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Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies

 | 
Nathalie Kouamé
, 
Éric P. Meyer
, 
Anne Viguier

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Réunion (La) : où sont les sources ?

Reunion Island: Where Are the Sources?

Vincent Capdepuy

Résumé

L’île de La Réunion est un confetti de l’océan Indien. Son histoire n’a que quelques siècles, mais elle reste méconnue. Les mémoires de l’esclavagisme et de l’engagisme y ont un poids important, appelant un travail d’historicisation donnant sa voix aux divers acteurs de ces systèmes d’exploitation économique. Cependant, l’histoire de La Réunion ne se réduit pas à cela. Elle est une histoire totale et connectée.

Texte intégral

1L’île de La Réunion est l’un des derniers espaces terrestres à avoir été peuplé par les hommes. Le fait est finalement assez rare pour être souligné. La question, d’ailleurs, taraude les esprits. Même si l’histoire du peuplement par des Français à partir des années 1640 est connue, si l’histoire de sa description par des navigateurs européens, portugais, hollandais, anglais, entre le début du xvie siècle et la prise de possession de l’île par la France en 1638, est établie, le doute demeure sur les siècles antérieurs : quelle connaissance ont pu avoir de ces îles (La Réunion, Maurice) les marins qui ont sillonné les pourtours de l’océan Indien ? À ce jour, nulle archive arabe, ni carte ni récit, n’a permis d’étayer l’hypothèse que cette île avait été repérée, ne serait‑ce qu’entr’aperçue. Le simple élément, mais c’est un hapax, est constitué par les noms qu’on déchiffre sur la carte portugaise de Cantino (1502) : Dina Margabin, Dina Mozare, Dina Arabi, interprétés comme un mélange de sanscrit et d’arabe. Dina Margabin, déformation de Diva Maghrebin, signifierait ainsi « île de l’Ouest ». C’est du moins la vulgate qui a fini par s’imposer faute d’autres sources permettant d’infirmer ou de confirmer. Mais peut‑être y a‑t‑il, dans quelque bibliothèque du Moyen‑Orient, un manuscrit qui dort dans lequel on trouvera un jour des informations complémentaires.

  • 1 Stanziani, 2012.

2En attendant, il reste que l’histoire de La Réunion, vieille d’à peine quelques siècles, est donc totalement informée par des sources européennes, conservées soit sur l’île même, soit en métropole, rarement ailleurs. Pourtant, il y a là un certain paradoxe pour un territoire qui a émergé dans le cadre d’un processus de mondialisation, d’autant que quelques‑unes des grandes questions historiographiques appellent nécessairement la mise en connexion : le colonialisme, l’esclavagisme, l’engagisme, pour n’en citer que les plus évidentes, mais c’est aussi vrai de l’industrialisation comme des guerres mondiales. S’il y a une histoire spécifique à écrire à propos de La Réunion, elle s’inscrit a priori nécessairement dans un cadre transnational. Il est difficile d’aborder la question des travailleurs engagés, par exemple, sans faire de comparaison avec ce qui s’est passé à Maurice1. De fait, l’histoire des Indiens à La Réunion prend très rapidement une dimension diasporique.

  • 2 Mnémosyne, 2006.
  • 3 Combeau, 2015.

3Histoire banale ? Moins qu’il ne faudrait le penser peut‑être : la Première Guerre mondiale. La colonie de La Réunion a été impliquée, comme d’autres territoires. On trouve dans toutes les communes de l’île des monuments aux morts qui attestent de ces hommes partis au loin et « morts pour la patrie ». En 1992, Prosper Ève avait publié un recueil de textes : La Première Guerre mondiale vue par les poilus Réunionnais ; mais il a fallu attendre 2006 pour qu’une thèse soit consacrée à ces derniers2. Là encore, la contextualisation reste pertinente avec l’étude de la Première Guerre mondiale dans l’océan Indien, ou du moins dans la partie Sud‑Ouest de celui‑ci, l’Indiaocéanie3. Cependant, combien d’archives restent encore dans les familles ?

  • 4 Jauze, 2017.
  • 5 Gerbeau, 1970.
  • 6 Aïssaoui, 2010.
  • 7 Régent et al. 2015.
  • 8 MagdelaineAndrianjafitrimo, 2009.

4L’histoire est écrite par les vainqueurs, par les dominants. La critique est connue. Encore faut‑il écrire cette histoire, qui reste en chantier. Les inventaires constituent des archives intéressantes pour reconstituer la vie dans les « habitations »4. Par ailleurs, peut‑on inverser le regard ? Depuis les années 1970, plusieurs historiens ont tenté de saisir une oralité évanescente5. Plus récemment, en 2010, Prosper Ève a écrit un livre sur la parole des esclaves intitulé Le Bruit du silence. Il y recueille les témoignages d’esclaves lors de divers procès, mais cela reste ténu. Ce n’est pas tous les jours qu’on tombe, comme le journaliste Mohammed Aïssaoui, sur les papiers d’un procureur mis aux enchères, comme en 2005 avec ces dossiers vendus à Drouot et relatant le procès de l’esclave Furcy contre son maître, jusqu’à obtenir finalement sa libération en 18436. Les fragments de vie que ces paroles recueillent sont précieux7. Sans remonter si loin dans le temps, l’histoire contemporaine mérite aussi qu’on recueille les souvenirs, comme dans l’affaire dite des « enfants de la Creuse », d’abord relancée par des récits écrits, comme celui de Jean‑Jacques Martial dans Une enfance volée en 20038.

  • 9 Roquon & Jacquot, 2016.
  • 10 Géraud & Le Terrier, 2010.

5Plus récemment, on a commencé à s’intéresser aux vestiges archéologiques de l’île. C’est à la suite du cyclone Gamède en 2007 qui avait mis au jour des restes humains attribués à des esclaves sur le front de mer de Saint‑Paul qu’un service archéologique a été mis en place en 2010. Depuis, d’autres chantiers ont été ouverts. Des prospections ont été menées à l’intérieur de l’île à la recherche d’éventuelles traces de camps de marrons, les esclaves en fuite, mais le site qui avait été repéré en marge d’un îlet du cirque de Cilaos doit sans doute être attribué à une occupation plus tardive. Moins spectaculaires, mais pas moins intéressantes, des fouilles ont été menées à Saint‑Denis dans la prison Juliette Dodu, désaffectée depuis 2008, permettant de mettre au jour des vestiges du bâtiment de 1771, arasé en 18489. Ceci ne concerne pas seulement les vestiges enfouis, mais également les ruines, comme celles des usines à sucre, qui étaient plus de trois cents au début du xixe siècle10.

6Il est temps, car l’urbanisation rapide de la région menace de destruction une partie des traces d’une histoire qui s’est faite du battant des lames au sommet des montagnes.

Bibliographie

Ouvrages

Aïssaoui Mohammed, 2010, L’Affaire de l’esclave Furcy, Gallimard, Paris, 240 p. [9782070443840]

Combeau Mohammed (dir.), 2015, La Première Guerre mondiale dans l’océan Indien, CRESOI, Saint‑Denis.

Ève Prosper, 1992, La Première Guerre mondiale vue par les poilus réunionnais, Éditions CNH, Saint‑Denis.

Géraud Jean‑François & Le Terrier Xavier, 2010, Atlas historique du sucre à l’île Bourbon/La Réunion (1810‑1914), Océan Éditions, Saint‑André, 189 p. [9782916533940]

Gerbeau Hubert, 1970, Les Esclaves noirs pour une histoire du silence, Balland, Paris.

Jauze Albert, 2017, Vivre à l’île Bourbon au xviiie siècle. Usages, mœurs et coutumes des habitants d’une colonie française sur la route des Indes de 1715 à 1789, Riveneuve Éditions, Paris, 376 p. [9782360134021]

Mnémosyne Rachel, 2006, Les Soldats réunionnais dans la grande guerre, 1914‑1918, thèse de doctorat non publiée, Université de La Réunion.

Régent Frédéric, Gonfier Gilda & Maillard Bruno, 2015, Libres et sans fers. Paroles d’esclaves français, Fayard, Paris, 300 p. [9782213677811]

Articles

Dijoux Anne‑Laure, 2013, « La “vallée secrète” à La Réunion. Un refuge extrême pour les esclaves “marrons” caractérisé pour la première fois par l’archéologie », Archéopages, no 38, p. 20‑23.

Magdelaine‑Andrianjafitrimo Valérie, 2009, « Les « déportés » de la Creuse : le dévoilement d’une histoire oubliée », Itinéraires, no 2, p. 47‑64.

Romon Thomas & Jacquot Édouard, 2016, « Archéologie de l’ancienne prison Juliette-Dodu à Saint-Denis de la Réunion », Les Nouvelles de l’archéologie, no 143, p. 34‑38.

Stanziani Alessandro, 2012, « Travail, droits et immigration. Une comparaison entre l’île Maurice et l’île de La Réunion, années 1840‑1880 », Le Mouvement Social, no 241, p. 47‑60.

Notes

1 Stanziani, 2012.

2 Mnémosyne, 2006.

3 Combeau, 2015.

4 Jauze, 2017.

5 Gerbeau, 1970.

6 Aïssaoui, 2010.

7 Régent et al. 2015.

8 MagdelaineAndrianjafitrimo, 2009.

9 Roquon & Jacquot, 2016.

10 Géraud & Le Terrier, 2010.

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