J. Définir des moyens, mais pour quelle stratégie ? La réflexion à la BMIU Sciences de Clermont-Ferrand
p. 185-194
Texte intégral
1La question de la mise en place de formations à l’information au sein de l’Université appartient aux sujets largement rebattus mais pourtant peu débattus : le consensus apparent qui semble régner masque mal différentes catégories de problèmes, comme on l’a vu dans les précédentes contributions.
2Avec la communauté enseignante, les difficultés sont liées au partage de territoires, aux cloisonnements fonctionnels et institutionnels et aux pratiques enseignantes et bibliothéconomiques largement autonomes et, trop souvent encore, parfaitement parallèles.
3D’autres résistances existent au sein même de la bibliothèque, recoupant des clivages de sensibilité et de pratiques professionnelles : la part prise par le service au public et par la médiation est chargée d’un changement de culture qui détourne les bibliothécaires des tâches techniques classiques, les renvoyant à un travail plus extraverti et tourné vers la collectivité universitaire.
4Persiste aussi le doute identitaire récurrent lié à la définition du métier : suis-je en train d’accomplir des tâches liées à ma mission de bibliothécaire ou bien de combler les carences d’une autre profession ? Sur ce point, comme sur d’autres, c’est la reconnaissance du service fourni, c’est-à-dire la perception de l’efficacité de nos actions par le public, qui valideront, en dernière instance, la pertinence de nos objectifs.
5Ces paramètres doivent être présents à l’esprit de tout professionnel désireux de se lancer dans cette aventure. À usage interne, il conviendra d’aborder le sujet en tenant à égale distance deux attitudes tranchées qui caractérisent souvent l’approche de la formation à l’information :
- celle, désabusée et paralysante, qui consiste à rabattre la nouveauté sur le « déjà vu » (« ça fait longtemps qu’on le fait… ») et qui efface l’événement dans la myopie de schémas dépassés ;
- l’autre, enthousiaste et naïve, qui croit trouver dans cette activité la clé des problèmes qui jalonnent la relation intermittente et délicate avec le monde des enseignants-chercheurs.
6Que cherchons-nous lorsque nous montons des formations ? Avant de définir des moyens, une explication des objectifs et une clarification des positions de la bibliothèque sont indispensables. Seule cette démarche permettra la promotion du projet destiné à obtenir les moyens nécessaires. Elle seule permettra l’insertion des ressources humaines de la bibliothèque dans l’ensemble des moyens qui concourent à la vie universitaire. Ceux-ci, en effet, ne sont pas seulement financiers, mais aussi humains. Ce sont ces deux aspects qui seront traités ici.
1. Afficher clairement sa politique
7La mise en place d’un plan de formation à l’information doit inciter les bibliothécaires à mener l’analyse du contexte local et à évaluer leur positionnement au sein du dispositif universitaire. À partir de celle-ci, les objectifs de ce plan de formation doivent intégrer une démarche stratégique destinée à mieux insérer la bibliothèque dans le fonctionnement de l’université. En d’autres termes, il ne faut pas voir dans cette opportunité qui nous est offerte un simple effet de mode, ou la possibilité d’actualiser un service déjà rendu sous d’autres formes et de façon plus ponctuelle. Il faut la saisir comme l’occasion de renforcer la reconnaissance du rôle de la bibliothèque dans le dispositif de formation universitaire, de placer délibérément l’établissement au cœur de celui-ci en nouant les contacts adéquats et en occupant le terrain de manière volontariste aux côtés des universitaires. Cette approche s’apparente à une démarche de type marketing pour exploiter cette opportunité au mieux des intérêts de la bibliothèque.
8La conception et la réalisation d’un plan de formation des étudiants à l’information doivent, bien sûr, être adaptées au contexte local, mais on peut identifier un certain nombre de facteurs et de démarches susceptibles de contribuer à son succès.
1.1. L’offre de la bibliothèque
9La conception de l’offre de la bibliothèque va faire l’objet d’un travail sur deux axes :
- Une réflexion interne à la bibliothèque intégrant ses différentes unités documentaires pour la conception d’une approche transversale.
- Une démarche auprès de chaque UFR dans le but de constituer des groupes de travail intégrant des bibliothécaires et des enseignants en fonction d’objectifs disciplinaires ou méthodologiques précis. Chaque unité documentaire peut désigner un interlocuteur unique pour les enseignants, chargé de coordonner les actions à mettre en place. Dans la pratique, la décision politique prise au niveau des UFR pour la mise en place des modules de méthodologie du travail universitaire (MTU) à destination des étudiants de première année conduit souvent, dans un premier temps, à inscrire la formation à l’information dans le module tout en laissant la bibliothèque libre du contenu et sans avoir examiné avec elle un réel cahier des charges.
1.2. Formalisation
10La bibliothèque doit viser à formaliser et afficher sa politique dans chacune de ses unités documentaires et présenter une offre transversale à tous ses services.
11La nomination d’un coordonnateur garantit l’homogénéité de l’offre, facilite la conception de documents pédagogiques et de programmes et permet de réaliser une évaluation globale des résultats.
1.3. Les interlocuteurs
12Une fois formalisée, cette politique gagne à faire l’objet d’une présentation dans les différents conseils auxquels participe le directeur de la bibliothèque, en particulier : le conseil du S (I) CD, le Conseil des études et de la vie universitaire… (Le rôle de ce dernier n’est pas à négliger, car il constitue une tribune de discussion importante avec les universitaires.) À ce stade, la discussion doit aussi porter sur les moyens alloués à la fois par la bibliothèque et par l’université (cf. infra). L’adoption de ces propositions doit conduire à l’inscription des moyens correspondants dans le contrat quadriennal.
13L’implication des professionnels est une condition déterminante pour la réussite de processus ; celle des partenaires universitaires aussi. Un travail de sensibilisation et de conviction est à mener à tous les niveaux de la hiérarchie universitaire :
- au niveau « politique » : la présidence et la vice-présidence du CEVU ;
- sur le terrain : auprès des directeurs d’UFR ou des doyens, puis des enseignants susceptibles de s’impliquer dans cette démarche.
14Du côté universitaire, la désignation d’un interlocuteur unique, en particulier dans le cadre des formations à la MTU, est un atout considérable pour la réussite du travail collectif. Celle-ci peut consister dans la nomination d’un responsable enseignant auprès du président (c’est le cas de l’Université de Paris-8, par exemple) ou dans l’existence d’un service pédagogique du premier cycle chargé de la coordination des enseignements de Deug. Globalisée, la gestion des moyens et des contraintes s’en trouve dès lors largement facilitée (plannings, réservations de salles, flux, taille des groupes, liaison avec les enseignants) .
2. La question des moyens
15Nous n’aborderons ici que les moyens humains (pour les moyens financiers, on se reportera au chapitre suivant, de Francine et Christian Heddesheimer). Les moyens accordés à la mise en œuvre des volontés politiques traduisent fidèlement leur réalité et en reflètent les limites et les carences. C’est en fait la question majeure pour la bibliothèque : les objectifs quantitatifs se révèlent particulièrement lourds si l’on prend en compte la totalité des effectifs étudiants à traiter :
- les étudiants de première année (notamment avec les modules de méthodologie du travail universitaire),
- les maîtrises,
- les DEA et thésards,
- les écoles (d’ingénieurs…),
- les enseignants-chercheurs.
16Sans parler de la continuité de ces formations à destination des étudiants de deuxième année et de licence. Force est d’emblée de constater que les seules ressources humaines de la bibliothèque sont insuffisantes. Des solutions de démultiplication de l’effort de formation existent. Elles sont variées et dépendent du contexte.
2.1. Qui fait quoi ?
2.1.1. Au niveau de la bibliothèque
17Conservateurs, bibliothécaires et bibliothécaires adjoints sont tous des formateurs potentiels : ils forment le « noyau dur » de l’équipe de formateurs.
18Les magasiniers peuvent et doivent être intégrés au processus de formation : la présentation de la bibliothèque, de ses ressources et de son fonctionnement, dans le cadre du module MTU destiné aux étudiants de première année, peut parfaitement être prise en charge par ces personnels. La méthode de travail qui consiste à définir en groupe le contenu des formations et les supports de cours permet un partage des compétences et une répartition des différents niveaux d’intervention.
2.1.2. La formation de formateurs
19C’est la solution la plus utilisée pour démultiplier l’offre et traiter la masse des demandes :
- formation de moniteurs,
- formation de tuteurs,
- formation d’enseignants.
20La présence d’enseignants dans le champ de la formation est, dans certains cas, une donnée de contexte ; l’enseignement méthodologique à l’utilisation de la documentation existe déjà dans certaines formations universitaires et se réalise soit en partenariat avec la bibliothèque, soit de façon quasi autonome. Quelle que soit la part prise par les enseignants dans le dispositif, il est indispensable que la bibliothèque conserve la maîtrise de ces enseignements et demeure fortement présente sur ce terrain. Il n’est pas souhaitable de trouver un cursus de formation à l’information totalement pensé et réalisé par des enseignants universitaires, sans lien fonctionnel et organisationnel fort avec la bibliothèque. Le problème des moyens ne doit pas servir d’alibi pour déserter le terrain.
21La formation de tuteurs et de moniteurs pose, a priori, moins de problèmes : encadrés et formés par des professionnels, ces étudiants interviennent dans un créneau clairement délimité ; leur apport spécifique consiste dans leur connaissance d’un champ disciplinaire. Le positionnement des deux types de statut n’est pas toujours facile : les rémunérations ne sont pas de même niveau et le profil des emplois correspond dans les textes à des définitions différentes.
2.1.3. Le budget « temps »
22Le temps de travail imparti à ces tâches de formation doit être d’abord prélevé sur l’enveloppe horaire du temps consacré par le personnel au service public. Il faudra calculer la marge dont dispose l’établissement une fois déduits les volumes horaires régulièrement engagés dans le fonctionnement quotidien :
- pour le prêt par les magasiniers.
- pour le renseignement bibliographique par les conservateurs, bibliothécaires et bibliothécaires adjoints.
23Cette marge implique que l’on ait préalablement défini, dans des profils de poste, la part consacrée par chaque catégorie de personnel au service public par rapport aux tâches techniques dites « internes ». À titre indicatif, des pourcentages de temps de travail au contact du public, situés autour de 60 % du temps de travail annuel pour les magasiniers et de 40 % pour les catégories A et B, permettent d’évaluer le volume précis des ressources disponibles, une fois déduites les heures réellement consacrées à ces activités.
24Ces ressources une fois dégagées, la difficulté consiste à les répartir de manière équilibrée sur les différentes tâches à effectuer : préparation (réunions, concertation, réalisation de supports…), temps de formation (des étudiants, des formateurs…), évaluation (des travaux des étudiants, de la formation : enquêtes, concertation avec les enseignants-chercheurs…).
2.2. La prise en charge des moyens humains
25L’objet de la négociation avec l’université via les UFR portera sur l’attribution à la bibliothèque d’heures de tutorat dans le cadre du plan formation. Dans ce but, nous disposons du soutien des textes et des mesures visant à favoriser l’intégration des étudiants dans l’université, ainsi que le travail autonome.
26La bibliothèque a la possibilité de négocier l’affectation de tuteurs payés par l’UFR et exerçant dans la bibliothèque sur des profils d’assistance à l’utilisation de la documentation (documentation électronique notamment).
27Par ailleurs, la pratique du tutorat dit d’accompagnement, qui consiste à permettre aux étudiants de recourir aux services d’un étudiant avancé pour obtenir une explication et des conseils sur un cours ou un travail dirigé (TD), peut être articulée avec le tutorat documentaire : en accueillant les deux tutorats dans ses locaux, la bibliothèque renforce sa présence dans le dispositif de formation dont elle devient un lieu à la fois complémentaire et central.
28Ce personnel sera complété, le cas échéant, par des moniteurs rémunérés sur le budget d’établissement pour effecteur d’autres fonctions d’assistance documentaire (notamment pour assister les bibliothécaires dans la prise en charge des groupes de TD).
29Compte tenu de la charge représentée par cette mobilisation des personnels de la bibliothèque, le développement rationnel de la formation à l’information devrait conduire à la création de postes dont la demande est à inscrire dans le contrat quadriennal. En effet, cette activité développe l’offre qualitative de la bibliothèque de façon complémentaire au développement quantitatif que représente l’extension des horaires d’ouverture.
30La mise en place de formations à l’information est, comme on peut le constater, la source d’une activité importante et stratégique pour la bibliothèque. L’attention à porter aux moyens est cruciale pour éviter toute dérive et maintenir le niveau des autres services offerts. Si ce travail permet de développer les contacts avec les enseignants-chercheurs sur le terrain même de la formation, il implique aussi de défendre sa place de façon vigilante et volontariste car il va à contre-courant des habitudes de cloisonnement.
31Quant au personnel, il trouve dans cette activité un vaste champ d’exercice de ses compétences, dans la mesure où il intègre la conversion majeure de l’emploi de son temps au contact du public dans des activités de plus en plus variées. Deux problèmes surgissent toutefois avec le développement de ces formations.
32• Celui des limites des compétences des bibliothécaires (personnel des catégories A et B), dès que la demande se complexifie et s’enrichit : dans le domaine de la pédagogie (qui possède une formation en ce domaine ?) comme dans celui de l’expertise documentaire (pratique des bases de données, suivi pointu de l’évolution des disciplines, connaissance des thématiques de recherche…).
33• Le malaise vécu par les personnels de magasinage vis-à-vis des tuteurs et moniteurs qui interviennent sur ces créneaux jugés particulièrement valorisants, avec le sentiment de ne pas être reconnus et d’être rabaissés derrière un personnel non titulaire ne possédant pas leur expérience de la bibliothèque.
34En ce qui concerne les bibliothécaires, la nécessité s’impose de développer rapidement et conjointement non seulement des formations à la pédagogie et à la médiation, mais aussi des mises à niveau dans l’utilisation des outils documentaires au sein des domaines disciplinaires dont ils sont chargés. Celles-ci pourraient être intégrées à leur cursus de formation initiale.
35Quant aux magasiniers, leur intégration au dispositif de formation au niveau de la présentation de la bibliothèque et de ses ressources devrait, d’une part, permettre l’enrichissement de leurs tâches et, d’autre part, les inciter à développer leurs compétences d’accueil et d’orientation du public. La formation à l’information conduit donc la bibliothèque à adapter son propre plan de formation pour permettre à ses professionnels de relever le défi de la médiation enrichie et approfondie.
Auteur
Bibliothèque municipale inter-universitaire de Clermont-Ferrand
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