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Fragiles compétences

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Sophie Bretesché
, 
Cathy Krohmer

Fenêtre, compétences et industrialisation de la production

Bruno Henriet y Cathy Krohmer

Texto completo

1Installée en Maine et Loire, Fenêtre fabrique, pour une clientèle professionnelle, des huisseries en PVC, aluminium et plus récemment en bois, pour un chiffre d’affaires de plus de 30 millions d’euros. Son effectif se situe aujourd’hui (2008) autour de 300 salariés. Cette entreprise familiale a connu ces dernières années de profondes évolutions. L’une des plus marquantes est le passage d’une production artisanale à une production industrielle. Cette progression très rapide a posé des problèmes d’équité entre salariés. Une mise à plat du système de gestion de ressources humaines a été alors réalisée et de nouvelles règles de gestion ont été produites afin d’accompagner la flexibilisation et la fiabilisation du process industriel. Fenêtre mène actuellement une stratégie plus offensive en s’appuyant sur une organisation restructurée et une démarche compétence plus affirmée.

UNE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT ET D’OPTIMISATION

2Entreprise familiale, Fenêtre a migré du charronnage à la menuiserie bois, avant de se consacrer à la menuiserie en aluminium en 1970. Elle s’est lancée dans le PVC en 1991. Fenêtre est, depuis sa création, résolument tournée vers les menuisiers et les pavillonneurs, professionnels de la rénovation et de la construction, avec lesquels elle a tissé des liens dans tout le grand ouest. En effet, au-delà de la fiabilité de ses produits, c’est la diversité de l’offre et la qualité du service qui sont les principaux atouts de l’entreprise. De par son positionnement, l’entreprise cumule deux rôles, celui de fabricant et celui de négociant, qui s’efforcent de répondre à l’ensemble des besoins de la maison : portes, fenêtres, baies vitrées, volets et fermetures diverses. Le secteur du marché de la menuiserie PVC et de l’aluminium connaît, ces dernières années, un fort développement. Cependant, la croissance le plus souvent à « deux chiffres » et le taux de rentabilité plus élevé que celui de ses concurrents, s’expliquent aussi par les choix stratégiques plutôt offensifs de cette PME. En 2005, le PDG exprime clairement les objectifs de Fenêtre : doublement en 5 ans de son chiffre d’affaires, afin d’être dans les dix premiers sur le marché pour aborder efficacement la prochaine décennie et affirmation d’une politique de différenciation fondée sur la dimension « service » et la relation client. Afin de donner du sens à tous ces changements et de fédérer les salariés autour de la stratégie, le projet Force 10 présente les 10 engagements pour 2010. On y retrouve l’énoncé de valeurs partagées et l’affirmation d’objectifs en termes de management comme par exemple : « donner sa chance à chaque collaborateur d’évoluer », « accompagner le changement… ».

3Pour accompagner cette stratégie, l’organisation interne est modifiée. Jusqu’à présent, la production répondait aux exigences de la fonction commerciale, sans avoir d’organisation industrielle capable de les satisfaire de manière optimale. Chaque atelier de production devait suivre et cette croissance de capacité rendait l’organisation initiale artisanale de plus en plus inadaptée : les anticipations devenaient difficiles, les réajustements complexes et le pilotage coûteux. Les chefs d’atelier devaient veiller à tout, car aucune activité transversale n’était en place pour les aider. Chacun menait ainsi une véritable « course en solitaire ! », selon l’expression du directeur de production. Cette situation s’est trouvée exacerbée en raison d’un contexte où les ressources mises en œuvre (matières premières, ressources humaines, équipements) et les activités déployées (organisation logistique, systèmes d’informations) devenaient plus incertaines et plus complexes. Il fallait alors réussir le passage d’une « petite entreprise, un peu artisanale, à une véritable industrie » (Yann, directeur de la logistique industrielle). Une structure plus étoffée a été mise en place avec des activités fonctionnelles autour de la direction (Ressources Humaines, Marketing…), des activités supports autour de la fabrication et la création d’une véritable direction de la logistique industrielle. En créant une direction industrielle, l’entreprise s’est dotée de fonctions supports, conditions du recentrage des responsables d’atelier sur leur métier. Progressivement des fonctions dédiées ont été créées par regroupement des tâches réalisées par chaque responsable d’atelier : approvisionnement, méthodes, qualité, amélioration continue, logistique client, fabrication. La fonction de responsable d’atelier a été redéfinie. Déchargé d’un grand nombre de tâches, il n’est désormais plus l’homme orchestre, cela lui permet de se consacrer au cœur de son métier : la réalisation de la production et le management des ressources humaines. Moins dans l’urgence, il est amené à participer aux démarches qui ont un impact sur son atelier : amélioration continue, démarche compétence, déclinaison du projet d’entreprise. Enfin, le process a été fiabilisé et l’entreprise est passée d’une logique de capacité – répondre aux besoins – à la constitution d’un process fiable. Ainsi, au-delà d’un simple pilotage à court terme, il revient à la direction industrielle de penser son organisation dans la durée. Pour garantir

« la robustesse du process de production, il faut avancer par palier, consolider son organisation avant d’aller plus loin » (Yann, directeur de la logistique industrielle).

4Lors de ces changements, la direction a veillé à ce que la modernisation des outils et la rationalisation de l’organisation préservent une organisation flexible en phase avec le marché plutôt qu’une organisation orientée vers les seuls gains de productivité :

« nos concurrents régionaux qui ont l’outil de production le plus sophistiqué ont des prix inférieurs aux nôtres… mais n’ont pas le même niveau de commandes, parce qu’ils sont moins souples dans les réponses et moins rapides dans les délais » (Alain, responsable d’atelier).

5Tout ne doit donc pas être rigidifié au sein de la production et aujourd’hui,

« les interventions humaines restent toujours décisives » (Yann, directeur de la logistique industrielle).

6Mais si l’industrialisation des ateliers n’est pas totale, elle modifie tout de même la nature des tâches des opérateurs :

« L’entreprise n’était alors plus dans une logique artisanale avec un personnel qui maîtrisait l’ensemble de la menuiserie, mais dans une logique industrielle avec des salariés cantonnés sur des opérations bien précises » indique le directeur de la logistique industrielle.

7De nouveaux métiers sont alors apparus : conducteur de machines automatisées, assembleurs, menuisiers, vitriers… L’usine compte désormais trois ateliers de production. L’atelier PVC, où sont fabriquées les fenêtres en PVC à partir de profilés achetés, est le plus important tant par son chiffre d’affaires (43 % du chiffre d’affaires total) que son effectif. Dans l’atelier Alu, les salariés se consacrent à la fabrication des baies vitrées à partir de « profils » fournis par des industriels spécialisés, les gamistes. Il représente 30 % du chiffre d’affaires total. L’atelier Fermeture, 14 % du chiffre d’affaires, produit les lattes des volets roulants grâce à un équipement d’extrusion et en réalise le montage.

8Pour assurer son développement, Fenêtre recrute aussi de manière conséquente. L’entreprise change ainsi de taille et passe de 25 personnes en 1991 à plus de 300 personnes fin 2007. Toutefois, Fenêtre est confrontée à plusieurs tensions sur le marché du travail : il y a peu de main-d’œuvre disponible sur le bassin d’emploi, la part de la main-d’œuvre qualifiée est faible (plus de 60 % des salariés recrutés n’ont jamais travaillé dans la menuiserie) et le taux de chômage relativement bas (4,5 % en 2007). Le positionnement de ces salariés recrutés, qui ne sont pas forcément tous qualifiés, et de ces nouveaux métiers, créés à la suite de la réorganisation, commence à être problématique. En 2001, c’est au terme des deux années de gel des salaires négocié lors de la mise en place des 35 heures, que les délégués syndicaux portent les revendications du personnel en matière de rémunération.

UNE DÉMARCHE OUTILLÉE ET ADAPTATIVE

9Dès 2001, le responsable ressources humaines, soutenu par le PDG, lance le chantier de la démarche compétence dans l’usine. À cette époque, il fallait répondre à des revendications liées aux salaires, à leur évolution et à leurs fondements :

« les gens ne comprenaient plus forcément les écarts de salaires d’une personne à une autre » et « il fallait justifier cette politique » (Didier, responsable des ressources humaines).

10Les « compétences » de chacun pouvaient être un premier élément de réponse. À partir de 2002, la démarche se déploie sur l’atelier PVC pilote puis sur l’ensemble de la production.

11Le processus de conception peut être qualifié de « top-down ». En 2002, le projet est lancé, il comprend un comité de pilotage et un « groupe ressources » constitué du service Ressources Humaines, de l’encadrement de proximité et du service qualité. Ce « groupe ressources » est responsable de la réalisation des fiches de postes, des descriptifs de fonction, du référencement des métiers et des compétences. Le rassemblement des postes voisins, en raison de la proximité des compétences requises, a pu être opéré afin de déterminer des emplois-types. Pendant tout ce cheminement le directeur de la logistique industrielle a maintenu son objectif – mettre en place une organisation plus efficace – et a rencontré dans ce travail d’analyse et d’évaluation un soutien à ses orientations.

« On fait monter tout le monde au sein d’un service par sa concentration et sa spécialisation pour qu’à un moment donné l’on puisse se prêter des gens qui soient suffisamment armés pour pouvoir répondre à la demande selon les opportunités ou selon les différentes directions que l’entreprise est obligée de prendre » (Yann, directeur de la logistique industrielle).

12Tout ce travail a conforté la stratégie du PDG :

« il faut que les compétences suivent la stratégie » (Robert, PDG).

13Le management de proximité – les chefs d’équipe et les responsables d’atelier – est impliqué à différents niveaux, avec, dès le début, la volonté de faire participer les managers dans les « groupes ressources ». Ils sont alors fortement sollicités pour décrire les compétences requises par les situations de travail. Comme le souligne un responsable d’atelier,

« on est impliqué dans la démarche compétence, on nous écoute, on travaille avec les ressources humaines » (Richard, responsable d’atelier).

14Les salariés pour leur part, n’ont été impliqués que pour valider la description des compétences requises. Chaque collaborateur a ainsi reçu la liste de l’ensemble des compétences requises par son poste de travail et a dû alors indiquer si cela correspondait effectivement à la réalité. Le choix de cette méthode, peu propice à l’interaction, explique certainement le peu de retours. De même, leur implication dans les entretiens est assez inégale. Lors de la première campagne, ils ont eu le sentiment d’un traitement inéquitable par rapport aux managers, qui eux avaient été formés. Aujourd’hui, même s’ils semblent mieux préparés, une partie d’entre eux ne joue pas le jeu, selon le responsable ressources humaines « environ 70 % des salariés préparent l’entretien » et l’impression « que tout est joué d’avance ! » est partagée par certains salariés. Enfin, les représentants du personnel, moteurs en termes de revendication, sont relativement peu impliqués par la suite dans la construction de la démarche compétence.

15Cette démarche a fortement évolué. Déployée dans un premier temps au sein de l’atelier PVC menuiserie, elle est étendue aux ateliers aluminium, fermeture et à la plate-forme logistique en 2003. En 2004, suite à la première campagne d’entretiens professionnels pour les 160 personnes de la production, une étude réalisée par L. Pascail et A. Masson pour l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ARACT) a permis d’apporter certaines améliorations, comme par exemple, la suppression d’une note professionnelle au profit de l’évaluation des compétences comportementales. Le découpage des emplois-types est aussi reconstruit afin de tenir compte des schémas de polyvalence qui existaient dans l’atelier :

« Sur le papier, ces compétences semblaient effectivement des plus connexes et puis on s’est rendu compte que dans la pratique les managers étaient assez bloqués par ce maillage. On est alors reparti sur des schémas de polyvalence qui existaient dans l’atelier et on a reconstruit nos emplois types » (Didier, Responsable des Ressources Humaines).

16En 2006 pour la troisième campagne d’entretiens, les outils et la cotation des compétences sont modifiés pour tenir compte des remontées des managers de proximité et des orientations stratégiques. C’est à partir de cette année aussi que les souhaits relatifs au DIF ont été intégrés directement dans les entretiens professionnels. C’est enfin cette année-là, que la démarche est étendue aux services administratifs, mais l’outil n’intègre pas ici la rémunération des compétences. En 2007, l’adoption d’une convention collective unique (plasturgie), amène le responsable des ressources humaines à une redéfinition des critères de classements.

17Actuellement, la démarche compétence intègre un grand nombre de dimensions ressources humaines. Avec un référentiel sophistiqué et des entretiens étoffés, Fenêtre s’est dotée de réels moyens. Pour décrire et coter les compétences requises, les différents postes de travail (industriels) ont été étudiés et décomposés. Ceux dont les situations de travail étaient considérées comme similaires, ont été regroupés en emploi-type. Par exemple, l’atelier fermeture compte 3 emplois-types et l’un d’entre eux, « assembleur de volets roulants », regroupe 10 postes. Aux compétences requises appartenant à un poste, se sont ajoutées des compétences transversales pouvant être mises en œuvre d’un poste à l’autre (Exemple : assurer le tutorat d’un nouvel arrivant ; appliquer les procédures d’usinage…). À chacune des compétences un coefficient a été attribué en fonction de son importance : ce coefficient permet de donner une « valeur » à la compétence requise. Chaque compétence est évaluée sur une échelle de 0 à 100 en fonction de la valeur ajoutée du poste, de la rareté de la compétence et de la difficulté de remplacement. En plus de ces critères, l’accent est mis sur certaines compétences en fonction des axes stratégiques de l’entreprise. Ensuite, les différents postes de l’entreprise ont été réunis dans un référentiel déclinant une soixantaine de compétences, comme par exemple « lire un jet d’encre » ou « capacité à détecter et transmettre des anomalies rencontrées », ou encore « connaître les types de profilés de menuiserie PVC ». Tout cela permet de coter chacun des postes en valorisant d’abord chaque compétence (coefficient de la compétence x niveau requis par le poste) et en effectuant ensuite la somme des valeurs de l’ensemble des compétences requises par le poste.

18L’évaluation des compétences mobilisées par les salariés par rapport au niveau requis par le poste prend appui sur l’entretien professionnel et l’attribution des « points compétence » qui en résulte. Cet entretien est mené par le responsable d’atelier et le chef d’équipe de l’opérateur. C’est là qu’une graduation est proposée variant d’un niveau 1, où la compétence est faiblement mise en œuvre, à un niveau 4 où elle est parfaitement maîtrisée. C’est cette échelle qui « visualise » les perspectives de progrès du salarié. L’évaluation porte aussi sur la polyvalence inter emploi-type et inter atelier. Un salarié se voit attribuer des points de polyvalence s’il détient la compétence et s’il l’utilise effectivement. Enfin, est conclu le contrat d’amélioration professionnelle qui comprend

« les objectifs fixés pour l’année suivante, les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs et les conseils donnés par l’évaluateur pour améliorer l’efficacité et l’atteinte de ces objectifs ».

19Le résultat de cet entretien alimente différentes dimensions des ressources humaines. Tout d’abord, la rémunération des compétences prend appui sur cet exercice. Les « points compétence » acquis sont mis en rapport avec la grille de rémunération. Il faut noter que les managers de proximité n’ont pas accès à la grille et ne connaissent pas, en conséquence, les règles de calcul de la rémunération. Par ailleurs, le développement des compétences est corrélé à la formation qui, pour l’entreprise, revêt trois grands enjeux : le respect des exigences légales, la volonté d’accompagner les salariés dans les changements d’organisation et la formation en interne de main d’œuvre non qualifiée. Le budget formation représente environ 2,7 % de la masse salariale. L’accent est mis sur des formations techniques afin d’accompagner les changements. Cette politique de développement des compétences vise avant tout l’adaptation de celles-ci :

20« Une distinction doit être faite entre l’évolution des personnes et l’adaptation à un nouvel environnement. L’adaptation est nécessaire parce que l’environnement bouge mais ce n’est pas de l’évolution » (Robert, PDG).

DES COMPÉTENCES SEGMENTÉES ET RESTREINTES AU POSTE

21La démarche compétence a permis d’accompagner différents changements dans l’organisation. Tout d’abord, la définition très précise des compétences requises sur chaque poste de travail s’est aussi accompagnée d’une réflexion sur la mise en place de « postes d’entrée ». Avec ces postes, il était alors possible de recruter de la main-d’œuvre non qualifiée :

« faire du travail posté, c’est rendre aussi accessibles les choses, parce que ça réduit la compétence demandée. Avant, un garçon faisait un coulissant du début à la fin donc il fallait qu’il sache lire un plan, un bon de commande. À partir du moment où l’on a fait du travail en poste, on a découpé les opérations et on a pu expliquer à une jeune femme que son travail c’était de prendre les deux vis, de mettre la brosse et de passer le produit à quelqu’un d’autre » (Yann, directeur de la logistique industrielle).

22Il a alors été possible de recruter de la main-d’œuvre peu qualifiée et le développement de l’entreprise n’a donc pas été contraint par la pénurie de main-d’œuvre. Ensuite, cette démarche a construit la flexibilité qualitative de la main-d’œuvre et a aidé à fiabiliser les process. La démarche a accompagné l’organisation de la production. Les trois familles de produit ont chacune leurs exigences productives. Mais dans tous les cas, la description précise des postes et des niveaux de compétence requis permet d’accroître la fiabilité dans l’organisation du travail et donne à chacun une vision plus claire des exigences de l’activité. L’évaluation, lors des entretiens annuels, de la compétence acquise, permet au responsable d’atelier de savoir qui est capable de tenir le poste. Le « collaborateur » sait, de son côté, où et comment il peut évoluer tant en niveau qu’en polyvalence. Enfin, la démarche a participé à l’évolution du rôle de manager de proximité. Les managers de proximité ont été fortement impliqués dans la démarche. Membres du groupe ressources, ils ont été à l’origine des descriptions des compétences requises. Ils ont aussi souligné les incohérences de la démarche lors de son déploiement. Enfin, ils sont responsables de l’évaluation des salariés. Comme le souligne le Responsable des Ressources Humaines :

« le rôle du management a été très important dans la réussite et dans le bon déploiement de la démarche ».

23La démarche compétence a aussi accompagné leur changement de rôle amorcé lors de la réorganisation de la production. Il s’agissait à travers cette démarche de

« donner un coup de pouce au management afin de les faire passer d’un rôle technique à un rôle de manager » (Didier, responsable ressources humaines).

24L’entretien professionnel nécessite un nouveau positionnement qui a permis de structurer fortement le management et de susciter une prise de conscience sur l’évolution de son rôle et des attentes de l’entreprise. C’est ainsi que l’évaluation de la compétence acquise, lors des entretiens annuels, contribue à la qualité du management. C’est le prolongement d’une attitude d’écoute exercée quotidiennement, c’est l’occasion aussi d’une reconnaissance de l’effort déployé, qui répond à un souci d’équité. Le système d’appréciation est alors vu de façon positive pour fixer des axes de progression :

« dans la démarche compétence le côté écoute est bien… nous, il y a des choses que l’on ne voit plus ».

25Dès lors, parler du travail devient primordial,

« la consultation sur l’organisation des postes, c’est essentiel pour les intégrer » (Alain, responsable Atelier).

26Pour accompagner ce changement de rôle, l’entreprise a mis en place des plans de formation sur mesure pluriannuels sur 3 ans (2002-2003-2004). La première formation (6 jours) était un « premier contact avec le management », la deuxième (8 jours) concernait le management et la communication, et enfin, lors de la troisième formation (3 jours), l’accent était mis sur les entretiens professionnels. Selon le responsable ressources humaines, ce changement de rôle ne s’est pas fait dans la facilité. Certains ne se retrouvaient pas dans ce rôle, c’est ainsi que quatre responsables n’ont pas suivi. Lors de nos entretiens, un responsable d’atelier nous a fait part de son insatisfaction :

« Je pense que je n’aurai jamais pris un rôle comme celui-là, si j’avais su ! » (Alain, responsable atelier).

27Si la démarche compétence a participé à l’évolution et au développement de l’entreprise, elle rencontre cependant de multiples points de tension. Cette démarche qui segmente la compétence vise à accompagner le développement de l’entreprise. L’objectif général de la démarche reste clair : il s’agit avant tout d’accompagner les fluctuations d’activité et les changements de l’organisation. Il faut disposer de salariés capables de changer de poste pour répondre à des variations de la demande, il faut aussi les inciter à aller sur des postes nouveaux induits par la modernisation de l’entreprise. La démarche qui repose sur les compétences requises, permet alors d’orienter l’adaptation des salariés en ajustant leurs compétences. Mais les compétences ainsi détenues (et améliorées) à un « instant t » sont des ressources de court terme, et ce ne sont pas forcément des facteurs clés de succès sur le long terme. La démarche compétence répond aux exigences de l’activité, elle s’articule avec un dispositif d’évaluation et de rétribution, mis en place par la fonction ressources humaines, mais ne s’inscrit pas encore dans une perspective dynamique. Les filières professionnelles ne sont pas clairement balisées. Face à ce besoin d’adaptation, plusieurs salariés expriment leur souhait d’évoluer dans la structure. Ils voient dans le développement important de l’entreprise une possibilité d’évolution :

« Pour moi, c’est le moment de changer de poste, d’évoluer ! » (Vincent, opérateur atelier PVC).

28Il faut saisir sa chance :

« l’entreprise grandit et pour les plus anciens, les plus ambitieux, il y aura certainement des postes à pourvoir par la suite » (Guillaume, représentant du personnel).

29Malgré cet enthousiasme, certains expriment quelques doutes quant aux possibilités :

« Certains étaient blasés de la tournure du métier, de l’industrialisation et voulaient évoluer dans le métier, mais il n’y a pas de la place pour tout le monde » (Eric, opérateur atelier PVC).

30La croissance de l’entreprise permet des évolutions, mais faiblement relayées par les outils en présence. Ainsi, les parcours dans l’entreprise ne sont pas balisés et c’est avant tout l’adaptation au poste qui prime. Par exemple, le degré de modernisation des outils va demander des compétences qui ne sont pas forcément en continuité avec celles qui existent, comme l’illustre clairement ce témoignage :

« on a des menuisiers, il faut désormais des informaticiens ! » (Alain, responsable d’atelier).

31L’atelier va donc « voir arriver de nouvelles compétences ». Les descriptions de postes ne peuvent pas être faites « une fois pour toutes ». La modernisation de l’outil de production amène à revoir la description de nombre d’entre eux et peut exiger des compétences qui ne sont pas forcément en continuité avec celles qui existent. De plus, sur leur poste, l’échelle de progression offerte aux opérateurs s’avère très réduite :

« quand tout le monde est à 4, que demander de plus demain ! » (Richard, responsable d’atelier).

32Ces objectifs d’évolution des personnes entrent alors en contradiction avec une organisation plus industrielle et limite le management :

« ce n’est pas facile de mettre un objectif d’évolution sur un process industriel » (Richard, responsable d’atelier).

33Les jeux développés par les opérateurs peuvent aussi limiter les effets de la démarche compétence. L’entretien professionnel reste ainsi souvent centré sur la question de la rémunération reléguant alors au second plan l’adaptation du salarié. C’est ainsi qu’un responsable d’atelier déplore : « la discussion porte trop sur les points, on ne devrait pas parler salaire ». L’investissement du salarié est à la hauteur du nombre de points qu’il est possible de collecter :

« plus on fait de poste et plus on a des points… Il faut essayer d’aller un peu partout pour aller grappiller des points, comme on dit ! » (Paul, opérateur).

34Les opérateurs se transforment alors en stratèges évaluant la probabilité qu’ils ont de voir reconnaître telles ou telles compétences. C’est le cas par exemple de ce salarié :

« Certains points, on ne va pas sur certains postes ou pas souvent et l’on est tout de même évalué dessus. Donc les points ne sont pas très bons. Par exemple, le coup de main que l’on donne au vitrage ce n’est pas suffisant, il faudrait y rester un petit temps alors que moi je sais comment ça marche. Par exemple aussi pour les portes cintrées, même si j’en ai fait cette année, je pense que je n’aurai rien parce qu’il aurait fallu que j’en fasse plus, mais comme il y en a très peu… Les portes cintrées c’est très intéressant mais je n’en tire aucune reconnaissance. Il faut faire attention à ce niveau. Il faut essayer de savoir s’ils comptent après se lancer sur le produit. Si on sent qu’ils ne vont pas se lancer sur un produit, dans ce cas-là, ça ne sert à rien de s’investir » (Richard, atelier PVC).

35L’investissement est alors fonction du nombre de points que l’on peut collecter. Ceci peut alors poser quelques problèmes notamment pour le développement de produits nouveaux et rarement usinés. D’autres salariés résistent aussi en refusant de changer de poste : ainsi, si l’évolution des postes invite à la progression ou à la mobilité, on ne peut pas non plus « forcer celui qui ne veut pas bouger » (Alain, un responsable d’atelier).

36Enfin, si la démarche compétence a clairement accompagné l’industrialisation du process, elle formalise, en segmentant fortement les compétences, l’appauvrissement des postes. Le contenu du travail change et des salariés regrettent la perte de certaines compétences :

« Avec l’aménagement des postes, certaines compétences acquises par expérience ne sont plus mises en œuvre et donc plus évaluées et il faut apprendre de nouvelles compétences » (Virginie, une collaboratrice).

37Plus encore, le travail est jugé moins intéressant :

« Avec l’industrialisation, le métier s’appauvrit et les gens le ressentent » (Alain, un responsable d’atelier)… « on ne tire pas les compétences vers le haut, surtout depuis le déménagement sur le nouveau site et l’amélioration du poste de travail, les opérations à réaliser sur le poste sont plus simples… impression de perdre en compétence » (Grégoire, un collaborateur).

38La segmentation s’accompagne aussi d’un contrôle accru. Le fort mouvement d’industrialisation a conduit à une division horizontale du travail relativement importante et s’accompagne actuellement d’un suivi régulier :

« l’industrialisation : c’est du travail posté, on se rapproche de l’automobile… On compte maintenant le temps… » (Lionel, responsable atelier).

39Les salariés ressentent alors un contrôle plus important sur leur travail :

« On nous contrôle de plus en plus. Moi à un moment donné, j’ai dit stop. On ne pouvait plus rien faire ! » (Antoine, un collaborateur).

40La démarche compétence de l’entreprise Fenêtre visait la mise à plat du système de gestion des ressources humaines afin de proposer de nouvelles règles d’emploi plus équitables pour les salariés. Cette démarche fortement outillée et instrumentalisée intègre l’identification, l’adaptation, l’évaluation et va jusqu’à la rémunération des compétences requises. Celle-ci a également permis d’accompagner le mouvement d’industrialisation. L’évaluation de la polyvalence et la description précise des compétences attendues ont participé à la flexibilisation et la fiabilisation du process de production. Cette démarche a largement été utilisée pour adapter les compétences des salariés à celles requises par les situations. Or l’adaptation des compétences se heurte à plusieurs reprises à l’évolution des salariés. Celle-ci s’avère secondaire et n’est pas réellement outillée. Dès lors, des salariés résistent en développant des comportements opportunistes, en bloquant la polyvalence… Autant de comportements qui pourraient, à terme, porter atteinte à la flexibilisation et à la fiabilisation du process de production.

Autores

Bruno Henriet est Professeur des Universités, Doyen honoraire de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Nantes, il est responsable du Pôle gestion et management au sein de l’IEMNIAE. Diplômé de l'IEP de Paris, docteur en sciences économiques, il est spécialisé en gestion des ressources humaines, domaine dans lequel il a publié de nombreux ouvrages. Il enseigne à l'École des Mines de Nantes le management et les politiques sociales.


Cathy Krohmer est maître de conférences en Sciences de Gestion au sein de l’IEMNIAE de l’Université de Nantes et membre du Laboratoire d’Économie et de Management de Nantes Atlantique (LEMNA - EA 3 261). Ses travaux portent sur le management des compétences individuelles et collectives.

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