1Pour un usager, travailler en bibliothèque, notamment universitaire, ce qui sera l’essentiel de mon propos, répond à des besoins variés qu’il est parfois difficile de comprendre. De la même manière, les bibliothécaires peinent parfois à expliquer à des interlocuteurs situés en dehors de leur sphère professionnelle la spécificité de la bibliothèque, comme s’il fallait avoir éprouvé, d’expérience, « ce type de savoir relatif au fait d’être ensemble en train d’étudier dans un espace »1. Pourquoi vient-on travailler en bibliothèque plutôt que dans des salles de classes banalisées mises à disposition par l’université ? Pourquoi est-on prêt à patienter de longues heures devant la Bibliothèque publique d’information pour travailler ensemble quand les terrasses des cafés alentour pourraient sembler tout aussi accueillantes ?

2Des enquêtes depuis longtemps menées évoquent une certaine qualité de l’espace en bibliothèque et des conditions où les paradoxes troublent la compréhension des enjeux : être seul mais tous ensemble ; être entouré de livres, mais ne pas les utiliser ; retrouver ses amis, mais être silencieux ; être dans un lieu public, mais favoriser l’entre-soi… Dans une étude qui a fait date, et dont la lecture en 2021 résonne tout particulièrement, Joëlle Le Marec et Judith Dehail avaient minutieusement décrit ce que signifiait « Habiter la BnF »2. Elles évoquaient « un espace social particulier, un écosystème où naissent, vivent et croissent des projets studieux » et constataient : « La hantise de ne pas trouver de place, et de se retrouver à la porte, est réelle, traumatisante. Elle l’est bien plus que la déception de celui qui trouverait porte close en se rendant dans une exposition ou un lieu de détente. Elle rappelle brutalement l’état inverse de ce qu’elle rend possible : l’insécurité, l’isolement, la perte possible d’un lieu qui pourtant est à soi. »

3Quand la pandémie est arrivée et qu’il a fallu fermer les bibliothèques, des lieux et des services virtuels sont apparus, créés spontanément par des étudiants, des bibliothécaires, entre autres, en réponse sans aucun doute à ce sentiment d’insécurité, d’isolement. Cette contribution tentera de démêler les besoins de bibliothèque que révèlent ces espaces virtuels (voire ces services) à l’ombre des bibliothèques. Elle s’appuie sur quatre entretiens menés en amont de cette contribution :

1. Entretien en visioconférence réalisé le 1^er février 2021 avec deux étudiants de l’École doctorale de Sciences Po ayant créé un espace Discord contenant un canal Bibliothèque, mené par Clément Bert-Erboul et Cécile Touitou.
2. Entretien miroir en visioconférence le 1^er avril 2021 avec Michaël Goudoux, bibliothécaire en charge de la bibliothèque de l’École de la recherche, mené par Clément Bert-Erboul.
3. Entretien en visioconférence réalisé le 25 février 2021 avec Amanda Wheatley, bibliothécaire de référence de la bibliothèque de l’Université McGill étant à l’origine de « Virtual Study Hall », mené en anglais par Clément Bert-Erboul et Cécile Touitou.
4. Entretien en visioconférence réalisé le 7 avril 2021 avec Dan Sperber, mené par Clément Bert-Erboul et Cécile Touitou3.

Figure 1. Visuel de la bibliothèque de l’Université McGill pour les « Virtual Study Halls ».

Travailler seul ensemble : un besoin de sociabilité studieuse pour lutter contre le confinement

4Il existait avant la pandémie des propositions originales dans bien des bibliothèques universitaires étrangères. Appelées « Shut Up and Write » ou encore « Shut Up and Work » avec de nombreuses déclinaisons, ces sessions de travail collectif proposées par les bibliothèques universitaires invitaient les étudiants à assister à une séance où ils pouvaient travailler ou écrire leurs travaux en silence, en présence d’un bibliothécaire. Ces intitulés, non dénués de l’humour bibliothécaire qu’aiment pratiquer nos collègues anglo-saxons, révélaient le goût bien connu des étudiants qui fréquentent les bibliothèques universitaires pour une forme de contrainte et la nécessité qu’ils ressentent de se soumettre à un certain ordre pour se mettre à travailler efficacement. Lors d’une étude exploratoire sur « l’impact des BU sur la réussite étudiante » menée à la demande de la Commission évaluation de l’ADBU en 2019, un étudiant participant à un focus group confessait même : « C’est comme la salle de sport, on y va pour en baver et c’est une satisfaction pour soi. On se sent bien, et après on passe à la détente. »

5La pandémie et la fermeture des bibliothèques ont ainsi vu éclore spontanément un certain nombre de services ou dispositifs indispensables à la vie des étudiants : l’accès à la documentation en est un, on l’a vu dans les chapitres de cet ouvrage qui concernent Bibliothèque solidaire du confinement ; la mise à disposition de salles de travail silencieuses en est un autre, plus inattendu, mais peut être tout aussi indispensable.

6Lors de notre entretien avec le personnel de la bibliothèque de l’Université McGill à Montréal, l’idée d’offrir ce service est venue spontanément à une jeune bibliothécaire qui a précisé :

J’avais remarqué beaucoup de discussions sur Twitter, soit sur les canaux académiques, soit dans le domaine de l’éducation primaire où les enseignants créaient des salles d’étude de type pause et disaient : « Voici un espace où les élèves peuvent aller pour lire tranquillement et seuls. Voici un autre endroit où ils peuvent aller pour faire des activités interactives de groupe, s’ils ont envie d’être plus bavards. » Beaucoup de gens ont réclamé des espaces pour être ensemble. Je pense que beaucoup de gens cherchaient juste à se socialiser ou à ne pas se sentir si seuls. (Amanda Wheatley, entretien du 25 février 2021, traduction Cécile Touitou)

7Ailleurs, ce sont les étudiants qui ont pris l’initiative de créer spontanément un espace Discord contenant plusieurs sphères dont une dédiée au travail, comme ces étudiants de l’École de la recherche à Sciences Po Paris :

C’est assez populaire sur YouTube par exemple, ou sur les réseaux sociaux de se filmer en train de travailler. Ces vidéos, Study with Me, où finalement la personne se filme en direct en train de travailler sur ses bouquins, réviser ses cours sans rien dire avec une petite musique un peu calme, apaisante. Et finalement, comme ça on se sent moins seul, à être dans sa chambre parmi tous ses cahiers. Enfin, on sait qu’il y a une autre personne qui travaille au même moment. (Entretien du 1^er février 2021)

8Enfin, dans le cadre de communauté plus professionnalisée de chercheurs, auteurs ou journalistes, ce même besoin de sociabilité studieuse s’exprime, notamment par la voix de Dan Sperber dans son entretien (voir le parcours 9) :

J’ai ressenti, avec le confinement, qu’il y avait une certaine solitude. C’était un peu plus difficile de se concentrer, de rester bien au travail, etc. Et c’est pour ça que j’avais d’abord cherché à voir s’il existait l’équivalent d’une bibliothèque en ligne, comme une salle où on puisse travailler silencieusement et je n’en ai pas trouvé. (Entretien du 7 avril 2021)

Le numérique pour échapper au numérique

9Il nous semble que les dispositifs numériques mis en œuvre par les usagers distants relèvent bien pour la plupart d’abord – et principalement ? – du besoin de bibliothèque, bien plus que d’un goût pour le numérique : c’est l’hypothèse que nous souhaitons proposer ici. Ce « lieu de savoir » si bien décrit par Christian Jacob4 lie « le visible et l’invisible, la trace et la pensée, le geste et l’intention ». Cet indicible serait-il soluble dans le numérique et parviendrait-on à en reproduire les qualités pour l’usager des bibliothèques ? Loin du fantasme d’une préférence des jeunes générations pour le numérique, l’apparition de ces dispositifs de travail en ligne nous semble surtout confirmer le besoin d’une certaine qualité d’ambiance pour travailler efficacement.

10En 2012, Corentin Roquebert menant une enquête auprès des lycéens qui fréquentaient le Haut-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France notait :

La bibliothèque offre donc un cadre de travail efficace pour lutter contre les « tentations » – autre mot souvent employé par les lycéens, qui s’incarnent dans tout ce qui est numérique – ici la télévision, l’ordinateur ou les jeux vidéos, mais également plus spécifiquement Facebook ou le téléphone portable. Ces deux dernières activités peuvent être pratiquées au sein de la bibliothèque, mais celle-ci, en tant que « lieu culturel ordonné et réglé », permet aux lycéens de s’imposer une discipline, de se conformer à ce qu’ils perçoivent comme les normes en vigueur dans la bibliothèque5.

11En plongeant totalement dans une interaction virtuelle, ces utilisateurs de silent zooms et autres dispositifs de réunions de travail virtuelles silencieuses sont sans doute arrivés eux aussi à s’éloigner des tentations du flux. Ainsi les étudiants de l’École de la recherche à Sciences Po nous ont dit à propos de la sphère bibliothèque qu’ils ont créée sur Discord :

On recrée les conditions finalement d’un travail comme la bibliothèque de l’École de la recherche. On parle à voix basse, on se connecte juste pour presque sentir, si je puis dire, la présence des autres mais sans qu’il y ait de discussion. (Entretien du 1^er février 2021)

12Dan Sperber insiste lui aussi sur la création à l’identique de l’ambiance de la bibliothèque :

C’était assez sympathique et motivant. On se retrouvait. J’avais ma bibliothèque, ma salle de lecture ouverte, je n’étais pas seul. C’était une sorte de bonne sérénité pour bien travailler. (Entretien du 7 avril 2021)

13À l’Université McGill, comme dans le dispositif évoqué par Dan Sperber, ce qui frappe c’est la simplicité du dispositif.

J’ai demandé à travers ce post de blog, s’il existait quelque chose de minimaliste. On me proposait toujours des gadgets, des trucs en plus. Moi je ne voulais rien, mais juste un écran où on voit les gens travailler dans leur coin comme on voit dans une bibliothèque du coin de l’œil d’autres personnes qui sont en train de faire la même chose que soi. (Dan Sperber, entretien du 7 avril 2021)

14La proposition est à la fois technologique et « low tech ». Ainsi, la bibliothécaire de l’Université McGill précise :

Je voulais que ce soit un espace calme où l’on puisse se connecter et se dire que l’on va travailler pendant une heure, une demi-heure ou deux heures. Juste que ça existe et que ce soit possible. (Amanda Wheatley, entretien du 25 février 2021, traduction Cécile Touitou)

15Il semblerait que le dépouillement du dispositif, sa nudité, garantisse un peu son succès : absence de fonctionnalités compliquées, pas d’interactions… Ce qui compte, c’est d’être ensemble, sous le regard vigilant d’un organisateur, et dans le respect d’une règle contraignant au silence (et au travail). Plus ce sera simple, plus ce sera efficace. Cependant, la tentation est grande pour certains établissements de multiplier les offres et les ambiances comme le décrit la bibliothécaire de l’Université McGill qui a fini par complexifier son offre :

Chaque session a un thème différent, l’une d’entre elles s’appelle la « capsule temporelle » et l’étudiant se base sur un contexte, comme une période de l’histoire, et il met une playlist en fond sonore. C’est leur audio qui est partagé par le biais de Zoom, et donc les étudiants à l’autre bout peuvent soit écouter la musique s’ils le souhaitent pendant qu’ils étudient, ou ils peuvent complètement la désactiver.

Ensuite, nous avons conservé la salle d’étude silencieuse originale et la troisième, que nous appelons « le Café des responsabilités », où chaque personne qui entre doit écrire l’objectif spécifique de ce qu’elle veut retirer de la session d’étude.

Et puis les étudiants doivent faire un retour à la fin pour dire si oui ou non ils y sont parvenus. (Amanda Wheatley, entretien du 25 février 2021, traduction Cécile Touitou)

Figure 2. Tweet de la bibliothèque de l’Université McGill proposant l’offre de « Virtual Study Halls »

L’espace de la contrainte et des règles

16Les bibliothécaires sont souvent moqués (moquées ?) pour leur obsession de l’application du règlement. Les Anglo-Saxons s’amusent de celle du chuchotement. On lira avec intérêt des articles autour du « shush », la question étant : « To Shush or Not to Shush ? How Do Librarians Really Feel About Shutting You Down With A Shush ? »6 où l’autrice, bibliothécaire, conclut : « Le travail en bibliothèque a beaucoup changé au fil des décennies, mais la valeur de la bibliothèque comme une oasis de calme et de tranquillité n’a pas changé. Tout comme la capacité traditionnelle du bibliothécaire à faire taire les gens. »

17Un dossier très intéressant du BBF (Bulletin des bibliothèques de France) était consacré en 2013 à « La règle en bibliothèque »7, tant le sujet de la règle dictée ou implicite est un fondement de la fréquentation de cet espace. Un article du dossier rappelait ce verbatim collecté auprès d’un adolescent, usager d’une bibliothèque municipale : « L’ambiance ? Ben c’est comme une bibliothèque, je sais pas, c’est normal… on entend rien. Forcément, comme une bibliothèque […] c’est normal, c’est une bibliothèque, forcément y a du silence, c’est pas super pour l’ambiance, mais je sais pas c’est une bibliothèque, c’est normal. »8

18Bien souvent, les règles implicites qu’adoptent les usagers des bibliothèques universitaires (principalement) vont au-delà même de ce que demande l’institution, notamment sur la question du respect du silence. Ainsi sur le Discord des étudiants de l’École doctorale de Sciences Po, le respect du silence, parti d’une blague, était une évidence :

Finalement, il n’y a pas vraiment de règles à proprement parler. Quand on fait la pub, par exemple du canal bibliothèque, euh, ça partait surtout d’une blague, je crois de chuchoter dans le canal bibliothèque. Ensuite bah on fait simplement confiance aux personnes puisque c’est des étudiants de l’école doctorale, donc y’a pas de règles spécifiques. (Entretien du 1^er février 2021)

19Dans un entretien miroir, Michaël Goudoux, responsable de cette bibliothèque témoigne :

Finalement, ils n’ont pas créé un Voice Channel « bureau des bibliothécaires », séparé de celui appelé Bibliothèque de recherche. On a beaucoup aimé leur réponse quand on leur a demandé si on pouvait rejoindre ce Channel bibliothèque pour faire les permanences. Ils nous ont dit, un peu gênés, que c’était en fait le seul espace où on demande de ne pas parler à voix haute et de simplement utiliser le tchat. Donc, que les lecteurs fassent de l’autodiscipline sur le silence, ça n’a fait que confirmer l’importance du silence. C’est vrai que des fois faire la discipline ce n’est pas agréable mais il ne faut pas oublier que c’est ce que les lecteurs viennent chercher, donc on rend service à tous les lecteurs quand on fait ça. Donc de voir qu’ils le font par eux-mêmes… (Entretien du 1^er avril 2021)

Figure 3. Capture d’écran de l’espace Discord créé par les étudiants de l’École de la recherche de Sciences Po

20Donc si on peut s’en plaindre, voire la fuir, de nombreux usagers la recherchent cette fameuse règle dont le silence est… le point d’orgue ! C’est ainsi que les dispositifs virtuels proposés tout au long de l’année 2020 l’ont quasiment toujours adoptée. La rigueur de son respect serait quasiment proportionnelle à la qualité du travail que l’on y fournira.

Figure 4. Commentaire laissé par un lecteur sur un formulaire de suggestion lors d’une enquête réalisée à Sciences Po

21À l’Université McGill, une certaine tolérance était acceptée :

Donc ça dépendait du groupe dans la journée, il y avait certains groupes qui étaient un peu plus bavards que d’autres. (Amanda Wheatley, entretien du 25 février 2021, traduction Cécile Touitou)

22Alors que les règles du jeu imposées par Dan Sperber étaient beaucoup plus strictes :

L’espace silencieux, on ne pouvait rien faire d’autre que de bosser ! Voilà donc c’était ça l’idée ! (Entretien du 7 avril 2021)

23Joëlle Le Marec, dans l’étude citée précédemment, soulignait à propos de la BnF une capacité de l’espace à disposer des qualités recherchées par les lecteurs :

Une constitution mutuelle de l’espace (ou plus exactement des espaces) de la bibliothèque et des conditions jugées optimales pour l’étude. L’espace de la BnF induit en effet une plus grande productivité car il dispose de qualités que les lecteurs, qui choisissent de l’habiter, jugent nécessaires au travail sérieux – souvent après avoir essayé d’autres lieux. Le lieu est simultanément façonné par les exigences relatives à l’expérience concrète de ces conditions de travail et, nous l’avons vu, à la nécessaire appropriation de l’espace par les lecteurs et les lectrices9.

24Les sciences cognitives explorent aujourd’hui ces questions liées à l’attachement aux lieux. Dans une interview donnée au site Urbis, Emma Vilarem, docteure en neurosciences cognitives, explique dans un contexte d’aménagements urbains des espaces publics :

Il existe un concept, qui s’appelle l’attachement au lieu, qui décrit le lien noué entre un individu et un espace : plus ce lien est fort, plus il procure du bien-être à l’individu. Vouloir susciter le bien-être est déjà un objectif louable en soi. Mais atteindre cet objectif va permettre d’en atteindre d’autres. En effet, quand on se sent bien, on développe certaines capacités : on adopte plus volontiers des comportements de protection, de respect de l’environnement, on s’investit davantage dans la communauté locale, on retrouve un pouvoir d’agir dans l’espace public10…

25On approche ainsi ces corrélations subtiles qui se nouent entre un espace qui dispose des qualités nécessaires au travail et ses usagers qui développent peu à peu un attachement tout particulier à ce lieu unique.

Figure 5. Tweet de la bibliothèque de l’Université McGill proposant l’offre de « Virtual Study Halls »

26Ces espaces virtuels, restant encore à étudier par les spécialistes, auraient donc réussi pour les utilisateurs à reconstituer la qualité d’un espace auquel ils étaient attachés car il leur permettait de mieux travailler : la bibliothèque. La fidélité à la reconstitution des espaces a même pu être déroutante comme en témoigne le responsable de la bibliothèque de l’École doctorale lorsqu’on l’a rencontré :

Ils ont créé tous les étages comme ça, là, la machine à café, et donc on a vu qu’il y avait la bibliothèque de recherche, donc forcément ça nous a fait plaisir. Ils ont recréé la bibliothèque de recherche et après c’est nous qui les avons sollicités en disant puisque la bibliothèque est fermée, est-ce que ça vous intéresse qu’on transpose les permanences qu’on faisait à la bibliothèque de recherche vers l’espace Discord ? Du coup, tous les après-midi de 14 à 17 h on se mettait dans la danse. (Entretien du 1^er avril 2021 avec Michaël Goudoux)

En guise de conclusion

27Les entretiens que nous avons menés à l’issue du confinement avec des professionnels et des usagers des bibliothèques ont bien montré à quel point ces interlocuteurs étaient attachés à une certaine image de la bibliothèque, comme une forme paradoxale d’hommage dans ce qu’elle a de plus contraignant.

28Au moment où tout se délitait en raison de la pandémie, ces usagers ont eu besoin de reconstruire une forme de cadre codifié pour mieux travailler ou se retrouver silencieusement entre pairs. La bibliothèque a su incarner cet espace propice à la concentration et au travail. Il peut sembler ironique que les bibliothèques y aient revêtu des oripeaux dont elles cherchaient bien souvent à se défaire dans « le monde d’avant » : la règle, le silence… Et si, quand les espaces physiques deviennent inaccessibles, on cherchait à recréer ce qui les caractérise le plus, des attributs impossibles à retrouver à la maison : des bibliothèques sont recréées virtuellement avec leur règlement ; ailleurs, des restaurants avec les bruits des salles11. En cela, les bibliothèques ne seraient en rien exceptionnelles mais constitueraient tout simplement une ambiance, un lieu, avec ses caractéristiques dont se saisissent les usagers, ce qui montre encore en creux comme elles leur sont indispensables, mais sans doute pas là où les attendaient les professionnels.