieu médical, par la famille. Ils essaient de venir vers nous pour expliquer leur état de santé, leur pathologie. C’est d’abord une écoute, et une reconnaissance de la légitimité de leur pathologie. ■ FNAFF, Fibromyalgie

Notre groupe fait partie de l’AFM [Association française contre les myopathies] où il y a des maladies très visibles et des maladies pas du tout visibles comme la mienne. Nous, on se retrouve finalement dans la même position que beaucoup de gens ici, c’est-à-dire qu’on est « psychiatrisé » très souvent parce que l’on ne pense pas que quelqu’un comme moi puisse avoir une maladie lourde, cela est absolument impensable. On fait faire beaucoup de travail aux psychiatres qui ne correspond pas à leur rôle. ■ AFM-Groupe Myasthénie

Un des objectifs de l’information pour nous tous c’est la déstigmatisation. Parce que quand on sait, grâce à l’information, que la dépression est une véritable maladie – ce n’est pas une question d’être fainéant, de ne pas avoir de caractère – quand on a cette information, on arrive à déstigmatiser les choses, démystifier les choses, à la fois pour la personne qui en souffre et pour le grand public. ■ France Dépression

Je reviens sur la déontologie . Puisque notre sujet est assez délicat. On a un trouble qui, comme Asperger, comme les états limites, est mal connu du monde médical. C’est vrai qu’on a peu de médecins qui reconnaissent l’existence de cette pathologie en tant que trouble d’origine neurologique. On est dans une pathologie, le trouble déficit de l’attention/ hyperactivité. C’est un trouble, ce n’est pas une maladie. Les difficultés d’attention, de concentration, ce sont parfois les premiers symptômes d’appel pour l’adulte qui souffre de fibromyalgie : quelqu’un qui nous appelle peut, en fin de compte, découvrir au fil de ses démarches que le problème est une fibromyalgie. À l’inverse, on a des gens qui souffrent de troubles de l’humeur, surtout chez les adultes, de dépression. L’origine de leur problème n’est pas la dépression, mais le trouble déficit de l’attention/hyperactivité [TDAH]. Et puis on a aussi des gens qui, n’ayant pas été diagnostiqués enfants, peuvent accumuler les troubles de comportement et finissent par verser dans l’alcoolisme, le borderline…
Si la personne est en recherche de diagnostic, on doit prendre énormément de précautions. Sur tous les appels que nous recevons, peu vont aboutir sur un diagnostic précis de TDAH. On doit bien rester au niveau du patient et faire notre information en tant que patient mais non en tant que médecin. C’est quelque chose de difficile à cadrer dans une association : une personne qui vient de découvrir sa pathologie peut avoir l’impression que tous les gens qui vivent autour d’elle ont la même chose. ■ HyperSupers-TDAH France

N’étant pas médecins – nous avons un comité scientifique – nous sommes dans une situation que l’on peut qualifier de limite parce que nous donnons aux personnes qui nous appellent des conseils pour les aider à mieux vivre avec les acouphènes et dédramatiser la situation. Nous connaissons les médicaments qui sont prescrits, (pour être passés par ce chemin nous aussi). Nous ne faisons aucun commentaire sur une prescription de médicament et nous ne dirons jamais à quelqu’un d’arrêter ou de diminuer son traitement, cependant lors d’un entretien nous pouvons aussi faire part de notre propre expérience, ce qui est une démarche tout à fait normale. ■ France-Acouphènes

Il y a de grands manques. Nous, on passe par-dessus la déontologie toutes les semaines. Parce qu’il y a des neurologues qui ne savent pas ce que c’est qu’une myasthénie, qui donnent des traitements dangereux, qui envoient des gens sans problème en réanimation, cela ne les gêne pas du tout. Moi ça me gêne. Je dis à ces gens d’aller dans une autre consultation, parce qu’on a toujours le droit d’avoir un deuxième avis. Cela n’est pas contre la déontologie. Et il y a des gens qui connaissent, j’envoie donc vers les consultations qu’on sait être efficaces, qui écoutent les gens, qui se mettent en cause. Les médecins oublient souvent que la médecine n’est pas une science. ■ AFM-Groupe Myasthénie

Notre rôle d’association consiste à mettre en relation le patient avec le soignant. On est face à un vrai problème actuellement. Nous délivrons une information qui, d’un certain point de vue, soulage la personne en souffrance ou son proche, parce qu’elle apporte des réponses. Et souvent notre réponse c’est : « Maintenant, débrouillez-vous. » Alors que notre objet est de soulager, d’une certaine façon, nous fabriquons de la souffrance. On est face à des patients qui pensent : « Enfin je vais voir la porte de sortie », et bien non, la porte de sortie tu ne l’as pas parce qu’on ne connaît pas de soignants dans ta région. Finalement on crée un espoir et une fois qu’on l’a créé, on le détruit. C’est assez insupportable. ■ AAPEL, États limites

Nous avons même des accusations, explicites ou implicites, qui disent : « Vous fabriquez des malades. Vous êtes face à une population de gens qui vont très bien et vous décrivez des symptômes dans lesquels tout le monde peut se reconnaître et donc vous fabriquez des malades. » Souvent ces accusations viennent de soignants qui n’ont pas été formés ou qui vivent très mal qu’on puisse leur dire qu’ils ne sont pas omniscients, omnipotents. ■ AAPEL, États limites

Ce travail de formation s’étend à d’autres professionnels que les médecins traitants : les pharmaciens, les médecins du travail, mais aussi les enseignants – il existe des méthodes pédagogiques adaptées aux enfants autistes ou à ceux atteints d’hyperactivité et de déficit. L’expérience de terrain est fondamentale et nos associations ont apporté énormément d’informations au monde médical et beaucoup d’alcoologues se sont inspirés des histoires de vie de nos adhérents. ■ Alcool Assistance

Nous sommes considérés comme des « patients experts », c’est-à-dire que nous sommes en mesure de pouvoir expliquer notre situation avec du recul. Quand nous faisons une information auprès des médecins, que ce soit des médecins du travail, des médecins généralistes, ORL, psychothérapeutes, etc., nous essayons de leur expliquer comment accueillir, au mieux, les personnes qui souffrent. C’est très important surtout pour un symptôme comme l’acouphène qui n’est pas visible. Comme nous n’avons aucun moyen aujourd’hui de montrer ce que nous avons, même pas de le faire entendre, la meilleure façon de faire, c’est de témoigner, c’est de parler. ■ France-Acouphènes

On s’entoure effectivement de spécialistes du monde médical qui connaissent bien la fibromyalgie, de manière à ce qu’ils apportent un témoignage sérieux, qui soit répercuté vers le monde médical, vers les instances sociales, parce qu’au-delà du médical, on aborde aussi les problèmes de prises de charge sociale, de reconnaissance au niveau judiciaire. Notre avocat intervient au cours de nos congrès pour apporter le point de vue juridique dans le traitement des dossiers. Ce qui nous permet de bien capitaliser et de redistribuer vers les instances concernées toute notre expérience. On a été surpris de voir qu’en retour – bien sûr, il y a toujours une frange irréductible – nos interlocuteurs sont très demandeurs d’information et apprécient beaucoup l’information qu’on leur donne. ■ FNAFF, Fibromyalgie

Nous avons été invités à participer à des groupes de travail avec lesquels nous avons sorti des brochures d’information : par exemple avec l’Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie, avec la Haute Autorité de Santé. Nous avons participé pour donner notre point de vue sur certains sujets qui nous concernent tous, les arrêts de travail par exemple ; et avec la HAS, maintenant, pour les lignes directrices et les recommandations pour les médecins. Nous sommes aussi régulièrement invités pour participer à des formations pour les professionnels de la santé où nous pouvons expliquer nos problèmes de prise en charge ; on essaie de partager avec eux. ■ France Dépression

Pour sortir le livre sur le syndrome d’Asperger – ma première bataille – je me suis battue avec l’éditeur du livre pendant deux ans. Il me dit : « Mais pourquoi je dois publier un livre sur quelque chose que personne ne connaît ? » Moi je peux dire que c’est connu partout sauf en France. Le même éditeur a publié un deuxième livre et je lui dis : « Il y a 160 livres en anglais ; si vous publiez un livre tous les deux ans, on ne va pas trop avancer dans l’histoire. » ■ Asperger Aide

Nous avons deux grandes difficultés sur le sujet : l’errance diagnostique et le rejet scolaire des enfants atteints de ce trouble qui ne sont en général pas diagnostiqués mais bien repérés à l’école puisqu’on les déscolarise par conseils de discipline successifs jusqu’à l’exclusion en général. À la fin du premier trimestre, on a déjà affaire à une quantité importante d’enfants « repérés » souffrant de ce trouble. On a deux missions d’information, d’abord vis-à-vis des médecins pour qu’ils sachent que ce n’est pas une pathologie inventée par les Américains pour des enfants insupportables, et en second lieu, auprès des enseignants : il faut qu’ils sachent que, certes, quand on a un enfant comme ça dans une classe, c’est un travail très difficile de le gérer – on le comprend – mais qu’il existe des méthodes pédagogiques qui peuvent aider. ■ HyperSupers-TDAH France

Les bénévoles disposent d’un support sur « Comment créer un dialogue avec le médecin ? » pour rassurer le médecin sur notre façon de faire, pour dire : « Voilà on agit comme ça. » Et pour renforcer les liens entre le patient et le médecin. En plus, on est confronté à une autre difficulté : pour soigner ce trouble, il existe une seule molécule sous plusieurs formes ; et comme ce médicament a une restriction de prescription puisqu’il appartient à une famille de stupéfiants, il n’y a qu’une toute petite partie de spécialistes qui dispose d’information et d’une formation sur ce médicament. Ce médicament cristallise énormément de peurs, de méconnaissances. Beaucoup de médecins, comme ils n’ont pas d’information sur ce médicament, refusent de le prescrire alors qu’il serait adapté. Et ils refusent souvent le diagnostic par refus de la prescription. ■ HyperSupers-TDAH France

Leur premier interlocuteur, c’est le médecin de famille. Il faut qu’il y ait un bon partage. Mais ce n’est pas le cas à chaque fois. Ça c’est le premier point. Le second après, c’est qu’il faut qu’il ait la bonne information. Il faut que nous, association, par le biais de la fédération, nous puissions avoir une compilation d'informations issues de la recherche médicale qui soit validée et certifiée, afin qu'on puisse ne pas dire n'importe quoi. Parce qu'il y a beaucoup de choses qui se disent sur la fibromyalgie. Notre rôle d’association, si nous voulons être crédibles, c’est de donner les bonnes informations. ■ FNAFF, Fibromyalgie

Il y a aussi un droit à l’information dans la loi Kouchner : libre choix, consentement éclairé ; on a même le droit au refus de soins.

Nous aussi, on a un ou des comités scientifiques. C’est dur tout de même. Du point de vue déontologique, on ne fait pas de la médecine à la place des médecins quand on fait de l’expertise : on va chercher des résultats médicaux internationaux qui ne sont pas connus de certains médecins, allez savoir pourquoi ! On ne fait rien d’autre que redispatcher une information qui est médicale, qui est publiée. On ne va pas se mettre à faire de la médecine sans connaissances. Ce qui est incompréhensible, c’est le manque de formation de certains de nos médecins ; et quand il y a des discussions entre experts – et il y en a sur certains sujets – les femmes ne sont pas informées correctement. On ne leur dit jamais : « Écoutez, là, on ne sait pas. Il y a telle option qui peut produire ça, ça ou ça, et il y a une autre option qui peut produire ça ou ça. C’est à vous de choisir. » Nous, en tant qu’association, c’est cela qu’on veut finalement. ■ CIANE, Naissance

Pour nous permettre d’informer les personnes souffrantes, la Mission Associations de l’INSERM [Institut national de la santé et de la recherche médicale] nous aide beaucoup sur le plan de la compréhension en organisant des formations courtes sur le langage médical et comment rechercher l’information. Des conseils nous sont donnés sur la manière de gérer les différends avec le monde médical et cette mission nous apporte de l’aide dans nos démarches. Nous faisons des progrès dans la compréhension des mécanismes. Cela nous permet de commencer à dialoguer avec le corps médical. ■ France-Acouphènes

J’ai un gros mal-être parce que c’est un domaine très sensible, et on peut se faire taxer d’avoir un comportement sectaire, des gens peuvent être méfiants par rapport à ça, parce qu’on s’occupe quand même d’un trouble de la personnalité. On n’a aucune aide des autorités par rapport à ça. Il y a la Miviludes [Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires], c’est sûr qu’elle a étudié l’association, puis d’ailleurs tant mieux. Le gouvernement a donc une liste de groupes qu’il considère comme sectaires mais en revanche il n’a pas de liste de groupes qu’il considère comme non sectaires. J’aimerais bien qu’on la fasse. ■ AAPEL, États limites

En périnatalité, on a parfois ce problème-là, on est un peu pris entre le marteau et l’enclume : la médecine extrêmement classique d’un côté ; de l’autre, les mouvements new âge ou parfois de véritables sectes, très discutables. Et notre travail d’information consiste à renseigner les usagers à la fois sur les choses inexactes dites par certains mouvements et sur les choses inexactes dites par la médecine classique. C’est parfois fatigant. ■ CIANE, Naissance

Lors de ce congrès, nous étions 500 personnes et c’est à la suite de ce congrès que les médecins, enfin, ont décidé de prendre en charge cette pathologie de façon sérieuse, considérant que nous ne sommes pas des malades relevant de la psychiatrie, comme on l’entendait dire couramment. On a mis dans une même salle de conférence des médecins et des malades. Les médecins ont vu que les fibromyalgiques étaient des gens normaux, normaux dans leur tête, mais qui avaient une plainte douloureuse réelle, qui voulaient savoir pourquoi ils avaient ces douleurs, pourquoi ils avaient ces troubles du sommeil, pourquoi ils avaient une fatigue chronique générale, et ce que l’on peut faire pour eux. C’est de là que tout est parti. ■ FNAFF, Fibromyalgie

J’ai créé un site Internet, et on discutait sur des forums publics. Si aujourd’hui j’interviens peu sur le forum, au début je participais beaucoup, j’animais ce forum. Je crois que des médecins ont lu ce que j’écrivais. Ce qui fait que j’ai été approchée directement par des médecins. Ils m’ont dit : « On voudrait vous aider. » Ça été le premier pas. Il y a deux ans nous avons créé un comité scientifique et obtenu le soutien de médecins reconnus, Je rencontre régulièrement des médecins, ainsi que les bénévoles en région lors d’entretiens en vue de conférences ou autres collaborations. Cependant, il est vrai qu’ils nous approchent en observant ce que l’on dit, ce que l’on fait. ■ HyperSupers-TDAH France

Il n’y a aucun médicament qui permette de dire à une personne : « Prenez ce médicament et votre problème d’alcool va être résolu. » Aujourd’hui c’est la personne qui se prend en charge. Pour que la personne se prenne en charge, elle doit être accompagnée par un réseau extrêmement compétent. La maladie alcoolique est une maladie bio-psycho-sociale ; il y a plusieurs facettes. On s’aperçoit aujourd’hui que le réseau est extrêmement important, le réseau médical, le réseau psychologique, et le réseau associatif. ■ Alcool Assistance

Un des rôles des associations est de créer cet espace pour les patients. Par exemple, nous avons fait des groupes de parole. Il y a un jeune qui, au bout de quelques mois, nous a avoué : « Grâce à vous j’ai pu enfin parler pour la première fois de ma vie de mes idées suicidaires à mon médecin, parce que je vous voyais parler de vos propres idées suicidaires alors que je n’osais en parler à personne ; il a changé mon traitement et je n’ai plus d’idées suicidaires. » J’ai été extrêmement touchée par ce qu’il a dit. C’est un exemple de la manière dont on a pu faire évoluer les choses et dont les soignants ont pu prendre le relais. ■ France Dépression

On sait très bien que l’on ne sait pas guérir certaines pathologies. On peut effectivement agir sur la qualité de vie, par des traitements spécifiques médicamenteux. On a non seulement le droit mais aussi le devoir d’informer les adhérents et les malades sur ce qu’il faut faire pour apprendre à gérer sa maladie. En matière de fibromyalgie, il y a une composante très importante, c’est de maintenir une activité physique. Sur ce point, on peut communiquer, on peut donner des conseils, on n’est pas hors jeu. ■ FNAFF, Fibromyalgie

On a un réseau dans toute la France d’une quarantaine de bénévoles qui répondent aux familles, et on a toute une structure pour aider les bénévoles sur le terrain à aider les familles, puisque l’information vis-à-vis des écoles est complexe à faire. Quand on passe par des systèmes d’intégration, quand on doit gérer des défenses d’enfant en conseil de discipline, quand on doit faire appel au niveau du rectorat, ça demande d’excellentes connaissances des institutions, qui sont à la portée de n’importe quel énarque, mais pas vraiment de l’usager de base ! ■ HyperSupers-TDAH France

Le parent d’un enfant de 5 ans avec des troubles de comportements à l’école m’a contacté : l’école avait décidé que c’était la faute de la famille, bien sûr. Et ils avaient mobilisé le médecin et le juge, en disant que l’enfant ne devait pas rester chez lui. La famille habite à Strasbourg. Je les ai fait venir à Paris où nous avons une psychologue qui vient d’Irlande faire des évaluations : d’après elle, il avait bien le syndrome d’Asperger. Après, j’ai dû l’envoyer à Cognac où se trouve un médecin qui peut faire le diagnostic. À Paris, l’attente est trop longue. Ensuite, je suis partie à Strasbourg avec quelqu’un du milieu de l’éducation pour convaincre l’école qu’il avait le syndrome d’Asperger et qu’il pouvait rester à l’école, si on mettait des choses en place. Ensuite, il y avait le procès : il n’y a aucun avocat qui connaît le syndrome d’Asperger. On a passé beaucoup de temps avec le juriste pour le former. Les parents ont gagné le procès, l'enfant est dans sa famille, il est à l'école et maintenant, il est très bien à l'école. ■ Asperger Aide

Nous estimons que nous sommes complémentaires du corps médical. Nous ne les remplaçons pas. C’est un point important pour rassurer les médecins. Ce n’est pas facile de trouver sa place, dans tout ce système. Cette scission entre soignant et soigné doit être absolument effacée. Nous ne sommes pas une association antipsychiatrique comme il y en a. Il faut vraiment essayer de travailler en partenariat, même si c’est difficile, et faire avancer les choses ensemble. ■ France Dépression

On a un rôle auprès des médecins pour les rassurer parce qu’ils sont très inquiets que les patients portent une parole médicale qui est la leur, une expertise médicale qui est la leur, qui n’est pas la nôtre. On doit dialoguer le plus possible avec les médecins pour créer un bon partenariat On nous demande maintenant de faire de l’information dans les écoles, d’intervenir. Et comme on a un sujet difficile, qui touche à la neurologie et à la psychiatrie à la fois – puisqu’avec le même tableau symptomatique, la racine peut être neurologique ou psychologique – on fait intervenir systématiquement un médecin. C’est lui qui apporte un point de vue médical et nous, on apporte plutôt un conseil aux enseignants : comment concrètement on peut aider l’enfant, comment on peut aider à créer un bon dialogue avec la famille. ■ HyperSupers-TDAH France

Nous avons un rôle d’éducation à faire passer par nos associations ; on dit à nos membres : « Lorsque vous communiquez avec votre médecin généraliste, invitez-le à venir participer à nos travaux de façon à ce qu’il nous connaisse mieux » ; et nous aussi, on va mieux connaître les généralistes, cela permet de créer du lien. ■ Alcool Assistance

Quand nous intervenons devant des médecins généralistes et ORL, leur discours est souvent : « Que pouvons-nous dire après vingt minutes à nos patients à part leur dire de ‘vivre avec’ ? » Notre réponse est : « Vous pouvez préciser que ce n’est pas mortel, ni dangereux, c’est simplement perturbant, et vous pouvez donner les coordonnées de l’association. » La réponse des médecins est souvent : « Oui, mais attendez, s’ils me posent encore des questions, que voulez-vous que je leur réponde ? » De fait, ils n’ont pas de réponse, ils sont désarmés car il n’y a pas de traitement ; c’est pour cela que nous avons mis en place une écoute téléphonique qualitative, pour donner quelques conseils de vie, comment dormir, etc., toutes ces questions auxquels les médecins n’ont pas le temps de répondre. L’écoute téléphonique reste un moyen privilégié pour dédramatiser un symptôme comme les acouphènes. ■ France-Acouphènes

Parfois, comme on a réussi à créer un bon dialogue avec un certain nombre de médecins prescripteurs, il n’est pas rare qu’on nous envoie des familles : quand le médecin fait le diagnostic de TDAH, il reçoit la famille pendant une heure, une heure et demie, ce qui n’est pas rien. Mais au bout de ce temps, il n’a pas réussi à faire le tour de toutes les questions et, du coup, il renvoie sur l’association. Même sur le médicament, parfois, le médecin nous renvoie les patients ! Ce n’est pas toujours évident à gérer parce qu’il faut être sur la juste information sans répondre à des questions comme : « Comment je donne le médicament, qu’est-ce que je fais ? », parce qu’il y a des questions qui sont vraiment de l’ordre de la prescription. ■ HyperSupers-TDAH France

Il y a le bon et le mauvais côté. Le bon côté, cela permet aux associations de participer au conseil d’administration en tant que représentant des usagers. C’est le cas de notre association au niveau national. Mais on s’aperçoit aussi que l’on est parfois là un peu pour cautionner. Nos adhérents doivent être formés pour pouvoir s’intégrer dans le conseil d’administration, il faut qu’on équipe les représentants des usagers pour qu’ils puissent vraiment avoir leur temps de parole. ■ Alcool Assistance

Servir de caution, c’est un risque très difficile à contrôler. « Oui j’ai consulté les usagers, oui ils sont là ! » : on a l’impression d’être pris en otage. Je voulais mentionner bien sûr la CRU, la Commission des Relations avec les Usagers, qui peut vous donner l’occasion de beaucoup dialoguer, ça dépend énormément des soignants en face. Qui vous prennent plus ou moins en compte. Cela peut être aussi les relations avec les syndicats des hôpitaux qui peuvent « s’appuyer sur les usagers ». Il faut faire très attention quand on a cette place, ce n’est pas facile à gérer. La formation des professionnels d’accord. Mais la formation des usagers aussi. Par le biais peut-être des programmes gouvernementaux ou quelque chose. ■ France Dépression

On est plus ou moins bien reçus dans les instances professionnelles dans lesquelles on débarque un peu comme un profane. Il y a des gens qui sont vraiment intéressés par cette ouverture, d’autres qui nous regardent l’air de se demander ce qu’on fait là. Et chaque fois, il faut bien garder ses objectifs en tête en essayant de faire la synthèse de tous les points de vue. Il faut aussi comprendre le point de vue des autres, c’est fondamental. Mais il ne faut surtout pas se faire avoir et ne servir que de caution. ■ CIANE, Naissance

La force d’une association est son équipe de bénévoles. Nous sommes toujours à la recherche de bénévoles, et nous avons beaucoup de mal à les retenir. Ils viennent nous voir. Ils sont plein d’idées et quand ils se rendent compte de ce que ça représente comme investissement personnel, souvent ils renoncent à s’investir. En effet, on commence par s’investir un peu et puis progressivement on donne plus de temps. Quand on est motivé, on va jusqu’au bout de ses idées. Il faut faire attention à la vie de famille : bénévole, c’est un vrai métier. Le bénévole devrait avoir un statut reconnu, car comme tout le monde, il a besoin de reconnaissance. À France Acouphènes, nous faisons bénéficier nos bénévoles de formation régulières, écoute téléphonique, animation de groupes de parole etc. ■ France-Acouphènes

Le bénévolat, c’est sacré, c’est un mot un peu exagéré mais, si, quand même. C’est un investissement gratuit. On ne doit rien en attendre pour soi-même, sinon c’est fichu. Que ce soit financier, ou une reconnaissance de son ego. Quand on fait du bénévolat, on ne le fait pas pour soi, on le fait parce qu’on est convaincu qu’il y a des choses qui ne vont pas et qu’il faut essayer que ça change pour les autres, pour les générations d’après. Je pense qu’on ne peut pas professionnaliser le bénévolat, ça ne serait plus la même chose. ■ CIANE, Naissance

Je suis très fière et je ne voudrais pas changer mon statut pour tout l’or du monde. Pour moi c’est ma liberté. Quand j’ai à dire zut, je dis zut ; on me connaît très bien à l’association pour ça. Dans une vie, c’est très important de faire des choses où l’on n’a pas de rémunération. Faire des choses bénévoles ça veut dire qu’on le veut bien. C’est très valorisant. ■ AFM, Myasthénie

Les associations gérées par les malades eux-mêmes ont beaucoup de problèmes avec la prise de responsabilité : on n’est pas toujours en mesure de tenir son rôle. Nous avons des commissions où les médecins sont là : ils sont payés pour leur journée à l’hôpital, la réunion est à l’hôpital. Nous, on se déplace, on peut avoir une rechute et ne pas pouvoir y aller, or on n’a pas le droit d’être représenté par un autre membre de l’association. Il faut qu’on reconnaisse que c’est l’association en tant que personne morale qui est désignée et non pas la personne, l’individu, derrière ce titre. ■ France Dépression

On est dans ce paradoxe total. Les associations ont besoin d’être de plus en plus hyper spécialisées. Nous sommes de plus en plus experts en quelque chose. On ne peut pas se permettre de passer des mois et des mois à former un expert qui va rester pendant trois mois, et qui, au bout de trois mois, va partir. On n’a pas les moyens. Il faudrait qu’on soit bénévole et qu’on travaille à plein temps, je veux bien mais comment ? Une école de bénévoles ! ■ AAPEL, États limites

Important, le rôle de traducteur des associations de patients. C’est-à-dire comprendre et expliquer les mots, utilisés par les médecins au cours de leur consultation. Dans une conférence, quelqu’un de l’HAS a dit : « Mais qu’est-ce que vous allez comprendre si on vous parle en termes médicaux ? » Notre réponse a été : « Nous voulons bien faire l’effort d’apprendre le langage médical. » Il est important pour l’association de se doter de gens compétents, et de s’investir dans la compréhension du langage utilisé. Comme nous sommes régulièrement en contact avec des médecins, parfois, nous leur disons : « Attendez, ce que vous écrivez là, le patient ne le comprend pas ; vous donnez un diagnostic avec des mots savants que le plus grand nombre ne connaît pas. » Il ne s’agit pas là de faire un procès au corps médical, bien au contraire, mais, souvent un peu d’explication serait rassurant. Un de nos appelants nous a dit après une consultation : « j’ai eu l’impression que mon médecin parlait avec un de ses collègues et non pas avec moi. » C’est là tout le problème. ■ France-Acouphènes

Sur le jargon médical, je trouve ça extrêmement intéressant. Il y a deux types de jargons. Il y a le jargon technique qui a une définition précise, que l’on peut apprendre, et il y a le jargon qui est protecteur. On voit très bien que les médecins se protègent psychiquement de l’émotion en s’abritant derrière des mots techniques qui, en réalité, ont presque toujours une traduction dans le langage courant. L’exemple type c’est la douleur qui est remplacée par algie par exemple. On se demande pourquoi ce mot existe, il ne sert à rien de plus que le mot commun. Un des rôles des associations peut être de remettre de l’émotion dans le corps médical. Ils ont fini par se détacher de l’humain dans sa dimension émotionnelle, qui est pourtant très importante, comme le démontrent de plus en plus les neurosciences. Ce peut être notre rôle de remettre tout ça ensemble, à travers le vocabulaire notamment. ■ CIANE, Naissance

Notes de fin

1 Les expressions suivies d’un astérisque sont définies dans le lexique p.197

© Presses des Mines, 2009

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