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Bibliothèques en utopie

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Nathalie Brémand

Partie 3. Bibliothèques

Chapitre 13. Les crispations de l’opinion autour de la présence d’ouvrages socialistes dans les premières bibliothèques populaires

Agnès Sandras

Testo integrale

  • 1 À propos des bibliothèques populaires. Discours de M. Sainte-Beuve prononcé dans la séance du Sénat (...)
  • 2 Ibid.
  • 3 Aubry-Foucault, « La Bibliothèque d’Oullins », La gazette de France, 25 juin 1868.

1En juin 1867, à la grande surprise de ses collègues, le discret Sainte-Beuve tempête longuement au Sénat. Le critique démolit en règle un rapport trop proche de la pétition examinée qui dénonçait la présence d’ouvrages « dangereux » dans les deux bibliothèques populaires de Saint-Étienne. Il ironise sur le combat d’arrière-garde mené par les conservateurs qui croient pouvoir encore limiter l’appétit de lecture : « Mais est-ce que vous croyez que vous allez tailler au peuple, ses lectures, lui mesurer ses bouchées, lui dire : Tu liras ceci et tu ne liras pas cela ? Mais une telle défense, de votre part, mettrait un attrait de plus et comme une prime à tous les livres que vous interdiriez »1. Prenant méthodiquement la défense des ouvrages incriminés (des œuvres de Voltaire à celles de Renan, en passant par Proudhon et les romans de George Sand), il souligne que « l’appellation de socialisme […] suscite à l’aveugle chez des esprits prévenus tant d’animadversion et de colère »2. Le discours fait sensation, mais l’année suivante, l’assemblée doit de nouveau examiner une pétition contre une bibliothèque populaire qui contient des « romans socialistes ». La gazette de France ironise : « Ces saints simoniens sont insatiables ! Après avoir exigé Saint-Simon du ministre, ils exigent Eugène Sue et George Sand »3.

2Les bibliothèques populaires, créées en 1861, et leurs fondateurs sont étroitement surveillés par l’administration impériale. Ceux-ci peuvent-ils par conséquent contenir en leur sein de dangereux agitateurs qui proposeraient des ouvrages séditieux ? Pourquoi l’affaire des bibliothèques de Saint-Étienne a-t-elle pris une telle ampleur, bientôt relayée par d’autres incidents ? Quels débats cristallisent autour de ces événements ?

Les bibliothèques populaires peuvent-elles contenir des ouvrages socialistes ?

  • 4 Voir Noë Richter, Les bibliothèques populaires, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1978 ; A (...)
  • 5 Voir Lectures et lecteurs au XIXe siècle. La Bibliothèque des amis de l’instruction (Actes du collo (...)
  • 6 Voir Ian Frazer, « Jean-Baptiste Girard (1821-1900) : fondateur des bibliothèques des amis de l’ins (...)
  • 7 Voir Agnès Sandras , « Les petites sœurs de la Bibliothèque des Amis de l’Instruction : Hortes et V (...)
  • 8 Voir Arlette Boulogne, Des livres pour éduquer les citoyens. Jean Macé et les bibliothèques populai (...)
  • 9 Voir Étienne Naddeo , « La Société Franklin, une rencontre “des deux mondes” ? », CRBP, 13 avril 20 (...)

3Les différentes tentatives de fondation de bibliothèques populaires ont échoué ou ont été réprimées jusqu’en 1861, la loi sur les associations leur étant opposée4. En 1860, la circulaire Rouland sur les bibliothèques scolaires ouvre une brèche institutionnelle et témoigne de la reconnaissance par le pouvoir impérial de son impuissance à satisfaire seul la demande et la nécessité de la lecture. En 1861, une première bibliothèque populaire est fondée, la Bibliothèque populaire des amis de l’instruction du 3e arrondissement parisien (BAI-III)5. Pour obtenir les autorisations officielles, cette bibliothèque, qui fonctionne selon un système associatif, produit des statuts et un catalogue examinés par l’administration. La BAI-III a parmi ses membres fondateurs des personnalités diverses dont certaines, comme l’ingénieur Auguste Perdonnet, administrateur du chemin de fer de l’Est, ou le colonel Ildephonse Favé, rassurent le pouvoir impérial qui surveille étroitement la composition des conseils d’administration. Le véritable initiateur de la BAI-III est Jean-Baptiste Girard (1821-1900), ouvrier imprimeur lithographe, qui a compris l’importance d’un essaimage sur tout le territoire6. Il soutient en parallèle deux expérimentations : l’une, dans son petit village natal de Haute-Marne (Hortes), reçoit l’appui de l’évêque Viard et une caisse de livres de l’empereur ; l’autre, dans la petite ville de Vernon (Eure), est placée sous la protection du maire, le duc Suchet d’Albufera7. Les BAI essaiment aussi en région parisienne, tandis que Jean Macé galvanise la création de bibliothèques populaires communales en Alsace8. Ces créations entraînant de multiples demandes de renseignements sur les démarches à accomplir, la Société Franklin pour le développement des bibliothèques populaires est autorisée en 18629, sous de hauts patronages comme celui du marquis de Chasseloup-Laubat, catholique, député orléaniste et ancien ministre ou de Jules Simon, sa véritable cheville ouvrière étant Jean-Baptiste Girard. Elle donne des conseils, aide à la constitution de fonds en fournissant des listes de livres consensuels pour lesquels elle a obtenu des ristournes et des reliures solides. Elle rassure le pouvoir impérial, mais inquiète les catholiques ultras, car les protestants y sont nombreux.

4Il n’a pas échappé aux cléricaux que parmi les membres des bibliothèques populaires se trouvent des gens aux origines politiques et religieuses variées, dont les motivations peuvent être philanthropiques, politiques, etc. La présence de noms connus ne suffit pas à les rassurer, et ils s’inquiètent à la fois du contenu des collections et des possibilités pour les membres des bibliothèques de développer des activités séditieuses dans leurs locaux. Ils craignent une vive concurrence pour les bibliothèques paroissiales dont les collections, tournées vers l’édification, attirent moins le peuple, et trouvent une oreille attentive du côté du ministère de l’Intérieur et de certains fonctionnaires. Leurs soupçons s’alimentent facilement, car la bourgeoisie philanthrope qui protège les bibliothèques populaires compte dans ses rangs de nombreux saint-simoniens, fouriéristes, francs-maçons, etc., lesquels laissent le fonctionnement des premières créations à des ouvriers et artisans largement issus des rangs mutuellistes et socialistes. Ainsi Jean-Baptiste Girard a été très actif dans les clubs en 1848 et dans le mouvement associatif en 1849 et 1850. Il est un des animateurs du Comité central démocrate socialiste qui soutient la candidature du romancier Eugène Sue et est élu en tant que représentant de l’Association des imprimeurs lithographes à la commission qui assure le fonctionnement de l’Union des associations fraternelles ouvrières. Les débats de la commission ayant été interrompus par un inspecteur de police inquiet de les entendre analyser la pensée proudhonienne, les représentants se réunissent sans autorisation officielle et, bien qu’amenés au dépôt, se font de nouveau remarquer en lisant du Victor Considerant. Leur procès est très médiatisé, car les différents accusés, comme les féministes Jeanne Deroin ou Pauline Rolland, assument leurs choix politiques face au procureur Suin. Girard est condamné à vingt-deux mois de prison à Sainte-Pélagie. Il semble ensuite abandonner le militantisme politique, et on le retrouve sur les bancs de l’Association philotechnique où il engrange divers savoirs qui lui seront utiles dans le fonctionnement des bibliothèques populaires (comptabilité, etc.). C’est à ses camarades d’études et à ses professeurs qu’il s’ouvre de son projet de bibliothèque populaire en 1860. Le but est de fournir les ouvrages nécessaires à l’approfondissement des cours, mais aussi à des connaissances plus difficilement accessibles comme l’histoire ou l’économie politique, et à des livres distrayants.

  • 10 Voir Odile Vacher , « Contradiction de l’offre et de la demande sur le marché du savoir », in Lectu (...)

5Le projet de Girard suscite l’enthousiasme de certains de ses voisins et amis de la rue des Gravilliers où il résidait lors de son arrestation de 1850, comme Bellamy qui deviendra un des membres fondateurs de l’Association internationale des travailleurs, d’ailleurs domiciliée dans cette même rue. Il attire aussi ses amis de l’affaire de 1850, comme Joseph Delbrouck qui, non content de s’inscrire à la BAI-III, convainc les notables de Vernon, où il est architecte, de fonder une bibliothèque. On compte également parmi les premiers membres Henri Leneveux, gérant jusqu’en 1850 de la revue buchézienne L’atelier ; des fouriéristes, tels que César Daly, architecte et ami de Delbrouck, Auguste Jounin, Rodolphe Nusbaumer, Lachambeaudie et Barral ; des francs-maçons comme Charles Fauvety, etc.10. D’emblée, la surveillance impériale s’impose avec des sociétaires tels que le colonel Ildephonse Favé, Gaston Arnaud-Jeanti, maire du 3e arrondissement, ou l’avocat A. Vincent.

  • 11 Archives départementales de Paris (AD75), V-D6 1191, lettre d’Arnaud-Jeanti à Auguste Perdonnet, 14 (...)

6Arnaud-Jeanti, agacé par des discussions devant la mairie qui abrite la bibliothèque, alors qu’il a déjà refusé que la pièce qu’il prête se transforme en salle de lecture, exige de devenir président honoraire en 1862. Il s’ensuit une assemblée houleuse qui ne lui donne pas satisfaction. Il multiplie alors les courriers aux autorités, ainsi qu’à A. Vincent, vice-président, et Auguste Perdonnet, le président : « Je sais bien que depuis quelque temps une minorité turbulente cherche par tous les moyens à s’emparer de la direction de la Société, dont elle voudrait faire un instrument docile en vue de desseins qu’il n’est pas difficile de deviner. Et la preuve que cette coterie qui supplée par une activité fiévreuse à ce qui lui manque du côté du nombre obéit à des préoccupations étrangères au but de l’association, c’est qu’elle s’efforce toujours d’imprimer un caractère politique aux actes les plus indifférents d’une société dont l’esprit de parti devrait être rigoureusement exclu »11.

7Vincent lui répond de manière éloquente :

L’autorité avait pensé favoriser la classe ouvrière en la laissant créer des bibliothèques pour son usage, et en la laissant, avec une certaine apparence diriger cet établissement.

Plus tard cette même autorité devait y intervenir plus ou moins directement, et c’est ce que déjà elle commence à faire par le comité Franklin.

  • 12 AD75, V-D6 1191, lettre de M. A. Vincent à M. A.-Jeanti, maire du 3e arrondissement, du 16 novembre (...)

Toutefois il faut que l’autorité profite de la leçon qu’elle vient de recevoir, et puisque certains ouvriers envieux et jaloux ne peuvent pas toucher à une liberté sans en faire un brandon, c’est à vous, en qualité de premier protecteur de ces bibliothèques, de signaler à Monsieur le Préfet de police, la nécessité de redresser immédiatement les écarts qu’une bienveillance encore trop jeune a pu faire concevoir à une minorité relative de nos adhérents.12

  • 13 Ian Frazer, « Jean-Baptiste Girard… », op. cit.

8On notera que le maire ne cherche pas à contacter Girard qui est pourtant l’autre vice-président de la BAI-III, laquelle est donc fermée. Auguste Perdonnet, proche du cercle impérial, réussit à la faire rouvrir pour l’abriter à l’École centrale dont il est devenu le directeur en 1862. Girard la quitte provisoirement avec d’autres membres pour fonder la BAI-V avec l’aide d’Édouard de Laboulaye, professeur au Collège de France, ancien député quarante-huitard. Cette nouvelle BAI compte parmi ses donateurs des fouriéristes (Barral, Bixio, Daly, Jules Duval, Gallien), et des socialistes (Cohadon, Frédéric Morin, Proudhon, George Sand, Béluze…13). Les membres actifs comprennent des ouvriers socialistes. Le ministre de l’Intérieur, visiblement inquiet de la protection donnée par des cercles influents aux BAI, décide de freiner les créations à venir et envoie aux préfectures une circulaire confidentielle qui préconise la plus grande prudence comme la vérification des statuts et du catalogue, le placement sous l’autorité du maire, mais ne donne pas de « règle absolue » :

L’intention du Gouvernement n’est pas de contrarier le développement d’une œuvre qui semble avoir un but honorable, mais son devoir est de veiller à ce que les Bibliothèques populaires, en se multipliant, ne favorisent pas des abus qui changeraient la destination première de ces établissements et les transformeraient en foyers de propagande ou d’intrigues politiques. Il ne faut pas que, trompant les sages précautions de la loi, qui entoure de tant de garanties l’industrie du colportage, de prétendus amis des classes laborieuses répandent et propagent des livres dont les doctrines, mal comprises ou commentées avec ignorance, fourniraient un dangereux aliment à la curiosité et aux mauvaises passions.

  • 14 Archives nationales (AN), F/1a/632, circulaire confidentielle du ministre de l’Intérieur aux préfet (...)

Je ne saurais trop éveiller votre sollicitude sur ce point important. Autant il est convenable de seconder, de favoriser tout ce qui a pour but de moraliser et d’instruire le peuple, autant il est indispensable de le garantir des funestes effets que produiraient sur lui des doctrines antisociales et de fâcheuses lectures.14

  • 15 Jean-Charles Geslot, Agnès Sandras , « Les débuts de la bibliothèque populaire de Versailles : lect (...)
  • 16 Archives départementales de la Marne (AD51), 4T84, dossier de la bibliothèque populaire de Verzenay
  • 17 Émile de La Bédollière, « Partie politique », Le siècle, 2 janvier 1866.

9Il faut désormais des mois d’échanges, un examen scrupuleux de l’honorabilité des fondateurs, puis des catalogues et des statuts, pour que les autorités acceptent éventuellement de nouvelles créations. C’est le cas à Versailles où malgré le parrainage d’Édouard Charton et du maire, les démarches prennent neuf mois en 186415. Les formalités s’avèrent encore plus complexes lorsque les fondateurs n’ont pas d’appuis sur place et que les autorités locales sont tatillonnes. À Verzenay, le docteur Mailliart entame les démarches en octobre 1862 et n’obtient l’autorisation qu’en février 186616 ! Il a eu affaire à un préfet et à un sous-préfet qui, surinterprétant la circulaire confidentielle, ont demandé une enquête du juge de paix sur les membres fondateurs, et moult réécritures des statuts. Le docteur Mailliart finit par imprimer statuts et catalogue en laissant la date de fondation officielle en blanc et, fort de l’aide de la BAI-XVIII, sollicite l’appui des journaux. Émile de La Bédollière signale l’affaire dans Le siècle en concluant : « Si nous parvenons à instruire le peuple, nous y aurons mis le temps17! » Le ministère de l’Intérieur intervient alors au plus vite pour que l’autorisation soit accordée.

  • 18 Voir les billets d'Agnès Sandras sur Le siècle et les bibliothèques populaires, et sur La presse et (...)
  • 19 Voir les billets d'Agnès Sandras sur les bibliothèques populaires et l’Exposition universelle de 18 (...)

10Le cas de Verzenay n’est pas isolé et deux journaux d’opposition, Le siècle et La presse, s’en font l’écho, signalant divers cas en 1866 : à Marseille – où Adolphe Royannez, publiciste réputé pour ses positions anticléricales et proudhoniennes essuie des refus successifs –, à Chevilly (Loiret), Anduze (Gard), etc.18. Ces prises de position sont stratégiques, car dans la perspective de l’Exposition universelle, le pouvoir, conscient de la pauvreté de ses réalisations en matière d’éducation, a prévu de montrer dans la classe 69 les réalisations des bibliothèques populaires. La Société Franklin, toujours soucieuse de permettre le développement des bibliothèques populaires, auxquelles elle préconise par conséquent une conduite irréprochable (désignation des maires en tant que présidents d’honneur ; catalogues et statuts répondant à la doxa administrative), sert d’intermédiaire19.

  • 20 AN, F/1a/632, lettre du ministre de l’Instruction publique au ministre de l’Intérieur, 14 juin 1866
  • 21 Agnès Sandras , « La Bibliothèque des Amis de l’Instruction d’Épernay », in Des bibliothèques popul (...)

11Le ministère de l’Intérieur essuie une autre déconvenue en cette année 1866. Alerté sur le contenu de la Bibliothèque des amis de l’instruction fondée à Épernay par des ouvriers et des ingénieurs de la Compagnie de l’Est, il demande l’avis de son homologue de l’Instruction publique. Ce dernier rappelle qu’il n’a pas la charge des bibliothèques fondées par association, dans lesquelles « le choix des livres doit être laissé aux intéressés eux-mêmes, dans le droit essentiel pour l’autorité publique d’intervenir dans la composition des catalogues par voie d’exclusion dans un intérêt de moralité ou d’ordre public », et glisse qu’il paraît compliqué de lire tous les livres apparaissant au catalogue pour donner un avis20. On notera que figurent parmi les ouvrages posant souci, les Œuvres complètes de Voltaire, données… par Auguste Perdonnet21 !

12C’est dans ce contexte qu’éclate précisément l’affaire de Saint-Étienne…

L’affaire de Saint-Étienne concerne-t-elle uniquement les bibliothèques ?

  • 22 Archives départementales de la Loire (AD42), 4T701.
  • 23 Archives municipales de Saint-Étienne (AMSE), 1D41, délibération du Conseil municipal, 2 décembre 1 (...)

13Toutes les conditions sont réunies pour susciter la fondation de bibliothèques populaires à Saint-Étienne. La nombreuse population ouvrière (mines, passementerie, fabrication d’armes…), en partie politisée, est désireuse d’un accès à la lecture que la bibliothèque municipale n’est pas en mesure de lui fournir. La bourgeoisie conservatrice, effrayée des risques possibles de l’émancipation intellectuelle du prolétariat local, a freiné la création d’écoles, et la ville est encore dépourvue de bibliothèques scolaires en 1866, alors même que le reste du département s’en est doté22. Des fouriéristes et des républicains, devenus conseillers municipaux, s’attachent à rattraper le retard de la ville en matière d’instruction, proposant par exemple des cours pour adultes, un théâtre non élitiste mais émancipateur. Le 2 décembre 1865, lorsque le maire suggère une augmentation du budget de la bibliothèque municipale, laquelle n’a alors pas de bibliothécaire, un membre du conseil recommande plutôt d’allouer une somme de 4 000 francs à la création et à l’entretien d’une nouvelle bibliothèque « qui aurait une utilité plus générale que celle existante et serait plus à la portée de tous »23.

  • 24 Ibid.

14Il veut parler de la bibliothèque populaire qui, semblable à beaucoup d’autres en pleine activité, prêterait les ouvrages, les laisserait à domicile, et ferait de chaque foyer, pour ainsi dire, une succursale de la bibliothèque publique. Un grand nombre de voix approuvent cette motion. Un conseiller demande cependant une étude préalable de la question, ne voulant pas, dit-il, voter d’enthousiasme, mais après mûr examen. On lui fait observer que l’étude est toute faite ; l’administration n’aura qu’à imiter, une fois les fonds à sa disposition, les bibliothèques de ce genre qui fonctionnent bien24.

  • 25 Ibid.
  • 26 Quelques rares délibérations du conseil municipal (AMSE), un dossier sur les bibliothèques populair (...)

15Dans la foulée un article 59 bis du budget entérine une dépense de 4 000 francs pour la « création et l’entretien d’une bibliothèque populaire » en 186625. Il ne s’agit donc pas d’une bibliothèque de type associatif, et dépendant à ce titre d’autorisations du ministère de l’Intérieur, mais d’une bibliothèque populaire communale, ce qui ne l’affranchit pas pour autant de toute tutelle administrative ni du respect des lois. Pourtant, les quelques archives qui subsistent26 permettent d’identifier des manquements divers aux règles, sans doute volontaires de la part de certains des fondateurs. Une délibération du 3 octobre 1866 expédie en toute fin de conseil la désignation d’une commission des bibliothèques :

M. Chillet [adjoint au maire, chargé de l’Instruction publique] annonce au conseil que les bibliothèques populaires étant organisées, il désirerait qu’un règlement fût rédigé avant de les ouvrir au public, et que, pour rédiger ce règlement, le conseil nommât une commission de 5 membres.

  • 27 AMSE, 1D1, délibération du conseil municipal, 3 octobre 1866.

Sont nommés : MM. Thomas, Laforest, Tardy, Tiblier -[Verne], et Terme.27

  • 28 AMSE, 1D1, délibération du conseil municipal, 17 octobre 1866 [le 1 est barré sur le registre et ac (...)
  • 29 AMSE, 3R31, lettre de C. Levier [pour le secrétaire général de la Société Franklin] au maire de Sai (...)
  • 30 Le mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 20 août 1868.
  • 31 Bernard Desmars , « Laforest, Pierre, dit Laforest aîné » et « Tiblier, dit Tiblier-Verne, Jean », (...)
  • 32 Le mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 20 août 1868.

16La commission élabore en octobre un règlement28 qui s’apparente à des statuts puisqu’il prévoit en 24 articles le fonctionnement de la bibliothèque, mais ne correspond pas aux modèles alors largement répandus par les BAI et la Société Franklin. La délibération qui suit montre qu’il s’agit d’entériner rapidement des décisions déjà prises en comité privé. Un échange de courriers entre le maire et la Société Franklin, dont la bibliothèque est membre fondateur, a abouti à un achat massif de 886 volumes dès février via la Société Franklin, reliés en toile bisonne avec « une pièce en mouton poli, sur laquelle a été imprimée en or l’inscription bibliothèque populaire de Saint-Étienne »29. Or en août 1866, le conservateur Benoît Charvet est nommé maire par ordre de l’empereur, visiblement pour endiguer les diverses initiatives des conseillers. La commission des bibliothèques désignée en novembre lui donne spécialement du fil à retordre : MM. Clapeyron, Mortier, Rimaud, Terme, Thomas, Tiblier, du conseil municipal, auxquels s’ajoutent six personnes extérieures qui sont MM. Boudarel Pierre, fabricant de rubans ; Corron, teinturier ; Lonchamp, avocat ; Georges Paul, marchand de nouveautés ; Valantin, négociant ; Voytier fils, fabricant d’armes. Il s’agit de diverses personnalités issues des courants socialistes. Clovis Mortier a par exemple œuvré dans les clubs parisiens en 1848 et 184930 ; Laforest et Terme-Verne appartiennent au groupe phalanstérien local31. On les retrouvera en grande partie parmi les membres du conseil municipal qui démissionneront avec éclat en 1869, lorsque l’armée tirera sur les familles de mineurs en grève à la Ricamarie, faisant treize morts et de nombreux blessés dont des femmes et des enfants. En 1868, ils manifesteront également bruyamment leur opposition à la nomination de Charvet dans l’ordre impérial de la Légion d’honneur, récompense obtenue selon Le mémorial de la Loire et de la Haute-Loire32, pour avoir « dans des circonstances difficiles et peu engageantes, - et alors que le besoin d’une direction franchement conservatrice était devenu une nécessité d’ordre public, […] su contenir et contient encore chaque jour la marche des affaires administratives dans une voie régulière », et enverront un démenti :

  • 33 Ibid.

Nous croyons, nous, qu’il doit sa croix à la triste attitude qu’il a tenue dans l’affaire des bibliothèques populaires, et qui a été qualifiée dans le temps comme elle le méritait. Quant au conseil municipal, il est resté et il restera constamment fidèle au mandat que lui a confié la démocratie stéphanoise.33

17Que s’est-il donc passé en 1866 avant que le conseil entérine l’existence de deux créations (et non plus une comme prévu en 1865) déjà dotées de livres ? Des ouvrages moins consensuels ont volontairement été ajoutés par la commission :

  • 34 Lettre de Laforest aîné, 24 avril 1867. École normale supérieure, fonds Considerant, carton 13, dos (...)

Dans notre ville, le petit nombre d’ouvrages de Fourier, Considerant, etc., que nous avons introduit dans les bibliothèques populaires, contrarie vivement les cléricaux. Le comité est fermement décidé à résister à l’intervention jusqu’à présent officieuse de l’autorité.34

  • 35 AD42, 4T701, lettre de l’inspecteur primaire de Saint-Étienne à l’inspecteur d’académie, 17 janvier (...)
  • 36 AD42, 4T699, lettre du sous-préfet de Roanne au préfet de la Loire, 7 février 1867.
  • 37 AD42, 4T699, brouillon de réponse du préfet de la Loire au sous-préfet de Roanne, contenant la répo (...)

18Des signaux d’alarme sont tirés dès le début de l’année 1867, lorsque les bibliothèques commencent à fonctionner sans avoir respecté les démarches préalables de rigueur. Les représentants officiels prennent peur, comme l’inspecteur primaire qui dans sa synthèse annuelle sur les bibliothèques scolaires évoque la question des deux « grandes bibliothèques populaires » : « On dit qu’elles sont suivies mais malheureusement on y a laissé introduire de mauvais livres »35. La région est en proie à une cabale contre le contenu des bibliothèques populaires. En décembre 1866, le sous-préfet de Roanne communique au préfet « une lettre anonyme » qui dénonce la bibliothèque populaire de Roanne comme « renfermant de mauvais livres », signale le « dernier catalogue non encore imprimé » et parle « de saisir le Sénat de la question »36. Tout en indiquant que cette lettre est « injuste », le sous-préfet prend un maximum de précautions. Il mène l’enquête, puis transmet au préfet un catalogue annoté, précisant que n’ayant pas lu tous les ouvrages, il s’en remet au verdict de son supérieur ! L’affaire est transmise à l’inspecteur d’académie, en sa qualité d’arbitre quant au contenu des bibliothèques scolaires. Prudent, celui-ci déclare qu’il n’y a « aucun ouvrage qui attaque les principes de la foi, de la morale et de l’ordre social » mais qu’il faut laisser à la commission « le soin de faire quelques nouvelles épurations »37.

  • 38 L. Dori, « Nos bibliothèques populaires », L’observateur stéphanois, 20 janvier 1867.
  • 39 À cet article caustique, bourré d’allusions en particulier sur le rôle de M. Chillet dans la fondat (...)
  • 40 L. Dori, « Nos bibliothèques populaires, - Post-scriptum », L’observateur stéphanois, 3 février 186 (...)

19Mais à Saint-Étienne, les choses s’enveniment. Avant les journaux régionaux, ce sont les feuilles locales qui évoquent longuement ces bibliothèques, avec des commentaires acides et des sous-entendus sur leurs fondateurs dépeints comme des libre-penseurs. L’observateur stéphanois publie un article de M. Dori au ton décalé, à la fois critique et partisan des bibliothèques populaires. L’auteur semble penser que les créations stéphanoises sont imitées des bibliothèques communales de Jean Macé, et met en doute la vulgarisation scientifique des ouvrages de ce dernier. Agacé par le système de cautionnement de ces « deux monts-de-piété de nouvelle espèce », il indique aux lecteurs ouvriers « vous seuls pourrez, en utilisant ces bibliothèques, leur donner la prospérité et la vie ; vous seuls pouvez en faire de vraies bibliothèques populaires »38. Le 3 février, il ajoute un long post-scriptum sur le cautionnement auquel il préférerait un abonnement, suggérant que les différents entrepreneurs de Saint-Étienne prêtent leurs livres, et félicite cependant les fondateurs de la bibliothèque39. Après avoir évoqué un premier choix de livres excellent, il insiste sur le fait qu’il ne faut pas mésestimer la capacité des lecteurs à apprécier les belles choses, mais s’inquiète : « il lira certainement aussi bien Pascal, Bossuet, Fénelon, Rousseau, Chateaubriand, Mme de Staël, Lamartine et Victor Hugo, que je ne vois pas sur le catalogue, que les romans malsains d’Eugène Sue, qu’on y verra sous peu, à mon grand regret »40. Peut-être faut-il voir là une simple passe d’armes entre républicains sur les finalités des bibliothèques populaires. On peut supposer que sous le pseudonyme de Dori se cache Frédéric Dorian, un maître de forges fouriériste de la première heure, député d’opposition, lui-même membre de la Société Franklin et créateur d’une bibliothèque pour ses ouvriers. Ces différents articles contribuent certainement à attirer l’attention des cléricaux.

  • 41 Roger Bellet, « Une bataille culturelle, provinciale et nationale, à propos des bons auteurs pour b (...)
  • 42 AMSE, 3 R 30, lettre du préfet au maire de Saint-Étienne, 6 juillet 1867.
  • 43 AMSE, 3 R 30, lettre du commissariat central de la préfecture de la Loire au maire de Saint-Étienne (...)
  • 44 AD42, 4 T 699. Le nombre élevé de ratures et d’ajouts et l’absence de signature et de date fait pen (...)
  • 45 AMSE, 3 R 30, affiche de la mairie de Saint-Étienne, « Bibliothèques populaires – Transfert place d (...)

20Les membres de la commission des bibliothèques ne sont en effet pas disposés à épurer les fonds, et face à eux, une véritable cabale des conservateurs s’organise, dynamisée comme l’a montré Roger Bellet par une traînée de poudre des journaux régionaux aux journaux nationaux et une guerre des brochures dans les premiers mois de l’année 1867. Portée au Sénat, l’affaire prend une importance toute particulière fin juin, avec l’intervention de Sainte-Beuve bientôt reprise par la presse41, ce qui éclipse le sort des bibliothèques stéphanoises au profit du combat provisoirement gagné contre les contempteurs de « mauvais livres ». Le maire et le préfet, accusés d’avoir temporisé, décrètent une série de mesures. Dès le 6 juillet, le préfet prend un arrêté marquant que la commission des bibliothèques n’a pas de fondement légal, annule les délibérations municipales de 1865 et 1866, charge le maire de l’application de l’arrêté et lui donne entière autorité sur les bibliothèques42. Le 13 juillet, le cabinet du préfet accuse réception de onze copies des notifications de dissolution envoyées aux membres de la commission43. La commission ne rend pas les armes facilement si l’on en juge par un très long brouillon de recours contre le préfet, établi à l’initiative de M. Tiblier-Verne, qui figure dans le dossier des bibliothèques populaires conservé par la préfecture44. S’interrogeant sur la légitimité qu’avait pu donner la présence d’un préfet et du maire lors d’une de leurs séances en commission, déplorant la publicité donnée par la discussion au Sénat, les conseillers remarquent que le maire a de manière illégale déménagé les bibliothèques et disposé d’ouvrages qui après dissolution devaient théoriquement retourner à leurs donateurs. Rien n’y fait. Le 5 juin 1867, les deux bibliothèques populaires de la place Jacquard et de la rue de la Vierge sont fondues en une seule, place des Ursules, dans le bâtiment latéral du théâtre, ainsi que le proclame une affiche signée du maire Benoît Charvet45. Cette nouvelle bibliothèque est dotée en 1874 d’un catalogue imprimé.

  • 46 Jules Vallès, « Lettres de province – Au fond d’une mine », Le figaro, 16 et 17 novembre 1866.
  • 47 Voir les billets d'Agnès Sandras sur les bibliothèques populaires et l’Exposition universelle de 18 (...)

21Au plan local, cette affaire dépasse donc largement la seule question des bibliothèques populaires, et symbolise les déchirements politiques des élites stéphanoises. Il n’est pas surprenant que Jules Vallès y soit de retour en 1866 pour visiter une mine46. Au plan national, l’affaire dépasse également le cadre des bibliothèques populaires et sert de prétexte à un manifeste sur la liberté de penser à un moment clé. On ne peut en effet déconnecter le discours de Sainte-Beuve de l’Exposition universelle qui a lieu au même moment et récompense les efforts des philanthropes et d’ouvriers méritants en faveur de l’éducation populaire. Reçoivent des médailles « M. Girard » (à qui on ne peut donner un prénom, en raison des événements de 1850, et qui craint peut-être d’être reconnu par M. Suin), diverses bibliothèques populaires dont les BAI et Hortes, et nombre de personnes qui concourent à l’éducation populaire (Charton, Charles Robert, les associations philotechnique et polytechnique, etc.)47. Un chroniqueur plus audacieux remarque :

Mais notre étonnement se trahira de temps en temps, quand du milieu de ce concert harmonieux, un halali barbare sonnera, et quand la chasse sera conduite par ceux d’entre les plus illustres des décorés ; quand, malgré la présence imposante d’un peuple, en éveil, on demandera un auto-da-fé, on évoquera le spectre redouté ; quand de nouvelles assises inquisitoriales rendront des arrêts tous marqués au coin du plus pur libéralisme.

  • 48 Albert Baume, « Correspondance parisienne », Le réveil, journal Paris-Lyon, 7 juillet 1867.

Des motions tendront à mettre au pilori les mauvais libelles d’un certain monsieur Arouët de Voltaire, d’un suicidé Jacques Roussau [sic], etc., etc., et lorsque justice sera faite, le chœur des satisfaits entonnera des chants de liberté, redisant bien haut les exploits magnifiques d’une nation qui n’a plus sa pareille dans l’histoire.48

22Ce contexte explique pourquoi le beau manifeste de Sainte-Beuve prend les bibliothèques populaires pour prétexte et non pas comme objet. L’accès refusé à la lecture de tous les livres dans les bibliothèques populaires est pour lui le symbole des vingt années écoulées pendant lesquelles les conservateurs et les cléricaux ont fait de la Commission de colportage l’émetteur d’oukases en tous genres, condamnant certains ouvrages à n’être achetés qu’en librairie ou publiés sous forme de feuilletons, et surtout jetant l’opprobre sur certains auteurs parfois déjà condamnés par l’Index.

  • 49 Voir Agnès Sandras , « “C’est par les femmes que se fera la complète émancipation des consciences”  (...)
  • 50 Roger Bellet, « Une bataille culturelle, provinciale et nationale… », op. cit.
  • 51 Manuscrits de l’Institut de France, collection du vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul, lettr (...)
  • 52 Ibid.

23Ses commentaires précis sur les œuvres condamnées par la pétition de Saint-Étienne (voir liste en encadré) soulignent l’inanité de ces mises au pilori et leur incohérence : « de quel droit vous empêcheriez de lire Melle de la Quintinie, quand vous aurez permis de lire, même avec estampille, la Sybille de M. Octave Feuillet dont cette Melle de la Quintinie est la réfutation ? ». Défendant Proudhon (« penseur ardent et opiniâtre, dialecticien puissant, satirique vigoureux et souvent éloquent, qui ne marchandait pas les vérités, même aux siens, rude honnête homme mort à la peine »), passant sous silence des auteurs plus polémiques aux yeux des cléricaux, comme Marie-Louise Gagneur49, ou des conservateurs, comme Fourier, il n’hésite pas à rappeler les sympathies politiques passées de l’empereur. Peut-être Sainte-Beuve est-il aussi inspiré par ses sympathies saint-simoniennes de jeunesse. On sait grâce à Roger Bellet combien cette interpellation devant le Sénat a suscité les commentaires de la presse, très largement favorable à Sainte-Beuve50. Celui-ci a conservé de nombreuses lettres reçues pour lui témoigner admiration et reconnaissance51. Parmi les auteurs, figurent Ernest Daudet, Alexandre Dumas fils, etc., et Flaubert qui applaudit : « Tous ceux qui ne sont pas plongés dans la plus crasse bêtise, tous ceux qui aiment l’Art, tous ceux qui pensent, tous ceux qui écrivent vous doivent une gratitude infinie - Car vous avez plaidé leur cause, et défendu leur Dieu - notre Dieu innommé qu’on outrage »52.

24L’éditeur Charpentier le félicite pour son « courage à l’avoir prononcé devant une assemblée de fossiles », Ernest Feydeau le remercie de « lever le drapeau de la révolte contre l’abrutissement religieux qui nous déshonore ». Si les lettres évoquent massivement la liberté de pensée, la liberté de lecture, très rares sont celles qui abordent frontalement les questions socialistes, à l’exception de Jules Simon qui s’exclame : « Vous avez fait avaler au Sénat jusqu’au nom de Proudhon. Pour celui-là, c’est un tour de force ! », et d’un M. Blanchot d’Oran qui indique que De la Justice de Proudhon « a donné des règles de conduite basées sur le respect de la dignité humaine bien supérieures à mon avis à celles contenues dans ces ouvrages prétendus divins tels que la Bible ou le Coran ».

  • 53 Gilles Pichavant, « Bellanger, Frédéric Aimé », in Le Maitron. Dictionnaire biographique, mouvement (...)
  • 54 Manuscrits de l’Institut de France, ms. Lov. D 615.
  • 55 Ibid.
  • 56 Ibid.
  • 57 Ibid.

25Reste la question des bibliothèques populaires qui n’intéresse pas la plupart des courriers adressés à Sainte-Beuve. Lorédan Larchey y voit un prétexte : « La liberté des bibliothèques vous fournit aujourd’hui une occasion nouvelle de réhabiliter le Sénat en montrant qu’il n’est pas entièrement dévoué aux questions rétrogrades ». En revanche, quatre responsables de bibliothèques populaires réagissent. Frédéric Bellanger, mécanicien devenu ingénieur et conseiller municipal53, militant de l’instruction populaire, signale les difficultés que rencontre la bibliothèque circulante du Havre face aux cléricaux54. Le maire de Clermont l’Hérault (Hérault) raconte qu’il vient de recevoir en concession du ministère les œuvres de Molière, Corneille, Bernardin de Saint-Pierre pour « la bibliothèque des adultes qui sera visitée par notre population ouvrière, si ardente et si passionnée pour s’instruire », et que les œuvres de Rousseau et Voltaire « sont demandées par le plus grand nombre des lecteurs »55. Arlès-Dufour remercie le sénateur pour son « charmant et profond discours » et lui signale que les cléricaux attaquent le contenu de la « bibliothèque populaire de [son] village » d’Oullins56. Enfin, Clovis Mortier, « membre du comité des bibliothèques populaires de Saint-Étienne », lui fait part de son « admiration enthousiaste », et commence ainsi sa missive : « Merci ! mille fois merci ! des bonnes et courageuses paroles que vous avez fait entendre au Sénat, en faveur des grands écrivains qui sont la gloire de la France »57.

26Il faut surtout remarquer une absence de taille. Si les typographes de la Librairie nationale félicitent le sénateur, aucune lettre collective ou individuelle ne provient des bibliothèques populaires pionnières, non plus que de la Société Franklin. On peut supposer que les (relatives) audaces de la commission de Saint-Étienne les déconcertent au moment-même où leur prudence est récompensée à l’Exposition universelle…

Pourquoi un respectable industriel lyonnais voudrait-il faire lire des ouvrages socialistes à la petite ville d’Oullins ?

  • 58 Roger Fayolle, « Sainte-Beuve et l’École normale : l’affaire de 1867 », Revue d’Histoire littéraire (...)
  • 59 Th. Froment , « Désiré Nisard (1806-1888) », in Le centenaire de l’École normale (1795-1895). Éditi (...)
  • 60 Charles Nisard, Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage depuis le XVe siè (...)

27Passé le plaisir que lui ont procuré le succès de son intervention et la lecture des nombreuses lettres de soutien, Sainte-Beuve connaît des moments difficiles. Après avoir refusé un duel contre le sénateur Lacaze qu’il a évoqué dans son discours, il doit voler au secours de normaliens qui ont été exclus par Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, suite à une lettre de félicitations ébruitée par un journal. Sainte-Beuve obtient un allègement des peines, mais le directeur de l’École normale, Désiré Nisard, perd son poste58, et en est profondément meurtri, malgré la compensation d’un siège de sénateur59. Il est donc difficile de croire au hasard lorsque l’on retrouve comme rapporteur de l’affaire de la bibliothèque populaire d’Oullins ce même Nisard, dont le frère Charles a de surcroît publié une controversée Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage en 185460 !

  • 61 Voir Jacques Canton-Debat, Un homme d’affaires lyonnais. Arlès-Dufour (1797-1872), thèse de doctora (...)
  • 62 Ces diverses brochures sont reprises dans Nouvelles œuvres choisies de Mgr Dupanloup, [t 3 : Contro (...)
  • 63 Ibid.

28Arlès-Dufour, manufacturier lyonnais très connu, décide de créer en 1865 une bibliothèque populaire à Oullins (Rhône), ville ouvrière où il possède une résidence61. Légataire de Prosper Enfantin, il est un fervent militant de l’éducation populaire. Il est à l’origine de la Société d’enseignement professionnel du Rhône (1864) pour laquelle son ami Auguste Perdonnet donne une conférence sur les chemins de fer, suivi de Jules Simon qui discourt sur les bibliothèques populaires. Dès 1865, Arlès-Dufour prévoit d’établir une bibliothèque populaire à Oullins, et sa présence aux côtés de Jean Macé pour la fondation de la Ligue de l’enseignement (1866), dont les bibliothèques populaires constituent un fer de lance, stimule son ardeur. Mais avec Oullins, une voie royale est ouverte aux cléricaux qui espèrent définitivement avoir raison de ces bibliothèques. Monseigneur Dupanloup, évêque et académicien, attaque régulièrement dans ses brochures l’action des libres penseurs, des saint-simoniens et des francs-maçons, en matière d’éducation des filles. Les noms qu’il cite correspondent étroitement aux premiers soutiens des bibliothèques populaires : Jules Simon, Charles Fauvety, Arlès-Dufour, Bixio, Jean Macé, etc.62. Pour lui, ces bibliothèques sont le résultat de l’action du ministre de l’Instruction publique qu’il dénonce dans une brochure reprise par le journal L’univers en avril 1868 : « Voilà la situation faite à la France en ce moment par M. Duruy : la France peut être inondée de volumes, contre lesquels ni la religion, ni la morale publique, ni la société n’ont une suffisante garantie »63. Cette publication stigmatise « l’effroyable diffusion du scepticisme, du matérialisme et de l’athéisme sous toutes ses formes, au moyen des mille voix de la presse grande et petite, et des bibliothèques dites populaires », revient à plusieurs reprises sur l’affaire stéphanoise et « les tristes paroles de M. Sainte-Beuve », rappelle les prédictions de Suin (« Et ce qui s’est produit sur un point du territoire, disait avec raison l’honorable rapporteur, peut se reproduire sur d’autres »), la liste des ouvrages incriminés, et les dommages collatéraux subis par Nisard. L’action de Macé en matière d’instruction populaire y est particulièrement vilipendée, de même que « le congrès de Berne » (1865). On comprend entre les lignes que la bibliothèque d’Oullins, même si elle n’est pas nommée, doit se préparer à un procès imminent qui sera pour les cléricaux le symbole de leur lutte contre les mauvais livres et l’instruction laïque des filles (Arlès-Dufour a successivement plaidé avec succès auprès de l’impératrice la cause de Julie Daubié, première bachelière française, et de Rosa Bonheur, première femme à recevoir la Légion d’honneur).

  • 64 AD69, 4T98, liste manuscrite des membres du conseil d’administration et des sociétaires de la bibli (...)
  • 65 AD69, 4T98, copie manuscrite d’une lettre de l’abbé Joly, curé d’Oullins, extraite du Courrier de L (...)
  • 66 AD69, 4T98, lettre du commissaire de police d’Oullins au préfet du Rhône, 18 mars 1868.
  • 67 AD69, 4T98, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Rhône, 1er juillet 1868.
  • 68 AD69, 4T98, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Rhône. 21 mai 1868.

29Arlès-Dufour défend avec une belle énergie la bibliothèque dont il est le président et son fils Gustave le trésorier64. Son aura locale et nationale semble intimider les fonctionnaires chargés d’enquêter, dont certains manifestent officieusement plus d’empathie pour ses projets philanthropiques que pour l’abbé Joly qui serait à l’origine de la pétition locale. Le curé multiplie depuis plusieurs années des actions d’éclat, empêchant par exemple qu’on inhume dans le cimetière les personnes de religion protestante, comme la famille Arlès-Dufour. Ch. Noellat, dans une série d’articles de février et début mars 1868, évoque dans Le progrès de Lyon « l’intrigue cléricale à Oullins ». Toutefois, l’abbé Joly dément avoir signé ladite pétition, tout en précisant qu’il la soutiendrait désormais volontiers65. Les ministères de l’Intérieur et de l’Instruction publique diligentent des enquêtes, car s’il s’agit d’une bibliothèque relevant du droit associatif, l’instituteur est accusé d’avoir donné aux élèves des livres de la bibliothèque populaire alors placée à côté de la scolaire. M. Genteur, commissaire du gouvernement au Sénat, demande aussi des précisions pour préparer les débats. Tour à tour le maire, le juge de paix, le commissaire de police, donnent des renseignements détaillés sur la bibliothèque populaire, et les deux bibliothèques scolaires. Au cœur de cette polémique, le préfet n’ose cependant pas refuser l’autorisation (ou plutôt la régularisation, car Arlès-Dufour n’a pas accompli les démarches nécessaires auparavant) qu’il donne avec les réserves d’usage sur le catalogue en mars 1868. Le 18 mars, le commissaire d’Oullins confirme « qu’il n’existe aucun livre obscène » dans la bibliothèque et que « l’un des ouvrages qui a été signalé a trait au mariage au point de vue saint-simonien »66. Le sénateur-préfet du Rhône, Henri Chevreau, reçoit des courriers officiels et d’autres plus officieux. On lui reproche de ne pas avoir suffisamment enquêté ni respecté la circulaire de 1864, et d’avoir approuvé un catalogue où figurent des « ouvrages de polémique sociale et religieuse et dangereux pour la morale »67. Mais on lui glisse aussi que l’affaire est « d’un autre âge », que les sénateurs n’ont pas conscience des enjeux politiques actuels, et que dans l’affaire de Saint-Étienne, « le baron Dupin a mieux servi la cause des rationalistes que n’aurait pu le faire M. Ste Beuve »68.

  • 69 AD69, 4T98, brouillon d’une lettre du sénateur-préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur, 6 juin 1 (...)

30La réponse de Chevreau est toute aussi louvoyante ; dans un courrier dont le brouillon maintes fois raturé témoigne de ses hésitations, il suggère un entre soi de la bourgeoisie libérale face aux conservateurs cléricaux. Il reconnaît avoir approuvé un catalogue « qui mentionnait des ouvrages qui peuvent être qualifiés de polémique sociale ou religieuse. Mais ce sont là des livres saint-simoniens qui sont tous vieux de 35 à 40 ans et dont la doctrine ne conserve plus d’empire que sur quelques rares adeptes ». Il ajoute qu’il a souhaité être prudent, car « le bruit et les rigueurs n’auraient profité qu’aux adversaires de la morale et de la religion ». Enfin, après avoir indiqué que la bibliothèque d’Oullins n’est « pas un centre de propagande révolutionnaire ou antireligieuse », il conclut : « nous avons tout simplement affaire à une petite réunion de libre-penseurs », non sans avoir soigneusement biffé « démocrates » pour le remplacer par « libre-penseurs »69

  • 70 On ne trouve en effet pas dans les dossiers des bibliothèques populaires conservés aux AD et aux AN (...)
  • 71 Voir Agnès Sandras, « Le rôle clé des bibliothèques populaires dans la défense de la littérature et (...)
  • 72 Voir Jean-Charles Geslot, Victor Duruy, historien et ministre, 1811-1894, Villeneuve-d’Ascq, Presse (...)
  • 73 Il y a en effet des spirites parmi les fondateurs des premières bibliothèques populaires, comme Cha (...)

31La pétition, dont Arlès-Dufour réclame en vain qu’on lui en produise le texte70, est examinée devant le Sénat. La bibliothèque scolaire venant d’être matériellement séparée de la populaire, le rapport porte uniquement sur sept livres, les autres romans incriminés ayant été écartés par le ministère de l’Intérieur (ouvrages de Frédéric Soulié, Balzac, Erckmann-Chatrian, etc.), ainsi que les ouvrages saint-simoniens. Le rapport de Nisard sur la pétition contre la bibliothèque d’Oullins est truffé de comparaisons avec Saint-Étienne, afin de pousser l’Intérieur à légiférer contre les « mauvais livres » des bibliothèques populaires. La péroraison, soigneusement préparée, établit que si les ouvriers désirent avoir accès à des livres instructifs, « l’idée d’instruction implique l’exclusion de tout livre qui ne peut donner au lecteur qu’une distraction périlleuse ou sans profit », et termine sur le vœu de confier la surveillance des fonds des bibliothèques populaires au ministère de l’Instruction publique, sans avoir jamais évoqué le titre d’un ouvrage. L’idée sous-jacente est donc d’écarter les livres de « délassement » que prônent les bibliothèques populaires pour développer le goût de la lecture71, mais aussi de polémique, par un contrôle étroit. Lui succède le commissaire du gouvernement, Simon Genteur, un fidèle de Duruy connu pour avoir déjà résisté à des menées cléricales72, qui rappelle que les bibliothèques associatives doivent demeurer sous la coupe de l’Intérieur. Il balaie le parallèle avec Saint-Étienne dont il assure qu’elle était l’œuvre du « parti du spiritisme »73, ce qui lui vaut une interruption de Prosper Mérimée (« Est-ce que c’est un parti ? »), puis entreprend un examen très poussé du fonds de la bibliothèque d’Oullins afin d’établir son inoffensivité, et commente les titres. Après avoir évoqué les « chefs-d’œuvre de poésie rurale » de Sand, souligné que les « romans socialistes d’Eugène Sue ont été retranchés », etc., il explique que les « Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin » sont en réalité un résumé de « l’histoire des développements qu’a traversés l’idée saint-simonienne » accompli par les héritiers spirituels du Père Enfantin, dont Arlès-Dufour :

  • 74 Sénat : séance du 9 juin 1868, sous la présidence de M. Troplong. La gazette nationale ou Le Monite (...)

L’honorable industriel dont je parle, qui a été nommé, par l’élection, président du comité d’administration de la bibliothèque, et qui est aussi donateur de la plupart des livres qui la composent, a désiré et a demandé, comme une concession personnelle, que ces livres restassent dans la bibliothèque, parce qu’ils étalent sacrés pour lui. Je voudrais bien ne pas le blesser en disant que ces livres sont sacrés aussi pour les sociétaires : personne n’y touche. (On rit.) Tel est le fond des choses. Ne donnez donc pas à ces ouvrages l’attrait du fruit défendu. (Assentiment.) Laissez les dormir. N’excitez pas la curiosité des habitants d’Oullins ! 74

32Si dans un premier temps Arlès-Dufour décide d’être accommodant et de retirer les ouvrages, il opte finalement pour la fronde, lorsque le ministère de l’Intérieur lui intime l’ordre de retirer les ouvrages dénoncés devant le Sénat. Il fait imprimer les trois pages de sa réponse au préfet afin de les distribuer à la presse. Le premier paragraphe donne une idée de la teneur de l’ensemble :

Il faut en vérité, que quelque très-grand ou très-saint personnage se préoccupe de cette modeste bibliothèque qui compte 45 associés des deux sexes et possède seulement 400 volumes, pour que la première préfecture de l’empire, le ministre de l’intérieur et le sénat conservateur s’en montrent aussi inquiets que s’il s’agissait d’une haute question d’État, au point d’étudier et presque tous ensemble, son pauvre catalogue, afin d’en exclure sept ouvrages, qui sont depuis bien des années dans tous les cabinets de lecture de France et d’Europe, savoir : Indiana, Lélia, Spiridon et La Quintinie, de G. Sand ; le Juif errant, les Mystères de Paris et les Sept Péchés capitaux, d’Eugène Sue. Les pétitionnaires, à l’instigation du curé d’Oullins, avaient aussi dénoncé les œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, qui paraissent avoir trouvé grâce devant M. le ministre.

Ainsi, d’après monsieur le ministre de l’intérieur, ces 7 ouvrages présentent des dangers au point de vue de la famille et de la société et lui paraissent de nature à altérer gravement le sentiment moral des personnes inexpérimentées, CREDULES et faciles à impressionner. La paix des familles pourrait en être troublée, le respect des choses saintes et de l’autorité pourrait en souffrir.

Vous, Monsieur le sénateur, qui connaissez, aimez et estimez nos populations ouvrières, qui vous le rendent bien, vous avez dû souffrir d’être obligé de transmettre à des ouvriers d’élite un pareil témoignage de méfiance.

Jamais, même sous la restauration, l’autorité n’avait émis la prétention de prescrire à la partie la plus nombreuse, la plus active, la plus laborieuse et partant la plus morale du peuple français, les livres, ayant cours officiel, qu’il lui serait permis ou défendu de lire sans les acheter.

  • 75 AD69, 4T98, épreuve de la copie imprimée de la lettre d’Arlès-Dufour au préfet du Rhône, 10 juin 18 (...)

C’est cependant cette partie du peuple français qui élit les députés et le chef de l’État !75

  • 76 AD69, 4T98, lettre d’Arlès-Dufour au préfet, 3 juillet 1868.
  • 77 AD69, 4T98, procès-verbal de l’Assemblée des sociétaires de la bibliothèque populaire d’Oullins, le (...)

33Le 28 juin, il préside une assemblée générale de la bibliothèque qui prononce la dissolution76. Le procès-verbal de cette assemblée, versé au dossier, nous apprend qu’elle a eu lieu un dimanche à 11 heures, donc à l’heure de la messe ! Arlès-Dufour rappelle les « attaques dont la bibliothèque est l’objet de la part d’ennemis qui se sont tenus dans l’ombre », dénonce un « refus injuste », précise que « sous l’Inquisition on agissait bien ainsi » et propose un « refus d’expurgation » voté à l’unanimité. La décision est alors prise de lui confier les ouvrages déjà mentionnés sur le catalogue « à ses risques et périls », et d’y « ajouter cent volumes ayant trait à la révolution française ». Le compte rendu indique que la bibliothèque possède 356 ouvrages, 254 donnés par Arlès-Dufour et sa famille, 10 par des donateurs, et 92 achetés77.

  • 78 Le journal des Débats politiques et littéraires, 14 juin 1868.
  • 79 Lettre d’Arlès-Dufour au prince Napoléon, 11 septembre 1868. Citée par Jacques Canton-Debat, Un hom (...)
  • 80 AD69, 4T98, catalogue manuscrit joint à une lettre d’Arlès-Dufour au préfet du Rhône, le 27 mars 18 (...)
  • 81 AD69, 4T98, lettre du président de la Société des bibliothèques populaires du Rhône au préfet du Rh (...)

34Mais les solidarités sont nombreuses autour d’Arlès-Dufour, et il n’aura pas à mettre sa menace à exécution. Le sénateur-préfet est un ami de longue date, Charles Robert, secrétaire général du ministère de l’Instruction publique aussi. Les lettres de soutien affluent, les journaux républicains et libéraux multiplient les articles. Entre autres exemples, le sérieux Journal des Débats suppose avec alacrité que les sénateurs ont dû s’effaroucher au mot « diable » pour supposer une diablerie dans le roman champêtre de Sand, puis s’interroge plus sérieusement : « Comment admettre que c’est de bonne foi et sans arrière-pensée que ce parti réclame la liberté de l’enseignement pour tous, lorsqu’il ne veut pas même de la liberté de la lecture ? »78. Fin juin, le Sénat recule et les menaces ne sont pas mises à exécution. En septembre 1868, Arlès-Dufour peut constater railleusement dans une lettre adressée au prince Napoléon : « petit exemple du résultat de l’intolérance et des taquineries gouvernementales : la bibliothèque populaire d’Oullins qui ne comptait que quarante-trois sociétaires, compte cent dix inscrits, et au lieu des sept ouvrages anathématisés par le Sénat et M. Pinard, elle en a cent de plus qui mériteraient bien mieux leur excommunication »79. Arlès-Dufour a de quoi s’amuser en effet. Si l’on regarde la copie du catalogue initial et les ouvrages soulignés au crayon bleu par les autorités, on constate en effet que cette « censure » ne s’est appliquée qu’aux livres les plus connus et/ou stigmatisés par l’Index, par la Commission de colportage, ou par des critiques conservateurs virulents : Balzac, Soulié, etc. On trouve pourtant dans cette liste oullinoise initiale Les contes à Ninon de Zola, les écrits de plusieurs femmes pionnières de l’éducation pour les femmes et politiquement engagées (André Léo, Clémence Robert, Julie Daubié, Marie Pape-Carpantier), L’ouvrière de Jules Simon, les différents ouvrages de Jean Macé, etc.80. Il y a fort à parier que la lecture de ces titres n’aurait pas suscité les sourires des sénateurs comme l’a fait l’évocation par Simon Genteur d’une autre auteure en effet présente dans la liste, Mme Cottin. On comprend mieux pourquoi dès le 31 décembre 1867 le président de la Société des bibliothèques populaires du Rhône répond au préfet, qui lui demande des renseignements sur la pétition, que sa société n’a ni fondé, ni ouvert, ni dirigé la bibliothèque d’Oullins, et que si elle lui a fait don de livres provenant soit des ministères soit de la Société Franklin, ce n’est pas le cas « des ouvrages qui sont indiqués dans la pétition »81

  • 82 On peut supposer que le choix d’un ouvrage du Comte de Paris, en exil sous le Second Empire, n’est (...)
  • 83 Agnès Sandras , « La Bibliothèque des Amis de l’Instruction d’Épernay », op. cit.

35Les accusations des cléricaux contre les bibliothèques populaires ne sont pas dénuées de fondement. Les sympathies des pionniers de ces bibliothèques pour le saint-simonisme et le fouriérisme sont évidentes. Certains, prudents, ont opté pour une insertion consensuelle dans les mouvements philanthropes, acceptant la surveillance de leurs activités et de leurs fonds. Cette réserve est de surface. Nombre d’entre eux rejoindront dès que possible les rangs des républicains et les BAI seront par exemple très actifs aux côtés de Gambetta. Il est de plus difficile d’évaluer leurs stratégies de résistance sous le Second Empire : ainsi, en comparant les catalogues de la BAI d’Épernay sous le Second Empire puis la Troisième République, on repère des titres différents pour la même cote : le numéro d’ordre attribué aux Œuvres de Napoléon III correspond désormais aux Philosophes classiques de Taine, l’ouvrage sur les Associations ouvrières en Angleterre de Véron est remplacé par celui du Comte de Paris82, et La cause des Grecs de Lacretelle disparaît au profit du Petit manuel pratique d’économie de Block, alors que les pertes d’ouvrages génèrent de nouveaux numéros83. Les fondateurs des bibliothèques de Saint-Étienne et d’Oullins ont été plus audacieux en tentant d’enfreindre les recommandations ministérielles. La réaction des cléricaux a durablement affecté la confiance de l’administration qui demeurera très tatillonne sous la Troisième République, soupçonnant facilement la présence d’ouvrages séditieux.

36Cette bataille autour des bibliothèques populaires entre des cléricaux évoquant des ouvrages dont ils ignorent le contenu et des démocrates divisés sur la conduite à mener – prudence ou provocations – annonce par bien des aspects les affrontements à venir autour de la laïcité.

Encadré. Ouvrages mentionnés dans la pétition contre les bibliothèques populaires de Saint-Étienne, selon la presse

PROUDHON

La révolution sociale

PROUDHON

Confession d’un révolutionnaire

VOLTAIRE

Dictionnaire philosophique

VOLTAIRE

Romans et contes

J.-J. ROUSSEAU

Confessions

RENAN

Vie de Jésus

RENAN

Les apôtres

LAROQUE

Examen critique

D’HÉRICOURT

La femme affranchie

L’ABBÉ ***

Le maudit

L’ABBÉ ***

Le moine

L’ABBÉ ***

La religieuse

FOURIER

Le nouveau monde

FOURIER

Égarement de la raison

CONSIDERANT

Œuvres diverses

CANTAGREL

Œuvres diverses

MICHELET

La sorcière

MICHELET

Le prêtre, la femme et la famille

PEZZANI

Pluralité des existences

LANFREY

Histoire politique des Papes

GAGNEUR

La croisade noire

ALLAN KARDEC

Œuvres spirites

Jean REYNAUD

Philosophie religieuse

RABELAIS

Œuvres complètes

BOUCHER

Les jésuites

D’ARGAUD

Histoire de la liberté religieuse

George SAND

Mademoiselle de la Quintinie et 14 autres volumes dont Indiana ; Lélia ; Jacques ; Les compagnons du Tour de France

Eugène SUE

Le Juif errant ; Les mystères de Paris

BALZAC

Tous ses romans

PELLETAN

La nouvelle Babylone

Note

1 À propos des bibliothèques populaires. Discours de M. Sainte-Beuve prononcé dans la séance du Sénat, le 25 juin 1867. Paris, Michel-Lévy frères, 1867.

2 Ibid.

3 Aubry-Foucault, « La Bibliothèque d’Oullins », La gazette de France, 25 juin 1868.

4 Voir Noë Richter, Les bibliothèques populaires, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1978 ; Agnès Sandras (dir.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2014  ; les différents billets publiés sur le Carnet de recherches des bibliothèques populaires [CRBP] depuis 2013 : < https://bai.hypotheses.org/ >.

5 Voir Lectures et lecteurs au XIXe siècle. La Bibliothèque des amis de l’instruction (Actes du colloque tenu le 10 novembre 1984, réunis et présentés par Marie-Josèphe Beaud, Jean Grigorieff et Georges Guillaume Kerourédan), Paris, Bibliothèque des amis de l’instruction du 3e arrondissement, 1985 ; Pascale Marie, « La Bibliothèque des Amis de l’instruction du IIIe arrondissement : un temple, quartier du Temple », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, t. 1, La République, Paris, Gallimard, 1984 ; Isabelle Antonutti, Sarah Clément, « Philanthropie, affects et engagement à la Bibliothèque des Amis de l’instruction », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2018, 14. [En ligne] < http://journals.openedition.org/rfsic/3807  >.

6 Voir Ian Frazer, « Jean-Baptiste Girard (1821-1900) : fondateur des bibliothèques des amis de l’instruction (1861) », in Lectures et lecteurs au XIXe siècle, op. cit. ; et plusieurs billets d'Agnès Sandras sur Jean-Baptiste Girard en ligne sur le CRBP, op. cit.

7 Voir Agnès Sandras , « Les petites sœurs de la Bibliothèque des Amis de l’Instruction : Hortes et Vernon, expériences à la campagne et dans une petite ville de province », in Agnès Sandras (dir.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, op. cit. ; Agnès Sandras, « La Bibliothèque (populaire) communale de Vernon : une tentative originale de transmission des savoirs dans une petite ville de province sous le Second Empire libéral », La transmission des savoirs, 143e congrès du CTHS, Paris, 2018 ; et Agnès Sandras , deux billets sur la bibliothèque rurale d’Hortes en ligne sur le CRBP, op. cit.

8 Voir Arlette Boulogne, Des livres pour éduquer les citoyens. Jean Macé et les bibliothèques populaires, Paris, L’Harmattan, 2016.

9 Voir Étienne Naddeo , « La Société Franklin, une rencontre “des deux mondes” ? », CRBP, 13 avril 2016. [En ligne] < 

https://bai.hypotheses.org/1019

 >.

10 Voir Odile Vacher , « Contradiction de l’offre et de la demande sur le marché du savoir », in Lectures et lecteurs au XIXe siècle, op. cit.

11 Archives départementales de Paris (AD75), V-D6 1191, lettre d’Arnaud-Jeanti à Auguste Perdonnet, 14 novembre 1862.

12 AD75, V-D6 1191, lettre de M. A. Vincent à M. A.-Jeanti, maire du 3e arrondissement, du 16 novembre 1862.

13 Ian Frazer, « Jean-Baptiste Girard… », op. cit.

14 Archives nationales (AN), F/1a/632, circulaire confidentielle du ministre de l’Intérieur aux préfets, 8 avril 1864. On retrouve cette circulaire dans les dossiers des bibliothèques populaires de plusieurs archives départementales.

15 Jean-Charles Geslot, Agnès Sandras , « Les débuts de la bibliothèque populaire de Versailles : lecture et politique au temps de la libéralisation de l’Empire », Romantisme, 2017, n° 177.

16 Archives départementales de la Marne (AD51), 4T84, dossier de la bibliothèque populaire de Verzenay.

17 Émile de La Bédollière, « Partie politique », Le siècle, 2 janvier 1866.

18 Voir les billets d'Agnès Sandras sur Le siècle et les bibliothèques populaires, et sur La presse et les bibliothèques populaires. CRBP, op. cit.

19 Voir les billets d'Agnès Sandras sur les bibliothèques populaires et l’Exposition universelle de 1867. CRBP, op. cit.

20 AN, F/1a/632, lettre du ministre de l’Instruction publique au ministre de l’Intérieur, 14 juin 1866.

21 Agnès Sandras , « La Bibliothèque des Amis de l’Instruction d’Épernay », in Des bibliothèques populaires à la lecture publique, op. cit.

22 Archives départementales de la Loire (AD42), 4T701.

23 Archives municipales de Saint-Étienne (AMSE), 1D41, délibération du Conseil municipal, 2 décembre 1865.

24 Ibid.

25 Ibid.

26 Quelques rares délibérations du conseil municipal (AMSE), un dossier sur les bibliothèques populaires (AMSE) qui contient essentiellement des documents postérieurs à l’affaire, quelques courriers conservés dans le dossier des AD42 à propos de l’affaire. On ne retrouve ni aux AMSE ni aux AD42 de copie des catalogues de 1867, du fonctionnement des deux bibliothèques en 1866 et 1867, non plus que de la fameuse pétition. Je n’ai pas non plus pu retrouver le catalogue de 1867, que plusieurs contemporains disent avoir consulté, y compris sous une forme imprimée.

27 AMSE, 1D1, délibération du conseil municipal, 3 octobre 1866.

28 AMSE, 1D1, délibération du conseil municipal, 17 octobre 1866 [le 1 est barré sur le registre et accompagné d’un point d’interrogation car la date manuscrite est le 7].

29 AMSE, 3R31, lettre de C. Levier [pour le secrétaire général de la Société Franklin] au maire de Saint-Étienne, février 1866.

30 Le mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 20 août 1868.

31 Bernard Desmars , « Laforest, Pierre, dit Laforest aîné » et « Tiblier, dit Tiblier-Verne, Jean », in Dictionnaire biographique du fouriérisme. [En ligne] < 

http://www.charlesfourier.fr/spip.php?page=auteur&id_auteur=28&title=Auteurs

 >.

32 Le mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 20 août 1868.

33 Ibid.

34 Lettre de Laforest aîné, 24 avril 1867. École normale supérieure, fonds Considerant, carton 13, dossier 1. D’après Bernard Desmars , « Laforest, Pierre, dit Laforest aîné », op. cit.

35 AD42, 4T701, lettre de l’inspecteur primaire de Saint-Étienne à l’inspecteur d’académie, 17 janvier 1867.

36 AD42, 4T699, lettre du sous-préfet de Roanne au préfet de la Loire, 7 février 1867.

37 AD42, 4T699, brouillon de réponse du préfet de la Loire au sous-préfet de Roanne, contenant la réponse de l’inspecteur d’académie, janvier 186 (?).

38 L. Dori, « Nos bibliothèques populaires », L’observateur stéphanois, 20 janvier 1867.

39 À cet article caustique, bourré d’allusions en particulier sur le rôle de M. Chillet dans la fondation des bibliothèques populaires, répond un article encore plus sibyllin, compréhensible seulement par les personnes citées, dans La vérité du 10 février 1867, sous les initiales A.H.F.C. Les deux journaux continuent cet échange sur plusieurs numéros.

40 L. Dori, « Nos bibliothèques populaires, - Post-scriptum », L’observateur stéphanois, 3 février 1867.

41 Roger Bellet, « Une bataille culturelle, provinciale et nationale, à propos des bons auteurs pour bibliothèques populaires (janvier-juin 1867) », Revue des sciences humaines, juillet-septembre 1969.

42 AMSE, 3 R 30, lettre du préfet au maire de Saint-Étienne, 6 juillet 1867.

43 AMSE, 3 R 30, lettre du commissariat central de la préfecture de la Loire au maire de Saint-Étienne, 13 juillet 1867.

44 AD42, 4 T 699. Le nombre élevé de ratures et d’ajouts et l’absence de signature et de date fait pencher pour un brouillon original.

45 AMSE, 3 R 30, affiche de la mairie de Saint-Étienne, « Bibliothèques populaires – Transfert place des Ursules », 5 juin 1867.

46 Jules Vallès, « Lettres de province – Au fond d’une mine », Le figaro, 16 et 17 novembre 1866.

47 Voir les billets d'Agnès Sandras sur les bibliothèques populaires et l’Exposition universelle de 1867. CRBP, op. cit.

48 Albert Baume, « Correspondance parisienne », Le réveil, journal Paris-Lyon, 7 juillet 1867.

49 Voir Agnès Sandras , « “C’est par les femmes que se fera la complète émancipation des consciences” : Marie-Louise Gagneur, les associations ouvrières et les bibliothèques populaires », CRBP, 8 mars 2019. [En ligne] < 

https://bai.hypotheses.org/3147

 >.

50 Roger Bellet, « Une bataille culturelle, provinciale et nationale… », op. cit.

51 Manuscrits de l’Institut de France, collection du vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul, lettres adressées à Sainte-Beuve à l’occasion de son intervention au Sénat dans la délibération sur une pétition relative aux bibliothèques populaires de Saint-Étienne (25 juin 1867), ms. Lov. D 615, 414 feuillets.

52 Ibid.

53 Gilles Pichavant, « Bellanger, Frédéric Aimé », in Le Maitron. Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social. [En ligne] < 

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/

 >.

54 Manuscrits de l’Institut de France, ms. Lov. D 615.

55 Ibid.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 Roger Fayolle, « Sainte-Beuve et l’École normale : l’affaire de 1867 », Revue d’Histoire littéraire de la France, juillet 1967, p. 557-576.

59 Th. Froment , « Désiré Nisard (1806-1888) », in Le centenaire de l’École normale (1795-1895). Édition du Bicentenaire, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1994.

60 Charles Nisard, Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage depuis le XVe siècle jusqu’à l’établissement de la Commission d’examen des livres du colportage, Paris, Amyot, 1854.

61 Voir Jacques Canton-Debat, Un homme d’affaires lyonnais. Arlès-Dufour (1797-1872), thèse de doctorat NR d’histoire : sous la dir. d'Yves Lequin, Lyon II, 2000.

62 Ces diverses brochures sont reprises dans Nouvelles œuvres choisies de Mgr Dupanloup, [t 3 : Controverse sur l’éducation des filles], Paris, Plon, 1873-1874.

63 Ibid.

64 AD69, 4T98, liste manuscrite des membres du conseil d’administration et des sociétaires de la bibliothèque populaire d’Oullins.

65 AD69, 4T98, copie manuscrite d’une lettre de l’abbé Joly, curé d’Oullins, extraite du Courrier de Lyon du 27 février 1868.

66 AD69, 4T98, lettre du commissaire de police d’Oullins au préfet du Rhône, 18 mars 1868.

67 AD69, 4T98, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Rhône, 1er juillet 1868.

68 AD69, 4T98, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Rhône. 21 mai 1868.

69 AD69, 4T98, brouillon d’une lettre du sénateur-préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur, 6 juin 1868.

70 On ne trouve en effet pas dans les dossiers des bibliothèques populaires conservés aux AD et aux AN de trace de ces pétitions.

71 Voir Agnès Sandras, « Le rôle clé des bibliothèques populaires dans la défense de la littérature et sa promotion auprès des publics sous le Second Empire », in Olivier Bessard-Banquy (dir.), La démocratisation des lettres, XIXe – XXIe siècle, Paris, Gallimard, à paraître.

72 Voir Jean-Charles Geslot, Victor Duruy, historien et ministre, 1811-1894, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009.

73 Il y a en effet des spirites parmi les fondateurs des premières bibliothèques populaires, comme Charles Fauvety.

74 Sénat : séance du 9 juin 1868, sous la présidence de M. Troplong. La gazette nationale ou Le Moniteur universel, 10 juin 1868.

75 AD69, 4T98, épreuve de la copie imprimée de la lettre d’Arlès-Dufour au préfet du Rhône, 10 juin 1868, envoyée aux rédacteurs des journaux, jointe à un courrier d’Arlès-Dufour au préfet datant du 18 juin 1868.

76 AD69, 4T98, lettre d’Arlès-Dufour au préfet, 3 juillet 1868.

77 AD69, 4T98, procès-verbal de l’Assemblée des sociétaires de la bibliothèque populaire d’Oullins, le dimanche 28 juin à 11 heures du matin.

78 Le journal des Débats politiques et littéraires, 14 juin 1868.

79 Lettre d’Arlès-Dufour au prince Napoléon, 11 septembre 1868. Citée par Jacques Canton-Debat, Un homme d’affaires lyonnais,op. cit.

80 AD69, 4T98, catalogue manuscrit joint à une lettre d’Arlès-Dufour au préfet du Rhône, le 27 mars 1868. Annoté au crayon bleu par les services de la préfecture.

81 AD69, 4T98, lettre du président de la Société des bibliothèques populaires du Rhône au préfet du Rhône, 31 décembre 1867.

82 On peut supposer que le choix d’un ouvrage du Comte de Paris, en exil sous le Second Empire, n’est pas fortuit.

83 Agnès Sandras , « La Bibliothèque des Amis de l’Instruction d’Épernay », op. cit.

Autore

Conservatrice des bibliothèques, chargée des collections d’histoire de France, Bibliothèque nationale de France (Paris), chercheuse associée au Centre Zola (ITEM-CNRS)

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