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Le projet du bailleur social Pas-de-Calais habitat à Saint-Martin-Boulogne
p. 253-283
Texte intégral
1Sous l’impulsion de plusieurs législations – lois Grenelle (2009 et 2010), loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) et loi ÉLAN (2018) –, les bailleurs sociaux se sont mobilisés pour participer à la transition énergétique en France1.
2L’opération d’ACCE de la résidence Maréchal Leclerc à Saint-Martin-Boulogne a été développée en ce sens par le bailleur social Pas-de-Calais habitat (PdCh). Le territoire où PdCh est installé fait face à plusieurs difficultés. Les Hauts-de-France sont une ancienne région industrielle touchée par une forte désindustrialisation à partir des années 1970. Les reconversions et restructurations vers des activités des services n’ont pas enrayé le déclin de l’employabilité, en faisant de ce territoire un espace fortement touché par le chômage. En 2021 le taux de chômage dans les Hauts de France est de 9 % (INSEE 20212), soit le plus élevé de France métropolitaine, le taux national étant de 7,4 % (INSEE 20213).
3Ce contexte participe de la singularité de cette opération d’ACCE. Étudiée au printemps 20224, elle se caractérise par la centralité donnée aux autoconsommateurs, souvent en situation de précarité énergétique, dans le développement et la réussite du dispositif d’ACCE : mise en visibilité des installations de production et des flux de consommation, formation et accompagnement aux actions d’efficacité énergétique, développement de nouveaux usages de l’électricité autoproduite, etc. Les autoconsommateurs sont donc des acteurs actifs de la réussite de l’opération.
1. Un projet pilote solidaire inscrit dans un objectif de massification
1.1. Caractéristiques géographiques et techniques
4Le projet d’ACCE sur le site Maréchal Leclerc à Saint-Martin-Boulogne est le site pilote d’expérimentation du bailleur social sur le sujet. Il a été lancé et installé en 2018 et est devenu opérationnel en 2019. Le site Maréchal Leclerc se compose des bâtiments des résidences Maréchal Leclerc et Ostrohove (ci-après résidence Maréchal Leclerc).
5La résidence se situe en hauteur avec une vue sur la commune limitrophe de Boulogne-sur-Mer et sur la mer.
6Le projet ACCE est composé de 400 m2 de panneaux photovoltaïques localisés sur les toitures des bâtiments de la résidence. Les panneaux photovoltaïques sont distribués en 16 centrales de production d’environ 30 m2 chacune (image n° 14), l’installation étant dimensionnée pour avoir 4 m2 de panneaux solaires par logement. La production totale en 2021 s’est élevée à 66,4 MWh. Il faut noter que ce chiffre comprend la production totale après consommation des parties communes qui sont équipées de centrales de production. Comme les centrales sont directement raccordées aux parties communes, la production qui est consommée par celles-ci n’est pas comptabilisée.
7Le projet est dimensionné pour alimenter 80 à 90 % des usages de l’électricité par la production de la centrale. Le surplus éventuel de production n’est pas intégré comme un investissement intéressant pour le modèle économique en raison de l’absence de soutien public lors du lancement de l’opération.
8Les panneaux photovoltaïques installés sur les terrasses ne sont pas visibles du sol (images n° 15 et n° 16), mais font l’objet d’un temps d’exposition au sol avant installation.
Image n° 14. Périmètre de l’opération et localisation des panneaux photovoltaïques dans la résidence Maréchal Leclerc5

Images n° 15 et n° 16. Bâtiments avec sur les terrasses les panneaux photovoltaïques dans la résidence Maréchal Leclerc6


1.2. Un projet reposant sur le concept d’« habitat contributif »
1.2.1. Une attention historique portée aux questions énergétiques : la structuration de la direction de l’innovation
9Les enjeux sociétaux de la maîtrise de l’énergie sont historiquement une expertise du bailleur social. En 2009, celui-ci se dote d’une direction de l’innovation sous l’impulsion du directeur général de l’époque, Jean-Michel Stécowiat, qui veut introduire une structure de recherche au sein de PdCh et « quelque part, élever le rang du bailleur social sur des thématiques qui répondaient à des besoins des locataires et aussi du bailleur » (un membre de la direction de l’innovation). En ce sens, l’un des objectifs premiers de la direction d’innovation est d’associer innovations « sociale » et « technique » sur le thème de l’énergie.
10Cela se concrétise par une forte attention portée à la question de la précarité énergétique avec un accent mis sur la maîtrise des dépenses énergétiques. PdCh est lauréat de plusieurs programmes européens (Interreg IFORE, ICT Energy Coach7) axés sur la réduction de la facture énergétique des locataires passant par une réduction de la consommation au moyen de la rénovation énergétique des logements et d’une maîtrise des consommations grâce au numérique.
11Ces deux programmes permettent le développement d’une expertise sociologique, numérique et technique au sein de PdCh, fortement incarnée par Jérôme Capelle, alors directeur de l’innovation PdCh. Cet ingénieur thermicien « qui s’est soigné à travers le social » et qui « considère la science et la technique qu’à partir du moment où elle est au service de l’homme, de l’individu », selon ses propos, est au cœur du lancement de l’opération d’ACCE.
12L’opération prend naissance en 2017, sous la forme d’un partenariat d’innovation regroupant 14 entreprises8 contribuant au montage technique et social du projet de l’ACCE voulu par PdCh. Elles apportent une expertise au montage du projet ACCE soit du point de vue technique, tel Tecsol pour le dimensionnement des panneaux photovoltaïques, soit du point de vue social, tel que le recours au cabinet de sociologues BESCB9. L’expertise sociologique est placée dès le début au même niveau d’importance que l’expertise technique et économique :
« Il faut comprendre (…) l’aspect comportemental, il faut, il faut le comprendre. Il faut l’analyser. (…) C’est au même titre que techniquement, on fait appel à un expert qui va, va bien juger le topo. C’est social et technique » (un membre de la direction de l’innovation).
13La volonté de travailler sur les questions énergétiques pour aider les locataires dans leur gestion des dépenses énergétiques est donc conceptualisée, pensée et travaillée dès le début du projet d’ACCE. L’expertise interne, appuyée par celui du partenariat d’innovation, compris comme « un temps d’expérimentation », va permettre de « prouver que, même chez nous au conseil d’administration, que c’est un modèle qui fonctionnait avec tous les retours des locataires » (un membre de la direction de l’innovation).
1.2.2. Le montage économique du projet : l’internalisation des coûts d’intermédiation
14Du point de vue du montage économique, le projet est rendu possible grâce aux fonds alloués en interne par PdCh pour l’investissement capitalistique (achat des panneaux), environ 180 000 €, et à des financements européens pour l’aspect social du projet.
15Poursuivant une tradition de la direction de l’innovation, des financements sont effectivement recherchés auprès de programme européen, afin de ne pas demander aux locataires une contribution financière. Le premier projet est celui « INCREASEValorisation sociale10 » (2017-2020), visant à lutter contre la précarité et la fragilité sociales des populations les plus démunies, sur la période 2017- 2020, et qui regroupe 7 bailleurs sociaux en France et Angleterre. Il permet le développement d’une réflexion puis de l’opérationnalisation du concept « Habitat contributif » sur lequel l’ACCE prend directement appui.
16L’approche consiste à faire en sorte que l’habitant, de simple locataire, devienne « contributeur » en l’associant à des activités, des ateliers, etc., de façon à améliorer sa qualité de vie par la création d’un ensemble de services à la personne, sur le modèle des approches communautaires en matière de services résidentiels, portés et animés par des collectifs d’habitants, en coordination avec les organisations territoriales et l’ensemble des acteurs locaux (figure n° 44).
17Cela permet alors de concevoir un nouveau modèle économique concerté avec les habitants, les associations et les structures communales et intercommunales. Cette approche s’inspire de l’économie contributive11 : « la déclinaison de l’économie contributive à l’habitat social se caractérise par la non dissociation entre producteur et consommateur de services ou fonctions de l’habitat12 ».
18Le fonds INCREASE13 permet alors le financement du volet social de l’opération d’ACCE, à savoir des actions portant sur la mobilisation des équipes de gardiens, particulièrement sur des tâches de recrutement de locataires et d’animation du collectif, mais aussi le développement d’ateliers d’information pour les locataires, comme celui sur la maîtrise de l’énergie et celui sur la lecture des factures.
Figure n° 44. Schéma de l’habitat contributif14

19Pour ce qui concerne l’aspect énergétique à travers l’ACCE, cela implique un changement de métier du bailleur social qui, de gestionnaire d’un parc social locatif, devient producteur et répartiteur d’énergie ainsi que catalyseur de l’implication des habitants pour l’amélioration des conditions et de la qualité de vie. Et de « simple locataire », les résidents deviennent contributeurs dans la gestion de l’énergie et la fourniture d’une nouvelle offre de services résidentiels. Selon les mots d’un des porteurs de projet de PdCh :
« Sur le, sur le fond, on était dans cette maturité aujourd’hui d’apporter euh… la fin de la transformation globalement du métier du bailleur, pour dire que demain le bailleur souhaite un habitat contributif » (un membre de la direction de l’innovation).
1.2.3. Un projet dédié à la lutte contre la précarité énergétique des locataires
20Le choix du site de la résidence Maréchal Leclerc comme prototype d’expérimentation est fondé sur trois critères : une grande stabilité des locataires ; l’absence d’autres chantiers en cours sur la résidence afin de ne pas faire supporter de nouvelles charges sur les locataires ; la présence d’une association de proximité, Ech’Ostrohove, perçue comme un soutien possible pour la mobilisation des locataires dans le cadre de la réalisation de l’opération d’ACCE.
21L’objectif principal pour le développement du projet d’ACCE est de prévenir la précarité énergétique des locataires tout en valorisant le potentiel énergétique du patrimoine immobilier du bailleur social. L’équivalent de la réduction de facture est conceptualisé dès le début comme un pouvoir d’achat supplémentaire pour les locataires, puisque l’électricité répartie par le bailleur social – celle produite par l’ACCE – n’est pas facturée par ce dernier aux locataires. C’est donc une économie nette pour le locataire :
« Comme on est en autoconsommation collective, on ne cherche pas ni une autonomie, ni une autosuffisance, ni une production de rentabilité économique, dans tous les cas le… l’électricité qui est produite, c’est une économie directe sur le pouvoir d’achat du locataire, dans le cadre de la lutte contre la précarité. (…) L’enjeu est complètement présent et complètement là, ce qui permet euh… d’aller beaucoup plus loin demain dans les choix stratégiques de nos bâtiments. C’est-à-dire que si on est capacité aujourd’hui de répartir de l’énergie aux locataires en direct sans en perdre, on en perd que 13 % sur des, des, des petits bouts. 87 % sont transformés en pouvoir d’achat pour nos locataires. C’est le regard qu’on a nous sur le fonds » (un membre de la direction de l’innovation).
« Notre métier et le côté service public, c’est le gain 100 % bénéfique aux locataires de la distribution de l’énergie. On est sur un public quand même très précarisé, qui a forcément du mal à payer son loyer, à se chauffer et se remplir l’ensemble des factures. Donc là, on est sur une distribution d’énergie gratuite aux locataires, forcément » (un membre de la direction de l’innovation).
22Le projet d’ACCE permet d’alimenter les 36 parties communes des immeubles. 100 ménages y ont adhéré, soit 95 % des locataires de la résidence.
1.2.4. Un objectif de réduction des charges individuelles et collectives
23L’ACCE est un projet pilote initié en 2016, avant l’élaboration du cadre juridique dédié aux bailleurs sociaux, en 2019, ce qui n’est pas identifié comme un frein :
« On était le premier bailleur en France à pouvoir redistribuer le surplus aux locataires. Ça a pas été simple mais on y est arrivé et c’est vrai qu’en France on est le seul bailleur à pouvoir redistribuer aux locataires le surplus. En tant que bailleur, on ne peut pas vendre. Effectivement, il a fallu que les décrets se délient un petit peu pour que le bailleur puisse prendre cette place d’auto consommateur » (un membre de la direction de l’innovation).
24L’opération répond désormais au cadre juridique dédié aux bailleurs sociaux. Le bailleur social est la PMO et les locataires sont libres d’y participer.
25Le bailleur social prend garde à bien se distinguer des fournisseurs auprès des locataires, en insistant sur son rôle : la répartition de l’énergie entre les locataires membres. L’électricité produite alimente en ACI les 36 parties communes des immeubles, qui sont donc quasiment autonomes en électricité, et le surplus est réparti entre les locataires adhérents au prorata de leur consommation (figures n° 45 et 46).
26Ce choix du montage juridique de la répartition de l’électricité aboutit à ce qu’en moyenne 87 % de l’électricité produite soit une économie directe pour le pouvoir d’achat des locataires, soit par réduction directe de leur facture, soit en économie de charge sur les parties communes.
27La consommation électrique est spécifique à chaque locataire et liée aux usages, allant de 1 kWh par jour à plus de 13 kWh par jour.
28Sur l’année 2020, l’énergie répartie aux locataires a permis une réduction entre 30 et 42 % du coût de la consommation de chaque ménage, soit une économie entre 4 € et 130 € (figures n° 47 et 48)15. En plus selon l’analyse des données faite par PdCh le surplus de 13 % est concentré sur la tranche horaire 13h-17h, moment au cours duquel les locataires sont probablement moins présents dans leurs logements.
Figure n° 45. Répartition schématique des flux16

Figure n° 46. Répartition de la production dédiée à l’ACCE17

29Pour les personnes en situation de précarité énergétique, l’autoconsommation collective permet donc une augmentation de leur capacité d’usage de leurs équipements à hauteur de 30 %, sans coût supplémentaire.
Figure n° 47. Tableau de répartition de l’autoconsommation collective par moyenne de consommation annuelle en 202018

Figure n° 48. Nuage de point des gains par logement sur l’année 202019

2. L’opérationnalisation du concept d’habitat contributif
30L’opération d’ACCE de la résidence Maréchal Leclerc est un site pilote pour PdCh. Malgré les expertises acquises précédemment grâce aux projets européens (cf. supra 1.2), son développement s’appuie sur un apprentissage progressif à différentes étapes, à partir de l’équipe innovation de PdCh, des équipes de proximité, mais aussi des locataires. L’ensemble de ces actions de formation et de structuration d’un discours commun contribue à bâtir le concept d’habitat contributif et à réduire les coûts d’intermédiation.
2.1. La formation des acteurs : gage d’engagement, de crédibilité et de confiance
2.1.1. La formation de l’équipe PdCh
31Les interviewés faisant partie du pôle innovation de PdCh soulignent tous que la formation est venue principalement en interne, grâce à l’expertise du directeur de l’innovation PdCh Jérôme Capelle, initiateur du projet d’ACCE. Ingénieur thermicien de formation, il dispose d’une expertise technique qui lui permet de transmettre ses connaissances en premier lieu à l’équipe de la direction de l’innovation, comme le souligne l’un de ses membres :
« C’est M. Capelle qui me forme (rire). C’est quelqu’un de très, enfin très pédagogue, donc euh, il est, il aime bien, il aime bien transmettre, il aime bien enseigner justement » (un membre de la direction de l’innovation).
32Et cette formation progressive sur l’ACCE est perçue comme positive et valorisante pour les membres de l’équipe innovation :
« J’ai toujours été très favorable à travailler là-dessus avec, on va dire, pas une crainte, mais dans le sens où moi, je ne suis pas du tout ingénieur, (…) je n’avais pas forcément le bagage technique pour… pour travailler sur ces sujets, mais l’accompagnement de Jérôme est… dès le départ, a fait que ça s’est toujours très bien passé. Et même si les… on va dire, les validations techniques et le côté négociation technique, c’est lui qui le fait. Moi, je… je travaillais avec lui, mais plutôt sur la partie, on va dire, gestion de projet. Euh… Voilà, un binôme qui se complète bien. (…) Mais c’est hyper intéressant euh… du coup, de travailler sur des sujets qui n’ont pas de base, même si c’est pas facile, parce qu’on a… on a pas de support sur lequel se… se reposer. Mais… mais c’est ce qui fait tout l’intérêt du… du travail, forcément » (un membre de la direction de l’innovation).
33Ensuite, l’équipe de la direction de l’innovation sociale forme directement les gardiens – les équipes de proximité – « au niveau technique et au niveau social » (un membre de la direction de l’innovation) de la résidence pour faire le porte-à-porte nécessaire à l’adhésion des locataires, mais aussi, ensuite, pour assurer l’animation du collectif avec le développement des différents ateliers de formations proposés :
« Avec cette relation de confiance qui est là. Et le gardien quand lui euh… est formé, donc j’ai fait pas mal de formations liées à la maîtrise de la dépense énergétique. (…) Le gardien, maintenant, il sait comment aborder globalement le locataire pour discuter avec lui d’énergie. Et en fonction de la précarité, en fonction de ce qu’il y a régulièrement, il y a des ateliers qui, qui sont… il y a des ateliers qui sont, qui sont générés, qui permettent euh… ben voilà cette insertion, cette connaissance de l’énergie » (un membre de la direction de l’innovation).
34Ces formations des équipes de proximité sont financées par le projet INCREASE Valorisation sociale. Ce projet est bien connu de ces équipes et le rôle attribué aux gardiens est au cœur d’une perception valorisante de leur métier :
« Le projet INCREASE, ça a été… je vais pas dire une révolution, mais une autre fonction dans notre vie de gardien et une approche différente vis-à-vis des résidents. (…) Puis ça amenait plein de choses. On est allé prêcher la bonne parole, on va dire. (…) Mais dire aux gens : « vous allez faire des économies, tout ça. », (…) c’est valorisant, je veux dire » (un membre de l’équipe de proximité).
2.1.2. Les ateliers : la formation quotidienne des locataires
35Toujours dans le sens du concept d’« habitat contributif », si l’équipe de la direction de l’innovation et les équipes de proximité PdCh sont formées pour le montage et le suivi du projet d’ACCE, la même importance est accordée à la formation des locataires. L’objectif est de leur donner le maximum d’outils et de connaissances pour pouvoir développer au mieux le potentiel de l’opération :
« Voilà, parce qu’on sait très bien que la technique sans l’humain, elle peut être installée mais elle a pas le même impact. Et puis le locataire et la technique, ben, il faut absolument que le locataire comprenne la technique pour qu’elle soit utilisée à bon escient. Donc on a toujours croisé quelque part le social et le technique pour faire en sorte que ça soit vraiment optimisé » (un membre de la direction de l’innovation).
36Ces ateliers de formation sont organisés et financés grâce au programme « INCREASE Valorisation sociale ». Ils sont animés par les gardiens, devenus formateurs, en collaboration avec certains locataires, qualifiés d’ambassadeurs.
37Ainsi, par exemple, il y a un atelier animé par un locataire bénévole de l’association Ech’Ostrohove, un ambassadeur qui explique le fonctionnement des panneaux photovoltaïques d’un point de vue technique. Il y présente une maquette (image n° 17) utilisant des petits panneaux photovoltaïques connectés à une roue qui tourne quand la lampe, faisant office de soleil, est allumée. Des rectangles de papiers plus ou moins opaques permettent d’expliquer les différents mécanismes techniques de production : « et ça, c’est un petit jeu quoi en gros. C’est pour expliquer vraiment… pour joindre l’acte à la parole parce que c’est plus facile à comprendre » (un membre de l’équipe de proximité).
Image n° 17. Maquette prototype pour expliquer le fonctionnement des panneaux solaires pendant les ateliers pour les locataires20

38D’une façon générale, les ateliers et actions présentés se veulent très accessibles, afin de réduire le sentiment d’incompréhension que peuvent soulever les aspects techniques et technologiques de l’énergie. Ainsi, pour le fonctionnement de l’ACCE : « les panneaux photovoltaïques, c’est pas open-bar hein ? Il faut apprendre à consommer » (un membre de l’équipe PdCh, réunion ACCE résidence Léon Blum) et donc « que la machine à laver, ça sert à rien d’attendre une heure creuse pour aller la faire en pleine nuit. Il vaut mieux la faire en plein jour quand le soleil il est en train de taper sur les panneaux et que ça produit de l’électricité, parce que si tu le fais pas maintenant, l’électricité elle est perdue » (un membre de l’équipe PdCh, résidence Léon Blum).
39Des ateliers dédiés à l’explication des factures et leur compréhension sont également organisés. L’objectif est double : « faire comprendre que, malgré qu’on va les brancher sur des panneaux photovoltaïques, ils auront encore les quatre taxes obligatoires » (un membre de la direction de l’innovation) et expliquer aux locataires comment fonctionne le principe de réduction sur la facture, qui n’est pas égale pour tous, dans la mesure où tout dépend de différents paramètres, comme la consommation électrique de départ du ménage :
« Le travail (…) d’atelier personnalisé est intéressant pour leur expliquer [que] la répartition se fait en fonction de la consommation, et donc : « discutez avec le voisin qui a 130 € de… de réduction. Et vous, quand vous en avez 15, ben oui, mais c’est parce que lui, il consomme 500 à l’année, et vous, vous consommez 80. Donc forcément, le rapport… est différent »» (un membre de la direction de l’innovation).
40Lors de ces ateliers, d’autres locataires formés sont amenés à présenter l’évolution de leurs courbes de consommation dans le temps, afin de vulgariser davantage l’information :
« Et en fin de compte, il est arrivé au point de se dire : « ouais, ben, quand, quand, quand les gamins viennent pour Noël, c’est bien les sapins, les bazars et tout ça, mais regardez ma courbe comment elle est, elle est montée pendant cette période-là ». Donc il est en capacité aussi de montrer que, ben, on va pas se priver de, de sapin, mais que il faut s’attendre à une surconsommation pendant certaines périodes, ou pendant les périodes de cuisson, etc. » (un membre de la direction de l’innovation).
41Le bailleur social s’appuie également régulièrement sur l’expérience d’Enerlya, la maison des services publics locaux, qui propose des animations gratuites, diversifiées et généralistes dédiées à la transition écologiques et aux énergies renouvelables.
42Une autre formation vise à apprendre à utiliser les outils numériques. Deux sont initialement prévus : des « totems » installés dans le hall d’entrée des différents immeubles de la résidence et des tablettes distribuées aux locataires, qui permettent d’avoir accès à leurs consommations personnelles de gaz, d’eau, mais « aussi sa consommation de solaire. Comme ça, il peut voir s’il a consommé assez de solaire, s’il n’a pas consommé assez » (un membre de l’équipe de proximité).
43En outre, ces outils affichent aussi d’autres informations sur la vie du quartier, comme les transports en commun, les travaux prévus, etc. Au départ, une certaine peur et quelques réticences ont pu se faire sentir face à ces outils. À ce sujet, le gardien formateur sur le numérique rapporte : « je leur posais une seule question et ça les mettait tout de suite à l’aise, et je disais, parce que les gens ils arrivent et je dis : « est-ce que tout le monde a un doigt ? »« Oui ». « Donc vous savez vous servir du totem ». Et on partait sur ce petit truc un peu marrant et puis après, les gens, ils touchaient et puis ça se passe bien » (un membre de l’équipe de proximité).
44À cause de la pandémie de COVID-19, qui a créé un contretemps dans le processus de mise à disposition des totems, seulement trois sont installés dans trois entrées de la résidence. Ces outils numériques sont désormais débranchés et il semble que cette expérimentation ne sera pas poursuivie par la suite, que ce soit dans la résidence ou dans d’autres mettant en place de l’ACCE. Cet arrêt s’explique également par la disparition du partenariat d’innovation et donc du non-renouvellement du contrat de prestation, ce qui montre la vulnérabilité économique de ce type d’outil informationnel.
Images n° 18 et n° 19. Totem installé à l’entrée de la résidence Maréchal Leclerc pour suivre la consommation et production électrique de l’opération ACCE21


45Plus généralement, l’ACCE et ces ateliers permettent d’ouvrir une porte d’entrée pour instaurer des relations de confiance avec les locataires et les amener à participer à des formations qui peuvent les aider sur d’autres sujets :
« Et on se sert de, des économies d’énergie pour faire… pour amener les gens dans des ateliers ACC. Une fois qu’ils sont dans les ateliers ACC, on leur propose des ateliers recherche d’emploi, des ateliers création de… comment ? Des activités, des choses comme ça » (un membre de l’équipe de proximité).
46Les équipes de proximité constatent ainsi une réduction des incivilités et un développement de nouveaux rapports plus apaisés avec les habitants :
« Quand on a commencé INCREASE, (…) qu’on a commencé à discuter plus avec les locataires, les incivilités ont vachement baissé. Plus de respect. (…) Maintenant, si on a des troubles de voisinage, c’est plus avec les nouveaux arrivants… » (un membre de l’équipe de proximité).
2.2. L’intégration des coûts dʼintermédiation : le rôle central de l’équipe de proximité
47L’équipe de proximité, particulièrement les gardiens, est en première ligne pour la réussite du projet et est mobilisée aussi bien sur les aspects techniques que sociaux du rapport avec les locataires.
48Le coût de formation et d’engagement de ces acteurs est important et est considéré comme indispensable à la réussite du projet. Il a été largement soutenu par le projet INCREASE.
49Au début du projet, les deux gardiens de la résidence Maréchal Leclerc doivent faire le relevé manuel des compteurs et donc disposer de connaissances techniques liées au fonctionnement des panneaux photovoltaïques :
« Parce que, de temps en temps, ça disjonctait. Il fallait savoir pourquoi ça disjonctait. Parce que bon, après, c’est plus technique l’électricité. Les onduleurs, tout ça, bon on connaissait pas. Et tous les jours, même le week-end, du coup, de temps en temps, s’il faisait bon, on faisait le tour pour regarder si le disjoncteur… enfin si tout fonctionnait normalement » (un membre de l’équipe de proximité).
50Ils sont également formés pour gérer l’interface avec les locataires : soit pour faire le porte-à-porte dans le cadre du recrutement des locataires autoconsommateurs, soit pour l’animation des différents ateliers d’information et de formation organisés à destination des locataires.
51Ces activités liées à l’ACCE sont prises en compte dans leur temps de travail. Mais cet ajout est spécifiquement possible car, à la résidence Maréchal Leclerc, « c’est qu’en répurgation au niveau poubelles, on n’a plus rien. C’est du tri enterré » (un membre de l’équipe de proximité). Il y a donc possibilité d’utiliser ces heures acquises comme temps de travail dédié à l’ACCE. Toutefois, les équipes de proximité vont souvent plus loin et s’engagent également sur leur temps personnel, surtout au début de l’opération, mais sans que cela ne leur pose de problèmes particuliers, « parce que c’était un projet qui était intéressant à la base, et puis c’était innovant » (un membre de l’équipe de proximité). Cet engagement personnel est le reflet du sentiment de valorisation du métier de gardien par l’ACCE et par le recours à la notion d’« habitat contributif » associée au projet INCREASE :
« À travers ce projet-là, on a quand même eu pas mal de formations. Ce qui… ça nous a permis au moins d’avoir une autre expérience et puis d’apprendre pas mal de choses parce qu’on en a appris des choses. Et X et moi, on est devenus formateurs internes avec ce projet. C’est-à-dire qu’on forme des salariés ou des locataires sur des choses, recherche d’emploi, ACC, des choses comme ça » (un membre de l’équipe de proximité).
52Le rôle des gardiens est donc central dans le processus. D’ailleurs, le bailleur social identifie, à travers cette expérimentation de l’ACCE, une voie pour faire évoluer leur rôle et leur fiche de poste pour la suite :
« Ce qu’il ne faut pas, c’est que… [qu’] il y ait un transfert de charge, c’est que le, le rôle du gardien, qui a quand même une fonction (…) dans ce qu’on appelle le décret charge qui est bien décrit de manière précise et bien réglementairement récupérable, il faut que cette évolution-là, elle puisse passer chez nous, au conseil d’administration, au représentant des locataires, au syndicat pour faire en sorte que demain, on admet ce transfert du rôle social au niveau de l’empreinte de la transition énergétique, sur le compte nécessaire à la performance des outils. Parce que si on revient sur le fonds global de l’ACC, le fait d’être proche des locataires, ça veut dire que euh… on a un rendement de 87 % dans les chiffres, parce que on est proche » (un membre de la direction de l’innovation).
2.3. Une adhésion des locataires fondée sur la confiance envers PdCh
53Le processus d’adhésion des locataires au projet d’ACCE est une phase importante et délicate parce qu’ils sont libres de décider d’adhérer ou non, de partir ou non de l’opération. Cette incertitude rend particulièrement importante, pour la réussite de l’opération, la définition d’un discours précis visant à montrer l’intérêt du projet pour les budgets individuels et collectifs, mais aussi à rassurer les potentiels autoconsommateurs sur la simplicité administrative de leur participation. Dépassant les seules obligations réglementaires, tout un processus mêlant construction d’un discours et mise en confiance est structuré.
54Initialement, afin de recruter les locataires, des sessions de porte-à-porte ont eu lieu, réalisées en binôme ou en trinôme, incluant les gardiens de la résidence mais aussi des locataires adhérents de l’association Ech’Ostrohove, les ambassadeurs. Ces derniers, comme les gardiens, sont particulièrement connus dans la résidence et impliqués dans l’ACCE. Cette démarche permet l’instauration d’une relation de confiance et évite de donner le sentiment que l’adhésion à l’opération vient « du haut », du bailleur social :
« On est passé une première fois Pas-de-Calais habitat seul, très peu de portes ont, se sont ouvertes. Parce que c’était le bailleur en fin de compte qui frappait à la porte. On s’est associé avec des locataires du quartier qui étaient visibles, qui étaient tout le temps présents, qui font déjà des activités dans le quartier, toutes les portes se sont ouvertes. Et, et c’est comme ça qu’on a atteint facilement les 100 personnes qui pouvaient bénéficier de l’ACC individuelle » (un membre de la direction de l’innovation).
55Un discours précis est coconstruit sur l’ACCE par le responsable de l’innovation sociale, les gardiens et les locataires bénévoles pour accompagner la démarche de porte-à-porte et ainsi réduire les incompréhensions. Par exemple, il est expressément indiqué qu’il ne faut pas dire que, grâce au projet d’ACCE, les locataires disposent de l’électricité gratuitement parce que « si vous dites aux locataires : « à partir de demain, vous avez l’électricité gratuite », dans sa tête, il a plus de factures » (un membre de l’équipe de proximité).
56Le discours vise aussi à rassurer les locataires sur la simplicité du processus d’adhésion :
« « Vous aurez pas de contrat à, à résilier ». C’est le simple fait de nous donner l’autorisation de relevé de PRM et c’est Enedis qui va s’occuper de la totalité derrière. Donc déjà, là, c’est un frein que vous enlevez parce que le locataire se dit : « ah ben, ça va, je vais pas m’occuper de rien, je vais pas perdre, je vais pas me retrouver sans électricité aussi ». Parce que c’était la question qui venait régulièrement. Donc effectivement, cet argumentaire, on l’a construit ensemble avec l’association Ech’Ostrohove parce que c’étaient les principaux utilisateurs à la base » (un membre de la direction de l’innovation).
57Si l’opération couvre 95 % des locataires, des refus plus ou moins motivés sont essuyés par les équipes. La première cause de refus est liée à la récupération des autorisations, par la PMO, nécessaires pour accéder au PMR22. Les points de blocages existent, malgré le discours, les locataires ayant refusé de rejoindre le projet exprimant une certaine méfiance envers le partage de leurs données énergétiques, comme le rapporte un membre de l’équipe de proximité : « c’est pas un refus dû à l’électricité solaire, c’est un refus dû à leurs données personnelles, parce qu’en fait, on leur demande de signer pour accéder à leurs données personnelles. Et c’est ça qu’ils refusent ». Les autres motifs sont plus variés, mais selon un membre de l’équipe d’innovation :
« Souvent c’est des gens qu’ont pas le temps de, il ne prennent pas le temps (…) de s’informer, alors qu’on est là, à leur porte. Des personnes qui aiment pas le contact avec Pas-de-Calais habitat, ça existe aussi, des personnes qui louent un logement et puis qui veulent pas avoir plus que ça de relation avec Pas-de-Calais habitat. Et puis, les personnes, ben, que ça n’intéresse pas, parce qu’ils ont déjà des idées bien définies. Je veux pas, je veux pas de, d’énergie solaire, ça m’intéresse pas, ça fonctionne pas, etc., etc. Donc c’est ce que je disais tout à l’heure, il faut dans la, il faut la rassurance, il faut la connaissance voilà, il faut informer » (un membre de la direction de l’innovation).
58La pérennité de l’opération et le retour d’expériences de la part des locataires adhérents à l’ACCE permet progressivement de convaincre les locataires réticents : « ils viennent progressivement, ils reviennent après progressivement parce qu’ils entendent parler leur voisin, etc. » (un membre de la direction de l’innovation).
59Depuis l’opérationnalisation du projet, un processus de recrutement est systématisé : lorsqu’un locataire arrive dans la résidence, les gardiens, quelques jours après son installation, vont lui rendre visite pour lui proposer directement d’adhérer à l’ACCE et donc de continuer à faire vivre le projet.
3. L’ACCE, une entrée vers la sobriété énergétique et le changement de pratiques
60Reprenant le concept de l’« Habitat contributif », le bailleur social, à travers le projet d’ACCE, cherche à donner une part active aux locataires en les poussant à réduire leurs consommations électriques, mais aussi à contribuer au bon fonctionnement du projet dont tous tirent profit.
3.1. L’apprentissage de la réduction des consommations aux locataires
61Le projet d’ACCE développé par PdCh est, depuis le début, conceptualisé comme une porte d’entrée pour accompagner les locataires vers une sobriété énergétique, afin de répondre à la précarité énergétique des locataires. Mais outre l’ACCE, PdCh estime que les gestes du quotidien peuvent permettre une économie d’énergie supplémentaire de 10-15 %.
62En effet, en parallèle à la mise en place des panneaux photovoltaïques pour la production d’électricité, un travail de sensibilisation aux questions de maîtrise d’énergie est développé par le bailleur social, à travers la mobilisation des équipes de proximité, en particulier les gardiens et aussi l’association Ech’Ostrohove.
63Des ateliers de maîtrise de l’énergie dépassant le cadre strict de l’ACCE, ouverts à tous les locataires (participant ou non à l’ACCE), regroupant une dizaine de personnes, sont créés et animés en interne. Ils visent principalement à apprendre à réduire les consommations électriques quotidiennes.
64Comme l’explique l’un des interviewés :
« On a un module de maîtrise des dépenses énergétiques, c’est un, un jeu de cartes. Et donc c’est des cartes qui montrent la consommation d’une bouilloire, la consommation d’une cafetière. Et donc là, on a le gardien qui était formé depuis 2012 à la maîtrise des dépenses énergétiques qui anime ce, cet atelier avec le locataire » (un membre de la direction de l’innovation).
65Les bons réflexes qui sont expliqués pour maîtriser les dépenses énergétiques et changer les habitudes sont simples, comme l’illustre cet exemple :
« Et souvent, on est surpris parce que Senseo, c’est rapide. On se dit c’est… Ça consomme pas trop. Alors, bien au contraire. Parce que ça consomme plus qu’une cafetière classique. Parce qu’il y a une LED à l’intérieur qui reste branchée si vous la laissez branchée. (…) Elle tourne. Elle continue à tourner. Alors, les gens, ils ont une Senseo, ils la branchent toute la journée puis ils appuient dessus quand ils ont besoin d’un café. On est d’accord. Sauf que si elle est branchée 24/24, elle consomme 24/24 » (un membre de l’équipe de proximité).
66Dans certains cas, des locataires qui se retrouvent face à des factures électriques trop élevées viennent voir l’équipe de proximité pour poser des questions et, souvent, le problème est lié à la non-compréhension du fonctionnement des équipements. Par exemple :
« Je prenais l’exemple de la petite dame là que j’ai eue trois fois avant de lui faire comprendre que c’est son aquarium qui pompait de l’énergie. Parce que, dans sa tête, elle fermait la lumière et tout fonctionnait bien alors qu’il y avait encore la pompe à chaleur (rire) qui était branchée sur, sur l’électricité. Donc on, on va pas lui faire défaire l’aquarium. Après, je sais pas ce qu’elle a fait de l’aquarium. Elle s’en est peut-être débarrassée (rires) ! Je ne sais pas. Mais (rires) je dirais que il faut les accompagner comme ça au quotidien » (un membre de la direction de l’innovation).
67La réussite des ateliers est attestée chez certains locataires, qui ont totalement adapté leurs habitudes de consommation :
« Je suis tout seul. Bon, j’ai ma télé le soir. Tout de suite. Et je vais me coucher. Hop ! C’est tout. Et c’est psychique, c’est comme ça. Pour moi, c’est psychique, hop tout de suite, je vais voir s’il y a rien d’allumé. Et voilà. C’est c’est tout simple » (locataire autoconsommateur).
3.2. L’autoconsommateur comme acteur actif de l’ACCE par sa sobriété
68Les ateliers décrits ont l’objectif de faire en sorte que les locataires deviennent aussi acteurs de la maîtrise de leurs consommations d’électricité donc d’avoir un rôle actif, comme l’explique le directeur de l’innovation : « c’est aux autoconsommateurs de se prendre en charge ». Cette approche entre dans le concept de l’« habitat contributif » mis en avant par la direction de l’innovation.
69Cette attitude du consommateur-acteur se retrouve dans d’autres actions, comme l’idée portée par le directeur de l’innovation de mettre une petite lampe dans les parties communes de la résidence qui, allumée, signifie qu’il y a un problème avec les panneaux solaires. Cette idée est conservée dans l’opération qui suit, sur la résidence Léon Blum. Elle permet de réaliser une économie de charge, puisqu’elle évite l’installation et la maintenance d’un appareil technique numérique spécifique et qu’elle rend les locataires particulièrement vigilants, donc actifs, quant au bon fonctionnement des centrales de production.
70Lors de la réunion de lancement de la deuxième opération d’ACCE – sur la résidence Léon Blum – en mars 2022, le discours est clair : faire monter les locataires en responsabilité permet de réaliser des économies pour les locataires et pour le bailleur social. Ce témoignage capté lors d’une réunion l’illustre bien :
« Par contre, si demain vous n’utilisez pas la lampe, si demain personne ne m’appelle parce que la lampe, elle est allumée, on s’en fout, c’est le rôle de Pas-de-Calais habitat, il a qu’à surveiller ses installations, etc., un, je mettrai pas les 7000 € de plus pour surveiller une installation que moi j’ai achetée qui vous sert à vous. À un moment donné, c’est gagnant-gagnant, on est bien d’accord sur le fond parce que ça coûte, l’appareil, il faut l’entretenir. Deux, c’est de l’économie de charges que vous n’aurez pas dessus parce que, si cette lampe-là, elle s’allume au 14 juillet que c’est le jour où on produit plus, eh ben les 50 %, vous allez pas les, vous allez pas les avoir. Et puis, c’est ce que, ce que je vous ai installé vous intéresse pas. Et donc on va plus se poser la question de la maintenance puisqu’on posera plus de panneaux, parce que vous l’utilisez pas » (un membre de PdCh, réunion ACCE résidence Léon Blum).
3.3. Ech’Ostrohove, association incontournable pour le dynamisme de l’opération
71L’association Ech’Ostrohove des habitants de la résidence Maréchal Leclerc, en particulier grâce à l’implication de certains d’entre eux, comme « Boule », son président, joue un rôle important dans le cadre du projet ACCE, soit en aidant au recrutement de locataires pour le projet d’ACCE, soit en participant à l’animation des différents ateliers, soit les deux. Les interviewés de PdCh reconnaissent que « le discours aussi, forcément dans le discours de, de, des membres de l’association ça, ça a beaucoup aidé de, de, de rassurer les, les 100 bénéficiaires de, de l’ACCE » (un membre de la direction de l’innovation).
72Cette association, qui compte environ 62 membres, promeut des services à la personne, comme le portage d’eau et de pain aux locataires souffrant de difficultés motrices ou travaillant à des horaires décalés.
73Ces activités sont pour partie développées grâce au projet de l’ACCE. Ainsi, le local de l’association est désormais directement alimenté en électricité par les parties communes, donc sur le flux de l’autoconsommation. Des ateliers de menuiserie se sont constitués, au service des locataires adhérents de l’association, permettant de réaliser, par des machines alimentées par les panneaux, de menues réparations d’objets du quotidien. Ils ont aussi donné lieu à la construction d’aménagements d’embellissement et récréatifs pour la résidence (barrières en bois, maison d’oiseaux) ou encore à la production de jeux pour enfants (maisons de poupées).
74Le président de l’association, « Boule », également locataire autoconsommateur et ambassadeur de l’ACCE, maîtrise bien la notion de maximisation de la production des centrales :
« On profite. Parce que si on tire pas assez, l’énergie qui reste, c’est perdu. Autant en profiter. Moi, je suis ici, j’en profite. 7 heures 30 du matin, 18 heures jusqu’au soir. Donc on travaille. On fait des trucs potagers là pour Arras, tout ça, qu’on commence. Pareil, hop ! Et les machines tournent. Donc je profite de l’énergie parce que nous, à partir de, allez au soir, mettons au soir 20 heures, les panneaux ne, ne servent plus à rien pour le moment. C’est le fournisseur qui prend le relais derrière nous pour la nuit ».
75En outre, et ce projet a pris une importance particulière lors des épisodes de confinement, grâce à l’opération d’ACCE, à la sensibilisation et la montée en connaissance des questions énergétiques, l’association décide de monter un dossier auprès du département, soutenu par PdCh, pour demander un financement d’environ 3000 euros afin d’acheter un triporteur électrique. Selon les mots de l’un des bénévoles de l’association, « on a essayé de porter ce projet-là pour dire d’alléger les bénévoles » (un locataire autoconsommateur, membre de l’association) pour la distribution des packs d’eau et du pain aux locataires, prioritairement aux personnes ne pouvant pas se déplacer.
76La batterie du triporteur est rechargée dans les parties communes grâce à l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques de l’ACCE. Cela permet aux bénévoles de l’association de n’avoir aucune charge financière supplémentaire et de pouvoir réaliser la distribution sans frais :
« Et donc c’est tout bénef pour les locataires, puisqu’ils ne paient pas la livraison, ils ne paient pas non plus l’électricité. Et l’association ne paie pas non plus l’électricité puisque c’est des panneaux photovoltaïques. Donc tout le monde est content et tout le monde fait des économies » (un membre de PdCh, réunion ACCE résidence Léon Blum).
4. Des défis à relever avec les acteurs tiers de lʼénergie
4.1. Un apprentissage réciproque entre Enedis et le bailleur social
77Enedis est un acteur incontournable pour le projet d’ACCE, qui est le premier à avoir été développé par un bailleur social dans cette région. Les équipes du bailleur social et d’Enedis travaillent de façon rapprochée, dans un rapport d’apprentissage progressif et réciproque. Cette importance de l’accompagnement et de co-réflexion est bien mise en avant pas l’équipe innovation de PdCh :
« C’est des gens qui ont découvert un peu en même temps que nous, euh… Régulièrement, on leur posait une question. Enfin, eux, ils ont pas la réponse directement. Donc ils vont voir, et puis euh… puis ils reviennent. Voilà, c’est peut-être des… Souvent, c’est des questions qu’on leur a jamais posées, donc on trouve les solutions ensemble en fait, au fur et à mesure qu’on avance dans les… dans le… dans le projet » (un membre de la direction de l’innovation).
78Les interlocuteurs d’Enedis soulignent que cette opération, via les connaissances juridiques et techniques qu’elle apporte, est une ressource pour l’entreprise, afin de soutenir d’autres initiatives, mais aussi pour être force de proposition pour des évolutions réglementaires :
« Les équipes de X, à plusieurs reprises, se sont tournées vers Pas-de-Calais habitat pour pouvoir euh… voir avec eux ce qu’ils pensaient des dispositions des projets de textes, comment ils imaginaient les choses. Et voilà, c’est un échange de, de… pardon, de notre sujet. (…) Pas-de-Calais habitat, maintenant, est, est un des, des témoins de valeur que, que, que ce que l’équipe de X utilise et, ou même que nous euh on, on fait témoigner le plus souvent possible, parce que, parce qu’effectivement leurs projets ont évolué au fur et à mesure et, et se sont développés au fur et à mesure des, des, des, de l’évolution des législations, réglementations et euh, et qu’effectivement, on en arrivera, euh, prochainement à quelque chose qui était proche de ce qu’ils envisageaient déjà en 2016. Donc donc voilà, cette démarche est globale et euh et euh, c’est parce qu’on a eu un travail en confiance et euh en co-construction » (un membre Enedis).
79Un autre sujet de complexité est le traitement des données énergétiques reçues par le bailleur social. En soi, celui-ci n’est pas un fournisseur d’énergie et donc n’édite pas de factures aux locataires. Il n’a donc pas forcément besoin des données énergétiques brutes de production de l’ACCE. Mais, en même temps, au regard de la vocation sociale de l’opération, PdCh exprime la nécessité de suivre et de vérifier le bon fonctionnement de l’opération.
80Au début, les données reçues demandent un traitement complexe et chronophage, qui a évolué tout au long du projet à travers des échanges entre le bailleur social et Enedis :
« Enfin bref, ça vous demande de dézipper euh… tout un tas (…) de pièces jointes, puis de chercher le mot de passe, puis de le mettre dedans, puis machin. Enfin bref, c’est interminable. (…) Donc ça, c’était compliqué, mais ça fait partie des choses aussi, parce que Enedis est quand même euh… on va dire, assez ouvert. Enfin, en tout cas, ils ont demandé des retours réguliers sur le… la façon… enfin, la… les… la gestion des PMO. Et… et là, ils ont mis en place… Donc nous, on vient d’avoir l’accès, mais parce qu’on a demandé aussi, parce que c’était plutôt à destination des collectivités, apparemment, (…) un accès à une plateforme qui permet d’avoir accès, en fait, euh… à ces données-là sous forme de… de tableaux, de courbes, plutôt que… En fait, c’est les mêmes données que ce qu’on reçoit par mail. Donc là, on gagne un temps fou » (un membre de la direction de l’innovation).
81Du point de vue d’Enedis aussi, cette question d’accès et de l’analyse des données reste l’un des grands sujets à développer pour les années à venir concernant l’ACCE, mais aussi dans une logique plus large :
« La mise en forme oui, ce sera certainement le grand sujet, une mise en forme facilitée, une pédagogie aussi sur la bonne lecture des données. Euh, ce sera certainement le gros enjeu à poursuivre dans les années à venir, même si, euh, je pense que vous avez, vous avez dû le voir nous concernant, euh pas spécifiquement sur le seul sujet de l’autoconso collective, mais euh…, il y a eu un travail de fou de fait par Enedis, sur, sur les différents jeux de données, euh, dont elle dispose, euh avec une bonne partie de choses mise en open data, bien entendu les jeux de donnée externalisables » (un membre Enedis).
4.2. Le « chaos » des fournisseurs tiers
82Le rapport entre le bailleur social et les fournisseurs d’énergie, que ce soit ceux des locataires ou ceux des parties communes de la résidence dans le cadre de l’ACCE, se révèle être complexe.
4.2.1. Les rapports entre fournisseurs tiers et locataires : les interventions du bailleur
83Dans le cadre de la résidence Maréchal Leclerc, il y a au moins 14 fournisseurs différents choisis par les locataires. PdCh, comme PMO, n’est pas en charge officiellement de vérifier que les fournisseurs d’électricité ont bien affecté la part autoconsommée aux différents locataires : « le fournisseur [ne] nous contacte pas en disant : « lui, un tel, je lui ai fait moins 50 € sur sa facture », ou je ne sais quoi » (un membre de la direction de l’innovation). En effet, « tant qu’ils [les locataires] nous alertent pas, nous, on peut pas le savoir » (un membre de la direction de l’innovation).
84Ce manque de lien rend le suivi des données de l’ACCE complexe pour le bailleur social.
85Considérant qu’une vérification est utile, notamment au regard de la finalité première de l’opération – la lutte contre la précarité énergétique –, PdCh organise des journées dédiées lors desquelles des membres de la direction de l’innovation se rendent disponibles, directement sur site, pour rencontrer les locataires qui le souhaitent afin de vérifier ce point sur leur facture. D’autres fois, la remontée d’information est faite directement par les locataires auprès des gardiens, soulignant de nouveau leur rôle central dans la vie de l’opération :
« En fait, on a quelquefois eu à gérer ce problème-là, de fournisseurs qui n’ont pas fait les réductions sur les… sur les factures. Mais on l’a su uniquement parce que le locataire était allé voir son gardien, par exemple en lui disant : « ben moi, j’ai toujours rien reçu. Comment ça se fait ? » Et, du coup, là, nous, si le locataire accepte… Comme il… a lui-même sollicité, le gardien en général nous donne sa facture. Nous, ensuite, on peut voir » (un membre de la direction de l’innovation).
86Les solutions à ce problème sont trouvées directement auprès d’Enedis, sollicitée par le bailleur social.
87Outre la question de l’accès à la connaissance de ce problème, des difficultés supplémentaires s’ajoutent, notamment en raison de l’absence d’harmonisation de l’intégration de l’ACCE par les fournisseurs tiers. Ainsi, chaque facture de chaque fournisseur est différente, ce qui rend leur compréhension plus complexe :
« Surtout qu’en plus, les… les fournisseurs ne le traitent pas de la même façon. Il y en a qui appliquent… C’était le cas avec X, qu’il y avait une ligne sur la… sur la facture qui disait : « autoconsommation collective, moins tant de kilowattheures, moins tant d’euros ». Par exemple, c’est euh… Y, lui, n’applique pas sur la facture directement. Il envoie une facture et, ensuite, il envoie un courrier rectificatif par la suite » (un membre de la direction de l’innovation).
88De même, l’interprétation d’une réduction de facture peut poser des difficultés :
« Il y a des différences entre ou y peut avoir un moins sur sa facture globale, mais ça peut être juste parce qu’il a moins consommé que l’année d’avant. Donc peut-être que lui va interpréter ça comme étant la réduction due à l’autoconsommation collective. Donc il va pas nous alerter, alors que pas du tout. En fait, elle n’a pas été prise en compte, mais comme il y a un remboursement, il va pas s’inquiéter » (un membre de la direction de l’innovation).
4.2.2. Les rapports entre fournisseurs tiers et bailleur social : l’enjeu de la gestion des données d’ACCE
89Le bailleur social connaît lui aussi des difficultés avec son fournisseur quant à l’intégration des flux alimentant les parties communes de la résidence, ce qui souligne une complexité d’accès aux données de facturation et donc de suivi de l’application des réductions de l’opération :
« Même mes collègues qui… qui gèrent les factures, et qui sont… les factures X, euh… si vous me demandez aujourd’hui, là, combien en euros on a… on a économisé sur les factures des parties communes, je suis incapable de vous le dire. Parce que si, aujourd’hui, je veux le savoir… (…) je sais que ça marche comme ça parce que j’ai essayé de le faire pour voir (…) si les réductions étaient bien appliquées sur nos parties communes et tout ça. Mais ça implique, en fait, que j’entre dans notre logiciel de facturation, que j’aille sur le truc [du fournisseur] et que j’aille chercher les factures qui se rapportent au quartier en question, sachant qu’elles ne sont pas labellisées avec le nom évidemment du quartier. Donc il faut que j’ouvre toutes les factures [du fournisseur] qui sont dans la base. Vous imaginez sur un an ! On a 40000 logements, on en a une tonne ! Que je… tous les pdf. (…) Donc il faut que je relève en le… en euros chaque mois, machin, combien ça fait, puis mettre tout bout à bout. Donc on l’a fait, là, pour avoir une idée sur… sur un an, en gros. Mais en fait, ça prend un temps fou » (un membre de la direction de l’innovation).
90Ce traitement des factures est extrêmement chronophage et demande un grand travail en interne au bailleur social, alors que l’équipe de la direction de l’innovation n’est composée que de quatre personnes qui ne sont pas dédiées uniquement à l’ACCE :
« Donc c’est pareil, c’est aussi une organisation en interne qui demande à être adaptée euh… cette gestion-là. Si… Si on veut que ce soit bien suivi, en tout cas, ça demande, ouais, beaucoup de travail derrière » (un membre de la direction de l’innovation).
91La possibilité d’ajouter un prestataire pour la gestion des flux et des factures est écartée rapidement, afin de ne pas ajouter des charges supplémentaires : « déjà que le responsable d’équilibre nous coûte une fortune, ça serait dommage de rajouter encore des… des prestations externes euh… » (un membre de la direction de l’innovation).
4.3. Le défi du responsable d’équilibre pour des petites opérations
92Un autre défi soulevé par l’opérationnalisation de l’ACCE, et que PdCh est en train d’essayer de relever, est le sujet du responsable d’équilibre, figure centrale se positionnant à la croisée du gestionnaire de réseau, des fournisseurs et des clients.
93Depuis l’arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts, les ACCE peuvent être éligibles à l’obligation d’achat, à condition qu’elles ne soient pas subventionnées par des fonds publics.
94Le projet d’ACCE de la résidence Maréchal Leclerc est aidé et l’opération est mise en service avant la publication du décret. Donc elle n’est pas éligible à l’obligation d’achat, tout comme les nouvelles opérations d’ACCE portées par PdCh, qui sont subventionnées par des fonds européens Interreg.
95Pour les projets d’ACCE, PdCh est donc obligé de contractualiser avec un responsable d’équilibre pour la valorisation de son surplus, ce qui pose des questions économiques pour la PMO :
« Nous, le… la question du responsable d’équilibre, c’est en fait un vrai problème. Parce que, euh… c’est obligatoire, donc on est obligé de l’avoir [pour] nous facture[r] la prestation de responsable d’équilibre. Et c’est pas, en fait, le peu de surplus qu’on a qu’on lui revend qui permet d’équilibrer l’opération » (un membre de la direction de l’innovation).
96Ce point reste important à souligner, au regard du caractère social et solidaire de cette opération d’ACCE dont l’objectif est de réduire la facture des autoconsommateurs sans ajouter des possibles charges supplémentaires.
97Cette complication est connue par Enedis et fait l’objet de discussions en interne avec les porteurs de projet, même si Enedis n’est pas directement concernée :
« Pour tous les porteurs de projets, ça a été un peu compliqué de trouver leur responsable d’équilibre. Et puis, ça a un coût qui est pas négligeable dans la facture globale du porteur de projets parce que euh ben, un bailleur, on va pas se le cacher, Jérôme [Capelle] le dit très, très justement, il a pas forcément la possibilité de payer un responsable d’équilibre juste pour réinjecter. (…) Donc il y a la problématique déjà de tout ce qui est administratif, de trouver son responsable d’équilibre, de savoir ce que c’est, de savoir à quoi ça sert, il y a la problématique de trouver le bon qui veuille bien euh… être responsable d’équilibre pour une opération d’autoconsommation collective. Et puis, il y a le coût que cela engendre » (un membre Enedis).
5. Le soutien souhaité à la structuration dʼune filière industrielle locale
5.1. Un projet conçu en interne avec une faible ouverture au territoire
98Le projet d’ACCE a un ancrage social fort car étant conçu pour répondre aux nécessités des locataires et valoriser leur pouvoir d’achat. Conçu en interne grâce au partenariat d’innovation, il bénéficie d’apports de différents acteurs provenant de champs disciplinaires très variés, techniques, sociaux et juridiques pour sa structuration.
99Par contre, une vraie synergie avec d’autres acteurs locaux de l’énergie, comme les Agence locales de l’énergie et du climat (ALEC), n’est pas développée. De même, si les élus locaux ont connaissance du projet, ils ne sont pas encore vraiment impliqués, même s’ils l’« aiment bien » (un membre de la direction de l’innovation).
100Le rapport entre les acteurs du territoire et ce type de projet reste une question délicate qui peut créer des concurrences entre les acteurs. Pour le prochain projet sur la résidence Léon Blum, une réflexion est menée sur la possibilité d’intégrer le centre social du territoire, dans une logique de « boucle sociale locale » : « c’est que la gestion du… le surplus qu’on a, puisque de toute façon, il nous rapporte rien en le vendant. (…) Puisque de toute façon, le centre social, il bénéficie aussi à euh… nos locataires » (un membre de la direction de l’innovation).
5.2. L’ACCE, moteur du développement dʼune filière photovoltaïque locale
101L’opération d’ACCE, grâce aux bons résultats du site pilote, permet d’envisager une massification de la solution. L’engagement n’est plus uniquement à destination des locataires mais est pensé, par la direction de l’innovation, à l’échelle territoriale, avec l’idée de développer une filière courte de production de panneaux photovoltaïques. L’idée est, à travers ce projet, de favoriser une filière photovoltaïque locale sur le territoire, capable de générer de nouveaux emplois sur ce territoire.
102Selon les mots du directeur de l’innovation :
« C’est de l’énergie qui est financée par l’Europe là par… pour le coup, on est dans un programme européen où demain il sera financé par des fonds FEDER. Ou c’est financé par la taxe, par la CSPE, etc., et si ce financement-là euh… ne sert pas à lancer une filière française au moins sur le déploiement, on a loupé un truc quoi. Si mes 3000 m2, il y a 90 % du pognon qui part à l’étranger euh… globalement je vais louper quelque chose (…) hors site, par une équipe qui justement rajoute cet assemblage-là, du contrôle de la mise en place. Donc ça veut dire que le rôle aussi du bailleur social de la région est quand même de faire aller euh… le tissu économique et la filière région. D’où le fait de travailler avec le CD2E [Centre de déploiement de l’éco-transition – Région Hauts-de-France], de… d’où le fait de travailler avec des bureaux d’études de la région qui, eux, ont cette sensibilité-là à la fois de pouvoir lancer et confirmer la filière de dire ouais, ça se fait » (un membre de la direction de l’innovation).
5.3. Une opération singulière vulnérable : quel avenir ?
103Cette monographie sur l’opération d’ACCE mise en place par le bailleur social Pas-de-Calais habitat au sein de la résidence Maréchal Leclerc permet de susciter certaines réflexions. En premier lieu, il faut noter l’intérêt de cette démarche qui articule le dispositif d’ACCE avec une approche sociale plaçant les autoconsommateurs comme des acteurs actifs, en les responsabilisant sur la sobriété énergétique et la maîtrise de leur consommation. Cette démarche est étroitement liée au fait que ce projet a été voulu et mis en place grâce à une personne motrice, avec un bagage technique et un fort engagement personnel dans le projet, le tout avec un objectif social.
104Cette singularité de l’opération est actuellement confrontée, d’une part, au départ du directeur de l’innovation, d’autre part, à la disparition de la direction de l’innovation au sein du bailleur social. Cela pose la question du maintien de ce positionnement original, de la continuité de cette dynamique, liant énergie et sociale par la suite.
105D’autres projets d’ACCE, dont le financement provient en partie du fonds européen du programme LECSEA23, reposant sur le double objectif de favoriser la création de communautés d’énergie locales et de réduire les émissions de CO2 par la production d’énergie renouvelable locale, sont en cours de développement. Mais, comme illustré dans cette monographie, pour le fonctionnement de ce type de projets auprès des publics de locataires de bailleurs sociaux, un grand travail d’information et d’accompagnement doit être mis en place. L’accompagnement et le suivi de l’équipe de proximité et des locataires est crucial pour la bonne réussite. Il faudrait donc voir si et comment cette dynamique mêlant technique et social est ou non assurée. On peut ainsi remarquer que, sur l’opération de la résidence Maréchal Leclerc, les totems et autres outils numériques d’accès aux informations de consommations ne se sont pas maintenus après la phase d’expérimentation, notamment pour défaut de financement. Un discours similaire sur les possibilités de poursuite du projet se pose aussi suite à la fin du projet LECSEA et l’interruption des fonds européens qui, jusqu’à présent, ont aidé à rendre le modèle économique intéressant et viable pour le bailleur social et pour les locataires.
Annexe
6. Annexes
Annexe I - Entretiens réalisés dans le cadre de l’étude de l’opération d’ACCE de la Résidence Maréchal Leclerc de Pas-de-Calais habitat
Statut de la personne interviewée | Date de l’entretien |
Directeur de l’innovation Pas-de-Calais habitat | 28 février 2022 31 mars 2022 |
Responsable innovation sociale Pas-de-Calais habitat | 22 avril 2022 |
Assistant de projets direction de l’innovation/ direction des finances Pas-de-Calais habitat | 19 avril 2022 |
Enedis | 29 avril 2022 |
Délégué territorial Enedis | 29 avril 2022 |
Gardien Pas-de-Calais habitat | 5 mai 2022 |
Gardien Pas-de-Calais habitat | 5 mai 2022 |
Locataire Auto-consommateur Ambassadeur et président de l’association Ech’Ostrohove | 5 mai 2022 |
Trois membres de l’équipe de proximité Pas-de-Calais habitat | Réunion ACCE résidence Léon Blum 31 mars 2022 |
Annexe II - Frise chronologique du projet d’ACCE de la Résidence Maréchal Leclerc de Pas-de-Calais habitat

Notes de bas de page
1 Par exemple, les organismes d’habitat à loyer modéré (HLM) se sont engagés dans le pacte « ACTE HLM 2016-2020 » (Agir pour le climat et la transition énergétique (ACTE), complété en 2016 et 2017 par deux conventions signées avec l’État et par le protocole d’accompagnement État-Mouvement HLM 2018-2021), qui avait pour objectif de « contribuer à l’accélération d’une transition énergétique et environnementale d’ampleur, positive et concrète pour les habitants ».
2 INSEE, Recensement de la population (RP) 2021.
3 INSEE, Ibidem.
4 Huit entretiens semis-directifs et deux visites de terrain ont été réalisés. L’annexe n° I précise l’échantillon des personnes rencontrées. L’étude est menée alors que le service d’innovation du bailleur social, fort de cette première expérience, organise une première réunion d’information à destination des gardiens et des locataires pour le lancement d’un nouveau projet d’ACCE dans une autre résidence de PdCh nommée Léon Blum. Pendant cette réunion ont été recueillis des témoignages des équipes de proximité et des locataires de la résidence Maréchal Leclerc, offrant un retour d’expérience précieux sur le projet pilote de l’ACCE.
5 Source : Pas-de-Calais habitat.
6 Source : photographies personnelles.
7 Respectivement Interreg IFORE (2010-2014) et ICT Energy Coach (2012-2014).
8 Cabinet Schaeffer, spécialisé dans le conseil aux collectivités territoriales et organismes associés dans le domaine énergétique ; Octant avocats, avocat en droit public et droit de l’environnement ; CSN Energy, startup de gestion d’activités de fourniture d’énergie et efficacité énergétique ; BESCB, sociologue spécialisé dans l’usage énergétique ; Ad Lib, agence d’architecture et d’urbanisme ; Intent technologies, gestionnaire d’une plateforme d’échange et de partage de données entre les acteurs du bâtiment ; CRC, installateur de systèmes de communication et de panneaux solaires ; Bliwe, développeur de nouveaux supports de communication ; LGCgE de l’Université d’Artois, Laboratoire de Génie Civile et géo-Environnement ; Ascaudit, bureau d’études dans les domaines des ascenseurs, de la mobilité des personnes handicapées et âgées et de l’optimisation énergétique et des EnR ; Logista, entreprise multiservices de maintenance et entretien des équipements techniques dans l’habitat social ; Tecsol, bureau d’études en énergie solaire ; MG2E, intervention sur des installations de chauffage et d’électricité.
9 Christophe Beslay, Romain Gournet, « L’habitat contributif vu par ses destinataires et ses acteurs locaux. Perceptions, attentes et engagement », Rapport de la « Phase expérimentale pilote Cité Maréchal Leclerc, Saint-Martin Boulogne », 2019.
10 Partenaires du projet : Optivo, Pas-de-Calais habitat, Neotoa, Archipel habitat, Clarion Housing Group, LogiRep, University East Anglia, Weker, Radian, Inco (financé par le projet européen « Interreg VA France (Manche) Angleterre », Fonds européen de Développement régional).
11 Bernard Stiegler, La Société automatique, L’avenir du travail. Paris, Fayard, 2015.
12 Christophe Beslay, Alain Gressier, Clément Morlat, Romain Gournet, Jérôme Capelle, « Innover dans l’Habitat social. Le modèle économique et social de l’Habitat Contributif », Communication présentée dans le cadre du colloque « Innovation et territoires face aux inégalités », Université du Québec à Rimouski, 22-25 mai 2019, page 13.
13 Le budget total du projet INCREASE est de 13 millions d’euros pour l’ensemble des partenaires en France et Angleterre. 1 900000 € ont été spécifiquement alloués à Pas-de-Calais habitat.
14 Source : Atelier n° 18 : CDC-IRI, février 2022.
15 Il est difficile d’appréhender les résultats de l’autoconsommation collective sur un simple constat de réduction en euros. En effet, tout dépend du temps de présence dans le logement, de la précarité énergétique et de la capacité du ménage à adapter ses usages à la production solaire.
16 Source : réalisation personnelle sur la base des informations fournies par Pas-de-Calais habitat.
17 Source : graphique issu des données fournies par Pas-de-Calais habitat.
18 Source : Pas-de-Calais habitat.
19 Source : Pas-de-Calais habitat.
20 Source : photographie personnelle.
21 Source : photographies personnelles.
22 Point Référence Mesure
23 LECSEA (2020-2022) est financé par le FEDER dans le cadre du programme Interreg 2 Mers à hauteur de 4 millions d’euros environ.
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L’autoconsommation collective d’électricité en France
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