Versión clásicaVersión móvil

Où va le travail à l’ère du numérique ?

 | 
Anne-France Saint Laurent-Kogan
, 
Jean-Luc Metzger

Deuxième partie. Apprendre au travail à l’ère du numérique

Chapitre II.4. Se former aux TIC : la grande débrouille

Anne-France de Saint Laurent-Kogan y Michel DURAMPART

Texto completo

INTRODUCTION

1Ce chapitre propose d’aborder la question de l’apprentissage des TIC à partir de l’offre de formation en la matière. Deux grandes questions guident ce chapitre : Comment cette offre a-t-elle évolué depuis 25 ans ? Quels niveaux de la grille d’analyse présentée au chapitre II.1 sont pris en compte par cette offre institutionnelle et quels sont ceux qui ne le sont pas ?

2Dans un premier temps, nous reprendrons le débat, né dans les années quatre-vingt, sur la culture informatique, et son évolution au regard de la diffusion de plus en plus massive et transverse des TIC. Ensuite, à partir d’entretiens réalisés auprès de formateurs en TIC, nous présenterons les différentes formations instituées proposées aujourd’hui et le public concerné.

3Au-delà de toutes les démarches autonomes – qui sont loin d’être négligeables – on constate une prise en charge institutionnelle pour l’acquisition et la validation de ces nouveaux savoirs : depuis l’institution publique comme l’école pour une « culture informatique » jusqu’aux entreprises de formation pour les savoirs experts. Ces dernières développant de véritables stratégies commerciales de la connaissance, l’accès à ces formations constitue alors un privilège pour les salariés.

1 LA CULTURE INFORMATIQUE EN DÉBAT

4À partir de la fin des années 1970, avec la diffusion massive des TIC dans le monde du travail (informatique, bureautique, robotique, télématique…) comme dans les sphères privées, la préoccupation de les rendre accessibles à des populations de plus en plus larges s’est très vite affirmée. C’est alors que ce sont posées la question de leur apprentissage (comment s’en servir ?) et celle de leur usage (pour quoi faire ?).

5Malgré l’absence de besoins sociaux clairement identifiés, l’idée s’est vite répandue que chacun devait « se mettre à l’informatique », apprendre ou pour le moins comprendre la logique de fonctionnement des machines. Ce débat autour de la promotion d’une culture informatique suscite alors de vives controverses. Il est particulièrement animé dans le milieu enseignant où « les débats se sont centrés tantôt sur la promotion de la culture scientifique et technique en général, tantôt sur la nécessité d’élaborer des programmes de formation à l’informatique pour atteindre un niveau minimal d’alphabétisme informatique » [Millerand et alii., 2001].

1.1 Culture informatique ou alphabétisation ?

6Dans l’esprit de Simondon, les tenants de la « culture technique » pointent le danger d’aliénation que présente l’utilisation croissante de boîtes noires dont presque plus personne ne connaît les principes internes de fonctionnement : « l’aliénation du travailleur se traduit par la rupture entre le savoir technique et l’exercice des conditions d’utilisation. Cette aliénation fondamentale réside dans la rupture qui se produit entre l’ontogenèse de l’objet technique et l’existence de cet objet technique. Il faut que la genèse de l’objet technique fasse effectivement partie de son existence, et que la relation de l’homme à l’objet technique comporte cette attention à la genèse continue » ([Simondon, 1958], p. 250).

7Pour les tenants d’une formation à l’informatique, l’objectif pédagogique est de rendre les mécanismes de la machine compréhensibles par tous.

8On enseigne alors les processus logiques du fonctionnement interne de l’ordinateur en commençant par une introduction aux nombres binaires, une formation aux langages de programmation pour comprendre les procès informatiques. Avec le langage de programmation LOGO, les enfants apprennent à fournir des commandes explicites à un curseur graphique, représentant une tortue (FORWARD 100 ; RIGHT TURN 90). La commande indique à la tortue de tracer des formes géométriques qui peuvent être définies comme un programme. Les tenants du LOGO espéraient que le fait d’écrire ces programmes enseignerait aux enfants comment « penser comme un ordinateur ». Le but de cet exercice était d’expérimenter la pensée procédurale et de comprendre comment de simples programmes (sous-programmes ?) pouvaient être utilisés par d’autres plus complexes. (S. Turkle citant Seymourt Papert, [Turkle, 1997]).

9Les diverses politiques publiques mises en place dans ce but au début des années 1980 culminent avec le « Plan informatique pour tous » (1985) dont l’échec global fut très vite avéré. En dehors des raisons patentes et souvent dénoncées de cet échec (en particulier, la volonté de soutien à l’industrie nationale – Thomson – venue parasiter l’objectif affiché), le seul projet de – « sensibilisation » –, voire d’acculturation aux TIC, comporte un certain nombre de limites. La formation des enseignants et le sort, non encore tranché, du statut de l’ordinateur en sont des exemples.

10Si la question d’une culture informatique se pose largement dans les milieux éducatifs et académiques, elle concerne bien sûr la sphère professionnelle. Néanmoins, elle ne se pose pas dans les mêmes termes, car l’activité de travail pousse à considérer l’objet technique comme utilitaire et, en conséquence, les formations à son usage professionnel doivent être les plus opérationnelles possibles. Autrement dit, au travail, « la culture informatique renvoie moins à l’acquisition et à l’accumulation de connaissances techniques informatiques sur le dispositif qu’au développement, d’une part, d’un nombre limité de savoir-faire pratiques directement liés à la situation d’usage, et, d’autre part, à des attitudes spécifiques à l’égard de la technologie qui seraient tributaires de la nature de l’engagement de l’usager dans sa démarche pragmatique d’appropriation » [Millerand et al., 2001]

11Cependant, la diffusion de la micro-informatique en entreprise dans les années quatre-vingt s’est accompagnée de formations où étaient présentés les grands principes de fonctionnement d’un système d’exploitation. Mais rappelons que la microinformatique n’est qu’une miniaturisation des gros systèmes informatiques dédiés aux scientifiques. Ainsi, l’usage des premiers PC sous MS-DOS exigeait la connaissance de nombreuses commandes à écrire dans le langage du système pour n’importe quelle manipulation sur un fichier. Cette connaissance était alors indispensable, même pour la simple utilisation d’un traitement de texte. Ainsi, durant cette « courte » période, de nombreuses analogies ont existé entre ces formations professionnelles et celles prônées par les tenants d’une culture informatique.

12En revanche, les tenants d’une formation à la conduite de l’informatique défendent l’idée que l’ordinateur est un outil au service des autres disciplines, pour ce qui est de l’enseignement, ou au service d’une activité particulière et n’est en aucun cas une « fin en soi ». Il s’agit d’apprendre à se servir d’un ordinateur, et non d’acquérir des rudiments d’informatique. « Acquérir une culture informatique, c’est alors être capable de “conduire” tous les dispositifs digitaux qui nous entourent (sans avoir pour autant à les programmer). » [Breton,1990]. Ces derniers reprennent l’analogie classique avec la pratique de l’automobile, il faut former des conducteurs et non pas des mécaniciens.

1.2 Culture informatique, vingt ans plus tard

13Vingt ans plus tard, le débat reste d’actualité. Il s’exprime, néanmoins, en d’autres termes car à partir du simple micro-ordinateur, il faut aussi considérer, d’une part, l’ensemble des TIC qui se sont diffusées à profusion dans les sphères domestiques et professionnelles, et d’autre part, les évolutions dont elles sont porteuses.

14Aujourd’hui, les tenants d’une position plus critique vis à vis des TIC militent pour la diffusion d’une sorte de culture générale de la logique numérique qui devrait pour le moins permettre de garder une distance critique face à leur extension dans tous les secteurs de la société.

15Cependant, ces objets techniques interviennent dans une gamme d’activités de plus en plus vaste, et contribuent à en transformer leur contenu et leurs méthodes. Garder une distance critique ne se réduit pas à les considérer comme n’étant qu’un simple outil au service de l’homme. La situation n’est pas aussi simple. « En effet, si intuitivement tout utilisateur d’un ordinateur a tendance à lui accorder une certaine capacité d’action autonome, il ressent également plus ou moins l’incitation à un certain formatage de la pensée que l’interaction avec la machine produit insidieusement » [Berthier, 2002]. Être alors capable d’analyser ce qui caractérise ces modèles d’action implicitement inscrits dans les logiciels est une démarche autrement plus complexe. Les TIC s’enrichissent de nouvelles lignées techniques, et augmentent ainsi en complexité. Au-delà des avancées propres à l’informatique, ces technologies intègrent progressivement des avancées scientifiques qui proviennent d’autres domaines comme la technologie des réseaux de télécommunication, de l’électronique, de l’optique, etc. Ainsi, les évolutions techniques de ces vingt dernières années en matière de TIC se caractérisent par une augmentation de l’expertise scientifique incorporée dans ces outils et par l’intégration de nouveaux principes scientifiques. Elles atteignent, en tant qu’objet technique, un tel niveau de complexité que le simple projet d’acquérir une connaissance, même rudimentaire, de leurs principes de fonctionnement, devient un projet de grande ampleur difficile à mettre en œuvre dans le cadre des enseignements généraux de base, et encore moins dans le cadre de la formation des salariés.

16Dès le début de la diffusion de la micro-informatique, on a pu s’interroger sur la nature des savoirs mobilisés. La majorité des usagers de la micro-informatique ignore finalement ce qui se passe à l’intérieur de la machine. Néanmoins, « l’usage courant et banalisé des équipements informatiques domestiques conduit à un apprentissage diffus aux principes de fonctionnement de ces outils » [Jouët, 1990]. À propos du Minitel, du fait de l’interactivité de l’outil, l’usager acquiert – par une pratique répétée – des éléments de la rationalité, de la logique algorithmique propre à l’informatique. Comme le souligne Y. Lecoadic, il convient néanmoins d’être très vigilant sur les notions d’alphabétisation ou de culture informatique, car elles renvoient à des connaissances acquises et disponibles qui ne s’articulent pas forcément (et plutôt peu) avec la maîtrise d’une culture technologique d’un niveau suffisant pour permettre une compréhension des enjeux nouveaux. Les principes de conception et de fonctionnement ne sont pas clairement appréhendés, ni formellement modélisés et sont donc peu propices à des manipulations intellectuelles, comme ce pourrait être le cas grâce à un enseignement systématique [Lecoadic, 2000].

2 L’OFFRE DE FORMATION EN TIC

2.1 Quelle formation pour la conduite des TIC ?

2.1.1 L’offre institutionnelle

  • 1 htpp://tice.education.fr/educnet/Public/primaire/infrastructures

17Du côté de l’enseignement de l’informatique en milieu scolaire, les différentes tentatives se sont rejointes – non sans controverses – pour statuer sur un programme. À ce jour et en France, dans l’enseignement scolaire, le B2i, créé en 2000, (officialisé dans le programme 2002 dans le primaire), intègre désormais l’usage des TIC dans l’ensemble des champs disciplinaires et transversaux, mais entérine l’abandon d’une « culture technique » en matière de TIC. En effet, ce programme a pour objectif de « former les élèves à la conduite de ces dispositifs, dans le cadre des usages actuels les plus courants (traitement de texte, recherche de documents sur internet, communication via une messagerie). Il garantit une forme de permis de conduire un dispositif TIC, en développant une démarche critique sur la nature des informations qui circulent à travers ces dispositifs1 ». Il renvoie à ce que nous avons identifié comme l’apprentissage d’une posture numérique et à l’acquisition d’une aptitude à se coordonner avec les TIC.

18Ce brevet est articulé autour de cinq grands thèmes : Maîtriser les premières bases de la technologie informatique. Adopter une attitude citoyenne face aux informations véhiculées par les outils informatiques.

19Produire, créer, modifier et exploiter un document à l’aide d’un logiciel de traitement de texte.

  • 2 BCD : nom donné aux bibliothèques des établissements scolaires.
  • 3 CDI : Centre d’Information et de Documentation.

20Chercher, se documenter au moyen d’un produit multimédia (cédérom, dévédérom, site internet, base de données de la BCD2 ou du CDI3.

21Communiquer au moyen d’une messagerie électronique.

22L’attitude critique prônée dans ce programme concerne le contenu informationnel qui circule dans ces dispositifs. Elle est loin de celle prônée par Simondon vis-à-vis de l’objet technique. Mais elle se justifie par la profusion de ces « objets numériques » qui s’accompagne d’une naturalisation croissante des langages et des interfaces et rend le plus souvent inutile de savoir – même très sommairement– programmer pour s’en servir.

23Si en 2000, la conduite de l’informatique devient un « savoir » de l’enseignement général obligatoire, ce savoir s’est diffusé dans la sphère professionnelle de différentes manières :

24En France, dans le même esprit que le B2i, mais destiné aux enseignants et aux formateurs, certaines institutions proposent une formation généraliste à la pratique de la micro-informatique et du web. À l’issue de cette formation, il est possible de valider ses connaissances en présentant la certification au C2i, le Bulletin Officiel du 4 avril 2005 engageant les « personnels scolaires et universitaires, toutes catégories confondues […] à faire certifier leurs compétences “Informatique et internet” ».

25Revenons à l’époque de la diffusion de la micro-informatique dans les entreprises. De nombreux organismes de formation se sont créés dans les années quatre-vingt pour offrir des formations aux premiers utilisateurs de l’informatique de bureau. Il s’agissait de formations au système d’exploitation MS-DOS utilisé par ces machines ainsi qu’aux logiciels les plus diffusés comme Word et Excel. Ensuite, avec l’arrivée des interfaces comme Windows, ce type de formation a décliné au cours des années quatre-vingt dix pour n’être pratiquement plus proposé aujourd’hui par les organismes de formation professionnelle. Le renouvellement continu de ces logiciels exige pourtant une réactualisation de ces apprentissages.

2.1.2 L’apprentissage sur le tas : entre plaisir et déconvenue

26Durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la plupart des salariés ont découvert l’informatique au travail et se sont formés dans la pratique : « l’apprentissage est un apprentissage sur le tas, dans lequel les formations de type scolaire ne jouent qu’un rôle secondaire. En 1994, plus de la moitié des utilisateurs n’avaient reçu aucune formation, un quart seulement une formation supérieure ou égale à une semaine. » [Gollac, Kramarz, 2000]. Face à l’injonction à réaliser son travail, les salariés développent toutes sortes de pratiques pour utiliser au mieux les objets numériques mis à leur disposition. Le renouvellement incessant des matériels informatiques et des logiciels incitent les utilisateurs à mettre à jour leurs connaissances, voire expérimenter en permanence. Mais tous les salariés ne sont pas égaux et ne s’autorisent pas toujours à expérimenter : « l’informatique n’est jamais conviviale que pour ceux qui partagent la culture de ses concepteurs. Son usage est donc déterminé par le degré de proximité à la culture légitime » (ibid). En d’autres termes, il faut déjà avoir acquis un ensemble de dispositions ou un arrière-plan de compétences, rendant possible le fait d’expérimenter en permanence dans des environnements techniques complexes. Cette acquisition elle-même renvoie à des trajectoires biographiques spécifiques (cursus scolaire, position dans l’organisation, type de poste).

27Le discours accompagnant la diffusion des objets numériques, en vantant une simplicité d’usage et la mobilisation de la seule intuition, en appelle implicitement à l’autonomie de l’usager pour découvrir les procédures à mettre en œuvre. Il justifie ainsi la quasi absence de formation en matière de TIC, quand son usage n’est pas au cœur des savoirs professionnels.

28Mais tous ne sont pas égaux pour découvrir, explorer un nouvel objet technique. Il peut y avoir un véritable plaisir à explorer un monde nouveau de chez soi qui était présent chez les premiers adoptants de la micro-informatique dans ses usages privés comme professionnels. On le retrouve chez les usagers des appareils photo-numériques. Sur 20 usagers de la photo-numérique interviewés en 2003, 18 évoquaient le plaisir de la découverte comme véritable moteur d’une démarche autonome d’apprentissage de cette nouvelle technologie numérique [Saint Laurent-Kogan (de), 2005]. Ces personnes s’appuient alors sur les possibilités de l’interactivité et de la simulation pour apprendre à se servir de l’objet et à en découvrir les usages :

« On apprend, on teste, on essaye en regardant ce qui se passe. […] Globalement, je fais autant de choses qu’auparavant mais le résultat en est globalement meilleur puisque je peux tester davantage qu’auparavant. […] Ça a commencé avec l’ordinateur. Quand j’ai acheté l’ordinateur, y’a 8 ans, le gars m’a dit : faut pas avoir peur d’un ordinateur. Avez-vous déjà touché ? » Je lui ai dit non, jamais. Mais il m’a dit « faut pas s’inquiéter : dès qu’il y a une erreur, on vous le dit ». C’est vrai. Par exemple, si tu fais une erreur sur l’ordinateur, ça te dit « vous avez fait l’erreur tatata ». Ça y est. Et puis j’ai continué comme ça avec tout le matériel au fur et à mesure. J’ai modernisé. » (René, retraité).

29Cette activité d’exploration des nouveaux objets techniques renvoie pour les uns à un véritable loisir très chronophage.

30Cette démarche autonome est largement encouragée par les industriels et les distributeurs, elle est même attendue par les concepteurs. Elle est en effet en partie incorporée dans les logiciels installés dans les objets et donc largement guidée par la machine : les différentes manipulations trouvent ou non écho en fonction des réponses de l’objet. Face à ces réponses, la personne avance et découvre de nouveaux modes opératoires. Mais seulement en partie, car très vite l’usager peut se trouver dérouté par les comportements erratiques de certains signes, ou l’affichage de « signes-passeurs » qui ne font plus sens.

31Ce versant joyeux de l’apprentissage des TIC tend à occulter celui des salariés confrontés à différentes difficultés dans leurs usages imposés de l’informatique.

32Tout d’abord, l’appel implicite à l’autonomie de l’usager tend à évacuer que « l’autonomie n’est pas une simple qualité mais un mode supérieur de conduite intégrée (une métaconduite) et, pour la plupart des individus, cette conduite ne faisant pas naturellement partie de leur répertoire, elle doit être apprise. » [Linard, 1998].

33Ensuite, les travaux sur les « écrits d’écran » soulignent l’importance du travail d’interprétation sémiotique réalisé lors de la lecture d’écran, et des compétences qu’exigent ce travail. (cf. encadré [Després-Lonnet, 2002])

« Les écrits d’écran rassemblent de nombreux “pièges sémiotiques”. Tous ces signes rassemblés sur un même support nous amènent à les percevoir comme un tout cohérent, alors que tous les signes n’ont pas la même valeur informative : certains, bien qu’ils s’actualisent sur un support nouveau, sont proches des signes linguistiques ou visuels que nous avons appris à interpréter sur d’autres supports et dans d’autres situations. D’autres doivent être vus et lus sous un angle nouveau ; s’ils sont à voir avec les précédents, certaines de leurs caractéristiques formelles sont aussi les indices d’une autre fonction :
- possibilité d’une action sur le dispositif : activation d’une fonction, déclenchement d’un processus technique, affichage d’une autre page ;
- indication donnée sur le fonctionnement de la machine : avancement d’une tâche en cours, changement d’état d’un objet ;
- encadrement, délimitation de zones, bordures ;
- outils, curseurs et autres manettes.
De plus, si l’on considère la direction prise par les évolutions réalisées sur les interfaces, ce travail d’interprétation sera de plus en plus difficile pour les débutants ou faibles utilisateurs. à propos d’internet, alors que les interfaces de première génération accentuaient et mettaient en valeur les icônes outils ou les liens par des renforcements graphiques – encadrement, regroupement, soulignement, changement de couleur ou de police de caractère – la tendance actuelle serait plutôt à l’effacement des différences, à une indifférenciation des signes.

Tout se passe comme si les designers considéraient que les utilisateurs avaient maintenant appris à repérer les zones susceptibles d’être actives et que leur mise en avant systématique n’était plus une nécessité.
Cependant, la population qui utilise les TIC n’est pas homogène et si cette évolution est perçue favorablement par les habitués, les lettrés de l’écran, elle présente un lourd handicap pour les personnes qui n’ont qu’une pratique récente ou occasionnelle des outils informatiques. Des fonctionnalités majeures leur restent en effet totalement inaccessibles, parce qu’elles ne les voient pas ou plutôt parce qu’elles ne décryptent pas la face cachée du signe, dont l’activation permettrait de les atteindre. » [Després-Lonnet, 2002]

34Intégrant les présupposés d’intuition et d’autonomie qui guide la démarche de l’usager, les nouveaux usagers adultes de l’informatique se trouvent de plus en plus livrés à eux-mêmes dans ce type d’apprentissage. Il n’existe pratiquement plus d’offres de formation destinée aux débutants dans la sphère professionnelle, et ceux-ci éprouvent beaucoup de culpabilité à ne pas savoir utiliser un ordinateur.

35Devant les difficultés évoquées ci-dessus, les usagers se tournent soit vers leur réseau social, privé autant que professionnel, dont l’importance est fondamentale pour soutenir ce type d’apprentissage et débloquer des situations. Soit, ils se tournent vers des associations de quartier qui offrent des formations pour apprendre à se « débrouiller » en informatique.

« On fait encore de la formation d’initiation à l’informatique du côté des maisons de quartier, certaines associations d’insertion ou vers des personnes âgées, autrement dit plutôt dans le domaine du social » (un formateur indépendant).

36Bon an, mal an, une culture de l’interactivité se forge dans la société. Elle comprend la posture corporelle caractérisée par une forte sollicitation des mains et de la vision. Si dans les débuts de la micro-informatique au travail, des formations ont été faites sur l’apprentissage du clavier ou de la souris, celui-ci est considéré dorénavant soit comme un acquis, soit comme pouvant s’acquérir de façon autonome.

37Elle comprend aussi une dimension cognitive d’interprétation de « signes-passeurs » [Souchier et al., 2003] affichés à l’écran. Pour les usagers d’internet, le clic sur l’hyperlien, l’ouverture de menus déroulants, le glisser de la souris pour manipuler les objets à l’écran, par exemple, sont devenus des normes d’usages, même si les utilisateurs développent des consultations singulières et parfois ambivalentes, entre plaisir et agacement d’être surpris.

2.2 Les formations « sur mesure »

38Les entreprises de formation n’ont pratiquement plus de clients débutants en informatique, et les demandes de formation sont de plus en plus articulées à l’activité professionnelle. Ainsi, les petites structures de formation, qui ont démarré sur de la formation à la bureautique dans les années quatre-vingt, ont vu ce marché se résorber. En revanche, c’est en répondant à des demandes « sur-mesure » qu’elles réalisent aujourd’hui leurs activités ou en proposant des compétences liées au développement des fonctions avancées des logiciels standards ou du web.

  • 4 Ce logiciel permet de créer et gérer des bases de données, de réaliser des écrans, des formats d’é (...)

39À titre d’exemple, un cadre financier demandera une ou deux demi-journées de formation pour développer des macros sur Excel, en vue d’un objectif bien précis. Ou encore, tel responsable achat voudra découvrir Visual Basic pour réaliser des écrans particuliers. Alors que telle documentaliste voudra mieux connaître les fonctionnalités d’une base de données Access4 qu’elle manipule quotidiennement.

« Maintenant il y a une maîtrise globale du logiciel, mais dès que tu rentres dans des aspects particuliers les gens sont perdus, en fait les gens, bon y’en a qui apprennent par eux-mêmes, mais il n’y en a pas tant que ça » (formateur indépendant).

40Cette demande de plus en plus fréquente d’une formation sur-mesure, se situe entre le cours et la prestation informatique car le formateur se trouve en situation d’enseigner la programmation d’un module défini par le client.

« Cette demande est fréquente dans le cas d’usage de logiciels comme Access, c’est limite entre l’informatique et la bureautique, donc les informaticiens tu les vois pas en formation Access, donc je vois plus des gens qui ont les capacités de programmer mais qui ne sont pas informaticiens, ils connaissent quelques grandes fonctions, mais dès qu’ils veulent quelque chose de particulier, ils sont perdus. » (formateur indépendant).

41Les entreprises connaissent également des vagues de renouvellement plus ou moins radical de leur informatique. Le prestataire informatique prévoit généralement un volet formation dans la phase de déploiement des nouveaux outils. Il s’agit bien souvent d’une présentation des fonctionnalités des logiciels que d’une formation à l’usage. Cependant, si l’utilisation de l’informatique est stratégique, comme dans le cas de la presse, des informaticiens restent sur place pour assurer la maintenance et garantir un support formation et technique aux salariés. L’apprentissage des nouveaux logiciels continue alors dans l’exercice même de l’activité professionnelle. Par exemple, dans un groupe de presse « magazine », l’abandon en 2004 du logiciel de mise en page X-Press, utilisé depuis quinze ans sous différentes versions, au profit d’un nouveau logiciel conçu par un autre éditeur, s’est accompagné, non seulement de plusieurs phases de formation auprès des maquettistes, mais surtout dès son installation, de la mise à disposition pendant un an d’une équipe d’informaticiens de maintenance présente sur le plateau. Ils pouvaient ainsi répondre à tout type de question et résoudre les problèmes liés à l’usage de ce nouveau logiciel que pouvaient rencontrer les maquettistes.

42Avec le développement d’internet, des formations « sur mesure » ont été dispensées aux professionnels de la communication pour la réalisation de pages web, la publication de support de communication. Il s’agit de formations plus spécifiques et ponctuelles, orientées vers la maîtrise d’outils destinés à des utilisateurs formés individuellement ou en nombre restreint. La formation s’adresse à des populations averties, travaillant au sein d’organisations, et qui considèrent qu’elles ont un niveau de maîtrise suffisant, ne nécessitant que des compléments, des adaptations ou des perfectionnements que suscitent les innovations des logiciels informatiques.

43Le « sur mesure » peut être également une question d’évolution du métier. Ainsi en est-il, par exemple, des graphistes qui ont dû évoluer par nécessité en se familiarisant avec des logiciels de traitement d’images. Ils ont donc eu recours à des formations spécialisées ou ont pu s’auto-former en validant si nécessaire leurs acquis par le biais d’organismes spécialisés.

« En fait, on rencontre généralement des personnes qui se sont auto-formées jusqu’à un certain niveau et qui ont besoin de mieux maîtriser à un moment donné un logiciel ou une fonction de développement d’une application et qui dans ce cas demandent une formation » (formateur indépendant).

44À propos de l’impact des TIC sur les métiers, [Pichault et al., 2002] proposent de distinguer quatre modalités types d’impact. Celles-ci se distinguent par le degré de convergence des compétences TIC par rapport aux compétences spécifiques non TIC. Les formations « sur-mesure » concernent les deux modalités qui se trouvent au centre de cette grille :

45Soit, quand il y a une réelle convergence des compétences TIC et non TIC constituants ainsi un nouveau cœur de compétences original. C’est le cas, par exemple, des chargés de communication devenus webmaster.

46Soit, quand la compétence TIC est secondaire par rapport à une compétence spécifique non TIC, mais dont l’importance s’accroît sans toutefois mener à de véritables nouveaux métiers.

47En revanche, quand il n’y a pas de convergence, c’est à dire lorsque l’usage de l’informatique n’est pas associé à l’exercice de son métier (usage purement administratif comme les demandes de congé, etc.), où à l’autre extrême, quand il y a une totale convergence, comme pour les informaticiens, on ne trouve pas ce mode de formation « sur-mesure ».

2.3 La formation des experts

48Si l’on considère les experts en informatique, ceux pour qui le « cœur » de compétences est bâti sur les TIC, l’offre de formation en informatique va se structurer en fonction du statut de l’informatique dans l’entreprise.

49Si l’informatique est considérée comme « fonction support » de l’entreprise, les informaticiens ont plus de chance de bénéficier de formation que dans le secteur des TIC (sociétés de conseil, de services), où l’expertise informatique est la compétence stratégique de l’entreprise.

50Dans le premier cas (fonction support), l’offre de formation est alors détenue par les éditeurs de logiciels (Lotus, Novell, MicroSoft, Oracle, SAP, etc…) ou par d’importants centres de formation où la prégnance de ces mêmes éditeurs est forte.

51Pour les éditeurs, cette activité représente un second marché derrière l’offre de production et le renouvellement des versions ne fait que l’entretenir. Ce renouvellement atteint aujourd’hui un rythme, généralement régulier, d’une version avec changements mineurs tous les six mois et d’une version intégrant des changements majeurs tous les deux ans.

52Ces éditeurs déploient des stratégies de contrôle et de domination par la dépendance dans laquelle elles consignent leurs entreprises clientes. Ces dernières sont alors doublement dépendantes : d’une part, par l’injonction-obligation d’acheter et d’utiliser les nouvelles versions qui se succèdent ; et d’autre part, par le besoin d’expertise qu’exige le déploiement de ces logiciels dans une grosse entreprise.

53En effet, quand l’informatique est une compétence stratégique pour l’entreprise, la veille et l’auto-formation sont de mise. Le temps de réaction doit être le plus rapide possible et devance parfois les offres en termes de formation. Dans la production logicielle, la découverte, la veille et l’apprentissage par l’usage de nouveaux logiciels est inscrite dans la pratique même de ces métiers. [Vendramin, Guffens, 2005].

54Mais, pour se former à travers des forums d’experts sur internet, il y a un coût d’entrée important. Un niveau d’expertise est requis pour déjà identifier le forum, exprimer une demande, puis repérer et exploiter une connaissance technique partagée avec d’autres sur un forum. Ce qui fait que dans le domaine des TIC, « malgré le caractère vital de la formation continue, […] les entreprises proposent peu d’opportunités formalisées de formation à leurs salariés. Peu d’entreprises mettent en place de véritables dispositifs de gestion des compétences avec des programmes de formation adaptés aux besoins de leurs salariés. Certaines entreprises misent sur l’externalisation pour mobiliser des compétences. Par exemple, le fait de recourir à des indépendants permet de disposer de toutes les compétences nécessaires au cas par cas. » (ibid).

55Cependant, face aux défaillances de la technique, les informaticiens comme tous les usagers mobilisent différents types de ressources : techniques ou sociales.

56Techniques, car les logiciels contiennent souvent des programmes de formation, d’aide. Toutefois, celles-ci ne suffisent pas toujours, et le problème technique se transforme en appel à l’aide, qui s’inscrit alors dans un processus social, car il exige une prise en charge par un autre. En effet, face à des problèmes techniques, les informaticiens mobilisent tout type de ressources : collègues, mode d’emploi, presse technique, forum d’experts, etc. C’est en soi une partie de leur activité. Dans le cas où ces ressources ne permettent pas de résoudre un problème, ils se trouvent obligés de faire une demande d’aide auprès du fabricant ou de l’éditeur informatique. Ces industriels du secteur informatique mettent en œuvre des modalités organisationnelles d’intervention d’experts dans le but de conserver cette expertise à haute valeur ajoutée.

« Nous avions une panne sur notre serveur, un problème avec la base Oracle, pas moyen de s’en sortir. On fait venir un type de chez Oracle, et à ce prix là, je dis à mes informatiens : vous n’en loupez pas une ! Et là, je vois arriver un type, bac+2, pas plus, il avait pas l’air de bien comprendre, il se met devant l’écran, et tout ce qu’il a fait c’est d’appeler au téléphone des experts Oracle qui lui dictait ce qu’il devait faire. Si l’un ne savait pas, il en appelait un autre, il avait toute une liste de numéros comme ça, et je crois qu’il ne comprenait même pas ce qu’il faisait. Et mes gars, ils sont restés le bec dans l’eau : le type il pouvait même pas répondre à nos questions. Bilan, si on a le même problème, on y est encore de notre poche. Ils sont forts chez Oracle ! » (Responsable SI).

57L’expertise ainsi détenue par les spécialistes acquiert une telle valeur que sa diffusion est de plus en plus maîtrisée par les éditeurs et entreprises du secteur, qui développent des stratégies de dépendance technique et financière avec leurs clients.

3 CONCLUSION

58En choisissant ainsi de présenter l’offre de formation en matière de TIC, il apparaît clairement que seuls deux des niveaux de la grille d’analyse présentée au Ch II.1 sont concernés par l’offre institutionnelle.

59Le premier niveau, que nous avons appelé « apprendre la posture numérique », renvoie à cette « culture informatique », à savoir un nombre limité de savoir-faire pratiques directement liés à la situation d’usage, qui dorénavant relèvent de la formation scolaire obligatoire.

60L’autre niveau, « apprendre à exercer son métier avec les TIC », peut se faire dans le cadre de la formation professionnelle. Mais pour en bénéficier aujourd’hui, les salariés doivent, non seulement avoir déjà acquis cette « culture informatique », mais aussi se trouver dans la situation où l’acquisition de nouvelles compétences TIC participent de façon substantielle au développement de leur métier, pour peu qu’elle soit stratégique pour l’entreprise.

61Cependant, la grande majorité des personnes utilisant actuellement l’informatique pour leur travail, n’a pas l’âge d’avoir reçu cette formation dans son cursus scolaire, et n’a pas non plus, ou n’ose pas, ou ne se sent pas autorisée à bénéficier de formation « sur mesure ».

62Apparaît ainsi en négatif de cette offre de formation instituée, toutes les autres modalités d’apprentissage des TIC au travail présentées dans la grille de notre chapitre introductif, à savoir « Apprendre à débloquer une situation », « Apprendre à se coordonner avec les TIC », et enfin « Apprendre sur le processus d’apprentissage des TIC ». Ces niveaux de l’apprentissage des TIC, s’ils ne sont pas pris en charge par les entreprises, sont alors informels et renvoient aux démarches d’autodidactie professionnelle, pour laquelle le capital social prend toute son importance. L’appartenance à toute forme de collectif devient alors une condition nécessaire à cet apprentissage. Symétriquement, l’inégale inscription dans de tels collectifs devient une des causes de l’inégalité d’accès à une maîtrise des TIC, elle-même source d’inégalité dans l’accès à l’emploi ou à l’employablité.

Notas

1 htpp://tice.education.fr/educnet/Public/primaire/infrastructures

2 BCD : nom donné aux bibliothèques des établissements scolaires.

3 CDI : Centre d’Information et de Documentation.

4 Ce logiciel permet de créer et gérer des bases de données, de réaliser des écrans, des formats d’édition, d’automatiser des requêtes, etc.

Autores

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication Université Paris 13, Laboratoire LaBsic.

Salvo indicación contraria, el texto y otros elementos (ilustraciones, archivos adicionales importados) se puede utilizar bajo licencia OpenEdition Books License.

Buscar en OpenEdition Search

Se le redirigirá a OpenEdition Search