1Après la crispation des années 2017-2019, une nouvelle phase s’ouvre pour l’ACCE. Hormis le cas du contentieux autour du TURPE, qui reste en suspens, elle correspond à un certain assouplissement des positions, au fur et à mesure que l’ensemble des acteurs constate que les projets peinent à sortir. La courbe de création des opérations d’ACCE montre en effet une stagnation, qui atteste les nombreuses difficultés pratiques que rencontrent alors les porteurs de projets, du fait de la faible attractivité de l’outil (figure n° 8). Privés d’un TURPE incitatif, non éligibles à un allègement de la fiscalité applicable à l’énergie et aux mesures de soutien public classiques, beaucoup se montrent très méfiants vis-à-vis du tout nouveau dispositif. Face à ces réticences, certains blocages institutionnels se lèvent, autour de la PMO et du périmètre, qui sont davantage du ressort du législateur et du Ministère de la transition écologique que de la CRE, très présente précédemment.

Figure n° 8. Les créations d’opérations d’ACCE entre 2017 et 2022

4.1. Un contexte plus favorable

2L’attitude des acteurs-clés du démarrage de l’ACCE évolue fortement durant cette période. D’une part, la CRE adopte une attitude plus « facilitante ». Celle-ci tient tout d’abord au fait qu’en ayant eu gain de cause sur le dossier du « TURPE spécifique », la Commission a écarté la principale menace que représentait pour elle la mise en œuvre de l’ACCE. Elle s’est également dotée, en 2017, d’un Comité de prospective, dont les premiers travaux sont « destiné[s] à éclairer le chemin des décideurs, chacun dans son domaine de compétence respectif138 ». Cette initiative lui permet d’adopter une double posture : classiquement, à l’aval, comme autorité de régulation ; nouvellement, à l’amont, comme organe de prospective sur la recomposition du paysage énergétique « sous l’action de deux révolutions : la transition énergétique et la transformation numérique139». Par ailleurs, la CRE obtient fin 2019 la création d’un « bac à sable réglementaire140 » placé sous sa responsabilité, qui lui permet, sous certaines conditions, d’impulser, de manière temporaire et dérogatoire, plusieurs expérimentations. Elle est donc placée par le législateur à l’avant-poste des futures innovations, autour notamment des communautés d’énergie, et chargée d’analyser avec les acteurs leurs bénéfices potentiels pour le système électrique. Ce rôle lui faire entrevoir l’ACCE de manière plus positive que par le passé.

3De son côté, le Ministère de la transition écologique lance le plan « Place au soleil » dès l’été 2018, ce qui lui confère une nouvelle légitimité. Ce Plan sert d’ailleurs de référence dans les échanges parlementaires qui vont accompagner l’évolution du cadre de l’ACCE durant cette période.

4Enfin, ayant levé les incertitudes qui pesaient sur la régulation des réseaux dont elle a la charge (passage obligé par les infrastructures publiques, fixation d’un TURPE dédié), Enedis peut se lancer avec plus d’allant dans l’accompagnement des projets locaux. Elle produit et rend publique, dès novembre 2017, la convention d’autoconsommation collective (V1.0) qui, pour chaque opération, doit être conclue entre elle et la personne morale organisatrice. Cette convention est un élément déclenchant du décollage de l’ACCE car elle fixe la « doctrine » du GRD national dans le déploiement des projets. Elle permet aussi de facto la création de l’ACCE dite patrimoniale, qui n’existait pas jusqu’alors (cf. infra). Enedis met également en place une organisation dédiée à l’accompagnement de l’autoconsommation. Au niveau national, la question est prise en charge par une entité spécialisée, le pôle « projets et solutions » de la direction « clients et territoires ». Au niveau local, des interlocuteurs ACCE sont nommés au sein de chaque direction régionale, avec pour tâche d’être des contacts privilégiés pour les porteurs de projets et les agents internes à l’entreprise (entretien avec un membre d’Enedis). Enedis développe enfin des API141 permettant d’harmoniser le traitement des données de production et de consommation, ce qui facilite considérablement la gestion de la facturation et réduit potentiellement les coûts d’administration (entretiens avec un membre d’Enedis et un membre d’Enercoop).

5Les tensions ayant été en partie aplanies, les positionnements et les compétences mieux clarifiés, un apprentissage collectif se met en place autour de l’ACCE. Il constitue de facto l’équivalent de l’approche expérimentale qui avait été écartée par l’exécutif en 2016 et qui peut se dérouler désormais de manière plus stabilisée. Par ailleurs, l’ACCE est présentée aux acteurs locaux comme une solution technique et juridique pertinente pour certains projets d’aménagement car offrant de dépasser les contraintes réglementaires qui s’opposent au recours à des réseaux privés de distribution (entretien avec un membre du PUCA). Ce faisant, elle suscite un net regain d’intérêt dans les territoires.

6Toujours sans soutien public, les acteurs favorables à l’ACCE portent alors leurs efforts sur l’activité de consommation. Il s’agit, pour eux, de jouer sur les effets de foisonnement en stabilisant le nombre de participants grâce à une évolution de la personne morale organisatrice (PMO) et en étendant le périmètre des opérations, afin de recruter des membres aux profils plus diversifiés et complémentaires.

4.2. Mobiliser deux nouveaux leviers : la PMO et la réduction des coûts d’intermédiation

7Faute de pouvoir agir sur le périmètre et sur le TURPE, les acteurs de l’ACCE essaient d’assouplir d’autres contraintes pesant sur l’équilibre technico-économique des opérations. Parmi elles, la PMO retient alors toute leur attention, à la faveur des retours d’expérience dont ils peuvent bénéficier142.

8L’ordonnance de 2016 a privilégié la mise en place d’une gouvernance de l’ACCE structurée autour d’une PMO constituée par le(s) producteur(s) et le(s) consommateur(s), dont la nature juridique est alors laissée libre. Elle peut être une société de droit privé, une association ou une personne morale de droit public. Selon les acteurs, l’imposition d’une entité juridique dédiée ne pose pas de difficultés particulières quant à l’objet ACCE en tant que tel, mais nécessite un temps, et donc des coûts supplémentaires, pour la mise en œuvre d’une opération. Comme le souligne cet agent d’Enedis, « évidemment, il faut créer cette PMO, c’est long. Il faut des statuts, ça demande des démarches… Ensuite, il faut associer les consommateurs et les producteurs, c’est du temps, il faut aussi faire des réunions, des assemblées générales, dans lesquelles on les informe, dans lesquelles ils ont le droit de s’exprimer. Tout ça c’est du temps, c’est des coûts ».

9C’est en partie sur l’allègement des coûts d’administration liés à l’existence d’une PMO problématique, bien illustrée par nos monographies (cf. partie II), que certains acteurs essaient de jouer pour faciliter la bonne marche des projets. Deux évolutions concomitantes vont dans leur sens, qui aboutissent à la création de trois familles d’ACCE. La première est législative et concerne le cas spécifique des bailleurs sociaux. La seconde est issue de la publication de la convention d’autoconsommation collective d’Enedis.

10Au « modèle unique » tel qu’il découlait du cadre législatif de 2016 succèdent trois formes d’ACCE, qui sont désormais consignées dans le modèle de convention d’autoconsommation collective mis en place par le gestionnaire du réseau de distribution Enedis.

11La première, dite « ACCE patrimoniale », concerne une opération dans laquelle consommateur(s) et producteur(s) sont une même personne morale mais disposent de PRM/PDL143 distincts (figure n° 9). Dans ce cas, aucune PMO n’est exigée.

Figure n° 9. Schéma d’une ACCE « patrimoniale »

Figure n° 10. Schéma d’une ACCE « Bailleur social »

12Une deuxième ACCE, dite « bailleur social », est une opération regroupant le(s) consommateur(s) (locataires des logements) et le(s) producteur(s). Le bailleur est alors la PMO (figure n° 10).

Figure n° 11. Schéma d’une ACCE « multi-acteurs/communauté »

13Enfin, la réglementation identifie une dernière ACCE, dite « multi-acteurs » ou « communauté » (figure n° 11). Elle regroupe de(s) consommateur(s) et de(s) producteur(s) qui sont des personnes morales et/ou physiques distinctes, disposant de PRM/PDL distincts.

14L’action sur ce paramètre de la PMO est justifiée au regard de la consolidation d’un modèle économique qui reste encore fragile. N’ayant pu agir sur le levier du TURPE, étant, par ailleurs, toujours sans soutien public, les porteurs de projets doivent essayer de maintenir un certain niveau de consommation, et donc de membres consommateurs, pour assurer un bon taux de retour sur investissement de la centrale de production PV. Or d’un point de vue juridique, les membres peuvent sortir à tout moment d’une opération, au nom du principe de liberté de choix du consommateur pour sa fourniture. Comme le souligne un adhérent de l’association Amorce, « après, sur tout ce qui est action avec d’autres acteurs, ce qui nous semble parfois difficile à évaluer, c’est la pérennité des clients sur le long terme. Si vous signez un contrat avec un gros consommateur, un supermarché par exemple, quel est l’engagement sur le long terme de ce consommateur ? Comment gérer les départs et les arrivées ? Parce que, finalement, ça, on arrive très bien à le faire au niveau national, de jouer dans des vases communicants. Après, à l’échelle locale, si vous perdez un gros consommateur, vous vous retrouvez avec une PMO qui, finalement, a une grosse injection sur le réseau ». C’est donc dans le sens d’une stabilisation du taux d’autoconsommation que l’attention va être portée. Or dès lors que Enedis a formalisé dans son modèle de convention d’autoconsommation collective que ce qui fait l’ACCE est, du point de vue du réseau, l’identification matérielle de PRM/PDL, sans qu’il n’y ait nécessairement de personnes physiques ou morales distinctes, les porteurs de projet disposent de nouvelles marges de manœuvre.

15Ainsi, s’écartant de l’esprit du texte de 2016, qui définissait la PMO comme un organe réunissant producteur(s) et consommateur(s) et laissant penser, au regard des formes listées dans le « Rapport au président », que l’ACCE devait regrouper des personnes physiques ou morales différentes, le législateur de 2019144 dote les ACCE portées par des bailleurs sociaux d’un cadre juridique spécifique. Cette création correspond à une demande forte de l’Union sociale de l’habitat (USH), qui évolue dans un contexte réglementaire obligeant ses membres à être de plus en plus attentifs aux questions énergétiques, avec des dispositifs permettant de coupler rénovations de bâtiments et production d’EnR. Nous y reviendrons dans les deux études de cas consacrées à ce type d’acteur dans la partie II. Pour l’USH, l’enjeu est de faciliter la mise en place de l’ACCE en permettant au bailleur social de gérer plus aisément le consentement des locataires : « on l’a demandé. Sinon, les opérations auraient été impossibles. On ne peut pas demander à chaque locataire d’adhérer à une structure et à adhérer à chaque renouvellement de locataire » (entretien avec un membre de l’USH). En effet, l’inconvénient principal de la structuration sous forme de PMO est de devoir gérer la liberté qu’ont les consommateurs et les producteurs d’adhérer ou de se retirer de l’opération. Cette liberté génère des coûts organisationnels importants et influe sur la rentabilité économique du projet. Les locataires disposent, comme tout consommateur, du droit de choisir librement leurs fournisseurs145 mais l’occupation des logements est, par principe, temporaire. Dès lors, chez les bailleurs sociaux, la variabilité des consommateurs est un paramètre sensible. Pour pallier cette difficulté, le bailleur social se voit reconnaître le statut de PMO146. L’information sur la présence d’une opération d’autoconsommation est assurée à la conclusion du contrat de location. Le locataire peut librement décider de ne pas y participer (pèse donc sur lui une adhésion de principe à l’ACCE) et également la quitter à tout moment. L’information est délivrée lors d’une réunion dédiée et par la voie d’un document spécifique affiché dans l’immeuble et remis individuellement à chaque locataire147. Rien n’est indiqué sur les droits des locataires-consommateurs quant à la gouvernance de l’opération d’autoconsommation, notamment la détermination de la clef de répartition, leur PRM/PDL suffisant à les identifier comme membres.

16Cette spécificité consentie aux bailleurs sociaux interroge et intéresse d’autres acteurs. La FNCCR et Amorce poussent ainsi, un temps, pour que les autorités organisatrices de la distribution d’énergie puissent être elles aussi PMO. Comme le souligne Amorce, qui utilise le terme « d’autoconsommation territoriale » pour les projets portés par les collectivités territoriales, « la réflexion ACC patrimoniale est vraiment importante pour la collectivité territoriale car elle pérennise une consommation produite sur le territoire, où elle gère le tarif. (…) Donc je m’émancipe d’un marché européen qui est variable selon l’indice du coût des autres énergies ». Cette appétence des collectivités pour l’ACCE patrimoniale est également observée par Enogrid : « c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus simple à faire. Il n’y a pas de PMO, pas de question de gouvernance. Pour les collectivités territoriales, ça fonctionne très bien car elles ont compris qu’elles ne pourraient jamais tout autoconsommer sur un bâtiment parce que, le soir, il n’y a personne, en été, il n’y a personne etc. Et donc avec plusieurs bâtiments, cela fait un taux de foisonnement intéressant ».

17Ainsi, la souplesse de la définition de la PMO par l’ordonnance de 2016 a permis empiriquement, grâce à la lecture de la convention d’autoconsommation collective d’Enedis, de ne plus comprendre la PMO comme un assemblage contractuel mais comme une identification des PRM/PDL inclus dans le périmètre d’une opération.

18Cette nouvelle option entraîne, dans ce cas de figure, une réduction des coûts de développement et de gestion des opérations, puisqu’elle simplifie le cadre de gouvernance. La nature des opérations d’ACCE telles qu’on peut les identifier en 2022 en témoigne (cf. notre typologie dans la partie II). En effet, les formes d’ACCE qui se développent le plus sont celles qui ne regroupent pas des consommateurs entendus au sens « physique » du terme mais des sites de consommation. Un exemple type est un projet d’ACCE qu’une collectivité territoriale mène sur son propre patrimoine, sans que les usagers de ces bâtiments (qui sont pourtant physiquement les consommateurs finals) ne soient toujours informés de l’opération ni ne participent à sa gouvernance. Le cas de la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois présenté dans la partie II l’illustre bien. Au dire d’acteurs, dans ce genre d’ACCE, « dès lors qu’il faut avoir une vraie PMO, parce que l’opération est mixte [consommateur et producteur différents], on voit surtout des associations ad hoc, alors un rôle ultra-limité, un bureau très limité avec beaucoup de membres d’honneur, etc. » (entretien avec un membre de Tecsol). Cet autre observateur, qui travaille à Enogrid, souligne également que « l’idée initiale des ACC était la gouvernance collective. Mais cela a fait beaucoup de mal au développement de l’ACC. Ça a été pensé comme cela mais il y avait directement une complexité énorme dans la mise en place des projets. Le temps que les gens comprennent qu’on pouvait faire des projets d’ACC beaucoup plus simples, honnêtement, de l’extérieur, quand on voyait des papiers de recherche sur l’ACC on se disait « non mais, l’ACC c’est vraiment une usine à gaz » en termes de gouvernance et autres. C’est hyper complexe alors que les premières applications avec l’ACC sur le terrain, ce n’était pas ça ».

4.3. L’extension du périmètre : jouer sur le foisonnement pour conforter le modèle économique

19L’extension du périmètre poursuit également son chemin, dans un sens qui devient nettement plus favorable aux acteurs de l’ACCE. Relevant de la pleine compétence du législateur, cette question permet à la DGEC de récupérer une latitude d’action qu’elle n’avait pas jusque-là vis-à-vis de la CRE et du Ministère de l’économie et des finances. Face au refus de ces deux acteurs de mobiliser le TURPE (pour alléger les factures) et les soutiens publics (pour valoriser le surplus de production), le périmètre est alors considéré comme un levier indispensable pour bénéficier des effets de foisonnements, afin d’augmenter le taux d’autoconsommation et, partant, l’équilibre économique des opérations. L’étude des différents débats parlementaires montre à nouveau, sur ce dossier, l’importance des formes d’apprentissage collectif autour de l’ACCE. À défaut d’avoir pu mener des expérimentations en amont de l’adoption du cadre législatif, ce sont en effet les retours de terrain qui poussent les décideurs à faire évoluer ce paramètre non économique.

4.3.1. Une première extension : la règle expérimentale des deux kilomètres de diamètre

20Le périmètre va connaître sa première, mais timide, évolution, à titre dérogatoire, grâce à la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE148. Rappelons que, jusqu’alors, les opérations d’ACCE autorisées étaient celles « dont les points de soutirage et d’injection [étaient] situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension149 ». C’est un amendement soutenu dans la Commission spéciale de l’Assemblée nationale, avec l’accord du Ministère de l’économie et des finances, porteur du texte législatif, qui introduit cette première extension, absente du projet de loi initial. Il s’agit de permettre un développement d’ACCE pour « des opérations d’urbanisme importantes qui se raccordent à plusieurs postes HTA-BT150 ». L’Assemblée propose donc de supprimer la référence à un même poste de distribution et détermine le périmètre comme regroupant les points de soutirage et d’injection « sur le réseau basse tension et respect[a]nt un critère de proximité géographique défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie151 ». La Commission spéciale du Sénat supprime cet article, notamment en raison d’« un risque de voir émerger des quartiers autonomes sur le plan énergétique et de remettre en cause le modèle français de la distribution publique d’électricité152 ». À nouveau, c’est la vision traditionnelle du TURPE qui s’invite dans les débats, opposant cette fois-ci les deux cénacles. Pour l’Assemblée nationale, en élargissant le périmètre, il s’agit de « dé-corréler la question du TURPE de celle de la maille de l’autoconsommation collective153 » en liant élargissement du périmètre et suppression de la puissance du seuil de 100kW en deçà duquel la CRE est obligée d’établir un TURPE spécifique. La Commission spéciale du Sénat reprend quant à elle la logique défendue par le régulateur : « à supposer que la flexibilité proposée ici sur le périmètre des opérations soit nécessaire, encore faudrait-il savoir dans quel sens – à la hausse ou à la baisse – un tarif spécifique jouerait pour s’assurer que les autoconsommateurs contribuent à la hauteur des coûts qu’ils génèrent : s’il s’agissait d’augmenter la part fixe du tarif spécifiquement pour ces consommateurs, de façon à refléter la valeur assurantielle de leur usage du réseau, le tarif appliqué serait alors supérieur au tarif actuel, ce qui certes serait vertueux pour le financement du réseau mais défavorable au développement de l’autoconsommation, à rebours de l’objectif affiché ; à l’inverse, si le tarif ne couvrait pas les coûts réels des autoconsommateurs, la mesure s’apparenterait à un effet d’aubaine154 ».

21En séance publique155, deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune vont revenir sur cette suppression. Le premier, qui sera repris et complété par le gouvernement, propose de rétablir l’article dans la formulation suivante : « sur le réseau basse tension et respect[a]nt les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie156 ». Le gouvernement y ajoute : « avant le 31 décembre 2023, le ministère chargé de l’énergie et la Commission de régulation de l’énergie dressent un bilan de l’expérimentation157».

22Cette modification est portée par des retours d’expériences des aménageurs membres des groupes travail formés suite à l’appel à projet « Démonstrateurs industriels pour la ville durable » (cf. supra). Ayant d’abord essuyé un refus unanime des institutions concernant d’éventuels montages de projets d’autoconsommation collective sur un réseau fermé, les lauréats sont invités à développer l’ACCE sur le réseau public. Devant une ACCE « triplement corsetée » (aux plans fiscal, économique et du périmètre), suivant l’expression de l’un des membres du groupe du travail, ces lauréats, soutenus par Enedis, vont porter collectivement une demande d’extension du périmètre afin d’assurer un équilibre économique des opérations. Cette revendication est transmise à la DGEC, pleinement compétente sur ce point – contrairement aux paramètres liés à la fiscalité et au TURPE –, qui assure le relais auprès du législateur (entretien avec un membre du PUCA). L’extension du périmètre constitue également une revendication des collectivités territoriales. Le sénateur Bernard Jomier, soutenant le premier amendement, s’en fait le défenseur : « de nombreux acteurs appellent donc à une simplification. J’ai ainsi reçu des retours d’expérience de maires et de collectivités qui ne peuvent pas monter de projets en raison de ce cadre trop strict, trop complexe et trop inadapté. Ces élus ne comprennent pas pourquoi un bâtiment municipal équipé ne pourrait pas alimenter un autre bâtiment municipal du fait de ce critère fondé sur le poste de transformation électrique. Voilà la situation à laquelle cet amendement vise à répondre158 ». Pour le gouvernement, le caractère expérimental de la disposition doit permettre de « pouvoir tirer un bilan comparatif coûts-avantage159 », permettant au passage de créer un pont entre le Ministère de la transition écologique et la CRE au sujet du TURPE. La discussion publique emporte la faveur de la Commission spéciale du Sénat160 et appelle le Ministère à mettre en œuvre des expérimentations ciblées afin de disposer d’un « retour d’expérience fiable161 ».

23Actant de ce besoin d’expérimenter, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale propose de réintroduire la formulation proposée par le gouvernement « sur le réseau basse tension et respect[a]nt les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie. (…) II. – Avant le 31 décembre 2023, le ministère chargé de l’énergie et la Commission de régulation de l’énergie dressent un bilan de l’expérimentation162 ». Le retour d’expérience envisagé place donc la DGEC et la CRE comme co-pilotes. Le Sénat ne reviendra pas sur cette disposition.

24L’enjeu est alors la définition de la notion de « proximité », laissée sous la pleine compétence du Ministère de la transition écologique. Le projet d’arrêté précise que les points d’injection et de soutirage sont ceux « contenus dans un périmètre d’un kilomètre de rayon ». Dans une délibération datant de septembre 2019163, qui ne lie ni le législateur ni l’exécutif, la CRE émet un avis favorable à cette disposition, qui ne jouit initialement que d’une dérogation expérimentale. Elle indique ainsi que ce périmètre « rend possible la réalisation de davantage d’opérations d’autoconsommation collective, tout en conservant la dimension « locale » inhérente à l’autoconsommation ». Mais cet agrément est assorti de quelques réserves. Le régulateur souligne en effet, dans le même temps, que cette extension « dilue la possibilité d’un éventuel avantage de l’autoconsommation collective en matière de dimensionnement du réseau électrique » puisque qu’elle est susceptible de créer deux poches différentes de réseaux, impliquant « des transits sur les réseaux en HTA voire en BT ». La CRE remet ainsi en ligne de mire la question des services rendus par l’ACCE au réseau. Pour elle, plus l’opération d’ACCE s’étend, moins la réduction de l’usage du réseau par les flux autoproduits est susceptible d’être identifiée et donc valorisée. Elle met aussi en avant, une nouvelle fois, le caractère spécifique de la relation unissant le(s) producteur(s) au(x) consommateur(s), qui n’est pas un contrat de fourniture, pour justifier également sa demande de limiter la capacité cumulée de production à 1 MW afin que « le cadre de l’opération d’autoconsommation collective reste limité à des opérations de taille modeste ». On retrouve à travers cette remarque la problématique, non résolue en 2016, d’une incertitude quant à la nature juridique de la relation producteur/consommateur.

25L’arrêté du 21 novembre 2019 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue164 ne suit que partiellement l’avis de la CRE. La dérogation expérimentale s’applique bien pour les ACCE sur le réseau basse tension d’un unique gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, la distance séparant les deux participants les plus éloignés ne devant pas excéder deux kilomètres à partir du point de livraison pour les sites de consommation et du point d’injection pour les sites de production. Mais la puissance cumulée des installations de production est portée à 3 MW sur le territoire métropolitain continental, contrairement aux propositions de la CRE et d’Enedis (1 MW), et à 0,5 MW dans les zones non interconnectées (puissance crête installée). Ce faisant, le Ministère de la transition écologique, qui est à la manœuvre sur ce texte, accepte de quitter quelque peu la vision « taille modeste » défendue par la CRE, suivant notamment les retours d’expérience des lauréats membres des groupes de travail issus de l’appel à projet « Démonstrateurs industriels pour la ville durable » (entretien avec un membre du PUCA).

4.3.2. Une extension du périmètre à deux et vingt kilomètres de diamètre

26Ce qui ne devait être qu’une expérimentation prend finalement valeur réglementaire. Le Ministère de la transition écologique utilise en effet ses compétences pour inscrire dans la loi de nouvelles règles sur les périmètres s’appliquant aux ACCE. Dans un contexte de transposition des directives européennes n° 2018/2001 et n° 2019/944 relatives, respectivement, à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et aux règles communes pour le marché intérieur de l’électricité165, reconnaissant notamment le droit pour les autoconsommateurs de « produire, consommer, stocker et vendre de l’électricité sans devoir supporter de charges disproportionnées166 », les acteurs institutionnels, notamment la DGEC et la CRE, font évoluer leurs positions167.

27À l’occasion des débats sur le projet de loi énergie climat de l’été 2019, l’Assemblée nationale adopte un amendement du gouvernement présenté par le Ministère de la transition écologique168. Il dispose qu’une ACCE est une opération étendue lorsque « les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie ». Il n’y a pas de débats sur le vote de cet amendement, le Ministre le présentant comme permettant de poursuivre les ACCE « qu’une petite erreur rédactionnelle aurait pu empêcher ». En effet, la Commission des affaires économiques avait inséré préalablement une précision sur le périmètre, limitant l’ACCE aux opérations situées dans un même bâtiment169. C’est donc en réponse à cette limitation que le Ministère introduit la notion d’ACCE étendue170, et, de lege, autorise non pas un mais plusieurs périmètres (figures n° 12, 13, 14), instaurant ainsi une ACCE à l’échelle du bâtiment et deux autres dites « étendues ». Pour autant, le Ministère reste attaché à circonscrire l’outil dans l’espace. Ainsi, interrogée sur des amendements visant à ne plus soumettre les opérations d’ACCE des bailleurs sociaux à un périmètre déterminé, la Ministre Élisabeth Borne déclare qu’« une telle exonération n’est pas compatible avec la nécessité qu’une opération d’autoconsommation collective reste locale171 ».

28Ce nouveau périmètre adopté, il convient de modifier l’arrêté du 21 novembre 2019 pris sur le fondement de l’article L. 315-2 du Code de l’énergie tel que rédigé par la loi PACTE, afin de venir préciser la notion de « proximité » géographique pour des opérations d’ACCE étendue. Le projet d’arrêté reprend les critères précédents (distance maximale entre participants de 2 km) mais introduit une dérogation autorisant une distance maximale entre les participants de 20 km, afin de soutenir les ACCE dans les territoires ruraux (les critères annoncés sont liés à l’isolement du teritoire du projet, au caractère dispersé de son habitat et à la faible densité de population). Cette dérogation est directement autorisée par le ministère. Ce nouveau périmètre adopté, il convient de modifier l’arrêté du 21 novembre 2019 pris sur le fondement de l’article L. 315-2 du Code de l’énergie tel que rédigé par la loi PACTE, afin de venir préciser la notion de « proximité » géographique pour des opérations d’ACCE étendue. Le projet d’arrêté reprend les critères précédents (distance maximale entre participants de 2 km) mais introduit une dérogation autorisant une distance maximale entre les participants de 20 km, afin de soutenir les ACCE dans les territoires ruraux (les critères annoncés sont liés à l’isolement du teritoire du projet, au caractère dispersé de son habitat et à la faible densité de population). Cette dérogation est directement autorisée par le ministère.

Figure n° 12. ACCE restreinte à l’échelle d’un bâtiment

Figure n° 13. Exemple d’une opération d’ ACCE 100 % EnR avec un périmètre de 2 km

Figure n° 14. Exemple d’une opération d’ ACCE 100 % EnR avec un périmètre de 10 km incluant la moyenne tension

29Cette nouvelle séquence montre ainsi que le Ministère de la transition écologique prend, sur ce dossier, pleinement la main sur l’ACCE, alors que les soutiens directs (appels d’offres, tarif d’achat) et indirects (TURPE spécifique) se font attendre ou ne sont pas satisfaisants pour la filière. Mais ce leadership reste toutefois contesté par la CRE, de manière assez feutrée. Celle-ci entend en effet rappeler qu’elle reste maîtresse dans la fixation du TURPE, au regard de ce nouveau cadre réglementaire. Dans sa délibération n° 2020-130 du 11 juin 2020, elle souligne que la dérogation des 20 km « peut se justifier dans ces zones peu denses, afin de pouvoir regrouper un nombre de consommateurs similaire aux opérations en zones plus denses, et elle accueille favorablement le fait que les décisions d’octroi de cette dérogation doivent tenir compte des critères d’isolement du projet, de dispersion de l’habitat et de la densité de population. En effet, autoriser une telle distance pour une opération en zone urbaine ne permettrait pas de conserver la dimension « locale » qui doit être inhérente à une opération d’autoconsommation ». Mais son agrément est assorti d’une condition : le TURPE optionnel qu’elle a mis en place ne doit s’appliquer qu’aux ACCE dont l’ensemble des participants se situe à l’aval d’un même poste HTA-BT, au motif que le TURPE spécifique a été adopté sous l’ancienne législation. Aussi, si la CRE prend acte de la décision du Ministère de la transition écologique relative au nouveau périmètre dérogatoire, elle réaffirme aussi qu’il faudra choisir : le TURPE optionnel n’est pas accessible à toutes les ACCE dérogatoires (20 km de distance), seules celles situées à l’aval d’un même poste de distribution pouvant en bénéficier (figure n° 15).

Figure n° 15. Exemple d’une superposition impossible du périmètre étendu et du TURPE optionnel

30L’arrêté du 14 octobre 2020 modifiant celui du 21 novembre 2019 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue172 entérine la décision du Ministère de la transition écologique. Il adopte les critères de justification de la dérogation (isolement du lieu du projet, caractère dispersé de son habitat et faible densité de population), tout en précisant que le dossier n’est pas figé. L’utilisation de l’adverbe « notamment » suppose en effet que ces critères ne sont pas exhaustifs et que le Ministère se réserve une faculté d’interprétation ultérieure.

31Ce texte est suivi quelques mois plus tard d’une dernière évolution, qui montre le caractère très incrémental de la « doctrine » de l’État en la matière. Une ordonnance de mars 2021173, qui permet d’aligner le droit français avec le droit européen, procède à l’assouplissement du caractère dérogatoire au principe de proximité pour les opérations d’ACCE, l’article L315-2 du Code de l’énergie indiquant que « pour une opération d’autoconsommation collective étendue, lorsque l’électricité fournie est d’origine renouvelable, les points de soutirage et d’injection peuvent être situés sur le réseau public de distribution d’électricité174 ». Cette disposition est d’une interprétation difficile. Trois périmètres semblent désormais coexister et, sur le dernier, l’ACCE prend pleinement son autonomie puisqu’elle n’est plus soumise à l’arrêté sur la proximité. Or ce dernier périmètre est le plus courant, l’ACCE se développant quasi exclusivement avec de la production EnR.

32L’usage de l’ordonnance, qui n’a plus besoin d’être ratifiée pour obtenir pleine valeur législative175 – dont les dispositions ne passent donc plus par le dialogue avec le Parlement –, montre, une nouvelle fois, la volonté du Ministère de la transition écologique de jouer pleinement de sa compétence sur ce dossier, au regard du peu de marges de manœuvre dont il dispose par ailleurs.

4.4. La fin du conflit ouvert sur le TURPE : la vision de la CRE s’impose

33Cette volonté de la part du Ministère de la transition écologique de s’imposer sur la question du périmètre est d’autant plus importante que, nous l’avons vu, ses interlocuteurs étatiques sont peu allants sur les autres paramètres de l’ACCE que sont les soutiens publics (Ministère de l’économie et des finances) et la fixation d’un TURPE spécifique (CRE). Soumis à l’appréciation du Conseil d’État suite au contentieux engagé par Enerplan, ce dernier dossier tourne définitivement à l’avantage de la CRE courant 2020, mettant fin à plusieurs années de débats et controverses.

4.4.1. Le rejet du recours d’Enerplan contre le TURPE spécifique par le Conseil d’État

34N’ayant pas fait l’objet d’une approche expérimentale malgré la demande de certains acteurs176, les bénéfices ou les coûts de l’ACCE pour le réseau n’ont jamais été identifiés de manière consensuelle. Dans ce contexte, faute d’accord, l’arbitrage vient finalement du juge, en l’occurrence du Conseil d’État qui, dans le jugement qu’il rend en septembre 2020177 sur le contentieux d’Enerplan contre la CRE, tranche en faveur de celle-ci. Il estime en effet que « l’association requérante [Enerplan], qui ne propose pas de méthodologie alternative pour évaluer les coûts de réseau spécifiques des opérations d’autoconsommation collective, n’est pas fondée à soutenir que les tarifs ainsi fixés par la délibération attaquée méconnaissent l’obligation de couverture de l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de réseaux prévue à l’article L. 341-2 du code de l’énergie178 ». Dès lors, la méthode fixée par la CRE pour quantifier les coûts et les services de l’ACCE par rapport au réseau s’impose de manière définitive. Il est également acté que le TURPE ne peut être une variable d’ajustement du modèle économique. Cette décision, prise en septembre 2020, clôt ainsi une séquence qui a duré presque deux ans.

4.4.2. Le TURPEACCE : le maintien de la compétence de la CRE quant à l’usage du réseau

35Avec l’extension du périmètre et la diversification des formes de PMO, le TURPE retient alors moins l’attention, la question du maintien de la péréquation tarifaire étant désormais perçue par tous comme la ligne rouge à ne pas franchir. Beaucoup d’acteurs, y compris les plus offensifs, prennent ainsi acte de la volonté de maintenir ce principe politique fort et préfèrent se concentrer sur d’autres combats, dont ils espèrent une issue plus favorable.

36Le leadership de la CRE se renforce encore lors de cette dernière phase. Le TURPE fait en effet l’objet d’une nouvelle modification législative, qui tend à effacer l’idée initiale que l’ACCE pourrait rendre des services au réseau en permettant un foisonnement local des flux de production et de consommation (thèse jusque-là soutenue par les partisans d’un TURPE ACCE fortement différencié). L’article 40 de la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 modifie en ce sens la formulation de l’article L.315-3 du Code de l’énergie, en ajoutant que le TURPE spécifique est établi par la CRE « afin que ces consommateurs [en ACI ou ACCE] ne soient pas soumis à des frais d’accès aux réseaux qui ne reflètent pas les coûts supportés par les gestionnaires de réseaux ». La double négation peut freiner la compréhension des implications de cette disposition. Contrairement à ce que peut laisser supposer une lecture a contrario (les consommateurs seraient soumis à des frais ne reflétant pas les coûts de gestion), la disposition indique que l’ACCE génère des coûts supplémentaires pour les gestionnaires du réseau, qui doivent être intégrés dans la formule. Cette modification législative entérine in fine la vision de la CRE. Le TURPE ne peut pas être mis au service de l’ACCE. Il s’agit bien d’un outil devant couvrir l’intégralité des coûts du réseau de distribution et refléter les charges engendrées par l’ACCE et supportées par le gestionnaire de réseaux. Cette décision marque ainsi une nouvelle victoire pour la CRE. Mais celle-ci doit être quelque peu nuancée, dans la mesure où le législateur impose désormais au régulateur de clarifier dans sa méthodologie la notion de coûts engendrés pour le réseau.

4.4.3. Le TURPE 6 : et pour finir, c’est la CRE qui gagne !

37Tenant compte de cette nouvelle contrainte, la délibération TURPE 6 de la CRE datant de janvier 2021179 réitère la vision qu’a le régulateur du réseau comme d’une « poche » (figure n° 16). Elle indique que la composante soutirage demeure optionnelle pour les participants à une opération d’ACCE « raccordé[e] en aval du même poste de transformation HTA-BT, à quatre plages temporelles et fondée sur la distinction entre soutirages autoproduits et soutirages alloproduits ». Ce texte apporte deux éléments nouveaux mais qui ne remettent pas en question les positions jusque-là adoptées par la CRE.

Figure n° 16. Découpage du réseau en poche (ordre de grandeur)180

38Le premier élément concerne le maintien, par le TURPE optionnel, d’une dimension locale des opérations d’ACCE. Sur ce point, la délibération de la CRE, qui se réfère à la contribution d’Enedis à la consultation publique, précise que « la souscription de l’option tarifaire autoconsommation collective était la plupart du temps préférable pour le client et lui permettait de diminuer sa facture par rapport aux options « classiques »». Poursuivant, la Commission rappelle les analyses menées par Enedis sur les opérations d’ACCE alors actives depuis au moins un an, qui « tendent (…) à infirmer les retours des acteurs estimant que ce tarif ne serait pas avantageux par rapport aux options classiques : la majorité des participants à ces opérations auraient rétrospectivement eu intérêt à souscrire cette option ». Dès lors, l’extension du périmètre de l’ACCE permettant un meilleur foisonnement doit s’articuler avec la limite de poste HTA-BT, la Commission insistant sur ce point : « la construction même de cette option repose sur la distinction des contributions aux coûts des ouvrages de réseaux des différents domaines de tension, et n’est pas pertinente si les flux « autoproduits » sont amenés à transiter par le réseau HTA ». Concrètement, pour la CRE, les flux alloproduits (provenant des fournisseurs extérieurs à l’opération) sont réputés transiter sur le réseau HTA quel que soit le lieu de production, donc sortir de la poche dans laquelle les flux autoproduits de l’opération d’ACCE sont, eux, censés demeurer. Parce qu’ils empruntent le réseau HTA, les flux alloproduits génèrent alors des coûts supplémentaires pour le réseau que le TURPE doit intégrer.

39L’autre aspect concerne l’ACCE comme rendant un service au réseau, sur lequel la CRE montre des signes d’ouverture. Le TURPE optionnel, par le jeu de coefficients distincts selon les flux autoproduits et alloproduits, permet en effet, selon elle, « de réduire le tarif payé par les participants aux opérations d’autoconsommation collective qui sont capables de maximiser leur autoproduction aux heures critiques pour les réseaux tout en diminuant leurs soutirages alloproduits en général et a fortiori aux heures critiques ». Cette forme de reconnaissance d’un service de l’ACCE au réseau offre des gages d’ouverture vis-à-vis des acteurs qui ont exprimé jusque-là leurs plus vives critiques vis-à-vis de la détermination du TURPE. Enerplan, le plus engagé sur ce sujet, qui avait pu regretter que les bénéfices rendus par les flux autoproduits au réseau soient sous-estimés dans les anciennes formules, manifeste une forme de contentement : « là où on est plutôt satisfait de l’évolution du TURPE, c’est qu’il soit le plus corrélé possible à la fois aux besoins et à la production, multiplication des index de consommation pour mieux connaître les typologies de consommation, ce qui fait qu’on va vers le plus juste que ce que coûte la distribution, ce qui est favorable normalement au solaire puisque le transport en termes de distance est moindre donc va le favoriser car consommé au plus près, les électrons transitant moins sur le réseau » (entretien avec un membre d’Enerplan).

40Malgré ces quelques avancées, c’est bien la vision de la CRE qui continue de prédominer, montrant la capacité du régulateur à se maintenir au cœur du système décisionnel. Elle est visible sur le dossier du périmètre de l’ACCE, sur lequel le leadership de la CRE a été contesté, le Ministère de la transition écologique voulant reprendre la main pour assouplir certaines contraintes pesant sur les porteurs de projet (cf. supra). À cette occasion, la DGEC avait réussi à imposer le fait que, « lorsque l’électricité fournie est d’origine renouvelable, les points de soutirage et d’injection [de l’ACCE étendue] peuvent être situés sur le réseau public de distribution d’électricité181 ». Dans sa délibération relative au TURPE 6, la CRE conteste de fait cette décision en refusant d’en tirer les enseignements concernant le tarif d’acheminement, qui reste de son domaine de compétence. Elle maintient en effet « que [la composante de soutirage, i.e le TURPE optionnel réduit pour les flux autoproduits] ne pourrait être proposée qu’aux participants à des opérations dont l’ensemble des participants est raccordé en aval du même poste de transformation HTA-BT182 » car, « compte tenu notamment du maillage des réseaux dès le niveau HTA, (…) leurs caractéristiques ne peuvent justifier la détermination d’une composante de soutirage distincte de celle s’appliquant au reste des utilisateurs de réseaux183 ». Ainsi, la majoration de la composante de gestion s’applique à toutes les ACCE, quel que soit leur périmètre, et le bénéfice d’une composante de soutirage pour les flux autoproduits n’est accessible que pour celles dont les points de soutirage et d’injection sont situés à l’aval d’un même poste de transformation HTA-BT. Ce faisant, si le législateur a permis aux porteurs de projets d’ACCE de jouer sur le périmètre pour bénéficier pleinement de l’effet de foisonnement, la CRE n’entend toujours pas mobiliser le TURPE pour soutenir l’ACCE étendue (figure n° 15, supra.).