Précédent Suivant

L’opération d’ACCE en région AURA

p. 285-296


Texte intégral

1Cette monographie, rédigée dans le cadre d’une étude menée plus largement sur des projets de rénovation de deux ensembles HLM1, porte, comme dans le cas précédent, sur une opération conduite par un bailleur social. Elle a été élaborée à partir de l’extraction des résultats pertinents d’une enquête réalisée au printemps 2021 et d’une analyse des notes de réunions avec le bailleur. Le cas a été anonymisé.

2L’autoconsommation collective en logement social est encore marginale si l’on raisonne en nombre d’opérations. Mais ce secteur laisse espérer un potentiel de diffusion élevé. Le contexte du logement social peut être considéré comme un « cas limite » de l’ACCE, dans la mesure où il relève d’une clientèle captive, et non d’une démarche volontaire et engagée, comme dans la plupart des autres projets. Dans ce cas de figure, l’habitant n’est pas demandeur de l’autoconsommation – celle-ci est portée par une institution –, ce qui ne signifie pas qu’il est passif pour autant.

1. Contexte de l’étude et des opérations de rénovation

1.1. De l’acceptabilité sociale de l’ACCE à celle des rénovations

3Cette étude de cas repose au départ sur une demande d’accompagnement sociologique centrée sur l’acceptabilité sociale de l’autoconsommation collective. Elle émane de la Direction du Patrimoine d’un organisme HLM en région AURA, filiale de l’un des principaux groupes de logements sociaux français. Elle exprime deux préoccupations vis-à-vis de l’ACCE.

4Pour mettre en place l’autoconsommation, le bailleur a besoin de disposer de l’accord écrit des locataires sur le changement des services liés à la fourniture d’énergie. Cela suscite un besoin spécifique de concertation en amont de l’opération de rénovation, qui correspond également à la stratégie du groupe d’impliquer davantage ses locataires dans ce type de projet.

5L’autre préoccupation relève de questionnements plus spécifiques sur les changements de pratiques liées à l’autoconsommation. Il s’agit, d’une part, de comprendre la réaction des locataires à cette nouvelle façon de produire et de consommer l’énergie et, d’autre part, de mieux saisir l’impact sur les métiers de ce changement de statut du bailleur, qui deviendrait aussi « fournisseur d’énergie », ce qui pourrait modifier les relations de la gestion locative avec les locataires.

6En fin de compte, l’enquête sociologique a davantage porté sur la réception par les locataires de deux programmes de rénovation incluant l’autoconsommation. Les échanges préparatoires avec le bailleur ont conduit à une reformulation de la demande, au gré de la prise de conscience que le changement majeur pour les locataires n’est pas l’autoconsommation mais la rénovation dans son ensemble. L’étude poursuit ainsi un double objectif : d’une part, mieux connaître les locataires et leur rapport à la résidence et à sa rénovation, d’autre part, accompagner le bailleur dans sa démarche et ses choix techniques, en les confrontant aux attentes des locataires. Pour y répondre, nous avons conduit, au printemps 2021, une enquête qualitative basée sur quatre entretiens avec des professionnels (chargé d’opération, bureau d’études, gestion locative, doctorant), un entretien avec une amicale de locataires et dix entretiens avec des locataires2 (5 par résidence). Nous avons également passé une journée d’observation sur les deux sites (visites de logement, discussions informelles, photos, etc.).

1.2. Un encastrement de l’ACCE dans la rénovation thermique

7Pour le bailleur, l’autoconsommation collective n’est pas un projet en soi mais une brique d’une opération de rénovation thermique. Il faut donc appréhender le contexte de ces deux opérations pour saisir le sens de l’autoconsommation collective.

8Quatre caractéristiques de ces opérations sont à souligner pour comprendre la place de l’ACCE.

9Il s’agit de projets prototypes pour des immeubles en chauffage électrique qui concernent le quart du parc du bailleur. Ces rénovations sont conçues comme des expérimentations qui visent à mettre au point un protocole de rénovation reproductible. Elles portent sur des immeubles en chauffage électrique, qui posent des difficultés plus importantes (vétusté, inconfort, charges élevées, etc.). Les deux résidences sont en bi-jonction (appelé aussi base + appoint), un mode de chauffage mixte, à la fois collectif et individuel. Les systèmes des deux résidences ont des caractéristiques différentes mais ils posent tous les deux des problèmes de confort aux locataires. Dans la résidence Bleu, on est en présence d’un plancher chauffant collectif et de convecteurs individuels. Dans la résidence Rouge, on trouve des convecteurs à accumulation avec double résistance, l’une individuelle et l’autre collective.

Images n° 20 et 21. Présentation des deux opérations

Image

10L’ACCE s’inscrit dans des choix techniques multiples et complexes qui correspondent à des arbitrages économiques délicats pour le bailleur, qui ne sont pas toujours alignés avec les préférences des locataires : faut-il passer en chauffage purement collectif, au risque de perturber les habitudes ? Faut-il répondre à la demande de remplacement des menuiseries, alors que l’isolation extérieure est plus efficace mais son bénéfice mal appréhendé par les locataires ? Jusqu’où intégrer les demandes sur les parties communes et l’intérieur des logements, sans pour autant compromettre la performance énergétique du projet ?

11Les opérations de rénovation font l’objet de plusieurs tensions avec les locataires, que le projet d’ACCE menace de renforcer. Dans le passé, les locataires ne sont pas parvenus à obtenir des travaux basiques demandés au bailleur. Or celui-ci se présente avec un projet « innovant » incluant l’autoconsommation, au risque d’être dissonant avec les attentes des locataires. Le projet de rénovation a été annoncé depuis plusieurs années, créant des attentes chez les locataires, mais le calendrier est sans cesse décalé : la COVID-19 est une justification acceptée par les locataires mais ils craignent que l’autoconsommation contribue aussi à cette temporisation.

12Les deux projets ne s’inscrivent pas dans une logique de « communauté d’énergie », alors qu’ils présentent des occasions de mutualisation. Autour de la résidence Bleu, plusieurs offices HLM ont fait des rénovations de résidences aux typologies constructives proches. Mais aucune mutualisation n’a été envisagée par les bailleurs. Pour la résidence Rouge, le bailleur possède d’autres bâtiments proches mais n’envisage pas une mise en réseau de l’ACCE. On constate ici l’effet des silos organisationnels entre organismes HLM et, au sein d’un même organisme, entre agences. On peut s’interroger sur l’opportunité pour les collectivités locales de jouer un rôle sur cette dimension de mutualisation s’agissant d’un parc de logements sur lequel elles bénéficient de leviers.

2. L’ACCE du point de vue du bailleur social

2.1. Les trois logiques sociales de recours à l’ACCE

13Les raisons qu’a le bailleur de mettre en place un projet d’ACCE se comprennent au croisement de trois logiques d’action.

14Une logique performancielle : l’autoconsommation apparaît comme une stratégie pour conserver le chauffage électrique en rénovation. Dans ces résidences chauffées à l’électrique, le remplacement du système de chauffage par un réseau hydraulique paraît impossible car les travaux se font en site occupé, et son coût viendrait réduire le recours à l’isolation, qui est considérée comme la priorité. Toutefois, la réglementation thermique dans l’existant pénalise le chauffage électrique en termes de performance énergétique et, par conséquent, limite le bailleur dans l’accès aux aides qui lui sont nécessaires pour financer la rénovation (prêt de la Banque des Territoires, subvention des collectivités). Mettre des panneaux photovoltaïques permet ainsi de contourner ces contraintes réglementaires en améliorant le bilan énergétique et ainsi de conserver le chauffage électrique :

« L’enjeu de l’autoconsommation est de garder l’électrique tout en atteignant le niveau de performance car les énergies renouvelables donnent un bonus de performance » (chargé d’opération).

15Une logique d’innovation : avec l’ACCE, le bailleur peut se présenter comme novateur au sein du groupe auquel il appartient. L’autoconsommation est, à l’origine, une initiative du Directeur du Patrimoine, qui a obtenu un budget du Groupe HLM en déposant un dossier dans le cadre d’un fonds d’innovation. Ce financement a permis au bailleur de monter un projet de recherche appliquée autour de l’autoconsommation, intitulé « Innovation énergétique dans la rénovation ». Cette approche est préférée aux démarches de labellisation que peuvent avoir d’autres bailleurs mais qui sont ici perçues comme contraignantes pour la globalité du projet (ex : travaux connexes de mise aux normes). De plus, elle permet au bailleur d’alimenter sa participation à la réflexion sur la place du chauffage électrique dans le cadre de la démarche stratégique « bas carbone » menée par le Groupe :

« Dès le début, on voulait mettre du PV. On ne l’a jamais fait en réhabilitation, on veut se rassurer sur l’intérêt de développer cette solution à l’échelle du parc » (chargé d’opération).

16Une logique sociale : susciter des bénéfices pour des locataires modestes. Si l’on se place d’un strict point de vue performanciel, il aurait été plus simple pour le bailleur de revendre l’électricité photovoltaïque. Son choix de faire de l’autoconsommation correspond à une volonté d’apporter des bénéfices aux locataires, qui ont un profil particulièrement modeste dans les résidences concernées. D’une part, en réduisant les charges de façon effective grâce à la consommation de l’énergie produite par les panneaux. D’autre part, avec l’espoir que l’autoconsommation soit un support pour impliquer les locataires sur des comportements économes, et contribue à limiter les « effets rebonds » souvent observés post-rénovation : « ces résidences, ce sont parmi les loyers les plus bas de tout l’organisme » (chargé d’opération).

2.2. Le jeu des acteurs impliqués

17Trois types d’acteurs sont parties prenantes du montage du projet d’ACCE.

18Le premier est un chef de projet de la Direction du Patrimoine, dont le profil facilite l’engagement sur l’autoconsommation. Si le choix de l’autoconsommation a été lancé par le Directeur du Patrimoine, sa mise en œuvre repose sur l’un des chargés de projet dont le profil est doublement favorable. D’une part, il est chargé des « opérations complexes », ce qui signifie que sa charge de travail est un peu allégée par rapport à celles de ses collègues (10 opérations contre 15), lui laissant un peu de temps pour explorer des solutions nouvelles. D’autre part, sa formation technique, classique chez les chargés d’opérations, est complétée par une formation juridique qui lui permet d’aborder les subtilités de la PMO. Malgré cela, le sujet reste complexe et un besoin d’accompagnement des bailleurs sur cet aspect se dessine.

19Hormis les ressources internes habituelles dans des rénovations et l’équipe de maîtrise d’œuvre sélectionnée, le bailleur a monté une équipe associant un laboratoire de recherche en science de l’ingénieur, deux startups big data et instrumentation et le sociologue auteur de cette note. Il a également embauché un doctorant CIFRE pour répondre aux besoins de recherche liés à l’autoconsommation. Dans un premier temps, ce doctorant a travaillé sur un algorithme de répartition de la production d’électricité entre les parties communes et les locataires. Puis, dans un second temps, la priorité s’est déplacée sur la rénovation, via la mise au point d’un outil d’analyse multicritères (coût global, technique, environnemental, satisfaction des locataires, etc.) des différents scénarios de travaux.

20En revanche, la gestion locative est tenue à distance des rénovations et donc de l’autoconsommation. De manière générale, les services qui gèrent la relation aux locataires semblent très peu impliqués dans les rénovations, qui relèvent d’un autre service (la Direction du Patrimoine). Les chefs d’agence de gestion locative participent bien à des comités d’investissement, mais les discussions restent superficielles et n’abordent pas le détail des choix de chaque opération. La Direction du Patrimoine entretient un rapport instrumental avec les agents de proximité (gardien, responsable d’immeuble, etc.), qui sont sollicités pour organiser les visites sur place mais qui sont très rarement associés pour donner leur avis ou communiquer sur le projet. Une anecdote est révélatrice : c’est à l’occasion d’un entretien avec un responsable d’antenne que celui-ci découvre le projet d’installer de l’autoconsommation collective. Il fait alors la confusion avec le solaire thermique et s’inquiète de la perturbation créée par l’installation d’un nouveau réseau hydraulique.

3. L’ACCE du point de vue des locataires

3.1. Perception de l’autoconsommation et stratégie de communication

21Quand on interroge les locataires sociaux de façon ouverte sur « l’autoconsommation collective », on s’aperçoit que l’expression rencontre une compréhension limitée. La plupart des interviewés ne sont pas informés de ce projet d’équipement, sauf ceux dont les logements ont été instrumentés. Le terme ne fait pas sens pour eux et quand on apporte des éclaircissements, c’est l’installation des panneaux solaires en toiture qui retient l’attention, beaucoup plus que le principe de l’autoconsommation en lui-même. Un important travail de pédagogie est à faire pour expliquer ce principe voire ses bénéfices pour les locataires, qui ne se sentent pas immédiatement concernés : « où est-ce que ça va, est-ce que ça a un rapport avec nous ? » (résidence Bleu, 26-39 ans, mère célibataire).

22Une fois explicité, le principe de l’autoconsommation photovoltaïque apparaît acceptable sous condition que la rénovation de l’immeuble reste la priorité, l’ACCE PV étant plutôt perçue comme un plus. À ce titre, il y a clairement un décalage entre le discours du bailleur, qui met en avant la dimension innovante de la rénovation via l’autoconsommation, et les attentes des locataires beaucoup plus pragmatiques : avoir chaud, mettre aux normes l’électricité dans les appartements, rénover les parties communes, etc. : « l’essentiel c’est la déperdition de chaleur. Ça ne sert à rien de mettre les panneaux solaires pour chauffer dehors ! » (résidence Bleu, 40-55 ans, célibataire).

23Quelques locataires ont spontanément souligné la dimension écologique de ce choix d’équipement. Toutefois, c’est moins l’aspect autoconsommation que les panneaux solaires en tant que tels qui sont perçus comme écologiques. Cette contribution à la protection de l’environnement pourrait être davantage valorisée auprès des locataires, en portant un discours élargi aux différents bénéfices de l’ACCE : circuit court, résilience vis-à-vis des pannes, moindre recours au nucléaire, indépendance énergétique, etc., au-delà du seul recours aux énergies renouvelables.

24Le bailleur apparaît en difficulté sur la communication auprès de ses locataires au sujet de l’ACCE. Pour cela, il compte en partie sur l’enquête sociologique, ce qui révèle une confusion sur sa fonction. Globalement, le bailleur a très peu communiqué sur le projet de rénovation avant les travaux (envoi d’une lettre dans une résidence, rien dans l’autre). Il est plutôt dans une posture de rétention d’information sur le projet, pour ne pas susciter de frustration chez les locataires. Or les informations circulent de façon informelle lors des visites d’entreprises, via le personnel de proximité, créant des rumeurs parmi les locataires. Le bailleur est ainsi confronté à un dilemme : comment s’adresser aux locataires sur le sujet de l’ACCE, alors que ce n’est pas l’objet principal de l’opération ? Ce qui émerge ici est le besoin d’un tiers (par exemple une ALEC3, Enedis, etc.) pour communiquer sur l’ACCE auprès des locataires, même s’il ne semble pas identifié par le bailleur.

3.2. La construction de l’intérêt des locataires vis-à-vis de l’ACCE

25Bien que certains locataires perçoivent la dimension écologique de l’opération, leur rapport à l’ACCE est avant tout conditionné par leur intérêt individuel. La première question qui vient, unanimement, une fois que les locataires ont compris le principe de l’ACCE, est celle-ci : « qu’est-ce que ça va m’apporter ? »

« Ça va m’apporter quoi à moi ? Sur mon budget ? Qu’est-ce que ça va m’apporter dans mon confort à moi, par rapport au chauffage, mon portefeuille ? » (résidence Bleu, 40-55 ans, famille B).

26Leurs réactions aux différentes hypothèses du bailleur questionnent l’équation économique de l’ACCE, à deux niveaux : en termes d’investissement et de répartition des consommations.

27En matière de contribution financière des locataires à l’investissement, le bailleur envisage plusieurs possibilités. Deux d’entre elles sont écartées en raison de leur complexité juridique : proposer aux locataires d’investir (ce qui supposerait de les intégrer dans la PMO), leur revendre l’électricité à un prix réduit (ce qui supposerait que le bailleur devienne fournisseur d’énergie). Les entretiens avec les locataires ne montrent aucun consentement à co-investir : ceux-ci jugent que c’est l’affaire du propriétaire, s’il souhaite avoir recours à cette solution qu’ils voient comme non essentielle par rapport à l’isolation. L’option alors envisagée en priorité est une augmentation de loyer en échange d’une baisse des charges, sur le modèle de la « 3e ligne de quittance4 » pour la rénovation énergétique. Mais, pour les locataires, l’augmentation de loyer apparaît comme une ligne rouge. En définitive, la gratuité totale apparaît comme la seule option acceptable, mais, pour le bailleur, elle pose la question de l’équité vis-à-vis des locataires de ses autres résidences non équipées.

28Sur la question de la répartition de la production électrique, le bailleur envisage de donner la priorité à l’alimentation des parties communes (éclairage, ascenseur, etc.) mais les simulations font apparaître que cet usage n’est pas suffisant pour consommer l’intégralité de la production. Du côté des locataires, les attentes se portent clairement sur une réduction de leur facture d’électricité individuelle, plutôt que de leurs charges collectives, sans avoir conscience que cette réduction serait faible compte tenu des limites de la production, au regard du nombre important de locataires concernés :

« Ce serait mieux que ce soit en fonction de ce que chacun consomme parce qu’on n’a pas tous la même taille de logement, c’est plus juste » (résidence Bleu, 26-39 ans, mère célibataire).

29Le bailleur envisage différentes possibilités pour consommer le surplus de production non absorbée par les parties communes. La plus simple techniquement est une répartition au mètre carré mais avec un risque d’iniquité car des personnes âgées célibataires habitent de grands logements et consomment peu d’électricité, alors que des familles avec enfants occupent de petits logements. L’autre solution envisagée est d’alimenter en priorité les ballons individuels d’eau chaude électrique, dont la consommation peut être reportée aux heures de production d’électricité solaire. Mais cela suppose que le bailleur puisse piloter les chauffe-eau et collecter les consommations individuelles des locataires, ce qui pose une question d’acceptabilité.

3.3. Un conflit latent sur l’usage de l’autoconsommation en HLM

30En définitive, l’enquête fait apparaître un conflit latent sur l’usage de l’ACCE en HLM. D’un côté, les locataires espèrent que l’autoconsommation leur permettra de reprendre le contrôle. De l’autre le bailleur considère que l’optimisation de l’autoconsommation nécessite plus d’automatisation des systèmes.

31Les locataires se projettent positivement dans l’autoconsommation collective si elle participe d’une reprise de contrôle, c’est-à-dire d’une gestion plus individualisée des consommations et du chauffage : « là, on l’a en automatique, nous on aimerait régler le chauffage nous-mêmes, comme on veut le régler » (résidence Bleu, 26-39 ans, famille).

32Cette attente s’explique en premier lieu par une situation d’insatisfaction vis-à-vis du chauffage électrique, la bi-jonction, qui est vécue comme une double peine financière : ils paient une partie du chauffage dans les charges collectives et une autre sur la facture individuelle. Les locataires souhaitent ainsi avoir un comptage individuel unifié pour mieux maîtriser leurs dépenses de chauffage. Ils voudraient également reprendre la main sur le réglage des températures car actuellement la plupart sont en situation de sous-chauffage. Beaucoup se privent de l’appoint pour faire des économies et même ceux qui l’utilisent ne parviennent pas à réguler correctement la température (image n° 22). À un autre niveau, cette demande d’autonomie résonne avec l’imaginaire de la maison individuelle associée aux panneaux solaires. Ainsi, lors des entretiens, plusieurs locataires ont évoqué spontanément leur projet ou leur désir de quitter le logement social, pour vivre dans une maison individuelle.

33À l’inverse, le discours du bailleur associe l’autoconsommation à davantage d’automatisation dans le pilotage des consommations d’énergie chez les locataires. Premièrement, le bailleur envisage de consommer la production d’électricité en priorité sur les charges collectives, sur lesquelles les locataires n’ont pas de contrôle. La courbe de charge en électricité de chacun des locataires apparaît trop incertaine, notamment en journée, lorsque ceux-ci sont moins présents. Deuxièmement, le surplus serait attribué au ballon d’eau chaude, voire au chauffage, ce qui supposerait un pilotage automatique de leur déclenchement afin de consommer au bon moment (image n° 23). Troisièmement, la répartition de ces surplus entre les locataires serait gérée par un algorithme dont les principes restent encore assez flous. Quatrièmement, cette solution repose sur la possibilité pour le bailleur d’obtenir l’accord des locataires pour recueillir des données de consommation et pouvoir piloter des équipements individuels, ce qui semble pour le moins aléatoire à ce stade.

Image n° 22. Thermomètre intérieur à 18 °C en saison de chauffe

Image

Image n° 23. Système de pilotage à distance et de collecte de données sous le ballon d’eau chaude électrique.

Image

4. Des conditions sociales de diffusion à l’acce en hlm

34Le logement social apparaît comme un secteur à haut potentiel pour faire monter en puissance l’ACCE en France, de par la taille de son parc et du fait de la nature du décideur. Les organismes HLM sont à la fois des « sachants techniques » et investissent sur la longue durée, tout en se préoccupant de la maîtrise des charges d’énergie de leurs locataires. Toutefois, l’étude de cas que nous venons de détailler permet de pointer quelques-unes des conditions sociales à remplir si l’on souhaite le développement de l’ACCE dans ce secteur.

35D’une part, pour faciliter le recours à l’autoconsommation par les bailleurs sociaux, il serait possible de leur proposer divers services d’accompagnement. Sur le plan technique, en leur fournissant une aide à la décision sur la configuration du système, ainsi que des outils de répartition des consommations. Sur le plan juridique, afin de les aider dans le montage de l’opération. Bien que des dispositions législatives récentes permettent maintenant au bailleur d’être PMO sans avoir à solliciter l’accord des locataires, le sujet reste complexe à traiter. Enfin, sur le plan de la communication auprès des locataires, en intervenant comme tiers pour expliquer le principe de l’autoconsommation et ses bénéfices pour les locataires (via des ALEC par exemple). Ce discours gagne à être porté par un acteur extérieur car il permet au bailleur de focaliser sa communication sur le projet de rénovation, qui préoccupe davantage les locataires.

36D’autre part, il s’agit de chercher à susciter l’adhésion des locataires au projet d’ACCE, en s’appuyant sur des tactiques d’intéressement identifiées dans l’étude. Premièrement, l’ACCE provoque un intérêt si elle participe d’une gestion plus individualisée du chauffage et de l’énergie. Répondre à cette attente dans le cadre de l’opérateur peut supposer des changements dans le projet qui ne sont pas directement liés à l’ACCE mais qui vont contribuer à entraîner l’adhésion des locataires : passage en chauffage tout individuel, centrale de pilotage thermostatique dans les appartements, système de suivi des consommations, etc. Deuxièmement, l’un des intérêts possibles pour l’ACCE est de rendre plus indolores les charges collectives, non seulement en les réduisant mais aussi en effaçant la régularisation de l’été, qui peut constituer une « mauvaise surprise » budgétaire pour les ménages à l’approche des vacances. Troisièmement, la logique altruiste ne doit pas être négligée, contre le cliché de locataires sociaux insensibles à l’environnement. Hormis les deux motivations, la contribution de l’ACCE à la protection de l’environnement peut être mise en avant, en y ajoutant l’angle de l’autonomie énergétique de l’immeuble.

Annexe

5. Annexe

Annexe - Entretiens réalisés pour l’opération HLM AURA

Statut de la personne interviewéeDate de l’entretien
Professionnel
Doctorant CIFRE (ingénieur)
Office HLM
Février 2021
Professionnel
Chef de projet
Bureau d’études technique
Février 2021
Professionnel
Chef de secteur, gestion locative
Office HLM
Février 2021
Professionnel
Employé d’immeuble
Office HLM
Février 2021
Locataire – Résidence Rouge
Responsable d’amicale de locataires
Février 2021
Locataire – Résidence Rouge
Famille 1
Mars 2021
Locataire – Résidence Rouge
Famille 2
Mars 2021
Locataire – Résidence Rouge
Famille 3
Avril 2021
Locataire – Résidence Rouge
Famille 4
Avril 2021
Locataire – Résidence Rouge
Famille 5
Avril 2021
Locataire – Résidence Bleu
Famille 1
Mars 2021
Locataire – Résidence Bleu
Famille 2
Mars 2021
Locataire – Résidence Bleu
Famille 3
Avril 2021
Locataire – Résidence Bleu
Famille 4
Avril 2021
Locataire – Résidence Bleu
Famille 5
Avril 2021

Notes de bas de page

1 Brisepierre Gaëtan, Joly-Pouget Mathilde, Enquête d’un programme de deux rénovations de résidence HLM. Enquête auprès des locataires, juin 2021.

2 Voir l’annexe pour un rappel plus détaillé.

3 Agence locale de l’énergie et du climat.

4 La « 3e ligne de quittance », ou contribution du locataire au partage des économies d’énergie, est un dispositif de financement de la rénovation énergétique. Voir la page de l’ADIL : https://www.anil.org/votre-projet/vous-etes-proprietaire/amelioration/contribution-du-locataire-au-partage-des-economies-de-charges/ (site consulté le 13 mars 2023).

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.