1Organiser l’offre multi-média en médiathèque, c’est vouloir imposer un cadre global à une offre traditionnellement fragmentée. Il faut envisager cette option sur la totalité de l’équipement et se servir des expériences limitées réalisées ici où là. La mise en oeuvre matérielle ne peut se faire sans réflexion préalable et sans volonté clairement affirmée de faire tomber les frontières que patiemment la profession a dressées.

1. Un peu d’histoire

2Michel Bouvy écrivait il y a une dizaine d’années que le faible développement des discothèques venait du manque de clairvoyance et d’intérêt de beaucoup de bibliothécaires pour la musique. Aujourd’hui on pourrait le paraphraser en disant que beaucoup de médiathèques ne sont pas des médiathèques dans la mesure où la référence au livre est restée le pivot central d’une organisation physique et intellectuelle de l’équipement dans laquelle, comme le constate Michel Sineux, "la lecture publique a vécu sur un schéma trinitaire : bibliothèque (des adultes) - discothèque - section jeunesse... Juxtaposées plutôt qu’organiquement imbriquées, ces trois sections ont souvent bénéficié d’une autonomie relative". Cette organisation avait pour résultat de correspondre à des publics bien définis et non multiples. Profitant souvent des limites physiques propres à l’équipement, chaque section définissait des politiques d’acquisition, de classement, d’objectifs qui pouvaient n’avoir aucun lien entre elles.

3Pour caricaturer, on pouvait rencontrer une section adulte travaillant surtout au développement d’un fonds d’étude, une section jeunesse cherchant à attirer les couches les plus défavorisées et une discothèque attirant les mélomanes avertis. Les résultats étaient connus d’avance.

2. Rassembler plutôt que diviser

4Organiser l’offre multi-média c’est prendre le parti de rassembler. Rassembler les collections, les mélanger, casser les frontières entre un guide de voyage sur l’Inde, une vidéo sur ce pays (accessible au prêt), et la musique traditionnelle de l’Inde. Cela ne peut se faire qu’en décidant de les rassembler à l’intérieur d’un cadre de classement unique pour tous les documents, quel que soit le support physique de ce document. Organiser le classement multi-média, c’est introduire l’idée que la médiathèque n’est pas un regroupement de services mais une conception globale des services offerts à des publics.

2.1. Adaptation de l’environnement

5Ce qui pouvait être difficile il y a quelques années est rendu plus facile aujourd’hui avec l’évolution des mobiliers et des équipements. Les structures des bâtiments permettent de concevoir des espaces sans divisions, permettant des passages d’un lieu à un autre sans contraintes, naturellement. Les mobiliers favorisent aussi l’intégration des différents types de supports dans un même linéaire. Enfin, l’outil informatique, par sa capacité d’adaptation, sa puissance, va favoriser cette intégration des supports et assurer la cohérence du fonds documentaire.

2.2. Adapter le cadre de classement

6Le classement multi-média s’appuie sur un cadre de classement unique qui n’est pas dans les habitudes acquises. Il faut accepter l’idée que la médiathèque n’est pas faite pour le plaisir du personnel qui y travaille, mais pour rendre service au public. L’offre multi-média, en cassant les distinctions, les hiérarchies entre supports, s’adresse à des publics différents et complexes dans leurs attentes, leurs besoins. Le cadre de classement choisi doit apporter aux utilisateurs le maximum de confort ce qui n’est pas évident. Les tentatives d’utiliser d’autres cadres que la classification Dewey sont dignes d’intérêt mais trop isolées encore pour faire école. La classification Dewey bénéficie aujourd’hui d’une présence affirmée dans les bibliothèques. Et si ce cadre de classement n’est pas aussi accessible que pourraient le souhaiter les utilisateurs, le développement des équipements, la fidélisation d’un public sur l’ensemble du territoire tend à la rendre compréhensible.

7Qui dans un équipement n’a pas rencontré ce nouvel habitant venant s’inscrire à la bibliothèque après avoir sacrifié dans sa démarche à l’EDf-GDf, à France Télécom ? Ayant, bon gré mal gré, appris à s’orienter dans la bibliothèque de son précédent domicile, celui-ci n’est pas surpris par la classification Dewey qui lui sert alors de moyen d’orientation d’une bibliothèque à l’autre.

2.2.1. Privilégier l’usage sur le contenu

8C’est dans l’organisation de cette classification, dans les modifications propres aux multi-médias que s’affirmera la différence. La démarche qui prévaut est celle qui favorise l’offre multi-média c’est à dire une réflexion qui, par rapport au document, en privilégie la destination, l’utilisation plutôt que le contenu. Cette démarche permet en parallèle de disperser les documents d’un même type. Une réduction du nombre d’indices Dewey utilisés favorise le regroupement de tous ce types de documents. A contrario, il faut éviter, un trop grand nombre de documents sur un même indice. Dans ce cas c’est le contraire de ce qui était recherché qui est obtenu : trop général l’indice ne permet plus une approche sélective, (voir annexe à ce chapitre)

3. Réorganiser le fonctionnement interne et collectif, adapter l’offre

9Il faut aussi retenir que le classement multi-média offre des avantages dans le fonctionnement de l’équipement. Le premier en permettant de casser les frontières entre les différentes sections pose le problème du fonctionnement sur une base de polyvalence des personnels qui doivent travailler sur un secteur qui n’est pas lié au support. Cela ne veut pas dire que les spécificités bibliothéconomiques de chaque support sont minimisées mais qu’elles ne peuvent servir à délimiter un territoire.

3.1. Le syndrome de la grenouille...

10Avantage important quand à la stratégie d’offre effectuée vis à vis des utilisateurs, l’organisation du classement multi-média, en même temps qu’elle disperse les différents supports, permet de ne pas faire apparaître la faiblesse de tel ou tel type de support. Car il ne faut pas oublier que la présence d’un nouveau type de document : C-D, vidéo, logiciel, à pour conséquence de drainer de nouveaux publics. Bien souvent le fonds constitué au départ est faible numériquement et d’autant plus sensible à la demande. C’est là que le classement multi-média permet de répondre à celle-ci, même précise, sans montrer la faiblesse des collections. Ainsi ce jugement négatif souvent fait sur les collections présentées par support : "vous n’avez rien I", ce qui bien souvent est vrai dans les jours ou les semaines suivant l’ouverture ou la création d’un fonds. La dissolution des supports dans le cadre du classement multi-média, a donc comme avantage de ne pas faire apparaître de manière trop ostensible la relative faiblesse de certains types de documents par rapport à l’ensemble proposé.

11Ce premier contact d’un public avec une offre liée à un nouveau support est d’une importance stratégique. Si le niveau, la quantité des collections sont liés à des problèmes bien souvent budgétaires, il est vital de bien canaliser la demande de nouveaux publics. Il faut éviter que les utilisateurs en arrivent à emprunter un document non pour ce qu’il couvre d’un point de vue documentaire, mais pour ce qu’il représente en terme de support physique. C’est souvent le cas dans l’organisation classique qui s’appuie sur des collections spécialisées ou l’emprunteur ne trouvant pas ce qu’il souhaitait en arrive à emprunter par dépit un document qui ne l’intéresse pas pour justifier sa venue. Ce type de comportement, en se cumulant lors de l’ouverture d’une vidéothèque de prêt ou d’une discothèque avec une relative faiblesse des collections, a deux conséquences néfastes qui se cumulent elles-mêmes dans le temps : des rayonnages vides, puis une désaffection des publics. Sans doute objectera-t-on que ces sections connaissent un véritable succès auprès des utilisateurs cultivés ou initiés, mais les publics absents ne doivent-ils pas être des cibles prioritaires ?

3.2. Améliorer le service public

12Comme nous avons essayé de le démontrer, le classement multimédia peut avoir des avantages. Il n’en demande pas moins une conception du service public qui ne soit pas figée, qui considère que le service rendu doit être organisé sur la base de la complémentarité des supports. Il nécessite une organisation de l’équipe axée sur une communication accrue, la disparition des spécialités en tant que moyen de pouvoir, une polyvalence du personnel tant dans le travail interne que dans l’accueil et le service.

13A ces avantages, il faut ajouter la possibilité de travailler budgétairement soit sur l’indice recherché soit sur le type de support. Cette plasticité permet une meilleure utilisation des budgets d’acquisition.

14Rançon du succès ou de l’offre, il faut noter qu’après un temps d’adaptation des utilisateurs à ce que la médiathèque leur offre, les supports les moins prisés (souvent l’imprimé) sont entraînés dans la dynamique du prêt. La possibilité d’emprunter sur un sujet des vidéos ou des C-D ou des K-7 a un effet de contagion vers les supports imprimés. Le fonds imprimé se trouve propulsé dans une rotation qui ne lui est pas habituelle et plus proche de celle des supports modernes.

15Si le souci de service public, de satisfaction de la demande, transparaît du classement multi-média, on peut légitimement se poser la question de son adaptation à tous types d’équipements. La taille, les publics, le personnel, les locaux et le budget sont des paramètres à prendre en considération. Si dans l’expérience qui est décrite dans la fiche programme, les conditions techniques et financières sont apparemment satisfaisantes, si l’on peut considérer qu’il est plus facile d’exporter ce modèle vers des équipements plus petits, il faut noter que des expériences dans des villes plus importantes, avec des collections plus conséquentes, sont en cours sans problèmes particuliers.