1Le segment documentaire de la photographie, que je connais bien en tant que chargée de collection à la Bpi, présente l’avantage de rendre compte de la multiplicité des domaines disciplinaires présents dans BSc : sociologie, géographie, urbanisme, philosophie, histoire, etc., autant de disciplines qui saisissent le médium photographie avec des questionnements différents. L’approche par les représentations visuelles donne à voir une autre image des sciences humaines et sociales en même temps qu’elle permet d’adopter un point de vue transversal sur les interactions documentaires qui se déploient dans le groupe Facebook. Le volume appréhendable des échanges sur cette thématique permet d’identifier finement les demandes, les centres d’intérêt, des modes de socialisation au sein de BSc. Cependant, une recherche dans la base BScSnap1 par le seul terme « photographie » ne permet pas d’identifier les interactions documentaires portant sur des documents relatifs à la photographie. Le terme de recherche isole aussi les publications, nombreuses, où la photographie est un moyen d’accéder à un document et non le sujet du document recherché, par exemple ce type de demandes, très fréquentes : « Est-ce que quelqu’un pourrait photographier ce livre ? » Ces publications ne seront pas retenues dans notre analyse, même si bien sûr la fréquence de cet emploi singularise à elle seule le fonctionnement de BSc.

Présentation des données étudiées

2La période analysée couvre une année à partir du premier confinement, soit du 16 mars 2020 au 16 mars 2021. Plus précisément, dans cette période, le premier post comportant l’occurrence photographie date du 17 mars 2020 et le dernier du 4 février 2021. Une fois exclues les publications où le terme « photographie » est utilisé pour signifier un moyen d’accéder à un document et non un sujet de document recherché, on dispose de 81 posts initiaux sur la période et de 786 commentaires, soit en moyenne 10 commentaires par post ! L’importance des commentaires signale le plus souvent la manifestation d’un intérêt pour l’un des titres proposés (le commentaire est alors du type « moi aussi je le veux »), ou demandés (le commentaire est plutôt du type « il est sur telle base de données, je te l’envoie », qui indique que le titre est déjà connu).

Figure 1. Typologie et chronologie des demandes étudiées

3L’activité particulièrement soutenue à la création de BSc touche également le segment de la photographie, avec en particulier au mois de mars des publications articulant le double registre de la demande et de la proposition de documents. À partir du mois d’avril, les demandes se normalisent. Parmi la très grande diversité des questions, se distinguent régulièrement des demandes d’ouvrages de référence, notamment des auteurs phares de la théorie et l’esthétique de la photographie.

4Pour le segment documentaire de la photographie, les recherches précises sont souvent assorties d’une demande plus large, du type « si vous avez d’autres suggestions », laissant ainsi la place aux débats et commentaires. Ce sont ainsi plus des deux tiers des posts qui constituent soit des recherches très ouvertes, suscitant débats et échanges, soit des demandes précises ouvrant cependant le champ de la curiosité plus largement.

5Après un regain de demandes au mois de novembre, les demandes se font davantage au fil de l’eau pour devenir quasi nulles à partir de janvier 2021.

Thématiques et auteurs de prédilection

6Les thématiques de prédilection sont les ouvrages généraux, la philosophie et l’esthétique de la photographie. Sont régulièrement demandés par les membres de BSc les ouvrages suivants :

• Dominique Baqué, La photographie plasticienne : un art paradoxal, Éd. du Regard, 1998 : épuisé, d’occasion à partir de 20 euros, plus de 70 localisations dans le Sudoc.
• Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie. Paru au Seuil en 1980, réimprimé en 2005 (Seuil/Gallimard/Cahiers du cinéma), épuisé, accessible via les Œuvres complètes (vol. 5), occasion en ligne à 30 euros, localisé plus de 200 fois dans le Sudoc.
• Sous la dir. de Pierre Bourdieu, Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographie, Éditions de Minuit, 1965 : en stock 25 euros, près de 200 localisations dans le Sudoc.
• Arnaud Claass, Le réel de la photographie, Filigranes, 2012 : épuisé, vendu d’occasion plus de deux fois son prix public à parution (50 euros versus 20 euros neuf en 2012), localisé 18 fois dans le Sudoc.
• Françoise Denoyelle, Les usages de la photographie, 1919-1939, Éd. l’Harmattan, 1997 : plus de 20 localisations dans le Sudoc, en stock 34 euros.
• André Gunthert, L’image partagée : la photographie numérique, Textuel, 2015 : plus de 50 localisations dans le Sudoc, en stock 25 euros.
• Sous la dir. de Michel Frizot, Nouvelle histoire de la photographie : paru une première fois chez Bordas en 1994, l’ouvrage est réédité en 2001 chez Larousse, épuisé, prix élevé à l’époque (1 200 francs), accessible de nos jours d’occasion à plus de 150 euros, localisé plus de 60 fois dans le Sudoc.
• Olivier Lugon, Le style documentaire : d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945 : paru en 2001 chez Macula, quatrième réédition en 2017, vendu neuf pour 30 euros, localisé plus de 50 fois dans le Sudoc.
• André Rouillé, La photographie : entre document et art contemporain, Gallimard, 2005 : en stock 12 euros, plus de 80 localisations dans le Sudoc.
• Susan Sontag, Sur la photographie, publié par l’Union générale d’éditions en 1983, puis par Christian Bourgois en 1993, repris dans les œuvres complètes chez le même éditeur en 2008. Localisé plus de 100 fois dans le Sudoc (différentes éditions), éditions d’occasion à 8 euros.

7On peut relever l’importance des demandes d’ouvrages en français et d’auteurs français, à mettre en perspective avec la prééminence française sur la scène de la théorie en photographie. Ces demandes ont souvent pu être satisfaites, notamment lors du premier confinement et de la mise à disposition par les éditeurs de leur catalogue en libre accès. Les demandes de documentation étrangère, et notamment anglo-saxonne, se formulent également sur BSc en lien notamment avec les intérêts particulièrement bien représentés dans le groupe Facebook pour les études de genre et les études postcoloniales2.

Figure 2. Post du 11 juillet 2020

8Coexistent avec ces recherches de classiques des demandes plus floues, voire très larges, issues souvent d’étudiants de licence qui souhaitent préparer leur projet de master. Ces publications sont l’occasion de débats, d’échanges entre spécialistes de la discipline, révélant une volonté d’apporter un large spectre de réponses, souvent assorti de l’accès adéquat à la ressource en ligne.

Figure 3. Post du 12 novembre 2020

9A contrario, des étudiants en master postent, de leur côté, des questions très pointues.

Figure 4. Post du 13 décembre 2020

10Ces demandes précises activent tous les réseaux savants des membres actifs qui mobilisent leurs souvenirs et leurs connaissances : la demande documentaire se dénoue en échanges et discussions.

11On peut également relever des demandes de sources primaires, à savoir d’écrits d’artistes, souvent américains comme Walker Evans ou encore la demande de catalogues d’expositions, artistiques (Le dernier portrait ; Orsay, 2002) comme scientifiques (voir figure 5). La numérisation d’un catalogue d’exposition, de par le format du catalogue, de par la coexistence sur une même page du texte et de l’image et de par le travail éditorial élaboré, rend très inadéquate son exploitation numérique avec les standards existants. L’accès aux versions imprimées semble absolument irremplaçable dans ces cas-là ; les réponses explorent alors une documentation de seconde main, voire des productions personnelles (fiches, prises de notes).

Figure 5. Post du 18 juillet 2020

12Certains (rares) posts sont des purs moments de créativité, dans un temps où on est seul dans ses recherches, des stars de BSc s’improvisent :

Figure 6. Post du 11 juin 2020

13Avec 107 likes et 20 réponses, notre lecteur vit un petit moment de gloire tout en satisfaisant sa demande de recherche.