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Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies

 | 
Nathalie Kouamé
, 
Éric P. Meyer
, 
Anne Viguier

P

Photographies de Seydou Keita (Les)

Seydou Keita Photographies

El Hadji Malick Ndiaye

Résumé

La photographie de studio a connu un grand succès sur le marché de l’art grâce à l’esthétisation des pratiques et la montée en puissance de l’art contemporain africain. Son élection au rang d’œuvre d’art, s’est faite à travers les grandes expositions internationales, les foires d’art contemporain et la surenchère des collectionneurs et des galeristes. Le Malien Seydou Keita est le photographe de studio dont la renommée a été la plus fulgurante. Le processus qui l’a conduit à la reconnaissance internationale illustre les mécanismes de fabrication de l’artiste et accompagne la construction d’un marché de l’art de la photographie de studio. Cet article étudie la trajectoire par laquelle la photographie de Seydou Keita se constitue progressivement en objet singulier de la catégorie art contemporain. Il s’agit de resituer la place du photographe dans l’histoire de la pratique en Afrique tout d’abord. Ensuite, il convient de s’appesantir sur les caractéristiques plasticiennes de son œuvre et la façon dont elle a connu une popularité sur le marché de l’art.

Texte intégral

Introduction

1Au cours de ces dernières années, la photographie a connu une notoriété sans précédent en Afrique, grâce à l’esthétisation des pratiques et la montée en puissance de l’art contemporain africain. Cependant, il est assez curieux de constater que depuis la fin des années quatre‑vingt‑dix, la photographie de studio a eu un grand succès sur le marché de l’art. Son élection au rang d’œuvre d’art majeure s’est faite à travers les grandes expositions internationales, les foires d’art contemporain et la surenchère des collectionneurs et des galeristes. Parmi les photographes de studio, le Malien Seydou Keita est certainement celui dont la renommée a été la plus fulgurante. À ce jour, ses premiers clichés connus ont été présentés à l’occasion de l’exposition Africa Explores : 20th Century African Art (Berkeley University Art Museum. USA ‑ MAMCO. Genève, 1991 et 1994). Sa renommée connaitra une croissance progressive, consacrée par une récente exposition au Grand Palais (Seydou Keita, 31 mars‑11 juillet 2016, grand Palais, Galeries nationales) à l’occasion de laquelle sera publié un catalogue électronique dans lequel cette notice a puisé une partie de ses ressources. Le processus qui a amené Seydou Keita à la reconnaissance internationale illustre les mécanismes de construction de l’artiste à travers la dynamique complexe des institutions de l’art contemporain. Par conséquent, il s’agit d’étudier la trajectoire par laquelle la photographie de Seydou Keita se constitue progressivement en objet singulier de la catégorie art contemporain. Pour ce faire, il importe de resituer la place du photographe dans l’histoire de la pratique en Afrique tout d’abord. Ensuite, il convient de s’appesantir sur les caractéristiques plasticiennes de son œuvre et la façon dont elle a connu une popularité sur le marché de l’art.

Image, histoire et singularité

  • 1 Ricœur, 1967, p. 324.
  • 2 Dibie, 1998, p. 23.
  • 3 Snyder & Allen, 1975, p. 152.
  • 4 Nimis, 1998, p. 7.
  • 5 Viditz-Ward, 1998, p. 35‑38.

2En Afrique, le début de la photographie est presque simultané à la découverte de celle‑ci1. Dès l’annonce de son invention en 1839, les premiers daguerréotypes sont embarqués dans les bateaux vers l’Amérique, l’Asie et l’Afrique pour y effectuer des missions militaires et scientifiques. Au cours de ce contact, l’économie visuelle de la photographie bouleverse les rapports à l’Autre puisque voir, « c’est construire un rapport critique au monde, c’est reconnaitre pour autre ce que l’on perçoit et accepter de nous le représenter comme tel »2. Or, tous tant que nous sommes, notre regard peut être considéré comme une recréation du réel, dans cet interstice ambigu entre l’œil propre de la caméra et notre propre vision3. Ainsi, au lendemain de la découverte du daguerréotype, « toute cette production photographique reste d’abord le témoignage de la civilisation européenne, fortement ethnocentriste, avec cette volonté de tout étiqueter, comme si l’on se trouvait dans un grand musée vivant »4. Dès le milieu des années 1840, on signale la présence des premiers daguerréotypistes africains qui sont souvent des créoles marchands ambulants. Dans les régions côtières, comme Freetown, les Africains y ouvrent des studios dès la fin des années 18605.

  • 6 Landau & Kaspin, 2002.
  • 7 D’hooghe, 2003, p. 67.
  • 8 Pratt, 2004.

3Au contact des populations africaines, cette technologie de l’image sera vite maitrisée. La transmission des savoirs se fait d’abord dans le contexte du rapport entre apprenti et maître photographe, car plusieurs daguerréotypistes sur le continent sont accompagnés d’assistants africains. C’est dans cet environnement où les techniques liées à cette pratique évoluent que le savoir‑faire passera progressivement entre les mains de nouveaux acteurs. L’appropriation de la photographie par les populations locales introduira un paradigme critique du regard contre une pratique de l’image par l’empire qui traduit une « visualité en Afrique coloniale et postcoloniale »6. De ce point de vue, la vocation des photographes africains s’assimile à la production d’un savoir et à une révision en filigrane de l’histoire. Ce glissement du regard a un impact sur le réel qui tient au fait que l’image produite n’est plus imposée aux sociétés, mais fabriquée par celles‑ci. « Avec le portrait commandité par le modèle, nous sommes au cœur de la problématique de l’être et du paraître. Autant apparaître à son avantage ! Il ne s’agit donc pas pour le professionnel de représenter son sujet tel qu’il est, mais bien tel qu’il veut se voir »7. Ces rituels constituent une « expression auto‑ethnographique »8 qui revient de façon stéréotypée dans toute l’Afrique de l’ouest, avec des variantes locales.

  • 9 Werner, 1996, p. 103.

4Jean‑François Werner a esquissé une typologie de ces rituels en partant de l’étude de cas spécifique de la Côte d’Ivoire. Il qualifie de Classique une période de composition de l’image (1950‑1980) où l’esthétique se fait sur les modes conventionnels de « positionnement » dont la picturalité est propre à un Nadar. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le souci de faire sortir tous les éléments du corps du photographié, mais de rendre visibles tous les signes de marquage identitaires (vêtements, cicatrices rituelles et tatouages, coiffure, parure et bijoux, chaussures)9. Cette période classique se différencie de celle qui va de 1980 à la fin des années quatre‑vingt‑dix où la mode des studios tombe en désuétude. Les portraits en pied sont abandonnés au profit des portraits en buste. Cette nouvelle tendance obéit à un double mouvement :

  • 10 Ibid., p. 104.

… d’un côté, l’affirmation du caractère unique de la personne (par la mise en évidence de ses traits corporels distinctifs), de l’autre, l’effacement des signes de reconnaissance ethnique au profit d’une identité construite davantage en référence à une hiérarchie sociale et à des rôles professionnels clairement identifiés (footballeur, boxeur, gendarme, infirmier, etc.10

  • 11 Saint‑Leon & Pivin, 1998, p. 223.

5Ces tropes inscrivent le photographié dans un système de codes et de signes dont il est le principal artisan. La photographie redonne au personnage une identité sociale valorisante et apparaît comme une conquête du temps. Elle est – par le choix voulu des décors, des costumes, des accessoires – une mise en scène de l’individu. C’est ainsi que dans les cours royales des dynasties de souverains d’Éthiopie, la lignée des photographes de cours arméniens se fait alors chroniqueur. Bien plus tard, les indépendances seront racontées par des organes de presse. Même si dans ce dernier exemple « les agences d’état, liées au discours officiel et au pouvoir autocratique, ont lourdement décrédibilisé le rapport au réel de la photographie, jusqu’à ne plus jouer de rôle dans la représentation d’une réalité sociale »11. Somme toute, en documentant la vie quotidienne et les rapports sociaux, les premiers photographes africains expriment l’autonomie et la singularité. L’individuation du sujet repose autant sur la personnalité du photographe comme auteur que sur sa clientèle en tant que commanditaire. Le développement de la pratique photographique est corrélé à une organisation sociale de l’économie de marché ainsi qu’à l’émergence d’une consommation, d’une appréciation et d’une réception individuelle des images. C’est certainement dans ce triangle entre le photographe, la société et l’image créée que la place de Seydou Keita doit être convenablement évaluée.

6Seydou Keita est né à Bamako vers 1921. Il commence la photographie quand son oncle, de retour du Sénégal en 1935, lui offre un appareil photo de marque Kodak Brownie. Il s’exerce peu à peu et finit par ouvrir son atelier devant la prison civile de Bamako. Dans ce contexte, d’autres photographes ouvrent des studios dans la ville et dans les grandes zones urbaines africaines en profitant de l’émergence d’une classe moyenne, fruit indirect du boum industriel résultant de la Seconde Guerre mondiale. De 1948 à 1962, à travers le prisme de son appareil, Seydou Keita arpentera des visages et des scènes de vie, dans un cadre historique en pleine mutation. Dessinée depuis la conférence de Berlin (1885), l’Afrique Occidentale Française se métamorphose progressivement. Les années qui s’écoulent vers la fin du pouvoir colonial annoncent la naissance d’une nouvelle nation. Au Mali, les anciennes bâtisses côtoient de nouvelles architectures qui témoignent d’une urbanisation galopante. Des ponts et des mosquées, des stades et des immeubles émergent. Les travailleurs de plusieurs contrées d’Afrique affluent à Bamako et y trouvent un nouvel Eldorado.

  • 12 Frizot, 1997, p. 51.

7Au cours de ces transformations, de nouvelles élites voient le jour et des manières d’être se télescopent. Le Mali de l’époque se décrypte à travers un panorama de professions (soldat, sapeur, musicien, fonctionnaire, artisan, footballeur, gendarme, étudiant, etc.). Seydou Keita passe en revue une nation qui se forme et un peuple qui mue, mais il donne à voir la place du Mali au sein des changements en cours dans le monde. Les images capturées fonctionnent comme une boite d’archives dans laquelle la société sédimente des référentiels hétéroclites. « Car si la photographie naît d’une empreinte dans la boite noire, elle fait aussi empreinte dans la boite noire de la pensée et de la mémoire, sur la surface déployée du souvenir, d’autant plus nette et contrastée que l’affect qu’elle provoqua est plus intense »12. À travers le look des femmes et des hommes, les photographies révèlent une histoire des représentations sociales, livrées grâce à une esthétique de la mise en scène.

Esthétique d’une mise en scène

8On est fondé à penser que pour exercer son talent, Seydou Keita choisissait un protocole photographique mûrement orchestré. Le dispositif associe la clarté de la lumière naturelle, les fonds décorés de tissus et les attitudes des sujets, parés d’accessoires divers qui fonctionnent comme marqueur identitaire, référentiel d’une époque ou symbole d’un rêve. De manière générale, les modèles sont disposés au centre de l’objectif. Le fond est figuré par un tissu brut ou le plus souvent à motifs riches, dont le photographe se servira de 1948 à 1954. L’utilisation répétée des mêmes textiles – qui sont parfois les propres couvre‑lits du photographe – lui permettra d’ailleurs, faute de n’avoir pas daté ses œuvres, de les situer dans le temps. Mais c’est surtout la diversité des accessoires du corpus (cravates, lunettes, stylos, chapeaux, bijoux, radios, montres, vespa, etc.) qui aident à fixer les catégories ayant guidé la plupart des titres par lesquels le public nommera ses compositions.

  • 13 Werner, 1996, p. 97.

9Si certains clients entrent dans le studio avec leurs objets d’apparats, la plupart s’affichent aux côtés de ceux du photographe comme son Peugeot 206 ou sa Simca Versailles. Au‑delà du fait de fantasmer une condition, ces « paraphernalia du rituel photographique »13 sont des marqueurs identitaires ou des référents majeurs d’une réussite sociale. D’ailleurs, c’est dans les transformations du tissu social que la pluralité des portraits trouve un sens politique et historique. Devant la diversité des histoires racontées, il peut être superflu de les présenter en groupes homogènes au risque d’être répétitif, descriptif ou technique. Par contre, un discours cohérent transparait dans les séries qui replacent des hommes et des femmes dans des contextes historiques et sociologiques. Les différents rôles interprétés montrent la façon dont l’Africain se moule dans plusieurs identités. C’est une façon d’entrer dans le registre d’une modernité postcoloniale qui présage d’ailleurs toute l’ambiguïté de cette dernière.

10Le chapeau européen du xixe siècle côtoie les coiffures de femme africaine ornées de bijoux. Les tissus en Wax ou en Bazin importés d’Europe frôlent les robes en style camisole et les foulards satinés. Les vieilles mères drapées de grands boubous en mousseline alternent avec des femmes assises sur le gazon et dont les robes flottantes rappellent des tableaux d’un autre âge. Femme au foyer, jeune professionnelle ou fille branchée, parée de pendentifs en or ou du collier bobine portés à l’occasion des grandes cérémonies, la femme est représentée avec ses atours et ses statuts. Elles sont des coépouses qui réaffirment leur entente, une matriarche qui exhibe ses bijoux en or. Elles sont deux amies à la pose complice, une jeune fille, rose à la main, une autre se drape dans un costume de mariage. À travers ces images, c’est l’émancipation d’un genre qui est montrée dans toute sa diversité. Le même constat est visible du côté des hommes dont les costumes européens côtoient les vêtements de style sahélien, signes d’une distinction sociale, alliés aux chapeaux fez ou la chéchia. Si les coupes de cheveux dénotent l’élégance à la mode, elles traduisent aussi bien l’appartenance à une subculture que la défiance des normes. Les insignes de fonction sont mis en exergue et symbolisent l’activité ou l’appartenance revendiquée à un groupe comme marque de fierté. Musicien à l’harmonica ou jeune officier, jeune intellectuel ou dandy en costume du dimanche. Les hommes et les femmes sont montrés en couples de tous âges. Ils sont photographiés en famille se livrant à des activités quotidiennes.

11Les scènes se succèdent : père entouré d’une ribambelle d’enfants, jeune mère assise, grand‑père ou polygame prospère. Les emprunts que laissent penser ces créations et imitations croisées traduisent en arrière‑fond une histoire sociale du paraître. Ils connotent aussi les circuits de diffusion des idées de l’époque qui passent par le cinéma et la musique. Seydou Keita est un metteur en scène capable de créer de nouveaux scénarii pour narrer des histoires d’une dimension artistique. Il théâtralise ses représentations en associant des styles et des codes qui tranchent par leur subtilité. Il affiche les signes de la noblesse et de la prospérité et traduit une banalité du quotidien bien mesurée. Si certaines images n’aident pas à voir les choses telles qu’elles se présentent, d’autres se pressent de dire la réalité telle qu’elle est. Dans un cas comme dans l’autre, le sujet photographié saisit une occasion de se projeter dans un monde choisi et d’y jouer un rôle d’une manière qui lui convient mieux moyennant plusieurs artifices. Devant ces images, une étrange grammaire se forge, résultant de poses qui ne manquent pas de rappeler des références discrètes à l’Histoire de l’art.

  • 14 Benjamin, 2003 [1966], p. 122.
  • 15 Werner Jean‑François, 2001‑2002, « Entre mythe, pouvoir et argent, la photographie afric (...)

12Seydou Keita exercera son art jusqu’en 1962, date à laquelle il ferme son atelier pour devenir le photographe officiel du gouvernement du Mali indépendant jusqu’à sa retraite en 1977. Les images résultant de cette période intercalaire passée dans le moule de la photographie du pouvoir sont moins connues. Après sa retraite, son activité d’artiste s’affirme pleinement dans une troisième phase de sa carrière. En nouvel acteur, il agit dans un nouveau paradigme suite à sa récupération par le marché de l’art. Car, l’intérêt porté à son œuvre mènera les galeries à solliciter sa signature sur les photos tirées par leurs soins sur la base des clichés originaux. À partir de ce moment, si la photographie donne l’illusion d’un médium d’où l’auteur est totalement évacué, invisible et absent, on ne peut manquer de sentir la pesante présence de Seydou Keita qui est autant l’auteur de l’image que le photographié qu’il met en scène. Toutefois, le rôle joué par ce dernier – et qui a été largement mis en avant par la recherche anthropologique – tend à disparaitre au profit de la signature de « l’auteur comme producteur »14. La valeur marchande des photos de studio acquiert une importance capitale pour un ensemble d’acteurs divers dont les objectifs relèvent d’une promotion de la photographie africaine ou de la recherche d’une esthétique. Ce sont des agents du ministère français de la Coopération, des représentants d’une ONG comme « Afrique en créations », maître d’œuvre des « Rencontres de la photographie africaine » de Bamako, des gens travaillant pour une publication comme « revue noire » très active dans le champ de l’art africain, des intermédiaires travaillant pour des collectionneurs privés, des photographes européens et africains ainsi que toute sorte de petits aventuriers attirés par la perspective d’un profit rapide et facile15.

  • 16 Heinich & Shapiro, 2012.
  • 17 Magnin, 2000 ; Keita, Magnin & Ryan, 2011.

13Cet engouement poussera la collection Pigozzi à organiser une rétrospective de Keita à la fondation Cartier pour l’art contemporain en 1994 (Seydou keita : 1949‑1962,28 septembre‑27 novembre 1994). Le photographe de studio des années 1950 réapparaîtra au public sous le nouveau régime d’artiste. « L’artification »16 de sa production s’effectue grâce à des publications majeures qui précisent sa contribution dans le récit de l’art contemporain africain17. Seydou Keita s’éteint en 2001. Il est aujourd’hui une valeur sûre de l’art contemporain, avec un nombre inestimable de clichés que s’arrachent les plus prestigieuses collections : Musée national du Mali, Jean Pigozzi (Genève), Fondation Cartier et la Collection Agnes b (Paris), Metropolitan Museum, Museum of Modern Art et Walther Collection (New York), County Museum de Los Angeles, Moderna Museet (Stockholm).

14Cependant, la patrimonialisation de son œuvre soulève deux enjeux fondamentaux. D’une part, elle traduit l’avidité des collectionneurs, galeristes et marchands d’art qui, non seulement construisent l’histoire du goût, mais sous prétexte de rendre service aux créateurs, profitent de cette ressource qui prend de plus en plus de la valeur sur le marché de l’art. En témoigne le différend qui opposa la collection Pigozzi et celle de Jean‑Marc Patras autour de l’œuvre de Seydou Keita. D’autre part, elle trahit le déficit de prise en charge de ces clichés par les politiques publiques africaines. Cette situation est commune à plusieurs pays d’Afrique dont les institutions patrimoniales détiennent des fonds photographiques très riches. Toutefois, malgré le travail réalisé par des organismes comme le West African Research Program (WAMP) en matière de reconnaissance et de documentation, la préservation et la promotion des archives photographiques en Afrique de l’Ouest souffrent encore de plusieurs lacunes (WAMP 2001. WAMP 2003).

Conclusion

15Au regard de ce qui précède, il apparaît de manière évidente que la fabrication de l’image moderne de l’auteur Seydou Keita accompagne la construction d’un marché de l’art de la photographie de studio. Cette dernière pose des questions d’ordre sociologique et esthétique. D’abord, la valeur élevée de ces photos et l’effervescence qu’elles développent depuis le début des années quatre‑vingt‑dix témoignent de la nostalgie d’une autre Afrique. D’ailleurs, cette situation irrite quelques acteurs de l’art contemporain qui considèrent que le travail de certains périodiques comme la Revue Noire en matière de recherche d’une nouvelle esthétique semble être relégué au second plan. Ensuite, l’esthétisation des images, résultant de la frénésie autour de ces clichés, prive ces derniers de leur dimension anthropologique en occultant le contexte historique et le rôle capital joué par les photographiés. Enfin, le développement de la photographie en Afrique s’est traduit dans l’enthousiasme des Rencontres photographiques de Bamako qui avaient participé à révéler Seydou Keita au grand public. Il se prolonge dans des questions liées à l’économie, à l’image de soi, à la démocratisation d’une technologie et à la recherche d’une esthétique. Avec le boum de l’art contemporain africain survenu à partir des années quatre‑vingt‑dix, une nouvelle génération de photographes a diversifié la pratique, l’amenant vers le champ de l’intime, du populaire, du documentaire et de l’esthétique plasticienne : Rotimi Fany Kayode, Bouna Médoune Seye, Doris Haron Kasco, Oumar Victor Diop, etc. Aujourd’hui, le caractère multiforme de la photographie (presse, documentaire, plastique, etc.), associé au développement du numérique et à la démocratisation de l’appareil photographique ouvrent sans aucun doute une nouvelle ère à l’histoire de l’image en Afrique.

Bibliographie

Ouvrages

Dibie Pascal, 1998, La Passion du regard. Essai contre les sciences froides, Éditions Métailié, Paris. [2864242893]

Heinich Nathalie & Shapiro Roberta (dir.), 2012, De l’Artification. Enquêtes sur le passage à l’art, EHESS, coll. « Cas de figure », Paris, 335 p. [9782713223365]

Keita Seydou, Magnin André & Ryan Kathy, 2011, Seydou Keita : Photographies Bamako Mali 1949‑1970, Steidl, London, 300 p. [9783869303512]

Landau Paul S. & Kaspin Deborah D., (eds.), 2002, Images & Empires. Visuality in Colonial and Postcolonial Africa, University of California, Berkeley, 396 p. [9780520229495]

Magnin André (ed.), 2000, Seydou Keita, Scalo, Zurich, Berlin, New York. [9783931141646]

Nimis Erika, 1998, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours, Éditions Revue Noire, Paris.

Articles et contributions à des ouvrages

Benjamin Walter, 2003 [1966] « L’Auteur comme producteur » in Essais sur Brecht, La Fabrique des éditions, Paris, p. 122‑144, 254 p. [9782913372290]

D’hooghe Alain, 2003, « Réappropriation du regard sur soi » in Bouttiaux Anne‑Marie et al, L’Afrique par elle‑même. Un siècle de photographie africaine, Musée Royal de l’Afrique centrale & Revue noire éditions, Paris, p.  61‑70, 208 p. [9782909571584]

Fabre Clarisse, 2008, « Fin (et suite) du conflit judiciaire autour du photographe Seydou Keïta », Le Monde, 3 mai 2008, URL, http://www.lemonde.fr/culture/article/2008/05/03/fin-et-suite-du-conflit-judiciaire-autour-du-photographe-seydou-keita_1040883_3246.html (consulté le 26 juillet 2017).

Frizot Michel, 1997, « Faire face, faire signe, La photographie sa part d’histoire », in Ameline Jean‑Paul, Face à l’histoire 1933‑1996. L’artiste moderne devant l’évènement historique, Flammarion, Centre Pompidou, Paris, p. 49‑57, 620 p. [9782858508983]

Pratt Mary Louise, “Arts of the Contact Zone”, in Bartholomae David, Petrosky Anthony (eds.), 2004, Ways of Reading: An Anthology for Writers, Bedford Books of St. Martin’s Press, Boston, p. 326‑348, 736 p. [9780312570910]

Ricœur Paul, 1967, « Civilisations universelles et cultures nationales » in Histoire et Vérité, Seuil, Paris, p. 322‑338.

Saint‑Leon Pascal Martin & Pivin Jean Loup, 1998, Introduction du chapitre « Images du réel » in Anthologie de la Photographie Africaine et de l’Océan Indien, Édition revue Noire, Paris, p. 223, 430 p. [9782909571300]

Snyder Joel & Allen Neil Walsh, 1975, “Photography, Vision, and Representation” Critical Inquiry, vol. 2, n1, p. 143‑169.

Viditz‑Ward Véra, 1998, « Les créoles de Freetown », in Pivin Jean‑Loup & Saint‑Léon Pascal Martin (dir.), Anthologie de la Photographie Africaine et de l’Océan Indien, Paris, Édition Revue Noire, p. 34‑41, 430 p. [9782909571300]

Werner Jean‑François, 1996, « Produire des images en Afrique : l’exemple des photographes de studios », Cahiers d’Études Africaines, vol. 36, n141‑142, p. 81‑112.

Werner Jean‑François, 2001‑2002, « Entre mythe, pouvoir et argent, la photographie africaine en construction », WAMP Bulletin, no 9 & 10, p. 27‑32.

Expositions

Africa explores, 1991, Exposition au Center for African Art, New York. Commissaire : Susan Vogel. Exposition itinérante : 1991‑1994.

Seydou Keita, 31 mars‑11 juillet 2016, Grand Palais, Galeries nationales. Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais avec la participation de la Contemporary African Art Collection (CAAC) – The Pigozzi Collection. URL, http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/seydou-keita (consulté le 26 juillet 2017).

Archives

WAMP, Répertoire des archives photographiques en Afrique de l’Ouest, Dakar, WAMP, 2001.

WAMP, Préservation et promotion des archives photographiques en Afrique de l’Ouest, Dakar, WAMP, 2003.

Notes

1 Ricœur, 1967, p. 324.

2 Dibie, 1998, p. 23.

3 Snyder & Allen, 1975, p. 152.

4 Nimis, 1998, p. 7.

5 Viditz-Ward, 1998, p. 35‑38.

6 Landau & Kaspin, 2002.

7 D’hooghe, 2003, p. 67.

8 Pratt, 2004.

9 Werner, 1996, p. 103.

10 Ibid., p. 104.

11 Saint‑Leon & Pivin, 1998, p. 223.

12 Frizot, 1997, p. 51.

13 Werner, 1996, p. 97.

14 Benjamin, 2003 [1966], p. 122.

15 Werner Jean‑François, 2001‑2002, « Entre mythe, pouvoir et argent, la photographie africaine en construction », p. 30.

16 Heinich & Shapiro, 2012.

17 Magnin, 2000 ; Keita, Magnin & Ryan, 2011.

Auteur

Université Cheikh Anta Diop de Dakar, IFAN/Ch. A. Diop

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