Présentation du contexte

Les sites de Caudium et de Saticula

1Les sites de Caudium et de Saticula, correspondant aux villes actuelles de Montesarchio et de Sant’Agata de’ Goti, font partie culturellement du territoire du Samnium Caudinum situé dans la Campanie interne, dominé par le massif du Taburno-Camposauro et traversé par les fleuves Calore-Volturno et Iscleros (fig. 1)¹.

Fig. 1 - Le territoire de Caudium et de Saticula.

2La viabilité du piémont et des vallées fluviales a fait que cette zone est devenue au fil des siècles un point de jonction entre les routes qui mènent respectivement à l’ouest et au sud vers Capoue et la plaine de Campanie, à l’est vers l’Adriatique et au nord vers le Samnium des Pentri et l’intérieur des terres. Ce n’est pas un hasard si l’axe de liaison naturel qui traverse la vallée caudine, probablement actif depuis la protohistoire et contrôlé par Caudium, a été utilisé pour tracer la Via Appia à l’époque républicaine. La zone prit une importance cruciale également pendant la période d’expansion de Rome vers le sud, comme en témoigne l’épisode de la bataille qui s’est déroulée aux Fourches Caudines en 321 av. J.-C., un des affrontements les plus importants du conflit qui opposait les Romains aux Samnites². Contrairement aux autres zones du Samnium, fermées et montagneuses, l’image transmise par la tradition historiographique est plutôt celle d’un territoire ouvert à des influences et à des stimuli culturels plus larges, qui pourrait faire écho au témoignage rapporté par Cicéron dans le De senectute à propos de l’adhésion à la doctrine pythagoricienne de Pontius Telesinus, père du vainqueur de la bataille des Fourches Caudines³.

3La connaissance des établissements de Caudium et de Saticula est surtout liée aux riches nécropoles, fouillées dès la fin du xviii^e siècle et connues dans la bibliographie scientifique pour l’exceptionnel corpus de cratères à figures rouges trouvés dans les tombes⁴. Plus récemment, la recherche archéologique s’est poursuivie à Montesarchio parallèlement à l’expansion urbaine, et à Sant’Agata de’ Goti à l’occasion de la construction d’importantes infrastructures (gazoduc SNAM et Fondovalle Isclero)⁵.

4Les deux sites font partie de la culture des tombes à fosse de la Campanie septentrionale⁶. Le développement de Caudium a été plus précoce, avec des attestations qui remontent au début de l’âge du fer⁷. Jusqu’à présent plus de 3000 sépultures ont été mises au jour, couvrant une période chronologique comprise entre la deuxième moitié du ix^e siècle et les premières décennies du iii^e siècle av. J.-C. Les témoignages les plus anciens sont représentés par quelques tombes à cercle récemment découvertes dans le secteur nord-ouest de la nécropole. Le rituel funéraire et la typologie des objets ont mis en évidence des interactions et des relations intéressantes, entre la seconde moitié du ix^e et le troisième quart du viii^e siècle av. J.-C., non seulement avec des communautés appartenant à la Fossakultur – en particulier celles de la vallée du Sarno –, mais aussi avec des sites de la culture villanovienne comme Capoue⁸. La découverte de cabanes datant de la même époque dans une aire plus éloignée suggère qu’au début de l’âge du fer l’établissement était formé de noyaux épars annexés aux sépultures.

5Avec le passage à l’Orientalisant ancien, la documentation archéologique suggère un véritable changement structurel du site : l’habitat se concentre dans la zone située aux bords de l’actuelle Via Napoli, tandis que les nécropoles sont implantées au nord (fig. 2)⁹. Durant cette phase, le matériel funéraire de Caudium est constitué de riches services de céramiques d’impasto, avec la présence constante d’un grand récipient généralement placé aux pieds du défunt. Les armes (pointes de lance et de javelot) connotent des tombes masculines, tandis que les tombes féminines sont caractérisées par la présence d’objets ornementaux et d’instruments pour le filage et le tissage. Des céramiques de production grecque et coloniale, des vases provenant de Daunie et des objets de la région du Picenum, témoignent de la présence de relations cérémonielles et/ou commerciales avec les établissements de la côte de la Campanie, mais aussi avec ceux du versant Adriatique.

Fig. 2 - Montesarchio. Carte IGM avec localisation des zones habitées (en rouge) et des nécropoles (en jaune).

6Dans la première moitié du vi^e siècle av. J.-C. les premières céramiques attiques figurées font une apparition très précoce¹⁰ qui montre, avec les vases et les instruments en bronze de la région étrusque et étrusco-campanienne, le rôle que joue Caudium dans la réception et la redistribution entre les zones de production et les régions internes du Samnium pentrien et de l’Hirpinia¹¹.

7Dans la seconde moitié du vi^e siècle, le nombre d’objets déposés diminue comme le montre la réduction des ornements dans les sépultures féminines et des armes dans celles masculines. Quant au mobilier céramique, on assiste désormais à une sélection de vases essentiellement liés à la manipulation et à la consommation du vin – le cratère, associé à des formes fermées pour verser (cruches et oinochoai) et à des formes ouvertes pour boire (tasses, kantharoi, kotylai) –, témoins de l’adoption du symposium comme modèle culturel de référence. Dans certaines tombes particulièrement importantes, le service des objets pour la consommation du vin est associé à la vaisselle et aux instruments servant à la cuisson et à la division de la viande et, par conséquent, au banquet¹².

8Au cours des décennies suivantes, le rituel funéraire connaît un net changement : le nombre des objets du mobilier est réduit de façon drastique et se limite – aussi bien dans les tombes masculines que féminines – au cratère, généralement placé aux pieds de la personne inhumée. Ce phénomène semble se manifester dès le début du v^e siècle av. J.-C.¹³ et perdurer jusqu’à la fin du siècle suivant. Les armes sont désormais absentes et les objets ornementaux sont peu nombreux, limités essentiellement aux fibules, parfois à arc recouvert, fréquentes dans les tombes féminines. La découverte de petites cruches et de coupes fragmentées dans la terre de remplissage des fosses est peut-être due aux libations faites au moment de la sépulture. Si la sélection du cratère comme seul signe d’autoreprésentation apparaît transversale aux sexes et aux classes d’âge, des distinctions importantes ressortent du type des cratères déposés dans les tombes caudines. Dans la majorité des sépultures, en effet, il est représenté par des spécimens achromes, à bandes ou à vernis noir, qui font contrepoids aux mobiliers des tombes contenant des cratères à figures rouges de qualité exceptionnelle, d’importation attique (fig. 3). À partir des dernières décennies du v^e siècle apparaissent des exemplaires produits dans différents ateliers d’Italie méridionale qui, au cours du siècle suivant, prennent toute la place des cratères attiques¹⁴. De ce tableau homogène se détachent quelques sépultures trouvées principalement dans le secteur nord-ouest de la nécropole et qui se caractérisent par des ensembles composés de vases de petites et moyennes dimensions (lekythoi, petites ollae stamnoïdes, coupes, petites ollae) associés dans les tombes féminines à des fibules et à des bagues en bronze et en argent. Certaines de ces tombes, du type en caisson de tuiles, présentent un matériel funéraire externe, un élément attesté à Caudium uniquement dans ce secteur, alors qu’il représente une constante dans le rituel funéraire de Saticula et de Telesia, la ville actuelle de San Salvatore Telesino¹⁵.

Fig. 3 - Montesarchio. Cratère attique à figures rouges provenant de la tombe 1455, 470-450 av. J.-C.

9À Sant’Agata de’ Goti également, la documentation archéologique provient principalement de la nécropole¹⁶. Environ 500 sépultures ont été mises au jour, dont l’analyse est malheureusement fortement conditionnée par le pourcentage élevé de tombes pillées lors des fouilles clandestines. Les plus anciennes attestations remontent au début du vii^e siècle av. J.-C., bien que la documentation archéologique disponible jusqu’à présent n’indique une structuration du site qu’à partir du siècle suivant. La nécropole occupe les secteurs ouest et nord de la terrasse de Faggiano, située sur la rive droite du fleuve Iscleros, qui joue un rôle prépondérant dans les dynamiques d’occupation du site (fig. 4)¹⁷. Entre le début du vi^e et la fin du iv^e siècle av. J.-C., l’aire funéraire comprend des noyaux séparés les uns des autres par de grands espaces vides. Le type de sépulture le plus fréquent est celui en caisson de tuf – monolithique dans les sépultures d’enfants, avec des dalles carrées et juxtaposées dans celles des adultes – couvert de dalles à plat ou à double pente¹⁸. Une analyse préliminaire des associations fait apparaître, pour les vi^e et v^e siècles av. J.-C., la présence d’un « mobilier de base » constitué d’une œnochoé, d’une kylix et/ou d’une coupe, auquel s’ajoutent, dans les tombes les plus riches, des céramiques figurées et des vases en bronze de production étrusque¹⁹. Une caractéristique constante des tombes de Saticula est la présence de mobilier à l’extérieur du coffre, placé aux pieds du défunt, comprenant une ou deux ollae en céramique commune. Cette déposition est étroitement liée à l’étape de la sépulture et correspond à un rituel qui aurait lieu avant la fermeture du caisson dont la couverture recouvre dans certains cas le mobilier funéraire extérieur²⁰.

Fig. 4 - Sant’Agata de’ Goti, loc. Faggiano. Vue d’ensemble de la nécropole en cours de fouille en 2009.

10La présence dans certaines ollae d’« ossements d’animaux²¹ » et de « résidus organiques²² » suggère la pratique d’offrandes alimentaires pour les défunts ou la consommation de repas rituels. En ce qui concerne les distinctions de genre et les classes d’âge, on note dans les tombes masculines la récurrence de pointes de lance ou de javelots, qui ne sont cependant pas connectées avec le défunt mais situées à l’extérieur au-dessus du caisson ou entre le réceptacle et le caisson. Dans les sépultures infantiles, au contraire, il y a des vases de petites dimensions, souvent des biberons. Ces tombes sont généralement placées aux marges des parcelles funéraires ou elles occupent les espaces libres situés entre les tombes des individus adultes.

11Au cours du iv^e siècle av. J.-C., on observe une nette augmentation du nombre de tombes, qui sont disposées de manière ordonnée en rangées parallèles avec de très rares cas de chevauchement, ce qui suggère une organisation rationnelle de l’espace destiné à la nécropole, très probablement organisée pour des groupes familiaux²³. À cette époque également, les tombes en caisson de tuf, à toit plat ou à double pente, sont très répandues. En continuité avec l’époque archaïque, l’œnochoé trilobée, la kylix, la petite olla stamnoïde apparaissent comme des constantes dans le mobilier funéraire. À ce « mobilier de base » s’ajoutent fréquemment d’autres récipients tels que le cratère, l’hydrie ou l’amphore, représentés, dans les tombes importantes, par des spécimens à décoration figurée (fig. 5). Il est intéressant de noter qu’à Saticula comme à Caudium le mobilier féminin exhibe également le cratère, ailleurs réservé aux hommes, signe de la participation de la femme à la pratique du symposium en tant que maîtresse de maison et détentrice des biens de l’oikos²⁴.

Fig. 5 - Sant’Agata de’ Goti. Mobilier de la tombe 477, 3^e quart du iv^e siècle av. J.-C.

12Comme nous l’avons dit, les sépultures d’enfants sont généralement dotées de petites cruches ou de petites olla et biberons, mais il arrive de retrouver en petites dimensions les mêmes objets qui sont attestés dans les tombes d’adultes. Une particularité propre à Saticula est, par ailleurs, de placer dans les tombes des enfants et des adolescents des bagues en plomb avec un chaton circulaire ou ellipsoïdal décoré en relief, toujours en plusieurs exemplaires, probablement en référence à des rituels liés aux changements d’âge ou ayant une fonction eschatologique²⁵.

Les contextes analysés dans le cadre du programme MAGI

13L’étude du mobilier, des associations et de la disposition des objets qui ne sont jamais laissées au hasard à l’intérieur des sépultures a permis de dégager, même de façon préliminaire, les principales caractéristiques du rituel funéraire de ces deux centres qui présentent des différences sensibles surtout à partir du v^e siècle av. J.-C. Si, en effet, l’adhésion au modèle du symposium est toujours généralisée et diffuse dans les deux sites, les « marqueurs » archéologiques apparaissent sensiblement différents. À Caudium, comme nous l’avons vu, le cratère devient le seul objet du mobilier, parfois associé à une forme ouverte, généralement une coupe, indiquant peut-être le sens métaphorique du cratère qui pourrait évoquer le surpassement de la mort²⁶, tandis qu’à Saticula il continue d’être associé aux autres vases qui constituent le « service », c’est-à-dire les formes pour verser et boire (oinochoai et coupes). La présence d’un mobilier extérieur, composé d’une ou deux ollae en céramique commune, constitue également une particularité ici²⁷.

14L’analyse des substances organiques contenues dans les vases de certains contextes engendre une série de réflexions et de questions intéressantes.

15Quatre ensembles de mobilier provenant de Montesarchio (tombes 2098, 2371, 2372, 2901) et deux de Sant’Agata de’ Goti (tombes 465 et 469), datant des v^e et iv^e siècles av. J.-C., ont été sélectionnés²⁸. Il n’existe malheureusement pour aucun d’entre eux d’analyses ostéologiques indicatives du genre ou de la classe d’âge.

Fig. 6 - Montesarchio. Cratère à vernis noir de la tombe 2371, v^e siècle av. J.-C.

Fig. 7 - Montesarchio. Mobilier de la tombe 2372, v^e siècle av. J.-C.

16Les contextes de Caudium, mis au jour dans différents secteurs de la nécropole²⁹, sont tous caractérisés par la présence du cratère. Les tombes 2371 et 2372 remontent au v^e siècle av. J.-C. : la première ne contenait qu’un cratère à colonnettes à vernis noir (fig. 6), tandis que la seconde avait deux cratères achromes, dont l’un de dimensions réduites (fig. 7). Dans la tombe 2098, datable du début du IV^e siècle av. J.-C., un cratère à colonnettes à vernis noir, très fragmentaire, était associé à une fibule en bronze. La tombe 2901, enfin, comprenait un cratère en cloche à figures rouges et une coupe à vernis noir du troisième quart du iv^e siècle av. J.-C. (fig. 8).

Fig. 8 - Montesarchio. Mobilier de la tombe 2901, 3^e quart du iv^e siècle av. J.-C.

17De Saticula, deux sépultures du iv^e siècle av. J.-C. ont été analysées : les tombes en caisson de tuf 465 et 469. Les deux cas présentent à l’extérieur un mobilier constitué d’une olla en céramique commune, une caractéristique constante du rituel funéraire du site depuis l’époque archaïque.

Fig. 9 - Sant’Agata de’ Goti. La tombe 465 en cours de fouille.

Fig. 10 - Sant’Agata de’ Goti. Mobilier de la tombe 465, milieu du iv^e siècle av. J.-C.

18La première tombe (T. 465) présentait à l’intérieur du caisson un cratère et un petit cratère à figures rouges, une kylix à vernis noir et une œnochoé achrome (fig. 9-10). Ni cette dernière, ni l’olla déposée à l’extérieur n’ont été soumises à l’analyse en raison de l’impossibilité de prélever des échantillons à l’intérieur des deux vases. Le mobilier interne de la seconde sépulture (T. 469) était constitué d’un cratère à figures rouges, d’une kylix à vernis noir, d’une œnochoé et d’une olla stamnoïde, toutes deux achromes. Deux fibules en bronze et dix-sept bagues en plomb complétaient le mobilier funéraire, appartenant probablement à un adolescent, comme l’indiquent les dimensions du coffre et les objets trouvés (fig. 11-12)³⁰. [L.T.]

Fig. 11 - Sant’Agata de’ Goti. La tombe 469 en cours de fouille.

Fig. 12 - Sant’Agata de’ Goti. Mobilier de la tombe 469, 3^e quart du iv^e siècle av. J.-C.

Analyse et interprétation chimique et botanique des marqueurs identifiés dans les tombes de Caudium et de Saticula

19Toutes les analyses ont été réalisées par le laboratoire Nicolas Garnier par GC-MS avec deux protocoles, dont l’un développé spécifiquement pour mettre en évidence la présence de marqueurs de raisin et de marqueurs de fermentation, donc potentiellement de vin³¹. Dans certains cas, deux prélèvements ont été réalisés et analysés (prélèvements paroi interne/encroûtements ; partie supérieure/partie inférieure du récipient).

Caudium (Montesarchio)

20Quatre tombes à fosse ont été échantillonnées pour un total de six contenants en céramique et de neuf prélèvements.

Contenants analysés

• Tombe 2098, datée du début du iv^e siècle av. J.-C. :
  CAU T2098-189438, cratère à colonnettes à vernis noir ; deux prélèvements : (1) des dépôts rouges visibles sur le haut des parois internes, (2) par fraisage des parois au fond du vase.

• Tombe 2371, datée de la première moitié du v^e siècle av. J.-C. :
  CAU T2371-129049, cratère à colonnettes, céramique à vernis noir, imprégnations des parois par fraisage.

• Tombe 2901, datée de la seconde moitié du iv^e siècle av. J.-C. :
  CAU T2901-7, coupe à vernis noir (Morel F1550) ; prélèvement par grattage léger du fond.
  CAU T2901-8, cratère en cloche à figures rouges, vernis noir sur les parois internes ; deux prélèvements : au fond (1) par grattage léger, (2) par grattage intense du vernis.

• Tombe 2372, datée du v^e siècle av. J.-C. :
  CAU T2372-125334, cratère à colonnettes, céramique fine achrome ; grattage du fond.
  CAU T2372-125574, petit cratère à colonnettes, céramique fine achrome ; deux prélèvements : (1) sédiment adhérant au fond du vase, (2) imprégnations des parois par fraisage.

Résultats (tableaux 1a et 1b)

21Les analyses ont mis en évidence la présence de raisin (acide tartrique) dans toutes les céramiques échantillonnées avec, dans cinq cas sur six, l’association de marqueurs (acides malique, succinique, fumarique et pyruvique) indiquant clairement qu’il s’agit de produit fermenté (de type vin ou vinaigre) à base de raisin noir (présence de l’acide syringique).

22Dans un cas (le cratère à colonnettes 189438), la fermentation s’est peut-être produite in situ, après la déposition car les traces de fermentation ont été identifiées principalement dans la partie supérieure du vase.

23Le petit cratère qui ne présente aucun marqueur de fermentation provient d’une tombe dans laquelle a été trouvé un second cratère, qui, en revanche, en présentait ; on peut noter le fait que c’est le seul dans l’ensemble où le marqueur de raisin noir n’a pas été identifié.

24La présence de marqueurs du raisin sans marqueurs de fermentation peut avoir plusieurs explications : la présence d’un produit à base de raisin non fermenté (jus de fruit), l’adjonction de raisins (frais ou secs) dans une préparation ou des marqueurs de fermentation qui sont en deçà du seuil de détection. Ce dernier cas pourrait rendre compte, par exemple, d’un vin très faiblement fermenté à l’origine (vin à faible titrage alcoolique) et qui aurait perdu ce caractère au fil du temps. L’existence de produits vineux ou vins doux faiblement titrés, le passum (vin de raisin séché) ou l’aigleucos pour les Grecs (obtenu en arrêtant la fermentation) entre autres, est bien attestée pour l’Antiquité romaine³².

Tableau 1a - Principaux produits organiques mis en évidence dans le matériel de Caudium.

Tableau 1b - Principaux produits organiques mis en évidence dans le matériel de Caudium. Synthèse par forme.

Poix

25Toutes les céramiques ont révélé la présence de poix d’Abiétales (Conifères) dont cinq cas sur six à l’état de traces uniquement.

26La poix est révélée dans les analyses organiques par la combinaison de marqueurs d’acides diterpéniques (en l’occurrence dans le cas précis, l’acide déhydroabiétique, indiqué Dab), de leurs dérivés de dégradation naturelle, les acides hydroxy- et oxo-terpéniques (en l’occurrence l’acide 7-oxo-déhydroabiétique) et des hydrocarbures polyaromatiques (PAH, rétène). Dans le cas de la poix de Caudium s’y ajoutent des acides diterpéniques méthylés, marqueurs de la pyrogénation du bois, un des procédés d’obtention de la poix attesté dans l’Antiquité³³.

27Les marqueurs (acide déhydroabiétique, acide déhydroabiétique méthylé) sont généralement interprétés dans la littérature comme provenant de Pinaceae (la famille botanique du pin, mais qui comprend également l’épicéa, le sapin, le mélèze et le cèdre…). En réalité, les marqueurs chimiques qui, en contexte archéologique, permettraient de distinguer de façon solide les Pinaceae des Cupressaceae (famille des cyprès et genévriers) au sein des Conifères, sont encore insuffisamment compris³⁴. L’interprétation de Pinaceae n’est donc pas directement issue de la chimie, mais du fait que la famille semble, par les sources écrites, la plus utilisée dans le monde grec, puis romain et que les pins (Pinus spp.) pour l’Italie du Sud sont botaniquement les meilleurs candidats dans les producteurs de résine. En effet, le statut d’indigénat du Cupressus (cyprès) est vivement débattu, et le genre était en tout cas rare avant sa diffusion pendant la période romaine et peu utilisé même à cette période, de même que les Juniperus (genévriers).

28La présence de poix est fréquemment retrouvée à l’analyse en Italie³⁵, le plus souvent dans des amphores et, en l’état des résultats, plutôt pour la période romaine. Elle est généralement interprétée comme imperméabilisant, notamment dans le cas des amphores vinaires³⁶. Les expérimentations menées par Romanus et ses collègues³⁷ ont montré que le vin dissout la poix progressivement dans le temps, celle-ci étant donc susceptible d’imprégner le liquide contenu.

29Dans le cas de Caudium, la poix n’a été identifiée qu’à l’état de traces. Elle pourrait, dans ce cas, faire partie du contenu, par exemple comme aromatisant puisque la faveur des vins poissés était bien attestée dans l’Antiquité romaine bien que la poix se dissolve mal dans le vin contrairement à la résine ; les traces repérées pourraient également provenir de résidus des procédés de préparation des moûts pour l’obtention de vin³⁸ ou encore du stockage du vin dans les amphores poissées.

Produits de la ruche

30Les produits de la ruche ont été identifiés dans deux des cinq cratères.

31Dans un cas (T2098-189438), les marqueurs sont accompagnés de carbohydrates (sucres) à un niveau très important, ce qui pourrait signer la présence d’un miel brut obtenu sans filtrage.

32Dans le second cas (T2372-125334), la présence de soufre minéral détectée orienterait plutôt, d’après l’analyste, vers un procédé d’imperméabilisation spécifique. Signalons, cependant, que du soufre a déjà été identifié avec des produits de la ruche et des corps gras (végétaux et/ou animaux) en Espagne, dans un ensemble de céramiques provenant d’un contexte de sanctuaire daté du v^e siècle av. J.-C.³⁹. Le soufre peut avoir eu une fonction de purification, mais il semble étonnant dans ce cas qu’il n’ait été trouvé que dans un des deux cratères ; un rôle médicinal pourrait également être envisagé.

Corps gras animaux

33Des graisses animales de ruminants ont été identifiées dans tous les récipients avec, dans un cas au moins (T2372-125334), peut-être dans trois autres, des traces de chauffe. Ce résultat qui pourrait a priori laisser penser à une préparation alimentaire carnée, est surprenant compte tenu de la nature des céramiques, classiquement associées à la boisson. Deux hypothèses peuvent être envisagées : le mélange dans un rituel spécifique de vin et de morceaux carnés ou de graisses animales, mais ceci n’est nullement attesté dans la littérature, ou la dégradation in situ post-dépositionnelle de morceaux de viande déposés dans les tombes comme offrandes qui auraient contaminé les contenus des récipients ouverts. De l’archéologie expérimentale est nécessaire pour explorer et documenter cette seconde hypothèse.

Autres

34Le rôle de l’acide oxalique dans le petit cratère T2371-129049 est également obscur. Dans les analyses organiques de résidus, l’acide oxalique a pu être interprété comme la trace de la bière. Cependant, celui-ci se forme d’une part dans les processus intracellulaires de nombreuses plantes et d’autre part constitue un produit courant du métabolisme de diverses levures, moisissures et fonges (champignons). Il est largement présent dans les sols et l’interprétation de « bière » ne peut être retenue sur la base de ce seul marqueur⁴⁰.

Synthèse

35On remarquera l’assez grande homogénéité des résultats sur le matériel des quatre tombes au-delà des différences chronologiques et notamment (1) l’absence totale d’huile végétale et, sauf dans un cas (T2372-125574), de traces de végétaux ajoutés, (2) la présence très large du vin et (3) la présence de graisses animales dont le rôle ou la raison dans du matériel de service à vin en contexte funéraire reste à élucider. Dans la tombe 2901, le cratère et la coupe présentent exactement le même contenu.

Saticula (Sant’Agata de’ Goti)

Contenants analysés

36• Tombe 465
SAT T465 B2, cratère à figures rouges ; deux prélèvements : imprégnations, concrétions.
SAT T465 B3, cratère à figures rouges ; prélèvements : imprégnations du fond du vase.
SAT T465 B4 kylix à vernis noir, Série Morel F4253 ; prélèvements : imprégnations du fond de la céramique.
La céramique SAT T465 B5 (œnochoé, céramique fine achrome) n’a pu être prélevée du fait d’une embouchure trop étroite.

37• Tombe 469
SAT T469 A1, olla, céramique fine, grisée ; prélèvements : imprégnations des parois au fond du vase.
SAT T469 B1, œnochoé, céramique fine, achrome ; prélèvements : grattage des parois.
SAT T469 B2, petit cratère à figures rouges ; deux prélèvements : grattage des concrétions, imprégnations des parois.
SAT T469 B3, petite olla stamnoïde, grisée ; prélèvement : imprégnation des parois.
SAT T469 B4, kylix à vernis noir ; prélèvement : imprégnations des parois.

Résultats (tableaux 2 et 3)

38Le contenu ne semble pas a priori complètement corrélé à l’interprétation traditionnelle de la forme. Pour les trois céramiques de type cratère (en incluant le petit cratère), la présence d’un produit fermenté à base de raisin a été mise en évidence dans deux cas seulement. Dans le troisième cratère, la présence de raisins est bien attestée, mais sans aucun marqueur de fermentation, de même que dans l’œnochoé ; cependant, ceci peut s’expliquer si le produit de départ est très faiblement fermenté (cf. supra).

39La présence de graisses animales de ruminants (comme dans le cas de Caudium) pourrait éventuellement provenir d’une contamination par les offrandes carnées déposées, mais à Saticula, des huiles végétales ont été, en outre, détectées et, souvent à des niveaux importants.

Tableau 2 - Saticula. Produits organiques détectés à l’analyse tombe SAT 465.

Tableau 3 - Saticula. Produits organiques détectés à l’analyse tombe SAT 469.

Le raisin et le vin

40La présence de marqueurs du raisin a été détectée dans tous les récipients y compris les ollae ; cependant, les marqueurs de fermentation permettant de proposer de façon solide une préparation de type vin ou vinaigre ne sont détectés que dans quatre récipients (un des deux cratères et la kylix pour la tombe 465 ; un petit cratère et une kylix pour la tombe 469). Il s’agit systématiquement de boisson fermentée produite à base de raisin rouge.

41La kylix de la tombe 465 (SAT T465 B4) présente une très forte concentration des marqueurs, ce qui tendrait à indiquer qu’elle a été déposée pleine dans la tombe.

La résine

42Elle n’a pas été détectée dans les récipients de la tombe 465.

43Pour la tombe 469, la résine n’a pas été identifiée dans l’olla, ce qui pourrait indiquer un contenu différent entre les deux marmites. Le fait que tous les autres récipients en présentent, au moins à l’état de traces, suggérerait plutôt une fonction d’additif ou d’aromatisant quoique la résine, comme la poix, puisse avoir été utilisée dans les procédés de fabrication du vin.

44L’absence dans la tombe 465 pourrait rendre compte de pratiques différentes entre les deux tombes, mais un échantillonnage plus large serait nécessaire pour proposer une interprétation fiable.

Les corps gras

45Tous les récipients présentent à la fois des graisses animales, principalement de ruminants (sept cas sur huit analysés), à un haut niveau, et sans trace de chauffage détectée (dans sept cas sur huit). Ils ont révélé, en outre, au moins un produit oléagineux ou une huile végétale, parfois deux (la deuxième étant une huile siccative⁴¹ du type sésame, pavot, carthame ou lin). Ces huiles présentent, dans certains cas, des traces de chauffe modérée (dans un cas sur trois pour la tombe 465, dans trois cas sur cinq pour la tombe 469).

46Dans un cas, le cratère B3 de la tombe 465, de l’huile d’olive a pu être identifiée (elle est également considérée comme probable dans la kylix B4 de la même tombe). Il s’agit du cratère qui ne présente aucun contenu de vin ou de vinaigre.

47Si la présence de graisses animales majoritairement non chauffées peut être imputée à une contamination post-dépositionnelle par des offrandes de viande crue, la présence d’huiles végétales ne peut être expliquée à ce jour sauf à proposer un complexe associant l’huile avec des boissons, pour certaines fermentées, à base de raisin.

48Ce schéma intrigue ; sans exclure totalement l’hypothèse de gestes ou de rites impliquant des mélanges complexes de libations et/ou de dépositions, les produits organiques détectés pourraient s’expliquer également par des utilisations successives - qui n’auraient alors pas été strictement destinées à la boisson - avant déposition des céramiques ou un détournement de fonction en contexte rituel. En effet, l’analyse chimique saisit dans les parois l’ensemble des contenus organiques d’un récipient tout au long de sa vie.

Les autres éléments du contenu

49• Tombe 465

50Le cratère SAT T465 B2 a livré un alcool triterpénique, la friedeline, considéré classiquement comme un marqueur du bois de chêne (Quercus sp.), particulièrement du chêne-liège (Quercus suber L.)⁴².

51Le composé est, cependant, présent dans plusieurs espèces appartenant à des familles très diverses (Asteraceae, Lamiaceae, Brassicaceae, Poaceae…)⁴³. Il est également très présent dans la famille des Ericaceae, notamment chez les myrtilles (Vaccinium myrtillus L.)⁴⁴ et les callunes (Calluna vulgaris L.)⁴⁵, mais dans le cas de cette famille, d’autres triterpènes qui sont conservés archéologiquement auraient été détectés, notamment l’acide ursolique, la bétuline et l’acide bétulinique.

52La friedeline est encore considérée en géophysique comme un des marqueurs de la matière organique des sédiments dans des environnements dominés par des Angiospermes ou plantes à fleurs⁴⁶, mais généralement, dans ce cas, accompagné d’autres marqueurs (taraxérone, taraxérol, lupéol). En l’occurrence, la présence détectée dans un seul des cratères de la tombe tendrait à invalider l’hypothèse d’une source diagénétique.

53Le composant a été détecté dans l’analyse à un niveau important sans autre triterpène identifié. Plusieurs travaux ont mis en évidence dans le cas du chêne-liège, une association de la friedeline à la bétuline et à l’acide bétulinique⁴⁷. De ce fait, l’hypothèse de bouchons en liège ou d’objets en liège décomposés peut être exclue. De même, la friedeline n’a jamais été mise en évidence dans les glands de chêne à ce jour, ce qui exclut également l’utilisation des fruits. On pourrait avoir eu une utilisation de rameaux feuillés ou de feuilles ; les marqueurs de ces parties sont, cependant, insuffisamment connus et demanderaient un travail spécifique de construction de référentiel.

54Des cendres végétales ont été identifiées dans un des deux cratères.

55• Tombe 469

56Le petit cratère SAT T469 B2 présente une forte concentration de triterpènes (bétuline, lupanes) qui sont très probablement associés à la préparation. Ces marqueurs sont classiquement rapportés au bouleau (Betula sp.) bien que présents également dans d’autres genres de la famille des Betulaceae, notamment les aulnes (Alnus sp.)⁴⁸. La littérature archéométrique sur le bouleau est très riche avec de nombreuses découvertes qui se répartissent sur toute l’Europe continentale sur une longue période, mais les études et les indications sont essentiellement concentrées sur le brai de bouleau. En l’occurrence, ici, les marqueurs du brai sont absents ; il s’agit plus probablement d’une décoction de fleurs ou de feuilles, l’absence d’identification de subérine et l’abondance des cires épicuticulaires dans l’analyse conduisant à écarter le bois et l’écorce comme composant majoritaire. Une hypothèse de sève de bouleau pourrait être tentante ; le produit n’a pas encore donné lieu à des travaux sérieux en phytochimie, mais sa composition majoritaire de sucres, de mucilages et d’acides aminés est peu susceptible de laisser des marqueurs dans la longue durée. Il faudrait, cependant, construire un référentiel ad hoc pour pouvoir totalement écarter l’hypothèse.

57Le bouleau est a priori une espèce des environnements frais et montagneux, caractéristique de la zone climatique dite euro-sibérienne. Cependant, les reconstructions des environnements de Neapolis entre le v^e siècle av. et le ii^e siècle apr. J.-C. à partir des découvertes archéobotaniques et palynologiques montrent que les éléments montagneux – attestés notamment par la présence de bouleau et du sapin argenté – y étaient beaucoup plus présents qu’aujourd’hui⁴⁹. Du Betula pendula Roth (bouleau verruqueux) est encore présent actuellement dans les Apennins méridionaux, particulièrement en Campanie⁵⁰. Le bouleau constituait donc potentiellement une ressource disponible localement de même que l’aulne, présent dans les environnements ripariens. Cependant, le bouleau ne pouvait pas être présent à proximité du site, et donc venir d’une dégradation in situ de la végétation ; sa présence résulterait de l’adjonction choisie d’un végétal.

58Cette identification représenterait l’indication la plus méridionale pour l’Italie d’une utilisation du bouleau. La découverte de marqueurs du bouleau n’est pas un fait unique dans le cadre du programme MAGI ; ils ont également été mis en évidence à Cerveteri⁵¹.

59La petite olla présente des traces d’acétate de pichiérényl, marqueur de la présence d’une Asteraceae (anciennement Compositae, Composées), sans que l’on puisse identifier plus précisément le genre ou l’espèce, les marqueurs de cette grande famille étant insuffisamment compris, phytochimiquement et archéologiquement. Il peut s’agir soit de légumes feuilles, soit de sommités fleuries incorporées, dans le premier cas avec une utilisation plutôt culinaire, dans le second cas, plutôt médicinale voire aromatique.

60L’œnochoé présente la trace de cendres végétales et des marqueurs de cires épicuticulaires (cires existant à la surface des feuilles, fleurs, fruits et rameaux des végétaux) qui pourraient signer des éléments du contenu. Les cires épicuticulaires des végétaux pourraient offrir des signatures chimiques permettant de caractériser les végétaux sources, mais ont été à ce jour insuffisamment étudiées en phytochimie pour pouvoir, sauf exception, les attribuer à des familles, genres ou espèces⁵².

61Les cendres végétales ont été pas ou peu étudiées dans les analyses organiques de résidus. Les études disponibles ont porté sur les foyers préhistoriques et par des techniques d’identification microscopiques⁵³. Le rôle des cendres dans la préparation de savons est souvent mentionné à partir des sources littéraires antiques⁵⁴ et leur utilisation comme un procédé d’obtention du sel a été documentée par l’ethnologie⁵⁵. L’ajout de cendres de vigne dans des boissons à des fins médicinales est décrit par Pline (H.N. XXIII, 4). L’administration aux gladiateurs de boissons reconstituantes à base de cendres a été proposée pour expliquer la présence de strontium dans les squelettes de gladiateurs des ii^e et iii^e siècles apr. J.-C. découverts à Éphèse⁵⁶. Les cendres ont pu être utilisées, semble-t-il, également pour « parer » les vins⁵⁷. En contexte funéraire, on ne peut exclure, toutefois, que des végétaux aient été brûlés dans le cadre des rituels et incorporés dans les dépôts.

Synthèse (tableau 4)

62Les analyses reflètent des schémas complexes et délicats à interpréter ; ils peuvent retracer soit des offrandes ou des agapes à structure complexe (vin/raisin, graisses animales, huiles, divers produits à base de plantes), soit des usages multiples avant le dépôt dans les tombes, soit des évènements successifs ou des gestes intervenant dans la tombe ou à sa clôture.

Tableau 4 - Registres possibles d’utilisations des matières organiques détectées à l’analyse.

63Les analyses montrent en tout cas l’utilisation de vin (ou vinaigre) dans les rituels funéraires samnites.

64Plusieurs résultats demandent des recherches additionnelles et de l’expérimentation archéologique ; c’est le cas de la nature et de l’utilisation du raisin (sans les marqueurs de fermentation), de la présence potentielle de boissons fermentées à base d’autres fruits riches en acide malique, détectée probablement dans deux cas, et, enfin, des graisses animales (trouvées dans le cadre du programme MAGI dans de nombreux services à boire en contexte funéraire).

65Les contenus des tombes échantillonnées à Saticula se révèlent plus complexes que ceux de Caudium ; des variantes sont observées entre les deux sites : utilisation de poix à Caudium, de résine à Saticula ; présence des huiles végétales et incorporation de plantes à Saticula, qui mériteraient un échantillonnage plus large pour pouvoir être interprétées. [É.D., N.G.]

L’apport des analyses à l’étude des contextes examinés

66En marge de l’examen approfondi d’É. Dodinet et de N. Garnier il convient de rappeler quelques données exposées précédemment qui permettent d’enrichir l’analyse des coutumes funéraires. En ce qui concerne Caudium, la récurrence de certains éléments semble constante, tout d’abord le vin qui a été trouvé dans tous les vases examinés. Le cas de la tombe 2901 est révélateur : les deux vases qui constituaient le mobilier (cratère et coupe) ont restitué des traces de vin. Seul le plus petit cratère de la tombe 2372 semble avoir contenu non du vin, mais plutôt du jus de raisin non fermenté, ainsi que de la graisse animale et des cires végétales.

67La poix a également été trouvée dans tous les vases examinés, y compris ceux qui étaient entièrement vernis. Bien que son utilisation comme agent aromatisant soit attestée, il ne peut être exclu que les traces trouvées renvoient à l’utilisation de la poix employée pour imperméabiliser les amphores, les récipients primaires du vin, ou à des résidus liés à la préparation du moût.

68Une autre substance présente dans tous les vases de Caudium analysés est la graisse animale (en particulier la graisse de ruminant), dans un cas avec des traces évidentes de réchauffement (cuisson)⁵⁸. Cet élément a induit É. Dodinet à émettre l’hypothèse qu’il s’agit du résultat de la dégradation des morceaux de viande offerts dans la sépulture. Il est moins probable, selon elle, que la graisse animale soit pertinente à des usages précédant le dépôt du vase dans la tombe. Malgré l’absence de documents prouvant que des os d’animaux ont été effectivement trouvés dans les sépultures en question, l’offrande de viande ou sa consommation au cours des cérémonies liées à l’enterrement ne peut être exclue, même sur la base d’attestations connues dans d’autres contextes⁵⁹.

69En outre, dans le cratère de la tombe 2098 et dans celui de la tombe 2372, des traces de cire d’abeille ont également été relevées : dans le spécimen de la tombe 2098, en particulier, puisqu’une grande quantité de sucres a également été trouvée, on peut émettre l’hypothèse de la présence de miel, notoirement utilisé dans l’Antiquité pour sucrer le vin.

70Également à Saticula, les analyses ont montré l’importance de la présence de vin, attesté dans tous les spécimens à l’exception du plus petit cratère de la tombe 465 et de l’œnochoé et de la petite olla stamnoïde de la tombe 469. Est particulièrement intéressante la donnée liée à la kylix à vernis noir de la tombe 465 dans laquelle la quantité d’acide tartarique relevée a permis de faire l’hypothèse qu’elle avait été déposée dans la tombe pleine de vin.

71Les données provenant des analyses des vases déposés dans la tombe 469 semblent plus variées. L’œnochoé, par exemple, a contenu une boisson à base végétale, peut-être enrichie d’autres ingrédients, comme l’indiqueraient les traces de gras animal, de cires végétales et de jus de raisin.

72Le petit cratère, en revanche, présentait une concentration considérable de marqueurs de bouleau, peut-être liée à une décoction préparée avec des feuilles ou des fleurs de l’arbre.

73Le dernier vase examiné qui faisait partie du mobilier interne (la petite olla stamnoïde), contenait des traces d’Asteraceae, une grande famille à laquelle appartiennent de nombreuses espèces alimentaires telles que le chardon et la chicorée. Il n’est pas possible d’établir si les traces appartiennent aux feuilles d’une de ces plantes, donc à une préparation alimentaire, ou aux fleurs, plus susceptibles d’être liées à un usage médicinal⁶⁰. En ce qui concerne la morphologie du vase, il peut être utile de rappeler que, dans certains contextes étrusco-campaniens, on a émis l’hypothèse que les petites ollae stamnoïdes étaient destinées à contenir non pas des liquides, mais des aliments solides ou des denrées. Cette hypothèse se base sur la découverte de résidus organiques à l’intérieur des vases, qui n’ont cependant jamais été soumis à l’analyse, et sur l’évaluation globale des contextes de découverte et des associations récurrentes⁶¹.

74Enfin, l’olla déposée à l’extérieur a contenu, outre du raisin, de l’huile d’olive et des graisses animales et végétales. Il serait intéressant de pouvoir relier ces substances à une sorte de préparation alimentaire, faisant partie du repas funéraire ou de l’offrande rituelle qui se répète constamment et à long terme dans les tombes de Saticula, signe tangible d’une action effectuée en même temps que la sépulture⁶².

75Bien que l’échantillon de pièces analysées ne soit pas très vaste, il est possible de proposer quelques considérations préliminaires en comparant les résultats qui ont émergé dans les deux sites, avec l’espoir que l’analyse puisse être étendue à l’avenir à un plus grand nombre de contextes funéraires.

76Au-delà des assonances entre les deux centres, liées à la présence de vin dans la plupart des récipients analysés, quelques spécificités apparaissent. À Saticula, par exemple, sont attestées des plantes et des substances végétales non documentées à Caudium, comme le bouleau ou les Asteraceae, qui peuvent être mises en rapport, comme nous l’avons vu, avec une décoction préparée avec des feuilles ou des fleurs de la plante pour le bouleau, et à une préparation alimentaire ou médicinale pour les Astéracées. Un autre élément intéressant est la présence fréquente dans les deux sites de graisses animales, principalement de ruminants. À Caudium, on note un cas de cuisson avérée et trois autres cas où elle est probable. À Saticula, les traces de graisse animale ne sont pas cuites et, contrairement à Caudium où l’on peut émettre l’hypothèse d’une offrande ou d’une consommation de viande lors des pratiques d’inhumation, elles apparaissent ici systématiquement associées à des huiles végétales et à d’autres substances. Au-delà de la limite liée à l’incertitude relative au fait que les restes trouvés à l’intérieur des vases soient les résidus de la dernière substance contenue – qu’elle soit liquide ou solide et donc certainement liée aux offrandes déposées dans la tombe –, il est intéressant de noter la présence à Saticula, contrairement à Caudium, de préparations alimentaires complexes, où la viande était associée à de l’huile végétale (principalement de l’huile d’olive), du vin et des dérivés du raisin.

77D’autre part, la plus grande complexité des offrandes funéraires que l’on trouve à Saticula par rapport à Caudium se reflète dans le nombre d’objets du mobilier, qui est en revanche à Caudium réduit pour ainsi dire à l’essentiel, avec seulement les formes qui évoquent la consommation sociale du vin. En ce sens, les analyses confirment cette centralité dans les coutumes funéraires caudines des v^e et iv^e siècles av. J.-C., en mettant en évidence dans tous les récipients analysés des traces de vin, associées ou non à des arômes ou à des édulcorants, à la seule exception du petit cratère de la tombe 2372 qui contenait du jus de raisin blanc non fermenté, à interpréter peut-être comme une boisson peu alcoolisée. Ce cas est particulièrement intéressant, car le petit cratère était associé à un cratère plus grand contenant du vin.

78L’absence d’analyse ostéologique sur les individus des tombes de Caudium et de Saticula ne nous permet malheureusement pas d’émettre des hypothèses quant à la correspondance de ces articulations avec les différences de sexe ou les classes d’âge, ce qui nous permet d’entrevoir le potentiel des recherches comparatives qui intègrent les résultats de l’analyse des restes organiques contenus dans les vases du mobilier. Il serait intéressant, par exemple, de supposer que la tombe 2372 dans laquelle le cratère contenant du jus de raisin non fermenté était associé à un cratère plus grand contenant du vin appartenait à un enfant ou, en tout cas, à un individu en bas âge. À l’adhésion généralisée et constante au rituel funéraire qui prévoit la déposition du cratère dans toutes les tombes caudines, on ajouterait dans ce cas la connotation de la classe d’âge à travers le plus petit cratère, contenant peut-être une boisson peu alcoolisée.

79Cependant, le caractère symbolique des contextes funéraires et des actions liées à l’enterrement nous pousse à être prudent dans l’évaluation de ces données, d’autant plus si l’on considère que, contrairement aux contextes résidentiels ou de sanctuaires, les contextes funéraires ne restituent pas le mode de vie et les habitudes de la communauté, mais plutôt les stratégies d’autoreprésentation adoptées au moment de la mort. Il s’ensuit que l’adoption de systèmes de valeurs et de modèles de comportement peut être rappelée par un ensemble d’objets déterminés même lorsque, dans les vases du mobilier funéraire, les offrandes n’ont pas été conservées ou n’ont pas été déposées du tout⁶³.

80À titre d’exemple il peut être utile de citer, dans le vaste panorama offert par la nécropole de Caudium, deux ensembles de mobilier funéraire particulièrement significatifs en eux-mêmes, grâce aux associations d’objets qu’ils ont restituées, rappels des modèles idéologiques précis. Les sépultures, retrouvées à faible distance l’une de l’autre, peuvent toutes deux être datées de la fin du vi^e siècle et du début du v^e siècle av. J.-C. (T. 3038 et T. 3044)⁶⁴. Le mobilier funéraire de la première tombe (T. 3038) était très riche, tant par la qualité que par la quantité des objets : un cratère en bucchero, une amphore attique de type panathénaïque, des kylikes attiques à figures noires et à vernis noir, des vases et des outils en bronze de type étrusque (œnochoé de type Schnabelkanne, petite cruche, bassin, coupelle-attingitoio, passoire et louche en bronze), broches, piques et un couteau en fer, une râpe en bronze et d’autres vases en bucchero et décorés de bandes (fig. 13)⁶⁵.

Fig. 13 - Montesarchio. Partie du mobilier de la tombe 3038, fin vi^e-début v^e siècle av. J.-C.

81L’autre sépulture (T. 3044) a rapporté peu d’objets, mais non de moindre importance : un lekythos attique à figures noires et une paire de fibules en fer étaient en effet associés à un cratère attique à volutes à figures noires exceptionnel, décoré d’un système figuré complexe avec des scènes de bataille et d’auriges sur le col et, sur la panse, la représentation du retour d’Héphaïstos dans l’Olympe (fig. 14). L’importance de la découverte, ainsi que la valeur du mobilier, réside dans le fait que les deux tombes présentent des objets très évocateurs. Le mobilier de la tombe 3038, qui associe la vaisselle en bronze aux ustensiles liés au foyer et aux instruments en bronze liés à la préparation et à la consommation du vin, rappelle clairement l’adhésion au modèle du banquet/symposium, comme cela se passe à la même époque dans de nombreux autres contextes en Campanie, où l’on retrouve également l’association des mêmes types de matériaux⁶⁶.

Fig. 14 - Montesarchio. Mobilier de la tombe 3044, fin vi^e-début v^e siècle av. J.-C.

82La tombe 3044, en revanche, représente à Caudium le plus ancien exemple de la coutume funéraire consistant à déposer le cratère comme seul objet du mobilier funéraire, un rituel qui, comme cela est mentionné plus haut, a perduré sans changement jusqu’à la fin du iv^e siècle av. J.-C. Au-delà de la référence au vin et au symposium, le caractère exceptionnel du dépôt du cratère seul dans la tombe a été récemment relié, avec de solides arguments, aux croyances eschatologiques répandues depuis le vi^e siècle aussi bien en Grande Grèce que dans l’environnement étrusco-campanien, dans lesquels le cratère dépasse sa dimension fonctionnelle, faisant symboliquement allusion au symposium et à Dionysos comme instrument pour surpasser la mort⁶⁷.

83Dans le cas de contextes si riches en signes et en éléments évocateurs, dans lesquels la sélection précise et l’association d’objets à forte valeur sémantique nous permettent de pressentir des modèles culturels de référence spécifiques, l’apport de l’analyse des résidus organiques à l’intérieur des récipients contribuera en partie à approfondir le cadre proposé, en stimulant de nouveaux points de réflexion pour la reconstruction des actions et des pratiques rituelles.

Bilan et perspectives

84En marge des considérations exposées ci-dessus, il semble utile de résumer schématiquement certains points qui peuvent stimuler et orienter la recherche :

851. La priorité semble résider dans l’élargissement de l’échantillon d’analyse, à effectuer également de manière diachronique, en sélectionnant si possible des sépultures diversifiées par genre et par classes d’âge. L’augmentation des données permettra une évaluation plus fiable des résultats, aidant à mieux comprendre la variabilité entre les différents contextes.

862. Les résultats de l’analyse des restes organiques contenus dans les vases déposés dans la tombe, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, doivent être évalués avec prudence, puisqu’il n’est pas certain que ces résidus soient effectivement liés à la dernière utilisation du vase. La fiabilité des analyses effectuées sur les restes organiques de conteneurs trouvés dans d’autres contextes, tels que des zones habitées ou des sanctuaires, est différente, car elles fournissent généralement des preuves directes des actions et des activités. Dans le contexte des nécropoles, en revanche, si pour certains objets il est possible d’émettre l’hypothèse d’un usage uniquement funéraire, dans la plupart des cas, la séquence des usages auxquels ont été soumis les vases placés dans la tombe au cours du temps nous échappe. Un autre élément non secondaire est la signification fortement symbolique des contextes funéraires où certaines actions (ou modèles culturels) peuvent être évoquées par le seul dépôt de vases, sans qu’ils contiennent nécessairement des liquides ou des aliments solides.

873. Néanmoins, l’analyse des résidus organiques appliquée aux contextes funéraires peut offrir une contribution très utile, comme le démontrent les résultats décrits par É. Dodinet. Malgré le fait que l’échantillon ne soit pas très riche en termes de nombre de sépultures analysées, les variables enregistrées entre Caudium et Saticula semblent être significatives et fournir des informations importantes qui, avec l’élargissement du dossier disponible, acquerront certainement une signification supplémentaire. C’est le cas, par exemple, de la kylix de la tombe 465 de Saticula, certainement déposée dans la tombe pleine de vin, ce qui suscite une série de questions comme, par exemple, le pourcentage de ces attestations dans la nécropole et leur récurrence dans les tombes appartenant ou non aux deux genres ou à certaines classes d’âge, etc. Il est donc évident qu’il faut souhaiter et promouvoir des recherches comparées et multidisciplinaires qui, outre les études réalisées avec les outils de l’archéologie et de l’anthropologie funéraire, comprennent également le recours à des analyses chimiques des résidus organiques, ainsi que des analyses ostéologiques, archéozoologiques ou paléobotaniques, capables d’élargir le spectre de l’enquête et de fournir des données supplémentaires pour la compréhension des pratiques funéraires des sociétés anciennes. [L.T.]