1Batiscop, entreprise du bâtiment, créée sous forme de SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production), a pour métier la construction de maisons individuelles et de bâtiments agricoles : depuis le gros œuvre… jusqu’à la remise des clefs. Elle réalise et coordonne les prestations de différents corps d’état (de la conception à la construction et à l’aménagement d’intérieur). Depuis 20 ans, l’entreprise a connu une croissance régulière et continue. En 2006, son effectif s’élève à 90 salariés dont 62 sociétaires et une douzaine d’apprentis pour un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros. Depuis sa création, l’entreprise Batiscop s’est progressivement diversifiée dans de nouveaux domaines d’activité stratégique, supposant la maîtrise de nouveaux métiers relatifs à la construction de maison/bâtiment et leur aménagement, tout en veillant à accompagner ce projet stratégique par une démarche d’entreprise apprenante.

2Après avoir rappelé les étapes majeures qui ont jalonné le développement de l’entreprise et l’introduction de la démarche compétence, nous aborderons les spécificités de la démarche conçue par cette PME, comme une voie de développement des compétences individuelles, collectives et organisationnelles. Deux axes majeurs caractéristiques de la démarche engagée sont privilégiés : l’articulation de la démarche stratégique au projet stratégique de l’entreprise, puis le couplage étroit des dimensions individuelle et collective dans le déploiement de cette démarche compétence.

LE DÉVELOPPEMENT CONJOINT DU PROJET COLLECTIF ET STRATÉGIQUE

3La société a été créée le 1er octobre 1986 par quatre sociétaires, – un ébéniste, un menuisier, un maçon et un charpentier – sous la forme d’une SCOP SARL. Pendant 10 ans, Batiscop a pratiqué une égalité des salaires, alors que son effectif augmentait régulièrement (création d’une moyenne de 5 emplois par an). De 1992 à 2006, la croissance de l’effectif s’est réalisée de manière linéaire avec une accélération soutenue au cours de ces dernières années. Dans le début des années 1990, l’entreprise qui a franchi certains seuils en termes d’effectif et donc de nombre de sociétaires, s’interroge sur son développement. Les gérants rencontrent des difficultés à s’accorder autour d’une vision stratégique quant aux modes de développement et aux choix à privilégier.

4Dans le cadre d’une démarche de concertation, plusieurs projets sont alors soumis aux sociétaires. Ils choisissent de poursuivre le développement, et de « continuer sur le sociétariat mais en se faisant aider » (entretien Jean, dirigeant). La SARL est alors transformée en SCOP SA. Les administrateurs, en donnant la préférence au projet de développement, clarifient les enjeux à court et moyen termes pour l’entreprise. Émerge alors une nouvelle vision partagée par les membres du conseil d’administration et les sociétaires. Cette nouvelle dynamique coopérative s’articule autour de trois dispositifs majeurs que sont le sociétariat, le conseil d’administration et l’assemblée générale des sociétaires. Elle présente les caractéristiques suivantes : le choix du sociétariat pour tout salarié volontaire est encouragé ; la gouvernance s’appuie sur une réunion hebdomadaire des sociétaires, une réunion mensuelle du conseil d’administration et six assemblées générales par an.

5Comme le précise la Charte de l’entreprise, les différents niveaux de délégation de responsabilité et d’autorité demeurent subordonnés au pouvoir de vote de chacun exprimé lors des assemblées générales (environ 62 personnes en 2006). La création de secteurs de métiers et de commissions de travail vient compléter cette structuration de la gouvernance. La transformation en SCOP SA entraîne un nombre accru de sociétaires et soulève des évolutions et questionnements au niveau des pratiques d’animation et de communication tandis que les outils de gestion et de management sont à repenser dans le cadre de la stratégie de développement.

6Après avoir choisi d’appuyer son développement stratégique sur des partenariats avec des artisans, l’entreprise Batiscop s’est progressivement diversifiée par croissance interne et externe. Aujourd’hui, elle est en mesure d’assurer la plupart des corps des métiers liés à la construction : la maçonnerie, la charpente, la couverture, la menuiserie, la plâtrerie sèche, l’agencement intérieur, la plomberie, le chauffage, le carrelage. Le reste des prestations est assuré par des partenaires sous-traitants. Depuis deux ans, elle s’est engagée dans la construction de maison ossature bois. Fin 2006, elle a racheté une entreprise artisanale d’aménagement intérieur (SARL de 10 salariés), dont les salariés ont été impliqués comme des futurs sociétaires en participant aux réunions préparatoires au rachat, avec comme objectif qu’ils deviennent sociétaires de la SCOP. En 2007, la stratégie globale de Batiscop est de développer le secteur de la maison individuelle (maçonnée et ossature bois), et de poursuivre une croissance maîtrisée1. Son marché est, pour l’essentiel, celui des particuliers (98 % de ses clients).

7Au cœur de cette diversification, se dessinent de nouveaux enjeux que l’entreprise cherche à maîtriser par la mise en place d’une démarche d’entreprise apprenante, où se conjuguent à la fois son projet collectif (de SCOP) et son projet stratégique. Au-delà de la croissance, que traduit une augmentation continue de son chiffre d’affaires et de son effectif, elle est confrontée à un contexte difficile de recrutement (plus particulièrement en maçonnerie). La diversification de ses activités s’accompagne d’une internalisation de nouveaux métiers et suppose la maîtrise de nouveaux savoir-faire pour la construction de maisons maçonnées mais aussi de maisons à ossature bois, afin de mieux saisir des opportunités de marché.

LA DIVERSIFICATION DES ACTIVITÉS ET DES PARCOURS PROFESSIONNELS

8Ce projet stratégique de diversification a requis l’évolution de l’organisation de l’entreprise vers une forme matricielle articulée autour deux axes : une structuration basée sur les principaux domaines d’activités stratégiques (Batiscop, Batiscop bois, Rénovation, Appel d’offres, Placard Installation) et un découpage fonctionnel autour de trois secteurs (Maçonnerie-Couverture-Carrelage, Bois et Bureau). En respect des principes de gouvernance démocratique de la SCOP, cette organisation permet de mieux décliner la stratégie de l’entreprise. Parallèlement, sont instaurées des commissions de travail thématiques, véritables dispositifs transversaux d’information, de communication et de travail, à caractère temporaire ou permanent. Dans le cadre des réunions de secteur, les salariés se rencontrent régulièrement pour faire le point sur les difficultés rencontrées dans le travail, pour débattre des projets d’équipement ou de réorganisation du travail.

9Cette organisation interne, régulièrement révisée, permet l’ajustement stratégique de l’entreprise. Elle connaît des évolutions en fonction de l’intégration de nouveaux corps de métiers, de l’évolution des techniques/matériaux mobilisés et du contexte concurrentiel. Depuis deux ans, l’entreprise se voit confier des chantiers plus complexes, sur les plans technique, organisationnel mais aussi économique, qui requièrent la maîtrise de compétences plus pointues.

10La gestion et le management des ressources humaines sont assurés par le conseil d’administration, les responsables de domaines d’activité stratégique et des trois secteurs (Maçonnerie, Bois et Bureau), avec l’aide des membres de la commission Salaire. Au niveau de chaque secteur, l’activité repose sur une organisation par métier et trois niveaux hiérarchiques (conducteur de travaux / responsable de chantier /ouvrier). Chaque secteur est dirigé par un responsable de secteur (ou conducteur de travaux). Un responsable de chantier encadre un ou deux ouvriers et un ou deux apprentis. L’organisation du travail est basée sur une forte autonomie des équipes sur les chantiers, chaque équipe étant en relation directe avec plusieurs environnements (bureau d’étude, service administratif et financier, clients…). Les équipes sont stables dans le secteur maçonnerie, et tournantes dans le secteur Bois. Les équipes partent du siège et « débauchent », dans la mesure du possible au siège… pour permettre les rencontres, les discussions, faire le point sur les chantiers entre équipes opérationnelles et avec le secteur Bureau (à cet effet, des espaces de rencontre conviviaux ont été prévus). Enfin, trois personnes ont le statut cadre : la directrice financière, le coordinateur secteur gros œuvre et le dirigeant.

11L’organisation du travail et les compétences mobilisées dans l’emploi présentent plusieurs caractéristiques. Il y a peu de travail prescrit, des tâches sont attendues mais elles ne sont pas explicitement prescrites ; on constate une faible formalisation écrite du poste de travail, de la structure organisationnelle et des outils de gestion. Sur les chantiers, les équipes déploient une activité très polyvalente, où les ouvriers et apprentis sont responsabilisés : elles sont capables de gérer les aléas, les changements relatifs à leurs chantiers. Les objectifs sont fixés par les responsables de secteur métier. Les salariés disposent d’une grande latitude dans l’organisation de leur chantier et ils sont fortement incités à la prise d’initiative (et ceci dès la période d’apprentissage). En dehors du travail opérationnel, chacun peut s’investir dans des questions qui l’intéressent et proposer de participer à une commission (par exemple : la commission Éco-construction). Ce fonctionnement, de type adhocratique, privilégie les relations directes et orales. À cet effet, chaque salarié est équipé d’un téléphone portable et il peut contacter le dirigeant ou son responsable de secteur.

12Au cours des dernières années, l’entreprise a connu une forte évolution des savoir-faire, liés au développement des activités de couverture, de carrelage, de l’ossature bois. Pour Bati-bois, les responsables de chantier sont jeunes (moins de 30 ans). La capacité d’innovation des employés est sollicitée, comme en témoignent la création d’une commission ossature bois sur proposition des salariés, ou la mise en place d’une formation interne sur l’ossature bois (« les formés forment les non formés »). Un salarié a été nommé responsable de chantier ossature bois… après validation des compétences développées sur les chantiers. L’entreprise sollicite cette capacité à coopérer à travers les commissions et les réunions de secteur, où de nombreuses interactions s’instaurent lors de ces temps d’échanges, d’information et de formation. Dans les réunions de secteur, chacun est sollicité pour s’exprimer sur son travail, pour être force de proposition (sur un nouvel équipement, un nouveau matériau, une nouvelle organisation du travail ou encore pour développer une activité).

13De nouveaux enjeux à court -moyen terme se dessinent, liés à la complexité des chantiers et au maintien d’une stratégie de croissance. La complexité croissante des chantiers pose de nouvelles exigences, en termes de performance économique, d’organisation des chantiers (plannings de chantier, délais…), et présente une incidence sur la satisfaction des clients et l’image de l’entreprise. De nouvelles préoccupations se posent en termes d’optimisation de l’organisation du travail et des chantiers. Des compétences métier sont à développer, mais aussi des compétences plus transversales, relatives aux dimensions managériales et gestionnaires. Les derniers recrutements ont entraîné une évolution du pouvoir (les menuisiers sont désormais plus nombreux que les maçons). L’entreprise est consciente de la nécessaire montée en « puissance » des compétences d’animation pour les commissions et pour former des jeunes ouvriers à être référent (bois, couverture). La question du maintien des équipes (recruter et stabiliser les apprentis, les salariés), et de leur implication dans l’entreprise (mais aussi dans le sociétariat) est particulièrement sensible car le marché de l’emploi dans le bâtiment est très tendu. Enfin, la stratégie de croissance de l’entreprise permet la diversification des activités de l’entreprise et la satisfaction des projets d’évolution professionnelle des salariés. En s’investissant dans Batiscop, les salariés trouvent des réponses à leurs attentes de mobilité interne (changement de métier, promotion, prise de responsabilité, fonctionnement en mode projet).

L’ARTICULATION DU PROJET COLLECTIF ET DES PARCOURS PROFESSIONNELS INDIVIDUELS

14Par cet intitulé « démarche d’entreprise apprenante », l’entreprise entend signifier pour elle et pour son environnement la spécificité de la philosophie gestionnaire retenue. Inscrite dans ce cadre bien particulier du statut coopératif, la stratégie est un lieu de délibération comme le stipule la charte du sociétariat de l’entreprise. Ainsi, lors de la période de clarification des projets, tous les administrateurs ont été entendus avant de procéder au choix du projet de développement. La question de l’articulation entre le projet individuel (professionnel et personnel) et le projet collectif est alors au cœur des débats. Le souci de maintenir un projet collectif, c’est-à-dire un équilibre entre l’histoire de l’entreprise et les projets personnels est affirmé, pour favoriser une mobilisation constante des personnes (et donc de leurs compétences). Il s’agit

« d’articuler étroitement stratégie et logique compétence », (Paul, administrateur et responsable de secteur),

« de valoriser et développer les ressources humaines comme de véritables variables stratégiques » (Pierre, consultant chargé de l’accompagnement de Batiscop).

15L’entreprise valorise cet avantage concurrentiel auprès de ses clients pour se démarquer des concurrents. À travers cette démarche, l’entreprise souhaite se doter aussi des leviers humains pour pouvoir poursuivre d’importants investissements immatériels (en matière de formations, de tutorat d’apprentis,…) pour développer les compétences individuelles techniques et non techniques (comme le tutorat, l’accompagnement, le management d’équipe…). À cet effet, elle conçoit des formations « ad hoc » et trouve des partenariats pour les financer (comme par exemple la formation sur l’articulation projet individuel - projet collectif).

16Revenons sur la genèse de cette démarche si singulière : en 2000, la branche du bâtiment et l’AREF BTP (Association régionale paritaire pour le développement de la formation continue dans le bâtiment et le BTP) proposent à des entreprises volontaires de développer une gestion des compétences. Des outils et formulaires sont mis à la disposition de Batiscop, intéressée par cette innovation sociale. Toutefois, cette démarche importée est vite abandonnée car les responsables et les membres du conseil d’administration ne se l’approprient pas. Cet échec conduit à poser différemment la démarche compétence et à mettre en premier plan la stratégie, sans attention particulière portée aux outils.

17Après cette tentative avortée, l’entreprise s’engage dans la « démarche compétence » qu’elle qualifie de « démarche d’entreprise apprenante » dès le départ. En raison de la particularité du statut de SCOP et du nouveau projet retenu, le dirigeant souhaite, dés le départ, concevoir et déployer une démarche couplant étroitement la stratégie et les ressources humaines. Cette approche se trouve renforcée par les échanges engagés avec un consultant2. Avec la croissance, la société est confrontée à une double exigence :

« accompagner la spécialisation des compétences métier, et favoriser le développement de compétences transversales et managériales » (Pierre, consultant).

18De nouveaux enjeux socio-économiques nécessitent une reconnaissance de la diversité des hommes, de leurs compétences, de leurs envies, de leurs projets…

19Au début des années 2000, la problématique de gouvernance de la SCOP, s’exprime autour des questionnements suivants :

« comment passer d’un principe d’égalité à une recherche d’équité3 ? » (Jean, Dirigeant) ;

« comment ne pas tomber dans le risque de rupture entre ceux qui savent et ceux qui ne savent plus ? » (Pierre, consultant).

20Ici s’exprime un double enjeu majeur pour l’entreprise car tout sociétaire doit être informé pour décider des choix stratégiques de l’entreprise, en débattre avec les autres sociétaires et salariés…

« Comment aller au bout de la démarche en instaurant une boucle d’amélioration et d’évolution continue autour de la “Volonté d’élever tout le monde” ? (Pierre, consultant) ;

« comment articuler la démarche de compétence individuelle et l’émergence/la formation d’une compétence collective pour faire fonctionner le conseil d’administration ? » (Gustave, administrateur, responsable secteur maçonnerie).

21Cette problématique compétence se décline en plusieurs niveaux, comme l’expriment nos interlocuteurs. Il s’agit d’une part, de faire des salariés devenus sociétaires, des administrateurs compétents et capables d’accompagner les choix de l’entreprise :

« comment aider les salariés (en particulier les jeunes salariés) à entrer dans la coopération (pour devenir sociétaire et assurer leur mission de sociétaire), pour mieux comprendre le fonctionnement global de l’entreprise » (Jean, dirigeant)

« développer les compétences des salariés pour en faire des véritables sociétaires impliqués dans la coopération » (Benoît, responsable secteur carrelage, et commission tuteur).

22D’autre part, les administrateurs sont soucieux d’assurer la montée en compétence de tous les salariés, dans les activités liées à leur métier :

« comment mieux recruter et former pour accompagner la croissance de l’entreprise et répondre aux nouvelles demandes nécessitant de nouveaux savoirs et savoir-faire (éco-construction, maison en bois…) » (Robert, responsable commission apprentissage).

23L’accompagnement des jeunes apprentis est aussi un souci largement exprimé et partagé. Enfin, pour permettre aux salariés de bénéficier d’une mobilité verticale, les membres du conseil d’administration ont pleinement conscience que de telles évolutions nécessitent des compétences managériales (management d’équipe…).

24Les intentions portées par le projet sont repérables dès la phase expérimentale, comme le précise la charte du sociétariat de l’entreprise (élaborée en mars 2006) :

« développer les outils et démarches qui font de Batiscop une entreprise apprenante »…

25puis précisées

« comment mieux recruter et former pour accompagner la croissance de l’entreprise ; l’entreprise veut devenir une entreprise apprenante ; elle cherche grâce notamment à la formation, à s’adapter à son environnement, à progresser en élevant la compétence des individus mais aussi en augmentant la compétence collective des équipes ».

26L’entreprise s’engage alors dans une démarche d’exploration et d’expérimentation quasi permanente, véritable processus de construction incrémental, fondé sur ce souci d’un couplage étroit avec les évolutions stratégiques. Un double point de départ marque l’engagement dans cette démarche si particulière : le nouveau projet pour la SCOP et la rencontre avec le consultant. Cet engagement se traduit par une mobilisation forte du conseil d’administration, ainsi qu’une forte implication des responsables de domaines d’activité stratégique et de secteur. Le rôle du consultant est majeur, comme « cheville ouvrière technique » de la démarche et force de proposition en termes d’expérimentation de nouveaux outils et de processus. Avec cette démarche, Batiscop veut collectivement continuer à se former ensemble et porter son projet d’entreprise.

27On peut distinguer plusieurs étapes majeures dans ce processus incrémental. Elles correspondent à une véritable maturation pour les personnes impliquées et auprès desquelles la démarche doit faire sens. La rencontre décisive du dirigeant et du consultant favorise l’engagement de la première étape, à savoir la formation du dirigeant et du nouveau conseil d’administration. Pour que le conseil d’administration exerce un rôle de groupe apprenant et de leader, il est décidé d’envoyer le dirigeant se former au management et à la gestion – sur un cycle long de formation de dirigeant. Puis, le dirigeant propose que l’ensemble des membres du conseil d’administration suive une formation au parcours de professionnalisation du sociétaire (faite par l’Union Régionale des SCOP).

« Au départ, on est sur des professionnels du bâtiment, qui ont fait le choix de se former à la gestion… pour aussi favoriser la promotion interne » (Jean, dirigeant).

28Tous les administrateurs sont formés (formation généraliste sur la gestion et le management de l’entreprise). Grâce au renforcement de leurs compétences en matière de stratégie (apprentissage liée à une démarche d’animation autour de la stratégie), tous les administrateurs partagent les mêmes connaissances en management. Le projet franchit alors un pallier important et les administrateurs décident de travailler en groupe, en commission, véritable décision marquant le passage à la deuxième étape.

29Sont ensuite créés des groupes de travail et des commissions avec de nouvelles pratiques d’animation. Les administrateurs deviennent des animateurs de groupe de travail, de commissions transversales thématiques (sur les compétences, les salaires, le comité d’entreprise…). Puis est créée la commission Apprenti : avec 15 apprentis, l’entreprise prend conscience de la délicate question du transfert des connaissances, des savoirs et savoir-faire ; elle décide d’aider les tuteurs encadrant les apprentis. Le conseil d’administration décide de mettre en place une formation des tuteurs d’apprentis. L’entreprise est accompagnée par une consultante spécialisée dans l’analyse de la pratique, qui propose une formation de tuteur d’apprentis pour développer une approche pédagogique (et pas seulement technique) du tutorat ; un véritable dispositif d’accueil des apprentis est mis en place avec le souci d’aider les tuteurs à transmettre des savoirs, des savoir-faire. En devenant formateur, les tuteurs prennent conscience des difficultés mutuelles inhérentes aux apprentissages ;

« cela a donné une grande ouverture aux tuteurs » (Antoine, couvreur, tuteur).

30Cela suscite la mise en place de la commission Apprenti, véritable « chambre d’écho » (Marie, consultante) sur les problèmes d’encadrement et de formation des apprentis et le conseil d’administration reconnaît la portée stratégique des travaux de cette commission. À l’occasion de ses 20 ans, l’entreprise fait le point sur « ce qu’on sait faire » (Jean, dirigeant) pour mieux le valoriser auprès des acteurs externes, notamment auprès des clients. Cette communication externe renforce la motivation des salariés. Parallèlement, s’amorce une formalisation plus soutenue de la démarche compétence, à travers la préparation des entretiens (réflexion sur le poste, mise au point d’une grille), puis la réalisation des entretiens. Des tuteurs sont formés et l’entreprise décide d’engager une réflexion sur le lien entre projet individuel et projet collectif.

DE L’EXPÉRIMENTATION À LA CONSOLIDATION DES PRATIQUES

31L'instrumentation de gestion s’articule plus autour de pratiques évolutives que d’outils formels et figés. Ces pratiques oscillent entre des pratiques individuelles (les entretiens) et des pratiques collectives (les commissions, les réunions de secteur, les bureaux du conseil d’administration et les assemblées générales). Les entretiens (durée de 30 minutes) se déroulent en présence du responsable de secteur et du dirigeant de la SCOP qui estime, par sa présence, être garant de l'homogénéité de ces entretiens. Les commissions et les réunions de secteur constituent des lieux d’information et de formation (implicites), où chacun peut s’exprimer, être force proposition, prendre la parole pour défendre une idée, un projet, « la mise en place de commission permet de réfléchir, d’avancer plus vite ».

32Les formations accompagnent le développement des compétences. Elles sont centrées sur le métier, le management d’équipe, le rôle de tuteur de jeunes apprentis, mais aussi sur la montée en compétence des administrateurs. Ces formations concernent la formation de tuteurs d’appentis, du sociétaire-coopérateur, des formations techniques avec le centre technique du bois, la mise en place d’un cursus d’apprentissage spécifique à l’entreprise.

33Des formations pour tous les administrateurs du conseil d’administration sont animées par le consultant sur le thème « projet individuel/projet collectif ». L’objectif est d’aider le conseil d’administration à devenir un groupe apprenant, pour favoriser l’émergence de connaissances collectives susceptibles d’être « réinjectées » dans chaque secteur par chaque administrateur.

34Les sociétaires constituent le vivier, pour animer les différentes commissions. Les responsables de secteur sont, avec les membres du conseil d’administration, les piliers de la mise en œuvre opérationnelle de la démarche. La réflexion sur l'évaluation de la démarche est engagée, avec le soutien du consultant, qui accompagne le processus de révision des outils, et aide à la construction de nouveaux outils (notamment la grille d’entretien).

35À l’issue de cette année d’expérimentation, un bilan réalisé sur les outils conduit à l’évolution de l’entretien individuel et de la démarche associée. Pour les entretiens de l’année suivante, il est décidé de ne pas demander de compléter la grille de questions préalablement à l’entretien. Trois questions précises sont posées, lors de chaque entretien (et ceci afin d’éviter les éventuelles réticences suscitées par la formalisation écrite).

36La grille d'évaluation, support initial de l'entretien annuel est commune à tous les corps de métiers techniques (maçons, couvreurs, menuisiers et plaquistes, carreleurs) est adaptée aux postes administratifs. Elle comprend quatre rubriques :

1. les compétences (relatives au métier, à la formation d'apprentis et à l'encadrement des équipes, et aux comportements face aux clients, à l'équipe…) ;
2. la valeur ajoutée apportée à l'entreprise ;
3. l'engagement comme sociétaire ;
4. les propositions d'évolution et/ou de formation.

37Cette grille repose d'abord sur des aspects de métiers, spécifiques à chaque corps mais ces items sont généraux. Les responsables de secteur et les responsables de domaines d’activité stratégique travaillent la refonte de l’entretien individuel, avec le consultant qui les forme à cet effet. À l’issue des entretiens, chaque rubrique a fait l’objet d’une synthèse, soumise aux commissions (commission Salaires), puis au conseil d’administration.

38Les commissions préparent les décisions qui sont ensuite prises en conseil d'administration et en assemblée générale. Les commissions Salaires et Apprentis jouent un rôle important dans le déploiement de la démarche. La commission Salaires, en particulier, propose des choix plutôt individuels en matière de rémunération. Cette commission a travaillé sur le sujet de l'entretien d'évaluation et plus largement sur l'ensemble de la démarche. La question de la définition de chaque poste est ainsi reposée ; il en est de même pour l'architecture complète des métiers avec l'introduction éventuelle de plusieurs niveaux dans chaque métier. La question de la politique de rémunération, en lien avec le niveau des postes est abordée : cohérence d'ensemble, mode de prise de décision… La question du sociétariat est explicitement exclue de cette réflexion qui concerne d'abord la rémunération de la performance individuelle au travail. Plus généralement, la détermination globale de la stratégie de ressources humaines (lien avec la formation, prise en compte des souhaits d'évolution professionnelle, organisation hiérarchique de l'entreprise) est questionnée.

39La commission Apprentis, dont l'objet initial est avant tout de réfléchir à l'accompagnement des jeunes apprentis, mais aussi des tuteurs (qui se posent beaucoup de questions), s'inscrit tout à fait dans la démarche compétence. Une démarche de formation des tuteurs d’apprentis est lancée et animée par une consultante. Les travaux menés au sein de cette formation renforcent ainsi la place de la commission Apprentis, en réaffirmant la place des apprentis et des tuteurs dans l'organisation et plus largement, le rôle des groupes de travail.

« Toute situation peut être apprenante » dans l'élaboration de la stratégie de l'entreprise : « les tuteurs… mettent à l'œuvre des activités qui relèvent de la responsabilité du collectif de tuteurs et qui participent à la construction d'une culture commune dans l'accompagnement des apprentis » (Blaise, couvreur et tuteur).

40Sont également explicités la recherche d'autonomie, caractéristique de chaque poste, de même que le parcours professionnel qui peut s'ouvrir, avec la possibilité, en particulier, de devenir chef d'équipe.

41L'accueil et l'intégration des jeunes apprentis sont aujourd'hui formalisés à travers un livret de l'apprenti, une charte ; une formation de 2 jours prépare les tuteurs à leur mission. Plus largement, cette commission conduit à ouvrir un nouveau chantier relatif à l'animation des équipes, à la relation d’apprentissage (entre chef d’équipe et salarié) et à la dimension managériale de la fonction de responsable d'équipe.

UNE DÉMARCHE DYNAMIQUE, PARTAGÉE ET RELAYÉE

42Si le conseil d’administration est incontestablement l'artisan de la démarche compétence, il est important de souligner combien la démarche est partagée et relayée par des acteurs de métier et de niveau hiérarchique différents, avec l’aide de deux consultants associés à cette démarche. Le premier consultant accompagne l'entreprise depuis une dizaine d'années. Le deuxième est intervenu sur la démarche déployée auprès des tuteurs d’apprentis en mettant en place une approche originale d’analyse de la pratique. Tous deux entretiennent des relations régulières avec le dirigeant et avec le conseil d’administration, leur permettant de développer des dispositifs de formation innovants dans le cadre de la démarche d’entreprise apprenante.

43La cohérence du discours avec la stratégie et les valeurs inscrites dans la charte est réelle : l'objectif est d'être une entreprise apprenante et de maintenir, voire de renforcer le rôle décisionnel du conseil d’administration et de favoriser la démarche participative des salariés, grâce aux commissions, groupes de travail… animées par les sociétaires. Un des soucis exprimé renvoie « au risque d'élitisme » (Jacques, administrateur, responsable maçonnerie), conséquence du développement rapide, qui écarterait certains sociétaires du fait de leurs difficultés à saisir les problématiques managériales et ses enjeux pour l'entreprise.

44La démarche compétence apparaît cruciale au dirigeant, pour articuler les compétences individuelles, plutôt d'ordre professionnel et les compétences nécessaires au fonctionnement du conseil d’administration et ainsi établir le lien entre les deux. Le travail réalisé sur les apprentis et la fonction de tuteur illustrent, à leurs yeux, le lien entre les deux :

« on cherche à redonner la puissance au conseil d’administration ; c'est une grande ouverture par rapport au métier de base » explique le dirigeant.

45En définitive, les entretiens révèlent la préoccupation de continuer à faire vivre le conseil d’administration, à concilier les compétences de sociétaires et de métiers, tout en ayant une réflexion sur l'articulation entre les différents métiers, les salaires et la formation de tous, sociétaires ou non. L'ensemble des salariés interrogés exprime leur implication dans l'organisation, leur véritable

« plaisir au travail » (Rodolphe, maçon).

46Leur liberté de parole, au demeurant toujours constructive, est frappante :

« Chez Batiscop, on est libre d'esprit, on peut s'exprimer avec le dirigeant » (Rodolphe, maçon).

47Dans l'ensemble, la définition des éléments constitutifs de la mission des personnes interrogées ne pose aucune difficulté ; elles les décrivent de manière très spontanée et plutôt détaillée. Les entretiens réalisés sont perçus comme un moment très important :

« c'est le moment où l'on se pose » (Victor, carreleur), « j'avais besoin qu'on me dise : c'est bien, ce n'est pas bien » (Roger, menuisier).

48Les salariés voient très nettement le lien entre cet entretien, la formation et les salaires. Tous soulignent les possibilités de mobilité professionnelle, avec des parcours individualisés, fortement liés aux souhaits individuels d'évolution professionnelle, voire d'épanouissement personnel. L'augmentation des compétences de chacun, à son rythme et selon ses souhaits, encouragée par le dirigeant et l’encadrement est citée explicitement par les personnes interrogées. La formation apparaît comme un élément central dans l'évolution professionnelle :

« les besoins sont exprimés dans un contexte où chacun s'accorde à dire qu'il est "possible d'apprendre" ».

49Ainsi, des personnes sollicitées pour prendre en charge des responsabilités extérieures à leur poste de travail (exemple : devenir secrétaire du comité d'entreprise) ajoutent qu'elles auront les formations nécessaires.

50Les entretiens sont aussi perçus comme le moment de refléter le travail de l'année et donc comme concourant aux décisions à prendre en matière de salaire. Il ressort de ces entretiens que l'initiative personnelle est encouragée et que l'autonomie dans le travail est sollicitée. L'implication dans le travail et dans l'organisation qui en résulte s'exprime dans le souhait de nombreuses personnes d'être ou de devenir sociétaire :

« on fait comme on a envie, quand on se sent prêt. Le mode coopératif cela donne une base super saine, c’est un super système, j’en parle autour de moi, à des copains » (Théo, couvreur).

51Les situations collectives (commissions, groupes de travail, réunions de secteur) sont perçues comme des moments de formation et d'apprentissage, bénéfiques aux participants et à l'ensemble des salariés. Ainsi, à propos de la commission tuteur, peut-on lire dans le travail de bilan réalisé par la consultante :

« je pense que si on se mettait à faire des grilles comme cela, il faudrait se mettre à plusieurs pour les réaliser et les tester sur le chantier avant la mise en place réelle ».

52Le lien avec la stratégie de Batiscop est perçu par l'ensemble des salariés. Toutefois, des interrogations se font jour. Tout d'abord, un manque d'objectifs dans le travail est perçu par certains. Par ailleurs, s'il est incontestable que les évolutions professionnelles sont encouragées, les parcours de mobilité ne sont pas formalisés. Mais le rythme de croissance de l'entreprise, les nouveaux secteurs en développement, la construction de nouveaux locaux suscitent des interrogations :

« est-ce qu'on va toujours continuer à évoluer comme cela ? » (Gaston, administrateur, responsable secteur).

53Certains évoquent la perte de lien social causée par la disparition des moments informels (le regroupement autour d’une pause café par exemple, lorsque les équipes étaient plus petites et plus homogènes en terme de profil). Des tensions semblent s'exprimer au sein de certains corps de métiers, liées à des choix de sous-traitance (pas toujours débattus en conseil d’administration), à un administrateur qui semble « être en retrait » : des travaux de maçonnerie sont confiés à des sous-traitants, provoquant des incompréhensions chez certains maçons. Le lien entre compétences individuelle et collective est aussi questionné. L'inexistence d'un référentiel de compétence, d'un arbre des compétences est soulignée par certaines personnes. Enfin, le dernier groupe de travail centré sur l'articulation entre la dimension individuelle (projet individuel) et la dimension collective (projet collectif) suscite des incompréhensions : « on ne sait pas où on va ».

54La formalisation des pratiques constitue une première retombée de la démarche initiée : procédure d'intégration des jeunes apprentis, formation systématique des tuteurs, journée d’information sur l’apprentissage (accueil des parents et des jeunes). On relève une place importante des dispositifs de formation (rare dans une PME de cette taille). L'entretien annuel semble ancré dans les pratiques. Mais ses objectifs font débat. En particulier, ses liens avec les objectifs et le contenu de chaque poste ne sont pas explicités.

55La démarche compétence s'inscrit véritablement dans la stratégie de Batiscop d’être une entreprise apprenante. Elle semble renforcer l'implication des salariés, permettant à chacun de s'exprimer, de donner un sens au travail. Elle renforce les objectifs déclarés par les sociétaires : être autonome, être acteur de son parcours professionnel. Les actions de formation, les décisions salariales sont très liées à la démarche compétence. Les situations collaboratives sont renforcées.

56Des interrogations qui se font jour sur l'articulation entre l'individuel et le collectif renforcent ce questionnement : n'y a-t-il pas danger à ce que des personnes s'excluent, soient exclues devant les difficultés à appréhender le développement de Batiscop ? Cette interrogation se double de la nécessité liée au statut de SCOP de l'entreprise, que des sociétaires soient en capacité, qu’ils possèdent les compétences nécessaires à leur fonction de sociétaires et pour certains, d’administrateurs.

57En définitive, cette démarche compétence nous semble véritablement favoriser le processus d'innovation : le cadre général existe, les principes sont présents, les outils existent mais leur mise en œuvre ne stérilise en aucun cas les initiatives individuelles, les démarches collaboratives. Il ressort que l'entreprise cherche avant tout à répondre à des problèmes concrets et à concevoir et expérimenter des pratiques innovantes, selon un processus émergeant de questions ancrées dans la réalité des personnels ; celles-ci relèvent de questionnements relatifs au développement des compétences collectives, transversales et à leur déploiement. Il convient donc d'être prudent entre la nécessaire élaboration de stratégie des ressources humaines, la formalisation de certaines politiques et la stérilisation qui pourrait en résulter, la confiance étant au cœur de la démarche.