1Parmi les perspectives ouvertes par l’archéologie funéraire dans ses développements récents, la question des gestes, effectués dans le cadre des funérailles ou des rites liés au culte de la tombe, occupe une place centrale pour caractériser les systèmes funéraires dans leur diversité et leurs implications sociales¹.

2La pratique de la crémation prédominante à l’âge du fer en Languedoc² permet ainsi de distinguer l’étape de la crémation du corps, représentée par les vestiges brûlés sur le bûcher (dépôts primaires) et les dépôts constitutifs de la tombe (dépôts secondaires).

3Les dépôts de mobilier, notamment les vestiges de vases et les restes animaux attestés dans les structures funéraires de l’âge du fer, conduisent à s’interroger sur la place et la nature des pratiques alimentaires et sacrificielles, des offrandes et des éventuelles libations effectuées dans le cadre des rituels funéraires protohistoriques. Dans cette démarche, il est important selon nous de bien prendre en compte le contexte et les modalités de dépôt des vestiges étudiés, afin de distinguer autant que possible les gestes associés aux différentes séquences des funérailles.

4Il est également essentiel d’envisager de manière différente dans l’analyse, le réceptacle des restes osseux humains (l’ossuaire) et les autres récipients introduits dans la tombe. Parmi ces derniers, il faut encore faire la part entre les dépôts entiers en position fonctionnelle pouvant être destinés au défunt, les vases placés intentionnellement, à l’envers ou sur la panse, ou encore les éléments brisés avant leur dépôt, témoins par exemple de gestes de libation. On s’attachera également à mesurer la part des éléments passés sur le bûcher avant d’être déposés dans la sépulture. On usera de ces mêmes précautions pour les restes fauniques. Il faut aussi avoir en tête qu’une partie des vases et des ossements animaux peuvent correspondre à des témoins du repas partagé entre le défunt et les vivants, et donc à une étape précédant l’installation dans la sépulture, et bien évidemment qu’un certain nombre de dépôts de restes animaux ne sont pas perceptibles parce qu’ils ne contiennent pas de partie minérale.

5L’étude menée à l’occasion du colloque ne prétend pas fournir une synthèse exhaustive sur le sujet mais plutôt une série de réflexions à partir du croisement des données de terrain, des études de mobilier et des analyses de chimie organique. L’enquête repose sur une série d’analyses chimiques³ portant sur trois ensembles funéraires fouillés récemment dans le cadre de fouilles préventives réalisées par l’Inrap et dont les données sont en cours d’étude (fig. 1). Deux sites ont été découverts en préalable à l’aménagement d’une voie ferrée (ligne à grande vitesse, contournement de Nîmes et Montpellier) et d’une autoroute (doublement de l’autoroute A9, contournement de Montpellier)⁴, le dernier occupant l’emplacement d’un futur lotissement. Situés dans les plaines littorales du Languedoc oriental, ces sites recouvrent un large champ chronologique, du milieu du premier âge du fer (vii^e siècle av. J.-C.) à la fin de l’époque gauloise (fin ii^e siècle av. J.-C.).

Fig. 1 - Carte de localisation des sites concernés par le programme d’analyses chimiques.

6Nous avons pris le parti de présenter les résultats des analyses en fonction des séquences du rituel qu’ils renseignent, plutôt que par ensemble funéraire ou par période chronologique. Pour chaque étape, les résultats sont confrontés, durant la même phase chronologique, aux connaissances acquises à partir de l’étude des dépôts de vases et celle des vestiges animaux dans un cadre géographique élargi à l’ensemble du Languedoc.

7En effet, malgré une documentation riche de plusieurs milliers de sépultures, la répartition dans le temps et dans l’espace présente de fortes disparités. Si le premier âge du fer est très bien documenté par les nombreuses nécropoles mises au jour en Languedoc occidental, le deuxième âge du fer présente des lacunes quantitatives importantes pour tout le secteur. Par ailleurs, à l’exception des tumulus du domaine des Garrigues, dans l’arrière-pays de Montpellier et de Nîmes⁵, le Languedoc oriental n’a livré que très peu d’ensembles funéraires. On n’y connaît aucune nécropole du premier âge du fer et seules des découvertes récentes à Ambrussum⁶ et à Beaucaire⁷ compensent ce déficit pour la fin du deuxième âge du fer. Au total, pour la période comprise entre le vi^e et le iii^e siècle, on dispose d’un peu plus d’une centaine de sépultures.

8Ces confrontations seront toutefois limitées car peu d’études ont porté sur ce type d’approche. Les vases déposés dans les sépultures ont surtout permis de construire les typo-chronologies des mobiliers, d’aborder le statut des défunts au travers de la composition des dépôts et de tenter la diagnose sexuelle à partir de certains objets. Nous avons souhaité mettre l’accent ici sur la fonction des vases comme le reflet des pratiques alimentaires et notamment sur les gestes en relation avec le bûcher et ceux qui concernent l’ossuaire, réceptacle des os du défunt. Nous avons également tenté d’analyser la place et le rôle des vases d’accompagnement, notamment du service de la boisson, et de quelques vases particuliers (vases de petits modules, vases à parfum).

9À la suite de cette confrontation, nous proposons un premier bilan des résultats acquis et quelques pistes de réflexion d’ordre méthodologique pour les études à venir.

Les contextes funéraires étudiés

10Les analyses chimiques ont porté sur cinquante et un échantillons provenant de sept structures funéraires datées du vii^e siècle, quatre du v^e siècle et une de la fin du ii^e siècle. Les prélèvements ont été réalisés sur de la céramique essentiellement, mais aussi sur de la vaisselle métallique, de l’os brûlé humain, de la terre de bûcher et sur une valve de coquillage marin.

Fig. 2 - Plan de l’ensemble funéraire des Joncasses à Cournonterral.

Fig. 3 - Bûcher de la nécropole des Joncasses à Cournonterral.

11L’ensemble funéraire et cultuel des Joncasses à Cournonterral (Hérault), à l’ouest de Montpellier⁸, date de la seconde moitié du vii^e siècle. Dégagé partiellement et recoupé par un chemin d’époque romaine, il est constitué d’un enclos à vocation cultuelle et de dix-neuf bûchers (fig. 2). On distingue huit grands bûchers à socles de pierres (fig. 3) dont quatre ont accueilli un dépôt secondaire de crémation. Ils contiennent des os humains brûlés, des objets métalliques en fer et en alliage cuivreux dont des parures vestimentaires et corporelles, des perles en ambre, des armes en fer, des objets en terre cuite, des os d’animaux, un coquillage et une concentration de graines carbonisées. Des fragments de vases cassés au moment de la cérémonie funéraire ont été regroupés en tas en bordure, ou plus rarement sur le bûcher. Les formes de ces récipients (coupelles, gobelets, pots…) évoquent le service de la boisson. Onze autres bûchers de tailles plus réduites sont installés à même le sol. On trouve également trois dépôts secondaires de crémation en ossuaire isolés et douze dépôts matérialisant le sol de circulation de la nécropole. Les vingt et un prélèvements ont porté sur les vases, les restes osseux et les résidus issus de cinq bûchers et de deux dépôts secondaires.

12Les ensembles funéraires de Saint-Pierre à Lattes (Hérault) correspondent à deux groupes de tombes en enclos établis de part et d’autre d’un chemin antique (fig. 4), à 2 km de l’agglomération de Lattara.

Fig. 4 - Plan des ensembles funéraires du chemin de Saint-Pierre à Lattes.

13Le site de Saint-Pierre sud⁹, le plus ancien et le plus complexe, est constitué de petits enclos agglomérés dont le recrutement s’échelonne durant le v^e siècle. Une entrée permet d’accéder à au moins quatre petites cellules comportant chacune un bûcher et un ou deux dépôts secondaires de crémation installés dans l’espace enclos ou au sein des fossés. Six individus ont été identifiés (deux hommes, une femme et trois enfants). Chaque bûcher livre au moins un récipient fermé en céramique non tournée de tradition locale et un vase en céramique importé (coupe ou coupelle attique). À l’exception d’un dépôt secondaire de résidus placé dans un coffret en bois, des récipients en céramique, notamment des pithoi ou des amphores de Marseille (fig. 5), ont été utilisés comme réceptacles ou comme dispositifs de couverture des restes osseux du défunt. L’ossuaire est accompagné d’un à cinq récipients de nature très diverses (bassin et coupelle en bronze, thymiaterion et vases en céramique non tournée, lécythe aryballisque en céramique peinte). Les seize prélèvements ont porté sur les ossuaires et les vases d’accompagnement de trois sépultures.

Fig. 5 - Dépôt secondaire de crémation en ossuaire (pithos recouvert d’une amphore) de l’ensemble de Saint-Pierre sud à Lattes.

14Les tombes et les bûchers comportent en outre des objets personnels dont un riche lot de parures (perles en or, en argent et en os, boucles d’oreilles en argent, bracelets et fibules en bronze). L’originalité de l’espace funéraire de Saint-Pierre sud tient également à la présence d’une petite parcelle (100 m²) accolée aux espaces sépulcraux et occupée par des tranchées de plantation qu’on associe à de la vigne (fig. 6). Le dispositif est complété par un espace de plus grandes dimensions, apparemment dépourvu d’aménagement.

Fig. 6 - Tranchées de plantation de vigne dans l’espace funéraire de Saint-Pierre sud.

15L’occupation du second âge du fer est représentée à Saint-Pierre nord¹⁰ par un enclos fossoyé de plan rectangulaire (fig. 4) associé à sept structures funéraires, un bûcher et six dépôts secondaires de crémation qui appartiennent à sept individus (un enfant de moins d’un an, deux femmes et quatre adultes ou adolescents de sexe indéterminé). Une autre structure pourrait faire partie de l’ensemble funéraire. Trois étapes d’aménagement ont pu être identifiées ; elles s’échelonnent entre le milieu du v^e et le milieu du iv^e siècle. Les structures ont été établies au sein de l’enclos, dans le comblement ou, pour trois d’entre elles (dont le bûcher), sur le fond des fossés. Ces dernières étaient protégées par des dispositifs de couverture en bois surmontés de tertres de terre, avec dans un cas, une stèle retrouvée en place. Une autre stèle a été découverte parmi les résidus du bûcher. Celui-ci a livré des restes brûlés d’une urne en céramique non tournée locale et d’une coupe en céramique attique. À l’exception de deux petits dépôts de résidus en vrac, les tombes étaient constituées d’un vase ossuaire en céramique non tournée locale, éventuellement muni d’un récipient ou d’un pan de vase de même facture faisant office de couvercle. La sépulture associée au bûcher (fig. 7) a révélé dans l’ossuaire deux vases d’importation – un skyphos en céramique grise monochrome et une coupe en céramique claire de Marseille –, cette dernière étant utilisée comme couvercle. C’est sur les récipients de cette tombe, datée du dernier quart du v^e siècle, qu’ont porté les cinq prélèvements effectués.

Fig. 7 - Bûcher et tombe associée dans un fossé de l’enclos de Saint-Pierre nord.

16L’ensemble funéraire de Saint-Pastour à Vergèze (Gard)¹¹ se compose de trois dépôts secondaires de crémation alignés, datés du milieu du iii^e siècle av. J.-C., et d’un quatrième de la fin du ii^e siècle av. J.-C. (fig. 8). Ces tombes ont été établies en pleine campagne, en relation avec un chemin attesté à la période romaine. Elles sont situées à 5 km de l’oppidum du Cailar et à 7 km de celui d’Ambrussum. L’une des tombes du iii^e siècle (SP42018) se signale par l’emploi, comme réceptacle du dépôt funéraire, d’une amphore gréco-italique complète. L’ensemble comporte également un dépôt de résidus sans mobilier (SP42022) et un dépôt en ossuaire (urne en céramique non tournée) contenant un dépôt d’ossements fauniques et un lot d’objets métalliques (deux fibules, une ceinture en bronze et deux bagues en argent) (SP42019).

Fig. 8 - Plan de l’ensemble funéraire de Saint-Pastour à Vergèze.

17Les analyses chimiques (neuf prélèvements) ont porté uniquement sur les vases habituellement attribués au service et à la consommation des liquides issus d’une riche tombe de la fin du ii^e siècle (SP42017 ; fig. 9). Celle-ci est constituée d’une grande fosse quadrangulaire abritant une chambre funéraire en bois d’un mètre de côté et d’environ un mètre de profondeur, fermée par une dalle de calcaire. Les restes du défunt, sans doute réduits à d’infimes esquilles osseuses brûlées selon l’usage en vigueur dans les tombes nîmoises¹², n’ont pas été retrouvés malgré le tamisage intégral des sédiments. Le mobilier de la tombe était disposé sur le fond ou sur des étagères en bois. Il comprend une amphore italique entière appuyée dans un angle de la chambre funéraire, cinq cruches en céramique à pâte claire, trois coupes en céramique campanienne A, six vases en céramique non tournée et un lot d’objets : restes de deux coffrets en bois munis de charnières en os et de poignées en bronze, fibule en fer, épée dans son fourreau, umbo et pointe de lance en fer. Enfin, de nombreux restes osseux animaux accompagnent ce dépôt.

Fig. 9 - Tombe de Saint-Pastour datée de la fin du ii^e siècle.

18Les cinquante et un prélèvements ont été réalisés après avoir défini clairement la problématique archéologique pour chaque structure et évalué le potentiel que pouvait représenter chacun des vases dans les sépultures. Deux approches ont été expérimentées :

• l’archéologie des contenus : ce thème de recherche, assez bien défini, envisage d’identifier le contenu ou les contenus successifs de récipients en céramique, en métal, en verre, en coquillage ou en pierre, même si aucun résidu visible n’est conservé. En effet, les parois poreuses de la céramique, la pierre ou les coquilles ont absorbé des constituants moléculaires des fluides qu’ils ont contenus. Pour le verre et le métal, des résidus sont déposés en très fines couches imperceptibles à l’œil. Cependant, les quantités de l’ordre de quelques microgrammes suffisent aujourd’hui pour l’analyse chimique et l’identification des marqueurs préservés ;

• l’archéologie des gestes : ces recherches sont totalement pionnières en la matière. Il s’agit de repérer des traces moléculaires invisibles de liquides qui ont pu être versés sur des objets poreux et ainsi en capter les constituants moléculaires. Pour ce faire, la connaissance de la disposition des objets dans la tombe au moment des dépôts est primordiale, ainsi que la taphonomie post-dépositionnelle. Les céramiques déposées au moment de la clôture de la tombe sont identifiées, leur position et leur orientation définies par les données précises de la fouille. Un geste de libation est alors envisagé ; les parties des objets susceptibles d’avoir été en contact direct avec le liquide versé peuvent alors être prélevées par fraisage de la paroi sur la zone précise envisagée. Un second prélèvement, effectué sur une partie du vase qui n’a pu être en contact avec le liquide versé, est aussi effectué comme analyse de contrôle. Ainsi, si une coupe a été retournée et placée comme couvercle sur une urne funéraire, le prélèvement des parois internes de la coupe permettra l’identification du contenu originel de la coupe, liquide pouvant avoir été bu pendant la cérémonie funéraire, alors que le prélèvement effectué à l’intérieur de son pied annulaire (extérieur du vase), où a pu stagner le liquide versé lors du rite de clôture de la tombe, indiquera si une libation a été effectuée et avec quel liquide. Éventuellement, un prélèvement de contrôle d’un fragment de paroi qui n’a pu être en contact ni avec le contenu originel, ni avec le liquide de la libation, donne un blanc nécessaire à l’interprétation des données analytiques obtenues pour les deux autres prélèvements.

19Tous les prélèvements ont été analysés suivant une méthodologie développée au sein du LNG¹³ et permettant l’accès à la matière organique soluble mais aussi à la fraction insoluble et/ou polymérisée. Brièvement, les poudres de céramiques prélevées sont extraites par un mélange de solvants (dichlorométhane/méthanol 2:1 /v, ultrasons)¹⁴ donnant un premier extrait lipidique (noté 1LE) mis en solution et la poudre céramique solide. Cette poudre est reprise et extraite une seconde fois en milieu acide anhydre, selon une réaction de transestérification-extraction simultanée¹⁵. Cette seconde étape permet de solubiliser les marqueurs précipités et insolubles tels les marqueurs de fruits, dont le raisin et le vin, ou d’hydrolyser et d’extraire les macromolécules, notamment les cires végétales, permettant ainsi d’évaluer les degrés de pollution de chaque échantillon. Les deux extraits successifs sont analysés par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS). La méthode permet l’identification individuelle de chaque marqueur moléculaire, préalablement séparé par chromatographie, grâce à son spectre de masse. Une seconde étape d’interprétation des données chimiques consiste alors à identifier les matériaux grâce aux associations moléculaires détectées. Les conclusions sont alors confrontées au regard d’un archéobotaniste ou d’un archéozoologue et recontextualisées.

Les vases et les dépôts en relation avec la séquence de la crémation

Dans la documentation protohistorique languedocienne

Les bûchers témoins des gestes associés à l’étape de la crémation

20Les données disponibles concernant les bûchers et les tombes-bûchers sont fort peu nombreuses et ne documentent qu’une partie de la période chronologique envisagée. Aux vii^e et vi^e siècles, hormis les cas de Cournonterral récemment fouillés, les structures de crémation sont au nombre de dix-huit, réparties sur sept sites¹⁶. Très érodées ou fouillées anciennement, elles ne permettent pas d’analyser les rites alimentaires correspondant au moment de la crémation. Au v^e siècle, seuls les bûchers découverts récemment à Lattes sur les sites du chemin de Saint-Pierre apportent quelques enseignements (fig. 10). Les vestiges céramiques mis au jour témoignent de bris sur le bûcher portant sur un faible nombre de vases. Ceux-ci se répartissent entre les céramiques modelées plutôt attribuées à la sphère de la préparation des aliments et les coupes à boire avec un choix spécifique orienté vers les coupes attiques. Ces vases sont brisés sur le bûcher en action et présentent des traces de passage au feu. Au iv^e siècle, l’ensemble funéraire mis au jour à Olonzac¹⁷ fournit à la fois des bûchers et des tombes. À la différence de la période précédente, on observe dans ce contexte une plus grande diversité des catégories de vases brisés représentés sur les bûchers, qui se rapproche à la fois de celle des habitats et de celle des sépultures : toutes les fonctions sont représentées, vases à boire et à servir, plats de présentation, pots culinaires et amphores d’origines diverses. On retrouve un phénomène similaire au iii^e siècle dans les sépultures et le bûcher d’Ambrussum¹⁸. Pour la fin de l’âge du fer (ii^e siècle), on ne connaît aucun bûcher dans la documentation languedocienne.

Fig. 10 - Bûcher du site de Saint-Pierre sud, v^e siècle av. J.-C.

Les restes de la crémation dans les dépôts secondaires

21L’autre moyen pour aborder la place et le rôle des récipients lors de la crémation est d’étudier les dépôts de résidus de la crémation dans les sépultures. Il s’agit alors de fragments de vases dont il est difficile de déterminer s’ils résultent de bris volontaires ou accidentels, et si la vaisselle a été placée sur le bûcher ou simplement exposée en périphérie.

22En Bas-Languedoc occidental, la céramique brûlée est attestée principalement à deux époques, au ix^e et au vi^e siècle av. J.-C.¹⁹.

23Au ix^e siècle, les fragments sont peu nombreux : les vases qui gravitent autour du bûcher appartiennent à la vaisselle de table et sont peut-être utilisés comme réceptacle pour des dépôts alimentaires ou des libations, et sont parfois des pièces de qualité²⁰.

24La céramique brûlée déposée dans les dépôts secondaires refait son apparition au début du vi^e siècle à Mailhac²¹ et continue d’exister jusque dans le v^e à Castelnau-le-Lez²². En Languedoc occidental, elle constitue l’essentiel du mobilier des tombes du vi^e siècle, notamment à partir de 550/525 av. J.-C. où les ossuaires disparaissent un temps. À cette époque, toutes les classes de céramiques sont représentées : amphores étrusques, ibériques et puniques ; vaisselle d’importation grecque et ibérique ; vaisselle et vases de stockage d’origines régionale et locale. Les catégories fonctionnelles sont essentiellement de la vaisselle de table (coupe, gobelet, cruche), des jarres et des amphores, ce qui présume l’existence de repas où domine la consommation collective du vin (par exemple la tombe 56 du Grand Bassin II à Mailhac)²³. Il se peut aussi qu’il s’agisse de libations ou des deux pratiques à la fois.

25Il semblerait qu’entre 550 et 475 av. J.-C., les pratiques de dépôt soient marquées par une nette diminution du nombre de tessons déposés dans la plupart des ensembles. Les vases ne sont représentés dans la tombe que par quelques unités (par exemple dans la tombe 60 de Las Peyros à Couffoulens)²⁴, ce qui suggère une sélection symbolique des vases à la manière de la pars pro toto. Dès 450, on observe une diversité des situations, certaines sépultures étant pourvues d’une grande quantité de restes brûlés et d’autres moins. La réduction du nombre de fragments de vases se poursuit jusqu’au iii^e siècle, date à partir de laquelle ils disparaissent totalement au profit de dépôts de vases entiers, comme à Ensérune²⁵. Hors des plaines, dans la zone des Garrigues de Montpellier et de Nîmes, la majorité des défunts incinérés entre les vii^e et vi^e siècles av. J.-C. sont accompagnés par un ou plusieurs tessons²⁶.

26On rencontre également parmi le mobilier primaire des restes d’animaux brûlés, mais en très petit nombre. Dans les phases anciennes, la détermination des taxons, quand elle est possible, montre que les restes d’ovins-caprins sont les plus nombreux, comme pour les dépôts non brûlés. On rencontre aussi dans les ensembles de la nécropole du Grand Bassin II à Mailhac²⁷ du porc, du cerf (T. 214), ainsi qu’un fragment de crâne de bœuf (T. 217), alors qu’habituellement ces restes de grands mammifères ne sont pas brûlés. On observe par la suite une diversification des taxons au second âge du fer²⁸.

27Enfin, les tombes de la fin de l’âge du fer ne renferment que très rarement des dépôts de vases ou de restes animaux brûlés²⁹. Seuls les objets personnels brûlés avec le défunt sont pour une partie d’entre eux introduits dans la sépulture. De rares indices (pépins de raisin, os fauniques indéterminés) suggèrent cependant l’existence de dépôts alimentaires sur le bûcher³⁰.

L’apport des analyses chimiques à la reconnaissance des gestes associés à la séquence de la crémation

28Dans le cadre de cette étude, cette étape des funérailles est documentée par dix-sept prélèvements effectués sur les bûchers de Cournonterral datés du vii^e siècle (fig. 11-12).

Fig. 11 - Tableau récapitulatif des résultats des analyses portant sur les bûchers des Joncasses à Cournonterral.

Fig. 12 - Bûcher de l’ensemble funéraire des Joncasses à Cournonterral.

Les contenus des vases brûlés sur le bûcher (dépôts primaires)

29La problématique principale était l’identification des contenus des récipients retrouvés sur les bûchers. Onze prélèvements issus de cinq structures différentes ont ainsi été réalisés sur les parois internes des vases (fig. 11).

30Les résultats font apparaître des assemblages de plusieurs produits sans logique apparente. Ces combinaisons pourraient témoigner d’utilisations successives dans un cadre domestique ou funéraire, sans qu’il soit possible de trancher. On note la présence quasiment systématique des corps gras végétaux et des cires végétales associés à des corps gras animaux chauffés ou non, de natures diverses : des produits laitiers très fortement chauffés (coupelles hémisphériques et valve de coquillage dans SP2068), corps gras de ruminant (panses ou fond de vase dans SP2025 et SP2068) ou de non-ruminant (petit vase et pot de SP2149).

31Un corps gras végétal riche en acide oléique, mais distinct de l’olive et de l’oléastre, apparaît dans deux récipients des sépultures SP2025 et SP2068 (2070-17). Dans un autre cas (coquillage de la tombe SP2068), le corps gras végétal pourrait être de l’huile d’olive, en raison de la présence de fucostérol, caractéristique de l’olive, et de la forte proportion d’acides insaturés dont l’acide oléique ; le squalène, présent en abondance, pourrait appuyer l’identification de l’olive, mais il peut provenir d’une peau avec sébum.

32Dans le vase de la tombe SP2048, la forte teneur en squalène et en cholestérol et cholestanol (pièce carnée avec peau ?) pourrait résulter d’un contact avec un dépôt animal ou avec le sujet incinéré. Aussi, les cires végétales abondantes présentent la composition caractéristique des cires du pois (Pisum sativum)³¹. La question d’un dépôt carné se pose également pour les corps gras de non-ruminants³² présents dans les deux vases de la tombe SP2149. Les corps gras de ruminant correspondent vraisemblablement à des restes de bovins ou d’ovins-caprins si l’on s’en tient aux seules espèces domestiques.

33De manière générale, les traces de corps gras animaux pourraient être interprétées comme des témoins de contenus alimentaires ou de traitement de surface pour étanchéifier des récipients. On remarque qu’aucune trace de résine ou de poix de conifère n’est détectée. Les vases étaient donc imperméabilisés par d’autres matériaux hydrophobes. La cire d’abeille a pu être utilisée à cette fin pour quatre vases (pot de SP2148, vases de SP2025, coupelle de SP2068). Cependant, sa présence en faible quantité peut provenir d’un miel mal raffiné ou « miel jaune », qui contient encore de la cire (pot de SP2148, coupelle de SP2068), versé ou déposé sur le vase (vase 2070-17 de SP 2148, pot de SP2137).

34Le produit laitier détecté dans les coupelles hémisphériques et dans le coquillage de la tombe SP2068 a été fortement chauffé et cuit, d’après les cétones impaires à longue chaîne carbonée issues de la dégradation de triglycérides. La dégradation des triglycérides en cétones est une réaction radiculaire qui nécessite de fortes températures (> 250° C). Elle ne peut avoir lieu en milieu aqueux ; la cuisson se déroule en milieu sec. Il s’agirait donc d’un produit sec, le beurre, ou dans le cas du coquillage, d’un produit cosmétique qui aurait été préparé et chauffé auparavant. Les valves de coquilles peuvent avoir été utilisées comme « palettes à fard », hypothèse suggérée par la présence d’un fragment d’ocre rouge associé à un petit galet dans l’exemplaire de la sépulture 272 du Moulin à Mailhac³³. Le dépôt de coquillages (il s’agit toujours d’épaves, c’est-à-dire de coquilles ramassées sur la plage) ne semble donc pas nécessairement lié aux rites alimentaires. Il s’agirait d’objets à part entière, dont on pressent la forte connotation symbolique féminine. Toutefois, la variabilité des espèces pourrait témoigner d’attributions fonctionnelles différentes.

35Deux exemplaires (panse de vase de SP2025 et coquillage de SP2068) portent la trace de raisin (acide tartrique) noir ou teinturier (acide syringique). Aucun des prélèvements ne présente de marqueurs de fermentation (acide succinique), soit qu’ils étaient absents, soit qu’ils étaient présents en trop faible quantité et ont disparu après le dépôt.

Les matériaux présents dans les résidus et les os humains sur le bûcher et sur les parois externes des vases

36Trois prélèvements ont été effectués sur des résidus charbonneux (SP2068, SP2148 et SP2149) ou sur un os brûlé humain (SP2068) issus de bûchers (fig. 11), ainsi que sur les parois externes de récipients (trois prélèvements dans SP2068, SP2148 et SP2149). Ils permettent de discuter d’éventuels dépôts ou libations effectués après la crémation. En effet, les matériaux organiques détectés ne peuvent avoir supporté les températures élevées de la crémation. Les résultats mettent en évidence des libations de raisin noir sur os et de raisin blanc sur résidus charbonneux (trois exemplaires) (fig. 11, SP2068). Les marqueurs du raisin sur la paroi externe de la coupelle (2070-11) peuvent également être liés à un geste de libation, dans la mesure où ils ne sont pas présents sur la paroi interne. Les indices de fermentation ne sont pas attestés, ce qui ne permet pas de conclure assurément à la présence de vin.

37On détecte également, de manière systématique, des corps gras animaux dont du corps gras de ruminant. Par ailleurs, on retrouve sur la paroi externe d’une des coupelles de la tombe SP2068 les mêmes marqueurs de produit laitier chauffé que sur la paroi interne, ce qui fait penser que le récipient a pu servir à cuire des aliments à base de produit laitier, du beurre ? (cf. supra), probablement de nombreuses fois pour atteindre une telle imprégnation des parois. Le produit détecté dans ce cas serait à mettre en relation avec l’utilisation du vase avant son intégration dans le rituel plutôt qu’avec le rituel funéraire. Cette éventualité peut également être retenue pour la valve de coquillage (cf. supra). En revanche, la présence de produit laitier sur l’os brûlé et sur la paroi externe (et son absence sur la paroi interne) du fond de vase retourné 2070-17 de la tombe SP2068, permet d’envisager un dépôt à la fin de la crémation.

38Les corps gras végétaux sont également très présents. L’ensemble de ces observations permet ainsi d’envisager l’existence de libations à base de jus de raisin et de produits laitiers, ainsi que des dépôts de végétaux et de pièces de viande animale sur les bûchers à l’issue de la crémation.

39Une série d’analyses a porté sur un petit ensemble formé par deux objets rares dans le contexte de la nécropole de Cournonterral, regroupés sur l’un des bûchers (SP2068, fig. 13) : une coupelle hémisphérique entière (cas unique), posée à l’envers sur la valve de coquillage précédemment évoquée et sur les résidus et un os en contact avec ces récipients. Les résultats des analyses portant sur l’ensemble de la tombe SP2068 (fig. 11) montrent la présence notable de jus de raisin noir à la fois sur l’os, la valve de coquillage et sur la paroi externe de la coupelle, ce qui pourrait témoigner d’un geste de libation effectué in situ et impliquant les deux récipients.

Fig. 13 - Localisation de la coupelle renversée sur la valve de coquillage dans le bûcher SP2068.

Les vases ossuaires et les dépôts en relation avec l’ossuaire

L’ossuaire et ses accessoires dans la documentation protohistorique languedocienne

40Les nécropoles du Bas-Languedoc occidental sont constituées uniquement de dépôts secondaires de crémation³⁴. Le plus souvent, l’amas osseux est déposé dans un récipient placé en position fonctionnelle sur le fond de la fosse (fig. 14). Généralement, il occupe la partie basse du vase cinéraire. Selon les époques, le vase cinéraire est généralement fermé par une coupe tronconique ou une coupe, par une petite dalle de calcaire ou par un couvercle en matériau périssable. Un petit vase à boire est déposé dans l’ossuaire ou à son pied, évoquant de la sorte un attribut personnel du défunt.

Fig. 14 - Dépôt secondaire de crémation en ossuaire de l’ensemble des Joncasses à Cournonterral.

41Au Bronze final IIIb (ix^e siècle), 80 % des vases ossuaires sont choisis parmi les pots. À la période suivante, s’ils restent toujours majoritaires (57 %), les coupes sont plus nombreuses (31 %). Elles ne représentaient au Bronze final IIIb que 15 % des vases ossuaires. Au vii^e siècle av. J.-C., on utilise autant les larges coupes hémisphériques que les pots ovoïdes sans col.

42Dans le courant du vi^e siècle av. J.-C., les vases utilisés comme ossuaires sont divers, tant dans leur forme que dans les catégories céramiques : urne en céramique non tournée ou en pâte claire, plat à marli en grise monochrome. C’est l’apparition des productions tournées et surtout des amphores qui signale un changement. Ainsi, on trouve des vases importés de la sphère ibérique (petite jarre à couvercle), des amphores étrusques, comme celles de la tombe 55 du Grand Bassin II³⁵ et de seize sépultures de Saint-Julien à Pézenas, où l’on trouve aussi des stamnoi produits sans doute en Italie méridionale et attestés seulement dans cette nécropole³⁶. Les raisons de ces changements de forme de vases cinéraires restent pour l’instant inconnues. Pour les amphores, ces vases ont un rapport avec la consommation sociale du vin, ce qui est en soi une nouveauté.

43Au v^e siècle, les cruches à pâte claire ou en grise monochrome et les urnes en céramique modelée sont les récipients les plus fréquemment utilisés³⁷. Les amphores sont attestées jusque vers 475. Au iv^e siècle, on note encore la présence de cruches, mais ce sont les urnes en céramique non tournée ou les urnes celtiques de production régionale qui dominent. À partir de la fin du iv^e siècle et surtout au iii^e siècle en Languedoc occidental, le vase ossuaire est exclusivement un cratère à figures rouges ou à vernis noir³⁸. Les amphores réapparaissent en tant qu’ossuaires au milieu du iii^e siècle à Vergèze, avec une amphore gréco-italique, et à Nîmes avec une amphore rhodienne (dossiers en cours d’étude).

44Aux ii^e et i^er siècles, les récipients utilisés comme ossuaire sont le plus souvent des pots, notamment à Nîmes et dans les Alpilles, toutefois le choix se porte également dans la région nîmoise sur les vases liés à la boisson, tels que les vases balustres en céramique celtique, les gobelets à parois fines ou les amphores³⁹. Ces récipients ne sont apparemment pas dotés de couvercles. S’y ajoutent, dans la basse vallée du Rhône, les vases à anses collées ou les pots à deux anses pour lesquels une filiation avec le modèle du cratère hellénistique a été envisagée⁴⁰. De telles pratiques prennent racine dans la tradition des tombes protohistoriques régionales et témoignent également du lien entre les restes du défunt et la vaisselle du symposion. Le dépôt en ossuaire n’est toutefois pas le seul mode de sépulture : le système funéraire mis en évidence à partir de l’étude des tombes de Nîmes des ii^e et i^er siècles av. J.-C. se caractérise en effet par la dispersion dans la tombe d’une très petite quantité d’ossements brûlés prélevés sur le bûcher. C’est probablement ce geste qui a été effectué dans la sépulture de Saint-Pastour à Vergèze.

L’apport des analyses à l’étude des vases ossuaires et des dépôts en relation avec l’ossuaire

45L’enquête sur les contenus des vases utilisés comme ossuaire ou comme couvercle de ces réceptacles a porté sur les parois internes de neuf prélèvements provenant de cinq contextes datés des vii^e et v^e siècles issus des sites des Joncasses à Cournonterral et du chemin de Saint-Pierre à Lattes (fig. 15).

Fig. 15 - Tableau récapitulatif des résultats des analyses portant sur les ossuaires, leurs couvercles et un vase en dépôt dans l’ossuaire.

46Les résultats font apparaître des assemblages complexes qui pourraient témoigner d’utilisations successives des récipients en contexte domestique avant leur intégration dans la sphère funéraire. Aucun matériau n’est représenté de manière systématique et le choix de l’ossuaire n’a pas porté sur des récipients spécialisés ou à contenu unique. Comme cela a été déjà souligné, certains matériaux (cire d’abeille de l’urne SP30273-us 30288, corps gras) pourraient provenir des traitements de surface pour l’imperméabilisation des récipients.

47Des différences apparaissent selon la période : alors qu’ils ne sont jamais détectés pour le vii^e siècle, les matériaux résineux provenant de conifères sont systématiquement présents à partir du v^e siècle dans tous les vases, sauf la jarre de la sépulture SP30273 de Saint-Pierre sud, destinée plus probablement à la cuisine, et le skyphos de la sépulture SP20211 de Saint-Pierre nord à Lattes. Pour le vase de la tombe SP2472 des Joncasses à Cournonterral, daté du vii^e siècle, le soufre moléculaire (ou soufre natif) est détecté ; le traitement des parois internes du vase par le soufre permet en effet d’imperméabiliser et de purifier le vase. Les dérivés du raisin sont présents, parfois en forte concentration, dans la majorité des vases notamment les amphores mais aussi le pithos de la tombe SP30390 de Saint-Pierre sud à Lattes. Ils sont cependant absents de l’amphore de Marseille (SP30273-us 30271) qui n’était donc peut-être pas une amphore vinaire, d’un pithos (SP30290) et de la jarre domestique (SP30273). L’analyse montre qu’il est toujours de couleur rouge/noire. Pour le v^e siècle, les marqueurs de fermentation alcoolique sont visibles, permettant de préciser qu’il s’agit de vin rouge. Le raisin est toujours associé à la poix de conifère sauf pour le skyphos de la tombe SP20211 de l’enclos de Saint-Pierre nord.

48Les analyses sur les parois internes des ossuaires ne permettent pas de distinguer les contenus primaires d’éventuelles libations en contexte funéraire. Cette question peut être discutée à partir de prélèvements effectués sur la couche d’os placés dans l’ossuaire, comme celui qui a été réalisé dans la tombe SP2472 des Joncasses à Cournonterral, datée du vii^e siècle (fig. 16). Celui-ci permet d’évoquer un possible dépôt ou une libation (jus de raisin noir, corps gras végétal provenant d’une espèce feuillue riche en triterpènes, corps gras de ruminant) effectué sur les ossements après leur dépôt. L’absence de trace de chauffe incite également à aller dans ce sens. Les matériaux détectés sur cet os ont également été identifiés sur la paroi interne de la coupe couvercle placée sur l’ossuaire ce qui pourrait témoigner de son utilisation pour l’aspersion des restes osseux ou pour leur nettoyage. En revanche, seule la coupe présente des traces de corps gras chauffé. Utilisé pour la cuisson dans un contexte domestique, le couvercle pourrait éventuellement avoir servi pour un dépôt ou une libation dans le cadre des funérailles, éventuellement pour un traitement des os après la crémation avec du jus de raisin noir et des plantes feuillues.

Fig. 16 - Coupe couvercle sur l’ossuaire de la tombe SP2472 de l’ensemble des Joncasses à Cournonterral.

49Les ossuaires et couvercles d’ossuaire lattois datés du v^e siècle montrent également dans la plupart des cas des contenus multiples qui suggèrent des utilisations successives dans un cadre domestique ou lors des funérailles. C’est le cas de l’urne en céramique peinte de la tombe SP30273 de Saint-Pierre sud, dont la paroi interne a livré des traces d’une huile végétale siccative, riche en acide linoléique (huile de noix ou noisette ?), de la cire d’abeille/miel, un corps gras de non-ruminant avec de la peau. L’un des pithoi utilisé comme ossuaire (fig. 17, SP30393) a contenu du vin rouge et de la poix, des corps gras de ruminant dont des produits laitiers, et une plante de la famille des Astéracées⁴¹ (alcools triterpéniques).

Fig. 17 - Pithos utilisé comme vase ossuaire dans la tombe SP30293 de Saint-Pierre sud.

50Font exception les fonds d’amphores qui ont été utilisés comme couverture du réceptacle. Dans ce cas, les analyses ne livrent que peu de traces hormis du poissage et du contenu primaire qu’était le vin rouge. Elles n’apportent pas d’information sur le geste funéraire.

51Quatre prélèvements supplémentaires ont été effectués sur les parois externes des vases utilisés pour le dispositif de couverture de l’ossuaire dans des tombes des vii^e et v^e siècles (fig. 15). Les analyses permettent de discuter de la présence de libation ou de dépôts effectués après la fermeture du réceptacle des os brûlés.

52Les résultats montrent une fois encore des combinaisons complexes, avec l’association systématique d’un corps gras animal et d’un corps gras végétal. La présence de jus de raisin est détectée dans un prélèvement du vii^e siècle, tandis que le vin est attesté dans les contextes du v^e siècle. Le cas du fond d’amphore de la tombe SP30290 de Saint-Pierre sud ne peut être retenu avec certitude car le contenu primaire est susceptible d’avoir été stocké dans la durée et a pu migrer de la paroi interne vers la paroi externe.

53La présence de corps gras de ruminant pourrait signaler des dépôts de pièces carnées, probablement de bovin ou d’ovin-caprin, dans trois tombes du v^e siècle. Dans l’ensemble de Saint-Pierre sud, on les rencontre notamment dans la tombe SP30290, sur la paroi du col d’amphore replacé sur le fond de l’amphore renversée qui protégeait l’ossuaire (fig. 18), afin peut-être de constituer un dispositif libatoire.

Fig. 18 - Col d’amphore installé sur la couverture de l’ossuaire de la tombe SP30290 de Saint-Pierre sud, dispositif libatoire ?

54La tombe SP20211 de Saint-Pierre nord à Lattes (fig. 19) constitue un bon exemple de la complexité des situations. Les analyses ont porté sur le contenu de l’ossuaire et de la coupe ansée en céramique peinte de Marseille qui lui sert de couvercle (vase 20241), sur la paroi externe de celle-ci et sur les parois internes et externes du skyphos (vase 20310) placé à l’envers dans l’ossuaire sur la couche d’os brûlés (fig. 20). Ce dernier est une grande urne à pied haut, a priori destinée à contenir des liquides. Or, une grande proportion de corps gras de ruminant et une huile végétale, identifiée comme huile d’olive par ses stérols et triterpènes constitutifs, ont été repérées sur la paroi interne, ainsi que du vin rouge. Il est toutefois impossible de déterminer si les marqueurs correspondent à des matériaux mélangés ou contenus successivement dans le skyphos. Aussi, l’imprégnation des parois peut correspondre à l’usage du récipient avant les funérailles, dans un cadre domestique, ou peut être mis en relation avec la première étape du rituel, par exemple pour la préparation du repas funéraire. Les lacunes observées sur le pied pourraient être l’indice d’une utilisation prolongée, ce qui plaide en faveur de la première hypothèse. L’analyse a également permis de détecter de faibles traces de vin rouge dans la paroi interne de l’ossuaire. La paroi interne de la coupe utilisée comme couvercle a été imprégnée par de la poix de conifère, du raisin noir ou teinturier, une huile végétale, ainsi qu’un corps gras de ruminant qui n’a pas été chauffé. Le squalène abondant indiquerait des morceaux avec peau. Ces éléments pourraient témoigner des utilisations de la coupe avant son dépôt, dans un cadre domestique ou rituel. Les faibles traces d’huile végétale et de graisse de ruminant, fortement oxydée et peut-être chauffée, repérées sur la paroi externe du skyphos, pourraient témoigner d’un geste de libation effectué avec la coupe couvercle qui a contenu ces mêmes matériaux.

Fig. 19 - Coupe de la tombe SP20211 de l’enclos Saint-Pierre nord.

Fig. 20 - Mobilier céramique de la tombe SP20211 de Saint-Pierre sud.

55Enfin, les matériaux détectés sur la paroi externe de la coupe suggèrent également de restituer sur l’ossuaire, après sa fermeture, un dépôt de pièce carnée de ruminant, sans squalène, et une libation d’huile et de vin rouge associé à du soufre natif.

56Ces différentes observations mettent en évidence des dépôts de pièces carnées ou de graisse animale associés à une huile végétale, sur l’ossuaire et, peut-être, à l’intérieur de ce dernier, sur le skyphos. Des libations de vin rouge ont par ailleurs été effectuées sur le couvercle de l’ossuaire et peut-être dans l’urne (sur les os ?), avec le skyphos. La position particulière du skyphos (à l’envers dans l’ossuaire) pourrait témoigner de ce geste.

57Des traces de bois décomposé (2-hydroxyacides, subérine) retrouvées dans la coupe couvercle pourraient signaler la présence d’une couverture en bois sur l’ossuaire. Ces marqueurs également attestés dans un ossuaire (pithos de la tombe SP30290) du site de Saint-Pierre sud (fig. 15) pourraient également témoigner de l’existence d’un couvercle en bois ou bien d’un coffret protégeant les os brûlés. Les données archéologiques ne permettent ni de valider ni de contredire ces hypothèses.

Les vases en dépôt dans les tombes (dépôts secondaires)

Dans la documentation protohistorique languedocienne

Les dépôts secondaires de vases dans les tombes

58Au vii^e siècle, en Bas-Languedoc occidental, les vases d’accompagnement sont déposés entiers et en position fonctionnelle. On en dénombre en moyenne 15 à 20 par sépulture, puis entre 25 et 35 dans la seconde moitié du siècle. Toutes les grandes catégories fonctionnelles sont représentées⁴². Les services funéraires se composent au minimum de deux grands vases de stockage l’un probablement destiné aux liquides et l’autre à des denrées solides, de deux récipients à présenter et/ou consommer les aliments (grands plats à marli, jatte), toujours complétés de façon proportionnelle par des vases à servir la boisson (entre 3 et 16) qui sont des pots munis d’un pied haut et d’un col haut et ouvert à parois concaves facilitant le versement des liquides.

59Il semblerait que certains pots puissent contenir des denrées alimentaires. Cette hypothèse repose sur quelques observations et O. Taffanel proposait, dès les années 1940/1950, d’après la position d’un simpulum retrouvé à mi-hauteur dans un vase, que celui-ci puisse « renfermer […] du miel⁴³ ». Cette hypothèse trouve un écho dans les analyses de chimie organique réalisée dans un vase d’une sépulture au Pontil, où de la cire d’abeille a été détectée⁴⁴. Dans la nécropole de Pradines, des larves de diptères pourraient signaler la présence de boisson fermentée⁴⁵.

60Les vases à boire (coupelles et gobelets) sont bien représentés mais se trouvent le plus souvent dans des pots, ce qui laisse à penser qu’ils sont utilisés pour en puiser le contenu. Signalons que les dépôts de vases de la deuxième moitié du vii^e siècle av. J.-C. se caractérisent aussi par des objets importés d’Italie méridionale ou d’inspiration phénico-punique et d’Europe continentale. Pour résumer, ces assemblages de récipients évoquent la pratique d’un banquet ou d’un repas collectif⁴⁶.

61Entre la fin du vii^e siècle et le début du vi^e siècle av. J.-C., on constate la raréfaction des tombes à vases d’accompagnement multiples au profit des « tombes à simple ossuaire ». Dans les contextes datés du vi^e au iv^e siècle av. J.-C, les récipients d’accompagnement sont peu nombreux. Dans tous les cas, il s’agit de vases liés à la boisson, coupe cruche et cratère, attestant ainsi la consommation collective de vin ou de boisson alcoolisée⁴⁷.

62En revanche, pour les tombes du iii^e siècle du Languedoc occidental et notamment à Ensérune le dépôt de vases entiers accompagnant l’ossuaire est l’unique mode opératoire.

63D’autres vases témoignent d’usages spécifiques tels que les aryballes et les brûle-parfum. Ceux-ci se rencontrent dès le vi^e et jusqu’au iii^e siècle. Ils sont très peu fréquents et on en dénombre une dizaine pour toute la période. Ces objets ainsi que les vases importés témoignent d’une méditerranéisation des ustensiles mais en aucun cas des pratiques funéraires⁴⁸.

64À la fin de l’âge du fer, aux ii^e et i^er siècles, les dépôts de vases sont systématiques⁴⁹. Les assemblages comportent le plus souvent entre cinq et douze vases⁵⁰, placés sur le fond de la fosse ou sur des dispositifs d’étagement internes que l’on restitue d’après les indices d’effondrement et de bascule. La répartition des vases sur des niveaux distincts ne semble pas toujours motivée par le manque de place et pourrait matérialiser de manière symbolique les étapes successives d’installation des dépôts dans la fosse. Les dépôts les plus fréquents et les plus abondants sont les récipients et les ustensiles en relation avec la nourriture ou la boisson (en proportion à peu près égale), les vases à parfum étant plus rares. Les vases pour les liquides sont représentés par des cruches et des vases à boire. Le dépôt d’un vase à deux anses est bien présent jusqu’au changement d’ère et témoigne de la tradition bien ancrée dans les usages de laisser dans la sépulture au moins un récipient ansé dévolu à l’absorption de la boisson⁵¹. Les amphores pourraient avoir été remplacées dans certains cas par des cruches de grande contenance. Elles sont attestées dans une tombe sur quatre, exclusivement sous forme de conteneurs entiers au ii^e siècle, puis le plus souvent sous forme de cols volontairement brisés (dépôts de type pars pro toto) placés après la fermeture de la fosse au moment des funérailles ou dans le cadre du culte de la tombe⁵². À Nîmes, 20 % des vases ont fait l’objet d’un bris intentionnel suivi d’une dispersion d’une partie ou de la totalité des fragments dans la fosse⁵³. Rien ne distingue les vases brisés des autres récipients, auxquels ils sont souvent étroitement associés. Les gestes de bris, mais aussi la position de certains vases placés volontairement à l’envers ou sur la panse (gestes de libation ?) montrent que le rôle de la vaisselle ne se réduit pas à la présentation de mets ou de boissons destinés à subvenir aux besoins du défunt. Une partie de ces dépôts pourrait ainsi correspondre aux vases utilisés au cours du repas partagé symboliquement entre les vivants et le mort.

Les restes animaux

65Au début et au milieu du premier âge du fer, les modalités d’apparition des restes osseux animaux, aussi bien brûlés qu’intacts, varient entre les grandes nécropoles du Languedoc méditerranéen⁵⁴. Le choix des taxons et des parties squelettiques, la position de certaines pièces, caractérisent l’une ou l’autre, sans que le partage de gestes communs soit complètement exclu. Entre le début du vi^e et le iv^e siècle, les dépôts carnés à ossements disparaissent. Ils reviennent au iii^e siècle avec une grande diversité de taxons parmi lesquels le porc domine et semblent marquer une nouvelle politique de dépôt concomitante au retour des vases d’accompagnements.

66À partir du ii^e siècle, les dépôts animaux sont systématiques⁵⁵. Dans les contextes nîmois, ils apparaissent très souvent sous forme d’ossements isolés et d’ensembles disparates déposés en vrac, interprétés comme des déchets alimentaires. Les espèces concernées sont variées : porc, bœuf, mouton/chèvre, lapin, oiseaux divers, rascasse, maquereau. Par ailleurs, à côté de ces reliefs de repas évoquant le banquet des funérailles, les tombes comportent au moins un dépôt constitué d’ossements en connexion, principalement de porc, parfois associé à du mouton-chèvre ou du bœuf. Ces pièces, parfois en relation étroite avec l’ossuaire, pourraient avoir été destinées à honorer le défunt, en constituant de véritables offrandes dont la valeur alimentaire est toutefois généralement moindre que celle des déchets du repas funéraire. Ils constituent le plus souvent le premier dépôt mis en place dans la tombe et pourraient être liés à des pratiques de sacrifice en lien avec la consécration de la sépulture⁵⁶, comme le suggèrent les exemples d’association avec un tranchoir en fer ou avec un couteau⁵⁷.

L’apport des analyses chimiques

Les contenus des vases pour le service des liquides en dépôt dans les tombes

67Douze prélèvements provenant de trois contextes des v^e et ii^e siècles ont porté sur des vases en dépôt dans la tombe, susceptibles par leur forme, d’avoir contenu des liquides et notamment du vin (fig. 21). Les analyses ne permettent pas de discriminer les contenus primaires des dépôts effectivement introduits dans la sépulture. Néanmoins, ils apportent des informations sur la fonction des vases sélectionnés. On constate la présence récurrente de dérivés de raisin (neuf exemplaires) dont du vin rouge (trois exemplaires), ce qui confirme la place importante de ces dépôts dans les pratiques funéraires protohistoriques. Les résultats témoignent également d’assemblages complexes dont l’analyse est facilitée dans le cas de la tombe de Saint-Pastour à Vergèze par la possibilité de croiser les données obtenues sur les différents prélèvements.

Fig. 21 - Tableau récapitulatif des résultats des analyses portant sur les vases du service des liquides (cruches, coupes, gobelets, skyphos et lécythe), des récipients en bronze et des petits vases (coupelles, thymiaterion) en dépôt secondaire dans les tombes des vii^e, v^e et ii^e siècles av. J.-C.

68Les analyses effectuées sur les vases de la tombe SP42017 de Saint-Pastour datée de la fin du ii^e siècle montrent une grande diversité de contenus (fig. 21-22). Les coupes en campanienne A, brisées ou non avant leur dépôt, présentent des contenus similaires à base de jus de raisin et de corps gras d’animal ruminant ou non ruminant. Une des coupes (42098), en contact avec un os non brûlé de porc, a livré des traces d’un corps gras de non-ruminant, appuyant l’hypothèse qu’une pièce carnée déposée dans un vase imprègne celui-ci de ses marqueurs moléculaires. L’abondance du squalène, marqueur du sébum et donc des peaux, va dans le sens d’un dépôt de pièce carnée avec la peau de l’animal.

Fig. 22 - Répartition des vases à liquide prélevés dans la tombe SP42017 de Saint-Pastour.

69À chaque cruche correspond un contenu différent. Celle qui a contenu du vin (42090) et aucun autre contenu est la seule qui ait été placée sur le fond de la fosse, comme l’amphore contre laquelle elle s’appuie. Les autres récipients reposaient sur un dispositif d’étagement. Une cruche isolée dans un angle de la fosse n’a livré aucune trace de dépôt organique. Elle pourrait avoir contenu de l’eau. Deux autres cruches ont livré de très faibles traces de raisin. La première (42095) pourrait avoir renfermé un produit à base de végétaux riches en cires végétales (feuille, brindilles ou fleurs). En effet, les marqueurs de cires végétales très présents ne peuvent être attribués à une pollution environnementale dans la mesure où ils ne sont que très faiblement attestés sur les parois des vases ouverts de la même tombe. La seconde (42094) a livré essentiellement un corps gras de ruminant (qui n’est pas un produit laitier) et un corps gras végétal. L’analyse de la paroi externe met en évidence un possible geste de libation de vin rouge (acides tartrique, malique et syringique et marqueurs de fermentation). La cruche retrouvée sur l’épée (42088) a servi de réceptacle pour un dépôt d’ossements animaux qui n’ont pas encore été étudiés, et pour des éléments d’un coffret démantelé. Les traces de produit laitier et de corps gras végétal détectés sur la paroi du vase pourraient correspondre à une utilisation antérieure au dépôt. L’absence de marqueur de corps gras animal est peut-être l’indice d’un dépôt d’ossements sans partie charnue ni graisse liquide (peut-être des déchets de repas). Toutefois, biochimiquement, le produit laitier peut dissimuler la présence de tels corps gras.

70Les analyses des cruches de cette tombe montrent que le vin n’est pas le seul liquide impliqué dans les rituels funéraires.

Fig. 23 - Lécythe brisé déposé à l’extérieur de l’ossuaire de la tombe SP30273 de Saint-Pierre sud à Lattes.

71L’analyse de deux fragments (30268 et 30278) d’un lécythe aryballisque brisé en deux dans la tombe SP30273 de Saint-Pierre sud (v^e siècle) montre une parfaite cohérence entre les imprégnations des parois internes des deux fragments. Le vase a contenu un produit à base de vin rouge, infusion de feuilles (cires végétales dégradées), huile végétale siccative (de noix, noisette ou œillette), du sébum et de la graisse animale de non-ruminant (fig. 21 et 23). La poix de conifère, présente en faible quantité dans les échantillons, a pu être introduite avec le vin. Le vase a été brisé avant son dépôt dans la tombe à l’extérieur de l’ossuaire et après la mise en place de la couverture. La proportion d’acide tartrique est particulièrement importante, ce qui correspond à un long contact entre le vin et les parois du vase. Comme le lécythe a été brisé volontairement, il ne peut avoir été déposé dans la tombe rempli de vin ; la seule hypothèse reste qu’il a contenu le vin ou la recette à base de vin pendant un long laps de temps avant d’être utilisé pour la cérémonie. Aussi, on ne trouve pas de trace des matériaux contenus dans le lécythe sur la paroi externe du fond d’amphore, mais certains matériaux apparaissent dans l’ossuaire. On pourrait donc être en présence d’un geste de libation employant un produit en lien avec la pharmacopée et stocké longuement dans le lécythe, geste éventuellement effectué sur les os avant la fermeture de l’ossuaire.

Les contenus des vases en bronze en dépôt dans la tombe

72Deux prélèvements ont porté sur les parois internes d’un bassin et d’une coupelle à rebord perlé en bronze retrouvés sur la couverture effondrée de l’ossuaire d’une tombe du v^e siècle. Le bassin était placé à l’envers et la coupelle incomplète a été brisée avant son dépôt (fig. 5). La coupelle a contenu de l’huile d’olive (marqueurs stérols/triterpènes et squalène abondant) associée à de la graisse de ruminant et à de la cire d’abeille, probablement du miel, l’hypothèse d’un produit de traitement de surface pouvant être écartée (fig. 21). Le bassin a contenu des matériaux gras chauffés d’animal ruminant (viande ou graisse) et d’origine végétale, mais surtout des matériaux végétaux qui ont laissé une empreinte importante de cires épicuticulaires. En l’absence de marqueur de l’huile d’olive (fucostérol, triterpènes), le squalène, associé aux marqueurs animaux (cholestérol, acides gras), pourrait être attribué à une pièce de viande avec peau.

Les contenus de petits vases en dépôt dans les tombes

73Quatre prélèvements (dans deux contextes des vii^e et v^e siècles) ont porté sur la paroi interne de récipients à faible contenance afin d’en caractériser la fonction. Les résultats font apparaître principalement des produits à base de corps gras animaux très divers.

Fig. 24 - Thymiaterion en céramique non tournée et son couvercle trouvé brisé dans la tombe SP30290 de Saint-Pierre sud à Lattes.

74La petite coupelle du vii^e siècle a contenu un corps gras végétal associé à un produit marin (acides phytanique et triméthyltricadécanoique). Un thymiaterion en céramique non tournée (fig. 21, 30306-30329 ; fig. 24), retrouvé brisé en deux à l’extérieur de l’ossuaire d’une tombe du v^e siècle, a contenu un corps gras de ruminant riche en squalène et du jus de raisin a priori blanc en l’absence d’acide syringique détecté. Les marqueurs de fermentation (dont l’acide succinique) n’ont pas été détectés. Des traces d’acide déhydroabiétique sous forme libre et méthylée indiquent une poix de conifère. On pourrait être en présence de constituants d’un parfum, le bris témoignant d’un geste sacrificiel effectué avant ou au moment du dépôt dans la tombe. Cet objet était accompagné d’une coupelle (fig. 24, 30328) dotée de trous de suspension qui lui a peut-être servi de couvercle. Son imprégnation profonde par un corps gras d’animal non ruminant avec peau témoigne d’un usage prolongé avant dépôt.

Conclusion

75De cette enquête sur les produits et les gestes supposés, nous tirons d’abord quelques enseignements d’ordre méthodologique. Il apparaît ainsi préférable d’effectuer des prélèvements multiples au sein d’une même tombe plutôt que des prélèvements ponctuels car cela permet de pondérer les résultats de chaque échantillon en regard des autres. Par ailleurs, il apparaît souhaitable de ne pas se limiter aux parois internes des récipients. Les résultats obtenus sur les os brûlés ou la terre de bûcher des Joncasses à Cournonterral nous semblent particulièrement encourageants. Des prélèvements pourraient être tentés sur le sol des tombes dans les espaces vides peut-être occupés à l’origine par des dépôts organiques⁵⁸.

76Grâce aux analyses réalisées sur les bûchers du vii^e siècle av. J.-C., on peut mettre en évidence des gestes de libation de jus de raisin effectués probablement après la crémation sur les résidus du bûcher et les os brûlés. Les analyses pratiquées sur les vases rejetés sur le bûcher font penser que certains d’entre eux ont peut-être servi à répandre les libations.

77Les traces de corps gras sont également très bien représentées sur les bûchers, notamment des corps gras végétaux, des produits laitiers et des corps gras de ruminant. Ces derniers attestent peut-être l’existence de dépôts de pièces de viande sans os, d’organes ou de graisse en relation avec des sacrifices animaux accompagnant cette étape du rituel.

78La découverte de plusieurs grands couteaux particulièrement adaptés à la découpe de pièces de viande ou d’exceptionnelles broches à rôtir à Mailhac⁵⁹, dans quelques tombes masculines remarquables de l’âge du fer languedocien, pourrait se rapporter à ces gestes. Les défunts pourvus de ces couteaux rappellent les personnages qui apparaissent sur les peintures grecques d’époque archaïque et que l’on voit procéder à des sacrifices à l’autel.

79Les analyses nous aident également à mieux caractériser l’étape de la constitution de la tombe. Les recherches menées sur les vases utilisés comme réceptacle des os humains montrent que les récipients ont été utilisés dans la sphère domestique avant leur intégration dans les rites funéraires. Par ailleurs, des gestes de libation ont pu être mis en évidence dans au moins cinq tombes des vii^e et v^e siècles. Ils sont effectués sur les ossements humains placés dans l’urne et surtout sur la couverture de l’ossuaire. Il s’agit, dans les contextes du vii^e siècle, de libations de jus de raisin noir éventuellement associé à de la cire d’abeille/miel jaune ou une huile végétale. Dans les tombes du v^e siècle, des libations ont recouru au vin rouge. Ces gestes sont accompagnés de dépôts de pièces de bovin ou d’ovin-caprin éventuellement associés à un corps gras végétal.

80La présence récurrente des corps gras animaux laisse penser que la place des offrandes animales déposées dans la tombe en honneur du défunt est sans doute plus importante que ne le montrent les vestiges osseux notamment aux vii^e et v^e siècles : de toute évidence des dépôts de pièces de viande sans os ont été effectués. Dans la tombe du ii^e siècle de Vergèze, pourtant riche en ossements fauniques, les analyses suggèrent la présence d’autres offrandes animales n’incluant pas d’os.

81Cette enquête confirme la place importante des boissons et des recettes à base de jus de raisin ou de vin dans les pratiques funéraires protohistoriques en Languedoc méditerranéen dès le vii^e siècle. Ces produits apparaissent comme contenus des vases mais aussi sous forme de libations dans la tombe notamment sur l’ossuaire. Enfin, ces mêmes résultats montrent qu’il faut se garder d’associer de manière systématique les vases pour les liquides au service du vin. Ils nous invitent à la plus grande prudence dans nos interprétations fonctionnelles fondées sur la seule morphologie des vases.

82Plus anecdotiques, les résultats obtenus sur certains petits récipients laissent envisager la présence de rites impliquant des parfums ou des recettes obtenues par infusion de plantes feuillues dans du vin, liés au domaine de la pharmacopée. Totalement ignorées jusqu’à présent pour le Languedoc, de telles recettes ont déjà été identifiées pour des époques plus récentes à Saint-Dizier⁶⁰. Les nouvelles découvertes permises par le développement de nouvelles méthodologies d’analyse des résidus organiques archéologiques, souvent invisibles, incitent désormais à multiplier les tests sur le matériel funéraire et d’intensifier les recherches en phytochimie, pour mieux connaître l’empreinte moléculaire de chaque plante afin de mieux identifier les espèces impliquées dans les recettes, ou sur les produits animaux.

83Grâce à une grille de lecture interdisciplinaire mêlant les résultats des analyses chimiques à l’archéologie et l’anthropologie, deux gestes très particuliers sont mis en lumière ; la libation de liquide à base de jus de raisin d’une part, et le dépôt de viande et/ou d’organes provenant sans doute de sacrifice, d’autre part. Auparavant, si on soupçonnait l’existence de telles procédures, il était difficile d’en cerner la place dans le déroulement des funérailles. Ces nouvelles données montrent à quel point les parallèles sont étroits entre les pratiques cultuelles « méditerranéennes » ou septentrionales et les gestes funéraires des Gaulois du Midi. Cette convergence ne doit pas être interprétée obligatoirement en termes d’emprunt ou d’acculturation, mais elle suggère plutôt l’existence d’une gestuelle commune lorsqu’il s’agit de s’adresser aux dieux et/ou aux morts.

84La documentation archéologique disponible met en évidence des dépôts de vases et d’éléments fauniques sur les bûchers et dans les tombes, en relation avec au moins deux étapes du rituel funéraire. Toutefois, des variations apparaissent dans le temps et dans l’espace qui tiennent pour une part à l’hétérogénéité des corpus (rareté des bûchers), mais aussi à des variations dans les pratiques de dépôt. L’intégration dans la sépulture des restes de vases et d’ossements animaux brûlés sur le bûcher n’apparaît ainsi qu’entre le vi^e et le iii^e siècle. Les pratiques alimentaires et sacrificielles en relation avec la constitution de la tombe sont particulièrement mises en valeur par de nombreux dépôts de vases et de vestiges osseux animaux en accompagnement de l’ossuaire dans les contextes du vii^e siècle. Par la suite, ce type de dépôt apparaît de manière plus irrégulière pour s’affirmer à nouveau à la fin de la période. L’identification de gestes de libations ou de dépôts carnés animaux sur les couvercles d’ossuaire ou sur les ossements brûlés, offre de nouvelles perspectives, en permettant de repérer de telles pratiques en dépit de l’absence de vase d’accompagnement ou de restes osseux animaux. Les analyses chimiques organiques apparaissent ainsi comme une source d’informations complémentaires pour mieux appréhender la place des rites alimentaires et sacrificiels dans les usages funéraires protohistoriques.