1Chacun d’entre nous a constaté que les enfants et les adolescents ont une grande facilité devant les écrans d’ordinateurs. Leur usage du jeu vidéo, où l’on doit aller très vite sans réfléchir parce que la lenteur y est source de tous les dangers, conforte un mode de pensée qui leur est habituel : essayer pour voir (L’apprenti sorcier). Ce comportement « audacieux » est très positif, car il permet une découverte autonome, oblige à constater son erreur, à recommencer, etc. Devant un cédérom, cette attitude est globalement efficace : il n’y manque qu’un peu de réflexion pour envisager toutes les pistes proposées par le concepteur, mais, pour la plupart des enfants, celles-ci seront découvertes par hasard. On pourrait donc imaginer qu’il en va de même pour l’Internet et que les enfants sauront s’en débrouiller grâce à leurs tâtonnements.

2Pourtant, après de nombreux déboires dus au libre accès, nous avons dû envisager pour notre jeune public une démarche beaucoup plus traditionnelle. Depuis deux ans, le département jeunesse de la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon propose à ses jeunes lecteurs une initiation d’une heure à l’Internet. Cette proposition est, en fait, une obligation : chaque enfant doit suivre cette initiation avant de pouvoir utiliser librement la station de la salle des enfants.

1. Un peu d’histoire

3La station Internet a été installée au département jeunesse en 1996. Les bibliothécaires avaient suivi une brève formation, mais elles ne se sentaient pas du tout à l’aise avec cet outil et encore moins capables de guider le jeune public. Les enfants, au contraire, forts de ce comportement rappelé plus haut, étaient très demandeurs et n’avaient pas d’hésitation devant les postes multimédias.

4Libre d’usage comme les stations pour les adultes des autres salles de la bibliothèque, la station était sans cesse occupée avec, comme seule protection, l’installation de l’unité centrale sous la table dans un compartiment fermé à clé. La régulation du public se faisait pratiquement selon la « loi du plus fort ».

5Il va de soi que ce mode d’usage est peu performant. La frustration d’un bon nombre devant la difficulté à obtenir un petit moment de libre, la honte de se faire traiter d’incapable par un copain, des bibliothécaires exaspérées par l’agitation produite devant le poste, rendaient la situation difficile. À cela s’ajoutait l’accès à des sites peu recommandés dans un espace public pour les enfants.

6Tous ces problèmes étaient en fait régulés (mais de quelle façon !) par le fait que l’ordinateur était régulièrement hors jeu : l’impatience naturelle de l’enfant devant la permanence d’un sablier, des clics fantaisistes, des ouvertures de menu, des « envois » plus qu’inutiles finissaient par aboutir à… plus rien, si ce n’est la nécessité de reprogrammer l’ordinateur…

7Après quelques mois de ce fonctionnement, il a fallu à l’évidence améliorer le service, mais en clarifiant d’abord notre volonté : Internet avait-il vraiment de l’intérêt pour les enfants ? Que voulions-nous proposer, à qui, pourquoi ? Enfin, comment allions-nous l’intégrer à notre travail ?

8Bien sûr, Internet a de l’intérêt pour les enfants ! Et, bien évidemment, à la bibliothèque, lieu gratuit et accessible à tous, où l’inscription n’est pas obligatoire, où l’on peut venir à son gré. Proposer ce service au public des enfants, c’est permettre au plus grand nombre de découvrir un mode de communication et d’information encore peu répandu dans les familles. De plus, montrer aux enfants à la fois la richesse et les limites des contenus, leur permettre d’accéder par ce biais à d’autres documentations que celles des livres, nous semble être l’évolution évidente de notre métier.

9Ceci étant posé, comment faire ?

2. Une organisation matérielle

10• Première réponse : la mise en place d’un système de rendez-vous pour organiser le temps de présence de chacun. Cela paraît facile, mais, même si l’on définit clairement qui tient la souris à un moment précis, rien n’empêche les copains de regarder, de commenter, de commander (« conseiller », disaient-ils), voire de prendre la place « parce qu’il y comprend rien ».

11• Deuxième réponse : des regards très réguliers en direction de l’écran afin de prévenir l’ouverture de sites indésirables. Très difficile les jours où le public est nombreux et sollicite l’ensemble des bibliothécaires pour des tâches traditionnelles.

12• Troisième réponse : la fabrication de cabines (une pour la station cédérom, l’autre pour l’Internet) transparentes (deux places assises), très aérées, avec un placard pour l’unité centrale.

13Nous avions enfin là une organisation qui permettait un usage calme et régulé.

14C’est à partir de ce moment que se sont clairement manifestées les difficultés des enfants pour faire autre chose que taper une adresse de jeu recopiée dans un magazine. Leurs seuls tâtonnements intuitifs ne leur suffisaient pas pour comprendre l’ampleur des possibilités, ni même pour trouver d’autres sites équivalents.

3. Le contenu de la formation

15Nous avons donc mis en route les séances d’initiation. C’est d’abord un stagiaire d’IUT Métiers du livre, passionné d’informatique, qui les a prises en charge. Nous avons ensemble construit le projet et son contenu. Après son départ, des bibliothécaires motivées et formées par le stagiaire ont pris le relais et continuent depuis, en se formant mutuellement pour suivre les évolutions de l’équipe.

16Les rendez-vous sont proposés le mercredi après-midi et le samedi matin. On peut s’inscrire dans la salle ou par téléphone. Nous précisons à ce moment qu’il faut être ponctuel car les places sont très demandées et nous prenons un numéro de téléphone pour pouvoir prévenir d’une éventuelle coupure du réseau. La séance dure une heure. L’enfant doit savoir lire (donc avoir environ 7 ans minimum).

3.1. Les outils

17Étant donné les difficultés décrites plus haut, il nous a fallu d’abord assurer le bon fonctionnement de la station. Les premières explications - montrer les icônes, les boutons, les ascenseurs, etc. - permettent à la fois d’expliquer au jeune usager les manœuvres de base, ce qu’il ne doit pas faire et ce qu’il peut faire. Il faut bien sûr que l’enfant ait bien en main le clavier et la souris. Dans cette première approche, le formateur montre aussi à l’enfant comment revenir à l’écran de départ et ce qu’il devra faire pour terminer sa session afin de laisser au suivant un poste prêt à fonctionner.

18En même temps, le fonctionnement du système Internet est expliqué pour faire comprendre que ce n’est pas magique, qu’il y a des heures très encombrées et que parfois le réseau est bloqué, que certains sites fonctionnent mal. On montre aussi ce que représentent le sablier et autres témoins du travail de l’ordinateur. Cet aspect technique permet de ne plus avoir de blocage grave par la suite.

3.2. La recherche

19Cette partie de l’initiation est plus complexe, car il est nécessaire de s’adapter à des capacités de compréhension inégales. Le formateur doit tenir compte aussi de la capacité de lecture de l’enfant et du fait qu’il doit prendre le temps de le lire un écran en entier. Le travail ne sera pas le même avec un enfant de sept ans ou avec un enfant de treize ans.

20Nous montrons d’abord les entrées faciles, la zone adresse, le sens des « mains », les liens. Chaque fonction est essayée, les exemples étant choisis selon l’âge de l’enfant. Plusieurs adresses sont ouvertes, ce qui permet de vérifier la présence du sablier, etc. Les zones actives sont testées, les liens proposés sont activés pour montrer leurs contenus, ce qu’est le « surf » et comment on se laisse emporter loin de sa recherche initiale.

21Nous présentons ensuite les outils de recherche. Les exemples sont choisis en fonction de l’âge de l’enfant et permettent de tester les moteurs par mots clés ou par sujets, d’expliquer que le résultat n’est pas le même d’un mode à l’autre, de montrer que le trop simple amène du bruit et, enfin, qu’on trouve tout dans l’Internet, des jeux bien sûr, mais aussi des informations utiles pour le travail scolaire, des aides aux devoirs, des forums d’échange, tout… à condition de le chercher.

22Le formateur explique au passage que l’on peut aussi envoyer du courrier, que certains sites sont payants, d’autres uniquement publicitaires, que d’autres nécessitent un enregistrement sur le disque dur, ce qui n’est pas possible à la bibliothèque, que l’on peut enfin imprimer des pages, à condition de les choisir…

4. Un formateur attentif

23Les formateurs peuvent être des bibliothécaires - assistants, assistants qualifiés, agents qualifiés - ou, depuis quelques mois, également des « emploi-jeunes »- médiateurs du patrimoine ou « internautes ». Ce n’est donc pas toujours la même personne qui assure la formation, ce qui évite de se lasser tout en permettant de se revivifier. Le public peut ainsi reconnaître chacun des membres de l’équipe comme aide éventuel, plutôt que de n’avoir qu’un seul référent.

24Dans tous les cas, le formateur doit être aguerri à l’usage d’Internet, être convaincu de l’intérêt de l’outil et de son rôle vis-à-vis de l’enfant. Il doit être capable d’adapter ses connaissances à l’âge de son public, d’accepter sa lenteur, sa méconnaissance du clavier, son besoin de lire tout ce qui est écrit même si cela ne sert à rien, bref, il doit être pédagogue. Par l’habitude qu’il a d’assurer ces séances d’initiation, le formateur apprend à perfectionner ses réponses et ses démonstrations selon l’enfant qu’il accompagne.

5. Un public demandeur

25Jusqu’à 9-10 ans, les enfants sont généralement inscrits par leurs parents. Ceux-ci apprécient d’ailleurs beaucoup d’assister à l’initiation (au formateur de ne pas se laisser piéger par les questions des adultes). À partir de 10 ans, l’enfant demande lui-même son rendez-vous.

26Ceux qui ont été inscrits par les parents reviennent rarement, la découverte leur suffit. Sans doute n’étaient-ils pas vraiment demandeurs. Par contre, les plus grands s’inscrivent à l’initiation pour pouvoir utiliser régulièrement la station. Ils ont ensuite encore besoin d’être un peu guidés, puis l’autonomie vient vite. Les plus grands (13-15 ans) n’apprécient guère l’obligation qui leur est faite d’une initiation, sous prétexte qu’ils connaissent déjà Internet ; cependant, une fois les raisons de cette règle expliquées, non seulement ils s’y plient volontiers, mais ils apprécient d’en savoir plus !

27Toutes les séances d’initiation ont trouvé preneur, et les rendez-vous s’étalent sur trois semaines. Nous avons déjà formé environ 350 enfants, sans doute même un peu plus car il nous arrive de répondre à la demande, lorsqu’il y a peu de public et que l’un d’entre nous est disponible. La présence de !’« internaute » a d’ailleurs permis depuis quelque temps d’être plus disponible pour une initiation, à condition bien sûr que la station soit libre. Une fois l’initiation faite, nous enregistrons le nom de l’enfant afin de pouvoir l’autoriser ensuite à un usage autonome.

28En conclusion, un outil performant, un public demandeur, des formateurs attentifs, un accompagnement possible nous permettent d’assurer un service de qualité, qui rend les enfants autonomes tout en garantissant un fonctionnement matériel sûr et régulier. Nos jeunes lecteurs apprennent ainsi à utiliser la nouvelle documentation de la bibliothèque.

29Il nous faut pourtant aller plus loin. Pour conforter les enfants dans leur pratique de la recherche, nous préparons un « carnet de route » pour qu’ils progressent dans leur démarche en vérifiant la pertinence de leurs actions.

30Former fait faire des progrès, puisqu’il est nécessaire pour cela de bien comprendre ce que l’on fait et pourquoi, et imaginer comment améliorer encore ces formations nous pousse à nous améliorer nous-mêmes.