F. Les consortiums, une modalité d’achat : exemple de l’enseignement supérieur

Christine Okret

p. 87-98


Texte intégral

1En 1998, une enquête menée par le Ministère de Téducation nationale, de la recherche et de la technologie (Direction de l’enseignement supérieur) a permis d’évaluer les dépenses consacrées à l’acquisition des ressources électroniques (cédéroms et accès Internet principalement) à environ 10 % du montant global des dépenses documentaires. Ce chiffre est appelé à augmenter, en fonction de l’importance de la convivialité des accès électroniques et des avantages offerts par les possibilités de recherche rapide.

2L’obstacle principal au développement de ce mouvement d’acquisition de documentation électronique reste le coût de celle-ci, en augmentation régulière, en particulier en sciences. Les dotations budgétaires n’ayant pas bénéficié d’une croissance parallèle, les bibliothèques des établissements de l’enseignement supérieur ne possèdent pas les moyens financiers nécessaires pour acquérir ce type de documentation en quantité importante.

3Devant ce constat, la mise en commun de ressources s’impose graduellement comme une solution envisageable pour acquérir davantage à moindre coût, en offrant aux fournisseurs et aux éditeurs de documentation électronique la perspective d’une clientèle élargie. Il est toutefois difficile de donner du consortium une définition plus précise que celle du groupement d’achat, tant il peut présenter une grande diversité de formes et de modalités de fonctionnement.

4Après avoir évoqué les principaux avantages offerts par la formation de tels groupements, il convient d’apporter quelques éléments sur les enjeux attachés à leur constitution.

1. Les avantages du consortium

5En France, les premiers consortiums, qui ont vu le jour récemment (1997-1998), ont immédiatement suscité dans les établissements une profonde réflexion qui s’est progressivement traduite en actions concrètes : tentatives de regroupements, engagement de négociations. A ce jour (octobre 2000), en se fondant sur les résultats de l’actualisation de l’enquête mentionnée ci-dessus, on compte environ une dizaine de partenariats entre services communs de documentation (SCD) autour d’un même type de produit.

6Ces structures, en général informelles, sont fondées sur un rapprochement d’abord thématique, puis parfois géographique (exemple : les consortiums Est, Ouest ou Rhône-Alpes autour de l’achat de Current Contents). Elles peuvent avoir été constituées dans la perspective de l’acquisition d’un produit spécifique puis à partir de ce premier succès envisager d’autres négociations communes (exemple : le consortium Couperin 1pour les périodiques d’Elsevier, puis ceux de l’American Chemical Society et d’Academic Press...).

7La formation de consortiums d’universités vise en premier lieu à atteindre un objectif majeur : l’accroissement des collections offertes aux usagers. S’y adjoint éventuellement une seconde motivation : la mise en commun des ressources documentaires ou matérielles (serveur), qui n’est pas systématique.

1.1. Un accroissement des collections

8Le consortium a pour objet de permettre une offre documentaire électronique accrue aux usagers des établissements d’enseignement supérieur (chercheurs et étudiants), à des tarifs préférentiels. Ces tarifs sont alors des tarifs académiques « de base » pour lesquels les éditeurs consentent une réduction supplémentaire plus ou moins substantielle. Cet avantage peut amener de nouveaux établissements à s’abonner à des produits qu’ils n’avaient pas les moyens d’acquérir auparavant.

9Ces caractères généraux se retrouvent dans tous les regroupements existants. Les éditeurs disposent ainsi d’une clientèle stabilisée ou accrue.

10Les choix d’abonnements relevant de la politique documentaire propre à chaque établissement, chaque université règle le montant de la souscription aux éditeurs ou à des fournisseurs intermédiaires. On peut choisir de traiter directement avec les éditeurs, ou prendre un fournisseur, cette seconde solution pouvant engendrer des coûts supplémentaires (coût du service).

11Il peut arriver que certains éditeurs souhaitent, pour des raisons de facilité de gestion des abonnements, recevoir un règlement unique, ce qui nécessite la désignation d’un opérateur public qui refacture les montants afférents à chaque établissement souscripteur (comme l’American Chemical Society pour la base Chemical Abstracts). Cette demande est encore peu répandue, et à ce jour aucun règlement par facture unique n’est effectif.

12L’accroissement des collections est un objectif qui peut convenir à un consortium visant à acquérir des bases de données que chaque partenaire pourra stocker sur son propre serveur. Les consortiums évoqués plus haut pour l’achat des séries de la base Current Contents en sont l’exemple. Il n’y a là aucun partage de ressources obligé, puisque les bases ne sont ni acquises ni stockées par un unique établissement. Seul le prix est considéré comme avantageux par les bibliothèques participantes.

13L’exemple du consortium groupé autour du SCD de Grenoble 1 pour accéder aux revues de l’Institute of Physics (IOP) fournit un second exemple de mode d’accroissement des collections, appliqué aux périodiques. Chaque établissement participant a accès à l’ensemble des revues de l’IOP (32 au total) moyennant le paiement d’un surcoût fondé sur le montant total de ses abonnements papier.

14Si elle est également envisageable pour les acquisitions de bases de données, la mutualisation de ressources est en revanche l’avantage essentiel qui légitime la formation d’un consortium pour l’acquisition de périodiques électroniques.

1.2. Une mutualisation des ressources

15Le choix du partage de ressources, non limité à une mise en commun de collections, engendre une série de réductions de coûts. Il convient de distinguer les bases de données et les périodiques électroniques, qui de par leur différence de nature, suscitent des modes de partage différents.

1.2.1. Les périodiques électroniques

16Le souhait de se regrouper en vue de souscrire à des revues électroniques est mû par le constat d’une complémentarité entre les collections de plusieurs établissements. Pour des abonnements à des périodiques électroniques, la mutualisation peut alors prendre la forme d’un accès croisé aux revues d’un même éditeur. L’application de ce principe permet, en recevant la version électronique correspondant à ses propres abonnements papier, d’avoir un accès uniquement électronique aux abonnements des autres partenaires du consortium. Les revues sont accessibles sur le site de l’éditeur. Telle fut la première offre faite par Elsevier au consortium Couperin. Cette solution permet un accroissement documentaire dont bénéficient tout particulièrement les établissements de moyennes ou petites dimensions. A titre d’exemple, dans Couperin, le SCD de Strasbourg 1 a doublé son offre documentaire, mais le SCD d’Angers a multiplié la sienne par 9. Pour les universités dont l’offre est déjà large, un regroupement peut apporter un complément documentaire non négligeable.

17Lorsque l’éditeur le permet, une étape supplémentaire dans la voie de la mutualisation consiste à prévoir des dédoublonnages et le remplacement des titres abandonnés par un abonnement à de nouveaux titres à montant de commande global inchangé. Ce fut le cas pour Elsevier, et l’offre documentaire de Couperin est ainsi passée de 324 titres fin juin 1999 (date de constitution) à plus de 530 titres au premier trimestre 2000. Cette possibilité est particulièrement intéressante lorsque l’éditeur possède un fonds quantitativement important. Il convient alors de prévoir des règles très strictes de dédoublonnage entre les partenaires.

18Toutefois cette solution n’est viable que pour des groupements de petite taille. Au fur et à mesure que de nouveaux établissements ont rejoint Couperin, des difficultés de gestion des accès croisés sont apparues. Elsevier a donc modifié son offre pour permettre un accès du consortium à la totalité de son catalogue (1 200 titres).

19Il reste que dans le cas des périodiques électroniques, la mutualisation ouvre la voie à l’établissement de masses critiques documentaires propres à mieux satisfaire les exigences de la recherche. Ainsi l’offre de périodiques électroniques dans les établissements membres de Couperin s’élève à ce jour à environ 1 750.

1.2.2. Les bases de données

20Il n’est aucunement question de complémentarité pour ce qui concerne les bases de données (tout le monde a accès à la même base) ; en revanche la mutualisation peut prendre la forme d’une mise en commun d’infrastructure.

21Dans le cas du consortium formé autour de Grenoble 1 pour la base de données de physique Inspec, la base est chargée sur deux serveurs principaux (Grenoble 1 et Paris 11). Les participants (une quinzaine) disposent ainsi d’accès sans coût de maintenance spécifique. Si une contribution financière liée à la maintenance des serveurs est introduite, on peut toutefois penser que les charges resteront bien inférieures à celles qui auraient été induites par le stockage de la base sur tous les serveurs des membres du consortium.

22Bien que nous ne disposions d’aucune étude évaluant précisément l’ampleur des réductions de coûts obtenues dans chaque cas, les avantages financiers et documentaires apportés par les consortiums sont patents.

23Mais au-delà des effets positifs observables lorsque les consortiums sont opérationnels, il convient de garder en mémoire les enjeux liés à leur constitution, qui se rapportent essentiellement à l’affirmation de la place des services communs de documentation au sein des établissements dont ils ont pour mission de couvrir les besoins documentaires.

2. Les enjeux de la constitution d’un consortium : l’affirmation de la place des services communs de documentation au sein des établissements

24La recherche française s’organise autour de structures variées qui ne communiquent pas toujours facilement entre elles. Alors qu’une documentation pertinente est indispensable au progrès de la recherche, documentation et recherche n’entretiennent pas les rapports étroits qui s’imposent. Cette situation est particulièrement préjudiciable lorsqu’elle concerne l’achat de documentation électronique dont le prix est élevé et qui nécessite davantage un regroupement des sources financières, afin d’accroître les possibilités d’acquisition, que de multiples souscriptions à un même produit au sein d’un même établissement. Le développement des intranets favorise en outre une mise en commun des ressources.

25Il convient donc de laisser un opérateur unique (le SCD) prendre en charge la documentation de l’ensemble d’un établissement et faire appel aux différentes compétences scientifiques, techniques, juridiques et pédagogiques présentes dans l’établissement. L’objectif est, en dernier ressort, de consolider les réseaux de recherche existants par une meilleure adéquation entre l’offre et les besoins documentaires des chercheurs.

26La constitution de consortiums exige une concertation constante entre les différents acteurs en jeu. Dans le circuit d’acquisition et de mise à disposition des documents, trois enjeux sont essentiels : la définition des besoins documentaires avec les futurs usagers, une définition des usages du produit permettant de leur rendre un service efficace, et une prise en charge de leur formation à l’utilisation de ces nouvelles facilités documentaires.

2.1. Une relation étroite entre la recherche et la documentation pour les acquisitions

27La notion de service commun de documentation prend tout son sens lors de la constitution d’un consortium. Il importe de faire bénéficier tout l’établissement de la documentation acquise.

28Dans un premier temps, la définition des produits et revues pour lesquels une négociation apparaît prioritaire nécessite une bonne connaissance de son propre fonds et de celui des bibliothèques des unités ou laboratoires concernés. Cela est particulièrement important lorsqu’il s’agit de projet d’abonnement à des revues électroniques. Cette concertation évite d’éventuels doublons, et permet d’augmenter les moyens budgétaires disponibles pour accroître l’offre documentaire. Solliciter les chercheurs permet également d’établir des priorités dans les revues à acquérir ou de compléter la liste établie au moyen de l’étude des seuls fonds du SCD et des bibliothèques de laboratoires.

29Le lien avec la recherche universitaire doit également se faire au niveau de la présidence. La sensibilisation des présidents d’Université à l’importance d’une coordination des achats est essentielle afin d’imposer la prééminence dynamique du SCD en matière de documentation, particulièrement en coopération avec des services techniques (centres de ressources informatiques), même si des financements extérieurs sont éventuellement à rechercher (la région, par exemple).

2.2. Les enjeux juridiques : rendre un service efficace aux usagers

30Les enjeux juridiques sont considérables, parce qu’ils conditionnent la capacité des bibliothèques à offrir un service adapté à leurs lecteurs. Deux situations se présentent. D’une part, les produits souscrits par consortium sont fréquemment étrangers - américains pour la plupart. Or, les éditeurs établissent leurs licences d’utilisation types en fonction de l’environnement académique de leur pays d’origine, et la spécificité du contexte français est parfois mal comprise. Le contenu des licences proposées doit donc être adapté. D’autre part, les éditeurs - toutes nationalités confondues cette fois - ont tendance à craindre des usages détournés de leurs produits et proposent parfois des conditions d’accès très (trop) restrictives, qui ne permettent pas aux bibliothèques de remplir correctement leur mission auprès de leurs usagers.

31Quelques points relevant de la définition de cette mission doivent donc plus particulièrement être examinés.

  • La définition du site : un établissement doit être pris en compte selon sa définition administrative et non selon des critères géographiques, afin d’éviter que les établissements dont les composantes sont géographiquement dispersées soient considérés comme autant de sites différents (cas de Paris 5).

  • La définition des usagers : celle-ci ne doit pas se limiter aux usagers inscrits dans l’établissement ou la bibliothèque, mais tenir compte des usagers autorisés à venir ponctuellement (étudiants d’autres établissements...).

  • La définition des usages du produit : il est souhaitable d’essayer d’obtenir la définition la plus large, incluant les usages pédagogiques et le prêt entre bibliothèques. Les modes d’accès aux données doivent être les plus étendus possibles (visualisation, déchargement sur disquette, impression).

  • Les augmentations tarifaires : lorsqu’un consortium s’engage pour plusieurs années, il est essentiel de faire mentionner le pourcentage maximum d’augmentation de l’abonnement durant cette période par an.

  • La propriété des données pour archivage : elle devrait revenir aux établissements. Les éditeurs peuvent également conserver les archives, et s’engager à assurer un accès permanent à celles-ci. Les modalités sont à voir avec les éditeurs concernés.

32Les questions techniques sont également importantes, par leur influence sur la bonne mise à disposition des documents.

33Restent les questions qui nécessitent un regard de juriste : elles touchent à la conformité des licences au droit français2, et particulièrement des articles relatifs aux obligations légales du souscripteur, à la législation et au tribunal compétents en cas de litige. Les universités mettent parfois à contribution leur département de droit pour examiner les licences, ou peuvent s’attacher le service ponctuel de juristes extérieurs.

2.3. L’information et la formation des usagers

34L’information des usagers est primordiale. En effet, il importe de mener de nombreuses campagnes d’information sur les bases ou revues accessibles afin que les chercheurs soient à même d’exploiter au maximum les produits acquis pour eux, de s’approprier leur usage, de les évaluer. Si les éditeurs de ces produits entretiennent avec leurs clients des relations de type « club utilisateurs », les remarques des usagers peuvent éventuellement contribuer à améliorer les produits.

35L’information va de pair avec la formation. Des habitudes sont à modifier, des méthodes de travail à rendre plus efficaces et plus rapides (profils de recherche), et la légitimité de cette démarche même d’accroissement de l’efficacité dans la recherche par une documentation à la fois pertinente et conviviale est parfois à promouvoir. Une implication croissante des chercheurs dans le domaine documentaire, dont ils sont les usagers mais dont ils se sont jusqu’ici tenus trop éloignés pour participer fructueusement à la définition d’une politique documentaire qui satisfasse le plus possible leurs besoins, n’est pas le moindre des enjeux de la constitution de consortiums.

36Le consortium suscite cependant des interrogations. Les expériences en cours sont encore trop récentes pour que des conclusions fines puissent en être tirées.

37Des inconnues subsistent : quel système d’archivage satisfaisant peut-on envisager pour des revues accessibles directement en ligne, surtout si le papier vient dans certains cas à être délaissé au profit de l’électronique pure ? Quelles seront les conséquences de la fin d’un consortium dont la masse de documents acquis est très importante ? Quelle influence le nombre de participants à un consortium3 exerce-t-elle sur la gestion efficace de ce groupement ? Enfin, s’agissant de la documentation électronique, comment faire évoluer le dispositif actuel de fourniture de documents appuyé sur les centres d’acquisition de documentation en information scientifique et technique (Cadist) et fondé sur l’acquisition exhaustive de documents dans des registres thématiques en tenant compte de l’existence des consortiums ?

38Ce sont là quelques questions qui dénotent l’état encore embryonnaire du développement mutualisé de la documentation électronique, qui ne peut progresser qu’en se nourrissant d’expériences et de la résolution pragmatique de situations problématiques.

Bibliographie

Références bibliographiques

Freschard, Chantal, Okret, Christine, « La documentation électronique : état des lieux et perspectives de développement dans les bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur français » ; Bulletin des Bibliothèques de France, 1999, 4, p. 62-65.

« Licence de ressources électroniques : comment éviter les pièges juridiques ? European Copyright User Platform », Documentaliste - Sciences de l’information, [http://www.adbs.fr/adbs/actu/htmll/ln2act7.htm] (site visité le 13/10/2000).

Reibel, Iris, « Un consortium : la panacée ? Non, mais quel progrès ! », Arabesques, 2000, n° 17, p. 3-4.

Notes de bas de page

1 Couperain = Consortium universitaire des périodiques numériques.

2 Droit public lorsque les établissements souscripteurs ressortissent à ce droit.

3 Un groupement informel de taille importante a-t-il intérêt à prendre une forme juridique particulière, et laquelle ?


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