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    Plan détaillé Texte intégral Le capital social – antidote au retour des « intellectuels » ruraux à la terre Nouvelles sphères d’emploi et capital social dans le milieu urbain Notes de bas de page

    Le Grand Tournant de la société moldave

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les trajectoires des « intellectuels » dans le post-socialisme moldave : reconversion du capital social dans le milieu urbain et rural

    Texte intégral Le capital social – antidote au retour des « intellectuels » ruraux à la terre Nouvelles sphères d’emploi et capital social dans le milieu urbain Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Dans nos enquêtes, les questions sur la conversion du capital social ont été liées à la problématique de la conversion socio-professionnelle. Le but fut de pouvoir identifier les faisceaux de trajectoires sociales qui se cristallisent dans la Moldavie post-socialiste. Comme il sera démontré en ce qui suit, l’analyse de ces données fait resurgir des différences substantielles en termes d’opportunités de reconversion socio-professionnelle entre le milieu rural et le milieu urbain.

    Le capital social – antidote au retour des « intellectuels » ruraux à la terre

    2Dans les villages moldaves du début de la transformation post-socialiste, les changements sont lents. Cette situation est intimement liée à la privatisation tardive dans l’agriculture de même qu’aux opportunités réduites d’emploi que le milieu rural offre.

    3Auparavant, les fermes collectives représentaient le noyau du microsystème villageois. Autour d’elles gravitaient des organisations non marchandes, à caractère social, telles que les crèches, les hôpitaux et les écoles. Les kolkhozes contribuaient, en partie ou intégralement, au financement de ces organisations1.

    Avant, l’hôpital du village avait 120 lits. Il était dans un bâtiment grand et joli. Tout était parfait. Le kolkhoze nous aidait. Après la chute de l’URSS, quand les terres furent privatisées, le kolkhoze a arrêté de nous donner de l’argent […]. Après [en 1999], on a introduit les assurances médicales obligatoires. Mais, aujourd’hui, cela ne sert à rien. Tout le monde a des traitements à base de pénicilline, de vitamine B1 et de vitamine B6. Les autres médicaments, il faut les acheter avec ses propres moyens. Et ça s’appelle médecine prise en charge ? C’est une plaisanterie ! (Paulina, 53 ans)

    4Avec la dissolution des kolkhozes, on assiste à une transformation du monde du travail villageois et, dès lors, à la transformation du groupe des « intellectuels ».

    5À partir de nos enquêtes de terrain, on observe que la conversion des « intellectuels » dans les villages moldaves comporte quelques cas de figure cristallisés progressivement dans les années 1990 :

    • avec la privatisation de la terre, les individus détenant une haute position dans l’ancienne hiérarchie politico-administrative des villages réussissent la conversion grâce à leur capital social de type politique hérité de l’ancien système ;
    • les « intellectuels » démunis de l’héritage du capital social de type politique et employés auparavant dans des organisations relevant du financement intégral des fermes collectives se retrouvent sans emploi. Censés se retourner vers le travail de la terre – unique possibilité de survie dans ce milieu rural –, ils activent leurs réseaux de contacts personnels grâce auxquels ils réussissent à échapper au travail de la terre ;
    • les « intellectuels » démunis de l’héritage d’un important volume de capital social de type politique mais qui échappent au chômage connaissent, eux, une évolution hybride. Ils combinent le travail non manuel avec le travail manuel ; ils conservent leur ancien emploi non manuel et font recours, à la fois, au travail agricole ou à d’autres activités saisonnières, tels le commerce en détail, les travaux en bâtiment à l’étranger.

    6Dans un premier temps, les kolkhozes sont transformés en associations d’exploitation. Au sein de ces associations d’exploitation, l’ancienne hiérarchie kolkhozienne est reprise telle quelle : l’ancien directeur de kolkhoze devient directeur de l’association, les anciens ingénieurs et chefs des brigades créent, eux aussi, leurs propres associations d’exploitation, les anciens salariés des kolkhozes, bien que propriétaires, demeurent toujours des salariés au sein des associations2. L’héritage du capital social de type politique des membres de la direction des kolkhozes s’avère important dans le processus de conversion professionnelle et économique. Celui-ci est réinstitutionnalisé dans les nouvelles associations d’exploitation ; elles deviennent, dorénavant, les principales « offreuses d’emplois » dans les villages moldaves. Le directeur de la nouvelle association d’exploitation est appelé leader. Par le biais de l’entreprise à la tête de laquelle il se trouve, le leader devient une figure importante au sein de la communauté villageoise : il jouit d’un important capital symbolique qui est accumulé tant par sa position de chef de l’organisation mentionnée que par les vertus du capital économique qu’il peut accumuler (pas obligatoirement en tant que propriétaire car toutes les terres ne lui appartiennent pas) au sein de cette organisation.

    7La conversion du capital social de type politique dans une nouvelle forme de capital social de type institutionnalisé doit être recherchée dans les conditions de la privatisation en agriculture. Les individus en possession d’une position relativement haute dans la hiérarchie socio-professionnelle villageoise ont eu accès à un capital informationnel, indispensable à une conversion réussie.

    Les anciens présidents des kolkhozes ont créé leurs propres kolkhozes. Les biens appartiennent en fait aux gens mais les gens ne connaissent pas la législation et cela profite aux directeurs. Ceux-là se sont approprié les coupons [de privatisation], les terres et les outillages qui revenaient à la population. Les gens n’ont rien reçu. Au contraire, ils ont été arnaqués car en changeant la raison sociale de ces associations, la trace de ces biens est perdue. (Lucian, 49 ans)

    8Le capital informationnel s’accumulait grâce à une meilleure compréhension des réformes et à une meilleure connaissance des nouvelles règles institutionnelles. Ce capital était d’autant plus nécessaire que les réformes engendraient des mécanismes sinueux souvent incompris par les anciens kolkhoziens. Les villageois en général, et ceux n’héritant pas de capital social de type politique en particulier, se rapprochent du type de l’homme soviétique que Youri Levada (1993) avait défini, entre autres, comme un homme facile à diriger. Ils s’intéressent très peu à la vie politique et administrative de leur localité et d’autant moins à celle du pays. Les héritiers du capital social de type politique, en revanche, sont des acteurs importants de la vie politique et administrative et, par ce biais, ils accumulent ce capital informationnel nécessaire à la conversion.

    9Parmi les villageois, un procédé similaire dans la conversion du capital social de type politique est propre aux membres de l’administration locale (d’anciens soviets). Leur conversion a été facilitée par la possession de ce capital informationnel lié à la transformation systémique et qui légitimait aux yeux de la population leur (ré)élection sur des postes au sein de l’administration locale. Le réseau de leurs contacts personnels – qui se confond avec le capital social de type institutionnalisé – joue en leur faveur dans le processus électoral. Puisque les villages moldaves sont de petites tailles, les villageois se connaissent tous entre eux. Chacun connait le réseau de contacts personnels d’un autre. Les réseaux des membres de l’administration locale vont souvent au-delà des frontières villageoises. Par l’intermédiaire de leur travail du passé, les réseaux de ces individus se sont étendus, comprenant des individus héritiers d’un capital social de type politique accumulé dans les instances du district et des villes voisines. Lors de la conversion post-socialiste, cet aspect joua une importance significative, car il alimentait l’espoir des électeurs dans une administration capable d’apporter plus de ressources (économiques) dans leur localité grâce à leur capital social de type politique hérité.

    — J’ai cru comprendre que le maire de votre village a renouvelé quatre fois son mandat…

    — Oui, les gens ont voté pour lui car, à chaque fois, les contre-candidats n’étaient pas très puissants. Ils étaient trop jeunes, ils n’avaient pas de contacts avec le raïon et ils n’avaient aucune expérience. Mais si le village a besoin de charbon ou d’autre chose, c’est au maire de le trouver. Si on ne connait pas les « bonnes personnes » alors rien n’est gagné. En plus, il avait de l’expérience, il connaissait bien les enjeux associés à cette fonction. Cela est très important. Donc, à chaque fois, nous avons appuyé sa candidature. (Eugenia, 42 ans)

    10Dans un deuxième temps, on assiste à la disparition de certaines organisations – principalement des crèches, des foyers culturels et des hôpitaux – employant auparavant des « intellectuels ». Cette catégorie d’individus s’est retrouvée au chômage. Si le médecin en chef de l’ancien hôpital a pu encore – grâce à son capital social de type politique hérité (il était considéré comme le plus grand spécialiste mais il était aussi « ami » avec les membres de l’administration du village) – prendre la tête de la clinique nouvellement créée, ceux démunis de ce type de capital se sont vus imposer un parcours différent.

    11L’une des principales options fut d’éventuellement se reconvertir vers le travail agricole3. Or le travail de la terre était vu par les « intellectuels », non seulement comme une activité peu rémunératrice, mais aussi comme une activité « humiliante ».

    Avec la réduction du personnel, beaucoup de mes collègues se disaient qu’ils allaient travailler la terre et que cela leur permettrait de se nourrir. C’était humiliant, après tout ce que nous avions fait pour les gens. Mais ils se sont vite rendu compte que ce n’était pas faisable après avoir travaillé toute une vie dans le domaine médical. Pour travailler la terre, il faut non seulement résister physiquement mais avoir également de l’argent pour y investir. C’est pour cela qu’aujourd’hui les terrains de ceux qui n’ont pas voulu les donner au kolkhoze [il s’agit de l’association d’exploitation] sont en friche. (Paulina, 53 ans)

    12S’ils ont échappé au travail de la terre, ces « intellectuels » ont toutefois pris un chemin professionnel non traditionnel en s’investissant, à quelques exceptions près, dans l’activité du commerce de détail ou en émigrant dans les pays de la Communauté des États indépendants.

    — Dans notre village, la crèche a été fermée. Les éducateurs, ils se sont débrouillés chacun à sa manière. Une de mes voisines était la directrice de la crèche. Elle est restée sans aucun emploi après la fermeture de la crèche. Le choc était grand. Que faire dans une telle situation, surtout ici dans le village ? Il faut nourrir ses enfants, leur payer les études… Enfin, elle a commencé à faire du coupi-prodaj [du russe « achat-vente » ou « commerce souvent informel »]. Au début, tout le monde regardait ces gens, car elle n’était pas la seule, comme l’on regarde des extraterrestres [rire].

    — Pourquoi ?

    — Bah, c’était honteux ! Enfin… Elle a gagné un peu d’argent et, depuis quelques années, elle est partie en Italie. J’ai entendu dire qu’elle veut vendre sa maison et ne jamais retourner chez nous. (Dmitri, 68 ans)

    13Le travail dans l’agriculture, les activités de commerce de détail, les autres types d’emplois moins prestigieux comportaient d’importants coûts moraux pour les nouveaux chômeurs villageois issus du groupe des « intellectuels ». Mais sur une liste bien restreinte d’opportunités qu’offrait le marché du travail villageois, les individus étaient les plus hostiles au travail agricole. Selon eux, non seulement on passait d’un extrême à un autre – c’est à dire, du travail non manuel au travail manuel –, mais l’agriculture ne permettait pas d’accumuler un important volume de capital économique ; elle ne permettait même pas l’éradication de la pauvreté dans laquelle se sont retrouvés du jour au lendemain ces individus.

    14Mais intégrer d’autres sphères d’emploi n’est pas chose aisée, non plus. Même si plusieurs individus se livrent au commerce de détail, ils doivent remplir quelques conditions de base que le début de cette activité implique :

    J’aurais voulu gagner plus d’argent à l’époque où la crise a commencé car la situation était très difficile dans ma famille. Mais que faire ? Où aller ? Pour faire du commerce, il fallait avoir du capital [une somme d’argent de départ] pour y investir. Puis il fallait connaître les points stratégiques : où peut-on acheter moins cher, où peut-on vendre plus cher. Ce n’était pas simple. (Eugenia, 42 ans)

    15S’adonner à de nouvelles activités impliquait ainsi la nécessité d’être en possession d’un capital économique de départ et d’un capital informationnel relatif à ces nouvelles activités. Dans ce contexte, de nouveaux réseaux de contacts personnels se développent. Ils sont orientés notamment vers l’emprunt de l’argent, d’un côté, et vers l’obtention de ce capital informationnel sur les nouvelles activités, de l’autre côté. Le plus souvent, les deux types de ressources – l’argent et l’information – se procurent auprès des mêmes contacts personnels.

    16Eugenia continue :

    — Ma belle-sœur [elle travaillait auparavant dans le Sel’po villageois] a pu commencer une activité de commerce. Elle faisait du trafic à la frontière [moldo-roumaine] avec tout ce qui était demandé en Roumanie : des cigarettes, de l’alcool, du café. Et puis elle amenait ici des produits roumains et les vendait sur différents marchés urbains.

    — A-t-elle eu son propre argent pour commencer ?

    — Je ne sais pas exactement. Mais, je pense que non. En fait, elle était devenue copine avec une autre dame de notre village qui s’occupait déjà de commerce. Je pense que celle-ci lui a prêté de l’argent et lui a appris à faire du commerce.

    17Nous avons vu qu’au sein du système socialiste traditionnel les réseaux de contacts personnels des « intellectuels » villageois étaient caractérisés par une importante hétérogénéité sociale. Parmi les contacts des « intellectuels », on retrouvait des kolkhoziens et des ouvriers4. Malgré cela, on pouvait, grâce à leurs caractéristiques institutionnelles, tracer une frontière du groupe. Une semblable délimitation du groupe des « intellectuels » du reste de la société devient difficile à faire dans le post-socialisme en raison de deux facteurs interdépendants : d’abord, et de manière générale, les réseaux sociaux qui s’y développent se caractérisent par un degré encore plus élevé d’hétérogénéité sociale (bien que l’on conserve au début des transformations la même stratification sociale que dans le socialisme)5 ; ensuite, parce qu’avec le nouveau statut de chômeurs qu’ils acquièrent, ces « intellectuels » quittent le groupe et rejoignent celui des « autres » (paysans, commerçants, ouvriers, etc.).

    18Revenons aux ressources que procurent les nouveaux réseaux de contacts personnels. L’emprunt d’argent et le capital informationnel, indispensables au nouveau départ, sont obtenus au sein de ces réseaux. Bien que toutes les deux soient « rares », l’argent demeure la ressource la plus recherchée. Donc, l’emprunt de l’argent devient une pratique récurrente dans le post-socialisme moldave. Appuyant le principe de la réciprocité qui coexiste avec celui de la redistribution hiérarchique et par le marché des ressources, il revêt des formes complexes. La complexité résulte notamment des usages sociaux qu’en font les acteurs6.

    19Ce caractère mérite d’être mentionné ici car, même si son influence n’apparait pas de manière explicite dans la description des trajectoires des « intellectuels » moldaves, l’analyse du discours de nos interviewés montre que les usages sociaux de l’argent peuvent toutefois y être comptés7.

    20— Au début des années 1990, le commerce de détail était devenu très fréquent…

    21— Oui, mais cela ne m’intéressait pas.

    22— Pourquoi ?

    23— Je n’avais pas un tel courage. J’avais honte. Comment aller vendre des chaussettes, par exemple, au marché ?

    24— C’était tout de même une activité fréquente.

    25— Oui, mais bon… [sourire] Enfin, disons que, dans l’absolu, ce n’était pas possible pour moi : je n’avais pas suffisamment d’argent pour commencer une activité commerciale.

    26— N’avez-vous pas songé à emprunter à un proche ?

    27— Non. Je n’emprunte plus de l’argent.

    28— Pourquoi ?

    29— Je ne veux pas. À chaque fois que j’ai emprunté de l’argent, je l’ai bêtement dépensé. Qu’est-ce que j’en ai fait ? Je suis incapable de le dire. Après je me retrouvais avec des dettes qu’il fallait honorer et parfois ça pouvait prendre une tournure conflictuelle. Vous savez comment c’est ! L’argent c’est l’œil du diable. Ce n’est pas par hasard que l’on dit qu’« on est pauvre mais propre » (Paulina, 53 ans)

    30L’argent de l’emprunt est souvent considéré comme « malpropre » et « malsain » par les Moldaves. Ceci est dû aux différents conflits que cette pratique a pu générer au fil du temps. Bien que cet échange ne soit pas encadré par des règles juridiques, il est encadré par des normes sociales à caractère coercitif pour le débiteur incapable d’honorer ses dettes notamment. De manière générale, le caractère coercitif repose sur la mauvaise réputation qu’on acquiert en tant que « mauvais payeur ». Ceci brise la confiance sur laquelle s’appuie la pratique d’emprunt d’argent. Le label de « mauvais payeur » – associé dans l’imaginaire social à la « malhonnêteté » et à la transgression des normes sociales en vigueur – est ainsi à proscrire.

    31Dans un troisième temps, ces « intellectuels » qui n’héritent pas d’un capital social de type politique de l’ancien système connaissent une évolution hybride : leur travail sera partagé entre celui non manuel dans le cadre de leur métier d’origine et celui manuel en agriculture – partie intégrante de l’économie domestique – et dans des travaux saisonniers à l’étranger.

    32Voyons d’abord quels sont ces « intellectuels » qui conservent leurs emplois. Au risque de laisser à notre lecteur l’impression d’une conclusion hâtive et réductrice, nos observations montrent qu’ils sont représentés par quelques organisations uniquement : l’école villageoise, la bibliothèque du village (là où elle est encore conservée), la clinique – employant en général 2 à 3 personnes – et l’administration publique locale, en l’occurrence la mairie. Les crèches, les jardins d’enfants, les foyers culturels, les hôpitaux furent tous dissous, en raison de la dissolution des kolkhozes – leur principale source de financement.

    33Au sein des organisations qui survivent à cette transformation systémique, les « intellectuels » qui ne réussissent pas à accumuler un important capital social de type institutionnalisé sont surtout des enseignants. En revanche, la direction de l’école fait exception. Au sein des autres organisations citées, les individus réussissent à accumuler un volume relativement important de capital social de type institutionnalisé en raison de leur faible nombre. Ainsi, au sein de la clinique, le médecin en chef est en même temps le directeur de l’organisation : il détient un pouvoir décisionnel absolu sur son organisation. Aussi, une clinique villageoise ne compte que 23 employés (incluant le médecin en chef). L’assistant et/ou les assistants médicaux participe(nt) activement à la gestion de l’organisation et accumulent, par là, du capital social de type institutionnalisé. Au sein de la bibliothèque, le/la bibliothécaire est l’unique employé(e) – polyvalent(e). Son capital social de type institutionnalisé peut procurer du capital économique grâce à la gestion financière de l’institution que ce poste implique. La mairie, elle aussi, compte peu d’employés : de 3 à 6 (le maire inclusivement) selon la localité. En son sein, tous les employés sont dotés d’un important capital social de type institutionnalisé. En général, la petite taille du groupe des fonctionnaires publics renforce la cohésion au sein de ce groupe et permet à ses membres de se reproduire (lors des élections locales).

    34Ce que l’on peut observer, par notre enquête de terrain, c’est que, dans les villages moldaves, le capital social de type institutionnalisé se caractérise par un fort degré de concentration sur un nombre relativement faible d’individus. Dans un village de 1 000 personnes par exemple, les postes administratifs dans les différentes organisations recensées sont occupés par une dizaine de personnes. De règle, le même acteur occupe plusieurs fonctions administratives dans plusieurs de ces organisations. Eugenia, qui est enseignante dans un village du district de Cahul (dans le Sud moldave) occupe le poste de directrice adjointe au sein de l’école. Elle est en même temps conseillère locale (sur les listes du Parti démocrate moldave) et directrice d’une organisation à but non lucratif8 créée au début des années 2000.

    35Les enseignants villageois sont les seuls à conserver encore le statut d’« intellectuels ». Privée d’un appui institutionnel – tel qu’il existait au sein du système socialiste traditionnel –, la notion d’« intellectuel » retrouve son sens d’origine : la dimension sociologique de transmetteur et/ou de producteur de connaissances. Et, dans les communautés à moitié fermées que sont les villages moldaves, ce rôle revient désormais aux enseignants.

    Encadré 8. Dette salariale dans le secteur public et cession des droits d’exigibilité

    Pratique couramment rencontrée dans les années 1990, le paiement de salaires non monétaires était caractéristique surtout du secteur public.
    Dans les conditions de contrainte budgétaire dure, mais aussi en attente de nouvelles amnisties fiscales, les organisations marchandes accumulaient d’importantes dettes envers l’État moldave. Le budget consolidé, celui des assurances sociales (d’où on paye les retraites et les prestations sociales) et les budgets locaux, en revanche, devaient être financés essentiellement par les impôts et les taxes dus par les organisations marchandes. Les pratiques d’évasion fiscale, la conservation d’une contrainte budgétaire molle dans le domaine énergétique, etc. ont amené le système budgétaire moldave à l’état de quasi-insolvabilité. Dans la première moitié des années 1990, l’État s’est retrouvé dans l’incapacité de payer les salariés du secteur public, les retraités, les bénéficiaires de différentes prestations sociales. Les retards des paiements des salaires et des retraites s’élevaient alors à 36 mois (UNDP, 1996). La dette envers les salariés du public augmentait, entre 1994 et 1998, de 15 à 20 % par an (Guțu, 1998, p. 162). Afin de remédier à ce problème d’insolvabilité, l’État a mis au point un régime d’échange à titre de cession des droits d’exigibilité. (Voir une analyse appuyée sur le cas russe dans Dufy, 2008)
    Il se basait sur un accord passé entre l’État moldave et les organisations marchandes productrices de biens de consommation notamment, débitrices envers l’État, prévoyant que l’État annulait la dette d’une organisation, à condition que celle-ci prenne en charge une partie de la dette étatique envers les salariés, les retraités, et les autres bénéficiaires de prestations sociales. L’organisation marchande pouvait distribuer des biens de consommation aux salariés et retraités dépendants du budget étatique à la place de leur salaire et/ou de leur retraite. Dès lors, leur créance et celle de l’État devenaient non exigibles en même temps.
    Cette pratique a été la cause d’une augmentation de l’inflation cachée. Les témoignages recueillis lors de notre enquête de terrain montrent que les biens étaient souvent évalués à un prix très élevé, par rapport au prix du marché. Par exemple, au sein du circuit décrit, le prix d’un kilogramme de blé était 1,5 fois supérieur aux prix pratiqués sur les marchés locaux. Des exemples similaires furent aussi recensés par la Cour des comptes (1997) : les retraités d’un village de la région du Nord avaient reçu en 1995 du sucre au lieu de leur retraite, au prix de 2,5 MDL, sachant que le prix du sucre sur le marché était de 1,1 MDL.

    36De manière générale, l’effectif d’enseignants villageois est en constante baisse pour plusieurs motifs. D’abord, la chute de la natalité, à partir de 19919, de pair avec l’exode rural contribue à la réduction du nombre d’élèves scolarisés en première année de l’enseignement primaire. Dans certaines localités rurales, « on a du mal à créer un seul groupe d’élèves, alors qu’avant on avait au moins deux groupes d’environ 25 enfants. » (Eugenia, 42 ans)

    37Cela a fait diminuer graduellement le nombre d’enseignants dans les écoles villageoises10. Ensuite, les salaires bas du secteur public font que de nombreux enseignants abandonnent, au fur et à mesure, leur activité pédagogique pour se dévouer à d’autres activités plus rémunératrices.

    38Enfin, la pauvreté des villages décourage le retour des jeunes diplômés à la campagne. Ce phénomène n’est pas une nouveauté du post-socialisme moldave. Nous avons vu qu’il était à l’œuvre au sein du système socialiste traditionnel aussi. Mais, la différence entre les deux systèmes, et ce qui fait accentuer ce phénomène dans la période post-socialiste, c’est l’absence de relais institutionnels capables de réguler la migration interne et externe de la population11.

    39Le problème récurrent que cette catégorie d’acteurs rencontre dans la première décennie post-socialiste est celui des revenus très bas, caractéristique du régime salarial dans les organisations non marchandes. Cette situation est aggravée par les arriérés de salaires de l’État – phénomène devenu chronique entre 1995 et 2000 (voir Encadré 8) –, obligeant ainsi ces acteurs à rechercher d’autres sources de revenus. D’habitude, la plupart d’entre eux travaillent la terre reçue lors de la privatisation ou ils ont recours à l’émigration dans les pays de la Communauté des États indépendants. Pour débuter dans le dernier type d’activité, il est important de connaître ces personnes susceptibles de leur prêter de l’argent, d’une part, et de leur trouver un emploi dans le pays d’accueil, d’autre part. Dans de nombreux cas, ce sont les réseaux familiaux et ceux des amitiés qui jouent un rôle fondamental dans ce type de stratégies.

    40Afin de mieux illustrer ce phénomène, nous allons nous appuyer sur le témoignage de David, directeur d’école depuis 1999, dans un village du district d’Orhei, situé à une trentaine de kilomètres de la ville de Chișinău. Remarquons que David fut un des héritiers du capital social de type politique de l’ancien système car il fut directeur d’un collège professionnel du même village. En 1990, le collège est dissout et tous les enseignants se retrouvent au chômage. Grâce à son capital social de type politique, il réussit à prendre la tête d’une école primaire dans son village, le convertissant ainsi dans un capital social de type institutionnalisé :

    On m’a proposé de devenir directeur de l’école primaire du village parce que le maire me connaissait très bien et parce que je connaissais les ficelles de la fonction. (David, 51 ans)

    41Or, en 1993, il perd ce poste car l’école primaire fusionne avec l’école générale. Il intègre cette dernière en tant qu’enseignant, devenant son directeur seulement en 1999.

    — Nous avons eu de graves problèmes. Il y avait des retards de trois à cinq mois sur le paiement des salaires. Cette situation a duré jusqu’à ce que je devienne directeur en 1999. Même cette année-là, je me souviens que je venais juste d’être nommé sur le poste et il a fallu tout de suite s’occuper de la répartition du blé à la place des salaires, aux professeurs.

    — Et comment avez-vous surmonté l’épreuve des années 1990 ?

    — Et bien, j’ai fait toutes sortes de boulots. Ma fille ainée, elle était étudiante à Chișinău. Chaque samedi, elle venait à la maison pour qu’on lui remplisse le sac avec de la nourriture ; il fallait lui donner de l’argent… Enfin, je ne savais plus quoi faire, j’avais mal à la tête, je ne dormais plus. D’où prendre un peu d’argent et le lui donner ? Si parfois quelqu’un me demandait de réparer une télé, je respirais un peu car je savais que, pour cette semaine-là, je pouvais lui donner un peu d’argent, sinon [pause], ouf ! Il m’est arrivé de réparer quelque chose chez des gens et de recevoir un peu de blé ou un peu de haricots ou ce que la personne pouvait me donner. On a un lopin de terre et on y cultivait le nécessaire pour se nourrir. On élevait des poules et on avait une vache. Disons que nous n’avons pas souffert à cause de la nourriture. Je pouvais remplir aussi le sac de ma fille étudiante. Mais en ce qui concerne l’argent, je ne savais plus comment il se présentait. Parfois, je me disais qu’il fallait trouver au moins quelques lei pour que ma fille puisse payer le transport jusqu’à Chișinău et le retour pour la semaine d’après. J’allais souvent chez un voisin, à la retraite, lui demander de me prêter quelques lei. Comme il habitait tout seul et ne sortait jamais, il ne dépensait pas son argent donc il pouvait m’aider en cas de besoin.

    — Connaissiez-vous d’autres personnes chez qui emprunter de l’argent ?

    — Oui, il y avait dans le village des personnes qui prêtaient mais avec un taux d’intérêt12. Et chez eux, je ne voulais pas aller. Il y a eu des situations où les gens ont emprunté chez eux et ensuite ils étaient incapables de rembourser la somme intégrale avec le taux d’intérêt.

    — Combien de temps a duré cette situation critique ?

    — Jusqu’à la fin des années 1990. Ma fille a fini l’université en 1999 et tout de suite la cadette m’annonça qu’elle voulait aller à la faculté. Ouf, quel bonheur, me suis-je dit ! [rire] Ça recommence ! Mais finalement, la situation s’est un peu améliorée à partir de 2000.

    — Avez-vous pensé abandonner l’enseignement durant cette période ?

    — Oui, souvent. Mais, je me suis dit que je n’avais pas d’autre choix que de garder ce poste. Car faire de l’agriculture, ce n’était pas rentable. Et puis, devenir paysan après tant d’années d’études et de travail dans l’enseignement… L’agriculture c’est une activité qui nous permet de subvenir à nos besoins de nourriture. Mais faire toute une affaire, non ! Quant à aller travailler ailleurs, je n’ai pas voulu car cela signifiait abandonner ma famille.

    — Alors, il vous est venu à l’esprit de partir travailler à l’étranger.

    — Oui. Et je suis même allé à Moscou, en 1995. J’y ai travaillé dans le bâtiment pendant tout un été. J’ai bien gagné cet été-là et cela m’a permis de sauver un peu la situation. Autrement…

    — Comment avez-vous réussi à y aller ? Quelqu’un vous a-t-il aidé, peut-être ?

    — Évidemment, autrement ce n’était pas possible. Le fils d’un ami à moi m’a aidé. Il travaillait déjà là-bas. Il est rentré une fois de Moscou et avec son père ils sont venus chez moi en visite. J’étais plus mort que vivant [dépressif] à cette époque-là et le garçon l’a observé. Ce jour-là, je lui ai demandé s’il ne pouvait pas m’aider à trouver un emploi pour l’été, pour gagner un peu pendant les vacances scolaires. Il m’a dit qu’il allait s’y intéresser, et qu’il allait ensuite m’appeler. Il a tenu sa promesse. Quelques semaines après, il m’a appelé pour me dire que j’y étais attendu. Et c’est comme ça que nous avons vécu durant ces années-là. (David, 51 ans)

    42Cet extrait de l’entretien avec David est représentatif de la situation – déconcertante – des enseignants villageois qui ne sont pas en possession d’un volume important de capital social de type institutionnalisé. Le régime de réciprocité et celui de l’économie domestique, pour reprendre les termes de Polanyi (1983), deviennent des composantes structurelles du système post-socialiste. Ils deviennent centraux dans les conditions où la redistribution des ressources et le fonctionnement des mécanismes de marché engendrent de sérieuses tensions. Au sein de ce régime de réciprocité, l’importance des réseaux d’anciens et de nouveaux contacts personnels – le capital social de type relationnel – est cruciale car ils remplissent le rôle de régulateur des tensions institutionnelles post-socialistes.

    43En conséquence de ces mutations économiques et des pratiques sociales qui en émergèrent, le groupe soviétique d’« intellectuels » – ici villageois – est non seulement démuni d’appui institutionnel mais il est aussi caractérisé par une évolution divergente des trajectoires de ses membres, évolution qui changera la définition même d’« intellectuel » ainsi que le volume de capital symbolique (moins important) que ce statut implique.

    Nouvelles sphères d’emploi et capital social dans le milieu urbain

    44Les transformations du milieu urbain se distinguent de celles que le milieu rural subit. Cela est une conséquence directe de la hiérarchie organisationnelle. Elle est à la fois plus dense et plus diversifiée. De ce fait, les infléchissements ont un caractère beaucoup plus complexe dans le milieu urbain que dans le milieu rural et creusent davantage le clivage rural/urbain.

    45Les faits stylisés que l’on peut recenser dans la transformation du groupe des « intellectuels » urbains sont les suivants :

    • Les acteurs privés de l’héritage du capital social de type politique et/ou économique, accumulé notamment durant le socialisme réformateur et activé au sein des organisations marchandes, subissent des licenciements en masse. Les ingénieurs et les techniciens ont constitué la catégorie la plus concernée par le chômage. Dans ces conditions, la conversion du capital social de type relationnel s’avère le processus le plus important pour ces acteurs. Il permettra à ces individus de trouver un nouvel emploi et ainsi de se convertir professionnellement.
    • L’importance de l’aide financière internationale va contribuer à l’émergence d’un nouveau type d’organisations – les organisations à but non lucratif (OBNL). Elles deviendront une source importante de capital social de type institutionnalisé pour des acteurs sociaux héritiers de capital social de type politique, mais qui conservent leur emploi dans des organisations du domaine de l’éducation et de la science notamment. Ce dernier phénomène se développe significativement après l’an 2000 et enregistre à l’heure actuelle une double métamorphose intéressante : il a des frontières très volatiles employant des fonctionnaires de l’administration centrale, des professeurs et des chercheurs ; de plus en plus couramment, on associera ce secteur d’activité avec le groupe qui représente l’élite dite « intellectuelle » moldave.
    • Les trajectoires des héritiers du capital social de type politique et du capital économique, accumulées durant le socialisme réformateur, convergent dans le post-socialisme moldave. Bien que le champ politique et le champ économique se veuillent autonomes, leur convergence apparaît de plus en plus flagrante. Cet aspect aura une importance politique car il nous fournira les éléments de base sur lesquels le capitalisme de type moldave se construit.

    46Voyons de plus près – à l’aide de nos données de terrain – ces trois tendances de la transformation du groupe des « intellectuels » dans le milieu urbain.

    47Les villes moldaves du début des années 1990 connaissent des changements profonds suite aux réformes sur le statut juridique des entreprises et en conséquence de la privatisation de masse. Le chômage devient un véritable fléau de la société et il génère une situation inconfortable pour les « intellectuels » qui se retrouvent subitement dépossédés de leur ancien capital symbolique.

    Après la perestroïka, j’ai travaillé encore un certain temps à l’usine car elle ne fit pas faillite tout de suite. La privatisation avait démarré et les salariés avaient commencé à entrer en possession de différents biens appartenant auparavant à l’usine. Ces [nouveaux] actionnaires demandaient un certain ordre mais la direction de l’usine demandait le sien. Ainsi ils ont commencé à se quereller entre eux. Comme ça, l’entreprise fut détruite et tout son personnel a été licencié. (Lidia, 62 ans)

    48Ce phénomène, particulier au secteur marchand et notamment aux grandes entreprises industrielles, fut également connu – dans des proportions moins importantes – dans le secteur non marchand. La reconfiguration de la propriété et le changement du régime politique impliquèrent la réduction de l’effectif d’employés des ministères, des organisations culturelles, etc.

    — J’ai été renvoyé de mon poste [au ministère de l’Économie], en 1991.

    — Pour quel motif ?

    — Mais vous pensez réellement que quelqu’un a pris du temps pour nous l’expliquer ? Sans motif, évidemment ! Ceci fit partie de la réduction de l’effectif du ministère.

    — Peut-être y eut-il certains critères selon lesquels on choisissait de renvoyer les personnes ?

    — Non. Aucun critère n’a existé. On a été renvoyé et ce fut tout. De mon ancienne équipe, seules trois personnes sont restées au sein du ministère. Elles ont fini le travail que nous avons commencé et ensuite le département a été liquidé. Donc les trois personnes restantes ont été obligées de quitter leur poste elles aussi : une est partie à la retraite anticipée et les deux autres furent transférées au ministère des Communications. (Serghei, 62 ans)

    49L’appartenance organisationnelle et le secteur dans lequel l’organisation s’inscrivait avaient une portée significative pour l’avenir des employés :

    — À cette époque-là, les gens étaient renvoyés des entreprises pour de nombreux motifs. Dans notre entreprise aussi, il y a eu réduction du personnel. Par exemple, on comprimait une section dans l’entreprise et les gens se retrouvaient dans l’obligation de changer d’emploi.

    — Et vous, comment avez-vous réussi à y échapper ?

    — Je travaillais dans le secteur énergétique qui n’a pas connu la privatisation jusqu’en 2000. Lorsque Snegur était au pouvoir, nous avons posé la question de savoir si notre entreprise allait être privatisée et la réponse a été « non ». Mais voilà, Lucinschi est venu [en 1996] et il a signé le contrat avec Union Fenosa et il a privatisé notre entreprise. Alors, j’ai eu peur de perdre mon boulot. Mais je connaissais une personne à l’intérieur de l’entreprise qui a réussi à obtenir un bon poste après cette privatisation. Elle m’a aidé à conserver mon emploi. (Vasile, 57 ans)

    50De manière générale, dans la première moitié des années 1990, les « intellectuels » anciennement chargés du développement économique et industriel de la société, non héritiers du capital social de type politique, furent les plus touchés par le chômage. La solution qui s’est ouverte à eux fut de commencer les activités de commerce en détail – activités qui impliquaient d’importants coûts moraux.

    Après 1990, j’ai vu beaucoup de mes anciens collègues ingénieurs faire du commerce [illicite] au marché de Calea Basarabiei13. Les changements ont toujours imposé aux gens la nécessité d’une réadaptation. Mais, dans notre cas, les ingénieurs ont été ceux qui se sont adaptés le moins à ces changements. Ils devaient trouver des solutions. La solution s’est appelée Calea Basarabiei. (Elena, 51 ans)

    51La suspension de l’activité en tant qu’ingénieur devint de longue durée car l’industrie moldave s’est vue de plus en plus comprimée. Dans ces conditions, les ingénieurs ont dû procéder à une conversion qui, aujourd’hui encore, reste douloureuse pour certains d’entre eux :

    — Avez-vous connu le chômage à partir de 1990 ?

    — Bien sûr. Même maintenant je suis chômeur. Moi, si je ne travaille pas en tant qu’ingénieur je ne me considère pas comme embauché.

    — Oui, mais je parle du chômage proprement dit. Combien du temps êtes-vous resté sans emploi ?

    — Calculez vous-même : dix-sept ans14 ! » (Andrei, 59 ans)

    52Tout au long de l’entretien, Andrei a insisté sur son mécontentement du fait d’être privé de la possibilité d’exercer son métier d’origine. Pourtant, si l’on regarde les indices de la conversion économique et sociale, on peut dire qu’Andrei l’a plutôt réussie. Au moment de l’entretien, lui et son fils – diplômé d’économie – étaient à la tête d’un cabinet d’audit comptable qui est une affaire de famille. Comment expliquer cette réaction de la part de notre interviewé ? Au fil de la discussion, nous comprenons que ce qui « hante » l’esprit de notre interviewé, c’est sa propre interprétation du capital symbolique post-socialiste qu’il détient. Il le voit se dégrader car il dit :

    — Nous étions les seuls spécialistes dans ce domaine et tout le monde était content de nous avoir dans leur entreprise.

    — Il y avait donc une insuffisance des spécialistes dans le domaine…

    — Insuffisance ? Non ! Nous étions des ingénieurs. Nous étions l’élite ! C’est pour cela que nous étions recherchés par tous. (Andrei, 59 ans)

    53Comme pour les « intellectuels » du milieu rural, l’activité de commerce devint une opportunité de gain pour ceux du milieu urbain. Mal vu au départ par ces « intellectuels », car ils perdaient ainsi le statut qui leur avait procuré auparavant un important capital symbolique et donc une haute position sociale, le commerce avait néanmoins la capacité de procurer d’importants gains monétaires dans un délai relativement court. Les anciens contacts personnels jouèrent un rôle fondamental dans le processus d’initiation de ces activités.

    La première fois, je suis allé en Roumanie avec un ami. Il y était déjà allé avec un ami à lui quelques fois. (Lucian, 49 ans)

    54Dans un premier temps, cette activité nécessita une période d’adaptation générant ainsi des pratiques sociales orientées vers sa dissimulation15. Une fois lancés, les acteurs tissaient en revanche de nouveaux contacts personnels qui s’avérèrent être le pilier de cette période d’adaptation des « intellectuels » convertis à l’activité commerciale.

    — J’apportais de la marchandise de Roumanie. Au début, c’était dans de petites quantités que je l’apportais. Ensuite, j’avais compris le mécanisme de fonctionnement et je m’y suis investi à fond [rire].

    — Où vendiez-vous cette marchandise ?

    — À la maison. En gros. En faisant des allers-retours entre la Moldavie et la Roumanie, j’avais connu pas mal de gens. Certains avaient décidé d’arrêter les allers-retours car ils pouvaient acheter en gros chez des personnes comme moi et vendre cette marchandise en détail au marché. Ils y étaient déjà habitués. Moi, non ! Il y avait une barrière psychologique, une honte d’aller vendre au marché. Ainsi, j’ai consolidé ma propre clientèle qui venait acheter directement chez moi cette marchandise. (Lucian, 49 ans)

    55Les contextes personnels, appuyant une différence des statuts sociaux hérités du système socialiste, se circonscrivaient à cette nouvelle activité commerciale. En faisant recours aux réseaux de contacts personnels, ces « intellectuels » espéraient s’allier aux nouvelles valeurs sociales (appuyant l’importance du capital économique) en se souciant toutefois de préserver un statut social élevé et hérité du système socialiste. Il en découle que l’objectif de ces individus n’est pas de maximiser leurs revenus par n’importe quels moyens. Il est plutôt socialement orienté : conserver une haute position sociale au sein d’un système qui change d’échelle axiologique. La plupart de ces « intellectuels » réussiront ultérieurement à atteindre cet objectif. L’accumulation d’un capital économique relativement important par la pratique du commerce leur permettra d’initier des activités entrepreneuriales plus élaborées : Andrei, pratiquant le commerce dans un premier temps, devint le président et le propriétaire d’un cabinet d’audit comptable de la ville de Chișinău dans un deuxième temps ; Lucian devint le propriétaire d’un magasin commercialisant des produits alimentaires dans la ville de Dubăsari et, parallèlement, il créa une association de pêcheurs qui obtint le droit d’exercer la pêche dans le Dniestr et de commercialiser le poisson.

    56Une autre catégorie d’acteurs au sein du groupe des « intellectuels » urbains, héritiers du capital social de type politique et dont l’activité demeurait au sein des organisations non marchandes, conserve leur ancien emploi. Il s’agit notamment de ces « intellectuels » travaillant dans le domaine de l’éducation nationale et de la recherche, dans le domaine de la santé, dans le domaine de la culture, etc.

    57Comme nous l’avons déjà montré, la distribution de type bureaucratique des ressources, spécifique des organisations non marchandes, s’avéra problématique et elle affecta bien entendu le niveau de vie de ces « intellectuels ».

    En tant que chef de la chaire, à l’université d’État de Moldavie, j’ai eu un salaire de 25 USD. Avec une telle somme, on ne peut pas aller très loin [rire]. (Victor, 55 ans)

    58Les stratégies qui sont mises en place afin de réguler les tensions qu’engendrent les régimes d’allocation et de distribution des ressources seront diversifiées. Certains, notamment les salariés de la santé, pratiquèrent le commerce :

    Je ne veux même pas m’en souvenir. C’est une tache noire dans mon histoire. Cette activité était humiliante parce que j’avais des études supérieures et j’étais obligée de faire appel à une telle activité. Les diplômes n’avaient plus aucune valeur. J’orientais mon fils vers la médecine. Je pensais qu’il allait faire des études supérieures et devenir stomatologue. Mais pour lui, non seulement il était hors de question d’y aller, mais en plus de cela il me suppliait de ne dire à personne que j’étais médecin en chef car, rien qu’en indiquant le métier, on trahissait notre manque d’argent. Il se posait des questions par rapport à ses études. Il n’y voyait aucun intérêt en disant qu’il valait mieux aller gagner sa vie à l’étranger que rester perdre cinq années dans une faculté. Donc voilà ! À plusieurs médecins, nous nous sommes mobilisés et nous sommes partis en Pologne. Quand je suis arrivée là-bas, j’avais honte d’ouvrir mes sacs et de vendre les produits que j’avais apportés. Et mes collègues me disaient : « Ici, vous n’êtes plus chef, vous devez accepter la situation telle qu’elle est. » (Vlada, 52 ans)

    59Les stratégies des salariés du domaine éducationnel et de la recherche s’avérèrent différentes, contrairement à celles de leurs collègues villageois. À partir des données de nos enquêtes de terrain, nous pouvons déduire que ces individus choisissent de conserver un emploi mal rémunéré car le prestige social dont jouit le domaine de l’enseignement (supérieur) et de la recherche leur procure du capital symbolique et, ainsi, leur assure une continuité de leur sentier social du passage d’un système à l’autre. Certains acteurs, n’ayant pas réussi à conserver leurs anciennes positions au sein du gouvernement, notamment, se sont réorientés vers l’enseignement supérieur16 – source de capital symbolique. Serghei nous explique :

    J’ai essayé de trouver différents moyens de gagner un peu d’argent de manière légale. C’était dur ! En 1997, j’ai décidé d’intégrer l’enseignement supérieur. Au moins, me suis-je dit, c’est prestigieux. J’ai commencé à l’ULIM17. Très vite, je suis passé à l’université d’État tout en gardant mon emploi à l’ULIM. Aujourd’hui, je donne des cours dans trois universités moldaves. (Serghei, 62 ans)

    60L’appartenance à une organisation qui procure un important capital social de type institutionnalisé facilite la mise en place des stratégies d’accumulation du capital économique. Nombreux sont les « intellectuels » du domaine de l’éducation qui dispensent des cours à domicile – souvent à des prix très élevés établis en fonction de la « réputation » du professeur – à des élèves de lycée, à des étudiants du supérieur, etc.18

    61De même, des sources supplémentaires de revenus sont obtenues par le biais d’un deuxième emploi dans des organisations marchandes notamment où, comme il a été déjà dit, les salaires étaient plus élevés que dans celles non marchandes. Souvent, grâce à leur capital social de type politique hérité, ils arrivaient à occuper des positions importantes au sein de ces organisations.

    62Mais la stratégie la plus courante parmi cette catégorie d’« intellectuels » consiste dans la création et/ou l’intégration dans des organisations à but non lucratif (OBNL). Ces organisations ont pour la plupart comme activité de base la mise en œuvre des projets à caractère social, économique, etc. Une part importante de l’aide financière internationale est accordée à la Moldavie par l’intermédiaire de ces OBNL19. Bien qu’il reste relativement modeste au cours des années 1990, le nombre d’OBNL augmentera significativement à partir de l’an 2000 (Figure 16), grâce à certains programmes des organisations gouvernementales20 qui prévoyaient notamment leur création. Le nombre d’OBNL devint un indicateur du développement de la société civile.

    63Cette notion de société civile a été intensivement promue par la Banque mondiale (mais aussi par l’UNESCO) en Moldavie ainsi que dans les pays en transformation post-socialiste en général. En conformité avec celle-ci, la société civile s’appuie sur une série d’organisations de citoyens, les principales étant les OBNL, indépendantes tant du gouvernement que du secteur marchand21. Or les OBNL moldaves sont loin d’être indépendantes comme le veut leur définition. On observe une convergence de plus en plus accentuée dans les années 2000 entre leurs activités, celles du milieu d’affaires et celles politiques. Cette convergence est due précisément au fait que les mêmes individus occupent à la fois des fonctions dans les trois secteurs mentionnés. De ce fait, leurs frontières demeurent très volatiles22.

    Figure 16. Évolution du nombre d’OBNL, 1992‑2001

    Image

    Note : selon la même source, 66 % des OBNL sont concentrées dans la ville de Chișinău. Parmi leurs activités de base, on notera l’organisation des conférences et des séminaires, la réalisation de projets d’études et la publication de livres et de brochures. Près de 60 % du total d’OBNL ont une activité dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la culture et de l’art, environ 10 % sont actives dans le domaine des droits de l’homme et 14 % ont une activité dans le domaine du développement communautaire.

    Source : Nedera (2002, p. 6).

    64Dans les années 1990, les OBNL ont attiré un important contingent d’universitaires et de chercheurs, notamment. Ce phénomène trouve une explication dans la nature des projets qu’elles portent. Les projets financés par les organisations internationales débutaient, dans la plupart des cas, avec des études de terrain, des études de marché ou avec l’organisation de séminaires. Ainsi, le recrutement était fait parmi ces professionnels de la recherche et du domaine pédagogique.

    65Le temps d’embauche était limité à la durée des projets mais Victor, qui au moment de l’entretien était à la tête d’un OBNL de la ville de Chișinău, nous explique :

    Le plus important, c’est d’être embauché une première fois, après cela devient automatique. On ne prend pas de nouvelles personnes à chaque fois. Ce sont toujours les mêmes qu’on embauche. (Victor, 55 ans)

    66Le réseau de contacts personnels domine dans le processus d’embauche. Ce capital social de type relationnel procure d’abord du capital informationnel23. Mais la ressource la plus importante qu’il procure, c’est la mise en relation avec « les bonnes personnes », comme l’exprima Serghei (62 ans). Dans ce cas précis, l’interdépendance entre le capital social de type institutionnalisé et le capital social de type relationnel apparaît très explicite. Qui plus est, on remarque que le capital social de type relationnel a un effet multiplicateur sur le capital social de type institutionnel et vice versa.

    67Les revenus de l’activité au sein des OBNL dépassent largement ceux de l’emploi de base. Dans le cadre d’une discussion privée que nous avons eue avec un professeur de l’Académie des études économiques de Chișinău, il mettait en évidence le fait que son attachement à un établissement d’enseignement supérieur demeurait une « pure formalité ». Il avouait faire un grand effort afin d’y donner des cours. Sa seule motivation était de jouir du statut de professeur d’université. Sa vie, il la gagnait ailleurs, au sein des OBNL. Notre interlocuteur avait mentionné que son salaire à l’université, il ne le connaissait même pas avec exactitude tellement il s’y intéressait peu. En travaillant dans différents projets mis en œuvre par deux OBNL auxquelles il était rattaché, il pouvait atteindre la somme de mille euros par mois.

    68Nous avons vu que les individus qui accumulent du capital économique durant la perestroïka (supra, deuxième partie) empruntent, à cette époque-là, des trajectoires relativement différentes de celles des individus accumulant du capital social de type politique. Au passage du socialisme vers le capitalisme, en revanche, leurs trajectoires sociales convergent car les frontières entre le milieu d’affaires et le milieu politique deviennent très floues.

    69La superposition de deux champs s’est produite dans le post-socialisme moldave par deux procédés : d’un côté, les individus qui héritent un capital social de type politique et entrent sur l’arène politique post-socialiste vont, grâce à la privatisation, accumuler intensivement du capital économique devenant de grands propriétaires et, d’un autre côté, les individus qui accumulent du capital économique dans le socialisme réformateur ont la possibilité, eux aussi, de devenir de grands hommes d’affaires. Ils participent, dans un premier temps, à la vie politique par le financement des partis politiques pour les rejoindre, dans un deuxième temps, et allier carrière politique et carrière d’hommes d’affaires24.

    70Elena a été activement impliquée dans le mouvement nationaliste de la perestroïka, ce qui lui a permis d’accumuler un volume important de capital social de type politique. Elle rejoignit ainsi un milieu (politique) qui lui a permis d’entamer un processus intense d’accumulation de capital économique.

    — Avez-vous bénéficié de la privatisation ?

    — J’en ai bénéficié partiellement.

    — Qu’avez-vous obtenu par le biais de la privatisation ?

    — D’abord l’appartement. Mon mari et moi nous avons créé, en 1991, une société à responsabilité limitée. Par ce biais, nous avons ensuite privatisé plusieurs bâtiments dans la ville de Chișinău.

    — A-t-il été difficile de les privatiser ?

    — Pour moi, ce fut relativement facile. J’appartenais au milieu. La plupart de mes anciens collègues étaient là, ils sont presque tous entrés dans la politique. Il est vrai qu’ils étaient dans différents partis politiques mais cela avait moins d’importance. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir acquis plus de biens lors de la privatisation. J’aurais dû le faire car j’en ai eu la possibilité. (Elena, 51 ans)

    71Vers la fin des années 1990, les carrières politiques et les carrières en tant qu’hommes d’affaires se mêlent. Tout au long des années 2000, elles continueront de converger. Les allers-retours des héritiers du capital social de type politique et des héritiers du capital économique, tous deux accumulés durant la perestroïka entre un milieu d’affaires et un milieu politique, deviendront monnaie courante durant le post-socialisme. Il suffit, pour s’en apercevoir, de suivre les trajectoires des principaux dirigeants politiques qui se succèdent au fil des années de transformation post-socialiste.

    72Les deux types de capitaux ont un effet multiplicateur l’un sur l’autre. L’extrait – de l’entretien avec l’ancien Premier ministre (en 1999), Ion Sturza – en témoigne :

    Il serait incorrect de ma part de dire que mes relations [personnelles] et mon image [politique] ne m’aident pas dans mon business. Après avoir quitté le poste [de Premier ministre], j’avais plusieurs alternatives pour développer des affaires. […] Une vieille amitié, Dinu Patriciu25, a développé une grande affaire, non seulement pour la Roumanie, mais pour toute cette zone de l’Europe. À un moment donné, nous nous sommes demandé si nous ne pouvions pas faire quelque chose ensemble. L’idée que nous avions besoin l’un de l’autre avait ainsi « mûri » et aujourd’hui mon activité dans le cadre de Rompetrol est dominante dans mes affaires. […] J’ai connu le fils du président [Vladimir Voronin (voir Annexe 5)]26 à la fin des années 1980 et depuis, sous une forme ou une autre, nous sommes partenaires en affaires. Nous étions partenaires quand Voronin le père était encore un simple secrétaire de parti. Aujourd’hui, nous sommes dans différentes catégories de « poids » – les affaires d’Oleg passent par une période de « renaissance »27. […] Ce serait naïf de dire qu’il n’est pas favorisé par son statut de fils du président. (VIP Magazin, 2004)

    73Il s’en suit une évolution des trajectoires de ces individus autour de l’État. C’est cette évolution qui va caractériser en partie le modèle de capitalisme post-socialiste moldave qui va être marqué par une situation paradoxale : d’une part, la société s’atomise et construit sa propre dynamique par un processus de désinstitutionnalisation des individus – ils établissent leurs propres règles du jeu dans un régime de solidarités privées ; d’autre part, l’État et le milieu d’affaires se chevauchent, les deux étant représentés par les mêmes individus. La Russie a connu une évolution similaire de ce point de vue dans le post-socialisme. La spoliation de la propriété anciennement d’État, en tant que phénomène, fut ici récurrente, se soldant par la construction d’un « capitalisme de type oligarchique » (Durand, 2005). Malgré cette apparente similitude, deux facteurs essentiels distinguent l’évolution russe de celle moldave : d’une part, l’existence d’une tradition historique de l’État russe, alors que l’État moldave post-socialiste est en pleine construction ; d’autre part, les rapports de leurs pouvoirs sur l’arène mondiale sont radicalement différents. L’État moldave se construit par et au sein d’une hiérarchie politico-économique – relique de la hiérarchie politico-administrative que l’on avait connue au sein du système socialiste de type traditionnel – et qui subit la contrainte extérieure d’ajustement institutionnel aux prescriptions de ses principaux financeurs, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, et de ses principaux voisins, la Russie, la Roumanie et l’Union européenne. En 2000, Vitalie Ciobanu, correspondant du journal Le Courrier international, dressait le bilan suivant de ces dix années de transformation post-socialiste moldave :

    J’écris ces lignes en essayant de profiter des rares moments d’électricité et de gaz fournis, en ce printemps 2000, par un État arrivé au seuil d’une faillite certaine. Je ne me suis même pas rendu compte qu’on en était arrivé à considérer, à Chișinău, la lumière électrique et le gaz comme des produits de luxe. Or les villages de Bessarabie […] vivent sous un régime infrahumain depuis cinq ans sans que les gouvernements soient dérangés par cette situation. Une grossièreté dont, même dans les pays du Tiers Monde, on trouve difficilement l’équivalent. (Le Courrier international, le 23 novembre 2004)

    74Sur fond de différentes contraintes de nature économique, politique et géopolitique – contraintes qui s’avèrent souvent antagonistes –, les acteurs placés au sein de la nouvelle hiérarchie politico-économique – qui est urbaine – construisent un capitalisme à la façade de type libéral dans les coulisses duquel l’oligarchie contraste avec une société à la limite de la pauvreté. L’analyse de la transformation du groupe des « intellectuels » soviétiques de Moldavie nous donne, en quelque sorte, la radiographie de ces métamorphoses.

    Notes de bas de page

    1  Les jardins d’enfants, par exemple, étaient à la charge des fermes collectives à 100 %.

    2  La population – propriétaire de la terre mais employée en tant que salariée au sein des associations mentionnées – emploie, aujourd’hui encore, la notion de « travail au kolkhoze » pour désigner leur activité de base.

    3  Les « intellectuels » des organisations non marchandes villageoises ont eux aussi eu droit à des lopins de moindre surface. Selon le Code foncier moldave, les personnes n’étant pas employées en agriculture avant le 1er janvier 1992 avaient toutefois le droit à 10 ares de terre arable par membre de la famille. Par exemple, une famille de 5 personnes où les parents travaillaient en tant qu’enseignants et les trois enfants étaient tous mineurs, avait le droit à 50 ares de terre arable. Les enfants de plus de 18 ans n’étaient pas inclus dans le nombre de personnes de la famille.
    En parallèle, nombreux furent ceux qui héritèrent des quotes-parts de terre de leurs parents, auparavant kolkhoziens. Rappelons-nous que la plupart des membres du groupe des « intellectuels » au sein du système socialiste traditionnel étaient issus des familles où le père et/ou la mère étaient des agriculteurs, souvent sans aucune formation professionnelle, voire même analphabètes. Leurs fils et filles constituaient la première génération d’« intellectuels » dans leurs familles. C’est une des raisons pour lesquelles, lors de la privatisation de la terre, un nombre important d’entre eux héritèrent la terre privatisée au bénéfice de leurs parents, désormais à la retraite.

    4  Cette particularité étant moins prononcée dans le milieu urbain.

    5  Les nouveaux réseaux ainsi formés s’homogénéiseront par la suite, en conséquence des transformations des statuts sociaux de leurs membres. Par exemple, le réseau sera caractérisé plus tard, dans les années 2000, par des personnes qui iront régulièrement effectuer des travaux saisonniers dans les pays de la Communauté des États indépendants, ou bien il sera caractérisé par de petits entrepreneurs.

    6  À ce sujet, voir les recherches de Viviana Zelizer (2005) sur le caractère social des pratiques monétaires aux États‑Unis. À base d’une enquête historique, Zelizer montre que la monnaie est socialement marquée, c’est-à-dire que certaines sommes d’argent ne peuvent être utilisées que dans des buts spécifiques, en fonction de la source qui procure l’argent et des modalités par lesquelles il est obtenu.

    7  Les éléments dont nous disposons ne nous permettent pas de tirer des conclusions définitives sur ce sujet, raison pour laquelle cet aspect est ici traité de manière hypothétique. Pour des conclusions plus élaborées, le sujet en question devra faire l’objet d’une nouvelle enquête.

    8  Nous ne traitons pas des organisations à but non lucratif (OBNL) dans le milieu rural pour les motifs suivants. Leur création est, en général, due à un programme du Fonds social moldave – organisation gouvernementale – financé par le département pour le Développement international (du gouvernement de la Grande‑Bretagne) et mis en œuvre entre 2001 et 2004. L’objectif du programme était « le développement du partenariat social » dans le milieu rural. Par le biais de ce programme, des donations étaient faites dans certains villages, donations destinées à améliorer les services sociaux : réparer l’école, rouvrir le jardin d’enfants, construire un aqueduc, etc. Pour pouvoir bénéficier de ces financements, les communautés locales devaient remplir quelques conditions susceptibles de prouver qu’un partenariat entre les principaux acteurs villageois avait été établi. Une de ces conditions fut la création d’une OBNL, considérée être « le noyau du développement de ce partenariat ». En effet, l’activité de ces OBNL fut réduite à cette seule période de mise en œuvre du programme mentionné, elles arrêtaient de fonctionner une fois arrêté leur financement. Néanmoins, juridiquement, ces organisations sans activité existent toujours.

    9  Du point de vue démographique, la Moldavie connaît, dans la période post-soviétique, une forte diminution de sa population (voir les données du tableau ci-dessous). Dans un rapport de la Banque mondiale, sur la migration dans les pays de l’Europe de l’Est et dans ceux de la Communauté des États indépendants, est anticipée une chute de la population moldave de 17 % d’ici 2050 (Mansoor & Quillin, 2007, p. 54). La chute prévue est due à trois facteurs essentiels. Le premier facteur est celui de la baisse significative de la natalité qui implique un solde naturel négatif après 1991, lui-même entretenant une relation causale avec un deuxième facteur, celui de la contraction de l’activité économique qui s’est répercutée sur le niveau de vie de la population. Le dernier facteur est celui de l’émigration de la population. Le premier et le troisième facteurs ont aussi entrainé le phénomène de vieillissement de la population. Ce processus, qui a des implications à long terme sur le marché du travail, s’est accru de telle façon que le poids de la population de plus de 60 ans a considérablement augmentée :
     

    198920042016
    Population totale, millions4,343,613,55
    Population âgée de plus de 60 ans, en % du total12,613,816,7

    Source : BNS, base des données statistiques en ligne


    10  Selon les données du service de l’Information et de la Sécurité de la République de Moldavie, citées par Gîrneț (2001), entre 1995 et 1999, près de 21 000 professeurs ont abandonné la sphère éducationnelle, dont environ 2 400 avaient définitivement quitté le pays en 1999.

    11  Dans la période post-socialiste moldave, le régime de répartition de la main d’œuvre diplômée du supérieur est conservé dans le domaine de l’enseignement. Depuis 2005, il prévoit l’octroi d’une indemnité de 30 000 MDL, soit l’équivalent d’une année de salaire environ, aux personnes diplômées du supérieur (24 000 MDL à celles du supérieur incomplet) et qui acceptent de travailler au moins trois ans dans un village moldave. Néanmoins, accepter l’offre d’emploi proposée par le ministère de l’Enseignement n’est pas une obligation. En conséquence, les jeunes diplômés continuent de refuser toute offre d’emploi dans le milieu rural en raison des salaires médiocres, de l’absence de perspectives professionnelles et des conditions de vie propres à l’univers rural moldave.

    12  Cette pratique s’est développée dans les années 1990. Les créditeurs étaient souvent des leaders des associations d’exploitation, des membres de l’administration locale mais aussi des individus ayant accumulé un important capital économique grâce au commerce en détail ou grâce au travail à l’étranger. En règle générale, le taux d’intérêt était mensuel et il fluctuait entre 10 % et 20 %. Dans une première phase du développement de cette pratique, beaucoup d’individus y ont fait recours afin d’initier leur propre affaire. Mais, lors du remboursement, les débiteurs refusaient de rembourser les sommes exorbitantes correspondant au taux d’intérêt. Sans aucun appui juridique, cette pratique a généré beaucoup de conflits interindividuels au sein desquels un jugement social défavorable était porté notamment sur le débiteur.

    13  Le plus grand marché de biens non alimentaires de la ville de Chișinău. Ce marché est le successeur de l’ancien tolchok existant au sein du système socialiste.

    14  L’entretien a eu lieu en août 2007.

    15  Certains individus se défendaient de mentionner leur ancien métier à leurs nouveaux contacts personnels, comme nous l’indique Vlada (52 ans).

    16  Il faut noter que, dans ce domaine, le nombre d’établissements d’enseignement supérieur augmente significativement au cours des années 1990 grâce aussi à l’apparition des universités dites « privées ». Leur nombre passe de 7, en 1989, à 47 établissements d’enseignement supérieur en 2000. Parmi ceux-ci, 15 seront « privés » (BNS, base de données statistiques en ligne). La différence entre une université dite d’« État » et une université dite « privée » consiste dans les modalités de financement de ces établissements. Celle étatique est en partie financée à l’aide des transferts budgétaires de l’État, celle « privée » fonctionne en régime d’autofinancement et le coût de l’enseignement est à la charge de l’étudiant. Progressivement, au cours des années 1990, les universités étatiques vont mettre en place un régime mixte de financement, en alliant l’allocation bureaucratique des ressources avec l’autofinancement. Ces dernières années, l’autofinancement devint crucial pour la survie des établissements étatiques d’enseignement supérieur, ce qui généra de nombreux effets pervers.

    17  Université libre internationale de Moldavie, créée en 1992. C’est une université « privée ».

    18  Une telle pratique ne pouvait pas être développée par les enseignants villageois du fait de la pauvreté généralisée dans le milieu rural post-socialiste.

    19  Il n’existe pas de statistiques qui illustreraient l’importance des flux de l’aide financière internationale gérés par les OBNL moldaves. On sait toutefois que 60 % d’entre elles sont financées par l’intermédiaire des donations et des subventions octroyées par les « organisations » internationales telles que la Banque mondiale, l’UNICEF, etc. Voir à ce sujet Cenușă (2007).

    20  Parmi celles-ci, on mentionnera notamment le Fonds des investissements sociaux de Moldavie.

    21  Voir une définition dans Nedera (2002) mais aussi dans Cenușă (2007).

    22  Sur le portail Internet du gouvernement moldave (voir, http://rapc.gov.md), à la rubrique « Questions et commentaires », nous avons été interpellés par un commentaire anonyme au sujet de la volatilisation des frontières entre l’activité gouvernementale et celle des OBNL. Il disait : « Le Premier ministre [on ne sait pas duquel il est question car le commentaire n’est pas daté] avait attiré l’attention sur le fait que l’embauche des fonctionnaires publics dans différents projets internationaux et locaux nuisait beaucoup à leur travail de base. Mais c’est une chose bien connue que de nombreux fonctionnaires, surtout ceux du ministère des Finances et du ministère de l’Économie et du Commerce, travaillent encore dans ce type de projets. Autrement, ils seraient morts de faim. »

    23  Voir le développement de cette thèse chez Granovetter (2008).

    24  Une lecture sommaire des curriculums vitae des députés moldaves affichés sur le portail Internet du Parlement (voir http://www.parlament.md) nous fournit un aperçu dans ce sens. Nombreux sont les députés d’aujourd’hui qui passent de la tête de grandes affaires, développées au cours de la transformation post-socialiste, à la vie politique où ils occupent des positions importantes. L’exemple le plus éloquent est celui de Vladimir Plahotniuc, aujourd’hui accusé par les Moldaves d’avoir capturé l’État. Il développe sa propre affaire – le groupe financier moldo-américain Angels – au cours des années 1995‑1998. Étant à sa tête, il devient en parallèle président d’une des plus grandes banques commerciales moldaves, Victoriabank, et directeur général de Petrom Moldova, entreprise roumaine qui détient une partie importante du marché pétrolier en Moldavie. Plahotniuc serait aussi propriétaire de plusieurs hôtels 4 et 5 étoiles de la ville de Chișinău, de plusieurs chaînes de télévision, de journaux, d’un avion, etc. ; en 2011, sa richesse s’élevait à plus de 300 000 000 USD (Adevărul, le 27 janvier 2011). Il finança les campagnes électorales du Parti démocrate, s’emparant en 2010 de la fonction de premier vice-président du Parlement sur les listes du parti politique cité. Plahotniuc est aussi vu comme le principal artisan et bénéficiaire de l’argent disparu à la fin de 2014 du système bancaire moldave. Il s’agit de trois banques moldaves – la Banca de Economii (Caisse d’épargne), la Banca Sociala et l’Unibank – qui ont accordé des crédits en somme d’environ un milliard de dollars américains, argent disparu par la suite du système bancaire moldave. Cette somme représente quelque 15 % du PIB moldave. Voir Le Monde (le 9 septembre 2015), Le Monde diplomatique (octobre 2016), le rapport Kroll (Kroll, 2015).

    25  Homme politique et homme d’affaires de Roumanie. Il a été membre fondateur du Parti national libéral roumain en 1990. Au cours de la période post-socialiste, il développe plusieurs affaires dans le domaine pétrolier notamment, devenant en 1998 le principal actionnaire de la compagnie Rompetrol.

    26  Oleg Voronin fut, dans les années 2000‑2010, un des plus grands hommes d’affaires de Moldavie. En 2010, sa fortune fut estimée à 2 milliards d’euros, soit un tiers du PIB moldave (Publica, le 27 juin 2010).

    27  En français dans l’original.

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    Encyclopédie des peuples finno-ougriens tome 1

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    2016

    La figure du consommateur immigré en Europe

    La figure du consommateur immigré en Europe

    Regards franco-allemands

    Virginie Silhouette-Dercourt, Maren Möhring et Marie Poinsot (dir.)

    2018

    Le Grand Tournant de la société moldave

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    « Intellectuels » et capital social dans la transformation post-socialiste

    Dorina Roşca

    2019

    Émile Picot, secrétaire du prince de Roumanie

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    Correspondance de Bucarest (1866-1867)

    Cécile Folschweiller (éd.)

    2020

    Marques de registre dans les dictionnaires bilingues

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    2021

    « Un homme rare » : Michel Chicouène (1936-2017)

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    Stefan Lemny (éd.)

    2023

    La Yougoslavie que racontent les humanistes marxistes

    La Yougoslavie que racontent les humanistes marxistes

    Aux origines intellectuelles et culturelles des transitions yougoslaves, entre socialisme et nationalisme (des années 1920 aux années 1970)

    Sacha Markovic

    2024

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    1  Les jardins d’enfants, par exemple, étaient à la charge des fermes collectives à 100 %.

    2  La population – propriétaire de la terre mais employée en tant que salariée au sein des associations mentionnées – emploie, aujourd’hui encore, la notion de « travail au kolkhoze » pour désigner leur activité de base.

    3  Les « intellectuels » des organisations non marchandes villageoises ont eux aussi eu droit à des lopins de moindre surface. Selon le Code foncier moldave, les personnes n’étant pas employées en agriculture avant le 1er janvier 1992 avaient toutefois le droit à 10 ares de terre arable par membre de la famille. Par exemple, une famille de 5 personnes où les parents travaillaient en tant qu’enseignants et les trois enfants étaient tous mineurs, avait le droit à 50 ares de terre arable. Les enfants de plus de 18 ans n’étaient pas inclus dans le nombre de personnes de la famille.
    En parallèle, nombreux furent ceux qui héritèrent des quotes-parts de terre de leurs parents, auparavant kolkhoziens. Rappelons-nous que la plupart des membres du groupe des « intellectuels » au sein du système socialiste traditionnel étaient issus des familles où le père et/ou la mère étaient des agriculteurs, souvent sans aucune formation professionnelle, voire même analphabètes. Leurs fils et filles constituaient la première génération d’« intellectuels » dans leurs familles. C’est une des raisons pour lesquelles, lors de la privatisation de la terre, un nombre important d’entre eux héritèrent la terre privatisée au bénéfice de leurs parents, désormais à la retraite.

    4  Cette particularité étant moins prononcée dans le milieu urbain.

    5  Les nouveaux réseaux ainsi formés s’homogénéiseront par la suite, en conséquence des transformations des statuts sociaux de leurs membres. Par exemple, le réseau sera caractérisé plus tard, dans les années 2000, par des personnes qui iront régulièrement effectuer des travaux saisonniers dans les pays de la Communauté des États indépendants, ou bien il sera caractérisé par de petits entrepreneurs.

    6  À ce sujet, voir les recherches de Viviana Zelizer (2005) sur le caractère social des pratiques monétaires aux États‑Unis. À base d’une enquête historique, Zelizer montre que la monnaie est socialement marquée, c’est-à-dire que certaines sommes d’argent ne peuvent être utilisées que dans des buts spécifiques, en fonction de la source qui procure l’argent et des modalités par lesquelles il est obtenu.

    7  Les éléments dont nous disposons ne nous permettent pas de tirer des conclusions définitives sur ce sujet, raison pour laquelle cet aspect est ici traité de manière hypothétique. Pour des conclusions plus élaborées, le sujet en question devra faire l’objet d’une nouvelle enquête.

    8  Nous ne traitons pas des organisations à but non lucratif (OBNL) dans le milieu rural pour les motifs suivants. Leur création est, en général, due à un programme du Fonds social moldave – organisation gouvernementale – financé par le département pour le Développement international (du gouvernement de la Grande‑Bretagne) et mis en œuvre entre 2001 et 2004. L’objectif du programme était « le développement du partenariat social » dans le milieu rural. Par le biais de ce programme, des donations étaient faites dans certains villages, donations destinées à améliorer les services sociaux : réparer l’école, rouvrir le jardin d’enfants, construire un aqueduc, etc. Pour pouvoir bénéficier de ces financements, les communautés locales devaient remplir quelques conditions susceptibles de prouver qu’un partenariat entre les principaux acteurs villageois avait été établi. Une de ces conditions fut la création d’une OBNL, considérée être « le noyau du développement de ce partenariat ». En effet, l’activité de ces OBNL fut réduite à cette seule période de mise en œuvre du programme mentionné, elles arrêtaient de fonctionner une fois arrêté leur financement. Néanmoins, juridiquement, ces organisations sans activité existent toujours.

    9  Du point de vue démographique, la Moldavie connaît, dans la période post-soviétique, une forte diminution de sa population (voir les données du tableau ci-dessous). Dans un rapport de la Banque mondiale, sur la migration dans les pays de l’Europe de l’Est et dans ceux de la Communauté des États indépendants, est anticipée une chute de la population moldave de 17 % d’ici 2050 (Mansoor & Quillin, 2007, p. 54). La chute prévue est due à trois facteurs essentiels. Le premier facteur est celui de la baisse significative de la natalité qui implique un solde naturel négatif après 1991, lui-même entretenant une relation causale avec un deuxième facteur, celui de la contraction de l’activité économique qui s’est répercutée sur le niveau de vie de la population. Le dernier facteur est celui de l’émigration de la population. Le premier et le troisième facteurs ont aussi entrainé le phénomène de vieillissement de la population. Ce processus, qui a des implications à long terme sur le marché du travail, s’est accru de telle façon que le poids de la population de plus de 60 ans a considérablement augmentée :
     

    198920042016
    Population totale, millions4,343,613,55
    Population âgée de plus de 60 ans, en % du total12,613,816,7

    Source : BNS, base des données statistiques en ligne


    10  Selon les données du service de l’Information et de la Sécurité de la République de Moldavie, citées par Gîrneț (2001), entre 1995 et 1999, près de 21 000 professeurs ont abandonné la sphère éducationnelle, dont environ 2 400 avaient définitivement quitté le pays en 1999.

    11  Dans la période post-socialiste moldave, le régime de répartition de la main d’œuvre diplômée du supérieur est conservé dans le domaine de l’enseignement. Depuis 2005, il prévoit l’octroi d’une indemnité de 30 000 MDL, soit l’équivalent d’une année de salaire environ, aux personnes diplômées du supérieur (24 000 MDL à celles du supérieur incomplet) et qui acceptent de travailler au moins trois ans dans un village moldave. Néanmoins, accepter l’offre d’emploi proposée par le ministère de l’Enseignement n’est pas une obligation. En conséquence, les jeunes diplômés continuent de refuser toute offre d’emploi dans le milieu rural en raison des salaires médiocres, de l’absence de perspectives professionnelles et des conditions de vie propres à l’univers rural moldave.

    12  Cette pratique s’est développée dans les années 1990. Les créditeurs étaient souvent des leaders des associations d’exploitation, des membres de l’administration locale mais aussi des individus ayant accumulé un important capital économique grâce au commerce en détail ou grâce au travail à l’étranger. En règle générale, le taux d’intérêt était mensuel et il fluctuait entre 10 % et 20 %. Dans une première phase du développement de cette pratique, beaucoup d’individus y ont fait recours afin d’initier leur propre affaire. Mais, lors du remboursement, les débiteurs refusaient de rembourser les sommes exorbitantes correspondant au taux d’intérêt. Sans aucun appui juridique, cette pratique a généré beaucoup de conflits interindividuels au sein desquels un jugement social défavorable était porté notamment sur le débiteur.

    13  Le plus grand marché de biens non alimentaires de la ville de Chișinău. Ce marché est le successeur de l’ancien tolchok existant au sein du système socialiste.

    14  L’entretien a eu lieu en août 2007.

    15  Certains individus se défendaient de mentionner leur ancien métier à leurs nouveaux contacts personnels, comme nous l’indique Vlada (52 ans).

    16  Il faut noter que, dans ce domaine, le nombre d’établissements d’enseignement supérieur augmente significativement au cours des années 1990 grâce aussi à l’apparition des universités dites « privées ». Leur nombre passe de 7, en 1989, à 47 établissements d’enseignement supérieur en 2000. Parmi ceux-ci, 15 seront « privés » (BNS, base de données statistiques en ligne). La différence entre une université dite d’« État » et une université dite « privée » consiste dans les modalités de financement de ces établissements. Celle étatique est en partie financée à l’aide des transferts budgétaires de l’État, celle « privée » fonctionne en régime d’autofinancement et le coût de l’enseignement est à la charge de l’étudiant. Progressivement, au cours des années 1990, les universités étatiques vont mettre en place un régime mixte de financement, en alliant l’allocation bureaucratique des ressources avec l’autofinancement. Ces dernières années, l’autofinancement devint crucial pour la survie des établissements étatiques d’enseignement supérieur, ce qui généra de nombreux effets pervers.

    17  Université libre internationale de Moldavie, créée en 1992. C’est une université « privée ».

    18  Une telle pratique ne pouvait pas être développée par les enseignants villageois du fait de la pauvreté généralisée dans le milieu rural post-socialiste.

    19  Il n’existe pas de statistiques qui illustreraient l’importance des flux de l’aide financière internationale gérés par les OBNL moldaves. On sait toutefois que 60 % d’entre elles sont financées par l’intermédiaire des donations et des subventions octroyées par les « organisations » internationales telles que la Banque mondiale, l’UNICEF, etc. Voir à ce sujet Cenușă (2007).

    20  Parmi celles-ci, on mentionnera notamment le Fonds des investissements sociaux de Moldavie.

    21  Voir une définition dans Nedera (2002) mais aussi dans Cenușă (2007).

    22  Sur le portail Internet du gouvernement moldave (voir, http://rapc.gov.md), à la rubrique « Questions et commentaires », nous avons été interpellés par un commentaire anonyme au sujet de la volatilisation des frontières entre l’activité gouvernementale et celle des OBNL. Il disait : « Le Premier ministre [on ne sait pas duquel il est question car le commentaire n’est pas daté] avait attiré l’attention sur le fait que l’embauche des fonctionnaires publics dans différents projets internationaux et locaux nuisait beaucoup à leur travail de base. Mais c’est une chose bien connue que de nombreux fonctionnaires, surtout ceux du ministère des Finances et du ministère de l’Économie et du Commerce, travaillent encore dans ce type de projets. Autrement, ils seraient morts de faim. »

    23  Voir le développement de cette thèse chez Granovetter (2008).

    24  Une lecture sommaire des curriculums vitae des députés moldaves affichés sur le portail Internet du Parlement (voir http://www.parlament.md) nous fournit un aperçu dans ce sens. Nombreux sont les députés d’aujourd’hui qui passent de la tête de grandes affaires, développées au cours de la transformation post-socialiste, à la vie politique où ils occupent des positions importantes. L’exemple le plus éloquent est celui de Vladimir Plahotniuc, aujourd’hui accusé par les Moldaves d’avoir capturé l’État. Il développe sa propre affaire – le groupe financier moldo-américain Angels – au cours des années 1995‑1998. Étant à sa tête, il devient en parallèle président d’une des plus grandes banques commerciales moldaves, Victoriabank, et directeur général de Petrom Moldova, entreprise roumaine qui détient une partie importante du marché pétrolier en Moldavie. Plahotniuc serait aussi propriétaire de plusieurs hôtels 4 et 5 étoiles de la ville de Chișinău, de plusieurs chaînes de télévision, de journaux, d’un avion, etc. ; en 2011, sa richesse s’élevait à plus de 300 000 000 USD (Adevărul, le 27 janvier 2011). Il finança les campagnes électorales du Parti démocrate, s’emparant en 2010 de la fonction de premier vice-président du Parlement sur les listes du parti politique cité. Plahotniuc est aussi vu comme le principal artisan et bénéficiaire de l’argent disparu à la fin de 2014 du système bancaire moldave. Il s’agit de trois banques moldaves – la Banca de Economii (Caisse d’épargne), la Banca Sociala et l’Unibank – qui ont accordé des crédits en somme d’environ un milliard de dollars américains, argent disparu par la suite du système bancaire moldave. Cette somme représente quelque 15 % du PIB moldave. Voir Le Monde (le 9 septembre 2015), Le Monde diplomatique (octobre 2016), le rapport Kroll (Kroll, 2015).

    25  Homme politique et homme d’affaires de Roumanie. Il a été membre fondateur du Parti national libéral roumain en 1990. Au cours de la période post-socialiste, il développe plusieurs affaires dans le domaine pétrolier notamment, devenant en 1998 le principal actionnaire de la compagnie Rompetrol.

    26  Oleg Voronin fut, dans les années 2000‑2010, un des plus grands hommes d’affaires de Moldavie. En 2010, sa fortune fut estimée à 2 milliards d’euros, soit un tiers du PIB moldave (Publica, le 27 juin 2010).

    27  En français dans l’original.

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    Ce livre est cité par

    • Rosca, Dorina. (2022) The post-soviet Moldovan capitalism: between oligarchic political economy and reciprocity. Post-Communist Economies, 34. DOI: 10.1080/14631377.2020.1793583

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    Roşca, D. (2019). Les trajectoires des « intellectuels » dans le post-socialisme moldave : reconversion du capital social dans le milieu urbain et rural. In Le Grand Tournant de la société moldave (1‑). Presses de l’Inalco. https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19867
    Roşca, Dorina. « Les trajectoires des “intellectuels” dans le post-socialisme moldave : reconversion du capital social dans le milieu urbain et rural ». In Le Grand Tournant de la société moldave. Paris: Presses de l’Inalco, 2019. https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19867.
    Roşca, Dorina. « Les trajectoires des “intellectuels” dans le post-socialisme moldave : reconversion du capital social dans le milieu urbain et rural ». Le Grand Tournant de la société moldave, Presses de l’Inalco, 2019, https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19867.

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    Roşca, D. (2019). Le Grand Tournant de la société moldave (1‑). Presses de l’Inalco. https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19771
    Roşca, Dorina. Le Grand Tournant de la société moldave. Paris: Presses de l’Inalco, 2019. https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19771.
    Roşca, Dorina. Le Grand Tournant de la société moldave. Presses de l’Inalco, 2019, https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19771.
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