F. Acquérir des périodiques en pensant au public
p. 75-79
Texte intégral
1L’acquisition des périodiques doit être envisagée en fonction des lecteurs et usagers de la bibliothèque. C’est en relation avec leurs centres d’intérêt que l’on va adopter une politique dynamique au lieu de continuer à vivre sur un certain nombre d’abonnements dont quelques uns pourront être devenus obsolètes ou vieillis au fil du temps et des années. Ces usagers sont en réalité très diversifiés, et cela même à l’intérieur d’une catégorie donnée de bibliothèques, sans oublier les demandes extérieures qui pourront parvenir par le prêt entre bibliothèques.
2En lecture publique, on aura par exemple un certain nombre d’utilisateurs qui liront essentiellement la presse locale, presse dont on pourra prendre éventuellement plusieurs exemplaires. D’autres s’attacheront aux quotidiens nationaux et aux hebdomadaires et l’on verra plus loin la difficulté d’offrir un échantillonnage. D’autres se tourneront d’avantage vers des titres spécialisés en loisirs, tourisme, techniques, centres d’intérêt divers. Mais on pensera aussi aux chercheurs locaux, avec des titres à diffusion restreinte, et aussi au public étudiant qui utilisera souvent la bibliothèque municipale comme une seconde implantation, plus ou moins éloignée, de la bibliothèque universitaire.
3Dans ces derniers établissements, on fera la différence entre le premier cycle, toujours intéressé par des titres généraux, pour ne pas dire de vulgarisation parfois, et le deuxième cycle plus recentré sur ses études, en terminant par les chercheurs dont les exigences sont très spécifiques et précises. On n’oubliera pas toutefois qu’une certaine catégorie de professionnels, par exemple en médecine ou pharmacie, peut désirer consulter des périodiques plus tournés vers la vie active.
4 A quel niveau peut-on profiter de l’aide des lecteurs et comment l’utiliser, comment le cas échéant, la canaliser ? Les lecteurs, quelle que soit leur origine, peuvent d’abord nous aider à prendre des nouveaux titres dont ils ont vu l’annonce ou dont ils ont entendu parler. S’il faut tenir grand compte de ces suggestions, on doit savoir qu’elles n’ont la plupart du temps rien de sûr en matière bibliographique, et à plus forte raison en ce qui concerne le prix, la périodicité, le nom de l’éditeur, l’ISSN, etc., toutes données qui pour nous sont essentielles.
5Mais, malgré ces « insuffisances », il sera à un second niveau très profitable de s’être constitué un réseau « occulte » ou « souterrain » de lecteurs habitués de la bibliothèque auxquels on pourra demander leur avis, en cas de besoin, ce qui n’enlève rien de leur utilité aux comités plus officiels qui peuvent aussi exister. Il s’avère à l’expérience que le bibliothécaire ou le conservateur en charge d’un service de périodiques a tout avantage à pouvoir disposer autour de lui de lecteurs capables d’éclairer son jugement, en particulier lors d’un achat particulièrement onéreux.
6Toutefois, la consultation des lecteurs, quelqu’avisés qu’ils soient, ne doit pas être seule à emporter la décision. Il faut garder une vision d’ensemble de la bibliothèque, que n’aura pas tel ou tel lecteur très compétent dans son domaine au demeurant. Les conseils de bibliothèque, quel que soit leur nom, pèchent aussi par ce biais si les représentants des usagers qui y siègent appartiennent tous à la même famille intellectuelle, ou à la même discipline, à un seul groupe social ou à une tranche d’âge unique. On sera aussi soupçonneux des groupes qui se manifestent, apparemment comme individus tout à fait isolés pour demander avec force l’acquisition d’un titre, demandes qui peuvent ne pas être représentatives globalement. C est alors au responsable de service de tenter d’infléchir la balance dans un sens plus général et diversifié. Ceci dit, les conseils de lecteurs sont une ressource très importante, les professionnels que nous sommes ne pouvant se considérer comme ayant une connaissance universelle.
7Les avis des chercheurs et autres sont peut-être plus importants encore en bibliothèque universitaire, du fait de l’impact financier lourd de certains périodiques, et compte tenu du fait qu’ici peut-être plus encore qu’ailleurs on ne prend pas un titre pour une ou deux années mais qu’un tel acte engage l’avenir et grève les budgets des années suivantes. Les périodiques constituent pour les chercheurs univer-sitaires un vecteur d’information important, pour ne pas dire primordial. Le développement du fonds de périodiques doit être mené en symbiose avec les axes de recherche et d’enseignement de l’université. Il s’agit là d’une manière d’insérer encore la bibliothèque dans la communauté intellectuelle qu’elle dessert. Ce sera aussi une façon de montrer aux utilisateurs l’attention qu’on leur porte et l’intérêt qu’on leur témoigne. Développer un service de périodiques de manière isolée dans une université serait courir le risque de méconnaître complètement les attentes des usagers et de ne plus se voir inclus dans le mouvement d’idées local.
8On n’oubliera pas que nombre d’universitaires sont membres du bureau éditorial de revues spécialisées. Il sera de bonne politique de souscrire un abonnement à ces titres puisqu’aussi bien nous en recevrons la demande. Les chercheurs en question ne pourront que se trouver flattés de l’attention que vous leur aurez portée, si du moins vous avez pris soin de le leur faire savoir.
9Quel que puisse être le type d’établissement dans lequel on travaille on ne sous-estimera pas l’utilité des spécimens. Organiser un office « Périodiques » sur un modèle proche de celui des livres peut de toutes façons permettre de voir quels titres importants auraient pu être oubliés. Lorsqu’il s’agit d’éditeurs dits « scientifiques » ceux ci sont même tout à fait désireux d’envoyer leurs spécimens, documents qu’on peut aussi solliciter auprès des agences d’abonnements. Les libraires locaux, si l’on passe par leur intermédiaire pourront trouver utile de faire connaître les nouveaux titres.
10Enfin, on analysera régulièrement les demandes des usagers qui n’auraient pas pu être satisfaites jusqu’alors. Un périodique qui ne présentait pas un très grand intérêt lors de son lancement a pu acquérir ses lettres de noblesse ou une notoriété qui fait que la bibliothèque ne peut se passer de l’avoir. Il peut en être de même pour un titre dont l’acquisition ne pouvait être supportée par le budget à un certain moment. Il faut pouvoir revenir sur des titres parus antérieurement et que l’on n’a pas sélectionnés pour diverses raisons. Dans ce but, un fichier des titres non-commandés (avec le motif pour lequel ils n’ont pas été choisis) se révélera intéressant à condition d’être mis à jour. Enfin, il sera important de ne pas laisser son opinion personnelle primer sur l’intérêt montré par un lectorat éventuel.
11La question pourra aussi se poser de savoir comment les usagers pourront manifester leurs souhaits. Il existe un certain nombre de systèmes traditionnels, à commencer par les cahiers du lecteur ou de demandes. Il importe que ces outils soient analysés régulièrement et qu’une réponse soit apportée. Il peut être bon, éventuellement, que les responsables de tels ou tels secteurs d’acquisition soient désignés au yeux du public pour permettre des échanges moins anonymes. Cette façon de voir existe depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, elle commence à apparaître en France. Bien entendu, les inconvénients de ces cahiers de demandes sont nombreux : existence de groupes de pression qui vont se cacher derrière l’anonymat, absence d’identification fréquente des demandeurs, non représentativité de l’ensemble des usagers. Mais de toutes façons, il importera que l’on suive de très près les demandes, même si l’on ne peut pas et si l’on ne veut pas les satisfaire. On n’hésitera pas, aussi souvent que possible, à étudier ces documents de manière rétroactive pour s’intéresser aux acquisitions refusées à tel moment.
12La demande immédiate ne doit pas être seule prise en compte. Dans la perspective des réseaux inter établissements, on peut aussi s’appuyer sur les demandes de prêt entre bibliothèques. Il peut être intéressant dans ce cas, on l’a vu, de prévoir l’abonnement à des titres souvent demandés à la bibliothèque, mais que celle ci ne possède pas, ou à des titres pour lesquels la bibliothèque demande souvent des photocopies à l’extérieur pour ses propres lecteurs. Il conviendra toutefois de ne pas privilégier la demande extérieure aux dépens des usagers locaux, utilisateurs premiers et prioritaires.
13Les demandes des lecteurs peuvent donc permettre largement d’étayer les arguments lors d’acquisitions. Elles seront également à prendre en compte lors d’arrêts d’abonnements car les usagers directs de ces titres seront les premiers à pouvoir porter un jugement valable. Toutefois on veillera à dépasser les avis qui seront fournis, dans un but de gestion globale et diversifiée. On se souviendra que l’acquisition de périodiques témoigne largement de la vitalité intellectuelle de la bibliothèque auprès de ses lecteurs et de son autorité de tutelle. Toutefois on prendra garde à ne pas risquer de mettre en cause l’équilibre des budgets des années suivantes, par des nouvelles acquisitions trop nombreuses.
Auteur
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Pierre-Marie Belbenoit-Avich
SCD de l’Université Lyon 1
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