1L’Université de Lille-3 dispense principalement des formations en sciences humaines. La réforme des enseignements universitaires, dite « loi Bayrou », a été appliquée à la rentrée 1998. Les études conduisant à l’obtention d’un Deug commencent dorénavant par un semestre d’orientation rendant possible une réorientation éventuelle. Ce premier semestre est composé d’une unité d’enseignements fondamentaux dans les disciplines d’une UFR, d’une unité de découverte de disciplines dans d’autres UFR et d’une unité de méthodologie du travail universitaire à laquelle les responsables des Deug peuvent intégrer la méthodologie documentaire.

2L’objectif de la formation à la méthodologie documentaire proposé par le SCD de Lille-3 est de familiariser les étudiants avec les bibliothèques de l’université et aux outils d’information. Certaines UFR ont demandé que ce programme soit étendu aux méthodes de travail intellectuel (pour plus de précision, se reporter à la contribution de Christian Loock). Les enseignements se répartissent entre des apports théoriques et des travaux pratiques. Inscrite aux programmes de Deug, cette formation est obligatoire et fait l’objet d’un contrôle des connaissances dont il est tenu compte pour le passage en deuxième année.

3Deux enquêtes ont été menées pour mesurer la satisfaction des étudiants. La première, faite à chaud en cours de formation, a livré des résultats alarmants et nous a conduits à nous poser la question de la motivation des étudiants vis-à-vis de cette formation. 54 % des étudiants interrogés, lors de l’enquête quantitative que nous analyserons ci-après, pensent que cette formation ne devrait pas être obligatoire, 91,33 % trouvent que cette formation ne devrait pas être évaluée et 85,67 % qu’elle ne devrait pas être poursuivie tout au long des études universitaires. La seconde enquête, qui reposait sur une auto-évaluation d’un travail mené en Deug de Médiation culturelle et communication, a provoqué des réactions beaucoup plus positives. Notre hypothèse sera de montrer que le partenariat est un des points d’ancrage de cette formation.

1. L’enquête

4La première enquête a été menée en janvier 1999, à la demande du directeur du SCD, par deux étudiants d’un DESS d’études quantitatives. Après 3 ans de mise en œuvre de formations par le SCD, il paraissait légitime de disposer de données chiffrées afin de mesurer de manière plus précise le point de vue des étudiants. Cette enquête met en parallèle l’utilisation des lieux de documentation dans le secondaire et l’utilisation actuelle de la bibliothèque centrale. La population de référence étudiée étant de 3 000 étudiants de première année, l’échantillonnage a pris en compte 10 % de cette population. La méthode des quotas a été utilisée afin d’obtenir une population représentative de la structure mère. Le questionnaire était composé principalement de questions fermées. Une possibilité d’auto-évaluation a été offerte uniquement à des étudiants du Deug de Médiation culturelle et de communication à qui il avait été proposé de réaliser un dossier. Cette auto-évaluation avait pour objectif de les faire réfléchir à leur démarche, aux outils qu’ils avaient utilisés pour réaliser le dossier et de signaler les apprentissages qui leur ont semblé les plus révélateurs.

2. Les résultats

5En ce qui concerne l’enseignement secondaire, seuls 15,67 % des étudiants disent avoir bénéficié d’une formation en méthodologie documentaire au lycée, ce qui paraît préoccupant. Il semble que la formation à la documentation se soit effectuée au cas par cas, sous la forme d’aides ponctuelles du documentaliste à l’occasion d’une recherche, et non au cours de séances d’initiation organisées. Quant à la formation à l’université, elle a permis aux étudiants de mieux connaître la bibliothèque centrale (pour 76,33 % des étudiants).

6Les résultats sont plus décevants en ce qui concerne la connaissance des outils de recherche documentaire (11,67 % des étudiants seulement). Cela est d’autant plus surprenant que les séances de travaux pratiques (TP) reposaient principalement sur des manipulations du catalogue informatisé et des bases de données disponibles sur le réseau de cédérom. Le but ne semble pas vraiment avoir été atteint, faute, selon les étudiants, d ordinateurs en nombre suffisant. On peut penser que l’étudiant n a pas établi, lors de l’enquête, de lien entre les outils bibliographiques du SCD, les manipulations proposées pendant les TP et l’acquisition de compétences pour utiliser ces outils. Par ailleurs et de manière contradictoire, 60 % d’entre eux affirment avoir eu l’occasion par la suite de tirer profit de l’utilisation de ces outils lors de la préparation d’un exposé.

7Il est possible que l’enquête surprise menée par les étudiants de DESS ne représente pas le meilleur moyen d’obtenir des informations fiables. Par ailleurs, les exercices proposés en TP, préparés pour déboucher sur un résultat précis, ne confrontent pas les étudiants aux vrais problèmes de la recherche documentaire. Peut-être faudrait-il intégrer des situations de recherche authentique, qui permettraient aux étudiants de prendre conscience des incertitudes et de la complexité de la recherche d’information. La réalisation d’un dossier apparaît comme l’une des solutions.

2.1. Quelles compétences documentaires ?

8Dans l’enquête quantitative, la satisfaction des étudiants est mitigée : 49,67 % déclarent être satisfaits de cette formation, contre 30 % de non satisfaits. À l’issue de la formation à l’université, ils ne sont que 23,33 % à déclarer utiliser les catalogues et les bases de données. Les trois quarts des étudiants déclarent faire confiance à la chance et choisir l’accès direct aux documents sur les rayonnages, sans passer par un catalogue informatisé. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils sont 94 % à réclamer une formation à Internet. Pour plus d’un quart d’entre eux, la source principale d’apprentissage a été de prendre possession des lieux et de découvrir la documentation qui correspond à leur discipline.

9Cependant, lorsqu’on interroge individuellement les étudiants sur des points précis du contenu de la formation, ils reconnaissent avoir appris à rédiger une bibliographie en respectant une norme, à prendre en considération les types et niveaux de documents (afin de les aborder avec un point de vue critique). Mais ils n’assimilent pas clairement ce qu’ils ont appris à des compétences spécifiques à la documentation.

10Dans l’auto-évaluation, certains font des remarques relatives au contenu des connaissances qui leur ont été transmises et révèlent que des compétences documentaires ont été acquises ou ont été utilisées. Parmi celles-ci, on note la capacité à choisir et à croiser des descripteurs, à utiliser les accès à l’information des divers documents (sommaires, index), à comparer les articles de périodiques, à exploiter les différents types de bibliographies.

2.2. Prise en compte de la démarche intellectuelle et de la discipline de l’UFR choisie par l’étudiant dans la formation

11Se documenter consiste à s’approprier des documents, à en retirer des informations pour construire un nouvel objet intellectuel, mais également à se familiariser avec les concepts d’une discipline par la lecture d’encyclopédies spécialisées, d’ouvrages documentaires ou d’articles de périodiques. Les étudiants ont apprécié, après coup encore une fois, que les formateurs leur aient donné un aperçu de la documentation dans les domaines couverts par leurs UFR.

12Il n’est plus nécessaire de démontrer que, pour poser une question de recherche et exploiter des informations, l’étudiant doit comprendre les informations et donc en connaître le contexte de référence. En l’absence de connaissances préalables ou de points de repères suffisants, parce que les matières sont nouvelles ou plus spécialisées que dans le secondaire, les étudiants rencontrent des difficultés de compréhension. Lors de l’auto-évaluation, nous nous sommes aperçus des réticences des étudiants à l’égard de la lecture de documents d’un niveau scientifique. Ceci semble lié essentiellement à un manque de compréhension des textes lus. En effet, quiconque s’aventure dans un domaine nouveau n’a pas les repères que possède un expert et accumule, de ce fait, les incompréhensions. Nous faisons ainsi figure d’illettrés, à un moment ou à un autre, face à un savoir nouveau. Un illettré est bien celui qui n’a pas les codes pour comprendre un texte. Une expérience intéressante pour développer la lecture de documents de niveau scientifique se déroule depuis 1993 à Paris-3, à l’initiative d’Emmanuel Fraisse. Ce cours réunit des étudiants du Deug au doctorat. Le partenariat avec les enseignants des disciplines universitaires est ce qui a le plus manqué au sein de la formation de Lille-3.

2.3. La recherche d’un partenariat

13Selon les UFR, le partenariat avec les enseignants de discipline peut être inexistant ou prendre des formes diverses. En psychologie, la formation est presque complètement consacrée aux techniques documentaires et menée indépendamment des enseignements disciplinaires. Les méthodes intellectuelles ne sont abordées que dans la dernière partie des cours.

14En revanche, les enseignants en documentation qui interviennent en AES prennent appui sur les champs disciplinaires de référence de l’UFR pour amener un apprentissage de compétences à travers l’utilisation de techniques documentaires. En Histoire, la constitution d’une bibliographie autour d’un thème choisi par les étudiants constitue le « fil rouge » de la formation. Ceci représente un premier pas dans la prise en compte des démarches intellectuelles et dans l’apprentissage de l’autonomie.

15En MISASHS1, la formation s’organise autour de la réalisation d’un dossier documentaire en sociologie, qui prend en compte les différents aspects du travail intellectuel. Ce dossier est réutilisé et complété au cours du second semestre par une enseignante en sociologie. Cette formule guide l’étudiant dans son apprentissage des méthodes documentaires et l’oriente vers un but. Elle lui permet également de se construire une démarche intellectuelle personnelle et de mettre du sens dans l’apprentissage de la méthodologie documentaire. De ce sens dépendent sa motivation et son investissement dans l’activité qui lui est demandée. Le dossier permet également de favoriser chez l’étudiant un accès « en situation » aux nouvelles technologies.

16Pour les étudiants de Médiation culturelle et communication, le dossier a également favorisé un travail de groupe et permis de surmonter les découragements provoqués par le bruit ou le silence documentaire. Le sujet était choisi par les étudiants, mais il devait faire référence à un lieu culturel. Ils avaient à établir un sommaire, une bibliographie, et à fournir sept documents de natures et de niveaux différents (un document encyclopédique, un document professionnel, un document iconographique, un document scientifique, un document journalistique, un sommaire de monographie consacrée au sujet choisi). Outre ces critères de forme, les documents devaient être pertinents par rapport au sujet et leur assemblage devait être intellectuellement satisfaisant. Proposé comme travail de groupe, le dossier a nécessité des concertations qui ont relancé l’action et favorisé le débat là où il n’y avait, au départ, qu’une simple centration sur des opinions personnelles. L’argumentation est apparue plus solide et la construction du dossier plus fine. Cependant, l’article de niveau scientifique n’a pas toujours été inséré dans le dossier car il a été jugé, la plupart du temps, illisible par la plupart des étudiants.

17Le fait que le sujet soit libre a été une contrainte difficile à assumer pour quelques-uns. Le sujet libre n’est peut-être pas la meilleure solution pour les amener à aller un peu plus loin, à franchir et à dépasser les obstacles inhérents à tout apprentissage. Le choix du sujet pourrait, là aussi, faire l’objet d’un partenariat fructueux avec des enseignants de discipline universitaire.

18Ce travail en situation leur a permis de prendre acte des difficultés qu’ils pouvaient rencontrer lors de la recherche de documents, de leur exploitation et de la construction personnelle de savoirs.

2.4. La motivation

19Selon les groupes, les enseignants ont ressenti plus ou moins de motivation. Pour les étudiants en Médiation culturelle et communication, le dossier a joué un rôle de catalyseur. La motivation s’est créée et développée au fur et à mesure du déroulement de l’action et de l’avancée des travaux. Ce type d’étudiants, dont plus de la moitié ne passe pas les examens terminaux et ne se présente aux épreuves de contrôle continu, ont besoin davantage de concret que des étudiants plus classiques.

20Le dossier n’est pas le seul facteur de motivation : l’auto-évaluation y a également contribué. Il est nécessaire de comprendre la motivation comme un processus qui fait naître l’effort pour atteindre un objectif et qui relance cet effort jusqu’à ce que l’objectif soit atteint. Le fait de mettre l’apprenant dans une démarche de projet ne suffit pas à le motiver. Par contre, favoriser et même organiser l’auto-évaluation favorise la motivation. Dans ce cas, l’étudiant est encouragé à prendre conscience du chemin déjà parcouru et du chemin à parcourir et à doser son effort en fonction du but qu’il veut atteindre. C’est pourquoi nous avons donné la possibilité aux étudiants de médiation culturelle d’auto-évaluer leur démarche de construction d’un dossier. Ceci a non seulement favorisé chez eux une prise de conscience des difficultés qu’ils rencontraient et des stratégies mises en place pour y remédier, mais a permis également d’ancrer les compétences documentaires acquises durant leur apprentissage. Un effort sans cesse relancé parce qu’il a été auto-évalué favorise la construction chez l’apprenant d’une identité qui lui permet de donner de la valeur à son apprentissage.

2.5. Différents types de partenariats

21La formule que nous avons adoptée pour la mise en place de la formation à Lille-3 rassemble une cinquantaine d’intervenants, tant enseignants que tuteurs. Cela n’est possible que grâce à une recherche constante de partenariats.

22• Le premier type de partenariat est interne et touche les enseignants en méthodologie documentaire. Les cours sont assurés par des bibliothécaires du SCD, des documentalistes de l’enseignement secondaire, des enseignants de l’université et des tuteurs-étudiants. Ce type de partenariat a mis en relation des personnels travaillant autour du livre, mais dont les missions et les points de vue pouvaient apparaître comme divergents, ce qui a impliqué une certaine souplesse quant aux objectifs et aux contenus de la formation, tout en gardant un minimum de cohérence.

23• Le deuxième type de partenariat vise les enseignants disciplinaires et n’est qu’ébauché. Sa forme minimale consiste, comme en Histoire, à se mettre d’accord sur le contenu de la formation, ce qui n’est pas aisé dans des domaines aussi spécialisés que les enseignements universitaires. Sur un point tout à fait anecdotique, l’expérience a montré que les normes de description bibliographique différaient d’un enseignant à l’autre. À l’opposé, en Médiation culturelle et communication, les contenus ont fait l’objet d’une commande très précise de la part du directeur d’UFR, même si les dossiers réalisés n’ont pu être exploités au cours du deuxième semestre. La formation à la méthodologie documentaire est apparue, en fin de compte, comme celle qui posait la question de la médiation dans son ensemble et, par conséquent, comme une introduction à l’univers intellectuel du Deug.

24Il nous a semblé que l’intégration du travail intellectuel dans la formation était plus aisée pour des disciplines relativement récentes, ou en cours d’élaboration, que pour les disciplines dont les méthodologies existent depuis longtemps.

25En conclusion, le caractère obligatoire de cette formation a permis de toucher un grand nombre d’étudiants qui auraient sans doute perdu beaucoup de temps à se retrouver dans les lieux, à repérer les documents de leur discipline et à fournir un travail documentaire qui réponde aux exigences universitaires.

26Les examens terminaux ont rarement handicapé les étudiants pour un passage en deuxième année, l’objectif étant davantage d’aider que de sélectionner. Ils ont permis de savoir si l’étudiant avait acquis le vocabulaire et les notions essentielles attachées à la démarche de recherche documentaire, mais ils n’ont pas permis de savoir s’il était capable d’effectuer une telle recherche. Transmettre, lors d’un « cours » de méthodologie documentaire, une information sur de nouvelles méthodes à mettre en œuvre n’a que peu d’efficacité si elle ne provoque pas la rupture nécessaire à un changement de stratégies. Par contre, la réalisation d’un dossier par l’étudiant et la pratique de l’auto-évaluation de sa démarche, de ses stratégies, déterminent l’efficacité de son apprentissage. Cette formule lui permet d’acquérir et d’ancrer des compétences de recherche d’informations pour construire un savoir. Il ne les identifie toutefois pas forcément comme spécifiquement documentaires.

27Le partenariat, qu’il soit interne ou externe, est une condition nécessaire pour offrir une formation en méthodologie documentaire qui réponde le mieux possible à la complexité des objectifs et des moyens à mettre en place.