Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies
| , ,L’esprit de l’Encyclopédie des historiographies
Résumé
Œuvre collective élaborée de manière progressive, l’Encyclopédie des historiographies est mue par la volonté de faire connaître à un large public l’extrême diversité des récits sur le passé produits hier et aujourd’hui en Afrique, en Amérique latine, en Asie, et dans toutes les autres parties du monde qui ne sont pas incluses dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident (Europe et Amérique du Nord). L’Encyclopédie révèle ainsi la richesse et la complexité de la pensée humaine confrontée au temps révolu. Ce faisant, l’ouvrage laisse aussi voir des pans entiers du fonctionnement des sociétés qui pensent l’histoire. L’Encyclopédie va donc bien au-delà d’une simple présentation du « métier d’historien » et, même, de l’« historiographie » (histoire de la discipline historique), puisque y sont examinées et déchiffrées, dans les contextes socioculturels qui les ont produites, toutes sortes de discours ou de représentations relatifs au passé.
Entrées d'index
Texte intégral
1Quels rapports les sociétés humaines entretiennent-elles avec leur passé ? Telle est la question posée par l’Encyclopédie des historiographies. Afriques, Amériques, Asies (EHA).
2Les récits du passé sont en effet au cœur de cette publication qui s’attache à inventorier et explorer les discours et les pratiques qui, de manière spontanée ou de façon organisée, lient les hommes aux époques révolues dans un rapport complexe et multiforme, qui va de la commémoration à l’oubli, en passant par la dénégation ou l’invention. C’est donc à tout un pan de la pensée humaine qu’est consacré ce travail collectif qui considère ces récits du passé à toutes les époques, dans (presque) toutes les parties du monde, et sous toutes les formes (« scientifiques », littéraires, artistiques, monumentales…).
3Il fallait bien une encyclopédie pour rendre compte de l’univers infini de ces récits. En l’occurrence, l’EHA s’élabore progressivement autour d’un groupe de thèmes qui embrassent les divers aspects du sujet. Ces thèmes, qui structurent le travail d’édition commencé en 2019, sont les suivants :
Sources et genres historiques (volume 1 de l'EHA)
Ecoles, courants ; notions, thèmes, débats ; figures, auteurs ; ouvrages, œuvres ; événements ; institutions ; lieux (tranches ultérieures de la publication de l’EHA)
4Avec un tel contenu, notre entreprise intellectuelle s’inscrit pleinement dans la démarche épistémologique qui consiste à étudier les diverses écritures de l’histoire – l’historiographie ‑ mais nous étendons ici au maximum le sens de ce mot d’écriture pour y inclure toutes les formes et tous les supports, oraux, corporels et matériels, qui expriment résolument, ou bien donnent à voir involontairement, un récit sur le passé : manuscrits et ouvrages imprimés, discours oraux, chants et poèmes, danses, rites et cérémonies, manifestations théâtrales, mais aussi œuvres picturales, bâtiments, produits artisanaux ou industriels, monnaies et médailles … En ce sens, on l’aura compris, cette encyclopédie va bien au-delà d’une réflexion sur le seul « métier d’historien », c’est-à-dire du professionnel de l’écriture de l’histoire.
5Nous avons fait le choix de traiter l’histoire de ces historiographies en « Afriques, Amériques (et) Asies ». Le lecteur critique, qu’il soit universitaire, étudiant/e, ou « honnête homme/femme », s’étonnera sûrement, s’indignera peut-être, de constater que ce qu’il est encore convenu d’appeler « l’Occident » est absent, ou si peu présent, dans notre encyclopédie alors que cette partie du monde a été autrefois, et reste d’une certaine façon aujourd’hui, à l’avant-garde des formes les plus sophistiquées de l’écriture de l’histoire. Quelle légitimité aurait donc une « encyclopédie des historiographies » qui tait ou fait passer à l’arrière-plan l’œuvre d’un Hérodote, d’un Jean Mabillon ou d’un Arnold Toynbee ? Comment justifier l’absence, dans une telle publication, d’entrées spécialement consacrées à la naissance et au développement en Occident des positivismes, de l’école des Annales, des courants marxistes, de la microstoria, des gender studies ou de l’histoire globale ? Notre réponse d’éditeurs est simple : il existe suffisamment d’ouvrages, en Occident, et en particulier en France, qui sont consacrés à l’histoire de ces récits du passé issus de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Autrement dit, l’EHA s’intéresse à des écritures de l’histoire qui, malgré leur importance dans l’histoire de la pensée mondiale, restent encore largement méconnues en Occident, et même ailleurs, car les autres parties du monde ne sont pas nécessairement connectées entre elles. C’est en ce sens que l’Encyclopédie des historiographies revêt une dimension humaniste, puisqu’elle s’attache à faire connaître et à valoriser des historiographies ignorées qu’elle considère comme l’une des expressions de la – si précieuse ‑ diversité des hommes et des sociétés.
6Notons que les productions historiographiques occidentales ne sont pas tout à fait absentes de l’EHA. Comment le seraient-elles sachant qu’aux xixe et xxe siècles l’Occident a partout tenté de diffuser sa « science de l’histoire », comme il a exporté ses règles du jeu économique, ses institutions politiques, et ses modèles culturels ? Autrement dit, on retrouve chez les historiens contemporains d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie, des savoirs et des savoir-faire qui sont en partie issus des traditions occidentales et qui sont en constante interaction avec elles, parfois pour les inspirer (on songe ici au courant indien des Subaltern Studies), parfois pour les contester (œuvre du Sénégalais Cheikh Anta Diop). Mais dès que l’on remonte le temps, pour s’éloigner du présent, les écritures de l’histoire du monde, sans échapper à des phénomènes de circulations, d’emprunts, et de mimétismes internationaux, n’ont plus de compte à rendre à l’Occident. Et d’ailleurs, même lorsque l’Occident veut façonner les historiographies locales, celles-ci sont toujours pratiquées dans le cadre de traditions intellectuelles, sociales, politiques et culturelles propres qui donnent lieu à des écritures de l’histoire profondément métisses : de nos jours, on ne fait pas le récit du passé de la même manière à Delhi, Dakar ou Mexico. Pas plus, d’ailleurs, qu’au sein de ces aires extérieures à l’Occident, l’on ne fait le récit du passé de manière monolithique : la génération, la classe sociale, l’engagement politique, le genre, le niveau d’instruction, la foi religieuse, l’appartenance régionale… marquent et distinguent, souvent profondément, les écritures de l’histoire partout où se raconte le passé. D’où, dans le titre de l’EHA, le pluriel attaché à ces mots ‑ venus d’Occident – qui découpent le monde en « Afrique », « Amérique (latine) », « Asie », pour indiquer que ces termes renvoient en vérité à des hommes et des sociocultures extrêmement divers qui ne sauraient être regroupés et considérés ensemble sur la seule base de critères (apparemment) strictement spatiaux, ‑ d’autant que ces notions ne facilitent pas la compréhension du monde en termes de circulations migratoires, matérielles, culturelles, et qu’elles oublient les mondes maritimes (Océanie, Pacifique…) et polaires dont il est aussi question dans l’EHA.
7Novatrice, la présente entreprise encyclopédique n’est pas absolument nouvelle. Par exemple, on peut citer ici les publications anglo-saxonnes récentes de Daniel Woolf (A Global Encyclopedia of Historical Writing, 1998, A Global History of History, 2011), de Kelly Boyd (Encyclopedia of Historians and Historical Writing, 1999), ou les cinq volumes The Oxford History of Historical Writing (2010-2015). Il faut aussi mentionner la très volumineuse (13 000 pages) publication japonaise intitulée Rekishigaku jiten « Dictionnaire d’historiographie » (1994-2009). Mais, dans une perspective d’histoire mondiale (World History), ou globale (Global History), tous ces ouvrages font largement référence aux historiens et historiographies occidentaux qui sont marginalisés dans l’EHA. Par ailleurs, nous n’avons pas le souci de nos collègues d’être exhaustifs dans le tableau que nous faisons des historiographies : nous pensons qu’aucun ouvrage ne saura jamais rendre compte de la totalité des récits du passé ayant existé ! Notre entreprise vise plutôt à donner un vaste panorama de ces récits en proposant un nombre foisonnant de notices qui abordent les mille facettes des historiographies. Cela dit, pour pallier ce manque d’exhaustivité, nous ne nous sommes pas privés d’inclure dans cette publication de très longues notices développant tel ou tel aspect d’une écriture de l’histoire. Nous avons fait confiance à chaque auteur pour qu’il trouve la longueur idoine pour présenter son sujet. Nous avons aussi donné aux auteurs la liberté d’écrire leurs savantes notices sur le ton de l’érudit ou sur celui du vulgarisateur. Autre particularité de notre ouvrage dans sa version numérique, le lecteur peut facilement passer d’un bout à l’autre du monde en utilisant le moteur de recherche interne à l’encyclopédie ; en ce sens, nous laissons à tous la possibilité de connecter eux-mêmes en quelques clics et « à la carte » toutes les parties de la planète et toutes les époques historiques. Par ailleurs, nous pensons que la mise en ligne gratuite d’un tel outil de travail permet de donner à un large public une somme non négligeable de connaissances sur les récits du passé. Enfin, en offrant un texte qui est principalement rédigé en français (malgré la présence d’un certain nombre de notices écrites en langues étrangères), nous souhaiterions nous inscrire dans les débats et les tendances actuels de l’historiographie française avec l’espoir, malgré tout, qu’un public francophone d’origine étrangère puisse avoir accès à notre ouvrage.
8Un dernier mot, pour conclure cette entrée en matière : nous voudrions ici remercier très chaleureusement chacun des membres du comité éditorial, tous les auteurs et coordinateurs qui nous permettent de réaliser cette publication : leur savoir, leur maîtrise des langues (et donc leur accès à des sources primaires ou secondaires) ainsi que leur grande familiarité avec les aires culturelles dont ils sont spécialistes, leur disponibilité, enfin, sont sans prix. Qu’ils soient assurés de toute notre reconnaissance.
9Enfin, nous remercions également notre laboratoire pour son soutien ainsi que toute l’équipe des Presses de l’Inalco pour son travail.
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