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Faire vivre l’action culturelle et artistique en bibliothèque

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Colin Sidre

Partie 1. Définir l’EAC et en construire les fondations

Éducation artistique et culturelle et territoire : témoignage de la Communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise :

un entretien avec l’équipe de la Direction Culture de la Communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise

Volltext

Échanger avec la direction Culture de la Communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, située dans le département des Yvelines, est l’occasion de nous intéresser au rôle que peut tenir l’éducation artistique et culturelle dans les territoires. Créée au 1er janvier 2016, issue de la fusion de six EPCI, la Communauté urbaine regroupe 73 communes et plus de 400 000 habitants.

Le contrat local d’éducation artistique (CLEA), dispositif d'éducation artistique et culturelle, existe depuis 2013 et s’est déployé progressivement à plusieurs échelles, de deux communes à ses débuts à la quasi-totalité de la Communauté urbaine aujourd’hui. Dans sa forme actuelle, le CLEA est signé pour la période 2016-2019 ; porté par la Communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise, il associe la DRAC d’Île-de-France (DRAC), l’Académie de Versailles (Direction des services départementaux de l’Éducation nationale [DSDEN] des Yvelines et Délégation académique à l'action culturelle [DAAC]), et la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS).

Son déploiement à grande échelle et son antériorité, qui nous permettent de profiter d’un certain recul, sont l’occasion de poser deux problématiques. Comment l’éducation artistique et culturelle, via le CLEA, contribue-t-elle à donner une cohésion au territoire de la Communauté urbaine ? Quelle place pour les structures de lecture publique dans la coordination d’un projet d’EAC transversal ?

Colin Sidre

Q : Quels sont les enjeux du CLEA, notamment en termes d’éducation artistique et culturelle et de démocratisation culturelle ? Comment ces enjeux se déclinent-ils sur le territoire de la Communauté urbaine ?

R : La Communauté urbaine souhaite développer une dynamique d’innovation, d’aménagement et d’attractivité. Elle présente la culture comme ayant la capacité de tisser des relations et d’animer le dialogue entre les différentes politiques publiques et les partenaires, pour s’entendre sur un intérêt commun : faire de ce territoire un territoire innovant en matière de culture. À ce titre, la stratégie culturelle développée en 2016 pour la Communauté urbaine met en avant l’EAC comme étant indispensable à l’accès à la culture pour tous et à l’égalité des chances.

Les objectifs du CLEA sur le territoire de la Communauté urbaine sont multiples :

  • faciliter l’accès de tous aux œuvres et aux ressources artistiques et culturelles de son territoire, via notamment l’innovation permanente en matière de facilitation d’accès aux œuvres et aux ressources artistiques ;
  • inscrire le CLEA dans une dynamique qui soit collective et durable. En effet, un CLEA s’appuie sur une dynamique de réseaux, entre les structures culturelles et les acteurs institutionnels du territoire mais également en direction de chaque habitant du territoire ;
  • contribuer à une présence artistique forte sur le territoire. Chaque année, sur une thématique qui se renouvelle, des résidences-mission sont organisées sur le territoire d’une durée de 4 mois modulables (16 semaines d’intervention), alliant les partenaires culturels, sociaux et éducatifs. Ces résidences reposent sur une co-construction entre les artistes retenus et les partenaires impliqués dans le projet, et sont structurantes pour le CLEA.

Tout en répondant à ces enjeux, le CLEA a d’autres effets sur le territoire :

  • créer des passerelles entre tous les établissements culturels du territoire, les acteurs culturels et les publics. S’adressant en priorité aux enfants et aux jeunes, le CLEA touche par extension tous les publics via les structures impliquées : établissements culturels, accueils de loisirs, espaces de quartiers, établissements scolaires de l’école au lycée, temps d’activités périscolaires, associations, pôle linguistique, etc. ;
  • encourager de nouveaux usages et pratiques pour les habitants, par l’appropriation des domaines artistiques, en mettant par exemple à disposition des publics des malles ressources autour de différents domaines artistiques (livre, album, CD, films, documentaires, etc.) ;
  • contribuer à la construction de l’identité du territoire de la Communauté urbaine. En effet, la Communauté urbaine étant issue de la fusion de six EPCI, la constitution de territoire, composé de multiples spécificités, économiques, sociales, culturelles, démographiques, paysagères est un véritable enjeu identitaire. Par ailleurs, le Conseil départemental est engagé par un contrat d’objectifs avec la Communauté urbaine qui décline un axe portant sur l’EAC. Ainsi, en 2018-2019, la Communauté urbaine accueille trois collectifs d’artistes qui travailleront sur la thématique des jardins et un collectif qui travaillera sur la mémoire du projet par le biais de la vidéo. Cette quatrième résidence fait le lien avec les trois autres, et témoignera du travail accompli sur le territoire.

Q : Qui pilote le CLEA ? Qui en sont les différents partenaires et comment sont-ils associés au dispositif ? Quel rôle y tient le réseau de lecture publique ?

R : Le CLEA est piloté par la Communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise et la DRAC Île-de-France, porteur du dispositif. Il implique des partenaires institutionnels mais aussi des partenaires opérationnels.

  • 1 Les partenaires institutionnels sont l’État (DRAC, Académie de Versailles, Direction départementale (...)

Les partenaires institutionnels1 sont impliqués dans le pilotage du dispositif. Ils participent à un comité de suivi stratégique qui permet de sélectionner les artistes, de dresser un bilan à mi-parcours et un bilan final.

Les partenaires opérationnels qui s’inscrivent dans le projet en participant aux résidences-mission et qui mettent en lien les publics et les artistes peuvent être multiples : établissements scolaires (premier et second degré), structures de loisirs, associations, pôle linguistique, centre communal d’action sociale (CCAS), établissements culturels dont les bibliothèques… Ils co-construisent avec les artistes et les coordinateurs la résidence qui va être menée, via des temps d’échanges réguliers. Une coordination générale du dispositif est mise en place au sein de la Direction de la culture de la Communauté urbaine. Un chef de projet pilote l’ensemble de l’organisation générale, administrative et financière et fait le lien avec des coordinateurs de terrain présents sur le territoire.

D’autres partenaires du territoire de la Communauté urbaine sont concernés par la mise en œuvre du CLEA en faisant le lien entre les différents acteurs du projet :

  • les services culturels, jeunesse et sport et citoyenneté des villes ;
  • les équipements culturels de la communauté urbaine dont les équipements de lecture publique du territoire ;
  • les 11 circonscriptions scolaires.

Les partenaires du territoire sont impliqués dans l’accueil et la communication du dispositif auprès des publics.

  • 2 Le contrat unique est un ensemble d’actions qui répond aux problématiques de la politique de la vil (...)

Le CLEA peut par ailleurs s'appuyer sur la mise en place de dispositifs structurants, avec lesquels les acteurs culturels du territoire développent des liens : ainsi les projets éducatifs de territoires (PEDT) dans le cadre de l’aménagement des rythmes scolaires, les plans locaux de réussite éducative, le contrat unique2, les classes à horaires aménagés danse (CHAD) ou les classes à horaires aménagés musique (CHAM), les projets artistiques et culturels en territoire éducatif (PACTE) ou encore les résidences territoriales d’artistes en milieu scolaire.

La Communauté urbaine compte 47 bibliothèques sur son territoire. Dans cet ensemble, la médiathèque est un lieu de ressources et d’accueil des résidences-mission : certains bibliothécaires voient également leur mission évoluer, endossent le rôle de coordinateurs de terrain et ont pour travail de mettre en lien et de suivre les groupes inscrits à la résidence-mission et les artistes. Cette mission leur permet de développer des réseaux, mais aussi de mettre à disposition des compétences au service d’un projet.

Q : Comment sont organisées vos actions de résidence sur votre territoire ?

R : Le CLEA se formalise par l’organisation de résidences-mission sur le territoire. Compte tenu de l’importance de la Communauté urbaine, celle-ci est découpée par secteurs et plusieurs résidences sont mises en place.

Les résidences-mission de l’année 2016-2017 se sont déployées de l’école maternelle au public adulte. Ce sont des établissements scolaires du premier et second degré, des conservatoires, des associations, un centre pénitencier pour mineurs, des maisons de quartier qui se sont inscrits à travers le projet. Les restitutions finales des résidences se déroulent sur un des lieux culturels du territoire.

Lors de la saison 2016-2017, quatre résidences-mission ont été proposées sur la thématique de la Seine (identité et territoire), chacune autour d'un domaine artistique : danse, musique, théâtre et numérique (image fixe et animée). 31 groupes ont été touchés sur 11 communes du territoire.

Encadré. Quatre résidences artistiques : les projets

La danse : La Compagnie Les Ouvreurs de Possibles

Intitulé du projet : « Entre là – du territoire du dedans au territoire du dehors ».

Objectifs du projet : la compagnie s’est appuyée sur la thématique de la Seine pour développer un projet artistique sur la notion de géographie : géographie des corps, géographie des relations, géographie des territoires ; elle a travaillé sur des allers-retours entre la Seine, colonne vertébrale du territoire reliant symboliquement les populations, et l’exploration du mouvement seul, en duo et en groupe. Les groupes d'enfants et de jeunes ont voyagé de la singularité de chacun à la diversité du groupe, tout en les reliant à ce qui les entoure.

Le théâtre : La Compagnie Des Grands Mâtins

Intitulé du projet : « Où rêve la Seine ».

Objectifs du projet : arpentage du territoire afin de mener avec les habitants jeunes et moins jeunes des ateliers d’écriture/de théâtre/de création sonore. En partageant leur manière de travailler, partir de l’ici et du maintenant (la ville, sa physionomie, ses sonorités, les histoires qui la ponctuent, ainsi que les voix passées et présentes qui la traversent), il s’agissait de produire collectivement des gestes artistiques variés afin de questionner la notion de territoire. La Seine a été le dénominateur commun de cette résidence, en tant que porte d’entrée poétique pour ouvrir les espaces, inventer des zones géographiques encore non-identifiées. L’ensemble des ateliers a donné lieu à une restitution finale sous forme de chœur. En parallèle des ateliers, des interventions dans l’espace public ont été réalisées (écoutes collectives, performances et ateliers impromptus) afin de donner à voir au plus grand nombre la démarche artistique de la compagnie.

La musique : Eric Kun Mogne

Intitulé du projet : « En Seine ! ».

Objectifs du projet : Eric Kun Mogne, guitariste compositeur, a proposé de s’inspirer de la Seine et de la place de chacun sur le territoire de la Communauté Urbaine. La Seine est le flux dans lequel les groupes vont puiser leur inspiration. Le musicien compositeur est parti de l’histoire de chacun et d’anecdotes du quotidien, comme vecteurs d’émotions qui ont été utilisés tout au long des ateliers. Ce travail s'est accompagné de l'apprentissage de groupes d'enfants/de jeunes à l’utilisation des outils de création (pads numériques, sets de percussions, tubes accordés, etc.) de manière naturelle par la voie de la sensibilisation rythmique.

Le numérique (image fixe et animée) : La Colline

Objectifs du projet : mettre en « Seine » le territoire par l’image, le mouvement, les mots et les sons. À partir des projets des 3 autres résidence-mission (théâtre, danse, musiques actuelles), cette résidence a offert aux publics participants un accès varié à la création par l’image pour adapter leurs pratiques artistiques (photographie, vidéo et son) à des démarches très différentes, sur la thématique de la Seine. En croisant leurs approches (du paysage, du mouvement, des territoires habités, etc.) consistant à partager et co-construire des gestes artistiques, en mêlant visages et gestes, corps et sons, textes et musiques, La Colline a proposé à nos groupes une approche « multi-médias » de leur territoire.

Q : Par rapport aux enjeux affichés par le CLEA, qu’est-ce qui en a émergé dans les territoires, quel a été son rôle effectif ?

R : Les années de présence du CLEA sur le territoire de la Communauté urbaine ont permis de développer le réseau de partenaires sur le territoire, mais aussi d’encourager le croisement des publics, de fédérer les acteurs culturels du territoire, d’encourager la pratique et la création artistique, de développer des lieux ressources et des pratiques culturelles. Le CLEA a été un outil important de sensibilisation aux pratiques et usages culturels du territoire pour les habitants, les enfants et les jeunes, qui ont pu devenir des acteurs actifs de la vie culturelle. Ainsi, les groupes participant aux résidences ont découvert les lieux culturels du territoire grâce aux temps de diffusion des artistes en résidences (théâtre, centre culturel, conservatoire, salle de spectacle, médiathèque, etc.).

Les acteurs du territoire ont également été fédérés autour d’un même projet, ce qui leur a permis de travailler en réseau et de mettre au service d’un projet une multitude de compétences et connaissances. Des lieux ressources ont été identifiés (notamment les bibliothèques et médiathèques du territoire) afin de mettre à la disposition du public des malles thématiques.

Les résidences-mission ont touché toutes typologies de publics, du tout-petit au public adulte.

Grâce au déploiement du projet, une grande partie du territoire a été irriguée. La participation de nouveaux coordinateurs issus des équipements culturels du territoire a permis un bon ancrage territorial. Néanmoins, un développement plus important encore du projet est à envisager compte tenu de la taille de la communauté urbaine. La mise en place de coordination sur le terrain est à renforcer afin de rendre plus efficiente la mise en réseau des participants.

Il reste également difficile d’évaluer l’impact du CLEA sur ses participants. En effet, il est aujourd’hui compliqué de mesurer la poursuite des pratiques et usages artistiques impulsés par le dispositif.

Q : Quelles incidences pour la lecture publique et sa place sur le territoire ?

R : Le domaine de la lecture publique connaît aujourd’hui une forte évolution, une véritable dynamique de projets est à mettre en place afin de faire vivre les équipements.

Le CLEA représente un outil permettant la mise en œuvre de cette dynamique.

La lecture publique répond à des enjeux forts liés à la transversalité. En effet, le métier de bibliothécaire évolue : il se positionne comme un véritable médiateur culturel de projets. De même, la lecture publique est interdisciplinaire, permettant d’inscrire en ses murs une multitude de projets (du multimédia à l’écriture, musique, danse, etc.). Ainsi, quelle que soit la thématique de la résidence-mission accueillie, le lieu peut être une ressource et accompagner la résidence.

Le CLEA participe à faire vivre différemment la médiathèque en mettant en lumière l’équipement, qui, par exemple, accueille les restitutions des résidences. Ces actions permettent de mettre en commun l’ensemble des compétences des acteurs du territoire dont le bibliothécaire. Grâce à l’implication de la lecture publique dans un dispositif tel que le CLEA, le rayonnement de l’équipement est favorisé ; le bibliothécaire étend son réseau, lui permettant de développer d’autres partenariats ; la bibliothèque devient une plateforme d’échanges et de dialogues à l’instar d’un tiers-lieu.

La lecture publique est un champ culturel prégnant sur le territoire. En effet, presque toutes les communes transférées à la Communauté urbaine disposent d’un lieu de lecture publique, contribuant à former un réseau extrêmement structurant.

Dans cette dynamique, ce champ culturel contribue au renforcement du maillage territorial. Son inscription au sein du CLEA permet de développer les orientations fixées pour le développement en réseau.

Q : Quelles sont vos perspectives dans les prochaines années ?

R : Le CLEA a été réfléchi sur un mandat et est signé jusqu’en 2020.

La stratégie culturelle développée par la Communauté urbaine a pour objectif de poursuivre le développement culturel, l’animation des réseaux, la mise en place de résidences d’artistes, l’implication sur le territoire des acteurs et de tous les partenaires.

En conséquence, il est certain que la Communauté urbaine poursuivra son engagement autour de l’EAC en structurant son offre en la matière et en développant davantage cette dernière sur le territoire.

Anmerkungen

1 Les partenaires institutionnels sont l’État (DRAC, Académie de Versailles, Direction départementale de la cohésion sociale), et les villes de la Communauté urbaine.

2 Le contrat unique est un ensemble d’actions qui répond aux problématiques de la politique de la ville à savoir celles de la cohésion urbaine et de solidarité envers les quartiers les plus défavorisés. C’est une compétence obligatoire pour la Communauté urbaine GPS & O.

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