1Les institutions japonaises actuelles datent de la Constitution de 1947 adoptée sous occupation américaine. Fonctionnent-elles pour autant comme les institutions américaines ? Aucunement. Il s’agit d’un système parlementaire. Fonctionne-t-il comme le régime parlementaire anglais ? Pas davantage. Le mode de scrutin, mixte, n’y produit pas les mêmes effets. Est-il plus proche d’un système tel que celui d’Israël ? La majorité y est beaucoup plus stable, de même que les coalitions : depuis 1955, le même parti a régné presque sans interruption.

2Les influences étrangères sont pourtant présentes dans ce système politique. Mais une culture originale s’est aussi développée à partir de l’histoire institutionnelle japonaise du xix^e siècle, puis sous l’effet du cadre constitutionnel et législatif créé en 1947. L’ouvrage d’Ōyama proposé ici aborde le système parlementaire japonais dans le temps long, retraçant ses origines en 1890, origines qui ont encore influencé les pratiques après-guerre. Dans une approche comparatiste, elle se penche sur certains systèmes parlementaires étrangers et permet au lecteur de mesurer les convergences du système politique japonais avec d’autres, et ses spécificités. Professeure des universités à l’université de Komazawa de Tokyo, elle connaît en effet le système parlementaire de l’intérieur pour l’avoir observé depuis la Bibliothèque nationale de la Diète dont les équipes assistent les membres de la Diète dans leurs travaux.

3À bien des égards, ce système parlementaire est très démocratique. Ainsi, par contraste avec le nôtre, toutes les élections, quel que soit l’échelon de la collectivité locale, quel que soit le pouvoir (exécutif ou législatif) local, quelle que soit la chambre au niveau national, ont lieu au suffrage universel direct, à l’exception de la désignation du Premier ministre qui résulte du vote de la majorité (de ses représentants et élus locaux et, en principe, de ses militants). De plus, la nomination des juges de la Cour suprême peut être rejetée, non pas, comme aux États‑Unis par le Sénat, mais par les citoyens, aux élections qui la suivent.

4Cette démocratie présente par ailleurs des caractéristiques communes avec celles que nous connaissons mieux : elle repose, institutionnellement, sur un système parlementaire qui se rapproche du modèle de Westminster classique. Le Premier ministre est issu de la majorité et gouverne avec son appui. Pour consolider son pouvoir, la majorité gouverne habituellement en coalition.

5Elle présente également des différences et c’est relativement à ces dernières que l’ouvrage d’Ōyama Reiko nous éclaire plus encore. Les auteurs de la Constitution japonaise, en 1946, ont en effet entendu créer un exécutif faible. La Diète a été dotée d’une autonomie presque totale une fois le processus législatif entamé. Le gouvernement est en effet dépourvu du droit d’amender les projets de loi une fois qu’ils ont été déposés sur le bureau de l’une des deux chambres.

6De là est né un travers du système que met en lumière Ōyama : le gouvernement s’est mis à négocier avec sa majorité en amont de la procédure législative pour que, les dispositions de son projet de loi validées par sa majorité, celle-ci vote le texte lors de son examen au Parlement. En amont toujours, il s’est mis à consulter l’opposition pour qu’elle ne se montre pas trop hostile. L’enceinte parlementaire devint ainsi une coquille vide : le compromis obtenu, la discussion ne présentait plus d’enjeux, les questions au gouvernement n’étaient plus que formelles. Le jeu parlementaire entre majorité et opposition dépend bien entendu du rapport de forces de chacun. Mais la forte hostilité de l’opposition peut s’accompagner d’une mise en scène théâtrale dans l’hémicycle qui place le gouvernement en difficulté politiquement et affecte sa cote de popularité.

7Le rapport entre majorité et opposition et les prérogatives du Premier ministre ont évolué avec le temps, au gré d’importantes réformes que l’auteure expose : en 1994 pour introduire un mode de scrutin mixte plus susceptible d’amener une alternance et assainir la vie publique en instituant un financement public ; en 1998 et 1999 pour décloisonner les administrations et renforcer celle du Premier ministre ; en 2014 pour lui confier le contrôle de la promotion des hauts fonctionnaires dont les carrières étaient jusqu’alors gérées par eux-mêmes. La coopération entre majorité et opposition est devenue rare car l’opposition vise depuis 1989 et surtout la fin des années 1990 la conquête du pouvoir. Toujours très friable, elle s’efforce dans ce but de s’unir à l’approche des élections (Abe Shinzō, en 2017, ne lui en a pas laissé le temps). Le renforcement relatif de l’opposition lui a permis d’emporter le pouvoir en 2009‑2012.

8Ces réformes, menées dans le but de favoriser l’alternance, de lutter contre la corruption, contre la verticalité des administrations, pour que s’imposent dans les campagnes électorales des discours et ambitions nationaux, pour que les administrations défendent l’intérêt général et perdent leur esprit de clocher. Mais Ōyama met en garde : renforcer les pouvoirs du Premier ministre appelle un réel contrôle parlementaire, et la réintroduction du débat dans l’enceinte parlementaire. Elle propose pour ce faire des pistes de réflexion innovantes.

9Peu d’ouvrages de science politique japonais sont traduits en français. Cet ouvrage a été retenu par un comité d’universitaires constitué pour gérer une généreuse subvention de la Fondation du Japon qui visait la promotion dans le monde, auprès d’institutions sélectionnées, des études sur le Japon contemporain. Son caractère didactique et accessible en fait un instrument idéal dans un premier accès à une connaissance fondamentale de l’histoire politique et de la sociologie politique japonaises.

10Il met en lumière les débats qui animent une démocratie non occidentale, traversée des mêmes interrogations et de la même quête jamais satisfaite1. Il confirme ainsi l’universalisme de la démocratie.

11Enfin, par contraste, il donne relief aux manifestations de ce malaise démocratique chez nous, et à ses expressions spécifiques. Le principe représentatif ne fait pas au Japon l’objet de la même remise en question qu’en France où, face à la demande de démocratie directe et participative, face à une pratique consultative nouvelle de la part de la présidence de la république, la démocratie apparaît « fragmentée2 ». Se pose dès lors, pour nous, la question de l’articulation de ces différents registres, et d’une réinvention du lien entre gouvernants et gouvernés – peut-être par une « démocratie continue3 ». Ainsi, ce livre, par la mise en abîme qu’il permet, nous donne aussi à nous voir nous-mêmes.