B. Le document numérique en bibliothèque universitaire : vers un nouvel équilibre
p. 37-46
Texte intégral
1Depuis l’apparition du numérique en bibliothèque – bien avant les cédéroms et le réseau Internet, avec par exemple l’interrogation de serveurs de bases de données en ligne et la constitution de catalogues informatisés – la situation commence à se décanter, et l’on distingue mieux ce qui relève d’une amélioration des services rendus (rapidité de réponse, importance du champ documentaire couvert, etc.) de ce qui introduit une véritable révolution dans l’accès à l’information en bref, l’hypertexte.
2Du point de vue bibliothéconomique, il y a donc lieu d’orienter toute réflexion sur le numérique selon deux axes :
3– la nature du document : l’ISO définit le document comme l’ensemble d’un support d’information et des données enregistrées sur celui-ci sous une forme en général permanente et lisible par l’homme ou par une machine. Qu’en est-il alors d’un fichier circulant sur le réseau Internet ? Constitue-t-il un document, dans la mesure où il peut être modifié et ne présente donc pas de caractère de véracité absolue ? La presse électronique est-elle un document ?
4L’université Laval compte comme « documents électroniques » parmi d’autres : un site Web, une ressource Internet, un message, une liste de diffusion, un fichier, un périodique sur cédérom ou sur Internet, un article idem, une base de données... et donne pour chacun la façon de les citer en référence1.
5– l’accès à l’information : séquentiel, ce qui ne représente pas de rupture fondamentale par rapport à ce que nous connaissions déjà ; ou discontinu, passant d’un lien à un autre.
6Selon le cas, les enjeux professionnels seront mineurs ou vitaux, allant de l’adaptation technique et pratique à des supports nouveaux jusqu’à la remise en cause de la nécessité et de l’identité même de la bibliothèque.
1. Le document numérique : un document parmi d’autres
7En tant que support matériel identifié, le document numérique relève de la même réflexion qu’un autre.
• En matière d’acquisition
8Le choix est fonction de la politique documentaire de l’établissement (disciplines couvertes, publics à desservir, qualité du contenu, place dans un plan de développement des collections), tempérée par l’économie. On aura donc à se préoccuper, en cas d’existence de plusieurs supports possibles, du meilleur rapport qualité-prix, défini par : l’exhaustivité, la facilité de consultation (mode d’emploi du document, mais aussi conditions matérielles requises pour sa consultation), fraîcheur de l’information et périodicité de mise à jour, etc. Par exemple, les enseignants-chercheurs en sciences souhaitent souvent combiner revues de sommaires (Current contents sur disquette), bases de données bibliographiques (cédérom PASCAL) et abonnement à des bases en ligne pour les dernières mises à jour.
• En matière de traitement documentaire
9Un périodique sur cédérom est d’abord un périodique, et l’Encyclopaedia Universalis sur cédérom est avant tout une encyclopédie. Ils relèvent donc de la même problématique que leurs « homologues papier » pour l’indexation et la cotation, même si leur catalogage peut obéir à des normes spécifiques, comme c’est le cas pour n’importe quel type de document.
• En matière de consultation
10Comme pour les autres documents, il faut déterminer lesquels on souhaite (choix bibliothéconomique) et on peut (conditions juridiques) prêter, lesquels on veut mettre en accès libre, en accès indirect ou en accès semi-direct.
• En matière de formation et de recherche documentaire
11On a affaire à des collections connues, délimitées, homogènes, qu’on peut donc maîtriser peu à peu, au sens plein du terme : une recherche bien conduite donne un résultat fiable. Le problème est, comme dans toute recherche bibliographique, de choisir la bonne stratégie et la meilleure tactique : par exemple, dans une université nouvelle où les chercheurs sont peu nombreux et où il y a surtout des étudiants de premier cycle, il peut être judicieux de consulter le Minitel plutôt que d’acheter un cédérom ou de s’abonner à un serveur.
12Au cours des séances de formation, il est important de traiter les contenus en même temps que les supports pour permettre une comparaison entre les uns et les autres (par exemple, entre une encyclopédie sur cédérom et sa version papier).
• En matière d’organisation de l’espace
13On peut choisir une distinction par « niveau » de public concerné (1er cycle, 2ème cycle, 3ème cycle, recherche) ou un regroupement par discipline dans une optique résolument « multimédia », le choix étant lui aussi tempéré par les contraintes matérielles (possibilités de branchements, nombre de micro-ordinateurs et d’imprimantes, contrôle des impressions ou déchargements de données, facilité d’intervention du personnel en cas de problème), par le souci de la sûreté des collections et des équipements (risques de vols, de dégradations, de virus), et par les ressources humaines existantes, à gérer de façon optimale en fonction de leur nombre et de leurs compétences. Mais là encore, même s’il n’est pas toujours explicitement posé, le problème est le même pour la mise en service de tout type de document.
14En résumé, ce que le document numérique apporte – et c’est loin d’être négligeable, surtout pour une bibliothèque récente et de petite taille, pourvu qu’elle dispose de l’équipement matériel nécessaire – c’est la possibilité :
d’offrir avec un encombrement réduit des collections importantes qui peuvent en outre remonter dans le temps (années antérieures de périodiques sur cédérom) ;
de faciliter le travail interne (récupération de notices dans des réservoirs bibliographiques sur cédérom ou en ligne apportant à la fois, du moins en théorie, une économie de temps et une garantie de qualité) ;
de rendre un service plus performant par des accès rapides et conviviaux à l’information ;
d’élargir l’accès du public aux bases de données, puisque l’accès aux cédéroms n’est pas limité dans le temps par des considérations financières, contrairement aux interrogations en ligne.
15Cela ne va pas sans difficultés et questionnements parfois :
comment gérer les conditions d’accès aux postes de consultation ? (rendez-vous, temps limité... pour éviter les files d’attente) ;
le gain de place occasionné par le volume moindre des documents n’est-il pas minimisé par la place requise pour les appareils de lecture ?
comment faire comprendre la différence entre le catalogue de la bibliothèque où l’on se trouve et une base de données bibliographiques distantes ? (de nombreux lecteurs veulent immédiatement l’article de périodique dont ils ont trouvé la référence) ;
peut-on amortir le coût des documents ? C’est possible pour l’accès aux serveurs en ligne, en fonction du temps de connexion et des références obtenues, mais il est exclu de faire payer autre chose que le coût du papier ou d’une disquette dans le cas des bases de données sur cédérom ou disquette. On peut par contre envisager de partager le coût de certains abonnements, ou d’une mise en réseau, avec d’autres partenaires intéressés, comme les laboratoires de recherche ;
qu’a-t-on payé quand on prend un abonnement sur cédérom, puisqu’il faut souvent renvoyer un disque à mesure qu’on reçoit le suivant, et qu’on ne garde rien quand on arrête l’abonnement ?
quel équilibre faut-il donc entre forme papier et forme numérique, si l’on veut que la bibliothèque rende le meilleur service possible ?
16Mais la plus grande partie des problèmes ou des incertitudes naît avec les deux notions, beaucoup plus récentes, de réseau et d’hypertexte, qui peuvent toutefois représenter un atout pour les bibliothèques si elles sont bien équipées et surtout si le personnel s’investit dans les nouveaux médias.
2. La documentation numérique : quel enjeu pour les bibliothèques universitaires ?
17Dans le flot d’informations qui circulent sur le réseau Internet, allons-nous surfer, plonger, couler... ou naviguer ? Quels seront nos amers ?
2.1. L’espace documentaire : crise de lisibilité ?
18Déjà, aucune bibliothèque n’est plus depuis longtemps LE lieu de l’information, mais le lieu de l’ACCES à l’information. Aujourd’hui, il y a délocalisation, non seulement du contenu de l’information (distante) mais des circuits (aléatoires) qu’elle emprunte et même des supports matériels qui la stockent : serveurs, cédéroms... sont souvent installés et gérés hors des espaces publics, voire de la bibliothèque.
19La bibliothèque en tant que lieu de passage obligé, que CENTRE de documentation, peut donc paraître inutile si les utilisateurs disposent dans leur bureau ou à domicile des connexions nécessaires. Cependant, au moins à titre provisoire, tant que l’ensemble de la production éditoriale ne sera pas numérisé, le réseau peut au contraire représenter un atout : les sections distantes d’une bibliothèque universitaire, les bibliothèques d’antennes délocalisées d’universités, peuvent désormais utiliser et offrir les mêmes services que la « Centrale », du moins pour l’accès aux cédéroms publics et professionnels (bases de données bibliographiques ou plein texte), l’emprunt par le réseau du prêt entre bibliothèques, etc. Il peut donc y avoir, non pas dilution, mais recomposition, rééquilibrage, de l’espace documentaire.
2.2. Le service de documentation : crise d’identité ?
20Les bibliothèques étant souvent les premiers sites publics de l’université équipés de micro-ordinateurs et connectés au réseau, on peut être tenté de leur assigner des tâches nouvelles et d’en faire par exemple :
des points d’autoformation utilisant les nouvelles technologies éducatives
des points d’accès à l’information produite par l’université (Intranet).
21Inversement, il peut y avoir « concurrence » entre la bibliothèque universitaire et d’autres services (salles informatiques, salles audiovisuelles).
22Il faut donc s’interroger sur les missions de la bibliothèque, et sans doute ne pas hésiter à prendre en charge ce qui relève de la documentation et de l’information. En effet cela peut être une occasion de reconnaissance par l’établissement et de meilleure intégration. On peut par exemple envisager de numériser la documentation produite dans l’université (sujets d’examens, mémoires de maîtrise, rapports de stage...) de façon à en faciliter la diffusion et la communication. Dans le même ordre d’idées, participer à l’élaboration du serveur Web de l’établissement est un bon moyen de faire connaître le service commun de documentation aux universitaires eux-mêmes, qui en plus sont facilement sensibles à l’intérêt de mettre le catalogue de la bibliothèque universitaire sur le réseau.
2.3. Travail et métier
• L’importance croissante de la formation des utilisateurs
23Elle était déjà indispensable avant l’introduction de la documentation numérique en bibliothèque, et pourrait même sembler moins nécessaire et moins difficile aujourd’hui, tant les serveurs sont « autodocumentés » (il suffit de voir combien de cours sur l’utilisation d’Internet existent sur Internet même) et tant l’hypertexte permet de circuler facilement dans la masse des informations disponibles.
24Mais le rôle des professionnels est justement de faire percevoir les limites du « surf », et d’attirer l’attention sur les problèmes d’exhaustivité, de pertinence, de fiabilité, propres à la « Toile ».
25Les séances de formation sont donc particulièrement importantes et bénéficient de plusieurs atouts :
l’effet de mode : tout le monde est demandeur ;
la nouveauté : personne ne se sent coupable de reconnaître son ignorance, pas même les universitaires ;
la convivialité : on peut facilement, au moins au stade de l’initiation, réunir des publics de niveaux et de disciplines différents et jouer sur l’attrait du multimédia.
• Les conséquences professionnelles
a) la compétence
26L’utilisateur pourrait facilement penser qu’il peut se passer du bibliothécaire. Pour que le recours au professionnel apparaisse comme une nécessité, celui-ci doit faire la preuve de sa compétence, non pas tant en termes de contenus – c’est particulièrement risqué en milieu universitaire et l’enjeu essentiel n’est pas là – qu’en termes de médiation. D’où l’importance croissante, en plus des connaissances professionnelles, des qualités relationnelles (écoute, disponibilité) et pédagogiques. Or, jusqu’à présent, cet aspect n’est quasiment pas pris en compte dans la formation initiale.
27Quant aux compétences en informatique, s’il en faut un minimum pour résoudre rapidement les problèmes techniques les plus fréquents, il paraît plus judicieux de recourir surtout à celles des informaticiens de l’université. Ils s’impliquent d’autant plus qu’ils sentent une réelle motivation chez le personnel de la bibliothèque. Or, heureusement, celle-ci est elle-même de plus en plus facile à obtenir grâce à la convivialité croissante des logiciels.
b) l’organisation du travail
28Deux difficultés peuvent se présenter :
division croissante du travail entre tâches strictement matérielles et tâches exigeant la maîtrise des outils, des méthodes et des contenus, ces dernières devenant de plus en plus nombreuses et nécessaires, mais aussi de plus en plus complexes (avec le problème supplémentaire de la maîtrise de l’anglais) ;
fonctionnement quotidien : autant la circulation de l’information est améliorée par la possibilité pour tous d’accéder à la messagerie, aux listes de diffusion, aux bases de données professionnelles (catalogues d’éditeurs, de bibliothèques...), autant il y a de possibilités de « courts-circuits ». Un certain nombre de règles de fonctionnement doivent donc être mises en place pour éviter une dispersion des responsabilités.
• O temps, suspends ton vol !
29L’aspect le plus frustrant de la documentation numérique est le sentiment qu’on n’arrivera jamais à être « à jour ». C’était sans doute déjà vrai auparavant, mais moins sensible ; aujourd’hui, il suffit d’être abonné à quelques listes de diffusion et de vouloir consulter quelques sites pour se rendre compte de la vanité de la tâche, sans oublier les remarques des collègues, des enseignants ou des étudiants qui ont toujours « trouvé » quelque chose qu’on n’a soi-même pas vu. C’est souvent très enrichissant, mais parfois stressant car il y a de plus en plus de porosité entre les secteurs classiques de compétences, et qu’on se sent en même temps de plus en plus soumis à une obligation de résultats, pas seulement de moyens.
3. Nouveaux publics, nouveaux partenaires
30La documentation numérique peut être l’occasion de gagner de nouveaux publics :
dans l’université : l’intérêt de l’accès à des données distantes, sans déplacement et sans manipulations complexes, les avantages offerts par la numérisation et les logiciels de reconnaissance de caractères, sont évidemment manifestes pour les utilisateurs handicapés. Le personnel non enseignant peut être intéressé par toute la documentation, par exemple de type administratif, disponible sur cédérom ou en ligne.
à l’extérieur : certaines bases de données coûteuses, juridiques, industrielles, commerciales, s’adressent à un large public débordant le cadre strict de l’université.
31Une large concertation est donc souhaitable entre les acteurs locaux (bibliothèques universitaires, bibliothèques de lecture publique, bibliothèques et centres de documentation spécialisés) sur la répartition des acquisitions en fonction des missions et des moyens des uns et des autres : il peut se créer, bien au-delà de la réalisation de catalogues collectifs, un véritable partenariat, une mutualisation des moyens et des compétences, qui laisse à chacun sa spécificité (nature du fonds documentaire, modalités de fonctionnement) mais permette à tous les publics d’accéder, sur place ou à distance, à toute la documentation numérique disponible localement.
Notes de bas de page
Auteur
Bibliothèque de l’université de Bretagne-Sud
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