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Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies

 | 
Nathalie Kouamé
, 
Éric P. Meyer
, 
Anne Viguier

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Teotihuacan, une métropole du Néolithique

Teotihuacan, a Neolithic Metropolis

Teotihuacan, una metrópoli neolítica

Éric Taladoire

Résumé

Avec ses plus de 100 000 habitants, son urbanisme planifié, Teotihuacan est indubitablement une ville au plein sens du terme. Cette métropole néolithique est une cité prospère, dont l’influence économique touche des régions éloignées. Il serait pourtant réducteur de considérer que son rayonnement repose uniquement sur ses activités, car l’influence de Teotihuacan s’explique aussi par son profond symbolisme qui en fait, depuis ses origines, un centre religieux à l’échelle de toute la Méso‑Amérique.

Texte intégral

Introduction

1Située à une quarantaine de kilomètres à peine au nord‑est de la capitale actuelle, Teotihuacan est une étape obligée pour tous les touristes qui se rendent au Mexique. Les bus y déposent en continu leurs contingents de visiteurs, qui se frayent un chemin parmi les écoliers que leurs professeurs emmènent visiter la cité. Les fins de semaine, Teotihuacan est aussi un lieu d’excursion familiale, où l’on va pique‑niquer pour se détendre et s’éloigner un moment de la pollution de la mégalopole. Avec plus de 2 millions de visiteurs annuels, Teotihuacan occupe une place de choix dans la liste des sites les plus visités au monde.

  • 1 Ces noms sont d’origine mexica et s’appliquent, sur la base des similitudes iconographiq (...)

2La métropole présente en effet aux yeux des touristes un aspect à la fois exotique et rassurant. Exotique, par la présence des majestueuses pyramides, la Lune et le Soleil, qui dominent la cité, ou le Temple de Quetzalcoatl, décoré de frises où alternent les représentations du serpent à plumes et les visages du dieu de la pluie Tlaloc, avec ses yeux cerclés de sortes de lunettes1. Rassurant, par son plan en damier organisé autour des deux grandes avenues qui se croisent au centre de la cité. Ce plan, qui évoque l’organisation de tant de villes actuelles d’Amérique du Nord (États‑Unis, Canada, Mexique), lointain héritage de Rome, autour du cardo et du decumanus, donne à Teotihuacan un caractère familier. À la différence des cités mayas ou d’autres grandes capitales préhispaniques, Monte Alban, El Tajín, Cantona, Teotihuacan s’insère familièrement dans ce qui correspond à une ville, au sens occidental du terme. Et pourtant !

Une ville préhispanique

  • 2 Childe, 1950.
  • 3 Berrin & Pasztory, 1993 ; Solis Olguín & Michelet, 2009 ; Taladoire, 2009.
  • 4 Gazzola & Gómez, 2009.

3Ville, elle l’est, sans nul doute, peut‑être même la seule véritable du Nouveau Monde préhispanique, selon nos critères définis pour l’antiquité de l’Ancien Monde, même s’ils ne sont pas adaptés aux réalités précolombiennes. Ces critères sont la concentration de population et sa densité, l’existence d’une classe dirigeante, la diversité sociale et économique, un commerce à longue distance, l’organisation spatiale de la cité autour d’un centre monumental, l’existence d’un réseau de rues et d’avenues, un système d’enregistrement écrit, pour n’en citer que les principaux2. Teotihuacan regroupe en effet, selon les auteurs, entre 100 et 200 000 habitants, qui se consacrent à des activités multiples3. Outre l’élite dirigeante, qui regroupe les familles nobles ou riches, les prêtres, les guerriers, se côtoient de prospères marchands locaux ou étrangers, des artisans spécialisés qui fabriquent les objets rituels, les céramiques de luxe, comme les encensoirs‑théâtres. On a identifié leur présence, et celle d’ateliers dans les complexes résidentiels qui sont situés au cœur de la cité ou dans des quartiers périphériques comme le quartier des étrangers, où la présence de gens originaires de la côte du Golfe du Mexique s’illustre par l’existence d’édifices circulaires, caractéristiques de la civilisation huaxtèque. D’autres communautés originaires de la vallée d’Oaxaca, de l’Occident du Mexique résident à Teotihuacan, sans pour autant avoir abandonné leurs traditions propres4.

  • 5 Manzanilla et al., 2011.

4L’essentiel de la population se compose de paysans, de petits artisans, de commerçants, de serviteurs, de multiples services comme les maçons, les employés qui se consacrent à l’entretien de la cité. Leur présence passe souvent inaperçue, mais leur existence est indéniable, ne serait‑ce que par l’intense activité de construction. Dans des complexes résidentiels, ont été découverts des ateliers de fabrication d’outillage lithique, de céramique, peut‑être même de fabrication de vêtements5. La propreté des espaces publics atteste de l’entretien quotidien de la cité et contraste avec la saleté relative qui suit la chute de la cité, vers 550 de notre ère, confirmée par la présence de dépotoirs dans des zones autrefois régulièrement nettoyées.

Historique des recherches

  • 6 López Luján, 1989.
  • 7 Millon, 1973.

5Abandonnée progressivement après sa destruction violente vers 550, la cité n’a pourtant jamais été oubliée : plus de huit siècles après sa mise à sac, les Aztèques l’appelèrent Teotihuacan, le « lieu où l’on devient dieu », mais on ne connaît à ce jour ni son nom original ni l’identité précise des bâtisseurs. Les Mexicas y pratiquèrent des fouilles pour recueillir de prestigieux vestiges, imitèrent certains de ses aspects architecturaux, comme la forme dite en talud‑tablero, une moulure en talus soutenant un panneau saillant qui était probablement décoré6. Dès le xviie siècle, Teotihuacan attire la curiosité des lettrés puis des explorateurs, un attrait qui ne cesse d’augmenter jusqu’à la fin du xixe siècle, lorsque Batres, puis Gamio (1922) commencent à y pratiquer des fouilles. Dès lors, la cité est l’objet d’un intérêt permanent, qui donne lieu à de nombreuses fouilles et à de multiples découvertes, celles de Linné dans l’ensemble résidentiel de Tlamimilolpa ou de Séjourné dans les palais de Tetitla, Zacuala ou Yayahuala, pour n’en citer que certaines des plus importantes. Mais il faut attendre la fin des années 1960 pour avoir enfin une idée de son ampleur et de son organisation urbaine, avec le plan dressé par Millon et son équipe7. La cité couvre plus de 22 km2 et compte un minimum de 2000 ensembles monumentaux et résidentiels.

  • 8 Valadez Azúa, 2003.
  • 9 A Secret Tunnel Found in Mexico May Finally Solve the Mysteries of Teotihuacán, DOI: (...)

6Depuis, les fouilles se poursuivent de façon continue, tant dans les édifices monumentaux (Pyramides de la Lune et du Soleil, Citadelle) que dans des ensembles résidentiels majeurs (Xalla, peut‑être le centre du pouvoir) ou secondaires (La Ventilla). Chaque projet apporte son cortège de découvertes, comme les fortifications de Xalla qui suggèrent l’existence de soldats professionnels, ou les traces de domestication animale, des lapins par exemple à Oztoyahualco8. Mais il faut rester conscient que ce qui a fait l’objet de fouilles représente moins de 10 % de la cité. En d’autres termes, chaque nouveau projet est susceptible de renouveler en profondeur notre compréhension et nos interprétations de la cité, de son organisation politique et économique. La dernière preuve en date est la découverte en 2003 du tunnel qui se situe sous la Pyramide du Serpent à Plumes, au cœur de la Citadelle, et qui déroule sur une longueur d’une centaine de mètres une multiplicité d’offrandes de toute nature (caoutchouc, bois, mercure, mica), de vestiges (on parlait encore récemment de plus de 70 000 pièces) pour aboutir dans des chambres encore scellées, peut‑être la dernière demeure des dirigeants de la cité9.

  • 10 Solis Olguín & Michelet, 2009.
  • 11 López Luján et al., 2006.

7Un exemple frappant de l’ampleur des changements consécutifs au progrès des recherches reste la chronologie. Dans une perspective de continuité historique et de centralisation du pouvoir, Teotihuacan était jadis considérée comme la civilisation fondatrice du Mexique, avec une dimension chronologique qui courrait du début de notre ère jusqu’au ixe siècle, pour donner place ensuite à Tula, puis à Mexico‑Tenochtitlan et enfin à Mexico, la capitale coloniale et républicaine. Même si ce schéma continue à figurer dans quelques publications, on sait aujourd’hui que l’apogée de sa puissance dure environ quatre siècles, de 150 à 550 apr. J.‑C.10. On ne connaît pas grand‑chose encore sur les origines et la fondation de la cité (phase Tzacualli 1‑150 apr. J.‑C.), même si elle s’insère dans un processus d’urbanisation qui touche toute l’aire méso‑américaine. C’est en effet à la même époque que commencent à croître d’autres capitales comme Monte Alban et surtout Cantona, une puissante rivale. En revanche, on sait qu’au terme de quatre siècles de rayonnement, à la fin de la phase Xolalpan (350‑550), le centre de la ville est ravagé par un incendie volontaire qui s’accompagne de destructions massives d’édifices et de symboles du pouvoir : plus d’une centaine d’édifices publics sont brûlés, des sculptures sont martelées, réduites en miettes11. S’agit‑il d’une invasion ? D’une révolte sociale interne, accompagnée d’une désacralisation ? De l’intervention de puissances rivales en pleine expansion ? Toujours est‑il que la cité décline peu à peu durant la phase suivante (Metepec 550‑650) pour être presque totalement dépeuplée vers 700 de notre ère, même si subsistent de-ci de‑là quelques petites communautés paysannes.

Une métropole économique

8Teotihuacan est situé stratégiquement au nord‑est du bassin de Mexico, à une certaine distance des lacs qui s’étendent au cœur du bassin, dans une petite vallée qui débouche sur le haut plateau de Tlaxcala‑Puebla et, à terme, donne accès aux plaines de la côte du Golfe du Mexique, aux hautes terres du Sud (l’État actuel d’Oaxaca) et, plus largement, à la Méso‑Amérique orientale. Cette région abonde en riches terres volcaniques que des sources pérennes permettaient d’irriguer sur des milliers d’hectares. Cette richesse agricole favorisait l’implantation d’une population importante, dont la subsistance pouvait être assurée, en partie, par les champs voisins, cultivés de manière intensive. N’oublions pas non plus que des forêts, regorgeant de gibier, entouraient la ville. Un troisième avantage économique a joué en faveur de Teotihuacan : sa proximité avec de grands gisements d’obsidienne (ceux proches d’Otumba spécialement, mais aussi de la sierra de Pachuca). En l’absence de métallurgie, puisque Teotihuacan est encore une civilisation néolithique, l’obsidienne est la matière première à partir de laquelle étaient fabriqués les meilleurs outils coupants et perforants de Méso‑Amérique ainsi que des objets rituels. Les ateliers de taille fouillés ont livré des milliers de pièces, couteaux, pointes, petits outils, sans compter des objets rituels comme des excentriques, des pièces taillées pour figurer des images humaines ou animales stylisées. Plus qu’à son agriculture et à l’exploitation de ses ressources propres, Teotihuacan doit pourtant l’essentiel de sa prospérité à son contrôle des échanges régionaux à l’échelle du Haut plateau central mexicain, à sa production artisanale et aux activités de service.

  • 12 Gazzola & Gómez, 2009.

9Nous l’avons dit, la présence à Teotihuacan de véritables quartiers étrangers a été établie depuis longtemps. Des gens de Oaxaca, de la côte du Golfe ou de l’Occident sont établis dans plusieurs quartiers, parfois depuis longtemps12. Il est d’ailleurs assez ironique que le seul habitant de Teotihuacan dont on connaisse le nom soit précisément un étranger, originaire de Oaxaca, dont le nom est inscrit à l’entrée de sa tombe, dans le quartier de Tlailotlacan. Plus ponctuellement, l’abondance de produits exogènes atteste d’une intense circulation de marchands venus des régions voisines. Ainsi, la poterie de luxe dite Orange mince, caractéristique de Teotihuacan, est produite en quantité ahurissante à Tepexi de Rodríguez, dans la région de Puebla, donc importée par des caravanes de porteurs. Il en va de même pour l’obsidienne verte de Pachuca, ou le coton du Morelos voisin. Des colonies de Teotihuacan sont implantées dans des cités relativement éloignées comme Chingu, près de Tula, pour exploiter les ressources essentielles au bon fonctionnement de la métropole, la chaux en l’occurrence. Ces productions font l’objet d’une intense circulation permanente, et l’on peut affirmer que tout le Haut Plateau central mexicain fonctionne sous le contrôle de l’élite dirigeante qui draîne ressources et hommes vers la cité. Cette attraction économique est le fondement même de sa prospérité.

L’organisation urbaine

Figure 1. Plan du centre cérémoniel de Teotihuacan

Figure 1. Plan du centre cérémoniel de             Teotihuacan

Dessin de Sylvie Eliès

Figure 2. Plan du palais de Tetitla

Figure 2. Plan du palais de             Tetitla

Dessin de Sylvie Eliès

  • 13 Sugiyama, 2004.

10Il serait pourtant simplificateur de limiter l’analyse de la dimension de la cité et de son rayonnement à sa simple réussite économique. Le premier trait qui caractérise Teotihuacan est l’orientation cardinale de son plan avec une déviation de 15° 30’ à l’est du nord appliquée systématiquement à tous les bâtiments, publics et privés, comme aux axes de circulation. Notons d’ailleurs que cette orientation était à l’origine, durant les premières occupations de la ville, légèrement différente, ce qui a nécessité une remodélation des édifices les plus anciens, les trois premières étapes de construction de la Pyramide de la Lune13 ou de la Citadelle, comme l’indiquent les fouilles en cours dirigées par S. Gómez (voir note 12). Le second trait dominant est la partition de l’ensemble urbain en quatre quadrants définis par une grande avenue nord‑sud, l’allée des Morts, large de 45 m pour une longueur de 3 km, qui culmine au nord sur la Pyramide de la Lune, et par deux avenues ouest et est qui coupent l’allée des Morts, juste au nord de la Citadelle et du Grand Ensemble, qui pourrait être le marché central. Le Rio San Juan qui traverse la ville a d’ailleurs été canalisé parallèlement à ces deux dernières avenues. On suppose que ces quatre quadrants reflètent un partage du pouvoir entre quatre entités politiques, chacune correspondant à un lignage. À l’intérieur des quadrants, il est possible qu’aient existé des quartiers.

  • 14 Cowgill, 2002.

11Cette division de la métropole en fonction de deux axes perpendiculaires sous‑tend l’organisation de l’habitat en un système d’unités résidentielles assez homogènes dans leurs dimensions (60 m de côté environ), reliées par un réseau dense de rues et de ruelles, parfois longées par des trottoirs et un système d’égouts et de canalisation. Ces unités résidentielles sont construites sur un seul niveau, ceintes de murs et dotées souvent d’une seule porte d’accès depuis l’extérieur14. En fonction du niveau social des occupants, ces ensembles peuvent avoir l’aspect de somptueux palais aux larges pièces ouvrant sur des cours intérieures, souvent décorés de peintures murales. La plupart sont des résidences multifamiales plus populaires divisées en de multiples petits appartements regroupant probablement des familles apparentées ou s’adonnant à une même activité, ou en périphérie, de maisons plus pauvres en torchis. Des quelques 2000 ensembles résidentiels recensés par Millon (1973), à peine une quarantaine, à ce jour, ont été fouillés, et encore beaucoup à des époques où les techniques archéologiques n’étaient pas aussi sophistiquées que de nos jours. Autant dire qu’il nous reste énormément à apprendre.

12L’apparente rigueur de cette structure urbaine cache en réalité de multiples aspects qui en modifient le sens. Il importe tout d’abord de rappeler que Teotihuacan, comme toutes les civilisations mésoaméricaines, ne dispose pas d’animaux de trait ou de bât. Tout le transport se fait à dos d’hommes. Par ailleurs, contrairement à de tenaces légendes, si la roue est connue, elle n’est pas utilisée. Quel est, par conséquent, l’utilité de ce réseau structuré de voirie ? Les autres cités mésoaméricaines qui fonctionnent selon les mêmes normes se contentent d’un réseau de circulation beaucoup moins rigide, avec des chaussées, parfois des ruelles tortueuses comme à Cantona. D’autre part, à la différence d’autres civilisations contemporaines, comme les Mayas, Teotihuacan n’a pas laissé de traces évidentes de l’usage de l’écriture ou d’un système de comptabilité. On a bien découvert, de‑ci de‑là, à La Ventilla par exemple, quelques glyphes sur le sol d’une cour, ou de rares exemples de codification écrite, mais ils s’insèrent plutôt dans des contextes religieux. Aucun système de comptabilité n’a été identifié. Cela soulève évidemment la question de la gestion urbaine, du contrôle des échanges et de la population.

13Par ailleurs, l’orientation du système de circulation ne répond pas à des axes astronomiques simples (nord‑sud, ou la course du soleil). Il semble plutôt que les axes directeurs aient été choisis en fonction de critères visuels : le profil de la Pyramide de la Lune, vue depuis l’Allée des Morts, reflète la forme des montagnes dans le lointain, en arrière‑plan, tandis que du sommet de la Pyramide de la Lune, celle du Soleil reproduit le profil de la Sierra de Patlachique. Enfin, il est possible de faire une lecture verticale de certains édifices : la Pyramide du Soleil surmonte une grotte artificielle aménagée en forme de fleur, qui pourrait renvoyer au mythe fondateur de Chicomoztoc, sept grottes, le lieu d’origine de plusieurs peuples mésoaméricains, dont les Aztèques. Peut‑on appliquer ce mythe à l’ancienne cité ? Les fouilles, en cours, du tunnel qui court sous le Temple de Quetzalcoatl, dans la Citadelle, sont loin d’avoir révélé tous les secrets de cet aménagement, et encore moins sa signification ou sa destination. En d’autres termes, l’architecture et l’urbanisme sont indissociables d’une profonde signification symbolique. Les édifices ne sont pas répartis au hasard et s’organisent selon une disposition où les critères urbains sont étroitement imbriqués avec des considérations rituelles et cosmogoniques.

14C’est probablement cette complémentarité de la prospérité économique et de la dimension religieuse qui a fait de Teotihuacan un foyer d’attraction et de rayonnement dans l’ensemble de la Méso‑Amérique, et ce dès les premiers temps de sa croissance.

Le rayonnement de Teotihuacan

  • 15 Sugiyama, 2004.
  • 16 Braswell, 2003.

15Le rayonnement de la métropole touche sans aucun doute des régions très éloignées, et ce dès des périodes très anciennes, presque lors de la fondation de la cité et de la construction des premiers édifices publics. Les offrandes découvertes dans des cavités aménagées dans la Pyramide de la Lune, lors des trois premières étapes de construction, lors de la phase Tzacualli, sont révélatrices15. On y a trouvé du jade, importé du Guatemala, des animaux exotiques (jaguar), des coquillages marins exotiques, plusieurs captifs sacrifiés d’origine étrangère et un dignitaire probablement maya, d’après sa posture et les ornements qu’il portait. La force d’attraction de Teotihuacan s’étend jusqu’au lointain pays maya, dans des sites comme Altun Ha ou Naachtun16. Pour résumer, dès sa fondation, Teotihuacan entretenait des relations avec des régions très lointaines et, par‑delà toute considération économique, exerçait un pouvoir d’attraction qui ne peut s’expliquer que par son rôle de centre cérémoniel majeur, vers lequel on se rendait peut‑être en pèlerinage ou pour recevoir l’onction des élites dirigeantes de la cité. Teotihuacan s’est donc très tôt imposé comme la métropole de référence, même s’il nous est encore difficile d’établir les bases de son influence.

  • 17 Ibid., 2003.
  • 18 Ibid.

16Ce rayonnement a certainement facilité les intrusions ultérieures de la métropole en pays maya, puisque vers 378, des guerriers venus de la cité s’installent à Tikal, puis Uaxactun, Rio Azul et enfin Copan, imposant un certain nombre de traits culturels sur lesquels on s’interroge encore, comme des armes (les propulseurs), des boucliers et surtout la représentation du dieu de l’orage et de la guerre, Tlaloc17. La présence de gens originaires de la cité se manifeste aussi, en architecture, par des pratiques funéraires, par la présence d’obsidienne verte de Pachuc, à Kaminaljuyú dans les hautes terres du Guatemala, à Los Horcones sur la côte Pacifique, à Matacapan au Veracruz, ainsi qu’à Oaxaca, et vers le nord, jusqu’au Zacatecas, à La Quemada et Chalchihuites par exemple, d’où provenait une partie des pierres vertes très prisées par les Teotihuacanos. En d’autres termes, le prestige de la cité lui permet de s’imposer bien au‑delà de sa sphère d’influence économique. Bien plus, alors que la cité a succombé, victime du saccage dont on a parlé, son prestige perdure. Presque toutes les cités épiclassiques (600‑900 de notre ère) du Haut Plateau central mexicain se réclament à plus d’un titre héritières de la métropole, tandis que des symboles caractéristiques de la cité continuent à être représentés sur des monuments mayas postérieurs à 600 de notre ère18.

La chute et l’héritage

  • 19 Ibid.

17Longtemps après son effondrement, l’incendie et la vandalisation des secteurs principaux du site entre 550 et 575, Teotihuacan continue donc à occuper une place centrale dans l’imaginaire des peuples de Méso‑Amérique. Toutes les cités qui s’épanouissent aux alentours du Bassin de Mexico, Xochicalco, Cacaxtla, Cholula et tant d’autres plus lointaines, comme El Tajín sur la côte du Golfe du Mexique, empruntent des traits caractéristiques de la métropole, certaines formes architecturales comme le talud‑tablero, des motifs iconographiques comme le Serpent à plumes ou l’image de Tlaloc. Même en pays maya, les symboles hérités de Teotihuacan, comme le visage de Tlaloc, continuent à figurer sur des monuments sculptés, longtemps après que toute influence de la cité ait cessé19.

18Beaucoup plus tard, les Mexicas éprouvèrent une véritable fascination pour l’antique cité. Parmi les offrandes du Grand Temple de México‑Tenochtitlan, on ne compte pas moins de 42 reliques de Teotihuacan, sans compter les répliques en architecture du module en talud‑tablero, dont on connaît quatre exemples. Mais nous ne sommes plus ici dans le registre de l’héritage, sinon du mythe. Un mythe qui perdure sous d’autres formes jusqu’à nos jours, tant que nous ne connaîtrons pas les origines de la cité, les intentions des bâtisseurs, les raisons de la fascination en Méso‑Amérique pour cette métropole si différente et si semblable, qui en font la cité par excellence de cette aire culturelle.

Bibliographie

Ouvrages

Berrin Kathleen & Pasztory Esther (eds.), 1993, Teotihuacan, Art of the City of Gods, Thames and Hudson, The Fine Arts Museum of San Francisco, London, 288 p. [9780500277676]

Braswell Geoffrey E. (ed.), 2003, The Maya and Teotihuacan: Reinterpreting Early Classic Interaction, University of Texas Press, Austin, 423 p. [9780500277676]

Fuente Beatriz de la (coord.), 1996, La pintura mural prehispánica en México. Teotihuacan [La peinture murale préhispanique au Mexique. Teotihuacan], vol. 2, Universidad Nacional Autónoma de México ‑ Instituto de Investigaciones Estéticas, Mexico.

Gamio Manuel, 1922, La población del valle de Teotihuacan [Le peuplement de la vallée de Teotihuacan], Secretaría de Educación Pública, México. [9786077457633]

López Luján Leonardo, 1989, La recuperación mexica del pasado teotihuacano [La récupération de la mémoire de Teotihuacan par les Mexicains], INAH/GVEEditores /Asociación deAmigos del Museo del Templo Mayor, México.

Millon René, 1973, Urbanization at Teotihuacan, Mexico, vol. 1, The Teotihuacan Map, University of Texas Press, Austin, 340 p. [9780292785014]

Solís Olguín Felipe & Michelet Dominique (dir.), 2009, Teotihuacan, cité des Dieux, Catalogue de l’exposition, Musée du quai Branly‑Somogy, Paris, 432 p.

Sugiyama Saburo, 2004, Viaje al centro de la Pirámide de la Luna. Recientes descubrimientos en Teotihuacan [Voyage au centre de la pyramide de la lune. Nouvelles découvertes à Teotihuacan], Consejo Nacional para la Cultura y las Artes ‑ Instituto Nacional de Antropología e Historia ‑ Arizona State University, México.

Valadez Azúa Raúl, 2003, La domesticación animal [La domestication des animaux], Universidad Nacional Autónoma de México ‑ Instituto de Investigaciones Antropológicas ‑ Plaza y Valdés, México, 146 p. [9688564990]

Articles et contributions à des ouvrages

Childe Gordon V., 1950, “The Urban Revolution”, Town Planning Review, vol. 21, no 1, p. 3‑17.

Cowgill George L., 2002, « Contextos domésticos en Teotihuacan » [Contextes domestiques à Teotihuacan], in Ruiz Gallut Marfa E. (éd.), Ideología y política a través de materiales, imágenes y símbolos : memoria de la primera mesa redonda de Teotihuacan, Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto Nacional de Antropología e Historia, México, p. 61‑74.

Gazzola Julie & Gómez Chávez Sergio, 2009, « Quartiers d’étrangers dans la ville de Teotihuacan : les dernières découvertes », Dossiers d’archéologie, no 17, p. 54‑59.

López Luján Leonardo and al., 2006, “The destruction of images in Teotihuacan: Anthropomorphic sculture, elite cults and the end of a civilization”, RES: Anthropology and Aesthetics, no 49‑50, p. 13‑39.

Manzanilla Linda R., Rodríguez Galicia Bernardo, Pérez Roldán Gilberto et al., 2011, « Arqueozoología y manufactura de vestimentas rituales en la antigua ciudad de Teotihuacan, México » [Arquéozoologie et fabrication de vêtements rituels dans l’ancienne cité de Teotihuacan, Mexique], Arqueología (México, INAH.), vol. 17, p. 221‑246.

Taladoire Éric (coord.), 2009, Teotihuacan, cité des dieux, Dossiers d’archéologie, H. S. no 17.

Notes

1 Ces noms sont d’origine mexica et s’appliquent, sur la base des similitudes iconographiques, à des divinités de Teotihuacan dont on ignore l’identité exacte.

2 Childe, 1950.

3 Berrin & Pasztory, 1993 ; Solis Olguín & Michelet, 2009 ; Taladoire, 2009.

4 Gazzola & Gómez, 2009.

5 Manzanilla et al., 2011.

6 López Luján, 1989.

7 Millon, 1973.

8 Valadez Azúa, 2003.

9 A Secret Tunnel Found in Mexico May Finally Solve the Mysteries of Teotihuacán, DOI: http://www.smithsonianmag.com/history/discovery-secret-tunnel-mexico-solve-mysteries-teotihuacan-180959070/#ML0JGfXZXaJVj8YG.99.

10 Solis Olguín & Michelet, 2009.

11 López Luján et al., 2006.

12 Gazzola & Gómez, 2009.

13 Sugiyama, 2004.

14 Cowgill, 2002.

15 Sugiyama, 2004.

16 Braswell, 2003.

17 Ibid., 2003.

18 Ibid.

19 Ibid.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Plan du centre cérémoniel de Teotihuacan
Crédits Dessin de Sylvie Eliès
URL http://books.openedition.org/pressesinalco/docannexe/image/31666/img-1.png
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Titre Figure 2. Plan du palais de Tetitla
Crédits Dessin de Sylvie Eliès
URL http://books.openedition.org/pressesinalco/docannexe/image/31666/img-2.png
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