Urbain et périurbain dans la Méditerranée grecque antique : quelques considérations
p. 19-30
Résumés
À l’échelle de la Méditerranée, l’analyse de certains traits du fait urbain grec montre la nécessité de prendre en considération un cadre élargi d’étude comprenant aussi bien la ville proprement dite, ceinte souvent par une fortification, que l’espace de la proche périphérie, soit les marges urbaines. L’importance de l’espace périurbain, interface entre urbain et rural, dans l’étude de la ville antique, a été bien mise en évidence durant cette dernière décennie. Si les exemples sont encore peu nombreux, en raison de la faiblesse de la recherche archéologique conduite dans les zones extra muros ou encore de la rareté des textes se rapportant à cette question, les données disponibles suggèrent souvent des constructions urbaines et périurbaines qui découlent d’un processus unitaire d’urbanisation. Ce schéma permet de mieux appréhender les mécanismes du fait urbain et les modalités de construction et d’évolution des agglomérations. C’est pourquoi, l’échelle d’étude du périurbain devient incontournable, au risque de cerner partiellement l’urbanisation des sociétés anciennes.
On the Mediterranean scale, the analysis of certain features of the Greek urban phenomenon shows the need to take into consideration a wider framework of study including both the city itself, often surrounded by a fortification, and the space of the near periphery, i.e. the urban margins. The importance of the peri-urban space, the interface between urban and rural, in the study of the ancient city, has been well highlighted over the last decade. Although examples are still few, due to the weakness of archaeological research conducted in extra muros areas or the scarcity of texts relating to this question, the available data often suggest urban and peri-urban constructions that result from a unitary process of urbanisation. This diagram allows for a better understanding of the mechanisms of the urban phenomenon and the ways in which conurbations are built and evolve. This is why the peri-urban scale of study is becoming essential, at the risk of only partially identifying the urbanisation of ancient societies.
Entrées d’index
Mots-clés : Méditerranée grecque, urbain, périurbain, physionomies, fonctions
Keywords : Greek Mediterranean, urban, peri-urban, physiognomy, functions
Texte intégral
Introduction
1La ville méditerranéenne antique comprend un large éventail de formes urbaines développées au sein des différentes cultures classiques et indigènes, mais également à l’intérieur d’ensembles culturels homogènes qui, en raison de critères notamment géographiques, socio-politiques et économiques, ont diversement approché et construit l’espace communautaire. Cette diversité traduit aussi certainement des évolutions distinctes, qui expriment les spécificités des processus d’urbanisation.
2Dans ce cadre, l’objectif est d’analyser certains traits de la ville du monde méditerranéen grec. La particularité sera la prise en considération d’un cadre élargi d’étude comprenant aussi bien la ville proprement dite, ceinte souvent par une fortification, que l’espace de la proche périphérie, soit les marges urbaines. L’importance de l’espace périurbain dans l’étude de la ville antique a été bien mise en évidence durant cette dernière décennie. Plusieurs ouvrages récents, issus notamment de colloques, de séminaires ou de journées d’étude1, ont mis en évidence l’identité de cet espace, interface entre urbain et rural. En effet, son étude permet aussi bien d’approcher concrètement la structure de la ville que de cerner son emprise sur l’espace périphérique immédiat, zone de transition vers la campagne.
3Si les exemples sont encore peu nombreux, en raison de la faiblesse de la recherche archéologique conduite dans les zones extra muros ou encore de la rareté des textes se rapportant à cette question, les données disponibles suggèrent souvent des constructions urbaines et périurbaines qui découlent d’un processus unitaire d’urbanisation. Ce schéma permet de mieux appréhender les mécanismes du fait urbain et les modalités de construction et d’évolution des agglomérations. C’est pourquoi l’échelle d’étude du périurbain devient incontournable, au risque de cerner partiellement l’urbanisation des sociétés anciennes2.
Urbain et périurbain : deux espaces distincts mais complémentaires
4Si des éléments communs permettent de caractériser les réalisations urbaines d’un point de vue culturel, témoins de formes sociales, politiques et religieuses précises, force est de constater qu’il n’y a pas un modèle figé de ville grecque, mais bien une pluralité de modèles qui répond aux conditions et à l’évolution particulière d’une communauté humaine. En Grèce propre, la formation de la ville, processus lent et progressif, est à l’origine constituée d’un groupement lâche de noyaux d’habitation séparés par des espaces funéraires. C’est le cas à Érétrie, à Mégare, à Corinthe ou encore à Athènes3. Le développement de cultes communautaires et l’apparition de formes politiques évoluées, à l’échelle d’un territoire étendu, ont contribué par la suite à accélérer et à renforcer l’urbanisation, phénomène matérialisé par l’émergence de trames urbaines progressivement améliorées qui intègrent et mettent en valeur les espaces fonctionnels de la ville. L’extension des agglomérations, qui reflète un mouvement de croissance démographique, traduit également un développement économique, y compris la mutation des structures foncières4. Une partie de l’aristocratie rurale se transforme progressivement en élite urbaine.
5Ce processus d’urbanisation contraste certainement avec celui des établissements coloniaux, qui attestent un développement plus rapide de la forme urbaine. La condition de cités nouvelles explique en partie cet essor, bien que les phases de formation, de mieux en mieux perçues par la recherche archéologique récente, soient en réalité plus ou moins longues. Néanmoins, la question de l’émergence de la ville coloniale est encore controversée et les débats ont été et sont toujours féconds, animés par de nouvelles approches d’étude. Ces dernières remettent en cause les cadres traditionnels de la recherche, ainsi par exemple les théories postcolonialistes, ou bien renouvellent et élargissent les concepts et les problématiques classiques5.
6Comme le rappelle Emanuele Greco6, le concept de ville en tant qu’entité sociale a très tôt été matérialisé dans l’espace, notamment par l’installation des fonctions sacrées et publiques, même si la construction du tissu urbain s’étale dans le temps. En ce sens, l’étude de François de Polignac sur Mégara Hyblaea est éclairante, avec l’aménagement précoce d’une ceinture sacrée autour de l’aire urbaine, dont le tracé sera repris plus tard par la fortification, et la délimitation d’espaces réservés à caractère public7. Cet établissement, fondé en Sicile dans la deuxième moitié du viiie siècle av. n. è., présente aussi très tôt, après une première phase de campements, les éléments caractéristiques de la trame urbaine, progressivement construite8. Une physionomie proche se rencontre à la même époque dans les colonies de Syracuse et de Naxos, également en Sicile.
7À ces éléments s’ajoute, comme cela se vérifie dans quasiment l’ensemble des cas, la délimitation précoce d’une couronne funéraire périurbaine et plus tard d’une fortification urbaine, qui ont contribué à définir et à fixer les limites de la ville ainsi qu’à conceptualiser le schéma urbain9. L’espace des marges, repère et limite, est donc intégré dans le processus d’urbanisation, d’autant plus qu’il assure le passage et le lien avec le territoire rural d’exploitation.
8L’occupation peut donc s’étendre au-delà de l’agglomération fortifiée, mais l’existence même d’une enceinte signale la volonté manifeste de limiter un espace que l’on identifie habituellement à l’« espace urbain », bénéficiant d’un caractère particulier d’un point de vue social, économique et politique. Il correspond au centre, siège du pouvoir et de la vie communautaire, qui commande le territoire environnant et le réseau d’habitat secondaire. La fortification reste donc l’élément qui définit le pôle urbain, même si, dans le monde grec, les établissements censés correspondre à des villes ne sont pas tous dotés d’une enceinte : Sparte en serait l’exemple emblématique10. Différents modèles d’urbanisation ont donc pu coexister, qui complexifient la distinction entre urbain et périurbain. Cependant, force est de reconnaître que le cas de figure du pôle urbain délimité par une enceinte constitue le modèle le plus fréquent, aussi bien en Méditerranée orientale qu’occidentale. Ainsi, le rempart signale les limites matérielles de la ville.
9Pourtant, cette physionomie urbaine n’est pas non plus homogène, car il y a des variantes. Dans le cas du sud de l’Italie et de la Sicile, Henri Tréziny a mis l’accent sur la présence fréquente d’espaces vides intra muros, placés en général près du rempart et qui annoncent l’espace proprement périurbain, qu’il propose de désigner comme espace « para-urbain »11. La taille parfois démesurée de l’enceinte, phénomène qui se rencontre aussi en Grèce, peut s’expliquer davantage par le prestige que pour des raisons militaires, mais il est difficile de préciser l’apparence et l’utilisation de ces terrains vides au contact de la fortification12. La morphologie urbaine est donc complexe et variée, c’est pourquoi l’étude de la ville doit forcément prendre en compte la complémentarité et la perméabilité des espaces ainsi que dépasser la surface close par la fortification en intégrant les terrains périphériques.
10Bien que complémentaires de la ville, les marges urbaines ont une identité précise, perceptible dans les sources écrites anciennes. Le mot proastéion, déjà utilisé au viie siècle av. n. è. par Archiloque à propos de Paros, plus tard par Hérodote, Thucydide et d’autres auteurs, désigne nettement une composante de l’espace, par opposition à l’asty et à la chôra. Ce mot, qu’on peut traduire par « devant la ville », apparaît en même temps que celui d’asty, c’est-à-dire que ville et périurbain sont étroitement liés13. Un lieu est dit proastéion s’il est perçu comme dépendant de façon étroite de la ville et il faut noter qu’il apparaît toujours cité dans le trajet entre la campagne et la ville. Cependant, le contenu de ce mot reste en général vague, car il désigne une étendue floue autour de la ville, avec des limites mouvantes.
11Le cas de Thasos, colonie de Paros fondée au viie siècle av. n. è., s’avère emblématique pour la compréhension du processus d’urbanisation14. La prise en compte de l’évolution des espaces intérieur et extérieur, tout comme des espaces privé et public, a permis à F. de Polignac de proposer une lecture dynamique de la formation de la ville15. Dans un premier temps, l’implantation est bipolaire, organisée autour de deux sanctuaires. Le pôle majeur, fortifié depuis la première moitié du vie siècle et doté d’une agora, correspond à la ville proprement dite, tandis que le pôle secondaire serait un faubourg. Une voie relie les deux noyaux, pouvant s’agir d’une voie processionnelle, ce qui met en avant le rôle du sacré dans la construction de l’espace grec. R. Étienne a proposé de rapprocher les schémas urbain et périurbain de Paros et de sa colonie Thasos et d’associer cette structuration particulière au témoignage d’Archiloque sur le proastéion de Paros16. Par conséquent, l’organisation restituée met en avant un processus d’urbanisation éclaté ou polynucléaire qui, néanmoins, traduit une hiérarchie en raison de la fortification d’un des pôles d’occupation, qui représente la ville. En somme, urbain et périurbain sont décelables depuis les premières phases du processus d’urbanisation.
12Le cas d’Himère, en Sicile, est également parlant, car le quartier extra muros de Cardillo, contemporain de la ville intra muros, est même doté d’un plan qui reproduit l’urbanisme de la ville basse17. Ce schéma signale à nouveau l’ampleur de l’emprise urbaine mise en œuvre au moment de la fondation et, en particulier, la réalisation d’une opération unitaire d’aménagement de l’espace urbain et périurbain.
13La construction de la ville, qui juxtapose des cercles successifs d’intervention, apparaît comme une opération rationnelle d’aménagement de l’espace urbain mais également périurbain. Souvent sacralisée, cette opération a permis de définir et de limiter des espaces dont le zonage traduit des formes politiques, sociologiques, culturelles et économiques précises. La forme de la ville apparaît dès lors comme un véritable « marqueur identitaire »18.
Les dieux et les morts : occupation et limites de l’espace périurbain
14Si la méconnaissance archéologique des marges urbaines livre souvent une image très partielle de l’implantation extérieure, on constate néanmoins, un peu partout, que cet espace est voué à des usages et à des fonctions complémentaires étroitement liés à la vie urbaine. Les axes de communication qui partent de la ville contribuent à organiser cette occupation périphérique et ils sont souvent jalonnés de sanctuaires, situés dans l’espace immédiat hors les murs, ainsi à Cumes19, ou bien à une distance relativement plus importante. Dans le cas de la région d’Arcadie, Madeleine Jost évalue à 7 stades, soit 1,2 km environ, la distance maximale des sanctuaires périurbains20.
15Un grand nombre de sanctuaires grecs étaient donc bâtis hors de la ville, comme c’est le cas fréquemment pour les Artémisia21. Parfois, c’est une véritable ceinture sacrée périurbaine qui assure la protection de la ville, par exemple à Sélinonte22. Là, les premières traces cultuelles sur les collines périphériques datent de la période de fondation, soit de la deuxième moitié du viie siècle av. n. è., ce qui atteste la volonté précoce de circonscrire l’espace urbain, progressivement aménagé, et d’ancrer la sphère religieuse grecque. La position en hauteur des sanctuaires, surplombant l’espace portuaire et maritime de la cité, autour des deux cours d’eau qui bordent à l’est et à l’ouest la colline où a été installée la ville, signale une construction de l’espace dont le schéma concerne à la fois l’espace urbain et périurbain. C’est également une mise en scène des installations cultuelles, qui contribuent à marquer l’appropriation et la définition de l’espace terrestre et maritime. Les différences notoires perceptibles dans le profil et l’architecture des lieux de culte situés de part et d’autre de la ville ont conduit à proposer une projection distincte en direction des autres cités grecques de Sicile ou bien des communautés indigènes.
16Géla présente aussi une ceinture sacrée périurbaine, bâtie à partir du milieu du viie siècle, où les sanctuaires consacrés à Déméter sont majoritaires. Cette divinité, dont le culte est très répandu en Sicile, a été fréquemment installée à l’extérieur de la ville, zone de médiation culturelle entre Grecs et sociétés indigènes ainsi que de médiation sociale, car la composante féminine dans les pratiques rituelles liées à la fertilité était dominante23. Par ailleurs, un certain nombre de ces lieux de culte périurbains se superpose à des vestiges indigènes plus anciens, pouvant être liés à des cultes chtoniens.
17Ce marquage de l’espace, qui matérialise les cercles successifs de l’intervention urbaine, souligne l’importance du sacré dans l’appropriation et dans l’organisation des terrains de la proche périphérie. Ces dispositifs cultuels, liés au fonctionnement et à l’histoire de la cité, sont souvent repérables dans les sources écrites, car les références à des sanctuaires pro-poleôs et pro-astiani sont relativement fréquentes24. Platon aussi, dans sa conception de la ville idéale, intègre des temples bâtis en cercle autour du noyau urbain pour la sécurité et la propreté (Lois, VI, 778b). La théorisation de la ville repose donc sur des réalités tangibles, facilement repérables dans les espaces grecs.
18À l’extérieur également sont repoussées les nécropoles, délimitant parfois un deuxième cercle périurbain, au-delà de la première ceinture sacrée, comme à Sélinonte25. Les espaces funéraires ont pu ainsi contribuer au marquage de l’espace des marges urbaines, car ils sont étroitement liés à la ville. En ce sens, il est intéressant de noter que les nécropoles les plus anciennes des établissements grecs de Sicile ou de la Méditerranée nord-occidentale sont souvent les plus éloignées du centre urbain, tandis qu’elles ont tendance par la suite à se rapprocher progressivement de la ville. C’est le cas par exemple à Syracuse26 ou encore à Emporion, dans le nord-est de la péninsule Ibérique27. Par conséquent, la limite marquée par les premières nécropoles reste fixée, l’emprise funéraire ultérieure se réalisant uniquement en direction de la ville, ce qui suggère une fonction éventuelle de marquage de l’espace périurbain. Le système de concessions funéraires devait sans doute relever d’un plan d’organisation et d’aménagement précis, où les limites du périurbain devaient être nettement définies28. Cette fonction de limite de l’espace périurbain paraît, par ailleurs, caractériser également les nécropoles et les monuments funéraires des établissements puniques du nord de l’Afrique et du sud de la péninsule Ibérique29.
19Les lieux de culte situés dans la proche périphérie des villes coloniales d’Occident prennent souvent place près des espaces funéraires30, organisation physique qui signale l’emmêlement des structures et des fonctions suburbaines. Cette particularité, perceptible également en Méditerranée orientale, rend compte du caractère propre de cet espace des marges urbaines.
Activités de production et imbrications spatiales et fonctionnelles
20Les activités de production sont souvent également repoussées à l’extérieur. La fonction artisanale, indispensable au bon fonctionnement de la ville, est parmi les plus importantes de l’espace périurbain. L’exemple d’Athènes montre le déplacement extra muros des centres de production céramique dès la fin de la période archaïque, implantés notamment dans la banlieue nord-ouest, soit le Céramique extérieur, à proximité des axes de communication qui partent de la ville31. Cependant, ce déplacement de l’activité artisanale n’est pas complet car des ateliers céramiques continuent à exister intra muros à l’époque classique. En effet, ce phénomène de coexistence de l’artisanat intra et extra muros est visible un peu partout dans le monde grec, bien qu’un contraste soit parfois perceptible dans le domaine de la production céramique entre petit artisanat en ville – à côté des boutiques – et grands ateliers à l’extérieur32. La position périurbaine de ces derniers garantissait non seulement la disponibilité d’espaces assez vastes pour accueillir l’ensemble des installations de production et de stockage mais aussi l’accessibilité aux matières premières et à l’eau. Il faut noter également que les ateliers intra muros ont tendance à prendre place près du rempart, aux abords donc de la ville, dans un espace qui préfigure déjà dans une certaine mesure les marges urbaines. En effet, cette position est fréquente aussi bien en Grèce qu’en Italie méridionale33.
21Si les ateliers céramiques sont souvent implantés à l’extérieur, la production métallurgique, en revanche, se développe généralement dans l’espace intra muros34. Les raisons de ce choix d’installation sont difficiles à expliquer car les nuisances liées à cet artisanat sont évidentes. Néanmoins, il faudrait approfondir l’étude des caractéristiques de cette métallurgie urbaine et savoir s’il s’agit plutôt d’une activité uniquement de réparation ou bien déjà de production à plus ou moins grande échelle. C’est le cas par exemple à Histria, en mer Noire, où les grands ateliers métallurgiques sont toujours situés à l’extérieur de la ville35.
22L’exemple du proastéion nord-ouest d’Athènes permet de mettre l’accent sur un phénomène que l’on rencontre, par ailleurs, dans d’autres cités. Il s’agit de la coprésence récurrente d’espaces funéraires et artisanaux, qui s’emboîtent dans l’espace et qui aboutissent à des agencements tout à fait particuliers. Des évolutions et des changements d’activité sont aussi perceptibles, ainsi à Athènes, où les terrains qui bordent la voie qui mène à l’Académie, dès le milieu du ve s., sont progressivement réservés au funéraire, tandis que les ateliers artisanaux se déplacent vers l’intérieur, plus éloignés de l’axe de communication36. Parallèlement, des exemples de récupération par des nécropoles d’anciens espaces d’exploitation, notamment des carrières, sont connus, ainsi en Occident à Poseidonia ou à Marseille37. Parfois, ce sont même des fosses à fonction vraisemblablement agricole qui sont réutilisées comme espaces funéraires, comme c’est le cas à Tarente38. Cette imbrication d’usages et d’activités constitue l’un des traits marquants du périurbain, que l’on rencontre dans le monde grec méditerranéen, mais aussi dans d’autres cultures de la Protohistoire récente ou de la période romaine.
23Les rares exemples de fouilles extensives conduites dans l’espace périurbain attestent la présence d’espaces où sont concentrés des déchets liés à des activités productives variées, ainsi la boucherie. Au-delà des pratiques, individuelles ou collectives, qu’ils mettent en évidence, ces vestiges renseignent sur le caractère attribué à ces terrains périphériques, espaces d’occupation et de production, mais aussi espaces de gestion des déchets de la ville. Cette activité était probablement à la charge des magistrats urbains. Dans la ville idéale de Platon, les astynomes sont chargés de régler tout ce qui concerne l’espace intra muros et la périphérie urbaine (Lois, VI, 778b).
24La découverte de traces agraires dans la proche périphérie de villes grecques atteste également l’utilisation agricole de ces terrains. C’est le cas à Marseille, où des fouilles récentes ont mis au jour des traces de vignobles39, ou encore à Tarente, où des structures à fonction agricole sont situées à peu de distance de la fortification40. Dans le cas d’Athènes à l’époque classique, deux propriétés désignées par le terme chôrion étaient situées près des murs de la ville, ce qui montre la présence de champs cultivés aux abords du noyau urbain41. Les textes qui font référence à la présence de jardins dans le proastéion sont également nombreux. À Délos, la documentation épigraphique permet de reconstituer la présence de jardins dans la bordure orientale de l’agglomération42. Situés dans le bassin inférieur de l’Inopos, ces jardins étaient aménagés dans des terrains propices à la vigne, aux figuiers et aux oliviers. Ils ont disparu lors de la construction de nouveaux quartiers d’habitation dans ce secteur après le milieu du iie s. av. n. è.
25Il s’agit donc d’un espace hétérogène et polyvalent, fortement marqué par la proximité du pôle urbain, mais qui dessine la transition progressive vers l’espace rural. La densité de l’occupation était pour autant faible en comparaison au tissu urbain, diminuant au fur et à mesure de l’éloignement de la ville. Le processus d’urbanisation, étroitement lié à celui de territorialisation des communautés grecques, aussi bien orientales qu’occidentales, s’exprime en conséquence dans un système d’organisation progressivement structuré avec le marquage et la séparation des espaces43, la logique urbaine rejoignant la logique territoriale à travers cet espace intermédiaire des marges urbaines.
Conclusion
26Tenter d’approcher l’organisation de l’urbain et du périurbain dans le monde grec méditerranéen s’avère un travail complexe et de longue haleine qu’il faudra progressivement compléter et approfondir. Loin de prétendre à une étude exhaustive, cette contribution vise à ébaucher quelques pistes de recherche illustrant la complexité du fait urbain et la nécessité d’intégrer l’espace des marges dans l’étude de la ville, voire de la cité. Les exemples utilisés, dispersés dans l’espace méditerranéen, risquent certainement de fournir une image biaisée du phénomène, d’autant plus que la juxtaposition de quelques cas précis peut aboutir à une schématisation des traits, voire la construction d’une physionomie trop unitaire. Les expériences particulières ont sans doute contribué à imprimer des traits spécifiques, qu’il faudrait analyser cas par cas. Néanmoins, l’état de la recherche, trop fragmentaire, ne permet pas encore d’examiner convenablement cette diversité. C’est pourquoi, la présentation de quelques exemples a visé d’abord à mettre en lumière une certaine homogénéité dans les processus d’urbanisation, matérialisée dans l’investissement parallèle de l’espace intra et extra muros, ainsi qu’à relever un certain nombre d’éléments et de comportements caractéristiques de la construction urbaine et périurbaine grecque.
27La connexion ville-territoire, concomitante au renforcement du contrôle sur les espaces agraires, est donc un peu partout progressivement urbanisée. Interface entre urbain et rural, cet espace a des fonctions diverses et on constate l’importance de l’utilisation funéraire, cultuelle, artisanale, agricole, ou encore d’habitation. Il conviendrait également d’ajouter, selon les cas, les installations portuaires et commerciales, situées souvent à une certaine distance de la ville et regroupées dans des pôles secondaires. Cette organisation spatiale, quoique spécifique, peut bien traduire un élargissement de l’espace des marges urbaines, intégrant les différentes composantes fonctionnelles et économiques de la ville dans une configuration qu’on peut qualifier d’urbain disjoint ou de polynucléaire.
28Ce sont donc des équipements de nature essentiellement urbaine qui peuplent cet espace de la proche périphérie des villes, bien que l’étalement des vestiges et l’utilisation également agraire de ces terrains signalent les spécificités de cet espace intermédiaire, qui prolonge l’emprise urbaine jusqu’à une distance en moyenne de 1 à 1,5 km, davantage probablement dans le cas de villes importantes. Toutefois, la question des limites de l’espace périurbain est encore mal connue en l’absence de documents explicites, littéraires ou archéologiques.
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Notes de bas de page
1 Belarte, Plana-Mallart 2012 ; Darcque, Étienne, Guimier-Sorbets 2013 ; Ménard, Plana-Mallart 2015a.
2 Plana-Mallart 2013 ; Ménard, Plana-Mallart 2015b.
3 Morris 1987 ; Luce 2014.
4 Lafon, Marc, Sartre 2011, p. 36-39.
5 Osborne 1998 ; Osborne, Cunliffe 2005 ; Zurbach 2008 ; Lombardo, Frisone 2009 ; Étienne 2010.
6 Greco 2009.
7 De Polignac 1999.
8 Gras, Tréziny, Broise 2005.
9 Luce 2014.
10 Prost 2007, p. 239-240.
11 Tréziny 2012a.
12 Lafon, Marc, Sartre 2011, p. 101-102.
13 Du Bouchet 2015.
14 Blondé, Muller, Mulliez 2002.
15 De Polignac 2006.
16 Étienne 2013.
17 Tréziny 2012a.
18 Bourdin, Paoli, Reltgen-Tallon 2015, p. 9-19.
19 Munzi 2014.
20 Jost 2013.
21 Morizot 2013.
22 Bouffier 2015.
23 Tantillo 2015.
24 Étienne 2013.
25 Bouffier 2015.
26 Tréziny 2012a.
27 Castanyer et al. 2012.
28 Bouffier, Menjot, Brelot 2015.
29 Prados 2009.
30 Leone 1998.
31 Monaco 2013.
32 Sanidas 2013.
33 Esposito, Sanidas 2012 ; Esposito 2013.
34 Sanidas 2013.
35 Dupont 2013.
36 Monaco 2013, p. 45.
37 Tréziny 2012a, 2012b.
38 Finocchietti 2009.
39 Tréziny 2012b.
40 Finocchietti 2009.
41 Pritchett 1956, p. 269.
42 Bruneau 1979.
43 Zurbach 2008.
Auteur
-
Rosa Plana-Mallart
Université Paul-Valéry Montpellier 3 - ASM-UMR 5140 / Labex Archimede (IA-ANR-11-LABX-0032-01)

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