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Le projet SerenyCalas dans la commune de Cabriès
p. 121-176
Texte intégral
1L’opération de SerenyCalas est un projet d’autoconsommation collective d’électricité dont la Personne Morale Organisatrice (PMO) est portée par une société par actions simplifiée (SAS), laquelle a pour principal actionnaire la société SerenySun Énergies1.
2Elle s’étend sur le territoire de la commune de Cabriès, située dans le département des Bouches-du-Rhône, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cabriès fait partie de la Métropole Aix-Marseille-Provence, qui regroupe 92 communes. Elle est placée à proximité directe de la gare Aix-en-Provence TGV (7 km). En 2019, la commune comptait 9 384 habitants, pour une densité de population de 269,1 hab/km2, correspondant à une zone urbaine2 à tendance résidentielle. Les résidences principales y sont majoritaires (92,6 %). Le taux d’activité (15 à 64 ans) est de 78,1 % (en comparaison, 74,1 % pour la France3).
3Cette opération, étudiée au printemps 2022 et complétée par quelques éléments à l’automne suivant4, est intéressante pour deux raisons principales.
4D’une part, elle constitue un type de projet d’ACCE tout à fait original et peu développé encore en France. La PMO est en effet une SAS regroupant des investisseurs et des citoyens situés à proximité de la première unité de production identifiée. D’autre part, SerenyCalas constitue le premier projet d’un type nouveau de société, SerenySun, tout à fait atypique sur le marché de l’ACCE et, plus généralement, des communautés énergétiques. L’entreprise, créée en 2018, aspire en effet à devenir un acteur important en étant la « tête de pont » de plusieurs opérations situées en France, dont elle pourrait devenir un prestataire et/ou un actionnaire. Ce faisant, étudier le cas de SerenyCalas, c’est aussi assister, en quelque sorte, à la naissance d’un nouvel opérateur sur le marché de l’énergie décentralisée.
1. Tester la réplicabilité d’un nouveau modèle de communauté énergétique
1.1. Aux origines du projet : la création de SerenySun
5Avant d’en venir au projet de SerenyCalas en tant que tel, il est nécessaire de nous attarder sur l’entreprise qui en est à l’origine : SerenySun. Celle-ci, fondée en 2018, a été le déclencheur de l’opération, en la personne de Donald François, son Président Directeur Général et membre fondateur, qui habite dans le domaine de Calas (lotissement de 247 maisons à partir duquel va démarrer l’initiative). Le projet d’ACCE émerge concomitamment à cette société, qui y voit une sorte de prototype-test (proof of concept) d’après l’un de ses documents de présentation publics) à partir duquel elle entend développer son activité, à Cabriès, dans la région PACA et, plus largement, en France.
6SerenySun fait figure de pionnière en France sur le marché de l’ACCE et, plus largement, des communautés énergétiques, dans la mesure où la société s’intéresse à l’ensemble de la « vie » d’un projet d’énergie décentralisée, de l’amont (étude, faisabilité, financement) vers l’aval (gestion, facturation, animation du collectif de participants). Contrairement aux développeurs solaires classiques, SerenySun s’inscrit dans le temps long, dans la mesure où elle peut entrer au capital des opérations qui se montent. À la différence de bureaux d’études tels que Tecsol, ou Cohérences Énergies, qui se positionnent eux aussi sur le marché, elle intègre une plus large partie de la chaîne de valeur, surtout vers l’aval. Le seul segment de la chaîne de valeur sur lequel elle n’est pas présente est celui de l’installation « technique » de panneaux, la société ayant recours à des professionnels existants. Elle peut aussi confier certaines tâches à des bureaux d’études. L’un de ses membres fondateurs5 définit la société comme « un fournisseur de communautés ». Un autre précise : « on est accélérateur des circuits courts de l’énergie et on vient aider, accompagner les entreprises et collectivités dans leur transition énergétique en faisant des communautés d’énergies renouvelables ». Il s’agit, à partir de SerenyCalas, et dans une logique de réplication, d’être en mesure de fournir à des acteurs très divers intéressés par les ACCE ou, plus largement, par les communautés d’énergie citoyenne, des solutions qui, à défaut d’être clés en mains, auront pu tirer parti du projet pilote de Cabriès, en termes d’outils de gestion et d’animation. Le terme « Sereny » (qui renvoie à sérénité) reflète cette posture : proposer une offre globale de services à même de rassurer de potentiels investisseurs.
7L’autre originalité dans le positionnement de SerenySun est de porter des opérations qui sont hybrides « public-privé », i.e. qui permettent de mélanger des types de consommateurs et de producteurs différents et d’apporter des sources de financement variées. En cela, la société se distingue de beaucoup de bureaux d’études qui travaillent soit sur du pur secteur public (des ACCE dont les communes seront les PMO) ou du parapublic (des bailleurs sociaux publics). Elle entend donc investir un segment de marché encore assez peu développé, estimant que c’est à l’entrecroisement de ces types d’acteurs que se développeront beaucoup d’opérations d’ACCE à l’avenir. Ce positionnement a ses avantages, comme nous le verrons. Il a aussi ses exigences, dont celle d’être en mesure de s’adresser à des types d’acteurs aux profils et intérêts très différents. Ainsi, on n’approche pas un simple particulier comme on le fait avec une collectivité locale ou une entreprise. S’ensuit la nécessité de développer des narratifs différents. Pour les particuliers, l’argument d’un coût inférieur à celui du TRVE6 (de l’ordre de 5 % sur SerenyCalas) couplé à un discours sur la transition écologique pourra être mobilisé. Pour une entreprise, avoir une bonne connaissance de la législation qui la concerne (décret tertiaire par exemple, l’ACCE venant en déduction d’exigences sur les niveaux de consommation d’électricité) ou des valorisations de type RSE7 sera judicieuse. Pour une collectivité locale, le motif avancé sera moins économique mais plus politique (montrer son intérêt pour la transition écologique, participer au rayonnement de la commune, avoir un impact positif sur les citoyens). Pour ce faire, SerenySun développe des supports de communication différents, qui lui permettent d’être assez agile dans son approche de prospects potentiels.
1.2. Le concept de SerenySun
8Le concept développé par SerenySun repose sur trois principales idées-forces qu’il nous semble important de préciser dès ce stade.
9La première est de valoriser au mieux les ressources locales, dans une logique à la fois de consommation et de production. Il ne s’agit pas d’acheter de l’énergie verte venant de loin mais de la produire « localement » et de valoriser le territoire : « le territoire, on est là pour l’accompagner sur la durée de vie du projet » (un membre fondateur).
10De même, les projets sont pensés sur des sites anthropisés et avec une assez forte proximité entre lieux de production et de consommation, dans une logique de respect de la biodiversité :
« La raison d’être, c’est vraiment de dire : on va essayer d’accélérer la transition sur les territoires en relevant le potentiel, en accélérant le potentiel qui existe, qui est aujourd’hui sous exploité. Donc la vision pour nous d’une communauté d’énergie renouvelable, c’est quoi ? C’est produire une énergie bien plus locale, sans impact sur la biodiversité » (un autre membre fondateur).
11Cette logique ne se veut pas que productrice. Valoriser les ressources locales, c’est aussi avoir un objectif de maîtrise de la consommation, voire de sobriété, dans une perspective pédagogique :
« Pour nous, c’était vraiment de se dire que, quand on va créer cette Communauté8, une fois qu’on va partager cette énergie, locale et verte, on va faire de la pédagogie. (…) Et donc une fois que les gens sont sachants et motivés, les gens vont diminuer leur consommation, puisque l’idée, c’est de créer de l’énergie verte, mais c’est créer aussi la sobriété énergétique. Donc on croit beaucoup en la pédagogie, et pas forcément avec des outils d’ailleurs. (…) On pense qu’on va pouvoir baisser de 10 % par rapport à, typiquement, à périmètre équivalent, la consommation de notre Communauté » (un membre fondateur).
12Ensuite, SerenySun se positionne non pas en opposition mais en complémentarité avec le « grand réseau ». Certes, dès l’origine, les fondateurs prennent acte d’une tendance forte vers la décentralisation des modèles de production-consommation d’énergie et estiment que les citoyens auront besoin d’entrepreneurs à même de les aider dans cette dynamique. Mais l’équipe ne promeut pas pour autant une forme d’autonomie, d’autarcie, ni d’indépendance énergétique. Le projet s’inscrit dans une optique non pas de remise en question du modèle centralisé mais de forte complémentarité :
« Quand on aura accepté cette doctrine de circuits courts, non pas en opposition centralisée « nucléaire » mais en complément pour les 50 prochaines années, (…) comment est-ce qu’on fait un mix central local plus équilibré ? » (un membre fondateur).
« On veut un peu couvrir une partie des besoins en énergie verte et locale, des besoins en électricité de ce collectif. On ne vise pas le 100 % puisqu’on sait qu’on est sur un marché qui est connecté. Donc c’est pas l’objectif. (…) C’est fédérer des collectifs mixtes sur le même territoire, censés couvrir 30 à 50 % des besoins en électricité de ce collectif » (un autre membre fondateur).
13Comme l’indique ce dernier témoignage, l’objectif n’est pas de se substituer au modèle centralisé ni de couvrir à 100 % les besoins en électricité, mais de pousser au maximum la logique du circuit court, tout en restant connecté. Le circuit court et la communauté sont pensés comme un moyen de valoriser les ressources locales tout en s’inscrivant dans une logique nationale qu’il faut faire évoluer pour tirer pleinement profit de la décentralisation facilitée par le photovoltaïque (voire d’autres ressources). La philosophie d’action de SerenySun ne s’inscrit donc pas du tout dans une logique d’autonomie mais plutôt de résilience territoriale :
« On est un peu aujourd’hui dans un carrefour où… moi, je n’étais pas le premier à me lancer dans les circuits courts mais ceux qui, il y a 5 ans, 10 ans, disaient « il faut y aller », c’était aussi dans cette perspective de résilience et de logique. On ne s’attend pas aux guerres mais on s’attend effectivement à ce que l’énergie réseau, d’un point de vue général, augmente. (…) La question, c’est : politiquement et socialement, qu’est-ce qui est acceptable ? C’est ça qui va évoluer. Je pense qu’il faut être prêt aujourd’hui à accepter de produire de l’énergie là où on en consomme » (un membre fondateur).
14Dans cette optique, le « local » a aussi comme autre atout de rendre la transition énergétique plus acceptable, en redistribuant des bénéfices environnementaux, sociaux et économiques aux citoyens et en leur montrant les effets concrets des investissements productifs :
« On pense que c’est la logique même que les puits d’énergie, on les fasse au plus proche des consommateurs. Et les mentalités, du coup, elles vont aussi suivre, y compris sur l’acceptabilité. Parce qu’aujourd’hui, certains des freins du développement des énergies renouvelables dans le territoire, ça fait partie de l’acceptabilité, acceptabilité visuelle, acceptabilité par rapport aux nuisances perçues et réelles que l’on peut voir » (un membre fondateur).
15L’ACCE, de même que les communautés d’énergie, est donc conceptualisée comme un outil complémentaire au grand réseau. Le futur système énergétique est envisagé comme étant à la fois centralisé et décentralisé, permettant aux acteurs tant locaux que nationaux de tirer des bénéfices de cette coexistence.
16L’exemple développé est notamment celui de la mobilité électrique, activité couverte par l’ACCE. Ainsi,
« la partie décentralisée, elle aura sa propre résilience et sa propre économie, qui va être augmentée avec la mobilité électrique. (…) Évidemment, ça va être progressif. On va commencer à charger les voitures au bon moment. Ensuite, c’est un nouvel usage au bon moment avec l’énergie verte et locale si c’est possible, mais en tout cas avec de l’énergie verte. (…) Et puis, derrière, les véhicules serviront de stockage. (…) Alors, ça a pris un peu de retard (…) mais dans 10 ans, ce sera totalement… ce sera une évidence, ce sera automatisé même » (un membre de l’équipe de SerenySun).
17L’usage de la mobilité électrique est identifié comme un avantage pour le réseau centralisé, en termes de limitation du coût de renforcement :
« On va bonifier le taux d’autoconsommation collective et donc dans la durée, on va limiter les renforcements de réseau Enedis puisque là, pour le coup, on aura un vrai gain dans la durée. (…) On aura un vrai gain et on ne sera pas obligé de renforcer le réseau local, basse tension, HTA qui est derrière » (un membre de l’équipe de SerenySun).
18Dans le cadre de l’opération d’ACCE, l’usage de la mobilité comme une solution de stockage et une maximisation de la consommation de l’opération est pleinement identifié :
« Déjà, tous les détenteurs de véhicules électriques qui sont dans la Communauté, on sait les identifier. On va probablement avoir des communications particulières avec eux, parce qu’en plus, ils ont des possibilités de stockage sur place. Quand ils sont chez eux, ça peut être utile, par exemple, les samedis et dimanches. (…) Donc les communautés d’énergie de demain, une fois que le stockage sera économiquement et écologiquement vertueux, c’est l’élément qui va nous permettre de prendre une autre marge. Parce que tout ce qui ne sera pas consommé, on pourra le stocker, justement pour le délester entre 18 heures et 20 heures, qui est la période où Enedis nous dit que les réseaux sont vraiment saturés, tous les fours s’allument » (un participant au projet de SerenyCalas).
« Sauf cas particulier, avec le développement de la mobilité électrique, en 2030, quand il y aura 10 millions de véhicules électriques en France, et donc 10 millions de bornes de recharge, de consommation volontaire, ça va bonifier évidemment l’autoconsommation collective puisqu’on en a déjà dans notre… On a une dizaine, je crois, de gens qui ont des bornes. Donc c’est un point de consommation supplémentaire mais ce sera aussi un point de stockage complémentaire dans dix ans, quand on fera du véhicule-to-grid » (un membre de l’équipe de SerenySun).
19Enfin, la dimension sociale constitue le troisième pilier du projet de SerenySun. Il s’agit d’avoir une Communauté ouverte à des participants d’origines diverses, dans le cadre d’une transition énergétique qui se veut « inclusive », rassemblant des personnes qui n’ont pas forcément les moyens de financer des installations photovoltaïques :
« Point très important, c’est qu’on veut offrir à tous. Donc c’est le côté un peu social et sociétal de notre approche, on veut offrir à tous cet accès vert et local, même ceux qui n’ont pas la possibilité de faire par eux-mêmes. Donc on entend par là des gens qui sont locataires par exemple, ou des gens qui sont propriétaires – quand je dis des gens, ça peut aussi être des entreprises –, qui sont propriétaires mais qui n’ont pas, finalement, la surface, si on veut du solaire par exemple, où l’emplacement pourra se caler avec la production renouvelable. Donc pour nous, c’est très important que ce soit inclusif » (un membre fondateur).
20Le frein à l’investissement n’est pas l’unique porte d’entrée du modèle inclusif, les acteurs du projet identifiant également la qualité de « locataire » :
« Des personnes qui sont locataires, qui n’auraient pas les moyens de mettre 15000 euros sur leur toiture parce que, déjà, ils n’en ont pas, ils ne sont pas propriétaires fonciers. Donc cet aspect intégrant du projet pilote, il fallait absolument le mener à son terme, tout en trouvant les financements et les investisseurs » (un participant au projet de SerenyCalas).
21Cette valeur sociale se répercute sur la structuration de la gouvernance de l’opération d’autoconsommation collective. La qualité d’actionnaire n’est pas un prérequis pour bénéficier du droit à l’autoconsommation. L’objectif est que tout un chacun puisse tirer profit de la transition énergétique, même s’il n’a pas les moyens d’entrer au capital de la SAS :
« C’est vraiment une particularité de SerenyCalas. Quand on a créé ça, il y avait une vision derrière, c’est-à-dire : « comment est-ce que cette production d’énergie verte locale peut bénéficier à tous ? » Quand [on a] créé SerenySun, c’était en plein dans les « Gilets jaunes » et je n’ai jamais compris pourquoi « transition énergétique » est égale à « confrontation ». Parce qu’il y en a certains qui ont l’impression de… et, effectivement, quand on regarde les taxes qui étaient imposées, ceux qui sont les plus pénalisés sont ceux qui ont le moins de moyens. Donc l’idée de communauté d’énergie version « SerenySun », c’est cet aspect sociétal qui dit : « si je n’ai pas les moyens d’investir dans un panneau, oui, j’ai quand même le droit », et on dissocie cette notion de capitalisme. C’est-à-dire « je prends part et les dividendes de la société vont apporter un retour sur mon investissement ». Très bien, c’est aussi un souhait. Mais quand on fait venir des citoyens et actionnaires, ce ne sont pas des dons qu’ils font, c’est un investissement sur lequel il faut qu’il y ait un retour. Donc cet aspect investissement, actionnariat, on le gère comme ça, dans sa globalité. Mais, pour ceux qui peuvent participer au bénéfice de l’énergie verte locale et moins chère, là, pour le coup, c’est ouvert à tous et tout le monde est égal, que je sois actionnaire ou pas. En fait, c’est comme si on avait deux personnalités différentes. (…) Donc si ça ne leur convient pas, ils n’ont pas investi. Mais, à partir du moment où on investit, on a convenu qu’on rentrait dans ce modèle qui nous permet aujourd’hui d’envoyer de l’énergie verte moins chère aux logements sociaux qui sont juste de l’autre côté de la rue » (un membre fondateur).
1.3. Le modus operandi
22SerenyCalas part de l’idée de former une communauté d’énergie, sans pour l’instant relever de cette catégorie au sens juridique du terme9, même si le basculement vers ce régime est prévu par les porteurs du projet.
23Au dire des membres fondateurs de SerenySun, l’idée est donc de développer des opérations respectant les trois piliers de la société (valorisation des ressources locales, complémentarité avec le réseau centralisé, inclusion sociale), c’est-à-dire de soutenir des initiatives de taille raisonnable, qui permettent de tenir tous ces éléments ensemble. L’objectif est d’avoir des communautés de l’ordre de 1 MW de puissance et de 1200 MWh de production annuelle, afin d’assurer un équilibre minimum, avec un taux d’autoconsommation de l’ordre de 25 à 30 %.
24La structuration des communautés dépasse la pure activité d’autoconsommation collective, qui est envisagée comme la porte d’entrée, quels que soient les acteurs territoriaux (personnes physique, morale, privée, publique). Pour ce faire, SerenySun ne part pas des cadastres solaires mais, sur la base d’une proposition qui peut lui être faite, regarde le périmètre de deux km autour d’une localisation donnée pour ensuite apprécier ce qui pourrait être réalisé. L’initiative peut émaner d’une collectivité territoriale, d’un promoteur ou d’un groupe de citoyens, comme cela est le cas à SerenyCalas. Cette diversité d’acteurs ouvre des possibilités multiples quant à la structuration de l’opération d’autoconsommation collective et particulièrement de la PMO. Certains projets développés par SerenySun sont en revente totale, en ACI ou en ACI et ACCE, avec ou sans soutien tarifaire. Dans le cas de SerenyCalas, on trouve à la fois de l’ACI (l’école autoconsomme une partie de l’électricité produite sur son toit, comme nous le préciserons dans la suite de cette monographie) et de l’ACCE (la PMO redistribue le surplus aux membres de l’opération).
25Une fois le contact établi, SerenySun modélise le projet à partir du territoire cible. Elle le fait à partir des sites de production et de consommation identifiés, en jouant sur des variables telles que le foisonnement. Il s’agit d’un travail classique d’opérateur, à l’aide d’outils développés en interne : récupération des données (profils de consommation types d’Enedis ou historiques donnés par les prospects) puis modélisation qui doit faire apparaître, pour que l’opération soit retenue, 90 % d’autoconsommation dans la communauté, soit en ACI soit en ACCE. La question de la valorisation du surplus est également interrogée et l’arrêté tarifaire S21 (voir partie I) n’est pas identifié comme étant un facteur d’amélioration du modèle économique, dès lors que la revente avec obligation d’achat demeure plus avantageuse, notamment en raison de l’absence de remboursement des différentes composantes de la fiscalité de l’électricité.
26Plusieurs schémas juridiques sont possibles, en fonction des porteurs de projets. Certains sont en SAS (comme c’est le cas pour SerenyCalas), quand d’autres peuvent être des associations, des SCIC10 ou des SEM11 (pour une collectivité territoriale). Au moment de l’enquête, une opération était lancée, SerenyCalas, et une dizaine restait au stade du développement.
27SerenySun se positionne comme l’assembleur du projet, à l’instar d’un développeur d’énergies renouvelables, et s’occupe du montage juridique et contractuel, de la constitution de la communauté et de la PMO, en sollicitant des subventions ou en répondant à des appels d’offres nécessaires à l’équilibre économique de l’opération. C’est dès ce stade que réside une première forme de valeur ajoutée, SerenySun étant très au fait de l’évolution de la législation, ce qui lui permet d’être en dialogue fréquent et direct tant avec la DGEC qu’avec Enedis. SerenySun bénéficie d’un accompagnement par des cabinets d’avocats, de type De Gaulle Fleurance & Associés ou LLC & Associés, et est membre de différents groupes de travail, dont ceux mis en place par la « Plateforme verte ». Ses responsables appartiennent également à des cercles d’entrepreneurs, par la voix du Président-Directeur Général (« Entreprendre Provence » ou « French Techni »). La localisation du siège social, au sein d’une technopole, offre une visibilité certaine auprès des acteurs du territoire, notamment la Métropole Aix-Marseille-Provence et la Région. Enfin, SerenySun développe une activité intense de « lobbying » par voie de presse spécialisée et grand public, et via la participation à des salons institutionnels (maires de France, EnerGaïa), ce qui lui offre une aura nationale. Elle s’insère donc dans tout un écosystème qui lui assure d’être au courant des évolutions réglementaires ou de les anticiper, ce qui lui permet d’affiner ses modèles économiques et juridiques, mais aussi de pouvoir « vendre » ses solutions à un public varié (consommateurs/ producteurs résidentiels, tertiaires ou publics).
28La partie installation est sous-traitée à des entreprises spécialisées et à des bureaux d’études. Ensuite, SerenySun devient un prestataire de services pour les communautés créées, s’inscrivant dans un rôle, pour nous, proche de celui de fournisseur pendant la durée du projet (30 ou 35 ans), en gérant la partie facturation et en faisant vivre la communauté (pédagogie, nouveaux services). C’est là que réside une autre partie de sa valeur ajoutée. La société a en effet développé une plateforme de répartition de l’énergie qui lui permet de gérer elle-même les flux électriques et d’éditer les factures. Selon les membres fondateurs, celle-ci va plus loin que les solutions de facturation disponibles en 2022 sur le marché car SerenySun sait facturer les acomptes. Cet actif est précieux car il permet à SerenySun de posséder un outil développé sur Cabriès qui peut être déployé ailleurs.
29L’équipe se renforce progressivement : elle est passée de deux à six personnes au moment de l’enquête et se donne comme objectif d’atteindre un effectif de 20 à 25 personnes d’ici 2025.
2. Le projet SerenyCalas : caractéristiques générales
30L’opération développée à Cabriès, souvent nommée « SerenyCalas », se veut réplicable et répond à un schéma organisationnel distinguant deux temps : tout d’abord, la structuration d’une SAS SerenyCalas, désignant la communauté d’énergie, ensuite, le développement de relations entre l’activité d’autoconsommation collective de la SAS SerenyCalas, qui assure le rôle de PMO, et les membres actifs de l’opération.
2.1. Les caractéristiques techniques du projet
31Le projet de SerenyCalas est un prototype du concept de « circuit-court » mis en avant par SerenySun. Lancé en novembre 2021, il reflète bien le positionnement de la « société mère ». Il est public-privé et donne lieu à la création d’une structure, SerenyCalas, une SAS sans salarié qui fait office de PMO.
32Pour ce faire, la SAS contractualise avec SerenySun, qui assure, pour son compte, les opérations élémentaires de la PMO, en qualité de prestataire de services. Il est intéressant de noter une grande porosité entre SerenySun et SerenyCalas. Ainsi, deux des quatre salariés « fondateurs » de la première (en avril 2022) sont actionnaires de la seconde, voire autoconsommateurs eux-mêmes car habitant sur le domaine de Calas, d’où est parti le projet. Ceci étant, en 2022, les autoconsommateurs ne résident pas nécessairement dans le domaine. On en trouve aussi dans des lotissements connexes et, à l’avenir, cette extension va continuer dans le périmètre de 2 km autour de la première centrale de production.
33L’opération repose, dans ses projections, sur une installation photovoltaïque d’une puissance installée de 766kWc, soit une production d’environ 1000 MWh/ an. Elle prend naissance à l’initiative de Donald François, futur fondateur de SerenySun, qui a l’idée de fédérer des habitants du lotissement où il habite pour mettre en place une opération d’ACCE sur le modèle du circuit court :
« 2018, Donald veut créer SerenySun, il a une idée, on se croise, on en parle et un certain nombre de personnes qui habitent le domaine sont convaincues que c’est une très bonne idée de créer ce collectif, c’est-à-dire des personnes qui se rassemblent pour la transition énergétique » (un membre du projet de SerenyCalas).
34Faisant partie du conseil syndical du lotissement, M. François peut parler de son projet à d’autres membres qui, progressivement, acceptent cette idée. Beaucoup de personnes peuvent également jouer un rôle de conseil pour d’autres habitants, par effet de « bouche-à-oreille » :
« Donc un petit groupe s’est formé autour de Donald pour dire : « nous, on est prêt à y aller ». Dans ce petit groupe, il y avait des leaders comme X. (…) Donc on se dit qu’il faut aller vers les gens, qu’il faut leur présenter le projet, qu’il faut en parler. D’où un certain nombre de réunions pour partager, voir si on arrivait à créer ce collectif. Cela a été positif. Nous avons pu créer ce collectif. À partir de là, nous avons réfléchi sur « comment faire ? »» (un membre du projet de SerenyCalas).
35Au départ est envisagée l’idée d’équiper en installations photovoltaïques (PV) les maisons du lotissement qui seraient volontaires. Mais, finalement, une opportunité se dessine avec la proximité d’un groupe scolaire. L’objectif devient alors de le doter de panneaux PV à partir desquels pourra être soutirée de l’électricité consommée par les membres du lotissement.
36Entre juillet et août 2021, en période de vacances scolaires, la première phase de réalisation consiste en la mise en place d’une centrale de production photovoltaïque (environ 700 panneaux solaires d’une surface de 1200 m2, 230 kWc) sur le toit du groupe scolaire de la zone d’aménagement concertée du « Petit Lac » à Cabriès. Trois bâtiments sont pourvus de panneaux : la maternelle, l’école élémentaire et la cantine. À la demande de l’architecte des bâtiments de France, un soin particulier est accordé à l’esthétique : il s’agit de ne pas rendre l’installation trop visible. Les habitants sont en effet très sensibles à cet aspect. Le raccordement au réseau public de distribution est effectué en novembre 2021, coïncidant avec l’inauguration officielle de la centrale. L’installation est réalisée par une société tiers pour le compte de SerenyCalas, propriétaire de l’équipement.
37Entre novembre 2021 et février 2022, la production de cette centrale est exclusivement destinée à la consommation de l’école, en autoconsommation individuelle. La signature de la convention d’autoconsommation collective avec Enedis, en janvier 2022, permet le lancement effectif de l’opération d’ACCE en février 2022.
38Le responsable d’équilibre est la société Hydronext. La clef de répartition choisie est dynamique.
39L’ACCE développée s’inscrit, de manière « classique », dans un périmètre de 2 km autour du groupe scolaire (image n° 2).
Image n° 1. La centrale du groupe scolaire du Petit Lac

(©Petillot)
Image n° 2. Le périmètre de l’opération de SerenyCalas

(©SerenySun)
40À date d’écriture de cette monographie, les consommateurs se situant dans les quartiers suivants sont éligibles à intégrer l’opération d’ACCE : Le Domaine de Calas, Les Pradelles, Chamfleury, Le Petit Lac, Les Genêts, L’éclair, Le clos de l’Auberge, le village de Calas et l’avenue Jean Moulin.
Image n° 3. Quelques futurs nouveaux sites de production de l’opération SerenyCalas



(©SerenySun)
41La recherche d’autres lieux de production est en cours d’étude. Les cibles identifiées sont notamment les toits d’une salle polyvalente privée (club house) et d’une autre école, toujours dans le rayon de 2 km initial (image n° 3). L’enjeu est de faire jouer la complémentarité entre les sites de consommation, ce que permettrait cette diversité d’usages et de profils. Par exemple, le club house de la piscine du lotissement est surtout utilisé l’été, au moment où l’école ne consomme rien. Il sert aussi aux réunions du conseil syndical. Il peut donc être intéressant de connecter ces deux lieux. Le reste de l’année, l’énergie produite sur le club house, qui ne sera pas utilisée pour la piscine, pourra, inversement, être réinjectée pour les usages des autres autoconsommateurs. Les premières études laissent entrevoir un taux d’autoconsommation qui serait alors bien supérieur à 80 %, du fait de cette optimisation et du recours à un « mix » d’acteurs publics et privés.
42Les projections à terme font état de 120 à 150 participants, à la fois riverains, entreprises et collectivités locales. SerenyCalas devrait alors devenir la première opération d’ACCE en France, avec 1 MW de puissance, 1000 MWh de production et un budget d’un million d’euros.
2.2. La SAS SerenyCalas : la structuration juridique d’une communauté d’énergie
43SerenyCalas est une société de projet, sous la forme d’une SAS fondée en décembre 2020, dont le siège social est situé à Cabriès. Son dirigeant est Donald François, président de SerenySun Énergies. Elle a pour activité principale « l’installation et l’exploitation de centrale de production d’énergie renouvelable et la distribution de l’énergie produite, le développement et la promotion des énergies renouvelables, des économies d’énergie et des nouveaux services12 ».
44Son capital social initial est de 1500 €, répartis équitablement entre les trois associés fondateurs, chaque action valant une voix. Il n’est pas prévu d’action de préférence. Au moment de l’étude, le projet comptait une quarantaine d’actionnaires environ.
45Le capital est variable et détermine la gouvernance. SerenyCalas comme Communauté répond à une organisation d’une gouvernance par des collèges d’actionnaires. Les statuts ont été le fruit d’un travail collectif auquel ont participé SerenySun, Énergie Partagée (qui avait déjà ses propres modèles) et le représentant du collège « Citoyens ». Le projet prenant forme durant la période de la COVID-19, les réunions (une petite demi-douzaine) se font alors par visioconférence.
46SerenyCalas est constitué de quatre collèges d’actionnaires, en fonction de leur qualité, dès lors qu’ils souscrivent une action : un collège « Citoyens », composé exclusivement de personnes physiques ; un collège « Collectivités », comprenant des collectivités territoriales et leurs groupements ; un collège « Partenaires », rassemblant des personnes morales de droit privé ; enfin, un collège « Fondateurs », comptant des personnes morales et physiques impliquées lors de la création de la SAS, de son développement et de sa gestion.
47Les collèges ne sont pas représentés dans les mêmes proportions aux Assemblées générales (AG) et au Conseil de gestion (CG). Dans ces deux instances, les décisions sont prises à la majorité absolue des voix pondérées.
48Au sein des assemblées générales, tous les actionnaires sont représentés. Dans les statuts, les membres fondateurs possèdent 50 % du capital total, contre 40 % pour les « Citoyens », 5 % pour les « Collectivités » et 5 % pour les « Partenaires ». Le collège « Collectivités » n’étant pas représenté en 2022, le collège « Citoyens » s’est vu octroyer 5 % de représentation supplémentaire, portant ainsi sa participation à 45 %.
49Proche d’un conseil de surveillance de grande entreprise, le conseil de gestion (CG) est chargé de prendre des décisions de gestion courante. La représentation est déconnectée du nombre de parts. Le conseil est composé au minimum de trois administrateurs, au maximum de huit, et il gère la société SerenyCalas. Il est actuellement présidé par SerenySun, représentée par Donald François. Les administrateurs sont élus à bulletin secret lors de l’AG, parmi tous les collèges. En 2022, seul le collège « Collectivités » n’est pas représenté, ce qui porte la part des collèges « Fondateurs », « Citoyens » et « Partenaires » à 33 % chacun. Comme pour l’AG, les droits de votes sont toutefois pondérés à la faveur du collège « Fondateurs », qui se voit octroyer 50 % des voix, contre 45 % pour les « Citoyens » (compte tenu de l’absence des « Collectivités », la part prévue étant initialement de 40 %) et 5 % pour les « Partenaires ».
50Le montage de la gouvernance a été fait de telle sorte qu’aucun individu ni collège ne peut être seul décideur dans chacune des instances. Il faut être au moins deux, ce qui permet, selon les porteurs du projet, d’avoir une forme d’équilibre permettant une pluralité de points de vue, sans pour autant bloquer les décisions.
51La représentation plus importante des « Fondateurs », c’est-à-dire des associés de SerenySun, est justifiée par deux principaux arguments.
52Le premier est le fait que les citoyens ne souhaitent pas vraiment s’impliquer dans la gouvernance :
« En fait, les gens, quand ils viennent là, ils veulent pas s’embêter. Donc ils veulent pas gérer le sujet mais ils veulent être informés. Donc ils veulent, ils font un acte citoyen en tant qu’autoconsommateurs et un acte citoyen en tant qu’investisseurs, parce qu’ils veulent qu’il y ait une rentabilité minimale, qui n’est pas assurée. Donc ils prennent un risque mais ils ont l’impression de faire quelque chose pour la planète. Donc c’est ça qui est intéressant » (un membre de SerenySun).
« Ils ne posent même pas de questions sur les statuts. Ils disent : « je vais prendre des actions ». Seulement après, on va leur parler des statuts. On va leur dire, il y a une AG, il faut venir à l’AG. « Qu’est-ce qui se passe à l’AG ? » « Tiens, lis les statuts, c’est 7-8 pages. Plutôt que je te les explique, lis-les ». Mais c’est vraiment après. Les gens ne s’intéressent pas à « Mes droits de vote », etc. Ils ne viennent pas pour ça. Ils viennent pour participer à un projet qui leur parle, dans lequel ils sentent qu’ils ont une raison d’être, que ça a du sens pour eux : « si le projet a du sens, je deviens actionnaire » ou « le projet a du sens donc je deviens consommateur »» (un membre du projet SerenyCalas).
53Le second argument renvoie aux relations de confiance qui se sont instaurées avec les membres fondateurs de SerenySun :
« Les actionnaires, comme ils ne sont pas à l’origine du projet, on les tient au courant, on est assez proche d’eux parce qu’on en connaît beaucoup. Mais ce sont des gens qui font confiance entièrement à SerenySun pour développer ce projet-là et qui se laissent un petit peu porter. Après, on est très en relation avec X, qui lui, par contre, représente le collège “Citoyens” et qui, du coup, est toujours informé de nos démarches » (un membre du projet SerenySun).
« C’est vraiment l’enjeu d’un codéveloppement pour nous : c’est que… on laisse à celui qui sait gérer le mieux le soin de travailler les sujets, de faire des propositions qui sont soumises à la gouvernance partagée. Et on fait pas tout ensemble, en fait » (un membre partenaire).
54La structuration de la SAS SerenyCalas est indépendante de l’opération d’autoconsommation collective. L’autoconsommation collective est considérée comme une activité, parmi d’autres à l’avenir, de la Communauté. En ce sens, l’éligibilité à la qualité d’actionnaire n’est liée ni au statut de consommateur ou de producteur de l’opération d’ACCE ni au périmètre géographique de celle-ci. On trouve en effet dans ce projet quelques cas d’actionnaires situés en-dehors de l’opération.
55L’absence de représentation des autoconsommateurs non-actionnaires dans SerenyCalas n’est pas identifiée comme un enjeu :
« Je ne suis pas demandeur, non du tout, non non » (un membre du projet SerenyCalas).
« Et l’engagement n’est pas le même. Quand on est actionnaire, on prend des parts, on s’engage pour une certaine durée. Quand on est autoconsommateur, on consomme, on peut repartir quand on veut. C’est un service. Mais c’est vrai que c’est militant, d’une certaine manière, de consommer cette énergie verte. On leur explique qu’en consommant cette énergie verte, ils participent à développer un modèle vertueux » (un membre du projet SerenySun).
56Ce faisant, SerenyCalas ressemble plus à un fournisseur classique (dans lequel la représentation des clients n’existe pas formellement) qu’à une structure de type citoyenne, où cette question serait peut-être davantage inscrite dans le mode de fonctionnement officiel.
57Toutefois, cette absence peut être amenée à évoluer :
« J’ai pas (…) cette vision-là de comment va être assurée la représentation des consommateurs dans la gouvernance de, de SerenyCalas. Donc c’est effectivement un point de vigilance fort, (…) à traiter (…), parce que, même s’il y a pas de signaux faibles aujourd’hui, ça peut, ça peut un jour être un sujet » (un partenaire du projet).
« Aujourd’hui, on n’a pas pensé faire un collectif consommateurs. Mais ça pourrait être une idée. [Le projet de SerenySun] c’est effectivement d’animer ces communautés et de bien transmettre que la notion d’engagement ne passe pas forcément par un actionnariat, dans le sens « sociétaire » du terme, mais qu’on peut être partie prenante » (un membre du projet SerenyCalas).
58En tout état de cause, cette spécificité n’est pas identifiée comme un frein à l’ACCE, dès lors que les actionnaires ne disposent pas de droit à autoconsommer supplémentaire. La détention de parts et la clef de répartition sont deux éléments dissociés puisque SerenyCalas est envisagée comme une communauté d’énergie, la PMO de l’ACCE étant son activité principale, pour l’heure, ce qui a permis de fédérer les personnes autour d’un projet collectif :
« On a toujours été clair. Effectivement, je me rappelle de personnes qui avaient posé des questions. Elles les avaient posées dans le sens : « puisque je suis actionnaire, je vais être prioritaire ». Et on leur avait bien expliqué que non. Enfin, il y aurait de fortes chances qu’ils soient consommateurs mais ce n’était pas corrélé » (un membre du projet SerenyCalas).
59Cette dichotomie entre l’investissement au capital et le statut d’autoconsommateur est présentée comme étant consubstantielle au pilier « social » défendu par SerenySun, certains participants n’ayant pas les ressources suffisantes pour accéder à l’opération sinon.
3. La SAS SerenyCalas, PMO de l’autoconsommation collective
3.1. Relations Communauté/ACCE
60Du point de vue de SerenyCalas, l’ACCE est l’une des activités de la structure se désignant comme une communauté (figure n° 26).
Figure n° 26. Schéma relationnel de l’opération d’ACCE

3.2. L’organisation contractuelle et spatiale de l’ACCE
61SerenyCalas est à la fois PMO et propriétaire de la centrale de production d’électricité photovoltaïque consommée par les membres de l’opération. Elle est titulaire de la convention d’autoconsommation collective conclue avec le gestionnaire du réseau de distribution (Enedis) et assure l’activité de vente et de revente de l’électricité auprès des autoconsommateurs. En revanche, elle n’est pas désignée comme la productrice dans ce document. Dans le même temps, la commune, propriétaire des bâtiments du groupe scolaire sur lequel est installée la centrale, n’est pas membre de l’opération d’ACCE. Il s’agit de l’une des applications possibles des dispositions en tiers investissement. Le schéma de la figure n° 27 permet de repérer le rôle respectif de chacune des parties prenantes.
Figure n° 27. Schéma organisationnel de l’opération d’ACCE

62Le schéma des flux physiques et contractuels de la production est décrit dans la figure n° 28.
Figure n° 28. Schéma de la répartition des flux physiques et contractuels d’électricité

63Du point de vue du réseau, en avril 2022, il y a donc un producteur (le point de livraison (PDL) du groupe scolaire) et 40 PDL autoconsommateurs. En septembre 2022, on trouve toujours un seul producteur (le groupe scolaire) et 56 PDL autoconsommateurs, dont un PDL est attaché à une activité commerciale. Ainsi, en 5 mois, les porteurs du projet ont su mobiliser plus d’un quart de participants supplémentaires, ce qui montre l’attractivité du projet. Ce chiffre pourrait atteindre 80 autoconsommateurs selon les projections.
64D’un point de vue contractuel et organisationnel, l’électricité consommée dans le cadre de l’opération d’ACCE est cédée gratuitement par le groupe scolaire, après ACI, à la SAS SerenyCalas, qui en assure la facturation entre les sites autoconsommateurs.
3.3. Les caractéristiques économiques du projet
3.3.1. Investissement
65Le coût d’investissement total de cette opération, lorsque tous les sites de production auront été équipés, sera de 1110000 € HT13.
66Des emprunts ont été souscrits à hauteur de 480000 € (bancaire pour 400000 €, soutien du Fonds européen d’investissement (FEI) à hauteur de 80000 €). Des apports en compte courant d’associés sont également au cœur du modèle économique. Les parts initiales s’élèvent à 71000 € pour SerenySun Énergies et à 480000 € pour Énergie Partagée Investissements, au titre de l’avance sur travaux, avant la dette bancaire. À cela il convient d’ajouter les fonds propres liés à l’actionnariat, chaque part ayant une valeur nominale de 500 €. Il a pu être question, initialement, de fixer un montant bien inférieur. Un euro a pu être évoqué. Sur ce point, SerenySun était confrontée au fait que proposer des actions d’un montant peu élevé engendre des coûts de gestion plus importants. Et, comme le degré de consentement des habitants semblait élevé, il a été décidé de s’aligner sur un niveau plus élevé. Le montant de 500 € a été rapproché du coût d’investissement dans un panneau photovoltaïque. Dans la communication vis-à-vis des personnes intéressées a été même avancée l’idée que les participants auraient pu aller jusqu’à 2000 ou 2500 €, somme correspondant à ce qu’ils auraient dû acheter pour leur autoconsommation (image n° 4) :
« On fixe un montant avec un prix d’action. Le prix d’action, c’est 1 euro. C’est symbolique. (…) Je voulais que ce soient des gens, s’ils mettaient une certaine somme… pour montrer qu’ils étaient vraiment… qu’ils s’investissaient réellement. Et pourquoi 500 ? Parce qu’à un moment donné, le panneau valait 500 euros mais c’était à peu près le prix d’un panneau. Donc on disait : « vous venez, vous mettez un panneau. » C’était du concret. (…) Très souvent en fait, la majorité de leurs actionnaires sont allés bien au-delà. Ils vont aller autour des 2500 euros qui étaient attendus et qui était d’ailleurs une offre qui se voulait assez… assez intégrée au sens où, ils vous l’ont dit, les 2500 euros, ça correspond de manière un peu fictionnelle à ce que serait leur consommation réelle, ce qui serait le productible, l’investissement non productible qui correspondrait aux 20 % d’autoconsommation » (un membre du projet SerenyCalas).
67Un dernier argument avancé a été que demander une somme de ce type favorisait une plus grande implication des actionnaires dans le projet, ce qui aurait été moins le cas, selon certains, avec une somme inférieure. Au dire des interviewés, le financement citoyen s’élève à l’été 2022 à près de 90000 €.
68Le projet a obtenu deux subventions régionales (Smart PV 2.0 et 3.0), considérées comme indispensables car permettant le financement des études de faisabilité et la constitution de fonds propres. Elles s’élèvent respectivement à 34000 € euros (pour la partie études) et 200000 € (pour la partie installation). Sans un tel niveau de subvention, de l’avis des fondateurs, le projet n’aurait pas été économiquement viable. Pour autant, l’idée de SerenySun est de développer, à terme, des projets qui pourront se passer de subventions locales, notamment pour les opérations d’une puissance de 1 MW, qu’ils visent, et qui peuvent être soutenues via les appels d’offres de la CRE, à condition d’avoir des taux d’ACCE supérieurs à 50 %.
Image n° 4. Document présentant la participation au projet SerenyCalas

69Actuellement, la politique d’actionnariat est la suivante. L’idée est de pouvoir assurer un retour sur investissement de 2 % sur 20 ans et de 6 à 7 % sur 30 ans (les panneaux étant alors amortis). Aucun versement dans les 5 premières années n’est prévu, aucun bénéfice n’étant réalisé selon le business plan. Ensuite, les options sont encore ouvertes. Une voie consisterait à verser des dividendes, tout en sachant que le montant annuel peut être faible. Par exemple, verser 2 % sur une action de 500 € aboutirait à 10 euros ou plutôt 5 € en fin de compte (après les taxes), ce qui est jugé insuffisant. L’idée pourrait être sinon de valoriser les actions à hauteur de 510 €, sachant que les frais de versement des dividendes apparaissent aussi, dans ce cas, comme un facteur bloquant. Une dernière idée serait d’offrir une plus grande place au financement par le compte courant d’associé, ouvert aux citoyens actionnaires, et ce notamment en vue de ne pas exclure du bénéfice indirect les autoconsommateurs non-actionnaires :
« La valeur que génère le projet ne part pas dans la poche des actionnaires, même si ces actionnaires en partie sont des citoyens et des outils citoyens comme Énergie partagée. L’idée, c’est de trouver un équilibre entre l’actionnariat et la partie offre tarifaire pour les consommateurs, pour que ce ne soit pas au détriment de l’un ou l’autre » (un membre du projet SerenyCalas).
70Il s’agit également de ne pas créer de dissymétrie entre les actionnaires.
3.3.2. Formule de l’offre d’autoconsommation
71L’offre d’autoconsommation est matérialisée dans un contrat mixte composé d’une adhésion forfaitaire de 36 € TTC et d’un tarif en fonction de la consommation d’électricité « verte ».
72Les frais d’adhésion visent à couvrir les coûts relatifs à l’inclusion du consommateur dans l’opération, sans lien avec un accès à la gouvernance. L’offre est entièrement dématérialisée. L’autoconsommateur « commerçant », qui a rejoint le projet à la fin de l’été 2022, n’a pas bénéficié de conditions spécifiques14.
73La prise en charge et la facturation des autoconsommateurs se déroulent suivant trois étapes. Lors de la mise en service, une adhésion forfaitaire de 36 € TTC est versée ainsi qu’un acompte proratisé correspondant à la consommation estimée entre la date de début de participation à l’opération et la fin du semestre en cours. En janvier de chaque année, une régularisation est effectuée, calculée à partir de la consommation réelle de l’ensemble de l’année précédente, après déduction des acomptes versés. L’autoconsommateur doit aussi s’acquitter d’un acompte couvrant la période de janvier à juin. Enfin, en juillet de chaque année, un dernier acompte est réglé, qui comprend la période de juillet à décembre.
74Le prix de l’électricité autoconsommée collectivement est indexé sur les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), les porteurs de projet s’engageant à un tarif 10 % moins cher que les tarifs pour la part énergie, soit, après ajout de la part réseau (TURPE), moins 5 %.
75En fin de compte, chaque autoconsommateur reçoit deux documents. Le premier est une facture de son fournisseur historique, lequel devra répercuter la part autoconsommée mensuellement. Le second est un « bilan mensuel » adressé par SerenyCalas, à l’exemple de l’image n° 5.
Image n° 5. Exemple d’un bilan mensuel de consommation envoyé par SerenyCalas aux autoconsommateurs

76SerenyCalas a reçu une proposition d’un fournisseur alternatif pour intégrer les deux factures en une seule, qui serait émise par lui. Mais l’offre a été déclinée. Ce refus peut s’expliquer de deux manières. La première raison est le risque d’une « invisibilisation » potentielle de SerenyCalas (et, par extension, de SerenySun) dans un tel cas de figure, avec une perte potentielle de relation avec les autoconsommateurs. La seconde est que SerenySun souhaite s’assurer que le fournisseur alternatif soit vraiment en phase avec les valeurs défendues par la société. Pour le moment, aucune action n’a été entreprise, les autoconsommateurs n’ayant pas fait remonter de difficultés particulières.
77La forme de rémunération de SerenySun sur le projet de Calas reflète ce caractère très intégrateur. L’entreprise se paie tout d’abord sur les CAPEX de l’opérateur, puisque c’est elle qui est propriétaire des panneaux photovoltaïque, puis sur des OPEX tout au long de l’opération, permettant ensuite de rémunérer les équipes assurant la gestion de l’opération (lien avec les autoconsommateurs, bilan mensuel, adhésion etc.).
4. Un modèle proche de la « cité des développeurs »
78Le projet SerenyCalas reste, dans son esprit, assez proche de la « cité des développeurs » que nous avons identifiée dans cette recherche (cf. partie I). Trois éléments permettent de mieux comprendre une telle proximité.
4.1. Le profil professionnel des fondateurs de SerenySun/SerenyCalas
79Le premier renvoie au profil des personnes qui sont à l’origine du projet de SerenyCalas. Bien que soutenu par un collectif de citoyens, ce dernier doit beaucoup, on l’a vu, aux membres fondateurs de SerenySun que sont Donald François, Alice Gaubert et Patrice Gérardin, qui l’ont porté sur les fonts baptismaux. Leur profil professionnel marque assez fortement encore le projet, dans son identité.
80Donald François a travaillé pendant longtemps au Canada dans le monde du conseil (en management et en organisation). Avant de fonder SerenySun, il a été directeur d’une agence de marketing digital. Alice Gaubert a quant à elle œuvré dans le marketing et la communication, notamment dans le secteur de la mode. Travaillant pour SerenySun d’abord comme autoentrepreneure, elle en devient ensuite l’une des salariés. Patrice Gérardin, qui rejoint un peu plus tardivement l’équipe et le projet, est quant à lui issu du secteur de l’énergie (carrière à EDF et à RTE, notamment à l’international).
81Ces trois personnes, qui sont à la fois à l’origine de SerenySun et de SerenyCalas, apportent une « touche » très « entrepreneuriale » au projet, que l’on ne retrouve pas toujours dans d’autres opérations d’ACCE. Elle se ressent dans les termes utilisés, peu fréquents dans la bouche d’autres porteurs de projets d’ACCE : « on est multi-acteurs, on n’est pas BtoC, BtoB » ; « on optimise finalement le territoire » ; « business plan » ; « désincitation » ; « signal prix » ; « incentiver les comportements » ; « benchmark » ; « on est vraiment dans le principe du business de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération » ; « société d’intermédiation ».
4.2. Les actionnaires : des personnes acculturées aux problématiques d’entreprise
82Cette proximité avec le « modèle des développeurs » se retrouve dans la composition des actionnaires, autre élément essentiel de la gouvernance et de l’identité du projet. Nous ne disposons que d’informations lacunaires sur ce type d’acteurs, n’ayant pu en rencontrer que quelques-uns. Mais, au dire de quelques interlocuteurs, les actionnaires sont principalement des cadres supérieurs, plutôt « techniques » que « gestion », et des autoentrepreneurs. Ils sont donc tout à fait habitués au langage et aux problématiques du monde de l’entreprise.
83Par ailleurs, la communication mise en œuvre pour le recrutement de nouveaux actionnaires, autoconsommateurs ou non, mobilise une sémantique très « entrepreneuriale », liant l’investissement à l’action concrète.
4.3. Des choix de gouvernance visant à l’efficacité des décisions
84On retrouve enfin cette spécificité dans les choix de gouvernance qui ont été arrêtés. Ceux-ci essaient de concilier logiques de délibération ouverte et d’efficacité dans la prise de décision, la crainte étant d’éviter des blocages qui viendraient ralentir voire compromettre le projet. On le voit en particulier dans la composition du conseil de gestion, organe complémentaire à l’assemblée générale, qui fait figure de conseil de surveillance. Il est composé de trois personnes : un membre de SerenySun, le représentant du collège des citoyens et un représentant d’Énergie Partagée Investissement.
85Ce conseil de gestion atteste, dans le fonctionnement « quotidien » du projet, la prégnance d’une forte rationalité économique. L’organe est ainsi chargé de prendre les décisions relatives, notamment, à l’autorisation du remboursement anticipé des actions, à la fixation du montant, de la rémunération et du remboursement des comptes courants d’associés, à la mise en œuvre des pouvoirs spécifiques au président de la SAS (décider d’investissements supérieurs à un montant plafond fixé dans le règlement intérieur, céder des éléments d’actifs d’une valeur supérieure à un montant plafond fixé dans le règlement intérieur, décider de dépenses dans le cadre de l’exploitation supérieures à un montant plafond fixé dans le règlement intérieur, prendre l’initiative de tout procès ou transaction de quelque nature que ce soit, conclure toute convention d’emprunt avec les organismes bancaires pour un montant supérieur à un plafond fixé dans le règlement intérieur). Ainsi, sans perdre de vue les finalités écologiques et sociales qui sont les siennes, le projet sait aussi « embarquer » des modes de fonctionnement issus du monde de l’entreprise, ce qui le distingue d’autres types d’opérations d’ACCE.
5. Constituer et fédérer un ensemble d’acteurs hétérogènes
86Le projet SerenyCalas n’a pas émergé « naturellement », à partir de l’idée de son fondateur. Rétrospectivement, il apparaît comme un agencement stabilisé d’éléments fédérant plusieurs types d’acteurs à même de le faire advenir et progresser. Même si le contexte est totalement différent (électrification du territoire achevée, interconnexion totale des réseaux, sophistication des modes de gestion de la production-consommation d’électricité), ce processus n’est pas sans rappeler ce que furent les actions des pionniers de l’électrification, lorsque le montage des premiers projets, qui liaient fortement production et consommation à une petite échelle, nécessitait, lui aussi, de réussir à mobiliser divers protagonistes.
87L’opération se distingue de la plupart des autres initiatives d’autoconsommation collective que nous avons étudiées dans le sens où elle mélange des acteurs publics (la commune, via la mise à disposition de la toiture de l’école) et privés (des habitants du lotissement de Calas puis d’autres quartiers, des actionnaires non liés géographiquement à la commune). Ce faisant, contrairement à des projets d’ACCE de type patrimonial, où il existe une unité de décision et d’action, elle nécessite de bâtir une relation de confiance permettant de relier les attentes et intérêts des différents acteurs. Ce point, bien mis en évidence dans la littérature sur les agencements sociotechniques, fortement représentée dans les travaux sur les communautés énergétiques (Debizet, Tabourdeau, Gauthier, Menanteau, 2016 ; Aubert, 2020), doit être bien mis en évidence pour se prémunir d’une vision qui serait trop « mécanique », estimant que les incitations économiques, notamment de type tarifaire, sont des conditions nécessaires et suffisantes au développement des opérations d’ACCE. Si ces facteurs sont importants, et ont été mis en évidence dans la première partie, cette étude de cas met en lumière une autre dimension, essentielle : la capacité des porteurs du projet à créer une relation durable entre une pluralité de parties prenantes.
88Il ne faut pas perdre de vue que l’acteur clé du projet est SerenySun. C’est bien de cette société qu’émane la dynamique de l’opération, ce qui se retrouve dans son souci de « maîtriser » le montage initial, afin de constituer un collectif solide et pérenne, gage d’une initiative réussie. Ceci est rendu encore plus nécessaire par le fait qu’en tant qu’acteur à l’origine du projet, SerenySun doit assumer une bonne partie des risques associés. Aussi fait-elle montre d’une double posture : à la fois de fermeté sur certains choix (par exemple être majoritaire dans la gouvernance) et de souplesse (s’ouvrir vers d’autres d’acteurs). C’est autour de ce savant dosage que peut se monter l’opération.
89Au regard d’autres types d’ACCE, le système d’acteurs à mobiliser apparaît très complexe, comme le suggère la figure n° 29. Nous nous proposons de présenter la constitution de ce collectif de manière analytique, en commençant par les citoyens à l’initiative du projet pour aller vers d’autres parties prenantes concernées (collectivité locale, financiers, etc.). Ce mode de présentation ne doit pas être appréhendé de manière ni « linéaire » ni « séquentielle » ni « cloisonnée ». Les groupes d’acteurs que nous allons évoquer sont associés progressivement et souvent en même temps. Leur mobilisation doit donc être considérée de manière dynamique et systémique : s’ils sont présents très tôt dans le projet, les habitants ne sont pas encore tous présents et leur association ne peut que bénéficier de l’arrivée d’autres acteurs, tels que les collectivités territoriales ou les partenaires qui, de leur côté, sont d’autant plus actifs qu’ils savent les autres groupes d’acteurs impliqués. L’opération avance ainsi par effet de « boule de neige ».
Figure n° 29 Le système d’acteurs de l’opération SerenyCalas

5.1. Amorcer le projet : le « premier cercle » des autoconsommateurs et/ou actionnaires
90Pour réussir, le projet doit tout d’abord arriver à fédérer un nombre initial suffisant d’autoconsommateurs et/ou d’actionnaires. Pour ce faire, Donald François sait s’appuyer sur un collectif déjà en partie constitué mais qu’il arrive à « activer » autour de son initiative : le lotissement de Calas. Il en est un habitant et est membre de son conseil syndical. Il arrive, par le biais de cette instance et par d’autres voies (interconnaissances de voisinage), à constituer un groupe suffisant pour pouvoir démarrer et être crédible vis-à-vis des autres interlocuteurs.
91Ce collectif continue à évoluer (et évoluera encore) par la suite, au fur et à mesure que le projet gagne en maturité et visibilité (cf. autoconsommateurs et/ou actionnaires du « second cercle », § 5.7.). S’il est question, au départ, d’équiper des maisons en panneaux photovoltaïques, le choix est fait assez rapidement de ne pas solliciter les toitures individuelles mais, dans un avenir proche, certaines toitures collectives (club house), une fois quelques réticences levées. Il faut noter que plusieurs habitations du lotissement sont déjà équipées de panneaux photovoltaïques individuels lorsque le projet démarre. Mais, pour autant, aucune démarche collective environnementale ou climatique n’existe, sur laquelle ce premier collectif pourrait « capitaliser ». Il ne faudrait pas surestimer la facilité avec laquelle ce premier groupe d’acteurs est mobilisé. Plusieurs témoignages attestent un parcours difficile, avec quelques oppositions bien marquées. Mais l’appui d’une partie du conseil syndical du lotissement permet de donner une certaine publicité au projet et de recruter assez aisément, par des relations de proximité, des participants du « premier groupe noyau » (un membre du projet SerenyCalas).
5.2. Conforter le projet : l’arrivée de nouveaux associés
92Ce collectif étant constitué, Donald François sait mobiliser des associés dont la venue permet de conforter le projet. Le recrutement de Patrice Gérardin, fin connaisseur du monde de l’énergie (son profil a été détaillé précédemment), permet de rendre le projet encore plus crédible d’un point de vue technico-économique. Ce nouvel arrivé apporte une grande expertise, qui est un gage de confiance, particulièrement dans le montage économique. Sur un autre plan, l’association d’Alice Gaubert procure des compétences nouvelles sur la communication et le marketing de l’opération, importants pour « visibiliser » le projet (image n° 6).
Image n° 6. Document de communication sur le projet SerenyCalas

5.3. Soutenir financièrement le démarrage du projet : l’appui de la Région
93Nous ne nous attarderons pas outre mesure sur le rôle qu’a pu jouer la Région. Il faut simplement souligner qu’il est essentiel, via son soutien financier initial. Comme nous l’avons indiqué, le projet n’aurait pu émerger sans les subventions accordées par cette collectivité territoriale au titre des programmes Smart PV 2.0 et 3.0 :
« C’est quand même important « non remboursable », c’est-à-dire que cela permet de lancer le projet. Si on n’avait pas eu ça, on n’aurait pas pu faire les études. Parce qu’aller voir un banquier, lui dire « on a fait des études » et nous prêter de l’argent sur des études… Le banquier prête de l’argent sur du concret » (un membre du projet SerenyCalas).
94La Région apporte également son appui dans le cadre du pôle de compétitivité « Cap énergies ». Si cette collectivité est ensuite assez absente du projet, sa présence initiale est essentielle pour lancer une étude de faisabilité, qui apporte aux fondateurs une plus grande crédibilité, d’un point de vue technique mais aussi institutionnel (« reconnaissance » par la Région du caractère innovant et faisable du concept de SerenySun).
5.4. Obtenir du foncier pour l’unité de production : l’apport de la commune
95La commune de Cabriès est un autre acteur important du projet, à plusieurs titres. Tout d’abord, elle fournit la toiture servant de support à la première unité de production. Cette mise à disposition de la couverture de l’école du Petit-Lac, sous forme de convention d’occupation temporaire (COT), permet très tôt de « sécuriser » l’accès à la source de production, ce qui est un enjeu essentiel, tout autant que de conserver un nombre suffisant d’autoconsommateurs.
96L’autre apport de la commune est d’ordre plus « symbolique ». À l’instar de la Région, mais de manière plus importante encore, car locale, elle apporte une certaine crédibilité au projet, de nature institutionnelle. Cela se traduit par un soutien lors de l’organisation de certaines réunions d’information ou dans la revue municipale La Cabre d’or, deux articles ayant été publiés sur l’opération.
97Ceci étant, si on le restitue dans la durée du projet (2018-2022), le rôle de cette collectivité locale a évolué, du fait d’un changement de majorité municipale en 2020, qui modifie quelque peu son implication. À l’origine, la commune devait faire partie des actionnaires de la Communauté, grâce aux opportunités offertes par les évolutions réglementaires15. L’arrivée, au printemps 2020, d’une nouvelle majorité municipale a obligé les porteurs de projet à procéder à des modifications substantielles (concernant les installations de production). Nous y reviendrons. Il est à noter que l’autorité organisatrice de la distribution d’énergie (le syndicat mixte d’énergie du département des Bouches-du-Rhône, SMED 13) n’est pas identifiée – voire connue – comme l’un des acteurs du système énergétique local susceptible d’être mobilisé.
5.5. Raccorder le projet : le rôle d’Enedis
98Enedis, en sa qualité de GRD, est en quelque sorte un partenaire « obligé », le projet ne pouvant être réalisé sans son concours. Il n’en demeure pas moins qu’il joue un rôle important en matière de conseil. En 2018-2019, tous les processus permettant de traiter de manière « fluide » les demandes de projets d’ACCE ne sont pas encore mis en place. Cependant, l’entreprise dispose déjà d’un réseau d’agents disséminés sur l’ensemble du territoire qui, sur les questions spécifiques liées aux innovations dans les usages numériques (réseaux intelligents, smart cities, etc.), peut apporter un soutien spécifique. Tel est le cas pour le projet de SerenyCalas, qui bénéficie d’un appui technique permettant à Donald François, qui ne connaît pas au départ le monde de l’énergie, de s’initier un peu plus encore aux arcanes techniques et économiques sous-tendant le raccordement de sa future opération au réseau public de distribution d’électricité.
99L’expertise d’Enedis se concentre principalement sur l’explication du fonctionnement du réseau, des règles de puissance sur le réseau, d’accompagnement dans le processus de raccordement de la centrale de production, de conclusion de la procédure d’autoconsommation collective etc. Les rencontres sont très régulières. Désormais, Enedis participe toujours à la communication du projet, y trouvant aussi, de son côté, une source de valorisation auprès des autres acteurs du territoire.
5.6. Bénéficier d’un soutien dans l’animation et l’investissement : Énergie Partagée
100Le rôle majeur d’Énergie Partagée doit être enfin mentionné. L’arrivée en 2019 de cette association dans le projet procède, là encore, d’une rencontre interpersonnelle, aiguillée par le financement régional initial. Énergie Partagée partait avec un a priori assez mitigé sur l’intérêt de l’outil ACCE, en raison de la réputation dont il souffrait chez les acteurs de la production décentralisée, notamment en termes de viabilité économique et de gouvernance des projets (entretien avec un acteur du projet). Ce constat fait écho aux analyses que nous avons pu développer dans la partie I sur le peu d’entrain des acteurs de la « cité citoyenne », dont Énergie Partagée, sur ce sujet. Dans le cas de SerenyCalas, c’est par le biais d’une rencontre personnelle que cette réserve peut être levée, par la force de conviction dont sait faire preuve Donald François. Le fait que ce dernier ait déjà pu mobiliser d’autres acteurs (dont la Région, qui a financé l’étude de faisabilité) et qu’il ait su bâtir un modèle économique qui semble très robuste n’est pas totalement étranger à cet intérêt.
101Énergie Partagée (EP) participe à trois principales « briques » de l’opération : au volet animation (via EP-Animation), à l’accompagnement de projet (conseils à caractère « stratégique ») et au volet financier et investissement (via EP-Investissement).
102L’expérience d’Énergie Partagée en matière d’animation territoriale contribue à la mise en visibilité et en crédibilité du projet :
« C’était une communication un peu particulière, effectivement. Ça demande, par contre, de l’énergie parce qu’on a fait beaucoup de réunions d’information. Et, du coup, Énergie Partagée nous a pas mal aidés sur la partie « animation » et nous a donné aussi cette crédibilité, parce que nous n’étions pas connus. Et le fait d’avoir Énergie Partagée qui reconnaisse notre projet comme citoyen – il a été labellisé « projet citoyen » –, cela nous a donné une visibilité intéressante » (un membre de SerenySun).
103L’accompagnement relationnel est également important lors du montage de l’opération, en particulier lorsqu’il faut reconfigurer l’installation de production lors du changement de municipalité. Énergie Partagée, qui a pu être confrontée dans d’autres territoires à ce genre de problématique, joue alors un rôle de conseil à caractère quelque peu stratégique, pour essayer de débloquer la situation et faire avancer le projet.
104Sur le volet financier, Énergie Partagée Investissement (EPI) intervient dans le cadre de la sécurisation du risque de l’emprunt bancaire. Travaillant de façon rapprochée avec la banque NEF, l’association s’intègre comme l’opérateur du prêt relais, couvrant le risque de construction. Sur ce plan, la NEF fait la passerelle avec EPI, sachant que SerenySun avait déjà noué une relation avec Énergie Partagée pour le volet animation.
5.7. Entretenir un « cercle vertueux » : l’arrivée de nouveaux autoconsommateurs
105Pour fonctionner au mieux, le projet nécessite d’instaurer une croissance maîtrisée. Il ne peut se contenter, au regard de son modèle économique, d’en rester à une seule unité de production associée à une quarantaine d’autoconsommateurs particuliers. Afin de maintenir des frais de gestion acceptables, il doit s’étendre progressivement, d’une part vers de nouveaux sites de production, d’autre part vers de nouveaux membres. Cette dynamique doit être cependant maîtrisée, afin de faire en sorte que les nouveaux moyens de production mobilisés trouvent de nouveaux consommateurs, et vice-versa, en jouant notamment sur les économies d’échelle et les effets de foisonnement. On retrouve ici ce que furent, au tournant des 19e et 20e siècles, deux enjeux majeurs du développement d’installations électriques à petite échelle.
106Le collectif doit s’étoffer et aboutir au recrutement d’autoconsommateurs et/ ou actionnaires que nous appellerons « de second cercle », non pas que leur rôle soit moins important mais parce qu’ils arrivent une fois la dynamique initiale enclenchée. S’opère, sur ce plan, un travail que l’on pourrait qualifier d’« ingénierie relationnelle » avec les habitants du lotissement et ceux d’autres quartiers proches, reposant sur des actions de communication et sur l’activation de liens de proximité. Ainsi, après que des études de faisabilité ont été réalisées pour identifier les pistes de développement, une démarche à caractère marketing est conçue, permettant de communiquer un même imaginaire collectif, comme en témoignent certains supports de communication destinés à s’adresser, en des termes très simples et pédagogiques, à de futurs « prospects » (cf. image n° 6). De même, les reportages réalisés dans certains médias, notamment sur France 3 et sur TF116, confortent la propension à adhérer au projet.
107Le recrutement des autoconsommateurs du « second cercle » (actionnaires ou non) se poursuit selon un réseau de proximité : utilisation des listes de diffusion du comité de quartier, réunions publiques, lettres d’information, liste de diffusion, échanges informels devant l’école notamment, page Facebook etc. :
« Donc on se dit qu’il faut aller vers les gens, qu’il faut leur présenter le projet, qu’il faut en parler. D’où un certain nombre de réunions pour partager, voir si on arrivait à créer ce collectif. Cela a été positif » (un membre du projet SerenyCalas).
108Interviennent également des liens de parenté, qui permettent de recruter de nouvelles personnes ou la commune appartenance à des associations voire des collectifs présents sur le territoire :
« C’est sûr qu’avec Donald, comme on est, comme on est tous les deux actifs, notamment sur la commune, pour ces questions-là, environnementales et d’énergie renouvelable et de baisse des consommations, on s’est rencontré du coup par le biais d’un collectif » (un membre du projet SerenyCalas).
109Dans les deux cas, ce sont des relations de proximité qui permettent de recruter des personnes, par effet de capillarité. Ce vecteur est régulièrement mis en avant comme gage de réussite :
« Avec l’avantage que cette petite communauté, on peut faire venir les gens, discuter sereinement et ça ne va pas être tout de suite : « je suis petit actionnaire contre le gros actionnaire ». Quand on voit les commentaires sur Total, on voit qu’il y a des positions qui sont quand même difficilement conciliables. Je caricature pour bien montrer » (un membre du projet SerenyCalas).
110De même, deux associations présentes sur le territoire communal s’intéressent aux thématiques de transition énergétique et de protection de l’écosystème. Elles ont soutenu le projet, participé à la diffusion de la communication autour lui, ce qui est apparu comme un atout précieux :
« C’était important parce qu’on n’était pas connu. Ce qui est important sur ce genre de projet, c’est d’avoir l’assise de gens qui vous soutiennent. Sinon, quand on arrive avec juste une initiative comme ça, ce n’est pas forcément évident de faire connaître le projet. Ces deux associations ont donc relayé nos communications » (un membre du projet SerenyCalas).
111Enfin des réunions ont également été organisées avec les autres comités de quartiers, permettant à des particuliers résidant en-dehors du lotissement initial de devenir actionnaires et/ou autoconsommateurs.
112Ce travail n’est pas achevé en 2022 et se poursuit, notamment auprès des entreprises du territoire, qui n’ont pas été associées au cours de la première phase. Des commerçants sont intéressés, des contacts avec leur association représentative sont noués, certains ayant mis à disposition leurs factures, pour analyse.
113Un premier consommateur « commerçant » rejoint l’opération en septembre 2022. Son recrutement montre le rôle important « d’ambassadeurs » de certains actionnaires autoconsommateurs, appartenant au premier ou au deuxième cercle d’adhésion au projet :
« X de SerenySun (…) est rentré dans le restaurant et (…) est venu nous expliquer ce projet. Bon, déjà, c’était quelqu’un qui arrivait avec énormément d’enthousiasme, (…) quelqu’un qui croyait en son projet. Ça, c’est vraiment super important. (…) On a beaucoup de gens qui veulent nous vendre des choses toute la journée mais voilà, des gens qui le font avec autant de cœur et d’énergie, ça fait plaisir. Donc le, ben le projet oui, ça nous a tout de suite intéressés. (…) On est resté en contact au début mais après, ben avec voilà les deux ans de fermeture de restrictions sanitaires tout ça, l’économie un petit peu en pause, voilà, ça a pas évolué plus que ça. Ils sont revenus vers nous, (…) moi j’ai filé des contacts à X, je lui ai dit : « voilà, tu peux aller voir untel, untel et untel de, de notre part, leur dire que ça fonctionne très bien chez nous ». Ben voilà, je sais qu’il y a des fois où ça a pris, des fois où ça a pas pris pour x raisons. (…) On a les flyers de chez SerenySun. Après, on est en train de développer aussi une communication avec eux puisqu’on est leur premier commerce. (…) On avait communiqué sur les réseaux par exemple avec ça, sur Facebook et Insta [Instagram] » (un autoconsommateur).
« Je convaincs à l’inscription (rires). Parce qu’ils n’ont pas encore trouvé, je crois qu’ils avaient un objectif de 80 consommateurs… Je pensais que ça allait être facile. Parce que je vous dis, la démarche est très simple et rapide. Et puis, je vois pas quels peuvent être les freins. Il dit, il se met à 5 % en dessous du tarif, voilà. Et pourtant, il a pas encore eu ses 80 consommateurs. (…) Parce que, moi je vous dis, je suis convaincu que de telles installations, c’est ce qu’il faut pour l’avenir. Ça me semble dans la logique de consommation d’énergie le plus local possible, voilà » (un autoconsommateur).
114Tous ces éléments montrent qu’un tel projet d’ACCE non patrimoniale et limitée à quelques acteurs représente un coût de montage considérable, en termes non seulement financiers mais surtout de moyens humains. Cela pose la question de la condition de réplicabilité de l’opération, pour SerenySun et au-delà. Si les tâches de constitution du modèle aux plans techniques (juridique et économique) semblent chronophages, pour le reste (capacité à fédérer, animation, etc.), il s’agit bien de tâches qui nécessitent à chaque fois un travail spécifique, des collectifs constitués ou quasi constitués n’existant pas toujours au préalable.
6. Faire communauté : motivation, gouvernance et nouvelles pratiques
6.1. Les motivations à faire partie de la communauté
115Les motivations à faire partie de la communauté sont diverses mais varient assez peu selon les acteurs, qu’ils soient actionnaires, actionnaires-autoconsommateurs ou autoconsommateurs.
116Sur la base du témoignage de 5 personnes participant à l’opération (autoconsommateurs et/ou actionnaires appelées ci-dessous « membres de l’opération »), nous pouvons lister 5 aspirations à « faire communauté » autour de l’opération d’autoconsommation collective : participer à la transition énergétique pour protéger l’écosystème planétaire et œuvrer positivement en faveur de l’avenir des jeunes générations ; accéder ou faire accéder au bénéfice de l’énergie solaire sans avoir les tracas de la gestion d’une installation individuelle ; faire partie d’un collectif en tant que tel ; soutenir avec un sentiment de fierté une initiative locale ; consommer en proximité.
117L’ordre de présentation choisi ne reflète pas de hiérarchisation explicite mais plutôt un faisceau de motivations qui sont apparues au cours des entretiens.
6.1.1. Participer à la transition énergétique pour protéger l’écosystème planétaire
118La volonté de participer à la mise en œuvre de la transition énergétique, de façon concrète, dans une logique de responsabilité commune mais différenciée, c’est-à-dire d’agir à la hauteur des possibilités que chacun se donne subjectivement, est l’un des éléments moteurs de la participation au projet.
119La transition énergétique est directement associée à la protection de l’écosystème et à l’avenir des nouvelles générations :
« C’est la protection de notre planète donc… donc voilà. Tout ça, c’est quelque chose qui nous a motivés et puis voilà, participer, en fin de compte, c’est très minime, mais on participe quand même au futur de notre planète, à la protection de notre planète. (…) Donc c’est quand même le futur pour nos jeunes, voilà. C’est un futur proche, comme on dit, donc ce qui est assez intéressant, puisqu’on nous le demande en fin de compte, c’est de protéger de plus en plus la planète » (membre de l’opération 1).
« Donc 2018, Donald veut créer SerenySun, il a une idée, on se croise, on en parle et un certain nombre de personnes qui habitent le domaine sont convaincues que c’est une très bonne idée de créer ce collectif, c’est-à-dire des personnes qui se rassemblent pour la transition énergétique » (membre de l’opération 2).
120Ce type de motivation peut, dans certains cas, s’inscrire dans l’idée d’une transmission intergénérationnelle :
« En fait, il y a des profils de gens qui font ça parce qu’ils se sentent concernés directement et des personnes qui sont plus âgées qui se sont dit : « finalement dans 3 ans ou dans 20 ans, quand je récupérerai la rentabilité du projet, je ne serai peut-être plus là, mais, du coup, je vais prendre des parts au nom de mes enfants. C’est donc une démarche que je fais en faveur de mes enfants »» (l’un des porteurs du projet).
121Pour beaucoup, la transition énergétique n’est pas appréhendée comme un grand récit global, quelque peu surplombant, mais dans une logique de « petits gestes » :
« Alors oui, ce qu’on a fait, nous, mais ça aussi, c’est pareil, c’est minime, c’est des petits gestes. Mais, comme on dit, petits gestes ou petits gestes, ça peut être assez important » (membre de l’opération 1).
122Pour certains, le projet s’inscrit dans la continuité de démarches et de pratiques d’économie d’énergie ou de tri des déchets menées à titre individuel et n’ayant pas nécessairement donné lieu à des formes d’engagement plus conséquentes :
« Trier nos déchets, essayer… surtout qu’on en parle beaucoup maintenant avec l’augmentation de l’électricité. Je crois que c’est vraiment le sujet primordial, avec tout ce qui se passe. Donc c’est vrai qu’on essaie de couper le chauffage quand il faut, de ne pas laisser des lumières éclairées, voilà. Si vous voulez, c’est… c’est peut-être du civisme en fin de compte mais c’est très léger. C’est ce que l’on peut faire, nous, mais autrement, adhérer à un projet comme celui-là assez important, non, c’est vraiment le premier projet auquel on adhère » (membre de l’opération 1).
123Certains des autoconsommateurs ont, par exemple, déjà installé des panneaux solaires thermiques pour leurs besoins en chauffage, ce qui leur a permis de réfléchir à leur consommation et vouloir aller plus loin encore avec l’autoconsommation collective. D’autres ont déjà contracté avec des fournisseurs d’électricité « verte », de type Enercoop. On retrouve même parfois des personnes qui sont impliquées professionnellement sur ces questions.
124Il semble bien, de l’avis de plusieurs interlocuteurs, que la nature du projet ait plutôt attiré des personnes déjà sensibilisées à la cause environnementale et qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans une démarche militante :
« Il y a de tout mais l’engagement de ce groupe n’est absolument pas… les gens ne s’engagent pas pour des raisons militantes ou politiques. C’est vraiment parce qu’on a envie de participer à ce projet. Après, chacun y vient, il a son histoire mais il n’apporte pas son histoire » (membre de l’opération 2).
125Les projets de type SerenyCalas peuvent aussi permettre, selon certains, de favoriser une meilleure acceptabilité sociale des EnR :
« Nous avons la conviction que le regard des gens vis-à-vis des panneaux solaires va évoluer et que les jeunes, de plus en plus, ça leur paraît naturel de voir des panneaux solaires partout. De notre génération, il y a peut-être des gens qui sont encore un peu réticents mais, progressivement, on va se rendre compte qu’on ne trouve pas forcément ça moche. Je pense que c’est un changement de mentalité qui va arriver très certainement » (membre de l’opération 3).
6.1.2. Bénéficier de l’énergie solaire sans les tracas de la gestion d’une installation individuelle
126Une autre motivation qui ressort des entretiens est le fait que la solution proposée permet aux autoconsommateurs de pouvoir bénéficier de l’autoconsommation collective sans avoir à subir les inconvénients d’une installation de production individuelle (gestion des pannes, etc.) :
« Mais ça, et surtout aussi, c’est que je n’avais pas d’équipement à mettre chez moi. C’est-à-dire que c’est SerenyCalas en fin de compte qui s’occupait de tout. C’est eux qui ont les… les panneaux solaires. Moi, j’ai pas d’investissement, ça ne me revient à rien du tout en fin de compte. C’est-à-dire que je vais bénéficier d’une énergie verte mais sans investir derrière. Donc le coût est vraiment moindre pour moi » (membre de l’opération 1).
« C’est-à-dire que chacun peut mettre des panneaux sur ses toits. En général, quand on fait ça, on le fait à petite dimension, juste pour sa maison et on reçoit le coût. Déjà, le taux de consommation, c’est très récent parce qu’avant, on ne pouvait pas, il fallait tout revendre. Et puis, il faut le faire soi-même, même si on est remboursé, soi-disant, quand on discute avec des voisins, ce n’est pas aussi [simple] que ce que nous racontent les commerciaux qui passent pour nous vendre le projet. (…) Parce qu’il y avait des voisins qui avaient des retours pas très positifs et puis il y a des voisins où ça se passe très bien » (membre de l’opération 2).
« J’avoue que je m’interrogeais à en mettre [des panneaux photovoltaïques] et le fait que ça se passe sur le toit de l’école, je me suis dit, comme ça, je n’ai pas à le gérer, par exemple, des maisons qui sont un petit peu anciennes, je me disais que, comme ça, je n’aurais pas de souci d’étanchéité, de toiture, etc. Le fait de le faire sur une structure extérieure, je trouvais ça d’autant plus intéressant » (membre de l’opération 3).
« Après, le risque est pas, il y a pas… Ils nous proposaient d’être autoconsommateurs donc moi, oui, j’ai dit tout de suite que j’étais volontaire. Après, justement, l’intérêt comme ça, c’est SerenyCalas qui portait tout le montage du projet. Donc d’un point de vue d’autoconsommateur, il y a pas de risque particulier. Ils nous demandaient pas de mettre un investissement ou autre, en tant qu’autoconsommateur » (membre de l’opération 4).
127D’ailleurs, a contrario, il nous est rapporté que les inquiétudes relatives à l’installation d’une nouvelle centrale de production sur le club house, bâtiment dont les charges sont collectives, se concentraient en large part sur ces aspects :
« Il y avait des gens peut-être entre 55 et 75 ans qui y étaient opposés. Alors, je pourrais pas vous dire pourquoi réellement. Est-ce que c’est la peur du nouveau ? Est-ce qu’ils ont pas compris le projet ? Est-ce que… parce que s’il y avait des réparations… alors là, je vous parle juste sur les photovoltaïques qui vont être installés sur le club house, parce que le club house fait partie du domaine où j’habite et on paie des charges dessus, d’accord ? Donc voilà, est-ce que c’est la réaction des gens en disant : « oui mais si ces panneaux tombaient en panne, qui c’est qui prend en charge ? ». Alors [que SerenySun] a été très clair, c’est… c’est… c’est la société qui prend en charge. Est-ce que s’il y a des tuiles ou une toiture qui se cassent, comment ça se passe ? Voilà, je pense que c’était plus contractuel qu’autre chose en fin de compte » (membre de l’opération 1).
128Ainsi, la double caractéristique de la structuration technique et juridique de l’opération, c’est-à-dire la propriété des équipements par SerenyCalas et l’occupation du domaine public par l’installation, participe pleinement à l’adhésion au projet car présentant des gages de simplicité. Elle est renforcée par le fait que c’est SerenyCalas qui se charge de prévenir les fournisseurs d’énergie des autoconsommateurs et de régler les éventuels problèmes (via Enedis).
6.1.3. Faire partie d’un collectif
129L’idée de « faire collectif » est très présente chez les membres interrogés, qui se disent d’ailleurs prêts à s’engager dans certaines actions d’animation et de recrutement dans le cadre du projet ou d’autres à venir :
« En plus, on le faisait ensemble et ça créait une collectivité qui participait à un projet utile, où on se sentait utile pour soi et pour les autres. (…) Moi, mon rêve, ce serait qu’il y ait d’autres Sereny, Sereny Bouc-Bel-Air, Sereny Les Pennes-Mirabeau – pas avec moi, d’ailleurs – avec des gens… que le représentant soit l’habitant. Donc je suis prêt à aller l’expliquer comme on vient de le faire là. Pourquoi un groupe a décidé de devenir actionnaire et de faire ça ? Mais notre idée serait que ça se fasse, que d’autres groupes se créent ailleurs pour faire la même chose, parce qu’il faut que ce soit local. Autrement, on devient une grande entreprise et on va finir par être une multinationale. Je fais toujours un petit peu de la provocation mais pour bien expliquer » (membre de l’opération 2).
130Plus que l’aspect « retour sur investissement » – les porteurs de projet ont d’ailleurs expliqué aux actionnaires l’absence de versement immédiat de dividendes –, il nous est rapporté que ce qui motive les actionnaires, c’est aussi de soutenir un projet entrepreneurial local :
« Là, clairement, [le fait de devenir actionnaire], c’était pour soutenir le projet, parce que je voyais régulièrement les lettres d’informations et ils cherchaient encore des actionnaires. Ils avaient encore besoin d’argent pour arriver au bout du montant qu’ils visaient. C’était pour participer et soutenir » (membre de l’opération 4).
6.1.4. Soutenir fièrement une initiative locale
131De même que l’aspect collectif, c’est la dimension locale de l’initiative qui séduit, avec l’expression a posteriori d’un sentiment de fierté :
« Alors, c’est vrai que c’était intéressant en fin de compte d’avoir des initiatives locales qui arrivent comme ça chez vous, dans votre village. (…) Donc voilà, ce qui nous a motivés, en tout cas, c’était cette initiative locale qui arrivait sur notre village et ce qui donne quand même un côté dynamique. Ça donne un côté dynamique et avant-gardiste aussi, si je peux m’exprimer comme ça quoi. Donc… Et puis, ça fait parler aussi du village » (membre de l’opération 1).
« SerenySun, (…) c’est une entreprise qui a vocation à aider des collectifs à se créer. Le discours de SerenySun ne nous choque [pas]. Au contraire, nous avons envie que SerenySun réussisse d’autres projets » (membre de l’opération 2).
« C’est vrai qu’on aime bien parler de notre projet, parce qu’on est convaincu que notre modèle est à l’avant-garde » (membre de l’opération 3).
6.1.5. Consommer en proximité
132La consommation d’une production locale est clairement perçue et valorisée :
« Et ce qui nous a intéressés aussi, c’est en fin de compte de consommer cette propre énergie, mais qui est une propre énergie verte à proximité, parce que les panneaux en fin de compte solaires sont sur l’école élémentaire à côté. Donc c’est de dire : « oui, on consomme… on consomme local et… et à proximité ». Donc voilà, ça aussi, c’est quelque chose de motivant. On a quand même un département ensoleillé donc c’est quand même une richesse pour nous » (membre de l’opération 1).
« Il ne s’agit pas de créer et de revendre de l’électricité. Il s’agit de produire de l’électricité pour la consommer sur place et la consommer collectivement » (membre de l’opération 2).
« Parce que moi, parce que, je vous dis, je suis convaincu que de telles installations, c’est ce qu’il faut pour l’avenir. Ça me semble dans la logique de consommation d’énergie le plus local possible » (membre de l’opération 4).
133Certains assimilent cette consommation d’une production locale d’énergie à celle d’une production locale alimentaire :
« Moi je trouve le projet hyper chouette. Mais comme de la même façon que je vais parler par exemple du café de, de mon torréfacteur. Quand les gens me disent « waouh, le café est fabuleux », je dis « ouais, ouais, non, mais ça, je l’achète chez Romain, à Meyreuil. Tenez le flyer, allez le voir de notre part ». Et ça peut être ça sur plein plein de, plein de produits du coin » (membre de l’opération 5).
134Chez certains, consommer local a, en outre, des vertus que n’a pas le recours au réseau central :
« Si on le fait sur son toit pour soi, on part en vacances, on la revend. C’est déjà bien de revendre, de fabriquer de l’électricité pour la revendre. Mais là, on est vraiment local, on produit localement puisqu’on a le soleil et on consomme localement. On n’a donc pas de déperdition de transport, parce que transporter de l’énergie, ça coûte de l’énergie. Il y a donc ce concept-là » (membre de l’opération 2).
« C’est que le photovoltaïque, c’est en immédiat donc il faut quelqu’un pour le consommer sur le moment et, si on est nombreux, on est sûr qu’on va le consommer au maximum de ses capacités sur le moment. Alors que, si c’est en individuel, il y a du surplus d’énergie et, du coup, on le renvoie dans le réseau. Mais, du coup, c’est plus de la circulation, on est moins dans la consommation locale » (membre de l’opération 4).
6.2. La motivation financière : un moindre intérêt
135Autoconsommateurs comme actionnaires écartent pour l’heure l’intérêt strictement financier qu’ils pourraient tirer de leur participation à ce projet. À notre sens, et c’est une hypothèse, cette moindre préoccupation pourrait être liée au fait que la majorité des membres sont plutôt des cadres supérieurs ou des retraités assez aisés :
« Alors, dans un premier temps, il faut savoir que je ne l’ai pas fait que pour le tarif, parce que ça ne va pas être de toute façon des économies de… de dingue, si je peux m’exprimer comme ça, d’accord ? Moi, ce qui m’a intéressé, c’est ce que je vous disais au départ, c’est vraiment de participer à cette consommation, à cette énergie verte, voilà. C’était ça qui m’intéressait dans un premier temps » (membre de l’opération 1).
136Chez les actionnaires, l’absence de versement de dividendes est pleinement intégrée et ne semble pas susciter de réaction négative :
« Récemment, ils [SerenySun] parlent des retours sur investissements mais bon, [SerenySun] avait été assez honnête à la première présentation, en expliquant que c’était pas dans ce but-là. Enfin, moi, c’est pas du tout dans ce but-là que je l’ai mis. C’était plus pour soutenir le projet… » (membre de l’opération 4).
137Chez l’unique commerçant de l’opération, le souci d’obtenir des tarifs plus avantageux que ceux d’un fournisseur classique est un peu plus prégnant, du fait même de l’activité économique développée, mais sans occuper une importance centrale :
« Bon, ben quand on gère un business, il y a toujours à un moment les histoires de tarif et de budget qui rentrent en jeu. J’aimais beaucoup leur projet mais je leur ai dit tout de suite « si vous m’annoncez deux fois les prix d’[X] ou même si vous êtes plus cher qu’[X]… ». Voilà, nous, on est un petit restaurant, on a un seul employé, des fois deux. (…) Faire les choses mieux, de manière un peu plus durable, c’est bien. Mais il faut aussi qu’à la fin, tout le monde s’y retrouve et que ça nous coûte moins cher qu’à l’heure actuelle. Donc voilà, ça faisait partie aussi de mes conditions pour commencer à négocier. (…) Même s’ils nous garantissaient simplement les mêmes tarifs, je trouve que c’est génial comme projet » (un membre de l’opération).
7. Une gouvernance qui repose sur des relations de confiance
138Du fait de ses origines, le projet SerenyCalas fonctionne encore assez largement sur la confiance, que ce soit avec les autoconsommateurs ou les actionnaires.
139Pour les actionnaires, les relations sont souvent très personnelles et fondées sur des liens parfois familiaux. Cette proximité favorise une assez faible formalisation, même si des assemblées générales sont organisées en bonne et due forme. Elle nourrit aussi la vision des fondateurs, qui, nous l’avons déjà évoqué, considèrent que la majorité des actionnaires ne cherche pas spécialement à être impliquée dans la gouvernance concrète de l’opération.
140Cette relation de forte proximité se retrouve s’agissant du représentant du collège « Citoyens ». Ce dernier, très engagé dans l’opération, pratique un dialogue fréquent avec les porteurs du projet et partage avec eux un langage commun, autour des valeurs fondatrices du projet. Il joue, de ce fait, sur les questions à caractère stratégique, un rôle de « traducteur » en direction de nombreux actionnaires, qui n’ont guère le temps de s’informer précisément.
141Il faut dire que, fin 2022, le degré d’avancement du projet ne met guère cette confiance à l’épreuve. L’opération vient tout juste d’être lancée et le premier bilan de consommation a été envoyé aux autoconsommateurs. En outre, les opérations à effectuer sont encore simples, sans grande problématique technique, consistant à répartir une production qui a tenu ses promesses à un ensemble de consommateurs aux profils assez homogènes. Dans ce contexte, les autoconsommateurs acceptent d’autant plus volontiers un mode de gestion et de communication largement dématérialisé, via l’envoi de newsletters et de factures par courriel, ainsi que des échanges par les réseaux sociaux (compte Facebook). Les interactions se font souvent grâce à ce vecteur, ce qui ne semble pas poser problème aux membres ou futurs membres, qui semblent majoritairement issus de la catégorie des CSP+, comme nous l’avons évoqué, et qui pratiquent déjà fortement les transactions et échanges sous forme numérique. Certains le font d’autant plus volontiers qu’ils y associent aussi une dimension environnementale (économiser du papier).
142Cet autoconsommateur a ainsi déjà l’habitude de passer par une application pour gérer ses relations avec son fournisseur de complément :
« J’ai une application [avec mon fournisseur] qui me permet de suivre, de savoir mes consommations kilowattheures et de savoir mon échéancier en fin de compte aussi, que ça soit pour le gaz ou pour l’électricité. Donc en effet, moi j’y vais régulièrement, je regarde, histoire de… Mais, malheureusement, il peut y avoir des anomalies. Donc là, en effet, je peux rentrer en contact. Mais il n’y a pas eu pour l’instant d’anomalie, rien du tout » (membre de l’opération 1).
143Les échanges se font rarement par téléphone. D’ailleurs le formulaire de contact ne fait pas mention d’un tel canal. Ceci étant, l’équipe de SerenySun n’hésite pas à appeler certains autoconsommateurs et/ou actionnaires si elle décèle un problème, ce qui participe pleinement de la relation de confiance. L’idée est de développer une relation client 100 % digitale, particulièrement pour l’accès aux données de consommation et dans la relation avec le fournisseur tiers.
144Sur ce point, le modèle d’une « cité des développeurs » est très présent :
« Pour que les opérations fonctionnent, il faut que, pour l’autoconsommateur, on ne soit pas moins bien qu’un producteur d’électricité habituel. Il faut qu’on ait le même service qu’un fournisseur d’électricité. Il faut qu’on ait le même service, que ce ne soit pas plus compliqué et qu’il n’y ait pas de paperasse. Il ne faut pas que ce soit… parce qu’il y a beaucoup de projets citoyens qui existent avec de l’énergie, avec des actionnaires, etc., mais où il y a encore beaucoup de papier. Nous, on ne voulait pas de ça. On voulait quelque chose qui soit facile, et pour les actionnaires et pour les autoconsommateurs. Donc on va aller vraiment vers des outils 100 % digitaux, parce qu’on n’est pas assez nombreux pour gérer de la paperasse, de toute manière » (un membre de SerenySun).
145Si donc la relation client du projet semble bien fonctionner aujourd’hui, du fait de cette double logique de confiance et de digitalisation, il sera intéressant de voir ce qu’elle deviendra dans la durée, à mesure que l’opération se complexifiera, tant du point de vue de la production (nouvelles installations pouvant engendrer des difficultés techniques ou comptables) que de la consommation (différenciation des profils d’autoconsommateurs, diversification des services avec une possible offre sur la mobilité électrique, éventuels problèmes chroniques avec des fournisseurs ne défalquant pas la part autoconsommée de leurs factures, etc.). Cette croissance nécessitera peut-être de modifier l’« économie » des relations « clientèle » actuelles, voire peut-être de mettre en place un service client dédié, comme pour tout fournisseur de grande envergure. SerenySun, s’il est amené à gérer plusieurs projets en tant que prestataire de services, pourrait d’ailleurs se positionner en la matière.
146Sur un autre aspect, à savoir la représentation des autoconsommateurs au sein de la structure, il n’existe actuellement aucune instance particulière. L’argument avancé, très compréhensible, est une certaine analogie avec les fournisseurs d’énergie classique, qui ne sont pas obligés d’en mettre en place, du moins de manière institutionnalisée. Cette fonction échoit à d’autres organismes, comme le Médiateur de l’énergie voire la Commission de régulation de l’énergie. On aurait pu imaginer qu’en tant que structure particulière, qui se démarque des fournisseurs traditionnels, SerenyCalas aurait prévu ce genre de dispositif. Mais tel n’est pas le cas. Il faut dire que les autoconsommateurs non-actionnaires que nous avons pu rencontrer ne semblent pas non plus demandeurs, estimant que le contrat est clair. Là aussi, la petite taille du projet et le fort degré d’interconnaissance font qu’une demande n’existe pas véritablement.
8. Des pratiques de consommation peu modifiées, un avenir de sobriété qui se dessine
147Tout comme la sous-partie précédente, les développements qui suivent sont fondés sur cinq entretiens réalisés avec des membres du projet, dont certains sont autoconsommateurs et/ou actionnaires. Les résultats qui en ont été tirés nécessiteraient donc d’être approfondis, à travers la conduite d’une enquête menée auprès d’un échantillon plus large de participants. Toutefois, plusieurs constats émergent, qui permettent de mieux apprécier les effets, en 2022, de l’opération d’ACCE sur la transformation des comportements.
8.1. Des pratiques de consommation évoluant peu
148En ce qui concerne les pratiques de consommation, les positions ne sont pas les mêmes suivant les acteurs interrogés, dans la mesure où chacun part de sa situation personnelle, de ses propres rapports et connaissances à la consommation d’énergie :
« [À propos de la sobriété énergétique comme possible sujet de préoccupation pour l’interviewé] Au départ non mais, quand vous rentrez dans un collectif et que vous partagez, il y a des choses auxquelles vous n’aviez même pas pensé. Vous n’étiez pas sensible à ça. On vient quand même d’une période où on consommait à tout va. Mais le fait de rentrer dans ces groupes vous fait échanger et, forcément, ça influence votre… ça vous fait réfléchir du moins. Après, de là à modifier complètement mon comportement de consommateur, je pense que cela prendra le temps. Mais ça fait réfléchir » (membre de l’opération 2).
« - Est-ce que le fait d’appartenir à cette opération change vos habitudes de consommation ?
- Nous, la nuit, on éteint les appareils en veille, on fait déjà un peu attention. Donc après… » (membre de l’opération 4).
149En revanche, un point commun émerge, celui d’une ouverture à de nouvelles pratiques, favorisées grâce notamment à une meilleure compréhension de l’adéquation entre la production d’énergie renouvelable locale et le soutirage ou non au réseau :
« J’avais pas ça [tarifs heures creuses, heures pleines] de toute façon. C’est pour ça que j’avais pas ça. Donc c’est vrai que moi, je faisais tourner la nuit finalement. Donc… enfin, la nuit à 20h, vers 20h-20h30, la machine à laver le linge, lave-vaisselle, enfin peu importe quoi. Mais c’est vrai que je les faisais tourner là, parce que ça m’évitait la journée de le faire. Je crois que j’y pensais même pas. Mais en fin de compte, en allant chercher mon tableau, ma consommation, ça m’a fait réfléchir. J’ai dit : oui, en effet, il y a ce soleil-là, autant l’utiliser » (membre de l’opération 1).
150Le changement majeur passe essentiellement par un déplacement des consommations aux heures diurnes, au moment des heures production de l’unité de production photovoltaïque :
« Je vais pouvoir faire tourner mes machines, que ce soit lave-linge, machine à laver, lave-vaisselle, enfin peu importe. Ça va être surtout en fin de compte les horaires de 9h du matin jusqu’à aller à 16h. Ce qui va se prolonger puisque, maintenant, on rentre quand même dans une période printemps-été où le soleil va encore plus chauffer. Donc voilà, ça, c’est supplémentaire en fin de compte. Ça me permet de faire tourner mes machines la journée grâce à cette autoconsommation qui se passe donc sur les panneaux solaires qui sont sur l’école. (…) Avant, mes horaires, c’était que je regardais pas trop, je le faisais le soir, voilà, à 8h, 20h le soir, je fermais, 20h30, voilà, je débarrassais, je faisais tourner ma machine, même que ça soit le linge. Tandis que, maintenant, je réfléchis à ça en fin de compte, par rapport à la consommation que j’ai, enfin, le… comment vous dire… par rapport au tableau » (membre de l’opération 1).
« Je suis plutôt bon élève parce que je consomme plutôt en journée. (…) Je programme mes machines en journée. Et puis, je fais aussi une partie en télétravail. [Mon conjoint] était en télétravail tout le mois de février, c’est pour ça qu’on a une super courbe, parce qu’il était arrêté. Mais, du coup, je pense que ça y fait » (membre de l’opération 3).
« Maintenant qu’on est consommateur, on sait il y a 30 % de la consommation là, parce que, du coup, on a changé notre mode au quotidien, pour que tous les appareils électriques soient au maximum branchés et fonctionnent la journée. Donc là, on est déjà à 30 % qui est consommé par la production des panneaux photovoltaïques sur l’école. (…) On a acheté en fin d’année un véhicule électrique. Donc déjà, le véhicule électrique, on fait en sorte de l’alimenter la journée. Et après, c’est les lave-vaisselle, les lave-linge… En tous cas, tout ce qui est appareils électroménagers, on les fait fonctionner la journée, alors que, souvent, le lave-vaisselle, c’était plutôt une habitude de le mettre le soir après le dîner » (membre de l’opération 4).
151Dans le cas de ce commerçant, la nature de l’activité professionnelle qu’il exerce (restauration) offre son lot de contraintes quant à la possibilité de déplacer les temps de consommation. Mais une réflexion est menée sur l’optimisation de l’utilisation du flux de production « locale » :
« Donc là, on va mettre des, un petit timer pour optimiser non seulement sur les heures creuses la nuit, mais aussi profiter de l’entre-deux services où nous, on utilise moins d’électricité et où on a encore le soleil de SerenySun » (un autoconsommateur).
8.2. De la pédagogie à la sobriété énergétique : un chantier à ouvrir
152Le déplacement des temps de consommation fait partie de la stratégie de communication de SerenyCalas, afin de maximiser l’autoconsommation.
153Elle prend la forme d’actions qualifiées de pédagogiques. On retrouve ainsi, dans les bilans adressés aux participants, des encarts destinés à les pousser à consommer durant la période de production d’énergie solaire (cf. supra image n° 5) :
« Et, du coup, on leur dit clairement « programmation à la rescousse, utilisez la fonction programmation en favorisant le créneau 10 heure-15 heures » pour soulager les pics de 7 heures et 19 heures. Donc on essaie de faire une communication simple – on ne va pas expliquer 12000 choses – pour qu’ils retiennent deux informations » (un membre de SerenySun).
154En revanche, l’option n’est pas encore prise de fournir des équipements de pilotage de la demande, comme certains fournisseurs peuvent le proposer :
« Pour l’instant, c’est de la pédagogie donc c’est des messages tout simplement qu’on envoie. C’est des messages mais on n’a pas mesuré le retour. Après, les outils [de pilotage de la demande], moi j’y crois pas beaucoup en fait. Il y a beaucoup de gens qui vendent des choses. Il n’y a pas 10000 façons de faire de l’économie d’énergie. Il y a reporter ses usages intelligemment. Donc il y a de gros usages. Il n’y en a pas 10000 non plus pour des particuliers. Je parle pour des particuliers » (un membre de SerenySun).
155De même, l’installation de panneaux PV sur les toits de l’école contribue à une certaine forme de pédagogie en faveur d’une meilleure compréhension du système énergétique :
« On fait de la pédagogie auprès de nos enfants. Donc je leur explique. Je leur ai dit : « vous voyez, là, ça produit donc c’est là qu’on peut faire marcher une machine ». Donc je pense que ça rend plus concret, que, pour les gens, ça peut aider à davantage être conscient de la consommation » (membre de l’opération 4).
156Sur ce dernier point, les fondateurs sont également en lien avec l’école, dont la direction n’avait pas été associée au projet initial :
« On a déjà commencé à communiquer avec les directrices des écoles. Notre idée est de faire en sorte de rencontrer déjà les enseignants pour pouvoir leur expliquer le projet, pour qu’à leur tour, ils puissent l’expliquer aux enfants et éventuellement aux parents d’élèves, en se disant que c’est assez symbolique d’équiper une école avec des panneaux solaires et de l’énergie verte – nous, on essaie vraiment de développer un modèle pour nos enfants demain – et l’idée d’expliquer aux enfants comment est produite l’énergie » (un membre de SerenySun).
157On n’assiste donc pas encore à des changements radicaux de comportements. Par ailleurs, aucun dispositif d’incitation particulier n’a été initié, au-delà de quelques messages généraux et premières actions à caractère pédagogique. Cela tient au fait que le projet est, pour l’heure, bien calibré autour d’un volume de production et de consommation. Il avance au fur et à mesure que de nouvelles installations sont mises en service et, en parallèle, de nouveaux autoconsommateurs sont démarchés. Il n’y a donc pas lieu, d’un point de vue de pure optimisation technico-économique et de bonne utilisation de la ressource solaire, de mettre en place des dispositifs de sobriété.
158Pour le moment, SerenyCalas n’a pas encore entamé d’action sur ce sujet ou, du moins, les autoconsommateurs et partenaires interrogés n’en perçoivent pas :
« - Est-ce que vous êtes incité à consommer moins ?
- Non, pour l’instant. (…) Ils ne me limitent pas en disant… J’ai pas eu ce message-là en tout cas » (membre de l’opération 1).
« Le thème précarité par exemple n’a pas du tout émergé et le terme sobriété assez faiblement en fait. C’est plutôt une sobriété considérée comme un résultat de ce fait, plus que comme une action à entreprendre, comme si, de toute manière, l’opération était fonctionnellement amenée à la sobriété » (un partenaire du projet).
159En revanche, des réflexions sont en cours, afin de mieux traiter ce thème à l’avenir :
« Un des objectifs, en-dehors du fait, du simple fait de consommer et d’avoir une petite économie sur cette facture, c’est aussi de pouvoir influencer nos façons de consommer et donc de leur envoyer des suggestions pour se dire : « sur la sobriété énergétique, comment réduire nos consommations ? Comment consommer quand on fait partie d’une communauté avec une production qui suit les courbes du soleil ? Comment on peut ajuster nos comportements ? »» (un membre fondateur de SerenySun).
« Moi, j’ai fait remonter un sujet sur non pas attention mais plutôt comment on se met aussi en position pour bien travailler le sujet, enfin ne pas attendre trop pour travailler le sujet MDE [maîtrise de la demande d’énergie] et sobriété auprès de la communauté de consommateurs et donc mettre des moyens, notamment financiers, dans les outils, dans les charges d’exploitation pour qu’on… Après, on va voir comment on le travaille, avec quels acteurs et qu’est-ce qu’on met en place et c’est des choses qui peuvent évoluer dans le temps. Mais, en tout cas, déjà acter dans le business plan, dans les outils financiers le fait qu’on institutionnalise des lignes de financement pour travailler ces sujets-là parce que ça va être un point important. (…) Enfin, c’est une des grosses plus-values de l’autoconso, quoi. Donc il faut pas qu’on se loupe là-dessus » (un partenaire du projet).
160L’enjeu est, selon Donald François, le fondateur de SerenySun, de proposer un « modèle » d’écologie qui amène progressivement les individus à se poser des questions et changer leurs habitudes :
« Cet aspect, qui va se faire un peu de façon très douce sur la durée, une de nos volontés, c’est de pouvoir avoir un impact sur nos façons de consommer, tout en gardant le même degré de qualité de vie. On n’est pas là pour dire qu’il faut que ce soit plus froid dans la maison mais de donner quelques suggestions, de dire que la nuit, quand on ferme sa borne WiFi, [c’est parce qu’]on ne se connecte pas sur Internet. Et, sur 360 jours ou sur dix ans, ce sont des petites habitudes comme ça qu’on peut prendre, que quand on partage de l’énergie produite par le soleil et qu’on change un peu le moment où on programme notre lave-vaisselle, ce n’est pas grand-chose. Ce genre d’animation, on va le mener de façon assez continue mais de façon très douce et non invasive, pour qu’un consommateur ne soit pas qu’un consommateur, justement, comme on l’est aujourd’hui face à notre fournisseur d’énergie, mais qu’on ait conscience : « d’où vient cette énergie ? »»
161D’ailleurs, on retrouve chez les participants une perception accrue du risque de surconsommation qui pourrait être lié à la mise à disposition d’une énergie moins chère, produite, qui plus est, sous forme renouvelable. Certains ont conscience de ce possible effet pervers mais y opposent une sensibilité forte à la consommation d’énergie, qui les prémunit de toute forme de négligence :
« - Il pourrait y avoir un effet un peu paradoxal en disant : finalement, le projet pourrait presque conduire à consommer peut-être davantage, à être moins vigilant, puisqu’on n’y perd pas financièrement…
- Oui oui, bien sûr.
- Est-ce que vous notez quand même chez vous ce paradoxe ou pas dans vos pratiques ?
- Non parce qu’en fin de compte, même avant SerenyCalas, j’ai toujours fait attention. C’est-à-dire qu’au niveau de la consommation, alors sans parler… en effet, j’avais pas d’heures creuses ou, sans parler donc des machines importantes comme la machine à laver le linge, la machine à vaisselle. Mais c’est vrai que j’ai une habitude, je chauffe normalement. La nuit, le chauffage descend, le matin, il remonte mais après, dans la journée, il est éteint, naturellement. Et puis je ne laisse jamais, en fin de compte, des pièces allumées. J’éteins toujours derrière. Pareil, je branche mon portable mais, une fois que mon portable est chargé, je débranche la prise, voilà. Donc j’ai toujours eu ça un petit peu aussi dans la tête… C’est un comportement que j’ai toujours eu, j’ai toujours fait attention là-dessus » (membre de l’opération 1).
« Le sèche-linge, il y a longtemps que je l’utilise plus… Mais bon, on l’a déjà fait indépendamment de cette démarche-là [SerenyCalas]. On l’a déjà fait. Et c’est pas parce que je consomme, on va dire, on a quand même un temps assez doux chez nous, et souvent ensoleillé, c’est pas parce que je suis branché au panneau photovoltaïque de l’école que je fais marcher le sèche-linge dans la journée. Je préfère faire sécher mon linge dehors, au soleil. Donc non, ça m’a pas fait consommer davantage. Justement, c’est le piège. Faut pas que ce soit quelque chose de culpabilisant et qui fasse qu’on consomme davantage » (membre de l’opération 4).
162Dans ces deux témoignages, le fait d’échapper à l’écueil d’une plus grande consommation tient donc assez largement au profil des interviewés, avec, dans leur cas, une sensibilisation forte déjà bien ancrée en amont du projet. Une question intéressante qui se pose pour l’avenir est de savoir si, pour les futurs membres recrutés, de telles prédispositions existeront et s’il n’y aura pas une hausse des comportements plus « négligents ».
163Les réflexions en cours sur les enjeux d’incitation à la sobriété ne portent pas nécessairement sur l’instauration de mécanismes tarifaires, les fondateurs s’interrogeant sur la pertinence de l’outil « signal prix » en matière de changements de comportements. L’action pourrait se faire via l’octroi de kWh gratuits, par des formes de reconnaissance symbolique (un « bravo » sur une facture) ou encore par le développement d’une prestation de service proposant un équipement de programmation des usages en fonction de la production :
« Ce sera peut-être à intégrer dans une certaine maturité de ces projets. Quand on se projette sur toutes les possibilités numériques, digitales et data, il y a tout un tas de trucs qu’on pourrait piloter de chez nous, sans intervention. Là aussi, est-ce qu’on est prêt sociologiquement et psychologiquement à le faire, je pense que, progressivement, oui » (un membre de SerenySun).
164La sobriété semble alors se confondre, dans la volonté de maximiser la boucle énergétique locale, avec des actions de maîtrise de la demande d’énergie (MDE), rejoignant en ce sens l’un des piliers de SerenySun : l’autoconsommation collective peut rendre des services au réseau centralisé.
8.3. L’inclusivité, un objectif à relever
165Si, dans le discours, la dimension inclusive est mise en avant, pour le moment, le chantier reste encore ouvert en la matière. Le projet de SerenyCalas est, il faut le rappeler, né dans un lotissement composé de personnes qui, au dire d’acteurs, sont, pour beaucoup, des cadres et/ou qui appartiennent à des catégories sociales plutôt aisées. Leur consentement à payer plus cher leur électricité pour des raisons environnementales a pu être verbalisé, même si, dans ce projet, l’offre tarifaire est 5 % moins chère que les TRVE.
166Cette spécificité sociale se retrouve dans la composition des actionnaires et dans le fait qu’il a été choisi de proposer des actions à 500 euros, ce qui limite de fait les possibilités d’investir. La fixation de ce niveau reflète bien ce que les gens sont prêts à payer. C’est donc un bon indicateur. Dans d’autres projets, notamment de vente en totalité, on peut être sur des montants de 50 à 100 euros :
« Juste par rapport à la question des 500 euros, clairement, c’était parce qu’il y avait une analyse sociographique ou sociologique de leurs clients où c’était un niveau d’investissement qui paraissait correspondre finalement au niveau de revenu local. Et, d’ailleurs, on avait discuté avec des gens dans les réunions, on voyait que ça ne posait aucun problème » (un partenaire du projet).
« J’avais discuté un petit peu avec Énergie Partagée pour ça [le montant des actions] et j’avais regardé ce qui se faisait sur Énergie Partagée. Il y en avait de toutes sortes. Soit on fixe un montant avec un prix d’action. Le prix d’action, c’est 1 euro. C’est symbolique. J’avais discuté avec les autres personnes et j’avais dit : « je voudrais que les gens qui viennent, qui sont actionnaires, ne viennent pas comme ça. Je mets 1 euro et je ne m’intéresse pas au projet ou je vais toujours critiquer parce que je ne m’intéresse pas ». Je voulais que ce soient des gens [impliqués et constructifs]. S’ils mettaient une certaine somme… pour montrer qu’ils étaient vraiment… qu’ils s’investissaient réellement » (un membre du projet SerenyCalas).
167Pour le moment, au regard de nos données, le collectif semble encore assez homogène en ce qui concerne les profils sociologiques, par effet de proximité mais aussi par la nature même du projet, qui a plutôt attiré des personnes sensibilisées et auxquelles le discours de SerenySun plaisait (éco-gestes, implication dans le collectif, vie professionnelle en lien avec ces questions etc.). Cette relative homogénéité facilite un langage qui semble assez commun et partagé, qui soude la Communauté. Là encore, il sera intéressant de voir ce qui va se passer à l’avenir, avec la diversification des profils des participants et donc l’expression possible d’intérêts et de sensibilités différents.
9. L’articulation avec le territoire
168Nous finirons cette présentation par un dernier élément, qui nous semble essentiel : comment le projet SerenyCalas s’insère-t-il au sein du territoire dans lequel il est implanté ? Quelles articulations peut-on trouver entre la communauté des individus qui le composent et les acteurs et organisations qui l’entourent ? Cette question nous amènera à aborder deux types de protagonistes, dont nous avons peu parlé jusqu’à présent : les collectivités territoriales (notamment la commune de Cabriès) et le tissu local voire régional.
9.1. La relation avec les collectivités territoriales, un facteur clé de succès
169L’initiative de SerenyCalas illustre bien la question de la continuité dans le temps des opérations d’ACCE, notamment en lien avec les collectivités territoriales administrant le territoire dans lequel elles sont implantées. Sur ce plan, il faut distinguer deux niveaux : communal et régional.
170Avec la Région, cet enjeu ne se pose pas véritablement pour le projet (mais un peu plus pour SerenySun, en sa qualité de nouvel opérateur de l’ACCE appelé à se développer en PACA et au-delà). En effet, le rôle de cette collectivité se cantonne surtout à l’octroi de subventions initiales, qui permettent de démarrer l’opération. Certes, cette implication en amont est un atout mais elle ne présente pas un caractère comparable à celle de la commune.
171Après avoir envisagé d’équiper certaines maisons du lotissement de Calas, les fondateurs du projet décident de solliciter la municipalité pour doter une école de panneaux PV. Les élus accueillent le projet très favorablement, y voyant une opportunité de valoriser leur territoire, à l’heure où les questions de transition énergétique sont mises à l’agenda de plusieurs collectivités locales. Leur soutien est essentiel, à deux titres.
172D’une part, il est nécessaire pour disposer des toitures du groupe scolaire, bâtiment qui appartient à la commune. Alors que d’autres types de montage auraient pu être possibles, SerenyCalas opte pour la propriété des panneaux photovoltaïques. Ce choix permet à la commune de ne pas avoir à engager des dépenses et de ne supporter aucun risque technique ou économique, tout en bénéficiant de l’aura médiatique du projet. On retrouve ici l’un des atouts de l’opération, qui a également séduit bon nombre d’autoconsommateurs : sa grande simplicité pour les membres participants, qu’ils soient consommateurs ou producteurs. Cette option permet également à la commune de toucher une redevance au titre de l’occupation des toitures, suite à la signature d’une convention d’occupation temporaire (COT) signée peu avant l’été 2020. Celle-ci est négociée sur la base du tarif moyen de location des toitures.
173D’autre part, la commune apporte une plus grande visibilité au projet. Son soutien peut rassurer certains habitants. De même, il attire les médias et peut séduire d’autres partenaires.
174Témoignage de cette forte proximité, les statuts prévoient un collège « Collectivités » permettant à la commune et à d’autres collectivités territoriales d’être actionnaires du projet. Bien qu’étant favorable à l’opération, la municipalité de l’époque décide de décliner cette option, qui aurait pu se faire de plusieurs manières : une entrée au capital en numéraire (rendue possible par la législation) ou en nature (par exemple via l’apport de la COT).
175Cette première configuration relationnelle connaît une première « mise à l’épreuve » lors des élections municipales de juin 2020. L’ancien maire, Hervé Fabre-Aubrespy, engagé à droite, arrive en troisième position lors d’une triangulaire au second tour (28,32 %). Une nouvelle maire, de tendance écologiste, Mme Amapola Ventron, est élue avec 36,53 % des suffrages. Son accession aux responsabilités municipales fait craindre, un temps, non pas l’arrêt du projet (la COT a été signée avant les élections) mais une remise en question de son développement. Il était en effet question d’équiper des ombrières de parking près d’un complexe sportif, la COT prévoyant, pour que l’opération d’ACCE soit viable, de trouver d’autres surfaces disponibles sur le foncier public. Mais, apparemment pour des raisons liées au manque d’« acceptabilité sociale » (sic entretien) de ce type d’installation, exprimées lors d’un projet assez similaire près d’un golf (mais ne dépendant pas de SerenyCalas), la municipalité repousse cette éventualité.
176Les équipements prévus, que nous avons présentés comme mobilisés de manière « naturelle », résultent, en fait, de nombreux allers-retours et de négociations pour faire en sorte de continuer à offrir à SerenyCalas les moyens de son extension. Avec la commune, des alternatives sont trouvées, un second groupe scolaire étant prévu pour être couvert courant 2022. Il est également question d’équiper des terrains de tennis avec des panneaux, ce qui offrira une surface supplémentaire pour le projet et un nouvel agrément pour les usagers (pouvoir jouer également l’hiver). On voit, à ce stade, l’importance de la contractualisation comme gage de continuité, l’évolution des majorités politiques au pouvoir pouvant compromettre la bonne marche du projet. Le succès d’une opération dépend aussi de la capacité de ses initiateurs à pouvoir convaincre de nouveaux acteurs et sécuriser le système sociotechnique aux plans à la fois technique, économique et institutionnel. Ce constat n’est pas propre à cette opération et peut être observé dans beaucoup d’autres situations :
« En fait, on a eu l’alternance qui a été quand même très compliquée par rapport à ce projet-là, qui donnait vraiment à bien avoir en tête, quand on travaille avec les collectivités, c’est le risque de l’alternance. Mais eux, chance, ils avaient sécurisé le foncier. Donc là, pour le coup, je pense que nous, de ce projet-là, mais d’autres projets, mais on a retiré beaucoup de leur expérience. Donc il y a des effets de diffusion sur d’autres projets, pas en ACC, en obligation d’achat. Aujourd’hui, on dit aux gens : « premier truc, quand vous travaillez avec une collectivité, il faut sécuriser le foncier »» (un partenaire du projet).
177Pour ce membre du projet, cette réserve tient aussi à une culture différente, peut-être moins prompte à réfléchir en termes de partenariat public-privé :
« Donc, à l’arrivée de la nouvelle municipalité, il a fallu réexpliquer le projet parce que c’est quand même un projet innovant, avec cette particularité qu’on casse les barrières entre le public et le privé. C’est donc quelque chose de très nouveau pour les collectivités. Les collectivités ont l’habitude de travailler dans le giron public. Le fait de mixer les deux avec des capitaux publics, une entreprise privée qui vient au milieu, c’est vrai que c’était un peu compliqué. Mais il y a eu ce travail de pédagogie pour expliquer à la nouvelle municipalité et, en fait, ils ont très bien intégré le sujet. (…) Il a fallu qu’ils se réapproprient le projet. On leur a bien réexpliqué quels étaient les enjeux. C’est pour ça, ce que je vous disais, on a redéfini le périmètre, revu les sites qui convenaient, ceux qui ne convenaient pas. Donc ça reste encore un sujet qui avance ».
178Laisser la gouvernance à un collectif de citoyens et à une société privée constitue une petite « perte de contrôle » qu’une commune peut avoir du mal à admettre, étant parfois encline à s’assurer une certaine maîtrise des choses, parfois par méfiance vis-à-vis du privé, qui peut être suspecté de trop tirer profit d’un bien commun (les toitures). Intervient peut-être aussi un élément plus classique, qui est d’assumer l’héritage de la majorité précédente au pouvoir.
179Un important travail de pédagogie et de communication a été nécessaire pour maintenir le lien avec la nouvelle municipalité. À l’heure où nous rédigeons cette monographie, celui-ci semble désormais consolidé, comme en atteste la présence de la nouvelle maire lors de l’inauguration de l’installation, en novembre 2021.
180Aujourd’hui, cet aspect est identifié par certains partenaires comme un point essentiel. Si dans le cas de SerenyCalas, le projet n’a pas été bloqué pour des raisons partisanes, cela peut être le cas sur d’autres types d’initiatives, entraînant de fait une moindre sécurisation des opérations :
« Le point d’alerte premier quand on a un groupe citoyen qui émerge, c’est de dire : « est-ce que vous êtes affiliés avec l’opposition ? » Et c’est souvent le cas en fait. Souvent, en fait, c’est une déception aux élections, où on a des… des élus d’opposition ou des gens qui étaient sur des listes et qui n’ont pas été élus, qui vont s’investir dans le projet citoyen. Donc ils sont directement étiquetés par la majorité. Donc on leur dit tout de suite : « vraiment, le premier truc à faire, ne vous affichez pas comme avec l’opposition, neutralisez-vous, composez-vous de manière à ce que la municipalité vous assimile à des citoyens neutres, apolitiques. Sinon, ça va tout bloquer »» (un membre partenaire).
9.2. Un projet qui commence à se diffuser dans d’autres territoires
181Jusqu’à une période récente, l’opération de SerenyCalas est restée assez cantonnée à la communauté des acteurs qui l’ont portée. L’un des signes de cette difficulté à essaimer était l’absence de travail spécifique avec l’école, qui accueille les centaines de panneaux photovoltaïques de la première centrale de production. Il est symptomatique de constater que, lors de l’inauguration de l’installation, d’après un observateur, la directrice de l’école n’était pas présente, ni les institutrices. Les enseignants ne sont d’ailleurs pas associés, tout comme les parents. Deux explications ont pu être avancées. La première est que la nouvelle majorité en charge de la commune de Cabriès ayant montré une certaine réserve au départ, il n’apparaissait guère opportun de creuser cet axe collaboratif, une telle initiative pouvant être interprétée comme un signe de « forcing » :
« Moi, je pense que… enfin alors là, vraiment c’est complètement hypothétique. Je pense que c’est un des effets en fait du hiatus qu’il y a eu avec la mairie. (…) Et donc le projet continuait à avancer plutôt avec la commune pour trouver le lien, pour faire que ça avance. Mais on ne va pas court-circuiter en allant voir la directrice, parce que ça peut être contre-productif. Il peut y avoir des objectifs non mesurés. Donc c’est vrai que des acteurs qui sont tout en bas, en fait, ils ne comprennent pas, ils ne suivent pas mais parce que le projet n’était pas réglé plus haut en fait. Ils attendaient que le projet soit réglé » (un partenaire du projet).
182La seconde explication est la difficulté à engager des partenariats avec l’Éducation nationale, administration parfois perçue comme étant assez difficile à mobiliser, y compris sur des sujets porteurs comme l’énergie.
183Ceci étant, des perspectives de plus grande interaction se dessinent, SerenySun étant en contact avec l’élu aux affaires scolaires et les directrices des écoles (maternelle et élémentaire) pour envisager éventuellement des actions à entreprendre. L’idée serait d’expliquer aux enfants comment l’énergie est produite et de les sensibiliser à la consommation.
184Au-delà de l’école, d’autres formes de collaboration s’esquissent. Certains membres du projet commencent à s’intéresser un peu plus au sujet. Le représentant du collège des citoyens fait partie d’EPI (Énergie Partagée investissement) et peut être amené à s’impliquer dans des actions extra-communales, dans la région PACA par exemple. Il participe également au « Café des projets » d’Énergie Partagée, afin de faire partager son expérience.
185Par ailleurs, des liens se tissent progressivement avec des associations locales, comme Cabriès en transition, collectif de citoyens qui n’a pas le statut d’association mais qui fait partie d’un mouvement plus large des « Villes en transition » (créé début 2020 donc assez récent). Donald François est membre de ce collectif et a pu rencontrer, à cette occasion, de futurs autoconsommateurs. D’autres relations se tissent également, au gré des opportunités offertes par les membres, anciens ou nouvellement « recrutés » dans l’opération.
Annexe
10. Annexes
Annexe I - Entretiens réalisés pour l’opération d’ACCE SerenyCalas
Statut de la personne interviewée | Date de l’entretien |
Associé SerenySun | 3 mars 2022 |
Directeur général et membre fondateur SerenySun | 28 mars 2022 |
Directrice du développement SerenySun Autoconsommatrice | 28 mars 2022 |
Retraité, autoconsommateur actionnaire Représentant du collège « Citoyen » au Conseil de gestion | 28 mars 2022 |
Autoconsommatrice Non actionnaire | 8 avril 2022 |
Animateur régional Énergie Partagée | 14 avril 2022 |
Responsable Smart Grid et Innovation Enedis | 21 avril 2022 |
Autoconsommatrice Actionnaire | 25 avril 2022 |
Chargé d’investissement projet photovoltaïques Énergie Partagée | 23 mai 2022 |
Autoconsommateur Non actionnaire | 20 octobre 2022 |
Annexe II - Frise chronologique du projet d’ACCE SerenyCalas

Notes de bas de page
1 Les auteurs de cette monographie tiennent à remercier très vivement l’équipe de SerenySun pour leur avoir ouvert l’accès au terrain. Il va de soi que les analyses développées ici n’engagent qu’eux.
2 Suivant la nouvelle définition adoptée lors du Comité interministériel des ruralités (CIR) le 14 novembre 2020.
3 Chiffres INSEE.
4 Dix entretiens semi-directifs et une visite de terrain ont été réalisés. L’annexe I de la présente monographie précise l’échantillon des personnes rencontrées.
5 Pour des raisons d’anonymisation, nous ne ferons pas figurer le nom des personnes qui s’expriment ni ne mentionnerons leur genre.
6 Tarif Réglementé de Vente d’Électricité.
7 Responsabilité sociale des entreprises.
8 Nous mettrons une majuscule à « Communauté » pour parler du modèle de « communauté d’énergie » propre à SerenyCalas.
9 Art. L291-1 à L294-1 du Code de l’énergie.
10 Société coopérative d’intérêt collectif.
11 Société d’économie mixte.
12 Extraits du Registre national du commerce et des sociétés au 12 juin 2022.
13 https://serenysun.fr/wp-content/uploads/2021/03/Annexes-DIS-SerenyCalas-2021-03-01.pdf (consulté le 24 février 2023).
14 Entretien avec cet autoconsommateur.
15 La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) a ouvert la possibilité pour les communes et leurs groupements de participer au capital de sociétés anonymes (SA) ou par actions simplifiée (SAS) « dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables situées sur leur territoire ou sur des territoires situés à proximité et participant à l’approvisionnement énergétique de leur territoire », art. L. 2253-1, al. 2 du Code général des collectivités territoriales (v. Le Baut-Ferrarese Bernadette, « Collectivités territoriales et production d’énergie renouvelable », JCP Adm. 2016, comm. n° 2278).
16 https://energie-partagee.org/serenycalas-france-3-eclaire-le-plus-grand-projet-dautoconsommation-collective-de-france/ (site consulté le 24 février 2023). Voir aussi : https://www.facebook.com/groups/notrepropreenergie/permalink/704548324071480/ (site consulté le 24 février 2023).
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L’autoconsommation collective d’électricité en France
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