1Le dépôt céramique de la tombe à char de Warcq « La Sauce » (Ardennes) a fait l’objet de plusieurs types d’analyses biologiques et les résultats obtenus se sont avérés diversifiés et d’une interprétation délicate. Les nombreux échanges qui en ont découlé sont à la source de cette contribution dont le propos principal est de croiser les données céramologiques et les résultats des analyses (imprégnations organiques et phytolithes) dans une réflexion sur le contenu et la fonction des cinq vases¹. Afin d’élargir la perspective, la confrontation a été replacée à la fois dans l’univers organique de la sépulture et dans son environnement du ii^e siècle av. J.-C. ; l’objectif est de compléter l’argumentation et de mobiliser un plus grand nombre de données pour affiner la compréhension de l’usage des céramiques et du rôle du dépôt lié à l’alimentation au sein d’une tombe d’exception.

La tombe à char

2C’est à la frontière nord du pays rème, à Warcq (Ardennes), au lieu-dit « La Sauce », qu’à l’été 2013, une équipe de la cellule d’archéologie du Conseil départemental des Ardennes a entrepris la fouille préventive d’un établissement rural gallo-romain identifié lors de diagnostics effectués par l’Inrap sur le projet de l’autoroute A304². La découverte, pendant cette campagne 2013, d’une exceptionnelle tombe à char laténienne, a poussé l’État à mettre en place les mesures nécessaires à sa protection et une campagne de fouille spécifique fut conduite au début de l’été 2014 par une équipe mixte Conseil départemental des Ardennes-Inrap³.

Fig. 1 - Localisation du site de Warcq « La Sauce » (Ardennes) et des principaux sites régionaux mentionnés dans le texte pour le ii^e siècle av. J.-C.

3Warcq se situe à l’ouest de Charleville-Mézières, à la confluence de la Meuse et des cours d’eau qui descendent des crêtes pré-ardennaises et du massif primaire de l’Ardenne (fig. 1). Le site est ainsi localisé en bordure d’une zone humide à proximité d’un cours d’eau. L’emprise de la fouille couvrait une surface de 8 000 m² et suivait une déclivité nord-sud marquée par une rupture de pente relativement nette qui a probablement favorisé l’accumulation de sédiments, fruit de l’érosion des reliefs environnants. La puissance des couches atteignait ainsi jusqu’à plus de 2,5 m, protégeant et conservant, de fait, les vestiges. Avant les travaux, rien dans le paysage ne permettait de soupçonner la présence de restes archéologiques (fig. 2).

Fig. 2 - Le site de Warcq « La Sauce » avant les travaux.

4L’occupation principale, d’époque gallo-romaine, s’articulait autour d’une grande bâtisse agricole rectangulaire, construite en pierre et couverte d’un toit en ardoise. Elle dominait au sud-est un étang alimenté partiellement par un vallon longeant l’édifice sur son côté est. À l’est et à l’ouest, un grand nombre de structures en creux sont interprétées comme les restes de bâtiments sur poteaux. La durée de l’occupation, attestée entre le i^er siècle apr. J.-C. et la fin de la période mérovingienne, s’est enrichie d’une phase, suite à la découverte de la tombe à char. Celle-ci est apparue sous les couches d’effondrement à l’extérieur du bâtiment. Jusque-là, peu d’indices permettaient a priori d’imaginer la présence d’une sépulture de ce type. Les vestiges du second âge du fer n’abondent guère dans un environnement proche et la nécropole de la forêt des Pothées se situe à 20 km environ vers le nord-ouest. À cela s’ajoute l’absence quasi totale, sur le site, de restes ou d’artefacts en rapport avec une occupation antérieure à la période romaine : seuls trente-six tessons protohistoriques ont été collectés pendant la campagne 2013. Enfin, le tumulus et le fossé d’enclos, qui selon toute probabilité signalaient la tombe, ont été définitivement arasés, sans doute pour faire place à l’installation romaine (fig. 3).

Fig. 3 - Le niveau d’apparition de la tombe à char. On distingue nettement l’intrusion du bâtiment romain sur la structure plus ancienne.

5Le caractère exceptionnel de la sépulture a imposé des moyens adaptés pour la fouille. Un chapiteau a été installé et un système de plate-forme suspendue au-dessus de la fosse a été créé pour l’occasion. La structure dessinait une grande fosse rectangulaire orientée est-ouest, de 15,5 m². Les volumes conservés étaient également atypiques puisque la profondeur dépassait 1,1 m. De même, le milieu humide a permis la conservation partielle du coffrage et du plafond en bois. Ce dernier couvrait encore les deux tiers du sol de la chambre et les objets et animaux qui accompagnaient le défunt, sur lesquels il s’était effondré (fig. 4). Tout semblait indiquer une mise en scène funéraire extrêmement recherchée. Au centre de la chambre, un char d’apparat à deux roues regarde vers l’est. L’élément le plus spectaculaire et inédit est la présence de quatre chevaux. Deux à l’avant, dans l’angle sud-est, étaient harnachés, comme encore attelés, sous un joug en bois pourvu d’un manchon en tôle de bronze. Deux à l’arrière, mors déposés, occupaient les angles nord-ouest et sud-ouest. Tout un ensemble d’objets décoratifs en bronze, parfois enrichis de pastilles de verre colorées, ornait le char. Lors de la fouille, le défunt, tête à l’ouest, en décubitus, reposait sur le sol. Il portait une fibule en fer à hauteur de la ceinture et au cou, un torque constitué d’une âme en matière organique plaquée de feuille d’or, tout comme certaines parties du char encore mal identifiées en raison du mauvais état de conservation. Sur le côté droit du mort, à hauteur des cuisses, se trouvaient, sous un élément circulaire en bois lui aussi couvert d’une fine feuille d’or, une bourse en fourrure munie d’une chaînette, des forces, une pince à épiler et un rasoir en fer. Enfin, à proximité, le long de la paroi sud, des restes de faune accompagnés d’un couteau, deux seaux et cinq vases en céramique constituaient un ensemble d’offrandes alimentaires.

Fig. 4 - Agencement général de la tombe. Sur le côté sud, les céramiques et les autres composantes du dépôt lié à l’alimentation. Les numéros permettent de localiser les prélèvements pour analyse des phytolithes hors céramiques.

La restitution du dépôt lié à l’alimentation

6D’après les principaux éléments conservés et identifiés, le dépôt lié à l’alimentation se composait, plus ou moins d’ouest en est, de deux seaux en bois à cerclages de fer⁴, d’un groupe de cinq céramiques et d’un grand couteau en fer associé à une offrande de viande (au moins une demi-tête de porc et un gril costal d’un porc ou d’un autre mammifère de taille moyenne⁵). Un dépôt organique complétait peut-être cet assemblage, entre les seaux et les vases (cf. infra). Les céramiques se présentaient à la fouille comme un amas de tessons et un travail a posteriori avec la documentation de terrain a été nécessaire pour distinguer les récipients et émettre des propositions quant à la disposition d’origine et quant aux mouvements ayant eu lieu après la fermeture de la tombe (fig. 5-10).

Fig. 5 - Les céramiques au sein du dépôt lié à l’alimentation.

Fig. 6 - Zone du dépôt céramique avant enlèvement de l’élément circulaire.

Fig. 7 - Zone du dépôt céramique après enlèvement de l’élément circulaire et du vase décoré à l’étain. Localisation approximative des bases des vases lors de la fouille – proche ou non de l’emplacement d’origine avec le cas particulier du vase 2002 écrasé en place.

7Vers l’ouest du dépôt, une forme haute décorée à l’étain (2003) est renversée vers le sud/sud-est, le bord du récipient haut de 35,5 cm se trouvant presque au contact de la paroi sud de la tombe. Son embouchure surplombe en partie celle d’une jatte fine (2004), basculée vers la paroi. Deux hypothèses sont recevables : soit la jatte était retournée en couvercle sur le vase haut et tous deux se sont trouvés renversés dans un même mouvement ; soit le vase a basculé en direction de la jatte posée au sol. La relation particulière entre les deux céramiques permet de privilégier la première interprétation, sans toutefois écarter la seconde. Non loin vers l’est, se trouve une forme haute bitronconique (2001). Elle est également tombée en direction de la paroi et s’est retrouvée broyée sous le poids des matériaux, le pied écrasé sous la paire de forces. Les fragments d’un quatrième vase, une jatte commune (2005), ouverture vers le haut, se trouvaient répartis entre la zone d’embouchure du récipient précédent (partie la plus fragmentée de la jatte) et la jatte fine 2004. On retrouve ainsi entre le vase 2001 et la jatte 2005, en partie écrasée sous son embouchure, une relation similaire à celle des deux céramiques évoquées plus haut qui oriente vers le basculement d’un vase et de son couvercle. Cette répétition tend à étayer l’interprétation. L’association est cependant moins satisfaisante : le couvercle aurait masqué une grande partie du haut du vase, jusqu’en limite du décor de l’épaule. Le dernier vase, un petit récipient fermé (2002), placé un peu plus loin, a été écrasé au sol sous une pression zénithale. L’embouchure et le fond du vase se sont retrouvés presque superposés.

Fig. 8 - Vases 2001 et 2003. On peut noter le « glissement » d’au moins une petite zone du décor à l’étain au milieu de la panse du vase 2003.

Fig. 9 - Vases 2004 et 2005 et restitution du vase 2002.

Fig. 10 - Hypothèses pour la restitution du dépôt de vaisselle. La position initiale des formes basses ne peut être assurée, et pour la localisation dans la sépulture cf. fig. 5-7.

8Dans l’état actuel des données, on peut ainsi restituer à droite du défunt, trois vases plus ou moins alignés par ordre de grandeur, et peu espacés (une trentaine de centimètres environ entre les bases), les deux plus grands étant sans doute couverts par des jattes retournées ; à moins que ces dernières n’aient été placées plus au sud, à plat sur le fond de la sépulture (fig. 10).

Description des céramiques et observations techniques

9Les précisions relatives au montage et au traitement des surfaces reposent sur une observation macroscopique. Concernant les pâtes, des échantillons ont été prélevés sur les cinq vases et une étude pétrographique a été réalisée dont seules les conclusions seront présentées ici. Les matières appliquées utilisées pour certains décors, objets d’analyses spécifiques, sont présentées plus avant.

10Le vase 2001 possède un corps bitronconique arrondi, presque symétrique et repose sur un petit pied surélevé (hauteur totale vers 23 cm et diamètre maximum vers 19,5 cm ; fig. 8). L’embouchure est resserrée avec un diamètre minimum au col d’environ 10,5 cm. La pâte est mi-fine à fine. Les macrotraces indiquent un montage mixte, combinant colombin et instrument rotatif. Un brunissage soigné caractérise la surface extérieure et l’intérieur de la lèvre, le reste de la surface intérieure étant plus mat. L’épaule porte un décor lissé, une onde double tracée sur un bandeau plat délimité par des cannelures. Ce bandeau présente des traces fugaces d’une matière appliquée brune, décorative ou jouant un rôle d’adhésif pour un matériau disparu, qui a fait l’objet d’une analyse biochimique (cf. infra). La pâte d’une teinte sombre assez homogène témoigne d’une cuisson réductrice.

11La restitution du petit vase 2002 est hypothétique, le matériau fragile étant en cours de désagrégation (fig. 9). Le corps semble pansu, peut-être bitronconique, avec un diamètre maximum évalué à environ 12 cm. L’embouchure resserrée est caractérisée par un petit col vertical s’ouvrant vers le haut et une lèvre en baguette, et la jonction col/épaule est marquée par au moins une étroite baguette. La base est annulaire. La pâte est fine. Les stries sur l’intérieur du petit fragment de col, la très faible épaisseur de la céramique, le fond en anneau régulier indiquent un façonnage au tour. L’intérieur de la lèvre et l’extérieur de l’épaule ont fait l’objet d’un brunissage soigné. La coloration de la pâte semble combiner un cœur brun-gris, des franges un peu rougeâtres et une surface sombre. Il s’agit sans doute d’une production fine tournée, enfumée, à pâte limono-sableuse.

12Le vase 2003 est une forme arrondie élancée presque symétrique, avec une hauteur totale vers 35,5 cm pour un diamètre maximum vers 24,8 cm (fig. 8). Il présente, au niveau de l’épaule, une succession de bandeaux convexes ou en méplats de largeur variable, délimités par des cannelures. L’ouverture est assez resserrée avec un diamètre minimum au col vers 15 cm. Elle est dotée d’un petit col prolongé par un bord ouvert et une lèvre en baguette, et d’un fond annulaire. La pâte est assez dure, fine et sableuse. L’ensemble de la céramique a été façonné au tour (stries intérieures), mais les ruptures obliques perceptibles dans la tranche suggèrent une mise en forme initiale au colombin. La finition extérieure comprend des parties brunies par rotation et des zones plus mates avec des stries liées au tournage. Les bandeaux mats sur l’épaule portent un décor au lissoir, un tracé ondé horizontal ou, pour l’un d’eux, une combinaison de traits obliques, encadrés de tracés ondés, disposés en chevrons. Un décor géométrique réalisé à l’étain a été superposé à ce décor d’origine (cf. infra). Le cœur de la pâte est d’une teinte rose orangé, la surface est noire et le vase 2003 s’inscrit également dans la catégorie des productions fines tournées, enfumées, à pâte sableuse.

13De forme basse, le vase 2004 est d’un profil sinueux comportant un épaulement arrondi en ressaut et un haut col souligné par une baguette marquant la liaison avec l’épaulement (fig. 9). Le bord est bien ouvert, légèrement épaissi. La panse est peu profonde et le fond à peine soulevé est pourvu d’un petit talon. La pâte est fine et d’un aspect particulier (cf. infra). Différentes techniques sont combinées pour le façonnage : le diamètre très régulier à l’ouverture et les stries à l’intérieur de l’épaulement indiquent l’emploi d’un instrument rotatif, notamment pour la partie supérieure qui présente également des ruptures obliques dans les tranches suggérant un colombinage préalable. Concernant la partie inférieure, l’épaisseur est limitée et assez homogène, de 3-4 à 5-6 mm y compris pour la base, et une mise en forme par moulage peut être envisagée. L’intérieur de la lèvre et la surface extérieure sont brunis si l’on excepte une zone plus mate au milieu de la panse portant un décor géométrique au lissoir (des tracés doubles, plus ou moins disposés en chevrons). À l’intérieur, sous les stries marquant l’épaulement, la paroi apparaît unie, possiblement brunie et usée. La pâte présente un cœur gris-brun à franges orangé-rougeâtre parfois assez épaisses et une surface sombre.

14Le vase 2005 est une forme basse assez profonde combinant un col concave s’ouvrant vers le haut avec une lèvre en baguette et une panse curviligne (fig. 9). La jonction des deux éléments est abrupte avec une arête anguleuse. La base est aplatie avec un léger talon. La pâte est d’une structure peu homogène, feuilletée, avec des « veines » de teinte beige-rouille et des inclusions plutôt hétérogènes. L’emploi d’un matériau assez peu travaillé serait confirmé par la présence en surface extérieure de la panse de la trace d’un fragment végétal sous la forme d’une grande empreinte fibreuse et très peu épaisse – grossièrement rectangulaire et d’environ 18 mm par 6 mm – contenant un peu de matière carbonisée. Elle a provoqué la perte de la surface du vase à cet endroit. Cette empreinte montre en outre, sur un côté, une légère accumulation de matière marron issue sans doute du décor qui recouvre, presque en totalité et peut-être volontairement, la zone du défaut. La céramique a été réalisée par colombinage et la surface a été finie de manière assez sommaire. Le décor géométrique (bandes horizontales au niveau de la partie supérieure et de la base et larges bandes verticales sur la panse) se compose d’une substance de teinte marron qui a été l’objet d’un prélèvement pour une analyse biochimique (cf. infra). Elle a pu jouer un rôle décoratif ou servir d’adhésif pour l’application d’une matière organique non conservée. La pâte est d’une teinte grisée avec une surface sombre.

Conclusions de l’étude pétrographique⁶

15Les pâtes des vases échantillonnés correspondent à des types très différents (tableau 1 ; cf. annexes, fig. 17-18) :

• les vases 2001 et 2005 sont composés d’une terre ou d’une argile limoneuse avec inclusions de chamottes ;

• le vase 2002 est composé d’une terre ou argile limoneuse avec inclusions sableuses ;

• le vase 2003 est composé d’une argile non limoneuse avec inclusions sableuses abondantes ;

• le vase 2004 est composé d’une argile non limoneuse avec inclusions de sable glauconitique abondantes.

Tableau 1.

16Les tessons à chamottes (2001 et 2005) ont une argile légèrement micacée, qui peut correspondre aux couches argileuses de surface des crêtes préardennaises. L’emploi de terre de surface est ici probable à cause de la présence de limons au sein de l’argile. Les chamottes du tesson 2001 sont plutôt homogènes et elles ont dans l’ensemble une composition assez proche de celle du tesson lui-même. Les chamottes du tesson 2005 sont plutôt hétérogènes, avec des types pétrographiques très différents de ceux du tesson lui-même et certaines chamottes sont d’un type proche de celui du tesson 2004.

17Le tesson 2004 à sable glauconitique est extrêmement particulier. Des types pétrographiques proches, mais contenant un peu plus d’inclusions de quartz, ont été étudiés par A. Morigoni pour des céramiques d’Acy-Romance. Les sables glauconitiques de la formation dite des « Sables verts » sont présents notamment entre Rethel et Vouziers (mais aussi dans la bordure sud du Perthois et l’Aube).

18Le tesson argilo-sableux 2003 correspond à l’emploi d’une argile plutôt pure. Les microstructures en chevron pouvant indiquer l’emploi d’une argile fortement kaolinitique. L’absence totale de muscovite indiquerait aussi l’emploi d’une argile différente de celle des tessons 2001 et 2004. La présence de grains de silice microcristalline attribuables à des grains de silex indiquerait l’emploi d’un sable post-crétacé (donc d’un sable cénozoïque). La pâte est d’ailleurs plutôt claire et n’est pas sans rappeler certaines productions de l’Aisne (Laonnois-Soissonais) et de la bordure de la cuesta d’Île-de-France (Champagne).

19Le tesson limoneux 2002 peut correspondre à l’emploi d’une terre de surface, par exemple d’un limon argileux. La présence de grains de silice microcristalline attribuables à des grains de silex indiquerait l’utilisation d’un sable post-crétacé (donc d’un sable cénozoïque). L’absence totale de muscovite indiquerait aussi l’emploi d’une argile différente de celle des tessons 2001 et 2004 et la présence des petits grains de silex rapproche ce tesson du n^o 2003, tous deux pourraient avoir la même origine.

Caractérisation et datation de l’assemblage

20Les caractères techniques de certains vases et de leurs décors apportent d’autres arguments pour saisir la disposition des céramiques. La relation entre les céramiques 2001 et 2005 – envisagées comme un vase et son couvercle d’après le positionnement et en dépit d’une association assez peu harmonieuse sur le plan des formes – est renforcée par l’existence de traits techniques communs. Il s’agit dans les deux cas de productions sans doute locales et réalisées en employant une terre de surface dégraissée à la chamotte, portant des décors organiques (cf. infra). D’autres céramiques partagent des traits techniques distincts des précédents. Ainsi, le grand vase 2003 et le gobelet 2002 ont en commun l’emploi pour la pâte d’un sable post-crétacé comportant des grains de silex indiquant une origine exogène, mais possiblement proche (Laonnois/Soissonnais ou certains secteurs de Champagne). Il s’agit par ailleurs dans les deux cas de productions fines façonnées au tour et une origine commune n’est pas à exclure pour ces céramiques spécialisées (cf. supra). Si le vase 2004 est également une production exogène, les sables glauconitiques désignent plutôt le sud des Ardennes (Rethel et Vouziers), voire le sud de la Champagne (Perthois, Aube).

21Si l’on considère l’assemblage, il est ainsi composé de productions diversifiées, plus ou moins spécialisées et d’origines variables, locales ou provenant de régions voisines. En outre, à part la jatte 2005, simplement montée au colombin, toutes les céramiques ont été façonnées en employant l’énergie cinétique rotative et la technique du colombinage au tour apparaît prédominante⁷. Cette combinaison est caractéristique de La Tène C2b-D1a, période marquée à la fois par une évolution rapide et foisonnante de la production céramique, avec la diffusion élargie de l’usage des instruments rotatifs pour la vaisselle fine⁸, et par des réseaux à petite échelle traduisant une économie de production essentiellement micro-régionale y compris pour une céramique « de luxe » comme la céramique peinte⁹.

22Les techniques décoratives représentées dans la tombe de Warcq, également diverses, témoignent d’une certaine singularité au travers des décors appliqués, matières organiques et décor à l’étain, qui feront l’objet d’un développement spécifique (cf. infra). Au contraire, les décors lissés, en combinaison avec des moulures, sont largement répandus depuis le iii^e siècle av. J.-C.¹⁰. Ces décors au lissoir (tracés ondés ou rectilignes, horizontaux ou en chevrons) sont bien représentés dans les phases I et II de l’habitat d’Acy-Romance (La Tène C2 à D1a)¹¹. Les formes de Warcq y trouvent également des parallèles, formes hautes pansues, d’un profil bitronconique, au petit col souligné par une baguette, ou fuselées au profil souvent complexe, formes basses à encolure. La jatte 2004 est ainsi proche de nombreuses variantes de formes basses à encolure moulurée développée et décor lissé et pourrait d’après la pâte provenir de ce secteur de la vallée de l’Aisne. La multiplication des formes hautes à embouchure resserrée accompagne la généralisation de l’emploi des instruments rotatifs. La tendance est commune, mais le manque d’équivalence directe entre les deux sites conduit à s’interroger, même si l’on prend en compte le fait que la production céramique de cette période se caractérise par de nombreuses nuances à l’intérieur d’un même corpus. Or, si l’on considère la localisation géographique de la tombe, la question culturelle est d’importance. Pour la traiter, on ne peut guère s’appuyer sur des données micro-régionales : le nord des Ardennes est faiblement documenté et le corpus le plus significatif, celui de la nécropole de la forêt des Pothées dans sa phase La Tène moyenne, ne fournit que peu de comparaisons surtout concernant les formes hautes. Le répertoire des céramiques publiées semble très marqué par l’héritage de La Tène ancienne et l’occupation principale de la nécropole serait antérieure à la tombe de Warcq¹².

23Si les liens sont lâches entre le vase complexe 2003 au décor lissé et les types d’Acy-Romance, ils apparaissent plus étroits avec les formes hautes fines du corpus lorrain¹³. L’analogie est particulièrement forte avec une série de céramiques – à la courbure plutôt symétrique et dont la partie supérieure combine diversement bandeaux convexes, baguettes et cannelures – de la nécropole de Basse-Ham « Unicom » (Moselle), sur la vallée de la Moselle, attribuée pour l’essentiel à La Tène C2¹⁴. Il se démarque toutefois de l’ensemble par un corps particulièrement élancé et la pâte oriente possiblement vers une production de l’Aisne ou de Champagne dont l’origine précise demeure à trouver.

24Plus à l’est, on trouve des points de comparaison au sein du mobilier de la vaste nécropole de Wederath-Belginum¹⁵. Des formes élancées à l’inflexion médiane, de profils généralement moins complexes, des vases bitronconiques, des petits récipients à l’embouchure resserrée, ainsi qu’un répertoire de motifs lissés similaires à ceux de Warcq, sont associés dans les sépultures à des fibules de schéma La Tène C dans des contextes se rapportant en particulier à La Tène C2-D1a. Les formes basses se distinguent dans ces régions orientales par une prédominance de profils simples et les formes basses de Warcq se rapprochent plutôt des faciès du pays rème.

25Ainsi, les cinq céramiques de la tombe s’inscrivent dans un répertoire voisin de celui du nord du territoire communément rattaché au peuple rème, autour des vallées de l’Aisne et de la Vesle, et les productions non locales pourraient d’ailleurs provenir de ces régions, mais le contact apparaît également fort avec les régions plus à l’est, correspondant notamment aux espaces médiomatriques et trévires, sans doute par le couloir de la Meuse. Dans l’attente d’un ancrage éventuellement plus fin, les comparaisons permettent de proposer une datation entre La Tène C2b et le cœur de La Tène D1a (vers 175 à 135 av. J.-C.). Cette datation est en accord avec les observations faites par É. Millet sur le mobilier métallique¹⁶.

De singuliers décors en matière organique

26Le vase 2001 ne comporte que quelques traces de matière sombre sur le bandeau orné d’un décor lissé (cf. fig. 8). Dans le cas du vase 2005, le matériau brun paraît avoir servi à réaliser un décor appliqué concernant l’ensemble de l’objet (cf. fig. 9). Il couvre la surface de pose et comporte deux bandes horizontales – l’une au niveau du col, qui s’arrête vers le sommet de la lèvre si l’on excepte une trace intérieure épaisse localisée, et l’autre au niveau de la base – ainsi que des bandes verticales, larges d’environ 2,3 cm et espacées de quelques centimètres, disposées sur la panse. Il présente un aspect assez lisse avec de fines lignes suivant l’orientation des bandes et sans doute liées à l’emploi d’un pinceau. Il est plutôt brillant avec de petites accumulations.

27Les deux matériaux sombres ont fait l’objet d’analyses biochimiques en une étape d’extraction et d’analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS)¹⁷ (cf. annexes, fig. 19). Le micro-prélèvement du vase 2001 comprend un corps gras d’animal ruminant – le squalène assez abondant irait dans le sens d’une graisse avec sébum (peau, couenne) – ainsi qu’une très faible quantité de résine de conifère et de brai de bouleau, alors que la matière appliquée sur le vase 2005 apparaît composée en grande majorité de brai de bouleau, mêlé à un corps gras d’animal ruminant et à une faible quantité de résine de conifère.

28Dans une première hypothèse, ces matières d’origine organique d’aspect brillant ont servi à rehausser un bandeau décoré (vase 2001) ou à exécuter un décor (vase 2005). Dans une seconde hypothèse, ces matériaux sombres ont pu servir d’adhésifs pour la réalisation de décors appliqués en matière organique aujourd’hui disparus. La pratique est connue à travers le temps et on signalera particulièrement les décors à l’écorce de bouleau de l’époque néolithique¹⁸. Cette écorce claire peut offrir un décor contrasté sur le fond sombre de la céramique. L’effet obtenu pourrait ainsi se rapprocher, à moindre coût, de celui du décor géométrique à l’étain du vase 2003, la pièce la plus remarquable du dépôt de vaisselle.

29Quelle que soit la nature exacte des décors appliqués, le résultat des analyses pourrait indiquer l’emploi de différentes recettes à partir de composantes similaires : de la graisse de ruminant (plus présente dans le cas du vase 2001), du brai de bouleau (majoritaire dans le cas du vase 2005) et de la résine de conifère en faible quantité. La fabrication de substances organiques a sans nul doute donné lieu à de nombreux développements durant l’âge du fer. Deux types de produits issus du bois identifiés dans ces décors (le brai de bouleau et la résine de conifère) sont entre autres connus pour leur usage en rapport avec la céramique. Ils ont servi à réaliser des enduits, des adhésifs pour des réparations, voire, concernant notamment le brai, pour compléter des lacunes dans le cadre de véritables restaurations observées en particulier dans les nécropoles de La Tène A-B en Champagne¹⁹. Dans la tombe de Warcq, une petite accumulation d’un autre matériau sombre identifié par une analyse comme du brai²⁰ a été repérée sous la lèvre du vase décoré à l’étain, mais son rôle exact demeure inconnu.

30Il est difficile de déterminer si les décors impliquant des matières sombres ont été réalisés à l’occasion des funérailles ou auparavant. La possible disparition de matières organiques et la discrimination malaisée des traces liées à l’usage et des altérations dues au caractère agressif du sédiment argileux ne permettent pas de trancher. Des observations complémentaires seront nécessaires pour tenter de compléter la détermination des composantes des décors et une recherche reste à faire pour trouver des parallèles et préciser dans quelle mesure ces décors organiques originaux constituent des marqueurs culturels. Toutefois, tout indique que la mise en scène du mobilier accompagnant le défunt a été l’objet d’une attention particulière, et ces décors singuliers doivent être interprétés en fonction de cette donnée. Dans le cas de la jatte 2005, l’effet recherché lors du dépôt dans la sépulture, vu du dessus, plus ou moins contrasté selon les matériaux employés (matières sombres et brillantes, écorce de bouleau ou autre) était sans doute celui d’un motif rayonnant à prendre en compte dans l’étude du langage iconographique et symbolique porté par le mobilier de la sépulture. Concernant le style, la géométrie simple, les motifs aux contours rectilignes et la composition couvrante et peu élaborée sont à mettre en relation avec le décor à l’étain du vase 2003.

Un décor à l’étain de source rhénane ?

31Le décor appliqué géométrique du vase 2003 de Warcq possède les traits caractéristiques des décors à la feuille d’étain, altérés, qui ont fait l’objet d’un bilan précédent pour l’âge du fer²¹. La teinte est blanchâtre à grisâtre et l’épaisseur, réduite. Les contours relativement nets des motifs sont en accord avec une découpe dans une feuille de métal et un chevauchement est parfois observable. Une première analyse au MEB-EDX a permis de valider l’interprétation du matériau blanchâtre (dans la zone du bord du vase) qui s’avère « composé en majorité d’étain, les autres éléments détectés étant susceptibles de provenir de dépôts à proximité²² ». Quelques particularités ont pu être relevées dans l’attente d’une étude plus complète. Ainsi, la feuille d’étain aurait été appliquée sur la surface à l’aide d’une substance assez fluide, le matériau de collage ne paraissant pas visible, et on note l’absence de tracés incisés accompagnant les motifs. L’impression qui se dégage est celle d’un décor visant à faire de l’effet, car couvrant l’ensemble du vase de motifs argentés masquant le décor lissé d’origine plus nuancé, mais aussi celle d’un décor rapidement exécuté. Un net « glissement » d’une petite zone du décor, avec déchirement de la feuille d’étain et déplacement du motif paraît imputable à un mouvement maladroit ou à un phénomène taphonomique (cf. fig. 8). Il semble témoigner, sous toutes réserves, d’un décor fraîchement réalisé au moment de l’inhumation. Les différentes observations conduisent à envisager que ce décor à l’étain ait pu être réalisé dans le but de rehausser le vase dans le cadre de la cérémonie célébrant le défunt.

32Un fragment du résidu grisâtre a été prélevé dans le décor en bas de la panse du vase dans le but de déterminer des composantes de l’adhésif employé. L’analyse en deux étapes a révélé une forte proportion de corps gras d’origine végétale, alors qu’aucun indice n’indique l’emploi d’un adhésif de type brai de bouleau, résine ou poix (cf. annexes, fig. 20). Les acides gras insaturés, notamment l’acide oléique et surtout l’acide linoléique, suggèrent l’usage d’un liant à base d’huile végétale siccative riche en acide linoléique, mais l’analyse ne permet pas de l’identifier complètement (huile de noix, de noisette, de pavot – œillette –, etc. ?). Cette huile a pu être combinée à d’autres matières ayant disparu.

33Le bilan des décors à l’étain sur céramique dressé pour l’âge du fer en Europe occidentale témoigne d’une technique relativement rare mais présente de manière régulière²³. Largement documentée de la fin de l’âge du bronze au tout début de l’âge du fer en Suisse occidentale, en Allemagne du Sud et dans l’Est de la France, elle reste encore bien attestée autour du milieu du premier âge du fer dans le domaine hallstattien oriental²⁴. Une relation est proposée avec les céramiques décorées notamment de lamelles d’étain connues dans les cultures d’Italie du Nord et dans le monde étrusque²⁵. Une petite série champenoise marque la fin de La Tène A et le début de La Tène B1, avec des décors élaborés réalisés dès l’origine et s’inscrivant dans des panneaux délimités par des tracés incisés²⁶. Une bouteille lenticulaire à l’ornementation couvrante complexe mais mal conservée provient en outre d’une tombe de guerrier de Bretten-Bauerbach dans le sud du Bade-Wurtemberg, en Allemagne, avec une fourchette de datation comprise entre la fin de La Tène B2 et le début de La Tène C1²⁷.

Fig. 11 - Carte des décors à l’étain du II^e siècle av. J.-C. et illustration des principaux motifs et thèmes géométriques rectilignes.

34Le corpus pour La Tène C-D1 est un peu plus étoffé, avec des éléments dispersés et quelques concentrations (fig. 11). Assez éloignées du vase de Warcq par le style, deux céramiques présentent un décor original. La première est une pièce recouverte de feuille d’étain décorée découverte dans la nécropole de Berne, Reichenbachstrasse, en Suisse dans une sépulture datée de La Tène C2b²⁸. La seconde est un vase provenant anciennement de Pîtres « La Remise » (Eure) dont le décor, longtemps considéré comme peint, rappelle par les motifs incurvés, les tracés incisés et les cordons sombres d’adhésif, les productions champenoises soignées à décor d’étain plus anciennes, alors que le caractère couvrant du décor et la morphologie générale du vase le rapprochent de celui de Warcq (fig. 12)²⁹. L’analyse stylistique de la forme et des motifs du décor du vase conduisent à une datation « vers la fin de La Tène moyenne³⁰ ».

Fig. 12 - Le vase décoré à l’étain de Pîtres « La Remise », Eure.

35Les décors à l’étain aux motifs géométriques simples et rectilignes se répartissent en deux petits secteurs (cf. fig. 11). Une concentration est connue depuis longtemps en Allemagne rhénane vers La Tène C à Bad Nauheim (Hesse, Allemagne) et vers La Tène D1, notamment dans les tombes d’Alzey et Uelversheim dans le district de Mainz-Bingen³¹. Dans de nombreux contextes de la région des sites de production de sel à Bad Nauheim, les décors à la feuille d’étain ornent des céramiques fines mais assez courantes, tout particulièrement de grands plats d’une forme plus ou moins pansue et, parfois, des vases fermés ou de petites formes basses. Les décors sont répétitifs et les motifs proches de ceux représentés à Warcq : rang(s) de triangles, pointes en bas, au niveau de l’encolure souvent moulurée et de l’épaule, et traits transversaux à l’intérieur des bords. La feuille d’étain est collée à l’aide d’une substance végétale plutôt liquide, sans doute appliquée au pinceau d’après l’examen des traces³². L’auteur envisage un caractère local pour cette production plus ou moins soignée dans sa réalisation. D’un caractère rare, le vase en forme de botte de la tombe d’Alzey porte un décor de bandelettes disposées en chevrons figurant le laçage de la chaussure ; le dispositif rappelle un motif similaire utilisé pour un registre du vase de Warcq.

36L’autre petit groupe, plus occidental et d’identification plus récente, compte le décor de Warcq – qui comprend, outre les thèmes déjà évoqués, le motif du losange répété en frise continue ou discontinue et celui du triangle pointé vers le haut, parfois inclus dans une combinaison géométrique – et plusieurs céramiques décorées à l’étain provenant d’une tombe de l’un des sites funéraires du pôle d’activité du Griffon aux environs de Laon (fouille E. Pinard, 2006) ; les décors y présentent des motifs comparables³³. Le langage ornemental des décors rectilignes – avec pour motifs de base la bande et le triangle/chevron ou le losange qui peut en dériver – est semblable d’un groupe à l’autre et il trouve quelques parallèles dans le répertoire des motifs lissés de La Tène C et du début de La Tène D. Des bandes lissées ou délimitées par des traits au lissoir, disposées en chevrons ou en tracés verticaux/rayonnants, se rencontrent au sein du corpus de la forêt des Pothées et ailleurs dans les faciès céramiques des iii^e et ii^e siècles.

37Le décor à l’étain de Warcq, qu’il ait été réalisé à l’occasion des préparatifs de la cérémonie funéraire ou antérieurement, constitue un élément clef pour la datation et l’approche culturelle. Le lien avec les décors rhénans de La Tène C-D1 et avec le décor de la région de Laon confirme l’inscription de l’assemblage au cœur du ii^e siècle av. J.-C. et marque également une ouverture vers l’est et vers l’ouest. Ces connexions contribuent à ancrer la tombe de Warcq dans un espace préfigurant le territoire de la Gaule Belgique selon le témoignage de César. Si l’on considère leur répartition, les décors géométriques et rectilignes à l’étain semblent tracer un axe est-ouest traduisant peut-être, dans le ii^e siècle, des contacts ou mouvements préférentiels dans l’espace de la Gaule Belgique, et une ouverture vers le monde germanique. Outre les liens culturels, des circulations de matériaux, comme l’étain des régions occidentales ou le sel produit à Bad Nauheim ou sur le littoral, sont à considérer. L’origine rhénane du décor (qu’il s’agisse d’une influence ou de l’intervention de la main d’un artisan venu de l’est) reste cependant à démontrer car des maillons manquent.

38Ce décor à l’étain, superposé au décor lissé initial et d’un esprit différent, marque une forme de détournement et l’utilisation du vase comme support d’un discours symbolique qu’il sera nécessaire de mettre en lien avec les autres objets de la sépulture afin de tenter d’en appréhender la signification : thème cosmique ? Complémentarité avec les objets recouverts d’or et la symbolique solaire manifeste³⁴ ?

Un service de composition traditionnelle

39Sur le plan de la fonction, les céramiques de Warcq peuvent être rapprochées de grandes familles de récipients aux contours plus ou moins précis, définies à partir du corpus de l’habitat d’Acy-Romance, en se référant en particulier aux travaux d’H. Balfet³⁵. Ils s’inscrivent dans trois ensembles distincts.

40Le vase 2005 fait partie des formes basses communes pourvues d’une encolure. Les récipients de cette famille large sont de dimensions très variées, avec un diamètre à l’ouverture qui s’échelonne à Acy-Romance entre environ 10 et 40 cm. Le rapport Ht/Do de 0,46 et le diamètre à l’ouverture vers 20,5 cm permettent d’identifier ici une jatte d’une profondeur modérée et d’une taille « moyenne » (de 19 à 29 cm de diamètre à l’ouverture). De façon générale, pour un diamètre entre 16 et 30 cm, la finition de la panse des formes basses communes à col n’est que très rarement rugueuse et les décors, surtout au lissoir, sont fréquents (entre un tiers et un quart des récipients). Le décor de la jatte 2005, quoiqu’inhabituel sur le plan technique, permet d’inscrire ce vase d’une réalisation assez fruste dans un groupe de récipients décorés et contribue sans doute à expliquer sa présence dans une sépulture aristocratique.

41La fonction de ce type d’objet, d’une capacité limitée quoique non négligeable (1,3 l pour un remplissage à 1 cm du bord supérieur), peut être multiple même si l’on s’en tient au domaine de l’alimentation : contenir/présenter des ingrédients pour la préparation ou la consommation ; préparer par mélange, broyage ou autre des ingrédients (l’utilisation pour la cuisson est improbable au vu de la finition) ; consommer aliments et boissons à titre individuel ou collectif ; couvrir des vases, etc. Si aucun indice morphologique ne constitue ici un argument fiable pour ce dernier emploi, les observations en contextes funéraires et sur l’habitat d’Acy-Romance permettent d’envisager une utilisation, sans doute rarement exclusive, comme couvercle pour de nombreuses formes basses, qui plus est lorsqu’elles sont de taille et profondeur modérées et témoignent d’un certain soin apporté à l’aspect extérieur.

42Le vase 2004 appartiendrait à la famille des formes basses les plus fines d’après la combinaison de la technique, de la morphologie, avec une haute encolure moulurée, et de la finition. De même que le précédent, il s’agit d’une jatte de profondeur modérée (rapport de la hauteur totale sur le diamètre à l’ouverture vers 0,48), avec des dimensions proches, un diamètre à l’ouverture vers 19 cm et une contenance vers 1,3 l à 1 cm du bord supérieur. Les similitudes s’arrêtent là et le développement de l’encolure au regard de la panse, la faible épaisseur permettent de limiter un peu le champ des possibles concernant la destination théorique : contenir/présenter des ingrédients ; consommer aliments et boissons à titre individuel ou collectif ; couvrir des vases, etc.

43Les trois autres récipients appartiennent à la famille large des formes hautes mi-fines à fines ; l’embouchure plus ou moins resserrée ou les dimensions permettent de proposer des subdivisions pour cette dernière. Dans le cas de Warcq, on a vu que les exemplaires ont une ouverture limitée et sont plutôt resserrés à l’embouchure. Les capacités sont complémentaires : le plus grand, le vase 2003 (9,7 l) contient à peu près quatre fois plus que celui de capacité intermédiaire, le vase 2001 (2,5 l), qui peut recevoir environ quatre fois plus que le plus petit, le vase 2002 (0,6 l ?). Si la contenance du grand vase se situe loin derrière les volumes affichés par les plus grandes céramiques des tombes à char de La Tène A-B, elle renvoie aux valeurs les plus élevées des nécropoles d’Acy-Romance (12,6 l au maximum pour une forme tonnelet assez proche)³⁶. Du point de vue de la fonction présumée, la morphologie des trois récipients en céramique mi-fine à fine les relie vraisemblablement au service et à la consommation des boissons. Le gobelet 2002 a pu servir pour puiser, servir et/ou boire et les bouteilles 2001 et 2003, pour contenir/stocker à court terme, servir, voire boire ou préparer les mélanges.

44Les types morphologiques composant le dépôt se distinguent des contextes funéraires plus anciens, mais les grandes familles de récipients restent similaires³⁷. L’association de vases à embouchure étroite et de jattes-couvercles – si l’on continue à privilégier cette hypothèse suivant les différents arguments présentés supra – renvoie au geste de « verser » plus qu’à celui de « puiser ». L’absence de céramiques à embouchure large constitue un trait particulier, mais les deux seaux remplissaient peut-être un rôle comparable à celui des céramiques bien ouvertes plus courantes dans d’autres temps du second âge du fer. Par le nombre de vases, la composition générale et la disposition des vases au sein du dépôt alimentaire (alignement sur le côté du défunt, formes hautes souvent couvertes par des formes basses retournées, proximité avec un dépôt de viande et un couteau), le service en céramique de la tombe à char de Warcq rappelle les ensembles funéraires riches de La Tène A-B. Comme dans le cas de ces derniers, on perçoit qu’« une certaine complémentarité – fonctionnelle et, sans relation, morphologique – plus que la similitude était sans doute en arrière-plan de la composition du service³⁸ ». De même, les décors semblent participer d’un langage complexe et porter un discours, particulièrement accentué dans le cas de la tombe de Warcq, avec l’emploi de quelques procédés communs (décor à l’étain, décor au lissoir). La nuance principale réside dans un nombre modéré de récipients au regard des tombes à char anciennes souvent pourvues d’au moins six vases³⁹, mais les deux seaux d’un esprit nouveau demandent à être inclus dans le total des contenants.

45Par contraste, les ensembles céramiques provenant des incinérations d’Acy-Romance à la fin de l’âge du fer comprennent plus de répétitions, et traduisent régulièrement une volonté d’apparier des formes hautes ou des formes basses sans doute en relation avec la standardisation des productions. Les dépôts dans les tombes régionales riches de la fin de l’âge du fer comprennent en général plus de vases que la tombe à char de Warcq, même si l’on corrige les valeurs en fonction du nombre d’incinérés⁴⁰.

46Cet apparent ancrage dans la tradition du service céramique de la sépulture de Warcq peut être mis en rapport avec le choix de l’inhumation pour le défunt dans un temps, au cœur du ii^e siècle av. J.-C, où l’incinération tend à se généraliser⁴¹.

Des traces difficiles à interpréter

47La fragilité de certains vases et l’environnement dans la tombe ont compliqué la lecture et l’interprétation des traces, allant jusqu’à rendre impossible toute étude dans le cas du vase 2002. Par ailleurs, une céramique à pâte sableuse et relativement dure comme le vase 2003 se conserve mieux, mais dans le même temps les marques de l’usure y sont parfois plus discrètes.

48Les vases montrent de probables signes d’usure par abrasion mécanique, mais il subsiste une interrogation quant à l’action du milieu sédimentaire argileux. Toutes les surfaces de pose sont altérées, parfois fortement (vase 2004). La lèvre du vase 2003 est dissimulée par la feuille d’étain, mais les lèvres des vases 2001 et 2004 présentent, vers l’extérieur et le sommet, une abrasion non uniforme, peut-être en raison de légères irrégularités. L’arête sommitale du vase 2001 paraît partout légèrement usée. Concernant la jatte 2005, toute la surface semble un peu touchée, mais des zones d’aspect plus uni apparaissent comme l’intérieur de la lèvre, voire l’extérieur ou le sommet, l’arête de l’épaulement ou la surface intérieure, et cette abrasion semble postérieure à l’application du matériau. La paroi intérieure du vase 2001 présente aussi un aspect plutôt uni.

49Ces traces d’abrasion sont délicates à interpréter. Cependant, les usures de la lèvre pour la bouteille 2001 ou la jatte 2004 s’accorderaient avec la disposition envisagée dans la sépulture, la première étant sans doute couverte par une écuelle plus large que l’embouchure, la seconde servant vraisemblablement de couvercle ajusté sur l’ouverture du vase 2003.

50Un autre type d’atteinte est représenté. La surface intérieure du vase 2003 est ponctuée, notamment dans la partie inférieure, et sur un côté (paroi qui s’est trouvée en haut lorsque le vase a basculé) de lacunes arrondies irrégulièrement dispersées. D’après leur répartition et leur aspect, ces cupules pourraient être liées à l’action d’un animal fouisseur et renverraient plus particulièrement à l’attaque des griffes d’une taupe dans une matière dure⁴². Enfin, une petite accumulation de brai évoquée plus haut est perceptible en un point sur l’extérieur du col et quelques traces semblent visibles sur une fracture proche (réparation, aménagement particulier ou dépôt par contact ?).

L’analyse biochimique des imprégnations

51Tous les récipients ont fait l’objet d’un prélèvement de paroi à l’intérieur du fond pour une analyse biochimique des imprégnations afin de tenter d’identifier le contenu des vases déposés dans la tombe. Par la suite, deux analyses biochimiques complémentaires ont porté sur le sédiment de la sépulture en des zones où des concentrations de phytolithes de millet avaient été reconnues afin d’estimer le taux global de miliacine dans le sédiment de la sépulture. Pour les analyses dans les vases, ces derniers ont été débarrassés du sédiment attenant et leur paroi interne prélevée par fraisage d’une surface d’environ 2 × 2 cm. Un vase avait été prélevé en masse et consolidé sur ses bords avec de la Mowilith ; le prélèvement a été réalisé en évitant les zones de consolidation. Les poudres céramiques prélevées ont ensuite été soumises à un double protocole d’extraction et d’analyse par GC-MS⁴³ qui permet d’identifier les marqueurs chimiques conservés sous forme soluble et directement extractibles, mais aussi sous forme insoluble et/ou plus profondément imprégnés dans la structure de l’argile.

52Les résultats des analyses sont résumés dans le tableau 2 (cf. annexes, fig. 21-25).

Tableau 2 - Synthèse des résultats obtenus pour l’analyse du contenu des céramiques selon une méthode en deux étapes d’extraction et d’analyse par GC-MS.

53L’analyse de la série et la comparaison des résultats pour les vases issus de la même tombe permettent de déduire :

• les pollutions environnementales dues à la végétation décomposée (cires végétales) ou aux micro-organismes du sol (disaccharides) sont très minimes comme le montrent les analyses des imprégnations des parois externes du vase 2003 et des parois internes des vases 2004 et 2005. Le site est également très peu pollué par les plastiques. L’essentiel des marqueurs chimiques identifiés dans les vases de ce contexte provient donc du contenu originel des vases et non d’apport exogène et de pollutions ;

• aucun vase n’a été imperméabilisé par application de résine ou de poix de conifère ;

• les vases 2001, 2002, 2003 et 2004 contiennent un corps gras d’origine animale (cholestérol). Le profil des acides gras correspond à des animaux non ruminants pour les vases 2002, 2003 et 2004, alors que le vase 2001, dont les imprégnations sont riches en acides impairs, a contenu une matière grasse d’animal ruminant, qui n’est cependant pas un produit laitier ; de plus, le contenu de ce vase a été chauffé ;

• les vases 2001, 2002 et 2003 ont contenu des corps gras d’origine végétale, mais toujours en plus faible proportion par rapport aux graisses animales. L’huile du vase 2001 a été chauffée ;

• le vase 2001 a contenu de la cire d’abeille, retrouvée en fortes proportions. Il peut s’agir de cire utilisée comme imperméabilisant ou entrant dans la composition du contenu, ou de miel « jaune » (miel mal purifié et qui contient encore de la cire), ou un morceau de rayon. L’analyse organique ne permet pas d’identifier des traces de miel dans des céramiques archéologiques car ce matériau est constitué de sucres très solubles dans l’eau et donc perdus. La détection de cire d’abeille est souvent difficile à interpréter ;

• les cinq vases de la tombe présentent tous une forte concentration en triterpènes, notamment en miliacine, un alcool triterpénique méthoxylé, identifié par son spectre de masse caractéristique⁴⁴. De plus, elle est associée au taraxérol et au Ψ-taraxastérol dans les vases 2001 et 2002. La miliacine est un excellent marqueur géochimique pour identifier la culture du millet : marqueur stable dans le temps, elle ne migre pas et est considérée comme non affectée par les processus diagénétiques. Des études récentes ont validé le caractère chimiotaxonomique de la miliacine⁴⁵ : les alcools triterpéniques 3-O-méthoxylés sont diagnostics des Poacées et la miliacine est distribuée principalement dans Panicum miliaceum mais aussi d’autres Poacées comme Eragrostis ferruginea, Miscanthus floridulus, Panicum dichotomiflorum, Paspalum dilatatum, Microstegium vimineum, Syntherisma sanguinalis, Glyceria acutiflora, quelques Chionochloa spp. et plus récemment décrite par erreur dans Setaria italia. Les analyses comparatives de Bossard et al. leur permettent de conclure que la « miliacin which, when found in abundance and as the sole/dominant PTME [pentacyclic triterpenoids methyl ether] in soils and sediments, can confidently be used as a tracer for unravelling the history of millet (Panicum miliaceum) cultivation ».

54Pour les objets de Warcq, la miliacine est présente en concentrations mineures dans le vase 2003 (parois internes), importantes dans le vase 2001, et en concentrations exceptionnellement importantes et comme marqueur largement majoritaire dans les vases 2002, 2004 et 2005. Elle n’est absente que dans l’échantillon de décor à l’étain (paroi externe du vase 2003). Et, ce même vase montrant des parois internes imprégnées par la miliacine, on peut conclure que le contenu du vase n’a pas contaminé le sédiment alentour et, par-là, imprégné les parois externes du vase. La quasi-absence de miliacine dans les sédiments de la tombe est confirmée par les résultats de l’analyse biochimique d’échantillons de contrôle choisis en des points où les phytolithes de millet étaient bien présents (respectivement avec l’anneau de joug OB5 et le torque OB72, cf. infra ; cf. annexes, fig. 26). Seul l’échantillon de sédiment avec l’anneau de joug renferme de la miliacine, mais en très faible quantité.

55La miliacine ne peut se concentrer dans un support poreux comme une paroi de vase en céramique, sans que les autres marqueurs végétaux (notamment les alcools et les alcanes des cires végétales) ne se concentrent aussi, et ceci dans les mêmes proportions. Or, les cires végétales sont retrouvées en très faible concentration sur les parois externes du vase 2003, mais aussi dans les parois internes de tous les vases, ce qui écarte une pollution par des végétaux qui se seraient décomposés.

56Cette double argumentation fondée sur l’absence/présence de marqueurs biochimiques stables dans le temps mais aussi dans l’espace, principe fondamental de la recherche en biogéochimie, va dans le sens de marqueurs apportés par le contenu du vase uniquement. Les vases 2002, 2004 et 2005 sont les plus imprégnés par la miliacine, le taraxérol et le Ψ-taraxastérol. Les très faibles quantités de cires végétales, donc des pollutions environnementales par la végétation dégradée quasi nulles ou tout au moins négligeables, impliquent que les marqueurs terpéniques observés proviennent du contenu du vase (fig. 13). Une telle concentration ne peut être atteinte que si les vases ont contenu du millet à une étape de leur utilisation. Le millet est-il contenu dans les vases au moment du dépôt ou correspond-il à un usage antérieur ? La chimie ne permet pas de répondre à la question. Cependant, si l’imprégnation des parois est due uniquement aux matériaux contenus dans le vase au moment du dépôt, alors le vase aurait dû être déposé rempli de millet. Dans ce cas, des phytolithes devraient être retrouvés à moins que l’on ait affaire à certains types de préparations qui restent à préciser, à base de farine de millet par exemple. A contrario, si le millet correspond à un contenu antérieur à la déposition, alors il est normal de trouver des imprégnations des parois riches en miliacine sans retrouver aucun macroreste, ou seulement un bruit de fond homogène pour l’ensemble du site.

Fig. 13 - Chromatogramme du premier extrait lipidique, triméthylsilylé (colonne ZB5-MSi, détecteur DSQII mode EI 70 eV) du vase 2004.

L’étude des phytolithes

57Cette étude a porté sur des sédiments provenant de niveaux du comblement et du fond de la tombe, d’une part, et de contenus de céramiques déposées comme offrandes. Pour précision, trois fonds de vases, quoique fragmentés/écrasés, gardaient encore une forme de cohérence autour de sédiments, ce qui a rendu envisageable un prélèvement de matière. Écrasé en place sans matériau à l’intérieur, le vase 2002 a dû être écarté, de même que la jatte 2004, forme ouverte au fond très altéré. Des prélèvements de contrôle pour les phytolithes ont été effectués à proximité des seaux cerclés, puis, dans un second temps, en divers points de la sépulture, en contact ou non avec le sol, à la suite des résultats faisant ressortir les indices d’un végétal omniprésent, le millet.

58Ainsi, neuf échantillons ont été traités (tableau 3). Trois proviennent de vases, six de niveaux de fond ou de comblement. Sur ces neuf échantillons, quatre se sont révélés positifs (plus de 150 phytolithes par lame) pour une analyse. Deux sont entièrement négatifs, et trois ne contiennent pas assez de phytolithes pour une analyse stricto sensu, mais montrent une particularité qui va nous amener dans une certaine mesure à en tenir compte (semi-négatifs).

Tableau 3 - Synthèse des résultats des analyses de phytolithes. Fréquence taxonomique (% et n).

59Ils se répartissent ainsi :

• Positifs : à l’intérieur du fond de la céramique 2003 – dans le comblement au niveau des anneaux de joug n^os 5 et 85 (autour de 10 à 20 cm au-dessus du fond de la sépulture) et sous le torque n^o 72 (cf. fig. 4).

• Négatifs : à l’intérieur du fond de la céramique 2001 – avec le seau n^o 57 (plutôt vers « l’extérieur » de son volume ; cf. fig. 4).

• Semi-négatifs : à l’intérieur du fond de la céramique 2005 – dans le comblement avec la paire de forces n^o 61 (près du pied du vase 2001 ; cf. fig. 4) et en vrac dans l’US 31, carré B4.

Questions et hypothèses

60La première question posée lors de cette étude était de tenter de déterminer un éventuel contenu végétal dans les céramiques. La seconde question était d’identifier d’éventuels dépôts de végétaux ou aménagements ailleurs dans la tombe, comme une litière.

61Pour répondre à ces questions des méthodes d’extraction particulières ont été mises en œuvre.

Matériaux et méthodes

• Extraction des phytolithes des sédiments (40 g par échantillon). La procédure fut la suivante⁴⁶ :
  Défloculation des sédiments dans de l’hexamétaphosphate de sodium.
  Élimination des particules supérieures à 125 µm par tamisage.
  Élimination des particules inférieures à 5 µm par décantation.
  Élimination des calcaires par attaque à HCl.
  Élimination des matières organiques par attaque à HNO3.
  Récupération des phytolithes par liqueur lourde (polytungstate de sodium à 2,35 de densité).

• Stockage du culot final dans de l’alcool éthylique.

• Mise entre lame et lamelles du culot pris dans un bain de baume du Canada.

• Lecture des lames en contraste interférentiel Nomarski à grossissement ×400.

Résultats et interprétations

62Dans tous les échantillons qui ont fourni des phytolithes (positifs et semi-négatifs), le taux de phytolithes de Poaceae panicoides (se limitant aux millets dans ce contexte écologique) est important (plus de 2 %).

• Pour les échantillons positifs :
  Vase 2003 (fig. 14) : 3,9 %
  Anneau de joug 5 : 7,7 %
  Anneau de joug 85 : 7,3 %
  Torque 72 (fig. 15) : 9,3 %

Fig. 14 - Échantillon à l’intérieur du fond du vase 2003 – Phytolithe de glume brisé de Poaceae et de taxon ligneux (arbre).

Fig. 15 - Échantillon sous le « torque 72 » – Phytolithe de cellule courte de Poaceae panicoides (« millet »).

• Pour les échantillons semi-négatifs :
  Objet 61 : 4 sur 42 (9,5 %)
  Vase 2005 : 7 sur 53 (13,2 %)
  Sédiment vrac us 31 B4 : 5 sur 35 (14,3 %)

63Cette présence à la fois diffuse et importante nous indique que les sédiments contenaient des restes phytolithiques de millets⁴⁷, très probablement des millets cultivés, Panicum miliaceum en l’occurrence, au vu de la concentration importante qui peut se produire par exemple dans des sédiments provenant de champs cultivés en millet, et pour des raisons écologiques, de climat. Panicum miliaceum est le taxon le plus adapté au climat continental dégradé de la Champagne ; contrairement à Setaria italica, taxon cultivé méditerranéen et sub-tropical, mais qui est cependant reconnu dans plusieurs sites de l’Aube au premier âge du fer⁴⁸, et l’on ne peut écarter tout à fait certains millets sauvages, comme Milium effusum par exemple. On ne peut retenir l’hypothèse d’offrandes de millets dans les céramiques, du fait de la répartition diffuse et à peu près égale des taux de phytolithes de Poaceae panicoides dans la tombe.

64Les échantillons positifs des comblements de la tombe ne montrent rien de saillant, du point de vue d’une quelconque activité anthropique ayant pu laisser des indices phytolithiques lors de l’aménagement de la tombe, comme des résidus de traitement de céréales⁴⁹. Les phytolithes observés proviennent très probablement de l’héritage des sédiments antérieurs à l’aménagement de la tombe, héritages naturels, avec une composante de restes de millets sauvages comme Milium effusum, se développant en nombre et de manière étalée (nom commun de ce taxon : « millet étalé ») et/ou anthropisés (restes phytolithiques de champs de millet).

La question du contenu du vase 2003

65Cet échantillon est le seul qui peut être interprété en des termes d’activité anthropique effectuée lors de l’aménagement de la tombe. La concentration en phytolithes sur la lame à partir d’1 ml de culot est bien plus importante que pour les autres échantillons positifs. Le potentiel du nombre de phytolithes sur cette lame est d’environ 1780 (1/10^e a été lu). Les autres lames comptent 336, 411 et 516 phytolithes sur les lames, entièrement lues. La concentration de restes végétaux est plus importante dans ce vase qu’ailleurs.

66Mais les résultats qualitatifs sont plus marquants encore que les résultats quantitatifs. Cet échantillon est le seul à fournir des phytolithes de glumes de Poaceae de type blé/orge⁵⁰, avec un taux de 2,8 % pour les phytolithes de glumes intacts. On y ajoute 0,6 % de phytolithes de glumes de ce même « type céréales » brisés, probablement par l’action d’un triturage, d’un broyage ou d’une mouture⁵¹. Enfin, 2,2 % de phytolithes de glumes de type broyage n’ont pas pu être identifiés comme provenant d’un « type céréales ».

67Ces résultats nous conduisent à proposer l’hypothèse suivante : ce vase a pu contenir une préparation culinaire à base de blé et/ou d’orge broyé (farine ?).

Conclusion de l’étude des phytolithes

68Ces analyses ont apporté des résultats sur plusieurs aspects. Le millet (Panicum miliaceum) pourrait avoir – si l’on considère les phytolithes – un statut d’élément végétal contaminant les sédiments plutôt que de produit alimentaire offert dans la tombe. Aucun assemblage de phytolithes n’a par ailleurs pu démontrer la présence de litière, ou d’un quelconque aménagement végétal.

69Un des vases (2003) a peut-être contenu une préparation alimentaire à base de blé et/ou d’orge.

À propos des matières animales

70Les témoins des dépôts de pièces de viande aux côtés des défunts sont les os, avec de la viande autour dans leur état initial, seuls vestiges de leur existence. Les morceaux désossés qui, peut-être, complétaient et augmentaient la place des dépôts carnés au sein des mobiliers d’accompagnement sont impossibles à détecter et à évaluer dans ces contextes où les denrées périssables ont à jamais disparu.

71Durant les cinq siècles qui précèdent notre ère, que ce soit dans les inhumations ou dans les incinérations, l’animal préférentiellement sélectionné est le porc⁵². C’est la seule espèce recensée parmi les offrandes animales de la tombe de Warcq, mais il n’est pas exclu que d’autres animaux aient été déposés en raison de la forte dégradation des os et de leur possible dissolution (cf. fig. 6-7)⁵³. L’inhumation (le sacrifice) de quatre chevaux dans la tombe à char de Warcq constitue un unicum tant du point de vue du nombre de corps initialement impliqués que de la disposition des chevaux au sein de la chambre funéraire : deux d’entre eux sont situés de part et d’autre du timon, les deux autres reposent à l’arrière de la chambre (cf. fig. 4). Ces animaux ne s’inscrivent pas dans le registre des offrandes alimentaires.

72Les corps de l’ensemble des animaux déposés dans la tombe, que ce soit en offrande (porc, viatique) ou en accompagnement du défunt et de son char (chevaux, animaux psychopompes) n’ont pas été colmatés. Une fois les animaux déposés dans la chambre funéraire, leurs chairs se sont décomposées dans une atmosphère confinée. Après le passage des escouades d’insectes (diptères, dermestes, coléoptères…) les corps des chevaux, équivalant à plusieurs centaines de kilos de chairs et d’organes, non contraints, ont explosé sous l’effet des gaz et les liquides se sont répandus dans la tombe. À ces liquides issus des équidés se sont ajoutés ceux du corps humain et du porc. Les matériaux et mobiliers déposés dans la tombe ont baigné dans un magma nauséabond qui a probablement contaminé les parois poreuses des vases. On peut raisonnablement penser que la présence de graisse animale détectée lors des analyses chimiques s’explique au moins pour une part par ces pollutions corporelles, dont une grande partie a vraisemblablement stagné un certain temps dans la chambre funéraire quasi hermétique implantée dans les sédiments argileux.

À propos des matières végétales

73La découverte d’éventuelles offrandes végétales dans la tombe à char de Warcq reposait sur la possible minéralisation de graines, fruits ou autres parties de plante, qui aurait pu survenir par contact de ces derniers avec des objets métalliques, ou grâce à la circulation de sels minéraux dans le sédiment (provenant notamment de la décomposition des corps). Dans certaines conditions, ceux-ci peuvent remplacer la matière organique des semences au fur et à mesure de leur décomposition, reproduisant par moulage interne la forme des graines. Ce processus nécessite cependant la combinaison de plusieurs facteurs : outre la présence de sels minéraux, il faut des changements hydriques dans le sédiment, pour que se produise une cristallisation des sels lors des assèchements. Dans la tombe, ce processus n’a pas eu lieu, ou bien aucun végétal susceptible d’être minéralisé (graines, pépins ou noyaux de fruits essentiellement) n’était présent. En effet, le tri intégral de refus de tamis issus du traitement de près de quatre-vingts prélèvements de sédiment (avoisinant un volume de 700 litres) n’a livré aucun vestige végétal minéralisé. Seule l’empreinte d’une tige de paille, minéralisée au contact d’un objet métallique a été découverte. Elle fait écho aux traces de fibres observées dans le décor à l’étain du vase 2003, du côté où il était en contact avec le sol (cf. fig. 8). De la même façon, l’un des cerclages en fer d’un seau situé à proximité conserve, dans la zone de contact avec le fond de la chambre, des restes minéralisés de fibres encore plus nettement organisées, tressées⁵⁴. Ces fibres, végétales, voire animales (l’examen est à poursuivre), témoignent de la présence d’une éventuelle natte ou d’un contenant en vannerie, ou autre, vers l’ouest du dépôt lié à l’alimentation.

74De façon moins attendue en contexte d’inhumation, quelques restes carbonisés ont été recueillis dans le sédiment comblant la tombe. Il s’agit de semences érodées de céréales indéterminées, de blé (Triticum sp.), d’orge vêtue (Hordeum vulgare), de millet commun (Panicum miliaceum), de pois (Pisum sativum), d’herbacées sauvages du genre des vesces et des oseilles (Vicia sp., Rumex sp.) et de fragments de péricarpe de noisette (Corylus avellana). Ces vestiges, dont le total n’excède pas trente individus (dont quatre grains de millet) sont répartis dans vingt et un prélèvements pris dans cinq couches différentes (us 23, 24, 31, 36 et 37), à raison d’un ou deux individus par prélèvement. La présence récurrente, mais en très faible concentration, de semences dans tout le sédiment provenant de la tombe et de son tumulus, suggère fortement qu’il s’agit d’une pollution. Celle-ci résulte vraisemblablement d’activités agricoles ou domestiques réalisées aux alentours de la tombe antérieurement à son creusement. Une datation des graines sera nécessaire pour confirmer et préciser cette antériorité. La taxinomie des plantes domestiques identifiées n’est en effet pas suffisante pour cela, car orge vêtue et millet commun sont des espèces cultivées durant toute la Protohistoire en France septentrionale. On notera cependant que la culture du millet, très importante à l’âge du bronze final et au premier âge du fer dans le quart nord-est de la France, en Champagne-Ardenne notamment⁵⁵, décline très fortement au second âge du fer⁵⁶. Ce déclin s’amorce à La Tène ancienne et s’accentue à La Tène moyenne et finale. Ce phénomène a été mis en évidence sans ambiguïté par une synthèse carpologique récente portant sur plus de cent occupations du quart nord-est de la France, datées du Bronze final à la fin du second âge du fer⁵⁷. Les données carpologiques concernant le département des Ardennes sont encore trop peu nombreuses pour permettre d’esquisser des tendances à l’échelle de cette région. Tout au plus peut-on observer que le millet est bien attesté à Warcq, Bois de Charnois, dès le début du Bronze final. Il y est présent également à la fin du premier âge du fer et à La Tène ancienne (étude F. Toulemonde, fouille B. Roseau, 2012). Quelques rares grains (totalisant moins de 1 % des restes) ont été recueillis dans un four du i^er siècle av. J.-C sur le site de Warcq, RD16 (fouille G. Cartron, 2012-2013), tandis que la céréale semble absente d’Acy-Romance à La Tène C2-D1. Concernant cette dernière période correspondant à celle de la tombe de Warcq, on peut toutefois signaler une part significative de millet commun dans le corpus de macrorestes de la fouille d’une occupation principalement rattachée à La Tène C-D1 à Cocheren (Moselle), dans le nord de la Lorraine (cf. infra). Sur cette occupation, une part d’environ 20 % de millet commun a été relevée parmi les céréales déterminées au sein d’un corpus de 916 macrorestes végétaux issus des contextes protohistoriques⁵⁸. Cette présence du millet commun, moindre que celle de l’orge polystique vêtue, mais proche de celle du blé nu, est en accord avec le taux élevé de miliacine obtenu lors d’une analyse de sédiment du même site⁵⁹.

75En ce qui concerne les offrandes végétales dans les tombes à inhumation de la période laténienne, aucune donnée n’est disponible pour le nord de la France⁶⁰. Une découverte isolée concerne une concentration de légumineuses dans une incinération du site de Plessis-Brion, « Le Fond », dans l’Oise (fouille F. Malrain, étude V. Matterne inédite) dont l’attribution chronologique à La Tène finale serait à confirmer par radiocarbone. Les études menées en contexte d’inhumation sont rares, car la carbonisation des restes est peu susceptible d’y être observée. Ce qui supprime malheureusement toute opportunité d’y faire d’autres découvertes.

Le millet omniprésent

76Ainsi, le millet est partout présent dans la tombe à char de Warcq et y apparaît au moins sous trois formes (les pollens de céréales ne peuvent être discriminés avec une précision suffisante) : phytolithes, graines carbonisées et miliacine présente dans les sédiments et dans la paroi de tous les vases. Les phytolithes, les quelques grains disséminés ou les faibles traces de miliacine dans les sédiments parlent le même langage, celui d’une contamination des sédiments. La tombe, profondément enfouie sous une épaisse couche de colluvions, semble avoir été comblée, notamment pour les principales unités surmontant le plafond effondré, de sédiments provenant de sols anciens et sans doute utilisés pour un tertre. Les résultats de l’étude des pollens vont également dans le sens d’un environnement fortement anthropisé et de sédiments au caractère détritique⁶¹. Des restes de céramique détritique issus de ce comblement appuient cette interprétation et suggèrent l’utilisation de sols provenant d’une occupation domestique datée entre La Tène B1b et La Tène B2/C1 (mi iv^e-mi iii^e siècle av. J.-C.) et sans doute localisée dans un environnement proche. Tous les indices de millet présents dans les sédiments peuvent être mis en relation avec cette contamination antérieure à l’implantation de la sépulture.

77Les imprégnations de miliacine (marqueur spécifique de Panicum miliaceum) à l’intérieur de toutes les céramiques avec pour certaines des concentrations particulièrement importantes (2002, 2004, 2005) apportent un autre témoignage. Combinées à la faible présence de cires végétales dans les mêmes échantillons, ce qui va dans le sens d’une pollution limitée par la végétation dégradée, elles témoignent très probablement d’un contenu comportant du millet. Sous l’angle des formes, les vases pourraient convenir en particulier à la consommation de millet, sous forme de bouillies – notamment pour les formes basses 2004 et 2005 – ou de bière pour l’ensemble des vases, mais on ne peut écarter un usage particulier dans la tombe.

78L’importance de la concentration suggère que ce contenu a pu correspondre à une utilisation dans le cadre de la sépulture, notamment pour le gobelet 2002 ou les jattes 2004 et 2005. Ce résultat interpelle car les deux dernières céramiques étaient, suivant l’interprétation la plus probable, retournées en position de couvercle sur les deux grands vases (cf. supra). Soit cette restitution est erronée et les jattes étaient posées à côté, avec des contenus à base de millet, soit l’imprégnation renvoie à une utilisation intense mais plus ancienne (avant la cérémonie funéraire ou dans le cadre de libations au cours de celle-ci) ; ou il faut envisager un scénario complexe où les grands vases ayant basculé peu après la fermeture de la tombe suite aux mouvements des éléments en matière organique (notamment du char à proximité), auraient déversé une partie de leurs contenus liquides, encore conservés, dans les jattes. Si la position des objets lors de la découverte est compatible avec la dernière hypothèse, cela suppose un basculement suffisant et la vraisemblance d’un tel scénario reste difficile à assurer dans un environnement aussi complexe sur le plan de la taphonomie.

79On retiendra cependant comme possible la restitution d’un service initial composé de deux bouteilles, respectivement d’environ 2,5 litres et 9 litres de contenance, avec leurs couvercles et d’un gobelet d’un demi-litre de capacité, tous trois alignés à droite du défunt et contenant de la bière de millet. Cette boisson fut vraisemblablement consommée à l’âge du fer, notamment dans des temps plus anciens, comme en témoignent les résultats des analyses effectuées sur les céramiques de Vix (vi^e-v^e siècle av. J.-C.)⁶². Les concentrations moindres en miliacine dans les bouteilles s’expliqueraient par le fait qu’elles se sont en partie vidées de leur contenu ou, peut-être plus vraisemblablement, par une moindre porosité de la pâte (vase 2003) et/ou par des pratiques d’imperméabilisation (cire dans le vase 2001, matières grasses chauffées dans les deux vases). Dans cette hypothèse, les restes de phytolithes dans le fond du vase décoré à l’étain pourraient correspondre à la contamination, après fragmentation, par des éléments végétaux localisés près du vase et/ou à la réserve d’un animal fouisseur. Les traces d’attaque de la paroi intérieure montrent d’ailleurs que le vase 2003 a sans doute été, après son basculement et la perte de son couvercle, occupé par un animal et peut-être par d’autres, certains ayant pu constituer des réserves végétales.

80Quoi qu’il en soit, la concentration de miliacine à l’intérieur des vases de la tombe témoignerait d’une consommation de millet dans la région de Warcq au ii^e siècle av. J.-C., et donc d’une culture encore représentée. Comme vu précédemment, si la culture du millet n’est plus prédominante à cette époque dans le nord de la Gaule, elle n’est toutefois pas absente et la part du millet paraît varier de manière importante d’un site à l’autre. Apparemment absent d’Acy-Romance dans la vallée de l’Aisne au sud de Warcq, il est bien présent à Cocheren dans le nord de la Lorraine à quelque 200 km vers l’est. En outre, des gestes spécifiques impliquant le millet, céréale liée alors à une tradition ancienne, sont également envisageables dans un cadre rituel et d’autant plus pour une sépulture aussi particulière. Des pratiques rituelles impliquant le millet ont été reconnues en d’autres lieux et d’autres temps⁶³.

Autres matières et autres hypothèses concernant l’usage des vases

81De même que la miliacine, les traces de raisin dans trois contenants sont potentiellement en lien avec une boisson, dans ce cas de type jus de raisin ou vin. Ces traces, fugaces dans le gobelet 2002 et légèrement plus marquées, mais mineures, dans la bouteille 2001 ou la jatte 2004, pourraient être mises en rapport avec un usage antérieur au dépôt dans la sépulture, voire à des pratiques libatoires lors de la cérémonie. Dans le cas de la jatte 2004, un emploi mixte, comme couvercle et contenant pour la boisson est envisageable. Toutefois, l’état très altéré du fond, la fragilité de la pâte et la proximité d’un seau à cerclage de métal susceptible d’avoir contenu une boisson à base de raisin, ne permettent pas d’écarter un apport extérieur. Comme pour le gobelet 2002, également mal conservé, les traces se combinent à une concentration plus marquée de matière grasse animale, mais la présence d’huiles végétales et de gras animal non chauffés est à considérer avec prudence dans l’environnement de la sépulture et ne peut prêter ici à interprétation (cf. supra).

82Dans le cas de la bouteille 2001, les résidus sont très diversifiés. Elle est entre autres le seul vase à avoir livré de la cire d’abeille. Cette matière apparaît souvent dans les résultats des multiples analyses effectuées dans les céramiques du Mont Lassois à Vix (vi^e-v^e siècle av. J.-C.)⁶⁴. Elle y concerne exclusivement la céramique locale et la question de son interprétation – lien avec un contenu ou avec l’imperméabilisation des vases – est ouverte. À Warcq, l’hypothèse d’un emploi pour l’imperméabilisation de la paroi du récipient fragile à la pâte microfracturée, afin de le rendre propre à contenir des liquides, est particulièrement vraisemblable, qui plus est dans un univers où l’utilisation de matières résineuses ne semble pas encore développée. La présence de diverses matières grasses chauffées, de type huile végétale et surtout graisse de ruminant autre que des produits laitiers, distingue également le vase 2001 des autres céramiques et une relation avec la recherche d’étanchéité pourrait aussi être envisagée. Si, pour tous ces résidus, on ne peut exclure des traces liées au contenu (boisson contenant du miel ou, moins probablement étant donné la morphologie peu compatible du vase, préparation alimentaire comportant du miel et/ou de la matière grasse animale), une autre donnée vient en faveur de l’imperméabilisation notamment pour la cire. En effet, la lame mince réalisée à partir d’un échantillon du fond de la bouteille 2001 a révélé la présence d’une matière organique (ou organo-minérale) de teinte ambrée ayant colmaté une partie des nombreuses microfissures de la pâte sur une épaisseur d’au moins 2 mm environ (fig. 16, cf. annexes, fig. 17). Le résultat des analyses biologiques permet d’envisager qu’il s’agit là d’une matière organique à base de cire d’abeille (pure ou en mélange) et sa disposition suggère de préférence une utilisation sous forme liquide (chauffée) pour imperméabiliser la paroi du récipient à la pâte poreuse destiné à contenir une boisson.

Fig. 16 - Microphotographies en lumière naturelle de la pâte du vase 2001. La matière organique ambrée qui colmate de nombreuses microfissures correspond sans doute pour l’essentiel à la cire d’abeille identifiée lors de l’analyse biochimique des imprégnations ; cf. texte et fig. 21.

83La bouteille couverte d’un décor à l’étain, vase principal du service, propose des résultats encore différents. Le test fait à l’extérieur au niveau du décor (sous l’étain toutefois) montre que les traces caractérisent l’intérieur du vase. Elles ne sont pas très marquées et ce fait est peut-être à mettre en lien avec la pâte assez dure de cette céramique, d’une porosité limitée. L’étanchéité a pu en outre être renforcée par l’emploi d’une matière grasse animale de non-ruminant chauffée, contenant du squalène (peau/couenne). Le récipient a ainsi pu contenir de la bière de millet sans que les composantes de cette boisson imprègnent intensément la paroi du vase. D’un autre côté, les traces de gras animal rejoignent le témoignage des phytolithes avec des restes de blé ou d’orge renvoyant potentiellement à un mélange à base de farine (du type bouillie ?) et on ne peut écarter totalement l’hypothèse d’une préparation alimentaire contenant du lard ou un autre morceau de viande sans os, possible part du repas funéraire et/ou viatique pour le défunt. Cela marquerait un vase détourné de son utilisation habituelle.

84Enfin, la jatte 2005, envisagée comme couvercle du vase 2001, se démarque, si l’on excepte la question de la miliacine, par sa « propreté » qui semble soutenir cette interprétation. Le vase aurait été soit peu utilisé avant le dépôt – cela est difficile à démontrer car les traces potentiellement liées à l’usage sont complexes à interpréter dans cet environnement sédimentaire (cf. supra) –, soit pour un emploi principal comme couvercle ou pour des matières solides et/ou ne laissant aucune trace.

Conclusions et perspectives

85L’examen et les analyses du dépôt de vaisselle de la tombe à char de Warcq permettent de proposer un scénario dont les étapes sont plus ou moins hypothétiques en fonction des cas. Lors de la cérémonie, trois vases ont été alignés à droite du défunt par ordre de grandeur. Tous contenaient peut-être de la bière de millet et les deux grandes bouteilles étaient vraisemblablement couvertes par des jattes retournées. Par la suite, et peut-être rapidement, les deux plus grands vases ont basculé vers le sud sans doute suite aux mouvements d’éléments organiques, en particulier en lien avec le char. Les jattes servant de couvercles ont alors pu se retrouver à l’endroit sous l’embouchure des vases et recevoir une partie du contenu à base de millet (ou les traces de miliacine sont liées à des libations ayant précédé la mise en terre ?). Puis, petit à petit, les récipients en céramique ont été broyés par l’action des sédiments argileux comblant la sépulture et provenant sans doute pour l’essentiel du tertre disparu (infiltrations, effondrement du plafond de la chambre funéraire). Ces matériaux composant le tertre avaient apparemment été prélevés à l’endroit d’une occupation domestique antérieure et comportaient des détritus de diverses natures retrouvés pour partie dans le comblement de la tombe (phytolithes altérés et grains carbonisés, notamment de millet, traces fugaces de miliacine, petits fragments et nodules de céramique des iv^e-iii^e siècles av. J.-C.). D’après les altérations visibles sur sa paroi intérieure, le plus grand vase aurait par ailleurs servi, entre son basculement et son écrasement final, de terrier à un animal fouisseur, voire à plusieurs animaux qui se seraient succédé ce qui renvoie à l’activité biologique multiforme dans l’environnement de la sépulture.

86Si ce scénario apparaît compatible avec la fonction potentielle des vases et avec l’essentiel des résultats des analyses, dont la concentration de miliacine dans la paroi des contenants, il convient de rester prudents quant à la question des contenus. Des résidus divers de matières organiques ont été perçus lors des analyses et certains pourraient renvoyer à d’autres types de contenus, dans le cadre d’utilisations antérieures ou non à la sépulture. Ainsi, les indices d’une probable consommation de boisson à base de raisin sont à noter dans un contexte proche du milieu du ii^e siècle av. J.-C. apparemment peu marqué régionalement par les apports méditerranéens : l’arrivée progressive au cœur du pays rème, dans le secteur situé entre les vallées de l’Aisne et de la Vesle, des amphores, témoins de la consommation de vin italique, ne semble pas antérieure à la seconde moitié du ii^e siècle. Ainsi, la nature et l’origine de ces boissons comportant du raisin provenant peut-être de vignes sauvages peuvent être discutées en les replaçant dans une perspective plus large des autres attestations pour la Protohistoire en Gaule du Nord.

87Par ailleurs, la présence de matières grasses chauffées et de cire d’abeille pose, comme souvent, la question de l’usage éventuel de ces substances pour l’imperméabilisation de céramiques plus ou moins poreuses, et notamment ici des deux bouteilles sans doute employées sur un temps plus ou moins long pour contenir de la boisson. La petite bouteille 2001 d’un matériau fragile, vacuolaire et microfracturé se marque ainsi par la présence de cire d’abeille ayant imprégné la paroi en profondeur et de matières grasses chauffées dont du gras de ruminant distinct des produits laitiers, alors que la paroi de la grande bouteille 2003 a livré des résidus de matière grasse de non-ruminant chauffée riche en squalène, possiblement à base de peau animale. Ces résultats suggèrent la possibilité de recettes diverses à une époque où l’utilisation des résines et poix n’est pas encore généralisée. De la même façon, l’analyse du décor à l’étain avec la présence d’huile siccative ou la composition des matériaux bruns utilisés dans la tombe de Warcq pour les décors de céramiques locales apportent des éléments quant à l’importance de l’utilisation de matières d’origine organique dans les pratiques des populations avec une diversité potentielle des emplois et des recettes et une interrogation concernant la possibilité de décors végétaux non conservés (écorce de bouleau ou autre ?).

88Que les vases aient ou non contenu de la bière de millet, cette céréale est quoi qu’il en soit omniprésente au travers des analyses. L’imprégnation plus ou moins intense en fonction des cas des parois internes des vases par la miliacine ouvre sur une consommation sans doute encore sensible de cette céréale (sous forme de bouillies, de bière ou autre) dans le cadre de pratiques courantes ou plus spécifiques, dans le secteur de Warcq à une époque où sa culture apparaît globalement restreinte. D’autres sites, comme celui de Cocheren en Lorraine, confirment la présence encore significative de cette céréale, notamment dans certaines régions septentrionales, et des liens culturels spécifiques sont peut-être en question.

89La prise en compte des dimensions culturelle et sociale est d’ailleurs essentielle dans le cas de la tombe à char hors norme de Warcq et elle n’en est qu’à ses débuts car le travail de recoupement des données doit se prolonger. L’étude du dépôt de vaisselle de la sépulture a apporté un grand nombre de données nouvelles pour un contexte d’exception et dans un environnement par ailleurs faiblement documenté sur le plan archéologique. Localisée dans la vallée de la Meuse, la tombe est sans doute proche de la limite nord du pays rème, mais son rattachement vers le milieu du ii^e siècle av. J.-C. reste incertain. Un siècle plus tard, le témoignage de César paraît placer ce territoire en lisière sud-ouest de l’Arduenna Silva, en limite d’espaces occupés par différents peuples d’inégale importance. Le service céramique de la sépulture est exemplaire du dynamisme de la production potière dans cette période avec une expérimentation de techniques diversifiées déjà observée à Acy-Romance et confirmée ici par la variabilité des combinaisons de pâtes et de modes de façonnage. La diversité potentielle des provenances, avec des produits sans doute exogènes d’après la pâte, comme le gobelet 2002, la bouteille 2003 ou la jatte 2004, témoigne également du statut particulier du défunt, même si ces objets proviennent sans doute de régions proches dans le cadre d’une économie de production essentiellement micro-régionale propre à la période. Des liens existent entre les céramiques de Warcq et le répertoire d’Acy-Romance, avec peut-être un vase (la jatte 2004) provenant de ce secteur du pays rème. Toutefois, ces liens ne semblent pas particulièrement forts et les décors appliqués des céramiques comportant matières organiques et étain, qu’ils soient ou non secondaires, se démarquent des décors représentés à Acy-Romance. Cette disparité va de pair avec les différences marquées dans les pratiques funéraires et sans doute culturales si l’on en juge par la question du millet. Si les contacts vers le sud paraissent limités, le vase principal du dépôt et son décor à l’étain témoignent d’une ouverture à la fois vers l’ouest et vers des régions orientales, jusqu’en Rhénanie, ce qui est en accord avec un ancrage de la sépulture dans l’univers de la Gaule Belgique, avec une ouverture potentielle vers le monde germanique et un lien sans doute fort avec la Picardie. Parmi bien des sujets, la réflexion sur les mouvements à l’intérieur de cette entité, et notamment sur la circulation de denrées comme le sel exploité entre autres à Bad Nauheim et sur les littoraux marins, ou de matériaux comme l’étain qui jalonne maintenant un axe est-ouest à travers le décor des céramiques, apparaît prometteuse.

90Pièce maîtresse du service céramique, la bouteille parée du décor à l’étain apparaît à la fois comme objet sélectionné en tant que pièce de vaisselle fine, si ce n’est ici de prestige, comme objet support d’une affirmation d’identité et de statut, pour la cérémonie et dans la tombe (décor à l’étain), et comme contenant dans le cadre des pratiques funéraires liées à l’alimentation. Le décor géométrique secondaire à l’étain qui marque une forme d’appropriation, de détournement symbolique, de l’objet est à mettre en lien avec celui de la jatte probablement retournée en couvercle sur le vase voisin. Tous deux proposent une combinaison de formes simples et, dans le cas de la jatte, le décor, vu du dessus, se réfère possiblement au thème de la roue. Ces décors participaient sans doute du programme iconographique de la sépulture dont la thématique potentiellement cosmique transparaît tout particulièrement au travers de la mise en scène générale et de l’ornementation du char d’apparat renvoyant à une symbolique solaire⁶⁵.

91Pour en revenir finalement aux matières biologiques composant les contenus, les revêtements ou les décors de la céramique, il sera important de réintégrer ces résultats dans une perspective plus large au fil du développement des analyses dans des contextes de conservation favorable car les incertitudes et les questions sont nombreuses. C’est naturellement en multipliant les analyses, en recoupant leurs résultats, en discutant les limites et les biais qu’il sera possible de revisiter les hypothèses proposées. En perspective, se profile l’opportunité de disposer de données plus précises sur l’usage des vases et sur la composition et le rôle du dépôt lié à l’alimentation dans les sépultures de différents statuts à l’aube de l’émergence des oppida, dans une époque riche en mutations de tous ordres au sein des sociétés gauloises.