Chapitre 7. Rôles et fonctions des marqueurs de tombe
p. 249-274
Texte intégral
1Sémantiquement et archéologiquement, le terme marqueur recouvre des réalités différentes, mais ce choix de vocabulaire se justifie par les rôles pluriels et communs qu’elles traduisent : signaler une sépulture, honorer le mort, établir un lien entre celui-ci et les survivants. Si le corpus archéologique est très riche, clarifier les fonctions des marqueurs suppose la confrontation de toutes les sources et l’insertion de leur décodage dans des problématiques plus vastes. Or, presque aucun texte issu de notre aire d’étude ne mentionne les marqueurs, le corpus épigraphique est très réduit et le corpus iconographique est presque muet concernant les étapes qui nous intéressent ici : l’ensevelissement et la mise en place du marqueur par exemple, ne sont presque jamais figurés sinon de façon métaphorique (Hypnos et Thanatos sont parfois représentés en train de déposer le corps du défunt dans sa tombe)1. Les textes littéraires, philosophiques et les lois funéraires du monde grec fournissent néanmoins des informations sur les funérailles, les tombes et les pratiques ostentatoires qui les caractérisent et permettent de replacer la question des marqueurs italiens dans un contexte plus vaste permettant de mieux les appréhender.
2Mis à part dans le cas de tombes collectives financées par la cité – comme parfois celles des soldats tombés au champ d’honneur ou d’athlètes –, le marqueur de tombe fait passer une relation de privée à publique. Il faut donc s’interroger sur le rôle des marqueurs dans le champ du collectif – c’est-à-dire dans le cadre de la nécropole où ils se trouvent et de la communauté dont elle dépend –, sur leurs fonctions au niveau individuel et sur la signification du marqueur pour le défunt. Pour approfondir ces questions, il faut cerner la personnalité et les intentions des commanditaires et les modalités de la mise en place du ou des marqueurs qu’ils ont choisi d’installer. L’identité des commanditaires est a priori essentielle pour comprendre les marqueurs : leur situation sociale, leurs moyens financiers et leur culture définissent les modalités selon lesquelles ils ont voulu se présenter ou présenter leur relation avec le défunt, ainsi qu’avec les « spectateurs » du monument2, c’est-à-dire les passants circulant devant la tombe si elle est sur une voie ou fréquentant le lieu de l’inhumation si elle est située dans une nécropole. Il convient d’examiner la liberté des commanditaires dans leurs choix et les contraintes qui l’encadrent.
3Les funérailles sont chères, ainsi que X. De Schutter l’a détaillé en 1989 dans son article « Rituel funéraire et coût des obsèques en Grèce classique », les postes de dépenses étant nombreux3. Il est donc important que le commanditaire puisse y subvenir. Il est en théorie possible de distinguer trois grands types de commanditaires. Le défunt lui-même a pu prévoir sa sépulture ante-mortem, voire en superviser la construction ou prévoir qu’une partie de son héritage soit consacrée à ses funérailles, et au marqueur en particulier. Un membre de sa famille ou un proche a pu jouer le même rôle4. Enfin, un commanditaire « officiel », la cité par exemple, a pu prendre cela en charge. En Italie du Sud, les données sur les individus qui ont prévu leurs marqueurs avant leur mort sont inexistantes. Il ne fait cependant guère de doutes que dans toutes les catégories sociales, et particulièrement dans les milieux dominants, on envisage, voire supervise de son vivant, la réalisation de la sépulture dans laquelle on souhaite reposer, comme cela a été envisagé pour les tombes rupestres de Naples. Notre connaissance de tombes commanditées par la cité est limitée à la cité de Tarente : les tombes des vainqueurs olympiques pouvaient être offertes par les citoyens pour récompenser ces personnages de l’honneur partagé avec la cité, mais nous n’avons aucune attestation sur les marqueurs eux-mêmes5. En revanche, la documentation archéologique illustre ce que disent les textes et permet d’affirmer que si le défunt n’a pas prévu de marqueur, ses héritiers se doivent d’en mettre un en place et les descendants de continuer à l’entretenir6.
La paix des morts et des vivants
La mise en place des marqueurs
4En dépit de nombreuses études historiques, religieuses, archéologiques et anthropologiques menées sur les cérémonies funéraires, la question du moment de la mise en place des marqueurs n’a, assez paradoxalement, jamais été véritablement abordée. C’est sans doute que ni les textes, ni les rites, ni l’archéologie n’incitent à la poser : les lois ou les rites ne la mentionnent pas, les données archéologiques ne la mettent pas en avant7. A priori, l’installation et la signification des marqueurs sont pourtant indissociables des étapes des cérémonies funéraires et du temps du deuil. Pour approfondir la question, il est impossible de s’en tenir à la notion générale de marqueurs dont on saisit ici l’une des limites : il convient en effet d’opérer des distinctions selon les types de marqueurs.
5Sauf cas particulier (mort accidentelle), la sépulture peut être préparée avant le décès. S’il s’agit d’individus sans tombe familiale, les fossoyeurs ont creusé le sol à l’emplacement prévu, sur sa parcelle ou dans un espace considéré comme commun. Dans ce cas, des fosses peuvent être préparées sans être nécessairement destinées à un individu en particulier8. Le marqueur le plus simple qu’est la butte provoquée par le comblement de la fosse après la déposition du cadavre prend forme avec l’inhumation même. Si le mort est un personnage plus important, il va rejoindre la tombe commanditée ou héritée de sa famille. Le naiskos ou l’hypogée peut donc préexister ou être installé avant le décès, bien que l’on puisse considérer que la mise en place complète du marqueur et son achèvement n’interviennent que lors de la fermeture de la porte. En revanche, il est exclu qu’un tumulus puisse être constitué avant l’inhumation ; tout au plus peut-il être préparé, mais aucune source ne mentionne une éventuelle accumulation préparatoire des matériaux destinés à former le tertre. Quant aux marqueurs de petite taille comme les vases et les stèles, il est difficile de penser qu’ils puissent être mis en place avant l’inhumation : sans doute prévus avant la mise en terre, commandés à un potier ou à un atelier de sculpture, ils doivent être installés (ou dévoilés) à la fin du rituel funéraire9. Sont-ils livrés sur place dans la nécropole ou le cortège les emmène-t-il avec lui depuis la demeure du défunt ?
6Dans tous les cas, les marqueurs ne se chargent de leurs valeurs qu’après la déposition du mort puisqu’ils sont destinés à signaler sa présence ; leur fonction n’est effective ou ne devient effective que lors des funérailles ou dans la période qui suit. Le cas des marqueurs produits en série avant d’être personnalisés, avec une inscription en particulier, l’illustre très bien. C’est donc cette phase qu’il convient d’étudier plus précisément.
Retrouver la tombe, gérer l’espace, protéger la tombe et son contenu
7L’organisation des tombes reflète une politique d’organisation des espaces funéraires pendant toute la période concernée par notre étude, entre le ve et le iiie siècle av. n. è. Il est rare d’observer des sépultures anciennes perturbées par des sépultures plus récentes, même lorsque la nécropole est en fonction durant plusieurs centaines d’années. Le cas de la déposition de cheval signalée par une amphore à Pantanello montre bien l’aspect pratique des marqueurs : si on peut envisager que l’on ait affaire à une tombe d’animal, il est plus probable que l’amphore-marqueur signalait plus simplement un emplacement occupé soit afin d’éviter une perte de temps aux fossoyeurs, soit pour protéger ce qui pourrait être une offrande – le squelette du cheval présente des connexions anatomiques, nous n’avons donc probablement pas affaire aux déchets d’un nettoyage de la nécropole10.
8Les cas attestés de perturbations sont intéressants à analyser dans la mesure où ils violent un principe établi. Le cas de la nécropole de San Brancato, étudié par R. Donnarumma et L. Tomay, fournit un bon exemple : un soin tout particulier a été apporté au respect des tombes anciennes, une seule perturbation étant recensée11. Ici, comme dans de nombreuses autres nécropoles, plusieurs schémas peuvent avoir conduit à ce constat archéologique. Première hypothèse : les sépultures ne sont pas marquées et si une tombe plus ancienne est découverte lors de l’établissement d’une nouvelle : soit l’excavation est rebouchée et l’on reprend le travail ailleurs, soit elle est détruite et les matériaux éventuellement réemployés, effaçant complétement les traces archéologiques (ce qui paraît peu probable). Autre hypothèse : un employé a la tâche de garder en mémoire, d’une manière ou d’une autre, l’emplacement de chaque tombe ; la mémoire collective peut avoir rempli le même office12. Dernière possibilité : les sépultures sont signalées d’une manière ou d’une autre par un marqueur de tombe qui évite toute perturbation des tombes anciennes ou plus récentes. Si chacune de ces hypothèses représente une explication possible, la dernière d’entre elles, celle des marqueurs, est la plus logique et la plus corroborée. Comment concevoir que la dégradation voire la destruction d’une tombe puisse être envisagée dans des sociétés telles que celles dont nous traitons, où les notions d’ancêtres, de continuité et d’héritage sont fondamentales ? Comment envisager de plus, lors de la mise en terre d’un défunt, accompagné de tout le nécessaire pouvant l’aider dans l’au-delà, que les survivants n’aient pas veillé à protéger la sépulture d’une destruction éventuelle ? Et ce d’autant plus si cette mise en terre a lieu dans le cadre d’une zone de nécropole utilisée par toute une communauté, voire toute une cité.
9La cité, dont on sait en Grèce métropolitaine qu’elle prend part à la gestion des nécropoles, pourrait avoir joué le même rôle en Grande Grèce, en veillant, par exemple, à punir les profanateurs, volontaires ou non, des tombes de la communauté. Dans le cas de zones funéraires moins denses que des nécropoles, il semble plus important encore de marquer la présence des tombes, afin de pouvoir identifier avec certitude les zones libres pour aménager de nouvelles tombes à proximité des précédentes, qu’il s’agisse de l’oikos ou d’une entité plus vaste. Cela permet également à un éventuel passant de lui signifier la présence d’une zone particulière dont les usages sont par nature limités. Enfin, il paraît indispensable de signaler les sépultures isolées afin d’éviter qu’elles ne soient perturbées par une nouvelle installation ou dégradées par une quelconque activité (sauf si l’emplacement ne présente pas d’intérêt : inculte, difficile d’accès...). Il semble également d’autant plus indispensable de signaler la sépulture car, isolée, elle n’en sera que d’autant plus difficile à retrouver pour procéder aux rites funéraires.
10Les marqueurs ont laissé leur empreinte en négatif dans l’organisation des nécropoles. Les configurations planimétriques révèlent fréquemment des alignements de sépultures et des orientations constantes. Il ne s’agit pas forcément d’un objectif en soi, mais d’une conséquence de l’utilisation des marqueurs. En matérialisant en surface l’empreinte souterraine des dépositions, elle a permis une rationalisation de l’espace et le respect des tombes signalées, ou du moins des corps qui y sont placés – une attention grandissante à cet égard est observable en Apulie13. Il semble inenvisageable d’arriver à de tels résultats sans la mise en place de marqueurs, quelle que soit l’alternative proposée. À Lavello, près de Métaponte, l’installation des vases-marqueurs semble avoir eu pour constante un placement au nord de la tombe : une convention qui devait permettre de savoir de quel côté était installée la déposition et de s’aligner précisément sur les anciennes dépositions14.
11À toutes les hypothèses répondant à la nécessité de repérer les tombes afin de ne pas les perturber et de procéder aux rites s’oppose un argument important, celui du pillage. En effet, marquer l’emplacement d’une tombe, et montrer de surcroît avec le plus de faste possible la richesse de la personne qui y est enterrée, n’est-ce pas prendre des risques ? Dans certains cas, il est possible que le marqueur scelle la tombe et la protège : pour accéder au sarcophage ou du moins à la déposition, il faut d’abord enlever le marqueur s’il est placé à la verticale du dépôt ; il s’agit donc d’une entreprise fastidieuse, donc éventuellement plus difficile à réaliser de façon discrète. Le marqueur signale de plus à un éventuel témoin que le pilleur est en train de pénétrer dans une tombe, et non pas de creuser une nouvelle fosse15. On peut aussi estimer que le respect des morts était suffisamment important pour éviter ces problèmes : le marqueur rappelant ce respect dû au défunt, il vient peut-être rappeler la gravité d’une profanation, la fréquence des katadesmoi semble cependant que cette approche n’est pas universelle16. Une tombe encore marquée, entretenue et sur laquelle des offrandes sont faites échappe peut-être au pillage, le défunt faisant encore partie d’une communauté.
12Phase du rituel orientée vers les vivants et la cité, la cérémonie funéraire codifie la nouvelle condition du disparu, le monument marque ce nouvel état et prolonge le souvenir du mort. Par son choix marqueur, le commanditaire transmet un message aux descendants du défunt et aux citoyens de sa ville, perpétuant ainsi une idéologie et une culture familiale. Le faste des funérailles est avant tout l’occasion de montrer aux vivants le pouvoir des familles aristocratiques, qui peuvent se permettre de dépenser des sommes importantes et se passer d’objets de prestige laissés au défunt. En Grande Grèce, le cas des tombes d’enfant est particulier : généralement pauvres en matériel en Grèce, elles sont, en Italie du Sud comme dans d’autres régions, parfois richement dotées. La mort d’un enfant a des implications différentes, car il porte une promesse de prospérité et de permanence de la cité, sa pérennisation17.
13Outre des dimensions pratiques, repérer et identifier une tombe, le marqueur se dote donc d’une fonction représentative qui semble, au vu du matériel, n’avoir été importante en Grande Grèce qu’à partir de la fin de la période archaïque18. Il ne faut cependant pas omettre l’ampleur des lacunes documentaires qui caractérise l’archéologie funéraire pour la période archaïque et bien garder à l’esprit que ce phénomène précis concerne les cités grecques seulement.
Contraintes juridiques, rituelles et pratiques
14La documentation italienne recèle des textes réglementant les rituels funéraires, mais ceux-ci sont muets à propos des marqueurs19 ; on peut penser que cela est dû aux aléas de la conservation et émettre l’hypothèse que les cités avaient promulgué des textes normatifs sur ces questions à l’instar des cités grecques pour lesquelles on connaît des textes officiels encadrant les étapes des funérailles. On peut aussi envisager que de telles règles n’étaient pas énoncées, mais que par défaut celles de la cité d’origine ont été appliquées avant d’éventuellement évoluer, ou encore que l’on faisait appel au sens commun.
15Si certaines cités grecques ont défini des zones dans lesquelles il était permis ou interdit d’inhumer les morts, leurs lois funéraires ne mentionnaient que rarement les marqueurs20. Ils n’apparaissent que dans quelques textes grecs et passages de Cicéron ; les plus complets concernent la législation athénienne. Comme à Gortyne, celle-ci impose aux vivants de procéder aux rites funéraires pour bénéficier de l’héritage21. Dans certains cas, cela est même indispensable pour espérer devenir magistrat. Cicéron nous renseigne sur deux lois où apparaissent les marqueurs. L’une, prêtée à Solon, prévoit une sanction contre celui qui brise un édifice funéraire ou l’abîme – on comprend que Cicéron envisage ici la détérioration des marqueurs. L’autre limite la richesse des tombes. Par ailleurs, une loi de Démétrios de Phalère, datée de 317, exclut de placer sur le tertre funéraire autre chose qu’une table, une vasque et une colonne dont la hauteur est limitée à trois pieds, et met en place un personnel chargé de veiller à l’application de la loi22.
16La place mineure qu’occupent les marqueurs dans la législation va de pair avec celle que lui réservent les rites. Si certains textes rituels et juridiques évoquent l’impureté liée à la visite à la tombe, auprès du marqueur donc, ceux-ci n’apparaissent pas explicitement23. Leur mise en place n’est pas religieusement codifiée. La question mérite d’être approfondie, car l’installation du marqueur s’inscrit bien dans le déroulement des funérailles dont elle atteste qu’elles ont bien été menées à leur terme.
17Qu’aucun texte normatif civique ou religieux sur les marqueurs ne soit connu pour l’Italie du Sud et que nous n’en connaissions que peu par ailleurs est sans doute significatif : les marqueurs n’occupaient qu’une place secondaire dans les dérives ostentatoires condamnées par les lois et les philosophes comme Platon et ne constituaient pas un problème majeur ; une grande liberté de choix était laissée aux défunts et à leurs descendants. Mais cette liberté n’est pas synonyme de diversité. Quels qu’ils soient, les descendants entendent honorer le mort, montrer l’attachement qu’ils lui portent et attester la légitimité de leurs ambitions sociales et politiques en se donnant les moyens de montrer les tombes de leurs ancêtres24. Ils le font dans le respect des pratiques et des valeurs traditionnelles de la cité. Le choix des marqueurs révèle un certain conformisme en même temps qu’il montre une évidente volonté de se distinguer, d’où la variété dans le décor des naiskoi. Si la richesse des tombes révèle les clivages sociaux, la variété des marqueurs est limitée et s’inscrit dans le cadre d’usages parfois bien établis. Nous avons cependant montré que les tombes et leurs marqueurs constituent un décor permettant la mise en scène de performances familiales et politiques lors des rituels funéraires (pensons au vestibule des hypogées et aux nombreuses scènes de visite à la tombe présentes dans la céramique italiote : fig. 1, 9, 30-31, 40-41, 44, 54, 69). Ce mélange de liberté et de conformisme tient au statut spécifique des nécropoles dont les aires sont chargées d’interdits religieux, de préoccupations foncières et économiques (préserver les terres agricoles) et de soucis sanitaires (pollution des eaux, foyers d’infection). La mort souille, la communauté des vivants doit donc être protégée physiquement, religieusement, symboliquement25.
Fig. 69. Cratère à volutes apulien attribué au peintre Strötgen (ca 350 av. n. è.).

Les gestes d’affliction tels qu’on les observe ici sont rares dans ce type de scène. Le pas de danse du défunt, sa tenue avec des clochettes et l’instrument de musique dans la main du vieil homme évoquent les « performances » qui pouvaient avoir lieu au sein des nécropoles.
Museo Nazionale di Matera, inv. 164563. Photographie de l’auteur, su concessione del MiC-Museo Nazionale di Matera.
18Si elles constituent le monde des morts, les tombes et les nécropoles sont destinées aux vivants. À l’inverse de celles de l’Égypte pharaonique (et notamment des tombes de la vallée des Rois) ou des cimetières de France et d’Italie actuels, où les tombes sont généralement cachées ou placées dans une aire emmurée dans laquelle on ne se rend que si on le souhaite, les tombes qui nous intéressent sont majoritairement disposées le long des voies de circulation, près de carrefours et s’imposent quotidiennement au regard des passants26. Lorsqu’elles sont situées sur une voie interne à la nécropole, s’étendant loin de la route principale, on retrouve la même préoccupation : une circulation de proximité reste possible. Les monuments funéraires grecs d’Italie du Sud cherchent à attirer l’attention des vivants et à faire survivre le mort dans leur souvenir. Comme celles du monde des cités classiques grecques et romaines27, les nécropoles de Grande Grèce font partie du paysage de la cité tout en en étant exclues. Avec les sanctuaires et les murailles, les zones funéraires font d’ailleurs partie des éléments que cherchait à mettre en évidence P. Orsi pour établir la présence d’une cité. La bibliographie sur ces questions est ancienne et nombreuse ; on se bornera ici à reprendre la notion d’hétérotopie proposée par M. Foucault, d’autant plus qu’il prend l’exemple des cimetières28 :
Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont [été] dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies ; et je crois qu’entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y aurait sans doute une sorte d’expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir29.
19Les hétérotopies supposent un système d’ouverture et de fermeture qui les isole et les rend pénétrables à la fois ; le plus souvent liées à des découpages du temps, elles ouvrent sur ce que l’on pourrait appeler, par symétrie, des hétérochronies ; l’hétérotopie fonctionne pleinement lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue – dont la mort constitue le cas ultime – avec leur temps traditionnel. La nécropole grecque compose le monde radicalement différent des morts, mais ses aménagements s’adressent aux vivants. Elle est par excellence lieu de mémoire et de rencontre entre passé et présent, morts et (sur)vivants. Les autels présents parmi les tombes, utilisés comme marqueurs ou non, le rappellent. C’est dans ce contexte hétérotopique qu’il faut nécessairement s’interroger sur la signification des marqueurs : relevant des pratiques religieuses et sociales traditionnelles, ils reçoivent leur sens du paysage dans lequel ils se trouvent et contribuent à le façonner.
20Même si cela est sans doute formel, il est légitime de se demander si le choix du marqueur intervient avant ou après celui du terrain et si l’emplacement joue un rôle dans la sélection du marqueur ou l’inverse. Répondre à la question se heurte à nos ignorances du système des concessions funéraires. Qu’il soit un héritage des origines de la cité, le résultat d’acquisitions plus récentes ou d’une politique de la cité, l’emplacement de la tombe en un lieu bien visible est un enjeu pour le défunt et sa famille. Un bon emplacement suppose des moyens financiers ou une influence sociale, voire politique suffisamment efficace. Il implique de nombreux « témoins » du nouveau statut du défunt et des survivants qui l’ont parfois financé, l’entretiennent et y procèdent à des rites réguliers. Comme L. Aniceto le démontre, « la topographie contribue à construire le statut social30 ».
21Les dimensions des lots et celles du monument funéraire sont évidemment interdépendantes, certains types comme les naiskoi ou les tumuli ne peuvent être réduits en deçà de certaines dimensions. Dans cette logique on peut considérer que certaines stèles sont des naiskoi miniatures, moins coûteux et nécessitant moins de terrain. L’emplacement auprès d’une route, la présence d’un puits, le relief ou le contexte immédiat (autres marqueurs, artisans, dépotoir…) ont pu influencer les décisions des commanditaires. Mais le raisonnement peut être inversé, le site étant parfois choisi en fonction du marqueur souhaité : les tombes rupestres de Naples et les hypogées à façade ne peuvent notamment être creusés que dans des bancs rocheux adaptés, dans un espace à la fois accessible et disponible.
22Il est sans doute artificiel de se demander quel critère, l’emplacement ou le marqueur, est le plus important. Les deux sont l’objet d’une compétition sociale au sein de laquelle l’histoire de la famille ou son aisance financière sont déterminantes31. Une famille riche peut financer à la fois un bon emplacement et une belle sépulture tout en se distinguant. Le coût du terrain (s’il y a achat, ce qui n’est pas corroboré, ce qui n’empêche pas d’estimer que des terrains ont une valeur) joue éventuellement un rôle dans le choix du marqueur ; on peut supposer que la dépense engagée pour le terrain ou les efforts réalisés pour l’obtenir obère le budget dévolu au marqueur. Les nécropoles tumulaires illustrent bien cette problématique : il s’agit certes d’établir un tertre de volume important, mais également de se placer auprès des tumuli plus anciens afin d’en capter l’aura : ces emplacements prestigieux sont néanmoins souvent déjà occupés, il faut donc réduire la taille du nouveau marqueur pour pouvoir l’insérer, puis recourir à d’autres moyens pour attirer l’attention, par exemple en installant un marqueur complémentaire, tel un vase ou une stèle. Notre recherche montre effectivement que l’emplacement des stèles et autres marqueurs du même volume peut varier. Ces marqueurs se trouvaient soit au sommet des monticules de terre, soit, comme des exemples athéniens le montrent, devant les tombes32, près de la route, afin que les passants les voient et puissent les lire33. À Pantanello, les vases étaient placés au nord des dépositions, du côté des pieds des corps inhumés34. Comme l’indiquent plusieurs éléments, les contraintes rituelles y faisaient revenir les vivants fréquemment. Il ne faut pas oublier qu’à chaque nouvelle déposition, c’est toute une famille, voire une partie de la communauté, qui se rendait sur les lieux et rencontrait les marqueurs des défunts précédents.
Séparer la necropolis de la polis
23Avec la naissance et le mariage, la mort est, dans toutes les civilisations, accompagnée de rites de passage35. Selon A. Van Gennep, la structure de ces rites est tripartite, car elle fait se succéder trois moments liés et ordonnés : les rites de séparation, les rites de transition et les rites d’incorporation36.
24Les rites de séparation déplacent le défunt du monde des vivants, la polis, au monde des morts, la nécropole. Les rites de transition – le moment le plus fort selon A. Van Gennep – constituent un temps ambigu et paradoxal. Les vivants sont encore liés au défunt, mais il n’est plus de leur monde. Tout ce qui est attaché à la cérémonie est impur et dangereux ; tous les participants perdent leur identité humaine et sociale : ils n’appartiennent ni à un état, ni à l’autre37, ni à aucune catégorie sociale38. Le défunt disparaît, généralement, dans la terre. À cette phase liminale succède le rituel d’intégration : les acteurs du rite réintègrent le monde des vivants et retournent à leur quotidien pendant que le défunt intègre irréversiblement celui des morts. La rupture rituellement achevée, la période de deuil se poursuit éventuellement plusieurs semaines. Soulignant qu’il est inutile de la faire durer, Valère Maxime évoque l’exemple de Marseille grecque où le deuil ne doit durer que l’espace de la journée des obsèques39.
25Ces rites assurent le passage entre mondes des vivants et des morts et un retour à la normale après l’épisode perturbateur du décès40. Ils permettent au mort de franchir le fleuve infernal pour rejoindre le monde d’Hadès et aux vivants de s’en retourner à la société, traversant souvent un cours d’eau. Dans ce cas-là, les protagonistes des funérailles, le défunt comme le cortège41, franchissent tous un fleuve, mais seuls les vivants le traversent en sens inverse lors du retour à la vie quotidienne. Les cérémonies funéraires assignent une nouvelle résidence au mort : son enfermement permet d’assurer la pérennité de son identité et l’intégrité du monde des vivants42. La tombe refermée, les limites entre les deux groupes sont rétablies et assurées. Ces rituels sont aussi le signe que la mort n’est pas finale : la permanence du marqueur au su et au vu de tous en est la preuve, de même que les rituels de retour sur la tombe.
26Il semble problématique que la mise en place des marqueurs ait lieu pendant les phases de séparation et de transition, car la distinction entre vivants et morts n’est pas encore radicalement établie. L’enterrement ou la fermeture de la tombe séparent physiquement, mais non symboliquement le mort des vivants ; mais en raison du statut indifférencié de tous les acteurs au cours de la phase de transition, le mort est toujours avec eux quoiqu’en train de les quitter. La loi de Iulis, où il est indiqué que le sema est la destination finale des funérailles, semble cependant montrer que le monument funéraire pouvait être en place avant les rituels43. On peut en effet affirmer que certains monuments sont en place lors des rituels et qu’ils y participent. Les naiskoi, les hypogées à façade ou les tombes rupestres de Naples constituent un espace dans lequel ont lieu les rituels funéraires : ils sont une interface et seul un de leur élément, la porte, vient sceller la tombe et séparer le défunt des vivants. Peut-être faut-il imaginer un phénomène similaire pour d’autres types de marqueurs, consacrés dans leur rôle une fois seulement la tombe fermée.
27Les marqueurs ne sont mis en place ou ne revêtent leur fonction fondamentale qu’au cours de la phase d’intégration ou à son terme, permettant aux vivants de repartir l’esprit tranquille. En affirmant la différence radicale entre vivants et morts, cette phase appelle les vivants à honorer un disparu. En signifiant que le mort appartient à un autre monde, qu’il ne demeure dans celui des vivants qu’à travers des substituts44, le marqueur atteste le retour à la normalité. Dans le livre XII des Lois, Platon insiste sur le fait que la dépouille « n’est que l’image du mort », « ce tas de chairs que l’on est en train d’ensevelir » et que la personne défunte est véritablement partie, seuls des souvenirs et des simulacres restants accessibles45. Le marqueur atteste de ce départ ainsi que du déroulement du rituel funéraire, il est une trace matérielle de la vie du défunt, qu’il peut d’ailleurs rappeler46 et résumer47, comme J.-P. Vernant l’a bien dit à propos du type de la statue-marqueur, « colossos »48. Le séma, qui n’est originellement qu’une référence aux restes, devient le symbole de la nouvelle identité du mort : son souvenir vit grâce à la mémoire des vivants, il est le lieu qui évoque son souvenir : « Et je repose sous une pierre étrangère, longuement pleuré49. »
28La signification des stèles, particulièrement lorsqu’elles sont anthropomorphes ou représentent le mort, a été amplement discutée50. Ce ne sont en effet pas seulement des monuments de pierre. Elles sont traitées comme le corps du disparu et reçoivent boisson, nourriture, huiles, parfums, objets, ornements, couronnes… elles sont à la fois le mort lui-même et un symbole de sa présence51. On constate donc que malgré des intentions proches, chaque type de marqueur comprend ses propres contraintes et intentions. Les vases constituent un exemple frappant : parce qu’à la fois marqueur et instrument pour les libations, ces derniers ont pu avoir été mis en place pour les premières offrandes liquides, alors que le rite est encore en cours.
Le spectacle des funérailles
Commémorer
29Le marqueur est tourné vers les vivants qui le voient, mais, aussi indispensable à l’accomplissement d’actes dirigés vers le disparu, il est lié à des croyances eschatologiques52. En effet, pour pouvoir mener à bien le rituel funéraire grec complet, il est nécessaire de revenir sur la tombe plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs années après l’inhumation. On peut aussi penser aux concours funéraires qui pouvaient se dérouler auprès des tombes53. Comment cela serait-il possible si la tombe n’était pas signalée en surface ? Les fouilles du xixe siècle à Mégara Hyblaea ont très tôt mis en évidence la réouverture de tombes dans l’Antiquité, phénomène par ailleurs bien documenté dans les Pouilles, ce qui nécessite également leur signalement en surface54. On peut faire le même constat dans le cas de nécropoles messapiennes, comme à Egnazia, où les tombes sont souvent plurielles ou familiales55. Dans le cas d’un marqueur commandé ante-mortem, les mêmes problématiques s’appliquent, seule la question de la représentation du défunt change, le propriétaire, et futur occupant, de la tombe choisissant lui-même ce qui signalera sa tombe selon ses croyances eschatologiques et ce qu’il souhaite laisser comme souvenir aux vivants – l’image transmise n’étant pas nécessairement représentative de la réalité.
30Comme nous l’avons mentionné, le signalement des tombes est important pour pouvoir mener à bien les rituels liés à l’eau. Les libations ne sont qu’une partie de ces rites ; dans le déroulement des funérailles et du calendrier funéraire, les survivants doivent se rendre à diverses occasions sur la tombe, et ce de façon impérative56. Bien que l’iconographie italiote mette majoritairement des femmes en scène, ces rituels indispensables et ces visites devaient être accomplis par les héritiers masculins du défunt avant tout57.
31De ces visites nous possédons des traces, par exemple à Montemurro, où un plat à four a été retrouvé sur une tombe, avec des fragments de vases58. À Crimisa, J. de La Genière observe les restes d’un culte post-mortem sur plusieurs tombes : traces de terre brûlée contenant des os de petits animaux, des fruits, des fragments de vases et même un miroir en bronze ; sur une tombe féminine des vases à parfum et des pesons ont été mis en évidence : ces offrandes sont-elles liées au genre de la défunte ou d’une offrante59 ?
32La présence de vases sur les tombes semble, comme nous l’avons vu dans la partie qui leur est consacrée, correspondre à deux logiques : ils servaient de marqueur funéraire, mais également de réceptacle pour les offrandes libatoires et les sacrifices. On rappellera ici le vase-bombarde de la tombe 61 de Francavilla Marittima qui contient un vase verseur et, sur une autre tombe, U.13, la présence de petits os d’animaux. À Lavello certains vases avaient le fond percé60, ce qui permet de supposer qu’ainsi des libations étaient offertes aux morts, le liquide versé dans le vase par le col s’échappant ensuite dans la terre en direction du mort. J. C. Carter suppose même l’existence de trous pratiqués dans les tombes au-dessous des vases-marqueurs percés et avance que ce système permettait à l’eau de pluie accumulée dans les vases de couler dans les tombes. J. de La Genière évoque la découverte, dans la nécropole de la Temparella, d’un « grand contenant biconique d’impasto [et de] son compagnon habituel, le vase à puiser qui, depuis des générations, servent l’austère exigence de désaltérer les défunts ». Ceux-ci sont remplacés à la période coloniale par des amphores à vin et des skyphoi grecs61. Qu’il s’agisse d’une nécropole indigène, grecque ou mixte, la nécessité des offrandes libatoires semble donc générale, l’eau étant parfois remplacée par le vin, dont la consommation au-delà de la mort apparaît importante. Les marqueurs remplissent donc une fonction essentielle, particulièrement lorsqu’il s’agit de vases, qu’ils soient fonctionnels ou non.
33Mener à bien les rituels et entretenir la tombe sont des éléments importants du maintien de la société des vivants. En effet, tant que les rites et l’entretien de la tombe se maintiennent, le défunt continue de faire partie de la communauté62. S’il est utile de faire des libations, des offrandes, c’est que l’on imagine que le disparu les requiert. Or, s’il a des besoins, c’est que la mort n’est pas finale, qu’il reste quelque chose au-delà de la cessation de la vie. Paradoxalement, l’ensemble de ces rituels nie d’une certaine façon la mort et rappelle continuellement l’absence du défunt, tout comme sa permanence63. Ces rituels sont également aussi synonymes du contrôle du passage entre monde des morts et monde des vivants. Lors d’une offrande ou d’une libation, il est supposé qu’un accès s’ouvre, que ce qui est offert parvient au défunt. En procédant à ces rites, les vivants s’assurent que les morts ne prendront pas l’initiative de venir les demander. La présence de portes et de simulacres de portes est symptomatique de cet aspect des rituels : l’espace funéraire est un lieu dans lequel les vivants peuvent pénétrer et ressortir, la réciproque n’étant pas vraie64. L’idée selon laquelle les offrandes et les objets ayant servi aux rituels ne peuvent plus retourner au monde des vivants s’applique bien entendu aussi au défunt.
Représenter la vie du défunt
34Il est complexe, étant donné la nature lacunaire des données, d’établir des liens entre marqueurs et défunts. Peut-on essayer de déterminer les critères de choix du marqueur afin de dresser un portrait du commanditaire ? Sur la base du corpus et de comparaisons, nous proposons une liste des principaux critères qui pouvaient entrer en jeu : âge, sexe, origine géographique, rang social et richesse, statut dans la cité, croyances. Ces critères sont difficiles à identifier dans la pratique, et peu de schémas semblent se distinguer, ils sont de plus probablement en partie aléatoires et interdépendants.
35Les données anthropologiques ne donnent pas suffisamment de précisions sur les défunts dont les tombes sont marquées, que ce soit en ce qui concerne le sexe ou l’âge. Le caractère anépigraphe de la grande majorité des marqueurs de notre corpus pose également le problème de l’identification des défunts dont la tombe a été signalée. Une inscription permet de donner un sexe de façon précise au défunt quand l’analyse du matériel permet au mieux de proposer un genre. La rareté des épitaphes empêche de faire des regroupements et des recoupements avec les autres sources écrites. Il faut cependant relativiser l’importance de l’épigraphie dans l’étude des marqueurs. En effet, les fouilles menées à Pompéi dans le quartier funéraire romain de Porta Nocera ont montré qu’il pouvait exister une inadéquation totale entre le bénéficiaire de la tombe (celui dont on retrouve le squelette) et le bénéficiaire de l’inscription. Ainsi en est-il de la tombe 5 de l’enclos 23 : l’inscription portée par la stèle en marbre retrouvée en place indique qu’il s’agit de la sépulture de Vesonius Proculus, un sujet de sexe masculin âgé de treize ans, mais l’analyse des restes humains contenus dans la tombe (individuelle, secondaire à crémation) a établi qu’il s’agissait d’un individu bien plus jeune, âgé d’environ sept ans. Or, il est clair pour les chercheurs que la mise en place de la stèle et la déposition sont contemporaines. Ils proposent deux solutions pour expliquer ce cas problématique : soit une erreur a été commise par le lapicide et les commanditaires ont renoncé à la faire corriger, ce qui paraît peu probable, soit il s’agit d’un acte délibéré de la famille. Ce décalage de cinq à six ans permet de faire entrer l’enfant au destin interrompu dans l’âge adulte et de lui conférer ainsi le statut de citoyen65. Il s’agit ici bien entendu d’un cas très particulier (d’autres cas sont connus, il n’est pas ici lieu de les recenser), mais il attire notre attention sur la fiabilité de la documentation épigraphique en ce qui concerne le domaine funéraire : l’inscription ne correspond donc pas nécessairement à la réalité.
36Au même titre que les images, la réalité peut être ajustée par les commanditaires selon des critères aujourd’hui difficiles à mettre en évidence (familiaux, politiques, religieux, etc.). On peut parler à ce sujet de « mémoire arrangée », un phénomène qui doit être finalement très répandu dans un univers de représentations aussi codifiées que le domaine funéraire. En effet, l’absence d’inscription n’est pas le seul frein à la lecture des marqueurs isolés des tombes qu’ils signalaient dans l’Antiquité : la présence de figurations n’est pas non plus un gage de fiabilité. S’il paraît probable qu’un portrait de femme correspond à une tombe féminine et un portrait d’homme à une tombe masculine, comment être sûr que ce portrait était le seul identifiable sur la tombe et n’appartenait pas à un groupe ou un couple ? Les représentations en elles-mêmes posent des problèmes. Le cas des femmes est particulièrement parlant : elles sont, comme sur les vases, généralement représentées dans leur jeunesse, quel que soit leur âge au moment du décès. Les hommes quant à eux sont généralement représentés de façon athlétique ou en guerrier.
37L’ouverture des pratiques funéraires aux différentes classes de la population a été abordée de manière développée par I. Morris dans ses ouvrages : elle est progressive et différenciée selon les pratiques observées ; le chercheur aborde en revanche très peu le développement de l’accès aux marqueurs. S’il est cependant manifeste que le coût de l’emplacement, des matières premières et des artisans cumulé ne peut être assumé dans certains cas que par une catégorie aisée de la population : l’usage des marqueurs n’est pas réservé aux classes sociales les plus aisées, certains types de sémata comme les vases et les stèles les plus simples sont accessibles au commun des Grecs66, même s’il faut garder à l’esprit que l’archéologie signale que la population représentée dans les nécropoles n’est qu’une partie de la population antique (la question du traitement des corps n’ayant pas bénéficié d’une tombe demeurant). Il ne faut pas perdre de vue également que des marqueurs périssables ont été utilisés, de même que des plantes. Dans ces deux derniers cas, il est impossible d’associer le phénomène des marqueurs à une classe plus aisée que la moyenne, le statut de marqueur étant attribuable à tous types d’objets et l’entretien de certains posant des problèmes particuliers. Dans le cas de plantations sur la tombe, par exemple, un jardinier est-il chargé de venir régulièrement s’en occuper, s’agit-il d’une charge familiale ou la plante est-elle laissée sans soins ? Les implications en termes économiques sont bien entendu très différentes alors même qu’à première vue une plante paraît pouvoir constituer un marqueur peu coûteux.
38Le marqueur transmet également des valeurs et des croyances du défunt et de sa famille. Il transmet surtout une image des survivants et de ce qu’ils souhaitent montrer de leur famille, de leur groupe. Les défunts qui bénéficient d’un véritable édifice funéraire sont parfois associés à des croyances eschatologiques diverses, mais les représentations faisant allusion à l’inconstance de l’existence humaine sont les plus nombreuses : batailles, mythes tragiques, enlèvements… S’ils signifient souvent une échappatoire, une possibilité de vaincre la mort et d’accéder à l’immortalité, ils signalent également avec force la fin de la vie « normale », une transition non volontaire et violente. Ils traduisent donc une certaine peur devant les portes des Enfers. Il est difficile de savoir si ces décors ont un lien plus fort avec l’identité des défunts : une représentation de bataille signifie-t-elle que le défunt était un guerrier par exemple ?
La question de l’épigraphie en Italie méridionale du ve au iiie siècle av. n. è.
39Le panorama que nous avons proposé révèle un caractère bien particulier du corpus : la grande rareté des inscriptions visibles, car en ce qui concerne l’intérieur des tombes le corpus est bien plus vaste67. Nous l’avons vu, même dans le cadre du type de marqueur le plus propice à l’inscription funéraire : la stèle, il est rare que l’archéologue ait de la lecture bien que l’iconographie formule quelques promesses (fig. 70).
Fig. 70. Amphore panathénaïque attribuée au peintre de Brooklyn-Budapest, vers 480 av. n. è.

Paris, musée du Louvre, inv. CA 308 ; K 531. © 2011 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010274533
40Ces inscriptions ont été abordées dans le cadre des développements consacrés aux marqueurs concernés, le plus ample concernant les stèles. Au total, ce sont cinquante-deux marqueurs inscrits qui ont été recensés, dont trente-neuf sont des stèles de Vélia (fig. 71). C’est le corpus de Locres qui constitue le deuxième groupe le plus important, avec trois inscriptions sur des cippes. Viennent ensuite, avec deux inscriptions, les corpus de Tarente et Vaste. Quatre catégories de marqueurs portent des inscriptions : en plus des cippes et des stèles, il faut prendre en compte un chapiteau et une architrave.
Fig. 71. Les marqueurs inscrits en Italie méridionale du ve au iiie siècle av. n. è.

Diagramme de l’auteur (CC BY-SA 4.0).
41A-t-on affaire en Italie du Sud à des communautés dans lesquelles l’image est devenue plus importante que le texte ? Le développement de l’iconographie et des innovations propres à la région est-il un symptôme ou une raison de cette situation ? Il est trop tôt pour essayer de répondre à cette question. En plus d’être rares, les inscriptions de notre corpus sont courtes ; l’usage athénien, ou Platon dans Les Lois, recommandent une taille maximale pour les monuments en pierre : ils ne devaient pas être plus larges que nécessaire pour une inscription de quatre lignes68. On peut dire que cette règle a été scrupuleusement respectée en Italie méridionale : les inscriptions funéraires ne contiennent jamais de texte long, ni épitaphes, ni sentences à propos de l’au-delà, ni poèmes.
42Avant de nous pencher plus avant sur la question et d’étudier la présence ou l’absence des inscriptions, nous proposons une piste pouvant expliquer la disparition d’une partie d’entre elles. S’il est intéressant de noter que ce sont les marqueurs les plus attiques – les stèles de Vélia portent le plus d’inscriptions funéraires –, le phénomène reste très limité. Les commanditaires de stèles produites en Italie du Sud sont-ils alors moins fortunés que ceux d’Attique, ce qui expliquerait qu’ils ne pouvaient pas se permettre de financer le travail d’un lapicide ? C’est l’une des raisons avancées pour expliquer le développement de la peinture sur les stèles produites par les artisans athéniens pour les commanditaires de Démétrias69. Certaines stèles de notre corpus présentent des espaces vides surprenants. On peut soit envisager qu’une inscription gravée était prévue et n’a finalement pas été réalisée, soit que la surface plane libre aujourd’hui était recouverte de peinture dans l’Antiquité. Une surface lisse et plate, nécessaire à l’insertion d’un texte, est-elle plus favorable à l’usure qu’une zone sculptée en relief ? Cela expliquerait que des traces de peinture aient survécu sur certains marqueurs, mais pas sur les stèles. La technique de peinture à la détrempe favorisée par les artisans de Démétrias, en raison de sa rapidité, de son coût et de son adéquation avec le travail dans les ateliers et avec la clientèle, ne résiste pas toujours aussi bien au temps que dans la cité thessalienne70. En faveur de cette hypothèse, on peut enfin imaginer que certains marqueurs étaient achetés par les familles dans un stock préexistant71 et qu’on y ait ajouté, ou non, le nom du défunt à la peinture dans un second temps, par économie ou en raison de l’absence d’un artisan sculpteur lors de cette étape.
43Une autre solution serait que, comme à Rhodes, les inscriptions aient été réalisées non pas sur la stèle elle-même, mais sur sa base. Or celles-ci font défaut dans notre cas72. Cette option signifierait que toute une partie de la documentation archéologique a été perdue, car il est peu probable que des fragments inscrits aient été placés dans des réserves archéologiques sans être mentionnés. Selon L. Vecchio, l’inscription de la stèle figurée de Vélia (fig. 72) se situait immédiatement sous le relief inférieur, une situation qui nous paraît peu probable au vu des autres inscriptions de Vélia, généralement situées dans la partie haute. L’espace laissé vierge au-dessus du relief occupe de plus une place très importante. Pour illustrer son propos, L. Vecchio cite le cas des stèles de Rhénée où le décor surplombe parfois l’inscription. C’est le cas à Rhodes également où les inscriptions se trouvent souvent en bas de la stèle73. La situation est néanmoins différente, l’espace libre séparant le sommet de la stèle et la scène figurée étant bien plus vaste à Vélia74. La stèle retrouvée le long de la vallée du Crati, et que l’on peut supposer intégralement conservée, ne présente pas non plus d’inscription75. Afin de pouvoir dépasser le stade des hypothèses, il conviendrait de mener une étude précise des stèles et des autres marqueurs qui présentent des espaces vides ayant pu être destinés aux inscriptions peintes, en envisageant notamment un traitement infra-rouge et ultraviolet.
Fig. 72. Stèle anépigraphe figurée de Vélia.

Dépôts de la surintendance de Vélia (VEL0019). Dessin de l’auteur d’après Vecchio 2003a, pl. XVIII, 92.
44Il est finalement envisageable que les inscriptions externes aient eu peu d’importance aux yeux des commanditaires. E. Dupraz montre bien dans les contextes péligniens, marses et vestins que l’épigraphie n’est pas une donnée importante dans l’ostentation funéraire ; la monumentalité de certaines tombes (notamment les tumuli dans le cas des Vestins) ne s’accompagne pas d’une valorisation onomastique76. Cela pose en outre la question de la maîtrise et de la diffusion de l’écrit dans la communauté du défunt.
45La piste du désintérêt pour les épitaphes extérieures nous semble la plus recevable en l’état des connaissances. Elle concorde avec le fait que la plupart des inscriptions de notre corpus sont gravées sur des marqueurs d’importation ou imitant fidèlement des modèles venus d’Attique, où l’onomastique est valorisée. L’emplacement, la nature et le décor des marqueurs véhiculent en eux-mêmes les caractéristiques que veulent affirmer et transmettre les commanditaires. Si du matériel et des inscriptions, notamment chez les Messapiens77, peuvent accompagner le défunt à l’intérieur de sa tombe et que les rituels doivent mener sur sa tombe de manière régulière, la mention explicite de son identité sur son marqueur n’est pas indispensable, nous y reviendrons dans la conclusion de ce volume78.
Pérenniser les rituels
46Contrairement aux épitaphes, laconiques, absentes ou perdues, les décors ou la forme des marqueurs inscrivent ces derniers dans un temps long. Les vases-marqueurs en pierre semblent être les plus caractéristiques de ce processus. Leur pétrification confère à ces hydries et cratères une dimension particulière : non seulement ils sont plus durables car plus solides, mais ils immortalisent les rites libatoires auxquels ils sont associés. L’hydrie en pierre de Locres, ornée d’une scène de libation, en est la plus parfaite illustration. D’autres cas sont également pertinents, pensons à la procession funéraire figurée dans le vestibule de l’hypogée de Cerbère à Canosa, où le train des offrandes est pérennisé pour l’éternité, ou aux marqueurs induisant une forme d’héroïsation, comme les naiskoi et les colonnes qui figent pour l’éternité le statut du défunt au sein de l’élite.
47Ainsi, outre le fait que le marqueur permet aux survivants de revenir sur la tombe afin d’y procéder aux offrandes et libations rituelles, dans certains cas, il en propose également une version permanente, comblant les éventuelles absences entre deux cérémonies, voire leur interruption complète. On peut même imaginer que, dans certains cas, celui des objets utilisés comme marqueurs notamment, ils soient en eux-mêmes des offrandes des survivants.
Mettre en avant les survivants : montrer ses ancêtres
48Le marqueur sert en principe à ce que les vivants puissent retrouver la tombe afin de procéder aux rites individuels honorant le défunt. Il est cependant évident que tout ce qui se déroule à la suite de la mise en terre du cadavre est en réalité tourné vers les survivants et la communauté plus ou moins vaste à laquelle ils appartiennent, qu’il s’agisse de la famille ou de la cité, voire des habitants et passants d’une zone plus vaste encore. La mort d’un individu fait émerger l’identité sociale du défunt et de tout son groupe79, inévitablement concerné par les rituels dédiés au disparu sans véritable possibilité d’y échapper : il faut donc que les vivants y prennent part et les « contrôlent ».
49Les marqueurs, tout comme les rites, permettent aux vivants de maintenir un lien avec leur ancêtre, réputé ou non. Cela renforce l’idée d’une lignée familiale, d’un groupe solidaire. La mort d’un membre de la famille ne signifie pas sa disparition : il continue de jouer un rôle dans la réputation du groupe par le biais des honneurs qui lui sont rendus. L’érection d’un monument funéraire est un honneur pour la famille et surtout la descendance80. Les fastes déployés lors des funérailles, dans le choix du marqueur, puis dans la fréquence et la qualité des offrandes, sont de même des outils de propagande familiale. Il est également certain que l’attractivité de la tombe joue un rôle dans la démonstration : est-elle visitée par la famille proche, la famille étendue, un groupe plus vaste ? L’analyse de I. Morris montre que l’emplacement de la tombe et sa visibilité participent d’une symbolique liée à la transmission, à la descendance, à la légitimité du statut des groupes81. L’existence des cénotaphes montre que l’une des fonctions des marqueurs est de rappeler aux vivants l’existence d’un défunt, sa gloire, et non pas seulement de signaler l’emplacement de sa dépouille82.
50Le rituel funéraire est donc un témoignage du prestige social de la famille ou d’un groupe au sein de la communauté. Le marqueur rappelle le statut social du défunt, sa fortune, richesse rimant avec qualité. Crinagoras alerte ainsi le passant sur l’aspect des monuments funéraires : « Quoique ce monument soit fait d’une dalle de marbre blanc et qu’un tailleur de pierre l’ait polie bien droit au cordeau, ce n’est pas celui d’un homme de bien : ne juge pas, ami, du mort par son tombeau83. » Le marqueur permet aux membres encore vivants de la communauté du défunt de mettre la lignée en valeur, de s’inscrire dans une histoire longue, glorieuse et imposant le respect, aux étrangers de passage, comme aux membres de la communauté étendue, et ainsi d’affirmer la validité de leur position dans la communauté84. Homère, Tyrtaeus, Hérodote et d’autres auteurs ont clairement associé le concept de marqueur à un statut social élevé, le marqueur étant, de même que le matériel placé dans la tombe, un facteur de différenciation sur la base du rang dans la hiérarchie sociale. Les premiers marqueurs d’Athènes sont des vases monumentaux réalisés par des artisans hautement qualifiés dont le coût de production devait être très élevé, limitant de fait leur usage à une frange réduite de la population85. Plus tard, à Athènes, comme en Italie du Sud, la typologie des marqueurs est nettement plus diversifiée, et certains marqueurs peu onéreux deviennent accessibles à une population beaucoup plus vaste.
51Chez Homère, la tombe est un « signe visible de la gloire du mort et de son statut », ce qui implique que tous les morts ne soient pas traités de la même façon, et que les défunts « ordinaires » fassent l’objet d’une attention moindre86. Outre la richesse souterraine de la tombe qui maintient les hiérarchies par-delà la mort, le marqueur est en effet le témoin exaltant la vie passée du défunt, si celui-ci en avait les moyens. Dans le cas contraire, sa présence s’effacera plus ou moins rapidement.
S’implanter dans le territoire
52Tout comme on l’affirme à propos des sanctuaires placés aux confins des territoires occupés par les Grecs87, il nous semble que certaines nécropoles ont pu servir aux Grecs à marquer leur présence sur un territoire difficilement acquis. La présence de tombes et de marqueurs affirme l’ancienneté de la présence grecque, et d’une certaine façon justifie la présence des descendants (de même qu’en Attique les tombes attestent les droits de propriété des descendants) : ils sont là, car leurs ancêtres étaient là, qu’ils aient hérité eux aussi des terres de leurs prédécesseurs ou qu’ils les aient conquises88. Cette idée est exprimée par A. Naso à propos des tumuli d’Étrurie et d’Italie centrale : il ne fait aucun doute que ces structures remplissent la fonction de séma pour l’aristocratie, en même temps qu’elles sont un moyen de marquer la possession de la terre, une pratique qui serait venue d’Orient (Phrygie et Lydie avant tout)89. Les sépultures visibles ne montrent pas un front entre deux territoires, mais bien l’appartenance de la terre foulée, alors que la terre au-delà des frontières de la chôra est considérée comme vide si elle n’est pas occupée par d’autres Grecs90. Les Grecs ne sont pas les seuls à procéder de cette manière, ainsi il ne fait aucun doute pour M. Gualtieri que la tombe 12 de Roccagloriosa était une affirmation de contrôle du territoire acquis par l’aristocratie locale91. Gardons à l’esprit que toute la population n’est pas représentée dans les zones funéraires mises en évidence par l’archéologie. Ce constat est-il dû à des lacunes dans notre connaissance du terrain archéologique ou résulte-t-il de pratiques différenciées ? La seconde hypothèse corrobore celle formulée ci-devant : ce sont ceux qui possèdent les terres et gèrent les ressources qui installent leurs tombes, et les marqueurs, sur le territoire occupé, afin d’y affirmer leur souveraineté92.
53Le marqueur est également un moyen de s’implanter sur le territoire à l’échelle de la famille. Il est en effet envisageable que lorsqu’une famille décide de signaler la tombe d’un ancêtre au moyen d’un marqueur, elle en profite pour accaparer un terrain, la parcelle occupée par la tombe, afin d’augmenter les propriétés foncières familiales, mais surtout de sauvegarder l’emplacement pour elle-même. Des stratégies d’occupation du sol des nécropoles devaient en effet se mettre en place étant donné l’attractivité de certaines zones par rapport à d’autres. Cela fonctionne au sein de la nécropole, mais également au sein du territoire : enterrer les ancêtres sur le terrain exploité par la famille permet d’y asseoir son autorité et de se légitimer au sein même de la communauté. Si une tombe est placée sur un terrain, la famille du défunt qui y est inhumé a nécessairement son mot à dire sur la zone alentour.
Notes de bas de page
1 Garland 1985, p. 33-34 ; Bernabò Brea 1954, p. 213. TAR0534.
2 Pomeroy 1997, p. 128.
3 De Schutter 1989.
4 Ainsi, la nourrice évoquée dans l’Anthologie grecque, I, 458 (Callimaque) : « La phrygienne Aischra, excellente nourrice, recevait de Miccos, de son vivant, tous les bons soins dus à sa vieillesse ; morte, il a fait faire sa statue, pour montrer à la postérité que la vieille femme recueille la récompense de son lait » (trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960).
5 Kurtz et Boardman 1971, p. 313.
6 Comme l’attestent les interventions de réfection ou de modification dans les hypogées apuliens, notamment à Arpi et Canosa.
7 Le règlement funéraire de la phratrie des Labyades à Delphes, dans la première moitié du ive siècle av. n. è., mentionne peut-être un marqueur : « qui vi sia enatos (?), finchè sia posta giù la thigana (?) » (Frisone 2000, p. 105). Le terme thigana (ΘΙΓΑΝΑ), dont l’exégèse est incertaine, a été traduit de diverses manières : « operculum, tumulo, pietra tombale, coperchio della tomba o della bara » (ibid., p. 117-118).
8 Des tombes creusées et jamais utilisées ont été mises en évidence à Megara, en Sicile, ainsi qu’à Poseidonia, où elles sont toutes réalisées sur le même module (L. 1,85-1,90 m ; l. 0,90 m ; prof. 0,80-0,90 m) même dans le cas de tombes d’enfant (Cipriani 1994, p. 172).
9 L’Odyssée, trad. V. Bérard, Paris, 1962, XII, 9 : sitôt que le cadavre d’Élpénor a fini de se consumer, ses compagnons le couvrent d’un tertre et y plantent une stèle et la rame du défunt.
10 Loiacono 1985, tableau 4.8.
11 La tombe 7, datée de 490-470 av. n. è., recouvre partiellement la tombe 8 et coupe une extrémité des tombes 1 et 5, plus anciennes (Donnarumma et Tomay 2000, p. 49-59, pl. XVII-XXXI).
12 Parfois, des espaces sont laissés vierges entre les zones funéraires, ce qui peut permettre une meilleure gestion, que ce soit en contexte grec ou indigène, mais ces séparations ont surtout pour but de distinguer des groupes : à Forentum, des espaces sont laissés libres entre des groupes de tombes, à la fois chronologiques et sociaux – les guerriers sont regroupés, les familles aussi (Osanna 1988, p. 93).
13 Russo 1988, p. 271.
14 Carter 1998, p. 126-127.
15 En Angleterre, au xixe siècle, les mortsafes étaient des cages en métal visant à empêcher le vol de corps pour les écoles d’anatomie. Cette protection était temporaire, mais signalait d’une certaine façon les tombes les plus récentes (Frank 1976).
16 Garland 1985, p. 6.
17 Elia 2012, p. 97-109 ; Bouffier 2012, p. 131-148.
18 Lippolis 1994b, p. 109.
19 Frisone 1994 ; 2000.
20 Arnaoutoglou 1998, p. 142-144 ; Garland 1989.
21 Frisone 2000, p. 25-43.
22 Cic., Leg., II, 26, 64-66.
23 À l’exception probable du règlement funéraire de la phratrie des Labyades à Delphes, cf. supra n. 7 : Frisone 2000, p. 117-118.
24 Morris 1987, p. 54.
25 Dans ses Lois, Platon dénonce en filigrane les dérives auxquelles les sépultures donnent lieu en mettant en avant non seulement leurs composantes morales et religieuses, mais des composantes économiques : « Aucune tombe ne sera permise nulle part en terre labourable, aucun monument grand ou petit. Là seulement où la nature du sol n’est bonne qu’à cette fin, à recevoir et cacher les corps des morts de façon à attrister le moins possible les vivants, là où on utilisera tout le terrain disponible ; mais tout sol que la terre, notre mère, destine naturellement à fournir la nourriture aux hommes, ni mort ni vivant ne doit en priver ceux de nous qui vivons » (XII, 958d, trad. A. Diès, Paris, CUF, 1956). Selon certains, l’inscription lacunaire de Nisyros (Dodécanèse, iiie siècle av. n. è.) pourrait constituer une interdiction d’enterrer et signaler une tombe sur un terrain, peut-être pour purifier le lieu : « nel caso in cui qualcuno seppelisca o elevi un monumento funebre paghi diecimila dracme e porti via il morto o il monumento; se non lo portasse via lo portino via i prostatai; se i magistrati non lo portano via paghino ciascuno mille dracme nei pubblici controlli. Chi vuole denunci... (al magistrato avendone in cambio metà dell’ammenda?) » (Frisone 2000, p. 155-156, 159-162).
26 Sur une partie de l’histoire de ces espaces et leur constitution à partir du xvie siècle de n. è., voir Laqueur 2018, notamment p. 169-176.
27 Pearce 2011.
28 Foucault 1984, p. 46-49 : « Je prendrai pour exemple la curieuse hétérotopie du cimetière. Le cimetière est certainement un lieu autre par rapport aux espaces culturels ordinaires, c’est un espace qui est pourtant en liaison avec l’ensemble de tous les emplacements de la cité ou de la société ou du village, puisque chaque individu, chaque famille, se trouve avoir des parents au cimetière. »
29 Ibid.
30 Aniceto 2022, § 13.
31 Thomas W. Laqueur s’intéresse à cette problématique à l’époque moderne et montre l’importance de l’emplacement de la concession et des services attenants, même auprès des populations peu fortunées pour qui l’accès aux pratiques funéraires est nouveau : Laqueur 2018, p. 392.
32 Anthologie grecque, I, 491 (Mnasalkès) : « nous nous tenons ici près de ton tertre, belles statues de Sirènes » (trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960).
33 Anthologie grecque, I, 475 (Diotimos) : « En souvenir de l’un et de l’autre s’élève ce triste monument de leur amour, près d’un carrefour usé par les passants » (trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960).
34 Carter 1998, p. 116-129.
35 Danforth 1982, p. 35-38.
36 Van Gennep 1909 ; Morris 1987, p. 44 ; 1992, p. 8-9.
37 Les participants sont « betwixt and between », ils n’appartiennent plus à la société et n’y sont pas encore réincorporés (Turner 1967, p. 93-111).
38 C’est cet état qui rend, selon R. Garland, le corps du défunt tabou et dangereux pour les vivants, porteur de craintes liées à l’hygiène, à des pouvoirs inconnus, etc. (Garland 1985, p. 47).
39 Val.-Max., II, 6-7 : « Le deuil ne dure que le jour des obsèques [...]. Bien sûr, que gagnons-nous à manifester de la complaisance à l’égard de la douleur que les hommes éprouvent ou de la jalousie à l’égard des êtres divins, sous le prétexte qu’ils ont refusé de partager leur immortalité avec nous » (trad. R. Combès, Paris, CUF, 1995).
40 Cormack 2004, p. 105.
41 Chesson 2001.
42 Pour le monde romain, voir Allara 1995, p. 69-79.
43 Cependant, la loi funéraire de Iulis de Ceos (inscrite sur une stèle de la deuxième moitié du ve siècle av. n. è., mais qui reprendrait des lois plus anciennes) semble indiquer que le monument funéraire est déjà en place lorsque l’on emmène le corps à la tombe : Garland 1989, p. 11-12 ; Frisone 2000.
44 M. S. Mirto aborde le sujet en ces mots : « Indeed, the stele and the funerary monument do not simply mark the location of a burial; they are also the continuing metonymic presence of the deceased, a surrogate that receives offerings and ritual attention » (Mirto 2012, p. 96).
45 Plat., Leg., XII, 958.
46 Anthologie grecque, I, 445 (Persès de Thèbes) : « Sur notre tombe, ces haches à fendre le bois indiquent notre métier » (trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960).
47 Anthologie grecque, I, 425 (Antipader de Sidon) : « Ne t’étonne pas de voir sur la tombe de Myrô un fouet, une chouette, un arc, une oie aux yeux clairs, une chienne agile. L’arc dira que j’étais régente attentive de la maison ; la chienne, que j’ai eu de mes enfants le souci légitime ; le fouet ne dit pas, ô étranger, la cruauté de la maîtresse, ni son arrogance envers ses esclaves, mais son équité dans le châtiment des fautes ; l’oie, que je gardais soigneusement le logis ; et cette chouette, que j’étais en même temps servante vigilante de Pallas aux yeux pers. Voilà les œuvres où je trouvais ma joie ; c’est pourquoi mon mari, Biton, a mis sur ma stèle ces emblèmes » (trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960).
48 Vernant 1965, p. 251 ; 1990, p. 25-41.
49 Anthologie grecque, I, 371 (Crinagoras), trad. P. Waltz, Éd. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960.
50 On peut envisager que la stèle remplace le corps du défunt et reçoit à ce titre les hommages et soins destinés à ce dernier. Pensons, par exemple, à l’archon de Platées : le monument a été lavé et oint de même que s’il s’agissait des corps des morts eux-mêmes (Plut., Arist., V, 21).
51 Garland 1985, p. 119.
52 Ibid., p. 118-120 ; Baudry 2009.
53 Notamment attestés à Paestum ; Greco Pontrandolfo et Rouveret 1990.
54 Orsi 1890, p. 773 ; Hoernes, Heitz et Laimer 2019.
55 Les tombes sont de plus réunies parfois par groupes de deux ou trois dans des contre-fosses communes (Donvito 1988, p. 95, 98).
56 Certains textes juridiques limitent néanmoins ces visites rituelles ; voir par exemple le règlement funéraire de la phratrie des Labyades à Delphes : Frisone 2000, p. 105, 119.
57 Voir à ce propos le chapitre « Visiting the Tomb » : Garland 1985, p. 106-120.
58 « alcuni frammenti di vasi d’impasto grezzo, tra cui un piatto per focacce, che sembrano da riferire ad un rituale posteriore al seppellimento, e precisesamente ad un’ offerta di cibo al defunto » (Bottini 1997, p. 83).
59 La Genière 1993, p. 88.
60 Carter 1998, p. 122.
61 La Genière 1994b, p. 158.
62 Il est attesté dans certains cas, notamment en Asie Mineure, que certains personnages aisés pouvaient mettre en place un fonds permettant l’entretien de la tombe bien après la mort, voire l’organisation de fêtes (Garland 1985, p. 108).
63 Cormack 2004, p. 122.
64 Cette idée se retrouve dans de nombreuses civilisations, par exemple en Étrurie (Naso 1996, p. 412-420).
65 Van Andringa et al. 2013, p. 469-479.
66 Il n’est néanmoins pas permis d’affirmer que des marqueurs comme les tumuli ou les vases ont pu être réservés à une élite du simple fait de leur coût ; en revanche, I. Morris établissant un parallèle avec le monde romain dans lequel l’usage des masques de cire était réservé à une certaine partie de la population par le ius imaginum, émet l’hypothèse suivante : même s’ils pouvaient se le permettre d’un point de vue économique, il est probable que les membres des classes non dirigeantes aient renoncé à utiliser certains marqueurs, voire un marqueur, en raison d’une pression sociale, traduite ou non dans une loi (Morris 1987, p. 154).
67 Lamboley 1996a, p. 451 : en contexte messapien les inscriptions placées dans les tombes sont bien plus nombreuses qu’en dehors de celles-ci, et mentionnent souvent des personnages ayant eu des fonctions sacerdotales. L’inscription écrite dans la tombe participe du mobilier placé aux côtés du défunt pour fixer son identité et l’aider dans son chemin vers les Enfers. Frisone 2013 ; Lomas 2015.
68 Garland 1989, p. 7.
69 Charatzopoulou 2000, p. 46.
70 Ibid.
71 Pomeroy 1997, p. 130 ; Pampanay 2020.
72 Fraser 1977, p. 10.
73 Ibid.
74 Couilloud 1974, pl. 72, 81-82.
75 Quilici et al. 1969, p. 51. CAC0001.
76 Dupraz 2015.
77 Voir supra n. 67.
78 Dans un tout autre contexte, il est intéressant de prendre connaissance des pratiques liées à la signalisation des tombes dans les cimetières d’esclaves aux États-Unis, qui présentent, au-delà de la dimension épigraphique, de nombreuses similarités avec nos problématiques (Chicora Foundation 1996).
79 D’Agostino 1985, p. 49.
80 Saïd 1998, p. 13.
81 Les funérailles en général sont une occasion inouïe de communication sociale : la complexité des liens entre monde des vivants et communauté des morts illustre la variété des rapports sociaux, leur hiérarchie et leurs articulations (d’Agostino 1985, p. 49).
82 Saïd 1998, p. 13.
83 Anthologie grecque, I, 380 (Crinagoras), trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960.
84 Voir Graham 2011, p. 25 : la mémoire joue un important rôle dans les négociations à propos du statut et de l’identité des survivants, sa matérialisation dans un monument funéraire assumant un rôle de premier plan, participant à la constitution des individus et des groupes identitaires.
85 Morris 1987, p. 151.
86 Saïd 1998, p. 13.
87 Tréziny 2005, p. 56 ; Pollini 2012.
88 La loi de redistribution des terres à Himère, ou l’anecdote dans laquelle Aithops échange son kleros contre un gâteau de miel montrent qu’il est possible de s’aliéner les terres et que certaines cités mettent en place un cadastre combiné à un registre des citoyens afin de limiter ce phénomène (Brugnone 2005).
89 Naso 1996 ; 1998 ; 2000.
90 Ce qui explique le peu de textes évoquant les frontières entre territoires grecs et indigènes : voir Pollini et Funari 2005, p. 6.
91 Gualtieri 1993, p. 163.
92 Morris 1987, p. 44-54.

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