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2. Du panorama aux études de cas : méthodologie d’enquête
p. 106-120
Texte intégral
1À partir de ce panorama, plusieurs études de cas ont été identifiées afin d’offrir un éclairage complémentaire, qualitatif, au tableau général ainsi esquissé. Il s’est agi d’« atterrir » dans les territoires de l’ACCE en regardant la manière dont ce nouvel outil d’action publique se déploie concrètement, au gré de son appropriation locale par des acteurs évoluant dans des contextes différents, en termes géographiques, institutionnels, économiques et sociaux.
2.1. Étudier un échantillon assez diversifié d’opérations
2Au total, 5 opérations d’ACCE ont été étudiées au cours du printemps-été 2022, selon un échantillon présenté dans la figure n° 25. Elles reflètent bien la nature des projets menés en France à cette date, tant en termes d’acteurs porteurs d’initiatives (forte prépondérance des collectivités territoriales, avec les cas de la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois et de Solai Lann Coat), que de statut de PMO (les trois types d’ACCE sont représentés) ou de répartition géographique (présence plus importante de l’ACCE dans le quart nord-ouest de la France).
Figure n° 25. Opérations d’ACCE étudiées, printemps-été 2022

3Chaque monographie a donné lieu à une dizaine d’entretiens environ (la liste est précisée en annexe des études de cas) réalisés avec les porteurs du projet, les partenaires associés (bureaux d’études, voire financeurs), des autoconsommateurs et des acteurs de l’environnement des opérations, notamment institutionnels (collectivités locales lorsqu’elles ne sont pas elles-mêmes impliquées dans la gouvernance du projet, tissu associatif, etc.). Des visites de terrain, des discussions informelles et la consultation de certains documents ont permis de compléter le corpus d’informations.
4Suivant le protocole d’enquête présenté lors de chaque entretien, les informations purement descriptives (nature de l’opération, historique, caractéristiques techniques et économiques, etc.) ont pu être rapportées à une personne précise. En revanche, les points de vue plus « subjectifs » sur le projet et le rôle des autres acteurs ont fait l’objet d’un traitement anonymisé, en utilisant des catégories plus larges. De même, toujours dans l’objectif de faire en sorte que les personnes ne puissent pas être reconnues, nous avons employé un « masculin » de convention, qui a un statut de genre neutre dans ce document.
5Pour chaque étude de cas, l’enjeu a été de comprendre la dynamique des opérations d’ACCE en France à partir de quelques grandes thématiques :
- leur genèse : quels acteurs ont été à leur origine ? quelles étaient leurs motivations (dans toute leur diversité) ? comment et par qui ont-ils été accompagnés ?
- leurs caractéristiques techniques et économiques : quelle est la taille de l’opération ? son périmètre ? sa puissance ? le nombre de producteurs et d’autoconsommateurs impliqués ? les équipements utilisés ?
- leurs objectifs : quelles ambitions se donnent les porteurs de projet ? en particulier, quelle place occupent les questions d’efficacité énergétique et de sobriété ?
- leur gouvernance : quel montage juridique a été choisi ? comment fonctionnent les instances de prise de décision ? quelles formes de pilotage existent, de manière très concrète ?
- leur insertion dans leur environnement : quelles relations entretiennent les collectifs avec les collectivités territoriales ? quels liens nouent-ils avec le tissu associatif local ? quelles formes de diffusion de l’expérience peut-on mettre au jour (accent mis sur l’exemplarité, la pédagogie, etc.) ? et à quelle(s) échelle(s) (locale, régionale, nationale) ?
- les freins et difficultés rencontrées, de toute nature : juridiques, techniques, modèle économique, prise de décision, développement, etc.
- les bénéfices et points positifs que les opérations d’ACCE apportent aux participants et, au-delà, à leur territoire d’implantation.
6Cette grille de lecture, commune à toutes les enquêtes, a été adaptée en fonction des spécificités de chaque terrain, certaines questions se révélant plus ou moins centrales selon les cas.
2.2. L’ACCE vue « par le bas » : les enseignements des études de cas
7Même si chaque opération d’ACCE comporte son lot de contingences, en fonction du territoire dans lequel elle s’inscrit, des acteurs qu’elle mobilise, des dynamiques collectives qui s’enclenchent, de la taille et de la matérialité des équipements qu’elle intègre, quelques éléments transversaux peuvent être repérés, qui permettent de saisir les grands enjeux que soulève ce type de dispositif. Nous les mettons en regard avec la littérature académique qui porte plus largement sur les communautés énergétiques, qui a pu, elle aussi, parfois les évoquer.
8Six éléments peuvent être distingués, organisés sous forme d’axes, pour lesquels une mise en perspective des cas d’étude est proposée. Les monographies plus détaillées seront présentées à leur suite.
2.2.1. Le rôle cardinal des acteurs de l’intermédiation : des coûts de transaction à évaluer et à anticiper
9Contrairement aux autres dispositifs de production décentralisée d’énergie, l’ACCE nécessite des formes d’intermédiation assez développées entre les acteurs y participant, qui génèrent des coûts de transaction propres, d’un montant plus ou moins élevé. Ils correspondent aux différentes tâches que la PMO doit effectuer pour faire fonctionner l’opération, c’est-à-dire assurer une mise en relation des producteurs et des consommateurs qui soit efficace aux plans technique, économique et organisationnel. Cette tâche d’intermédiation comprend deux activités : la gestion de la facturation et l’animation du projet nécessaire pour constituer et entretenir le collectif. Ces coûts sont souvent perçus comme incompressibles et n’ont pas été forcément identifiés initialement comme l’une des composantes du modèle économique de l’ACCE.
10L’intermédiation est le plus souvent réalisée, pour tout ou partie, par un tiers qui peut être un bureau d’études (comme Cohérences Énergies) ou un prestataire de services (Enogrid, SerenySun) plus ou moins spécialisé dans l’ACCE. Elle peut également être internalisée, grâce à la présence d’une collectivité territoriale dans la PMO ou de partenaires associés au projet (Agence locale de l’énergie et du climat du Pays de Rennes pour Langouët).
11En matière de gestion, elle peut être complète, jusqu’à la facturation. Mais, souvent, elle s’arrête au stade de la préfiguration de la facturation. Sur ce point, ces intermédiaires assurent, d’une part, le rôle de récupération et de transmission des données pour le compte de la PMO auprès du GRD (Enedis ou entreprise locale de distribution lorsqu’il y en a sur le territoire) et, d’autre part, la répartition des flux autoconsommés entre les acteurs consommateurs. Toutefois, pour les opérations qui comportent des acteurs publics ainsi que pour les bailleurs sociaux (cas de Saint-Martin-Boulogne et d’Auvergne-Rhône-Alpes), il est le plus souvent procédé à une internalisation de cette activité de gestion de la facturation, qui demande à la PMO un temps d’apprentissage coûteux et/ou un coût d’investissement. Pour les acteurs publics, cette internalisation est une obligation, en raison des règles de comptabilité publique qui les oblige à assurer eux-mêmes l’émission des factures, sous forme de titre de recette du Trésor Public. Dès lors, la technicité de l’accès et de la compréhension des données de consommation augmente le coût de transaction car portant à la fois sur la préfiguration et sur l’émission de la facturation. Ainsi, pour Langouët, le secrétariat de la commune a dû intégrer cette nouvelle tâche dans son quotidien et la PMO a dû conclure un contrat avec un prestataire en charge d’assurer la préfiguration de l’information concernant les flux de l’opération délivrés aux membres actifs. Le bailleur social en Auvergne-Rhône-Alpes a, quant à lui, recruté un doctorant ayant pour tâche de concevoir un algorithme de répartition des consommations, afin de faciliter ultérieurement le travail de facturation.
12L’animation, second aspect du problème, recouvre la constitution et l’« entretien » du collectif constituant l’opération (producteur(s), autoconsommateurs, instances de pilotage et de décision), notamment lorsque les initiateurs ont développé un projet reposant sur la recherche de l’efficacité voire de la sobriété énergétique. Ces coûts sont moins identifiables de prime abord car ils sont, pour l’heure, fortement internalisés et parfois encore sous-estimés. Mais, dans tous les cas, ils ne sont pas nécessairement chiffrés ni comptabilisés comme tels. Les monographies offrent plusieurs illustrations de coûts d’animation internalisés. Pour Saint-Martin-Boulogne, il s’agit notamment du temps que les gardiens d’immeuble, responsables de sites et en charge de l’innovation sociale consacrent à la conduite de l’opération, notamment dans sa dimension de sobriété énergétique, et à la formation des « ambassadeurs » parmi les autoconsommateurs. Pour Langouët, le coût recouvre plus particulièrement le temps consacré, de manière bénévole, par le Président de la PMO au suivi des flux de consommation pour sensibiliser à l’efficacité énergétique, à la co-organisation d’ateliers de sobriété et à la recherche de solutions pour continuer à développer l’opération. À SerenyCalas, il recoupe le temps de réponse aux autoconsommateurs, dans leurs différentes demandes non liées aux tâches de gestion, mais également le temps offert par les autoconsommateurs au recrutement de nouveaux membres. Dans d’autres cas, les coûts peuvent être partiellement externalisés, en jouant sur l’adhésion d’un acteur à l’opération (très souvent les membres partenaires ou bienfaiteurs). On le retrouve à Langouët, qui a recours aux services de l’Agence locale de l’énergie et du climat du Pays de Rennes (ALEC). Membre bienfaiteur de l’ACCE, celle-ci est liée par une convention avec la commune. Son intervention porte sur des animations autour de la sobriété et est alimentée par le versement de cotisations par la commune dont le montant total est bien inférieur aux coûts réels des services rendus. À SerenyCalas, c’est Énergie Partagée qui est pressentie pour être impliquée dans les futures actions de sobriété énergétique à destination des autoconsommateurs et plus largement dans l’accompagnement du projet. À Saint-Martin-Boulogne, le bailleur social fait appel régulièrement à Enerlya, une maison des énergies renouvelables, pour animer des ateliers généralistes sur les énergies renouvelables. Enfin, l’étude de cas en Auvergne-Rhône-Alpes identifie le besoin d’introduire un tiers dans la relation entre le bailleur et les locataires, sans avoir encore confié la prestation à un acteur particulier.
13Au regard des cas d’études, on comprend mieux la plus grande « compétitivité » de modèles d’ACCE réussissant à internaliser les coûts de transaction relatifs à la gestion et à l’animation. Les charges afférentes apparaissent initialement importantes pour les acteurs concernés mais ces modèles peuvent, à terme, bénéficier d’économies d’échelle liées à la mutualisation des opérations menées ou projetées. C’est le cas à SerenyCalas, où l’ACCE fonctionne selon le schéma d’une prestation de services couvrant un assez large spectre d’activités. SerenySun (qui en a la responsabilité) étant appelée à prendre en mains d’autres opérations, on pourrait assister à une baisse tendancielle des coûts de prestation qu’elle assume et, partant, des coûts de transaction afférents aux projets dans lesquels elle sera impliquée à l’avenir. On retrouve ici une dynamique assez classique dans l’énergie, celle d’un fournisseur (ou quasi, dans ce cas) qui, augmentant son volume d’affaires, peut réaliser d’importantes économies d’échelle et de déploiement. Saint-Martin-Boulogne constitue un autre exemple. Les actions de recrutement des autoconsommateurs et d’animation à la sobriété énergétique sont désormais intégrées dans un process qui sera par la suite répliqué sur les autres projets du bailleur social, chez lequel l’animation des opérations par les gardiens d’immeuble fera également l’objet d’une inscription spécifique dans la fiche de poste, avec un temps dédié à cette tâche. Enfin, chez le bailleur situé en Auvergne-Rhône-Alpes, les deux premiers projets d’autoconsommation sont gérés par le même chargé d’opération. Ce coût d’apprentissage pourra être réinvesti sur des opérations à venir.
14On peut se poser la question du coût de l’autoconsommation collective aujourd’hui, au regard de l’existence de cette nécessaire intermédiation. Notre hypothèse est que les opérations d’ACCE restent malgré tout intéressantes et viables si l’on considère l’ensemble de la « chaîne des coûts ». Les charges de fonctionnement, souvent assez élevées, sont très certainement compensées par des dépenses d’investissement largement subventionnées et des aides ponctuelles (à l’animation, à l’accompagnement) rendues possibles par l’existence d’un réseau d’institutions locales (les agences de l’énergie, les délégations d’Énergie Partagée, Enedis et ses conseils non payants, etc.) qui permettent de réduire les coûts d’intermédiation. L’un des enjeux pour l’action publique est de savoir comment soutenir l’ACCE sans trop la subventionner, en proposant, par exemple, des schémas de contractualisation impliquant des liens privilégiés entre les opérateurs du projet et les intermédiaires (notamment pour l’animation) ou, à tout le moins, de le faire en ciblant certains types de publics qui en ont le plus besoin (problématique de l’inclusivité).
2.2.2. L’importance des réseaux interpersonnels et des relations de confiance
15L’émergence et le développement de l’ACCE dépendent de plusieurs facteurs. On pourrait se contenter d’une vision assez simpliste des dynamiques en insistant sur l’influence de quelques éléments-clés, souvent mis en avant par les pouvoirs publics et les acteurs œuvrant en faveur de la production décentralisée : l’existence de « bonnes » incitations économiques, d’un cadre juridique stable et « bien conçu » et d’une stratégie d’information et de communication efficace. Il ne s’agit pas ici de sous-estimer ces facteurs qui, nous l’avons vu dans la première partie, sont essentiels et apparaissent comme des conditions nécessaires à une large diffusion de l’outil. Cependant, ils sont loin d’être décisifs. Les études de cas montrent que les projets émergent aussi grâce à la capacité de certains « entrepreneurs de la transition énergétique » (des élus locaux, des responsables associatifs, des acteurs venant du privé, des citoyens, etc.) à agencer différents groupes d’individus, venus d’horizons souvent divers. En d’autres termes, les monographies montrent tout l’intérêt d’ajouter un autre angle d’attaque à ceux couramment évoqués : la capacité de mobilisation et d’auto-organisation des acteurs de terrain. Le cas de SerenyCalas en constitue une illustration assez notable. En cela, ce travail confirme ce qui a pu être mis en exergue dans la littérature sur les communautés d’énergie, qui insiste sur la formation de ces collectifs d’acteurs et leur capacité à inscrire des formes de coopération dans la durée (Pappalardo, Debizet, 2020 ; Fontaine 2021 ; Maître 2021 ; Pappalardo, 2021).
16Deux types de facteurs de « décollage » de l’ACCE, non nécessairement interreliés, peuvent être en particulier identifiés grâce aux monographies. Le territoire, considéré comme un espace construit et structuré par les acteurs, peut constituer un terreau favorable à cette innovation, eu égard à l’antériorité des démarches qui ont pu y être engagées, parfois de nature à créer les conditions d’émergence des projets (prégnance de la thématique de la transition énergétique au niveau local, fort degré d’interconnaissance sur ces questions, etc.). Flora Aubert l’a bien montré dans son travail de thèse sur l’opération de Marmagne, mettant en avant la présence, sur ce territoire, de plusieurs projets énergétiques (8 éoliennes, un parc PV de 5 ha, porté ensuite à 25 ha, un projet de biométhanisation) antérieurs à l’ACCE et d’un fort relationnel entre le maire et un directeur de périmètre du groupe Vinci (Aubert, 2020, 176). Nos cas d’études sur la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois et sur Langouët l’illustrent également. Ils viennent à l’appui de l’hypothèse formulée dans l’étude quantitative sur la « géographie de l’ACCE », à savoir l’importance des facteurs institutionnels et humains dans la diffusion de cet outil (cf. supra). Les opérations peuvent aussi émerger (et c’est là un second facteur de « décollage ») de l’action d’individus qui, mus par un projet personnel ou professionnel, se battent pour mettre en place des collectifs d’acteurs dans des territoires où la question énergétique n’était pas très présente. Dans son enquête sur l’habitat collectif « Les Colibres » à Forcalquier, Flora Aubert (2020, 202) avait fortement mis cette dimension en évidence, en insistant sur les familles à l’initiative du projet. Ce constat se retrouve dans le cas des deux bailleurs sociaux que nous avons étudiés, qui montent des opérations dans des communes dans lesquelles il n’existe pas de forte sensibilité sur le sujet énergie, et qui vont plutôt s’appuyer sur leur organisation interne. Saint-Martin-Boulogne constitue, de ce point de vue, un cas très intéressant, avec un acteur ayant porté l’autoconsommation collective au sein de sa structure. En Auvergne-Rhône-Alpes, le directeur de l’office HLM est à l’initiative de l’opération d’autoconsommation, dans une logique d’innovation au sein du groupe auquel son office appartient. C’est enfin le cas de SerenyCalas, avec un projet qui a émergé de manière relativement autonome vis-à-vis de la commune, peu engagée, à l’origine, sur les questions écologiques.
17Pour réussir, les opérations doivent passer de l’émergence à la stabilisation, dans le temps, d’un collectif. Cette étape, cruciale, nécessite l’entretien d’une dynamique qui prend source dans les valeurs définies par le premier groupe, éventuellement enrichies de nouveaux principes d’action apportés par les acteurs qui s’agrègent par la suite. Cette dynamique repose sur la capacité des porteurs de projet à générer, de manière durable, de la confiance, de la crédibilité et de la simplicité, et à gérer le risque d’échec potentiel pour le collectif. Elle implique ce que l’on appelle, dans la littérature des sciences de gestion, une logique d’« apprentissage organisationnel » (Koenig, 2006), les acteurs découvrant des problèmes (et des solutions) au fur et à mesure de l’avancement du projet. Cet apprentissage se fait « localement » et de manière « horizontale », entre les parties prenantes des opérations. L’exemple de Langouët en témoigne, dans lequel on peut voir le rôle déterminant de la mise en œuvre d’outils communs à tous les participants pour mieux appréhender, collectivement, les décisions tant sur la vie du projet (clefs de répartition, actions d’efficacité énergétique, modélisation de la facturation) que sur son avenir (adjonction d’un producteur). Mais l’apprentissage organisationnel se fait également dans une perspective multi-niveaux car il se nourrit aussi des échanges qui peuvent survenir au sein des organisations impliquées dans plusieurs projets. Le cas de la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois en atteste, qui montre comment Enedis et Enercoop ont progressivement modifié leurs process et leur organisation, à mailles régionale et nationale, en tirant parti de leur insertion dans ce projet.
18Sur ce point, la constitution d’un collectif se fait, bien entendu, autour de producteur(s) et de consommateur(s). Mais, plus généralement, elle mobilise un ensemble parfois assez large d’acteurs accompagnateurs de la transition énergétique, qui permettent d’épauler les porteurs de projets, de les aider à faire des connexions, de recruter de nouveaux membres et de résoudre parfois certains de leurs problèmes, en termes de compréhension du système énergétique, de financement du projet, de stabilisation des relations contractuelles ou d’animation de l’opération. On y trouve des acteurs publics (la SEM Énerg’iV à Langouët, les communes et Régions à Langouët, SerenyCalas et dans la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois), des associations (l’ALEC à Langouët, Énergie Partagée à SerenyCalas), le GRD (rôle de conseil d’Enedis dans tous les projets), des acteurs privés (Enercoop, Enogrid, et autres start-ups), des acteurs de la recherche (ingénieur doctorant et sociologue en Auvergne-Rhône-Alpes). La présence de ces acteurs accompagnateurs de la transition énergétique est soulignée dans l’ensemble des études de cas comme un élément déterminant de la réussite de l’opération.
2.2.3. L’arrimage parfois compliqué des opérations aux collectivités territoriales
19Hormis le cas des projets impulsés à des fins d’autoconsommation patrimoniale (communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois), dans lesquels elle est directement impliquée et dont elle maîtrise la gouvernance, la collectivité locale joue un rôle variable dans les opérations. S’agissant des ACCE portées par les bailleurs sociaux, elle reste absente et peu intégrée au système d’acteurs. Le projet d’autoconsommation en Auvergne-Rhône-Alpes se déroule de manière étanche vis-à-vis des deux collectivités concernées, alors qu’il présente un potentiel de mutualisation à l’échelle du quartier dans lequel se situent plusieurs résidences sociales appartenant à des bailleurs différents. Le constat vaut aussi pour Saint-Martin-Boulogne. Ce faible niveau d’interactions s’explique par la nature des deux projets. Étant conçus comme devant alimenter exclusivement le patrimoine du bailleur social, ils n’incitent pas ce dernier à sortir de son périmètre d’action et à associer les autres acteurs de son environnement immédiat, dont les collectivités locales.
20Celles-ci jouent en revanche un rôle plus important – parfois décisif – dans les deux ACCE « multi-acteurs » étudiées (c’est-à-dire rassemblant des producteurs et des autoconsommateurs différents, qui peuvent être publics et privés) que sont Langouët et SerenyCalas. La collectivité favorise tout d’abord, par son implication indirecte, la confiance autour de l’opération, vis-à-vis des habitants (futurs autoconsommateurs ou riverains des installations de production) et des partenaires institutionnels, qui seront parfois d’autant plus enclins à s’engager qu’ils sauront que le projet bénéficie de son appui. Elle est également source d’une plus grande sécurisation, les communes, dans ces deux études de cas, mettant à disposition une partie de leur foncier pour accueillir les installations de production, via des conventions d’occupation du domaine public. Cet apport en nature, particulièrement perceptible à Langouët et à SerenyCalas, que la collectivité participe ou non à l’ACCE, permet de gagner en sécurité juridique, technique et économique, ce qui est une clé de réussite auprès des financeurs (subventions, emprunts bancaires, etc.).
21Les collectivités territoriales semblent d’ailleurs satisfaites de cette association, y trouvant une solution pour réduire les charges d’entretien du bâtiment public concerné (elles bénéficient souvent de retombées sous la forme d’une autoconsommation individuelle d’une partie de l’énergie produite par la centrale de production installée et touchent des redevances d’occupation des toitures, comme c’est le cas à SerenyCalas et Langouët) mais aussi un moyen de valoriser leur engagement dans la transition énergétique (aspect plus politique). Les acteurs portant des projets d’autoconsommation collective s’attachent à entretenir ce lien car ils savent qu’il constitue un atout.
22Ceci étant, l’implication de la collectivité locale peut être aussi un facteur de risque pour la pérennité de l’opération. Un changement de majorité politique, un moindre intérêt pour les questions de transition énergétique, un relationnel qui se dégrade dans le temps sont perçus comme autant de sources de déstabilisation potentielle. Lors d’un changement de majorité municipale ou de maire, les priorités de la collectivité peuvent être redéfinies et/ou ne plus correspondre au modèle de l’opération. De même, de nouveaux impératifs budgétaires peuvent apparaître. Les cas de SerenyCalas et de Langouët l’illustrent. Ces initiatives ont pu compter sur le collectif initial pour les soutenir et trouver des solutions pour dépasser ces difficultés, permettant de réfléchir à des issues pour sécuriser les projets sur des périodes assez longues, proches de celles du seuil de rentabilité, ou engageant une réflexion sur la modification du rôle de la collectivité.
2.2.4. La sobriété énergétique : un fil conducteur commun inégalement travaillé
23Faisant écho à certains arguments venant à l’appui de l’ACCE, la sobriété énergétique est un élément commun présent dans les discours tenus autour de beaucoup d’opérations étudiées. Dans certains cas, elle constitue même une sorte de « fil rouge » auquel les porteurs de projets d’ACCE font référence209. Cette ambition est toutefois saisie, travaillée et appréhendée de manière très différente selon les cas, à l’instar de la plupart des projets de communautés d’énergie (Burchell, Rettie, Roberts, 2014 ; Martin, Agnoletti, Brangier, 2020). La sobriété énergétique n’est, en fait, généralement pas encore intégrée. Les porteurs de projets d’ACCE lui préfèrent l’efficacité énergétique, qui permet, par un déplacement des consommations sur les temps de production, de soutenir leur modèle économique, dès lors que le surplus de production ne dispose pas d’un soutien public (ce qui est alors le cas au moment de notre enquête). Appelés à dépasser les intérêts individuels pour travailler sur la réussite collective, les autoconsommateurs sont donc enjoints à jouer un rôle dans l’équilibre économique de l’opération. Il n’est d’ailleurs par étonnant, en ce sens, que la science économique s’intéresse particulièrement à cet enjeu de modélisation et de stimulation des comportements des consommateurs au soutien des modèles économiques des communautés énergétiques (Simoiu, Fagarasan, Ploix, Calofir, 2022210). Pour autant, la sobriété énergétique intervient soit directement en raison du profil des autoconsommateurs (situation de précarité énergétique, engagement citoyen), soit indirectement comme un défi pour l’avenir (intégration de nouveaux membres en situation de précarité énergétique nécessitant un partage de la valeur, absence de nouvelle capacité de production).
24La dimension sobriété énergétique est donc relativement faible, sauf dans les opérations qui l’ont inscrite dans leur « ADN » dès le début du projet (cas de Langouët et des bailleurs sociaux d’Auvergne-Rhône-Alpes et de Saint-Martin-Boulogne), dans lesquelles un investissement très important est déployé.
25En Auvergne-Rhône-Alpes, la sobriété énergétique est au cœur des opérations de rénovation énergétique de deux résidences pour lesquelles l’ACCE est présentée comme l’un des maillons forts. Pour le bailleur, le recours aux énergies renouvelables apparaît comme une stratégie pour atteindre les objectifs de performance (réglementation, éco-conditionnalité des aides), sans avoir à modifier le mode de chauffage des résidences (bi-jonction électrique). Le choix de l’autoconsommation rencontre à la fois une logique d’innovation technologique et une logique sociale vis-à-vis des locataires qui sont parmi les plus modestes sur le parc du bailleur. La production électrique est envisagée comme un moyen de réduire les charges à la fois collectives et individuelles de ces derniers. Il est envisagé d’utiliser le projet d’autoconsommation comme un support d’implication des locataires sur des comportements économes, dans l’espoir de limiter les effets rebonds souvent observés lors des périodes post-rénovation. Le bailleur de Saint-Martin-Boulogne considère lui aussi l’ACCE comme un facteur clef de réussite de ses actions de rénovation, en portant une démarche d’« habitat contributif » dès leur conceptualisation. Cet engagement fort renvoie aux profils des personnes autoconsommatrices concernées, à la personnalité du porteur du projet et aux subventions fléchées obtenues pour monter l’opération. Pour le projet de Langouët l’attention à l’égard de la sobriété énergétique dépasse l’ACCE, le territoire étant de longue date inscrit dans une démarche de sobriété, voire d’autonomie énergétique par rapport aux sources fossiles. Les membres sont invités, par leur adhésion à l’ACCE, à contribuer à cette dynamique locale, la sobriété de l’opération en tant que telle commençant à émerger en raison de considérations économiques (limitation de la perte du surplus).
26Dans les deux autres cas étudiés, la sobriété énergétique reste encore embryonnaire en 2022. Dans la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois, qui est en ACCE patrimoniale, aucune action en la matière n’est associée au projet, les usagers des bâtiments ignorant bien souvent l’existence de l’opération. À SerenyCalas, la sobriété énergétique fait partie des principes affichés. Mais les actions entreprises visent surtout, du moins jusqu’à fin 2022, le déplacement des consommations, ce qui est plus proche de la notion d’efficacité énergétique que de sobriété énergétique, l’enjeu étant de trouver le meilleur équilibre possible entre production et autoconsommation. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, les aides publiques (locales) ne ciblent pas, d’ailleurs, la sobriété en tant que telle. Les subventions obtenues sont fléchées sur la production d’énergie renouvelable, et non sur l’action portant sur la maîtrise de la demande. L’absence, pendant longtemps, de soutiens de type TURPE ou de valorisation du surplus d’énergie incite également les acteurs à reporter les consommations au moment où les panneaux PV peuvent produire de l’électricité. Ce n’est qu’à l’avenir, lorsqu’un nombre plus important de participants pourront se joindre au projet que des actions plus volontaristes en matière de sobriété énergétique – qui tiennent à cœur aux participant.e.s – pourraient être envisagées, notamment dans sa dimension inclusive (lutte contre la précarité énergétique), dans une perspective proche de la notion de justice énergétique (Hanke, Gayet, Feenstra, 2022).
2.2.5. L’ACCE, une opportunité de diffusion des enjeux de la transition énergétique dans les territoires ?
27Les discours sur l’ACCE, et plus généralement sur les communautés d’énergie, mettent souvent en avant le fait qu’au-delà de son intérêt intrinsèque, cet outil serait un vecteur de sensibilisation aux enjeux de la transition énergétique dans les territoires. Sur ce point, comme sur les précédents, il faut se prémunir de toute vision par trop simpliste de l’appropriation de la transition énergétique au niveau local (Évrard, Wokuri, 2022) et du rôle du consommateur d’énergie (Cacciari, 2018). Les situations étudiées montrent que l’ACCE ne remplit pas nécessairement cette fonction et qu’il faut distinguer plusieurs cas de figure, dans l’intensité des efforts et des effets produits. Il faut déjà souligner, au préalable, qu’une dynamique territoriale autour de l’ACCE doit toujours être entretenue, y compris dans les cas où elle est assez présente au départ. La monographie sur la communauté de communes du Haut Pays du Montreuillois le montre bien, où l’on voit qu’une fois l’opération lancée, les liens peuvent se distendre avec les acteurs de la commune de Fruges, faute d’avoir été suffisamment nourris.
28Deux niveaux peuvent être distingués sur cette question de l’exemplarité et de la diffusion des enjeux, moyens d’action et objectifs de la transition énergétique.
29Le premier niveau est celui des acteurs concernés par les opérations, en particulier celles et ceux qui se trouvent sous les toitures accueillant des panneaux photovoltaïques mais qui ne sont pas directement impliqués en tant qu’autoconsommateurs. On pourrait imaginer que, dans ce type de situation, l’installation d’une unité de production soit, par effet de proximité géographique, une excellente opportunité pour sensibiliser un plus large public aux enjeux de la transition énergétique. Tel est le cas à Langouët, qui mène des actions poussées en la matière et qui a fait le choix de rendre visible l’installation de production (tracker solaire situé en cœur de village). Mais l’inverse se produit aussi, dans la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois et à SerenyCalas, où les usagers des bâtiments porteurs des centrales photovoltaïques (une déchetterie, un cyber centre, une salle des sports ou une micro-crèche dans le premier cas, une école dans le second) ne sont pas au courant des opérations ni ne sont sollicités pour entreprendre des actions de sensibilisation autour de leur consommation d’énergie. Ce constat vaut parfois aussi pour des opérations dans lesquelles les autoconsommateurs accueillent des installations PV sur leur toit. Le cas du bailleur social en Auvergne-Rhône-Alpes en fournit un bon exemple, les locataires n’ayant pas tous été informés du projet d’ACCE, ou alors de façon très minimaliste. Le sujet apparaît même comme risqué pour le bailleur car la priorité des locataires reste la rénovation de leur résidence et l’aspect innovant de l’autoconsommation apparaît en décalage avec des besoins jugés plus impérieux (confort thermique, remise aux normes, etc.).
30Le second niveau de diffusion concerne les acteurs extérieurs à l’opération elle-même, du moins dans sa « matérialité ». Il s’agit de savoir si le projet arrive à « percoler » au-delà de son périmètre, à des échelles territoriales qui peuvent être locale, régionale ou nationale. Les cas étudiés montrent d’importants contrastes en la matière. À Langouët, le niveau local (communal) est fortement investi par le collectif, avec une volonté de diffuser les acquis de l’ACCE au sein du territoire (inter) communal, une fois que les difficultés seront dépassées. À SerenyCalas et dans la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois, les liens entretenus avec les acteurs du territoire sont plus ténus, même si certains commencent à être tissés avec des associations environnementales (via des autoconsommateurs et/ou des actionnaires) et qu’une certaine publicité est faite par la municipalité. La diffusion se fait plutôt à une plus large échelle, à savoir la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et le niveau national (journaux télévisés de TF1 et de France 3, reportage sur BFM TV) dans le premier cas et la Région des Hauts-de-France dans le second.
31Sur ce point, un élément important est ressorti des différentes monographies : la question de la « mise en visibilité » des installations de panneaux photovoltaïques. Elle est parfois très clairement assumée, les porteurs de projets estimant que les équipements doivent être montrés aux autoconsommateurs et à la population, à des fins pédagogiques notamment, comme à Langouët (tracker solaire en cœur de village), dans la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois (panneaux visibles sur les toitures et affichage dynamique du couple production/ consommation dans l’hôtel communautaire) et à Saint-Martin-Boulogne (temps d’exposition au sol des panneaux préalables à leur installation sur les toits). À SerenyCalas, cette « mise en visibilité » est quant à elle « négociée », les habitants étant parfois hostiles à l’insertion de panneaux photovoltaïques dans leur environnement visuel immédiat. L’installation de la centrale photovoltaïque sur l’école a ainsi fait l’objet d’un savant travail pour la montrer partiellement depuis l’extérieur du bâtiment. Tout dépend donc des contextes d’action et de la perception qu’ont les porteurs de projets et/ou les collectivités territoriales de l’« acceptabilité sociale » (pour reprendre leur expression) des implantations d’équipements.
2.2.6. Les autoconsommateurs, des impensés de l’ACCE ?
32Il ressort enfin de ce travail monographique que la focale s’est peut-être, jusqu’à présent, davantage concentrée sur les producteurs et, d’une façon générale, sur l’équilibre économique des opérations que sur les autoconsommateurs en tant que tels, alors qu’ils constituent un autre pan essentiel de la réussite des opérations. Trois éléments peuvent être mis en avant sur ce point : le caractère parfois un peu flou de la notion d’autoconsommateur, les droits dont celui-ci dispose et la place qu’il occupe dans la gouvernance des projets (Lormeteau, 2022).
33La notion même d’autoconsommateur peut parfois prêter à confusion, comme le montre l’ACCE menée en Auvergne-Rhône-Alpes par un bailleur social. Dans un premier temps, il s’agit d’alimenter les parties communes des immeubles concernés par l’opération : l’organisme est alors autoconsommateur individuel. Mais, dans la mesure où la quantité d’électricité produite excède la consommation des parties communes, le bailleur envisage d’alimenter également les parties privatives, faisant ainsi rentrer les locataires dans le statut d’autoconsommateur. L’hypothèse principale consisterait à fournir en priorité les ballons d’eau chaude sanitaire des locataires et, en complément, le chauffage. Ces options ouvrent de multiples questions sur le besoin de piloter des appareils et de recueillir des données de consommation ou sur le mode de répartition de la production entre les locataires (en fonction de la surface, de la consommation réelle, etc.).
34Un second élément, que l’on retrouve dans les études de cas comportant des autoconsommateurs personnes physiques, est que ceux-ci ne semblent pas être encore perçus comme des consommateurs classiques d’électricité. Parce qu’ils échappent à toute catégorie traditionnelle (l’ACCE est une opération qui ne repose pas sur une activité de fourniture en tant que telle), ils ne se voient pas appliquer le bénéfice du régime juridique s’appliquant à ce statut, contrairement à ce qu’impose le droit européen. Les dispositions du régime actuellement mis en œuvre en France portent essentiellement sur le droit d’accéder aux opérations d’ACCE, sans discrimination, du fait du statut d’autoconsommateurs, mais sans que ces derniers ne disposent officiellement de garanties en matière d’informations et d’obligations contractuelles. On remarque toutefois que la mise en page ainsi que les informations transmises dans les opérations de Langouët et de SerenyCalas reflètent un certain attachement à respecter les « canons » des obligations d’un fournisseur envers un consommateur classique, avec une attention portée aussi bien à l’identification du prix du kWh qu’à la quantité livrée, même lorsque le document ne constitue pas une facturation à proprement parler. En absence de dispositions claires, une grande latitude d’action est offerte aux porteurs de projet. Au regard de ce contexte, c’est le rapport entre les autoconsommateurs et leurs fournisseurs de complément qui polarise les difficultés. Celles-ci concernent surtout l’absence de prise en compte ou, à tout le moins, une prise en compte partielle par le fournisseur de la part autoconsommée (flux autoproduits) sur les factures qu’il édite. Dès lors, un participant peut être facturé deux fois pour cette part et les régularisations successives ne facilitent pas la compréhension des flux. Les relations avec les autoconsommateurs peuvent parfois devenir conflictuelles, ce qui oblige alors le porteur de projet à collecter les données puis à les transmettre à Enedis (ce qui génère un coût de transaction supplémentaire, alors que celui-ci peut être déjà suffisamment élevé). Ce faisant, le GRD remplit de fait le rôle de médiateur sur ce type de problème.
35Le troisième et dernier élément est relatif à la place de l’autoconsommateur dans la gouvernance de l’opération. Au préalable, il est nécessaire de bien comprendre que l’on distingue l’autoconsommateur « personne physique » de la notion de « site de consommation » ou, plus exactement, que l’on procède à une assimilation entre le « consommateur » membre d’une opération d’autoconsommation collective et le « site de consommation ». La personne physique consommatrice n’est pas individualisée : c’est son PRM/PDL211 qui matérialise son appartenance à l’opération. Or cela a pu créer, selon les projets, un certain hiatus entre l’accès à la gouvernance de l’opération et l’appartenance à la PMO. Ainsi, des schémas organisationnels peuvent montrer une complète déconnexion entre ces deux éléments. C’est le cas de SerenyCalas, qui ne prévoit pas de représentation des autoconsommateurs non-actionnaires au sein de la PMO. D’autres projets, au contraire, mettent ces acteurs au cœur du dispositif, y compris lorsque, d’un point de vue juridique, ils ne sont pas identifiés dans la gouvernance. Cela peut être le cas d’une PMO portée par un bailleur social, modèle dans lequel le consommateur ne dispose d’aucune possibilité de se positionner sur la détermination de la clef de répartition des flux autoproduits. Ainsi, à Saint-Martin-Boulogne, une LED est installée dans les halls, permettant aux locataires de prévenir le bailleur en cas de dysfonctionnement de la centrale de production. Est également mise en place l’animation par des « autoconsommateurs-ambassadeurs » d’ateliers dédiés à la sobriété. D’une manière plus générale, les locataires sont informés régulièrement sur le projet d’ACCE. A contrario, chez le bailleur social d’Auvergne-Rhône-Alpes, les locataires ne sont pas demandeurs de l’autoconsommation, le projet émanant de l’organisme de logement social. Leur information sur le projet apparaît toutefois comme une nécessité juridique (accord écrit) et/ou s’inscrivant dans la politique de concertation du bailleur. La question de l’intérêt des locataires à l’opération est alors soulevée car celui-ci ne recouvre pas celui du propriétaire bailleur. L’étude de cas met en lumière une divergence de signification de l’autoconsommation en HLM dans le cadre d’une rénovation. D’un côté, le bailleur considère que l’optimisation de l’autoconsommation passe par une automatisation du pilotage des consommations d’énergie chez les locataires. De l’autre, les locataires considèrent le projet d’autoconsommation comme acceptable à partir du moment où il participe d’une reprise de contrôle sur leur consommation et leur confort thermique. Ce constat invite à intégrer les locataires et leurs représentants dans la gouvernance dès les phases amont des projets d’autoconsommation, pour limiter les conflits et travailler à la convergence des intérêts.
Notes de bas de page
209 Ce qui ne veut pas dire que les justifications à agir se réduisent à cet objectif. D’autres motifs d’engagement sont évoqués dans les monographies, tels que produire et consommer local (notion de circuit court), agir pour la planète à son niveau, faire communauté, etc.
210 Hormis la présentation de leur méthode et de leurs résultats, les auteurs de cet article exposent l’un des états de l’art les plus à jour à la date de rédaction de notre ouvrage.
211 Pour rappel, PRM : Point de référence mesure ; PDL : Point de livraison.
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L’autoconsommation collective d’électricité en France
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