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Gérer le développement d’une collection de périodiques

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Pierre-Marie Belbenoit-Avich

Evaluer

N. L’évaluation d’une collection de périodiques

Jean-Pierre Cressent

Texte intégral

1Bien que cet ouvrage ait une visée pratique, dans les lignes qui suivent nous ne proposerons pas de recettes, de produits finis prêts à l’emploi, de grilles d’analyses figées, de modèles standardisés. Nous nous efforcerons plutôt de définir l’esprit qui nous semble devoir guider la décision et la conduite d’une évaluation. Pour ce faire, nous serons bien sûr amenés à évoquer des méthodes et des outils. Nous voudrions également situer le moment de l’évaluation dans le processus de développement d’une collection.

1. Les différentes facettes de l’évaluation

2Evaluer une collection de périodiques est une entreprise relativement facile : il est d’autant plus étonnant qu’elle soit si peu pratiquée. De quoi s’agit-il ? Qu’évalue-t-on ? La consultation des dictionnaires (Trésor de la langue française, Grand Robert de la langue française) confirme ce que l’on pressent intuitivement : évaluer c’est mesurer une quantité, une grandeur, et c’est aussi -ce sens apparaît d’ailleurs en premier- juger, estimer, expertiser la valeur d’une personne, d’un objet.

3L’évaluation d’une collection de périodiques n’échappe pas à cette bipolarité, à ce mixte d’objectivité-subjectivité, qui en fait davantage un art qu’une technique. Bien évaluer supposerait de trouver le bon équilibre, la bonne distance entre ces deux démarches. Pour se donner une chance d’y parvenir, le respect d’un principe intangible s’impose : évaluer une collection ne consiste pas à évaluer isolément, individuellement, chacun des titres qui la composent, pour formuler finalement une appréciation « moyenne » peu explicite.

4On peut bien sûr évaluer un périodique pour lui-même, vouloir estimer sa valeur intrinsèque en procédant par exemple à une étude diachronique qui s’attachera à la politique éditoriale, à son contenu, son usage, son public. On peut également souhaiter évaluer un périodique nouveau que l’on envisage d’inclure à une collection déjà constituée. On examinera alors ce qui pourrait faire sa singularité, on recherchera les indices susceptibles d’étayer un premier diagnostic (son intérêt a priori, marqué par la composition du comité éditorial, le degré de notoriété des auteurs des premiers articles, etc.), et d’autoriser un pronostic sur son devenir.

5Tout comme nous avons esquissé une définition succincte de la notion d’évaluation (nous y reviendrons), il conviendrait de Considérer aussi l’objet de l’évaluation, à savoir la collection. Cela nous entraînerait sans doute trop loin, plus loin que nécessaire pour atteindre l’objectif que l’on peut assigner à ce chapitre. Aussi nous en tiendrons-nous à une définition minimale, un peu pauvre mais suffisante ici, où apparaît un caractère essentiel au regard de l’évaluation, celui d’unité : collection = recueil d’ouvrages, de publications ayant une unité (Grand Robert).

2. Les axes d’évaluation

6Munis de ces préalables un peu généraux, et après avoir suggéré ce que n’est pas l’évaluation d’une collection, essayons de préciser un peu la nature et le sens de cette opération. Si l’évaluation consiste à mesurer une quantité, à estimer la valeur de quelque chose, il s’agit bien de comparer à un référentiel, à une norme, de confronter à un modèle, un idéal.

7Ainsi, pour une discipline donnée, on comparera par exemple les titres disponibles à la bibliothèque (ou dans plusieurs bibliothèques) à ceux que recense une bibliographie spécialisée, ou encore à ceux inscrits au catalogue d’une bibliothèque réputée. On obtiendra ainsi un résultat quantitatif d’autant plus simple à interpréter que la comparaison sera flatteuse : si la bibliothèque possède mettons 90 % des titres répertoriés dans le référentiel utilisé, le bibliothécaire n’aura pas trop de souci à se faire. Mais c’est rarement le cas, et s’il veut se faire une idée plus précise de la valeur (utilisons ce terme provisoirement) de sa collection, il pourra affiner son enquête en faisant par exemple un détour par la bibliométrie, à condition qu’il s’y adonne avec sagacité, en considérant les données chiffrées comme de simples indicateurs de la position relative d’un périodique dans un ensemble, et non comme l’expression d’une valeur absolue. Nous faisons bien sûr allusion au célèbre Science Citation Index et aux différents classements de périodiques publiés annuellement dans le supplément intitulé Journal Citation Reports (JCR), disponible sur microfiches et désormais également sur CD-ROM, ce qui facilite beaucoup une utilisation croisée - c’est-à-dire une mise en regard - des divers critères qui organisent chacun des classements

  • 1 On trouve en introduction du JCR des informations concernant son élaboration, la nature des critère (...)

8Il ne serait pas opportun de rappeler ici les fondements de l’analyse de citations, ni d’exposer dans le détail le type de données qui constituent le JCR dont l’intérêt, la pertinence en tant qu’instrument d’évaluation, tiennent au nombre de périodiques pris en compte (4400 pour les sciences de la matière et de la vie et 1400 pour les sciences humaines et sociales)1. Rappelons néanmoins qu’on y trouve des données brutes, comme les titres représentant un domaine, classés de manière décroissante par le nombre de citations obtenues au cours d’une année ; des données pondérées, pour tenir compte par exemple du nombre de pages publiées par un titre au cours d’une année (ainsi le fameux impact factor) et puis, ce qui nous semble constituer la partie la plus intéressante du point de vue de la constitution initiale ou continue d’une collection, des données qui reflètent les liens que des périodiques entretiennent les uns avec les autres : ce titre extrêmement cité, cet autre rarement cité, quels autres titres citent-ils respectivement, et selon quelle fréquence ? ces mêmes deux titres, par quels autres sont-ils cités ? C’est ainsi qu’après avoir repéré les quelques périodiques majeurs dans un domaine -mais a-t-on vraiment besoin de l’analyse de citations pour cela ?- on peut identifier le réseau, la toile que tissent les périodiques entre eux (et pour ce faire, on ne peut miser sur la seule expérience acquise par la formation et par la pratique, aussi éprouvée soit-elle), et vouloir le reproduire pour ses usagers, utilisant un maillage plus ou moins fin selon les ressources budgétaires dont on dispose ou que l’on prévoit. Il est vrai que le plus souvent, la simple observation du classement des périodiques d’un champ disciplinaire, produit par le seul décompte des citations, montre déjà clairement ceux qui constituent a priori le noyau de la collection, dont on peut d’ailleurs faire varier le diamètre en fonction du nombre de périodiques qu’il convient d’y inclure pour satisfaire au plus près le type de besoin exprimé par les utilisateurs. Il est ainsi frappant de constater combien un très petit nombre de titres -parfois deux ou trois seulement sur un groupe de vingt-cinq ou trente - concentre la moitié et même davantage des articles cités dans un champ donné, et combien ensuite l’ensemble des citations restantes est disséminé dans les autres publications (c’est ce phénomène que veut formaliser la loi de Bradford). Cette observation permet de repérer le cas échéant les blancs, c’est-à-dire les titres absents de la collection soumise à l’évaluation, et d’une manière générale d’appréhender le degré d’homogénéité de cette collection au regard de la liste de référence, de relever d’éventuelles ruptures.

9C’est à ce stade, une fois ce premier niveau de lecture effectué, qu’une investigation plus qualitative permettra d’affiner le premier résultat et de prendre vraiment la mesure de la densité du réseau constitué par la collection de périodiques évaluée. Cette approche plus fine peut s’appuyer à nouveau sur des classements dérivés des premiers - qui répondent aux questions évoquées précédemment : qui cite ? qui est cité ? - et montrent les relations de proximité qu’entretiennent certains périodiques d’un même champ disciplinaire, mettant en évidence parfois des liens interdisciplinaires que même l’expérience et la connaissance des collections ne suffisent pas toujours à identifier.

  • 2 Là encore, il n’est pas question de développer ici les tenants et les aboutissants de cette célèbre (...)

10Selon le degré d’exhaustivité de la collection évaluée, et à condition de prendre certaines précautions et dispositions complémentaires, les indications recueillies par l’utilisation de ce type d’outil peuvent raisonnablement étayer des choix lorsqu’il s’agit de constituer, d’enrichir, de remodeler, de restreindre une collection, tout en garantissant un degré d’homogénéité satisfaisant, qui respectera les connexions les plus fortes entre les titres. Dans l’ordre des précautions, l’utilisation sans discernement de données bibliomé-triques ou de toute approche comparative chiffrée peut conduire à formuler des appréciations sommaires. Mesurer l’usage que l’on peut faire d’une collection -tel type d’études ou d’activité de recherche- à partir du pourcentage de titres qu’elle comporte par rapport à une collection de référence semble bien peu pertinent, quelle que soit d’ailleurs la nature du document (périodique, monographie, dictionnaire, bibliographie...). C’est pourtant ce que l’on peut lire par exemple dans les recommandations appelées « lignes directrices complémentaires » qui accompagnent le Guide de l’inventaire des bibliothèques de recherche en Amérique du Nord, lequel préconise l’emploi de la méthode d’évaluation des collections nommée Conspectus2. Utilisant le cadre de classification de la Bibliothèque du Congrès, elle offre l’opportunité d’utiliser une grille d’analyse plus ou moins fine, selon le type de bibliothèque et de collection auxquelles elle est appliquée. Son objectif est d’attribuer à la collection évaluée l’un des cinq niveaux préalablement définis, qui s’échelonnent de la collection la plus rudimentaire à la collection la plus exhaustive, et correspondent donc à cinq types d’usages possibles. Ces niveaux prennent en compte les types de documents dont est faite la collection, leur contenu - c’est-à-dire l’usage auquel ils sont destinés, les langues représentées. Les lignes directrices sont des applications particulières de la méthode générale Conspectus (= vue d’ensemble) à des disciplines ou des champs spécifiques. Elles complètent les techniques d’évaluations générales, applicables à toute espèce de collection, en sélectionnant les instruments d’évaluation les mieux adaptés à une discipline donnée. S’agissant des périodiques, des seuils sont fixés qui définissent des niveaux de collection. Ainsi, en chimie par exemple, une collection constituée par 25 % de périodiques inclus dans la liste des 1000 titres les plus cités par la bibliographie Chemical Abstracts (liste hiérarchisée en fonction du nombre décroissant de citations) est automatiquement créditée d’un niveau donné ; une collection en comportant 50 % sera créditée du niveau supérieur, etc. Mais peut-on qualifier d’équivalentes, de niveau comparable, deux collections affichant chacune 25 % (ou davantage) des titres de cette liste, l’une ne comportant que des titres appartenant à la première moitié du tableau, la seconde n’en comportant aucun ? Certainement pas, car même s’il ne suffit pas pour constituer véritablement une collection, d’extraire au sein d’un ensemble réputé véhiculer l’information dans un domaine particulier, les périodiques les plus cités, on ne peut inversement ignorer qu’il existe dans chaque domaine des périodiques de plus grande notoriété, autour desquels toute collection doit se structurer. Ceci posé -et l’on voit bien que l’évaluation procède d’un mouvement continu entre des données de nature différente- une démarche qui ne retiendrait que des éléments purement chiffrés, sans égards aux usages réels de la documentation, s’exposerait à bien mal rendre compte de ce qu’elle est censée mesurer, à savoir le degré d’adéquation d’une collection aux besoins d’une catégorie d’utilisateurs. Il va de soi que plus la collection évaluée comporte de titres présents dans la liste utilisée comme référence, plus ce risque diminue. Mais d’une manière générale, il est à la fois prudent et judicieux de solliciter l’avis de spécialistes du domaine ainsi que d’utilisateurs avertis, à condition qu’ils sachent se démarquer d’une vision trop étriquée, trop « disciplinaire », l’un des atouts d’une bonne collection étant précisément son ouverture interdisciplinaire. Car répétons-le, l’essentiel - ce qu’il faut mesurer de manière à pouvoir l’améliorer - c’est le degré d’homogénéité de la collection, c’est-à-dire la densité, la continuité, la contiguïté de l’information disponible utilisable par le public que l’on dessert. Pour ce faire, la connaissance de la discipline, du fonds mis en place pour la servir et de l’utilisation qui en est faite, s’avèrent conjointement indispensables. Et le seul recours à des éléments quantifiés, permettant si besoin est de vérifier que les titres indispensables ne font pas défaut, n’est en aucun cas suffisant.

3. Intérêt prospectif de l’évaluation des périodiques

11Quelles que soient les raisons qui incitent à évaluer : simple curiosité intellectuelle (que vaut vraiment ma collection), ou phase préalable indispensable précédant la réorientation d’un fonds, le regroupement de plusieurs d’entre-eux, la volonté de mettre en place une politique d’acquisition partagée, le bénéfice en est toujours assuré. Tous les manuels consacrés à l’évaluation attribuent peu ou prou les mêmes avantages, les mêmes retombées, à la conduite d’une telle opération. On peut les rassembler en trois catégories : scientifiques, bibliothéconomiques, budgétaires. Même celui qui possède une bonne connaissance d’un fonds sera surpris à l’issue de son travail d’avoir mis en évidence des forces et des faiblesses insoupçonnées, ou jusqu’alors confusément appréhendées. Le premier résultat tangible d’une évaluation (qui justifie pleinement l’entreprise, même si on ne va pas au-delà) c’est de dresser la cartographie d’un fonds, d’une collection - à une échelle plus ou moins détaillée, selon le nombre et la précision des instruments d’évaluation dont on dispose, qui diffèrent fortement d’une discipline à une autre, certaines étant de ce point de vue fort bien dotées, d’autres mal loties. L’évaluation, c’est par excellence l’étape préparatoire à l’élaboration d’un plan de développement des collections, à l’échelle d’une bibliothèque ou dans le cadre d’une coopération documentaire. Une fois déterminé le degré d’adéquation d’une collection à un usage attendu, à des besoins identifiés, il devient possible de chiffrer de manière précise, fondée, les ressources nécessaires (budgétaires, humaines) à la réalisation de tel ou tel objectif, d’étayer des demandes de moyens, de proposer une véritable politique de développement, à court terme ou échelonnée.

12S’agissant de périodiques, on peut assez aisément fixer le coût d’une collection correspondant à un niveau documentaire donné. Dans une étude précédente nous avions pu constater - empiriquement- en utilisant le JCR et en nous appuyant sur les définitions des niveaux documentaires figurant dans le Guide, que pour passer d’une collection permettant une activité de recherche minimum, dans laquelle ne figurent que les titres indispensables, à une collection couvrant les besoins les plus courants, il fallait doubler le budget initial ; et que pour atteindre un niveau qui satisfasse des besoins plus rares, il fallait à nouveau doubler le budget du niveau précédent. Cette « règle » (à ne surtout pas considérer comme telle) se vérifiait pour chacun des domaines de la discipline considérée.

13Quelles que soient les disciplines et leurs particularités, tout le travail déployé depuis la préparation et la recherche d’instruments adaptés, en passant par la mise à contribution de spécialistes, jusqu’à la mise en forme des résultats et l’émergence de constats, conclusions, propositions, tout ceci confère ou renforce une légitimité jamais définitive vis-à-vis des usagers et des instances de tutelle.

Notes

1 On trouve en introduction du JCR des informations concernant son élaboration, la nature des critères de classement retenus et le contenu de ces classements. La version sur CD-ROM autorise une exploitation plus riche, plus complète. Un programme de démonstration montrant clairement toutes les possibilités d’exploitation des données est accessible à l’adresse suivante : http//www.isinet.com
Pour obtenir des explications détaillées, pour prendre connaissance d’une réalisation pratique d’évaluation d’une collection de périodiques fondée sur l’analyse de citations et le JCR, je renvoie à l’article cité dans la bibliographie, qui illustre les paragraphes qui suivent (Bulletin des Bibliothèques de France, 1987, n° 3, p. 236-245).

2 Là encore, il n’est pas question de développer ici les tenants et les aboutissants de cette célèbre méthode développée aux Etats-Unis au début des années 1980, et appliquée principalement dans ce pays, au Canada et en Grande-Bretagne. Pour en prendre connaissance, on se reportera à ce Guide. Une très abondante littérature (essentiellement anglo-saxonne) théorique et pratique, laudative ou hostile, existe sur le sujet. Le Guide a été rédigé à l’intention des bibliothèques de recherche, mais compte-tenu de l’adoption de la classification de la bibliothèque du Congrès comme cadre d’analyse, la méthode est adaptable à tout type de bibliothèque, selon que l’on utilise la grille la plus complète ou l’une des grilles intermédiaires. L’ouvrage collectif suivant, Collection assessment : a look at the RLG-Conspectus, publié par The Haworth Press en 1992, dans la série The Acquisitions Librarian (n° 7), peut constituer une introduction. On ne manquera pas de consulter la bibliographie spécialisée LISA, aussi bien pour les travaux consacrés à Conspectus qu’à l’évaluation en général. Des comptes-rendus d’expériences d’évaluation à grande échelle s’appuyant sur Conspectus ont été publiés. On pourra lire notamment : Matheson, Ann. The Conspectus experience. Journal of librarianship, vol. 22, n° 3, 1990, p. 171-182 et Hanger, Stephen. Collection development in The British Library : the rôle of the RLG-Conspectus. Journal of librarianship, vol. 19, n° 2, 1987, p. 89-107

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